(1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61
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(1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

I.

« Je suis très franche et très naturelle, et je dis tout ce que j’ai sur le cœur. » C’est la devise qu’il faudrait mettre à toutes ces correspondances de Madame, la plupart écrites en allemand, et dont on a publié à diverses reprises de volumineux extraits à Strasbourg et au-delà du Rhin. Ce sont ces correspondances taillées et morcelées qu’on a ensuite traduites par fragments en français, et dont on a composé le volume improprement appelé Mémoires de Madame 16. Ce volume, venant après les autres mémoires des femmes célèbres du Grand Siècle, tranchait singulièrement par le ton et a causé beaucoup de surprise. Depuis que les Mémoires de Saint-Simon sont publiés en entier, je ne dirai pas que les pages de chronique qu’on doit à Madame ont pâli, mais elles ont cessé d’étonner ; on y a reconnu de bonnes peintures naïves, un peu hautes en couleur et un peu grosses de traits, chargées et grimaçantes parfois, mais au fond ressemblantes. La vraie manière de bien s’en rendre compte et d’en tirer profit pour l’histoire du temps, c’est de voir comment Madame écrivait, dans quel esprit, ce qu’elle était elle-même par l’éducation, par le caractère. À cet égard, les Nouvelles lettres publiées dans le texte allemand par M. Menzel en 1843, et aujourd’hui traduites en partie et pour la première fois par M. G. Brunet, sont d’un grand secours, et font faire un pas de plus dans la connaissance de ce singulier et original personnage : ce n’est pas trop, pour le bien entendre, de l’Allemagne et de la France réunies.

Élisabeth-Charlotte, qui épousa en 1671 Monsieur, frère de Louis XIV, naquit à Heidelberg en 1652. Son père Charles-Louis était l’électeur du Palatinat, rétabli dans ses États par la paix de Westphalie. Dès sa jeunesse, Élisabeth-Charlotte se distingua par un esprit vif et par un caractère ouvert, franc et vigoureux :

Mlle de Quadt, dit-elle, a été ma première gouvernante et celle de mon frère ; elle était déjà vieille : elle voulut une fois me donner le fouet, car j’étais un peu volontaire dans mon enfance ; mais je me débattis si fort, et je lui donnai avec mes jeunes pieds tant de coups dans son vieux ventre, qu’elle tomba tout de son long avec moi et faillit se tuer. Depuis elle ne voulut plus rester avec moi.

On lui donna une autre gouvernante, Mlle d’Oifen, qui devint Mme de  Harling. Il existe des lettres très intéressantes, dit-on, adressées par Madame à cette seconde institutrice, Mme de Harling ; il en a été publié un extrait à Dantzig en 1791, avec une biographie de la princesse en tête. Pourquoi n’en sommes-nous pas mieux informés en France ? La paix domestique ne régnait pas au foyer de l’électeur palatin ; il avait une maîtresse qu’il épousa de la main gauche ; la mère d’Élisabeth-Charlotte est accusée d’avoir eu un caractère acariâtre qui amena la séparation. La jeune fille fut confiée à un certain moment aux soins de sa tante Sophie, l’électrice de Hanovre, personne de mérite, pour laquelle elle conserva toujours les sentiments et la reconnaissance d’une fille tendre. C’est à elle qu’elle adressait ses plus longues lettres et ses plus confidentielles, celles qui doivent surpasser en intérêt toutes les autres. Elles n’ont pas été publiées, et M. Menzel dit qu’on ne sait ce qu’elles sont devenues. Toute cette première partie de la vie et de la jeunesse de Madame serait curieuse et importante à bien établir : « J’étais trop âgée, dit-elle, quand je vins en France, pour changer de caractère ; la base était jetée. » Tout en se soumettant avec courage et résolution aux devoirs de sa position nouvelle, elle gardera toujours ses goûts allemands ; elle les confessera, elle les affichera en plein Versailles et en plein Marly, et cette cour, qui était alors la règle de l’Europe, et qui donnait le ton, aurait pu s’en choquer si elle n’avait mieux aimé en sourire.

De Marly, le 22 novembre 1714, après quarante-trois ans de séjour en France, Madame écrivait :

Je ne peux supporter le café, le chocolat et le thé, et je ne puis comprendre qu’on en fasse ses délices : un bon plat de choucroute et des saucissons fumés font, selon moi, un régal digne d’un roi, et auquel rien n’est préférable ; une soupe aux choux et au lard fait bien mieux mon affaire que toutes les délicatesses dont on raffole ici.

Elle trouvait en France, aux choses les plus naturelles et les plus usuelles, un autre goût et un goût moindre qu’en Allemagne :

Le lait et le beurre, disait-elle après cinquante ans de séjour, ne sont pas aussi bons que chez nous ; ils n’ont pas de saveur et sont comme de l’eau ; les choux ne sont pas bons non plus, car la terre n’est pas grasse, mais légère et sablonneuse, de sorte que les légumes n’ont pas de force et que le bétail ne peut donner de bon lait. Mon Dieu ! que je voudrais pouvoir manger les plats que vous fait votre cuisinière ! Ils seraient plus de mon goût que tout ce que m’apprête mon maître d’hôtel.

Mais elle tenait à son pays, à sa souche allemande, à son Rhin allemand, par d’autres souvenirs que par celui des mets et de la cuisine nationale : elle aimait la nature, la campagne, la vie libre, un peu sauvage ; ses impressions d’enfance lui revenaient avec des bouffées de fraîcheur. À propos de Heidelberg rebâti après les désastres et d’un couvent de Jésuites ou de Cordeliers qu’on y établissait sur la hauteur : « Mon Dieu ! s’écriait-elle, combien de fois ai-je mangé des cerises sur la montagne avec un bon morceau de pain à cinq heures du matin ! J’étais alors plus gaie qu’aujourd’hui. »

Cet air vif de Heidelberg lui est encore présent après plus de cinquante ans comme au premier jour ; elle le recommande, quelques mois avant de mourir, à la demi-sœur à laquelle elle écrit (30 août 1722) :

Il n’y a pas au monde un meilleur air que celui de Heidelberg, et surtout celui du château où est mon appartement ; rien de mieux ne saurait se rencontrer. Personne mieux que moi ne peut comprendre, ma chère Louise, ce que vous avez dû sentir à Heidelberg ; je ne peux pas y songer sans la plus vive émotion ; mais je ne veux pas en parler ce soir, cela me rend trop triste et m’empêcherait de dormir.

En Allemande des bords du Necker et du Rhin, Élisabeth-Charlotte aimait les sites pittoresques, les courses dans les forêts, la nature livrée à elle-même, et aussi des coins bourgeois et plantureux au milieu de l’encadrement sauvage :

J’aime mieux voir des arbres et des prairies que les plus beaux palais ; j’aime mieux un jardin potager que des jardins ornés de statues et de jets d’eau ; un ruisseau me plaît davantage que de somptueuses cascades ; en un mot, tout ce qui est naturel est infiniment plus de mon goût que les œuvres de l’art et de la magnificence : elles ne plaisent qu’au premier aspect, et aussitôt qu’on y est habitué, elles inspirent la fatigue et on ne s’en soucie plus.

En France elle aimait particulièrement le séjour de Saint-Cloud, où elle jouissait avec plus de liberté de la nature. À Fontainebleau, elle se promenait souvent à pied et faisait chaque fois une bonne lieue à travers la forêt. À son arrivée en France et à son début à la Cour, quand on lui présenta son médecin, elle dit « qu’elle n’en avait que faire, qu’elle n’avait jamais été ni saignée ni purgée, et que, quand elle se trouvait mal, elle faisait deux lieues à pied, et qu’elle était guérie ». Mme de Sévigné, qui raconte ceci, paraît en conclure avec le commun de la Cour que la nouvelle Madame est « tout étonnée de sa grandeur », et qu’elle parle en personne qui n’est pas accoutumée à un si grand entourage. Mme de Sévigné se trompe : Madame n’était nullement étonnée de sa grandeur ; elle se sentait faite pour ce haut rang d’épouse de Monsieur, elle se fût sentie à sa place plus haut encore ; mais Mme de Sévigné, qui se promenait pourtant si volontiers dans ses bois de Livry ou dans son parc des Rochers, ne devinait pas la jeune fille fière, brusque et sauvage, qui avait mangé avec délices son morceau de pain et ses cerises cueillies à l’arbre, à cinq heures du matin, sur les hauteurs de Heidelberg.

Le mariage de Madame ne se lit point tout à fait selon son gré : en France on a dissimulé cela ; en Allemagne on le dit plus nettement. Son père l’électeur espérait, moyennant cette alliance, acheter la sûreté de son pays toujours menacé par les Français. En fille pieuse, elle obéit, mais elle ne put s’empêcher de dire : « Je suis donc l’agneau politique qui vais être sacrifié pour le pays. » L’agneau, quand on la connaît, peut paraître un terme singulièrement choisi pour une si forte victime ; mais la comparaison reste juste, tant le cœur chez elle était tendre et était bon.

Le rôle que Madame concevait pour elle en France était donc de préserver son pays natal des horreurs de la guerre, de lui être utile dans les différents desseins qui s’agiteraient à la cour de France et qui étaient de nature à bouleverser l’Europe. Elle y échoua, et ce fut pour elle une poignante douleur. Elle devint même la cause innocente de nouveaux malheurs pour ce pays qu’elle chérissait, lorsqu’à la mort de son père et de son frère, celui-ci n’ayant pas laissé d’enfants, Louis XIV, à cause d’elle, éleva des prétentions sur le Palatinat. Au lieu d’apporter des gages et des garanties de paix, elle se trouvait ainsi avoir procuré des prétextes et des moyens de guerre. La dévastation et les incendies célèbres qu’entraînèrent ces luttes d’ambition lui causèrent des peines inexprimables : « Quand je songe aux incendies, il me vient des frissons… Toutes les fois que je voulais m’endormir, je revoyais tout Heidelberg en feu ; cela me faisait lever en sursaut, de sorte que je faillis en tomber malade. » Elle en parle sans cesse, elle en saigne et en pleure après des années ; elle en garda à Louvois une haine éternelle : « J’éprouve une douleur amère, écrivait-elle trente ans après (3 novembre 1718), quand je pense à tout ce que M. Louvois a fait brûler dans le Palatinat ; je crois qu’il brûle terriblement dans l’autre monde, car il est mort si brusquement qu’il n’a pas eu le temps de se repentir. » Sa vertu en de telles conjonctures fut de rester fidèle à la France et à Louis XIV, tout en se sentant déchirée dans cette intime et secrète partie d’elle-même. Elle ne cessa jusqu’à la fin de s’intéresser à la devinée de son malheureux pays et à sa résurrection après tant de désastres : « J’aime ce prince, disait-elle de l’électeur d’une autre branche qui y régnait en 1718, parce qu’il aime le Palatinat. Je puis facilement imaginer combien il a été peiné quand il a vu qu’à peine restait-il des ruines de Heidelberg. Quand j’y songe, les larmes me viennent aux yeux, et je suis toute triste. » Elle regrette de voir pourtant des tracasseries ou des persécutions religieuses introduites dans le pays, et de se sentir impuissante à intervenir pour protéger ceux qu’on tourmente. Elle déplore cette impuissance où elle est en particulier de rendre service à ses braves compatriotes de Heidelberg, à cette ville que le nouvel électeur irrité privera de sa résidence en la transférant à Mannheim :

Je ne vois que trop maintenant, dit-elle (décembre 1719), que Dieu n’a pas voulu que je pusse accomplir quelque bien en France, car, en dépit de mes efforts, je n’ai jamais pu être utile à mon pays. Il est vrai que, si je suis venue en France, c’est par pure obéissance pour mon père, pour mon oncle et pour ma tante l’électrice de Hanovre ; mon inclination ne m’y portait nullement.

Ainsi donc, dans ce mariage si brillant en apparence qu’elle contracta avec le frère de Louis XIV, Madame ne songeait qu’à une chose, servir et protéger son pays allemand auprès de la politique française ; et ce seul côté par où la politique, à laquelle elle resta d’ailleurs toujours étrangère, la touchait au cœur, elle eut le regret de le manquer.

Quand le mariage d’Élisabeth-Charlotte se négociait, elle était de la religion réformée, et il s’agissait de la convertir17. L’érudit et bel esprit Chevreau, qui était dans cette cour de l’électeur palatin avec le titre de conseiller, se flatte d’y avoir beaucoup contribué par des entretiens de quatre heures par jour durant trois semaines environ. Un des orateurs qui ont célébré Madame à l’époque de sa mort, son aumônier (l’abbé de Saint-Géry de Magnas), a dit à ce sujet :

Demandée en mariage pour Monsieur par Louis XIV, la condition principale fut qu’elle embrasserait la religion catholique. L’ambition ni la légèreté n’eurent point de part à son changement ; le respect et la tendresse qu’elle conservait pour Mme la princesse Palatine, sa tante, qui était catholique, ne lui permirent pas de refuser l’instruction : elle écouta le père Jourdan, jésuite ; née avec cette droiture qui l’a si fort distinguée pendant sa vie, elle ne résista pas à la vérité. Elle fit abjuration à Metz…

Madame, en effet, fut sincère dans sa conversion : pourtant elle y porta quelque chose de sa liberté d’esprit et de son indépendance d’humeur : « Lors de mon arrivée en France, dit-elle, on m’a fait tenir des conférences sur la religion avec trois évêques. Ils différaient tous trois dans leurs croyances ; je pris la quintessence de leurs opinions et m’en formai ma religion. » Dans cette religion catholique ainsi définie en gros, qu’elle crut et qu’elle pratiqua en toute bonne foi, il restait des traces et bien des habitudes de son premier culte. Elle continua de lire la Bible en allemand. Elle remarque qu’alors en France presque personne, même parmi les fidèles, ne lisait la sainte Écriture. Les traductions qu’on en avait faites récemment ayant amené des discussions et des querelles très vives, l’autorité ecclésiastique était intervenue pour en interdire la lecture, qui est toujours restée chez nous une rareté. Madame faisait donc une notable exception lorsque, dans son plan de vie, elle accordait une si grande place et si régulière à la méditation du saint livre. Elle s’était choisi trois jours par semaine pour ce salutaire usage : « Après une visite à mon fils, dit-elle (27 novembre 1717), j’ai été me mettre à table, et après dîner j’ai pris ma Bible et j’ai lu quatre chapitres du livre de Job, quatre psaumes et deux chapitres de saint Jean. J’ai remis les deux autres à ce matin. » Elle aurait pu en écrire autant presque à chaque ordinaire. Un jour qu’elle chantait sans y songer les psaumes calvinistes ou les cantiques luthériens (car elle mêle l’un et l’autre) en se promenant seule dans l’Orangerie de Versailles, un peintre qui était à travailler sur son échafaudage descendit en toute hâte et tomba à ses pieds, en disant avec reconnaissance : « Est-il possible, Madame, que vous vous souveniez encore de nos psaumes ? » Ce peintre était un réformé, depuis réfugié ; elle a très bien raconté cette petite scène touchante. Elle n’avait rien de l’esprit de secte. Elle blâmait Luther d’avoir voulu faire une Église séparée ; il aurait dû se borner, selon elle, à s’élever contre de certains abus. Elle avait gardé de lui et des autres réformateurs, jusqu’à travers sa conversion, une habitude d’invectives contre les ordres religieux de tout genre ; elle a, à ce propos, des sorties qui sont moins d’une femme que de quelque savant du xvie  siècle en colère ou de quelque docteur émancipé de la rue Saint-Jacques. Gui Patin en vertugadin ne s’exprimerait pas autrement. Elle correspondait avec Leibniz, qui l’assurait qu’elle n’écrivait pas mal l’allemand, ce qui lui fait grand plaisir, car elle ne peut souffrir, dit-elle, de voir des Allemands qui méprisent et méconnaissent leur langue maternelle. Ces lettres qu’elle écrivait à Leibniz seraient précieuses à recouvrer et à publier. Elle aurait volontiers emprunté de l’illustre philosophe son idée d’un rapprochement et d’une fusion, d’une réconciliation entre les principales communions chrétiennes ; elle traduisait cela un peu brusquement à sa manière lorsqu’elle disait : « Si l’on suivait mon avis, tous les souverains donneraient ordre que parmi tous les chrétiens, sans distinction de religion, on eût à s’abstenir d’expressions injurieuses, et que chacun croirait et pratiquerait selon sa volonté… » Au milieu de cette cour de Louis XIV, qui allait être si unanime sur la révocation de l’édit de Nantes, elle apportait et elle conserva d’inviolables idées de tolérance : « C’est ne se montrer nullement, chrétien, disait-elle, que de tourmenter les gens pour des motifs de religion, et je trouve cela affreux ; mais lorsqu’on examine la chose au fond, on trouve que la religion n’est là que comme un prétexte ; tout se fait par politique et par intérêt. Chacun sert Mammon et non le Seigneur. » Plus tard, elle s’entremettait humainement auprès du Régent son fils pour tirer des galères ceux des réformés qui y avaient été condamnés. Mais comme il est dans le tempérament de Madame et dans son humeur d’outrer tout, même ses bonnes qualités, et d’y introduire quelque incohérence, elle va fort au-delà du but lorsqu’elle exprime le vœu de voir aux galères à la place des innocents ceux qu’elle suppose les persécuteurs, ou même d’autres moines quelconques, par exemple les moines espagnols qui furent les derniers à résister dans Barcelone à l’établissement du petit-fils de Louis XIV : « Ils ont prêché dans toutes les rues qu’il ne fallait pas se rendre ; si l’on suivait mon avis, on mettrait ces coquins aux galères, au lieu des pauvres réformés qui y pâtissent. » Voilà bien Madame dans sa bonté de cœur et dans ses excès de paroles, dans sa religion franche, sincère, mêlée de quelque bigarrure.

Quand elle arriva en France à l’âge de dix-neuf ans, on ne s’attendait pas à tout cela ; on était rempli du souvenir et du regret de l’autre Madame, l’aimable Henriette, enlevée dans la fleur du charme et de la grâce : « Hélas ! s’écriait Mme de Sévigné en parlant de la nouvelle venue, hélas ! si cette Madame pouvait nous bien représenter celle que nous avons perdue ! » Au lieu d’une fée légère et d’un être d’enchantement, que vit-on tout d’un coup paraître ?

Madame, dit Saint-Simon, était une princesse de l’ancien temps, attachée à l’honneur, à la vertu, au rang, à la grandeur, inexorable sur les bienséances. Elle ne manquait point d’esprit, et ce qu’elle voyait, elle le voyait très bien. Bonne et fidèle amie, sûre, vraie, droite, aisée à prévenir et à choquer, fort difficile à ramener ; grossière, dangereuse à faire des sorties publiques ; fort Allemande dans toutes ses mœurs, et franche ; ignorant toute commodité et toute délicatesse pour soi et pour les autres, sobre, sauvage et ayant ses fantaisies. Elle aimait les chiens et les chevaux, passionnément la chasse et les spectacles, n’était jamais qu’en grand habit ou en perruque d’homme, et en habit de cheval…

Et ailleurs, dans un second portrait d’elle qu’il recommence admirablement et qu’il conclut en ces mots : « La figure et le rustre d’un Suisse ; capable avec cela d’une amitié tendre et inviolable. »

Introduite à la Cour par sa tante, l’illustre princesse palatine Anne de Gonzague, elle ne lui ressemblait donc en rien pour l’esprit, pour le don d’insinuation habile et de conciliation, pour la prudence ; succédant, à la première Madame, elle en était encore plus loin et véritablement le contraire pour les manières, pour la qualité et le tour des pensées, pour la délicatesse et pour tout, Madame, dans toute sa vie, était et sera ainsi le contraire de bien des choses et de bien des personnes autour d’elle : elle était originale du moins, et tout à fait elle-même.

Il semblait que ce fût une ironie du sort d’avoir donné pour seconde femme à Monsieur, à ce prince si mou et si efféminé, une personne qui par ses goûts ressemblait le plus à un homme et qui avait le regret de ne pas être née garçon. Madame raconte très gaiement comme quoi dans sa jeunesse, sentant sa vocation de cavalier si forte, elle espérait toujours un miracle de la nature en sa faveur. Dans cette idée, elle se livrait à tous les exercices virils le plus qu’elle pouvait, aux sauts les plus périlleux. Elle aimait mieux les épées et les fusils que les poupées. Elle prouve surtout combien il y a peu de la nature de la femme en elle par le peu de délicatesse, et, pour tout dire, par le peu de pudeur qu’elle a dans les propos. Elle est l’honnêteté même, la vertu, la fidélité, l’honneur, mais aussi par moments la crudité, la grossièreté personnifiée. Elle parle de tout indistinctement comme un homme, n’est jamais dégoûtée en paroles, et n’y va jamais par quatre chemins quand elle a à exprimer quelque chose qui serait difficile et embarrassant pour toute autre. Au contraire de la nature des femmes, elle n’a aucune envie de plaire, aucune coquetterie : « Nulle complaisance, dit Saint-Simon, nul tour dans l’esprit, quoiqu’elle ne manquât pas d’esprit. » On lui demandait un jour pourquoi elle ne donnait jamais un coup d’œil au miroir en passant : « C’est, répondit-elle, parce que j’ai trop d’amour-propre pour aimer à me voir laide comme je suis. » Le beau portrait de Rigaud nous la rend d’une parfaite ressemblance dans sa vieillesse, grasse, grosse, à double menton, aux joues colorées, avec la dignité du port toutefois et la fierté du maintien, et une expression de bonté dans les yeux et dans le sourire. Elle-même s’est plu de tout temps à faire acte de laideur ; on dirait qu’elle y tient :

Il n’importe guère que l’on soit beau, et une belle figure change bientôt ; mais une bonne conscience reste toujours bonne. Il faut que vous ne vous souveniez guère de moi si vous ne me rangez pas au nombre des laides ; je l’ai toujours été, et je le suis devenue encore plus des suites de la petite vérole : ma taille est monstrueuse de grosseur, je suis aussi carrée qu’un cube ; ma peau est d’un rouge tacheté de jaune ; mes cheveux deviennent tout gris ; mon nez a été tout bariolé par la petite vérole, ainsi que mes deux joues ; j’ai la bouche grande, les dents gâtées, et voilà le portrait de mon joli visage.

On n’a jamais été laide avec plus de verve ni plus à cœur-joie. Il se glisse ainsi par moments, sous la plume et dans l’expression de Madame, une veine naturelle de Rabelais et de grotesque. C’est par là qu’elle tient un coin unique dans la cour de Louis XIV. Tout en sachant ce qu’on doit à son rang et en ne s’en départant jamais, il est mille circonstances où elle fait disparate et où elle tranche sur le décorum.

C’est par cette naïveté de brusquerie peut-être, et aussi par ses qualités solides d’honnête femme, j’allais dire d’honnête homme, quelle plut à Louis XIV, et qu’entre elle et lui se noua cette amitié qui ne laisse pas d’avoir sa singularité et d’étonner au premier abord. Mme de Sévigné, dans une lettre à sa fille, a l’air de croire que Madame (comme cela était arrivé à la Madame précédente) ressent pour Louis XIV une inclination tant soit peu romanesque, et qui la tourmente sans qu’elle se rende bien compte de ce que c’est. Il y a dans tout ceci bien du raffinement. En général, et je l’ai déjà remarqué, Mme de Sévigné comprend peu Madame et ne se donne pas la peine d’entrer dans le sens de cette nature si peu française. C’est ainsi qu’apprenant que cette princesse s’est évanouie de douleur à la nouvelle subite de la mort de l’électeur palatin, son père, Mme de Sévigné badine là-dessus : « Voilà Madame à crier, dit-elle, à pleurer, à faire un bruit étrange, on dit à s’évanouir, je n’en crois rien ; elle me paraît incapable de cette marque de faiblesse ; c’est tout ce que pourra faire la mort que de fixer tous ses esprits. » Fixer tous ses esprits, parce que ses esprits (dans la langue de la physique du temps) étaient toujours en mouvement et en grande agitation. Mais laissons pour un moment la plaisanterie française et cette facilité de badiner sur tout et de chercher finesse à tout. Madame, mariée d’une manière si triste et si ingrate, et avec qui il ne fallait que causer, disait-on, quand on voulait se dégoûter à l’avance de cette condition pénible du mariage, n’était pas femme à se rejeter sur le roman pour se consoler de la réalité. Tombée au milieu d’une cour brillante et fausse, toute pleine alors de galanterie et de plaisirs qui cachaient bien des rivalités et des ambitions, elle démêla, avec un instinct de bon sens et une certaine fierté de race, à qui elle pouvait s’attacher parmi tout ce monde, et elle s’adressa avec droiture au plus honnête homme encore de tous, c’est-à-dire à Louis XIV lui-même. Un jésuite, qui a prononcé l’oraison funèbre de Madame, le père Cathalan, a dit là-dessus ce qu’il y a de mieux à dire. Il y avait alors dans le royaume un roi digne de l’être, avec toutes les qualités qu’on sait, au milieu des défauts que chacun concourait à favoriser et à recouvrir ; un roi homme de mérite, « toujours maître et toujours roi, mais plus honnête homme encore et plus chrétien qu’il n’était maître et roi :

C’est ce mérite qui la toucha, dit très bien le père Cathalan. Un goût et, si je puis m’exprimer de la sorte, une sympathie de grandeur attacha Madame à Louis XIV. De secrets rapports font les nobles attachements d’estime et de respect ; et les grandes âmes, quoique les traits de leur grandeur soient différents, se sentent et se ressemblent. Elle estima, elle honora, oserai-je le dire ? elle aima ce grand roi parce qu’elle était grande elle-même. Elle l’aimait lorsqu’il était plus grand que sa fortune ; et elle l’aimait encore davantage lorsqu’il était plus grand que ses malheurs. On l’a vu donner à ce prince mourant des larmes amères, en donner même à sa mémoire, le chercher dans ce superbe palais qu’il remplissait de l’éclat de sa personne et de ses vertus, dire souvent qu’il y manquait, et porter toujours depuis sa mort une plaie profonde, dont toute la gloire de son fils n’a pu lui ôter le sentiment.

Madame était agréable à Louis XIV par sa franchise, par son naturel ; elle le réjouissait quelquefois par ses reparties et ses gaietés, elle le faisait rire de bon cœur. Chose rare à la Cour, elle aimait la joie pour elle-même : « La joie est très bonne pour la santé, pensait-elle ; ce qui est sot, c’est d’être triste. » Elle rompait la monotonie des formes cérémonieuses, des menuets en tout genre, des longs repas silencieux. Ce qui eût été incongruité chez toute autre prenait un certain sel dans sa bouche ; elle avait ses privilèges :

Lorsqu’il répugnait au roi de dire quelque chose directement à une personne, c’était à moi qu’il adressait la parole ; il savait bien que dans la conversation je ne me contraignais point, et cela le divertissait. À la table, il fallait bien qu’il s’entretînt avec moi, puisque les autres ne lui disaient mot.

Elle n’était pas si inférieure à ce roi qu’on le croirait, ou plutôt elle ne lui était inférieure qu’en politesse, en mesure, en esprit de suite et de précision : mais, à certains égards, elle le jugeait avec bien de l’intelligence et avec un bon sens plus libre et plus étendu qu’il n’osait se le permettre pour son propre compte ; elle le trouvait ignorant sur une foule de points, et elle avait raison. Ce qu’elle prisait fort en lui, c’était sa droiture de sentiment et sa justesse de coup d’œil quand il était livré à son propre mouvement, c’était la qualité de son esprit, l’agrément de ses entretiens, la tournure excellente de ses propos ; enfin c’était un certain naturel élevé qui l’attirait et la charmait en Louis XIV. Elle aida plus que personne à le consoler ou à le distraire de la mort de la duchesse de Bourgogne ; elle allait près de lui le soir, aux heures permises, et marquait qu’elle se plaisait dans sa compagnie : « Il n’y a que Madame qui ne me quitte pas, disait Louis XIV, je vois qu’elle est bien aise d’être avec moi. » Madame a ingénument exprimé le genre d’affection ouverte et sincère qu’elle se sentait pour Louis XIV, lorsqu’elle a dit : « Quand le roi eût été mon père, je n’aurais pu l’aimer plus que je ne l’ai aimé, et j’avais du plaisir à être avec lui. » Quand la santé du roi décline et qu’il approche de la dernière heure, on voit Madame dans ses lettres laisser éclater sa douleur à nu ; elle, dont le fils sera Régent, elle craint, plus que tout, le changement de règne : « Le roi n’est pas bien (15 août 1715) ; cela me tracasse au point que j’en suis à moitié malade ; j’en perds l’appétit et le sommeil. Dieu veuille que je me trompe ! mais, si ce que je crains arrivait, ce serait pour moi le plus grand malheur. » Elle raconte les dernières scènes d’adieu avec un véritable et visible attendrissement. Le peu qui s’est fait de bien dans les dernières années, elle l’attribue à Louis XIV ; tout ce qui s’est fait de mal, elle l’impute à celle qu’elle considère comme un mauvais génie et le diable en personne, à Mme de Maintenon.

Et ici nous arrivons à la grande antipathie de Madame, à ce qui, chez elle, est presque inimaginable de prévention, de haine, d’animosité, et si violent que cela en devient comique. En vérité, si Madame, à un moment, avait été réellement éprise de Louis XIV, et si elle avait haï en Mme de Maintenon la rivale qui l’aurait supplantée, elle ne s’exprimerait pas autrement. Mais il n’est pas besoin de ce genre d’explication avec une nature si aisée à prévenir, si difficile à ramener, et que tout mettait en opposition et en contraste avec le point de départ et le procédé de Mme de Maintenon. Ce sont des antipathies de race, de condition, d’humeur, et que de longues années passées en présence, dans la vue continuelle et dans une étroite contrainte, n’ont fait que cultiver, fomenter en secret et exaspérer. Qui n’a vu de ces longues inimitiés intimes, qui font explosion dès qu’il y a jour ?

Madame, princesse et de maison souveraine avant tout, et qui, au milieu de toutes ses qualités humaines et de ses débonnairetés, n’oubliait jamais les devoirs de la naissance et de la grandeur ; elle de qui l’on a dit : « Jamais grand ne connut mieux ses droits, ni ne les fit mieux sentir aux autres » ; Madame n’avait rien tant en horreur et en mépris que les mésalliances ; la galerie de Versailles a retenti longtemps du soufflet sonore qu’elle appliqua à son fils le jour où celui-ci, ayant consenti à épouser la fille naturelle de Louis XIV, s’approchait de sa mère, selon son usage, pour lui baiser la main. Or, de toutes les mésalliances, quelle plus grande et plus inexplicable à ses yeux que celle qui plaçait Mme de Maintenon à côté de Louis XIV ?

Madame, naturelle, franche, laissant éclater volontiers ses sentiments, aimant à s’épancher, plus souvent au-delà qu’en deçà, et observant mal les mesures, ne devait pas aimer le procédé froid, prudent, discret, mystérieux, poli et inattaquable, d’une personne à qui elle supposait mille projets plus noirs et plus profonds que ceux de l’enfer.

Elle lui en voulait pour de petites choses et pour de grandes choses. Elle supposait que c’était Mme de Maintenon qui, d’accord avec le père La Chaise, avait ourdi et mis en jeu toute la persécution contre les réformés : elle se retrouvait sur ce point non seulement humaine, mais un peu calviniste ou luthérienne, avec un reste de vieux levain ; elle pensait de près comme les réfugiés de Hollande écrivaient de loin. Elle croyait voir en Mme de Maintenon un Tartuffe en robe couleur de feuille-morte. Et puis, autre grief presque aussi grave, s’il n’y avait plus d’étiquette à la Cour, si les rangs n’y étaient plus préservés et délimités, c’était Mme de Maintenon qui en était cause :

« Il n’y a plus de cour en France (23 mai 1720), et c’est la faute de la Maintenon, qui, voyant que le roi ne voulait pas la déclarer reine, ne voulut plus qu’il y eût de grandes réceptions, et persuada à la jeune Dauphine (la duchesse de Bourgogne) de se tenir dans sa chambre à elle, où il n’y avait plus de distinction de rang ni de dignité. Sous prétexte que ce n’était qu’un jeu, la vieille amena la Dauphine et les princesses à la servir à sa toilette et à table ; elle leur persuada de lui présenter les plats, de changer ses assiettes, de lui verser à boire. Tout fut donc mis sens-dessus-dessous, et personne ne savait plus quelle était sa place ni ce qu’il était. Je ne me suis jamais mêlée à tout cela ; mais, lorsque j’allais voir la dame, je me mettais près de sa niche sur un fauteuil, et je ne l’ai jamais servie, ni à table, ni à la toilette. Quelques personnes me conseillaient de faire comme la Dauphine et les princesses, je répondis : « Je n’ai jamais été élevée à faire des bassesses, et je suis trop vieille pour me livrer à des jeux d’enfants. » Depuis on ne m’en a plus reparlé.

Je n’en finirais pas si je voulais énumérer toutes les raisons graduelles et insensibles qui ont amené l’espèce de déraison finale dont Madame est saisie toutes les fois qu’elle a à parler de Mme de Maintenon ; car il n’est pas de termes qu’elle n’emploie à son égard. Elle tombe à ce sujet dans tout ce que peuvent imaginer aux jours de folie les plus grossières crédulités populaires : elle voit en Mme de Maintenon, même après la mort de Louis XIV et depuis qu’elle est ensevelie à Saint-Cyr, tantôt une accapareuse de blé, tantôt une empoisonneuse, experte dans l’art des Brinvilliers, une Gorgone, une incendiaire qui fait mettre le feu au château de Lunéville. Quand elle a tout épuisé, elle ajoute : « Tout le mal qu’on dit de cette femme diabolique est encore au-dessous de la vérité. » Elle lui applique un vieux proverbe allemand : « Où le diable ne peut aller lui-même, il envoie une vieille femme. » Saint-Simon, tout enflammé qu’il est, pâlit, pour le coup, auprès de ces haines fabuleuses, et lui-même il se charge de nous en dire le secret.

Un jour, en une circonstance mémorable, Madame s’était vue humiliée devant Mme de Maintenon, forcée de se reconnaître envers elle des torts, de lui en faire des excuses devant témoin, et de se dire son obligée avec reconnaissance. C’était à la mort de Monsieur (juin 1701). Madame, qui, en ce grave moment, avait tout à obtenir du roi et pour elle et pour son fils (et qui obtint tout en effet), fit l’effort de mettre sa dignité de côté et de s’adresser à Mme de Maintenon. Celle-ci se rendit chez la princesse, et, en présence de la duchesse de Ventadour pour témoin, représenta à Madame, après l’avoir écoutée, que le roi avait eu à se plaindre d’elle, mais qu’il voulait bien tout oublier. Madame, se croyant sûre d’elle-même, protesta de son innocence : Mme de Maintenon, avec un grand sang-froid, la laissa dire jusqu’au bout, puis tira de sa poche une lettre, comme Madame en écrivait journellement, adressée à sa tante l’électrice de Hanovre, et dans laquelle il était parlé en termes outrageants du commerce du roi et de Mme de Maintenon : « On peut penser si, à cet aspect et à cette lecture, Madame pensa mourir sur l’heure. »

Ce n’était là que la première partie de la scène si admirablement décrite par Saint-Simon, de cette espèce de duel entre les deux femmes. Quand le nom du roi fut hors de cause, Mme de Maintenon eut bientôt à parler pour son propre compte et à répondre aux reproches que lui faisait Madame d’avoir varié de sentiments à son égard : l’ayant laissée dire comme la première fois, l’ayant laissée s’avancer jusqu’au bout et s’enferrer en quelque sorte, elle lui découvrit tout d’un coup des paroles secrètes, particulièrement offensantes pour elle-même, qu’elle savait depuis dix ans et plus, qu’elle avait gardées sur le cœur, et que Madame avait dites à une princesse, morte depuis, laquelle les avait répétées dans le temps mot pour mot à Mme de Maintenon : « À ce second coup de foudre, Madame demeura comme une statue ; il y eut quelques moments de silence. » Puis ce furent des pleurs, des cris, des pardons, des promesses, et un raccommodement qui, fondé sur un triomphe froid pour Mme de Maintenon et sur une humiliation intime pour Madame, ne pouvait être de bien longue durée. C’est peu après cette scène, et durant le temps très court de cette amitié ainsi renouée, que Madame écrivit à Mme de Maintenon deux lettres18 dont voici la première, datée du 15 juin ; la scène était du 11 :

Ce mercredi, 15 de juin, à onze heures du matin.

Si je n’avais eu la fièvre et de grandes vapeurs, madame, du triste emploi que j’ai eu avant-hier d’ouvrir les cassettes de Monsieur, toutes parfumées des plus violentes senteurs, vous auriez eu plus tôt de mes nouvelles, mais je ne puis me tenir de vous marquer à quel point je suis touchée des grâces que le roi a faites hier à mon fils, et de la manière qu’il en use pour lui et pour moi : comme ce sont des suites de vos bons conseils, madame, trouvez bon que je vous en marque ma sensibilité, et que je vous assure que je vous tiendrai très inviolablement l’amitié que je vous ai promise ; et je vous prie de me continuer vos conseils et avis, et de ne jamais douter de ma reconnaissance qui ne peut finir qu’avec ma vie.

 

Élisabeth-Charlotte.

Le second billet, par lequel Madame soumet au roi une lettre qu’elle vient de recevoir de la reine d’Espagne, avec la réponse qu’elle y a faite, se termine par des protestations du même genre : « Ayez la bonté de me marquer la volonté du Roi. Je serai toujours ravie de les apprendre par vous, madame, pour qui je me sens à cette heure, une véritable amitié fondée sur une grande estime. »

Fière comme l’était Madame, il n’y avait pour elle, après une telle démarche et un rapprochement aussi pénible dans son principe, qu’à devenir l’amie intime et cordiale de Mme de Maintenon, ou son ennemie irréconciliable. C’est ce dernier sentiment qui l’emporta. Malgré des efforts qui purent être un moment sincères, les situations et les répugnances furent les plus fortes ; les antipathies se redressèrent et prévalurent.