(1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130
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(1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

II. (Fin.)

Tout en décrivant mieux que personne la Cour et la partie du monde qui s’en rapprochait alors, et en y prenant presque exclusivement ses sujets d’observation, M. de Meilhan n’était pas homme à s’y renfermer : il avait lu et comparé, il sentait les anciens. Il a écrit sur cette question tant agitée des anciens et des modernes quelques pages qui sont des meilleures et qui terminent noblement son livre des Considérations sur l’esprit et les mœurs. L’amour de la gloire et la vertu, qu’il trouvait si absents dans le train de vie moderne, lui paraissaient avec raison l’âme du monde antique en ses beaux temps. M. de Meilhan était un grand ambitieux, un ambitieux incomplet, puisqu’il était paresseux et sans esprit de suite ; mais, comme les gens de beaucoup d’esprit que l’ambition soulève, il voyait bien de loin, et sa pensée s’offre souvent avec des sillons rapides et dans un jour lumineux. Par dédain pour les qualités tempérées qui suffisent aux conditions d’une société vieillie, il disait : « Mêlez un peu d’orgueil qui empêche d’oublier ce qu’on se doit, de sensibilité qui empêche d’oublier ce qu’on doit aux autres, et vous ferez de la vertu dans les temps modernes. » Mais pour les anciens, tout en sachant en quoi nous les surpassons, il les montre bien supérieurs en énergie, en déploiement de facultés de tout genre : forcés par la forme de leur gouvernement de s’occuper de la chose publique d’en remplir presque indifféremment tous les emplois de paix et de guerre, de s’y rendre propres et de s’y tenir prêts à tout instant, de parler devant des multitudes vives, spirituelles, mobiles et passionnées :

Quelle devait être, dit-il, l’explosion des talents animés, stimulés par d’aussi puissants motifs ! L’espérance ou la crainte, excitées par les gestes et les mouvements d’une multitude agitée, pressaient de tous côtés l’âme et l’esprit, les élevaient au dernier degré de puissance et d’expression.

S’il a, comme je l’ai dit, le sentiment de la fatigue et de l’épuisement des sociétés, de ce caractère blasé qui est le produit de l’extrême civilisation, il retrouve aussi en idée, et par saillies, cet autre sentiment de la jeunesse et de la vigueur première du monde, et il le reconnaît aux anciens dans tous les ordres de travaux et de découvertes : il sait que pour tout ce qui est de l’observation et de l’expérience, et dans les sciences qui en dépendent, les modernes l’emportent de beaucoup :

Il me suffit, ajoute-t-il, d’avoir remarqué que les anciens ont été plus promptement éclairés que les modernes, qu’ils ont volé dans la carrière où les autres se sont traînés. Ils ont été fort loin en morale et en politique. Nous avons pu à cet égard les surpasser ; mais notre supériorité ne peut être attribuée qu’au laps des temps, à la progression des lumières accumulées. L’Antiquité est un génie précoce et sublime éteint au milieu de sa carrière.

Je ne sais trop si M. de Meilhan est exact en ce point et si l’on peut dire que l’Antiquité grecque et romaine ressemble à un génie mort jeune et intercepté avant le temps : il me semble au contraire que les Grecs, et les Romains qu’en ont hérité, ont eu leur cours naturel d’existence et leur âge tout rempli ; qu’ils ont eu, eux aussi, leur épuisement et leur décadence sous des formes monstrueuses ou subtiles, et que, si la civilisation avait à être utilement continuée et renouvelée, ce ne pouvait plus être à la fin par eux. Les Meilhan de Rome ou de Byzance auraient pu nous dire quelque chose de ce caractère sexagénaire du monde grec ou romain, de l’ennui, « ce cruel ennemi de l’homme policé », et de tous les raffinements de vices et de folies qu’il entraîne.

L’ouvrage des Considérations sur l’esprit et les mœurs est bien composé ; il l’est en apparence au hasard et comme un jardin anglais ; ce sont des pensées, des analyses morales, relevées de temps en temps par des descriptions, des portraits ; animées en deux endroits par des dialogues, par des fragments de lettres : l’ensemble de la lecture est d’une variété agréable et d’un art libre que Duclos dans son livre n’a point connu. Il y a deux dialogues piquants : l’un entre un médecin et un ministre disgracié, l’autre entre un médecin et une femme de quarante ans. La scène entre le médecin et le ministre, qui a été souvent répétée et que le docteur Koreff jouait à merveille en parlant de certains de ses malades, était alors : le médecin, après les symptômes entendus, déclare que la maladie qu’on éprouve est une ambition rentrée, et, après avoir proposé divers palliatifs, il arrive à un grand remède qui, selon lui, serait le seul efficace ; il conseille à son malade de se faire exiler par le roi : un exil d’éclat, un exil à la Chanteloup, cela relève la fadeur et le morne d’une disgrâce. Dans le dialogue avec la femme de quarante ans, avec cette autre puissance qui est aussi sur le retour, le docteur ne trouve que des remèdes un peu vagues contre ce genre de vapeurs, et qui ne satisfont point la malade : la théorie de la femme de quarante ans n’était pas encore inventée. Parmi les morceaux les plus distingués du livre, je compte le Fragment de lettre d’une femme qui a substitué avec préméditation la vanité au sentiment, et qui, dans l’art de la vie, ne fait entrer comme principe dominant que l’amour-propre et le plaisir de briller : elle se raconte à une amie et expose son système complet de domination, son code de Machiavel. Que lui désirez-vous de mieux ? Elle fait effet, elle règne à la manière des puissants du siècle, et même plus qu’eux :

Ils n’agissent que sur les esprits, et j’ai le cœur et les sens de plus dans mon domaine… Suis-je une dupe, dites-le-moi, de jouir à la manière des héros et des ministres, d’avoir sans peine ce qui leur coûte des années de travail, ce qui leur fait passer tant de mauvaises nuits dans la crainte d’en être privés ? J’ai été inoculée, aucun événement ne peut donc me faire tomber de ma place, et j’ai douze ans d’empire assurés.

— Parmi les portraits, il en est d’achevés, tel que celui d’Elmire ou la femme d’un esprit supérieur, qui n’est autre que la duchesse de Chaulnes. Quoique l’auteur ait dit dans une note que ce portrait est le seul qui s’applique réellement à une personne déterminée, je ne saurais croire que le portrait d’Ismène ou de la beauté sans prétention, à qui il n’a manqué pour être célèbre que de mettre enseigne de beauté ; que celui de Glycère, la femme à la mode, et qui « s’est fait jolie femme il y a vingt ans sans beauté, comme on se constitue homme d’esprit sans esprit, avec un peu d’art et beaucoup de hardiesse » ; — je ne puis croire que le portrait d’Herminie si entourée, si pressée d’adorateurs, si habile à les tenir l’un par l’autre en échec, et qui n’aime mystérieusement qu’un seul homme sans esprit, sans figure, qui n’est plus jeune, qui se porte très bien toutefois, et qui est… son mari ; — que le portrait d’Elvire, la femme de cinquante ans, qui s’avise soudainement d’un moyen de se rajeunir en s’attachant à un homme de soixante-quinze ; — que tous ces portraits si nets et si distincts n’aient pas eu leur application dans le monde d’alors. Les femmes le sentirent bien et se récrièrent. Si M. de Meilhan avait eu chance réellement de devenir contrôleur général, cela eût suffi pour le perdre du coup. L’auteur se crut obligé, dans la préface de la seconde édition (1789), de donner quelque explication en manière d’apologie, une espèce de satisfaction au sexe ; mais il en sut faire une piqûre de plus28.

M. de Meilhan excelle à décomposer un sentiment, à le montrer dans sa nudité, dans sa simplicité primitive, avant que le loisir, la curiosité, l’amour-propre, toutes les passions nées d’une société avancée y aient ajouté leur charme ou leur artifice. Il montre à quoi se réduisent pour l’homme naturel et grossier, commandé par le besoin, par la faim de chaque jour, tous ces sentiments compliqués et souvent enchanteurs que l’homme civilisé prolonge et orne à plaisir de rêveries, de souvenirs ou d’espérances. Pour le sauvage, par exemple, qu’est-ce que le plaisir de l’amour, si on le compare à tout ce qu’y fait entrer un homme du monde, doué d’une âme délicate et vive, et d’une sensibilité cultivée ? Pour ce sauvage qui n’a pas l’idée de la beauté, qui ne compare pas, dont une continuelle rivalité sociale n’entretient ni n’exalte l’imagination, rien de pareil n’existe, et « l’instant rapide du plaisir, selon l’heureuse expression de M. de Meilhan, est pour lui une flèche décochée dans l’air, et qui ne laisse aucune trace ». Tout en disant assez de mal de l’extrême civilisation, M. de Meilhan, qui en demeure très atteint et très marqué, pense donc que la vie est une étoffe qui ne vaut pas grand-chose par elle-même, « et dont la broderie fait tout le prix ».

Je ne me charge pas de serrer de trop près les contradictions qu’on relèverait en lui ; il est de ceux qui eurent le moins à rétracter et à retirer après 89 de leurs opinions d’auparavant. Il publia en 1790 une brochure : Des principes et des causes de la Révolution en France. M. de Meilhan s’attache à distinguer dans la Révolution ce qui a été véritablement cause et principe actif, de ce qui n’a été qu’occasion favorable. Il tend à diminuer beaucoup les causes et ne croit nullement à ces nécessités inévitables qu’on a proclamées depuis. Parcourant rapidement l’histoire de la dernière moitié du xviiie  siècle, il montre comment une révolution s’est préparée et est devenue possible en France ; il démêle un à un les fils du câble qui a fini par se rompre : il insiste toutefois sur cette conviction que le câble pouvait résister à la tempête, pourvu qu’il y eût à bord un bon pilote. Cela le conduit à imputer au faux et insuffisant pilote qui s’est rencontré, à M. Necker, une part de responsabilité plus grande qu’il ne paraît aujourd’hui raisonnable de le faire. Mais M. de Meilhan, qui cherche le point précis et décisif où les événements ont commencé à échapper à la direction et au conseil des gouvernants pour se précipiter par des pentes imprévues et rapides, n’a peut-être pas tort dans l’indication de l’origine. Il ne se trompe certainement pas lorsqu’il montre les grands, les nobles, le haut clergé, les femmes à la mode, ceux qu’on appellera aristocrates quelques mois plus tard, commencer par être les vrais démocrates, désirer un changement dans le gouvernement, y pousser à l’aveugle pour se procurer chacun plus de crédit dans sa sphère, se comporter en un mot comme des enfants qui, en maniant des armes à feu, se blessent et blessent les autres : « Ces aristocrates, dit-il, sont les véritables auteurs de la Révolution ; ils ont enflammé les esprits dans la capitale et les provinces par leur exemple et leurs discours, et n’ont pu ensuite arrêter ou ralentir le mouvement qu’ils avaient excité. » La bourgeoisie française a fait depuis, et sous nos yeux, ce que l’aristocratie avait fait alors ; ç’a été la même répétition, et selon le même esprit, à un autre étage.

M. de Meilhan, qu’on a vu apprécier les anciens et regretter que la vie publique fût trop rétrécie et trop étouffée chez les modernes, se demande si la Révolution dont il est témoin va rouvrir en effet toutes les sources généreuses. Il reconnaît que « la Révolution de la France semble être celle de l’esprit humain » ; et il cherche en quoi cette Révolution peut consister. Estimant avec tout son siècle que le règne des idées religieuses est passé, il ajoute :

Celui de la liberté paraît renaître : mais chez les anciens, remarque-t-il, l’amour de la liberté avait sa racine dans le cœur, c’était une passion ; celui qui éclate en ce moment a sa racine dans l’esprit, il est raisonné et systématique.

Les anciens peuples ont commencé par la pauvreté et l’égalité ; la gloire les a enivrés, menés aux richesses et au pouvoir absolu. La question qui se présente aujourd’hui au philosophe est de savoir si l’on peut suivre une marche rétrograde, passer d’un régime absolu à celui de la liberté, de la hiérarchie des rangs à l’égalité toujours combattue par la richesse, qui n’aspire pas moins aux distinctions qu’aux jouissances.

Il s’est donc posé le problème sans le diminuer et dans toute son étendue. Il n’a pas été étonné de voir les Français dès le premier jour aller au-delà du but et, selon l’expression anglaise, passer à travers la liberté. Cette brochure de M. de Meilhan est aujourd’hui pour nous plus intéressante à lire qu’elle ne le parut de son temps, où elle se perdit au milieu du bruit et de l’inflammation des passions publiques.

En cette même année 1790, M. de Meilhan publia un petit roman ou conte philosophique dans le goût de Zadig, et intitulé Les Deux Cousins, histoire véritable ; il l’avait composé en quelques jours à la campagne, après une conversation. Ce petit écrit, que je voudrais plus court encore dans la dernière moitié, est très spirituel et des plus distingués par l’idée. Ce sont deux cousins germains qui ont été doués chacun par une fée, comme il y en a encore dans l’Orient ; mais, chose singulière ! la méchante fée a doué Aladin à son berceau d’un cœur sensible, d’un génie supérieur et d’une grande franchise : ce sont là les dons maudits dont elle a chargé l’enfant ; et Salem, au contraire, a été doué par la bonne fée d’un esprit médiocre et actif, d’un caractère patient et d’une âme froide ; voilà ses trésors. La bonne fée arrivée trop tard à la naissance d’Aladin, pour amortir du moins le fâcheux effet qu’elle prévoit de si grandes qualités, ne trouve d’autre moyen que d’y joindre comme antidote un peu de paresse. On est tenté de croire que M. de Meilhan a songé à lui dans ce portrait d’Aladin qui nous représente assez bien son propre idéal et ce qu’il aurait voulu être dans la jeunesse :

Aladin était éloquent, passionné pour la liberté ; il était épris de la gloire et sentait qu’on ne pouvait s’élever dans une cour qu’en rampant, et que l’assiduité tenait lieu de mérite. Que d’obstacles ne devait pas trouver dans sa carrière un homme qui ne pouvait, comme Aladin, déguiser sa façon de penser, et qui voulait (c’est ainsi qu’il s’exprimait) faire fortune à découvert !

Le caractère d’Aladin et ses nobles imprudences de conduite ont leur contrepoids et leur correctif dans la sagesse d’un vieux moine philosophe, le Kalender :

Le Kalender avait beaucoup vu, beaucoup observé, méprisait les hommes et s’en accommodait ; il ne connaissait point de vérité absolue, ne trouvait rien de grand, ni de vil, ni de petit… Jamais il ne faisait de reproches sur ce qu’on aurait dû faire : il prenait les choses où elles en étaient, et les hommes comme ils étaient… Il ne donnait point de conseils, mais quelquefois des avis… Jamais il ne raisonnait contre les passions, mais il prouvait souvent qu’on n’avait pas de passion.

M. de Meilhan décompose, pour ainsi dire, son idéal entre ces deux personnages ; l’un est ce qu’il s’imagine avoir été dans sa jeunesse, l’autre ce qu’il se flatte d’être devenu dans son âge désabusé. Sur la politique, sur la métaphysique, sur tous les objets, il y a là des vues, des idées, de la pensée. Pendant que Salem, qui a été doué tout au rebours d’Aladin et qui est la perfection de l’homme actif et médiocre, fait son chemin méthodiquement et parvient aux plus hautes places du royaume, Aladin, à qui il arrive mainte mésaventure par imprudence, cède aux conseils de ses amis, et se met à voyager en compagnie du Kalender. Chemin faisant, il recueille toutes sortes d’observations sur le caractère des hommes, de ceux qui gouvernent et de ceux qui sont gouvernés. L’aspect des monuments le porte à la réflexion, ranime ses désirs de gloire et réveille aussi sa sensibilité en lui rappelant la multitude des races disparues. Le passé, attesté par des ruines majestueuses, lui paraît plus grand, et préférable au temps où il vit :

« Quel bonheur, dit Aladin, j’aurais eu de vivre dans un siècle aussi éclairé ! Ne croyez-vous pas qu’il viendra un temps où les lumières seront répandues généralement, où tous les hommes seront instruits ? » Le Kalender secoua la tête et leva la main en signe d’improbation.

Aladin continua : « Quand tous les hommes essaieront les forces de leur esprit, le nombre des bons ouvrages sera infini. » — « C’est le nombre des écrits, dit le Kalender, c’est la facilité d’écrire qui empêchera l’essor du génie. En songeant à cette foule d’écrivains du temps dont vous parlez, je crois voir une troupe de nains montés sur les épaules les uns des autres, qui s’applaudissent d’être parvenus à une grande hauteur : l’homme qui aurait eu la force d’y atteindre seul et d’un même élan dédaignera une gloire dont chaque nain peut revendiquer une partie.

Ainsi sur tous les points : voilà ce que le Kalender ou l’homme blasé oppose à Aladin, l’homme d’espérance et de désir ; voilà comment se répondent l’un à l’autre les deux âges de la vie. Lequel des deux a raison ? « La vie humaine est partagée entre deux règnes, celui de l’espérance et celui de la crainte. »

M. de Meilhan, disons-le à son honneur, n’a cessé d’agiter ce problème et d’en vouloir concilier les deux termes, en apparence contradictoires. Il sent tous les dangers et toutes les chimères de la prétendue perfectibilité ; il n’est nullement opposé d’ailleurs à ce qu’on appelle lumières : il voudrait les voir s’étendre là seulement où il faut ; et, comme il l’a dit, la question n’est pas de savoir s’il faut tromper les hommes, et à quel point il faut les tromper, « mais seulement à quel point il faut tâcher d’arrêter la curiosité humaine ».

Aladin a un vif désir de savoir et de connaître ; la morale a surtout un grand attrait pour son esprit vif et observateur ; il en voudrait posséder la clef :

« Ne pourriez-vous pas, dit-il au Kalender, m’apprendre à connaître les hommes ? » — « C’est comme si vous me disiez : Apprenez-moi à voir. On ne connaît bien, Aladin, que les chemins par lesquels on a passé. » — « Mais n’est-il pas quelque maxime générale qui puisse faire éviter de tomber dans l’erreur, si elle ne suffit pas pour démêler la vérité ? Les hommes sont-ils bons, sont-ils méchants ? » — « L’un et l’autre, répondit le Kalender, et la plupart ne sont ni l’un ni l’autre ; une des grandes sources d’erreurs, c’est de se conduire avec eux comme s’ils étaient constants et conséquents… Nous sommes mobiles, et nous jugeons des êtres mobiles… ! »

C’en est assez pour indiquer la veine d’esprit et de philosophie qui circule dans ce joli conte et qui en distingue les bonnes parties ; je ne lui vois d’autre défaut que de se trop prolonger à travers les aventures de l’Orient. Pendant qu’Aladin voyage monté sur un coursier, et s’arrête ou se détourne toutes les fois que sa curiosité ou son humanité intéressée le lui suggèrent, il rencontre un autre voyageur monté sur un âne, qui va d’un pas égal, mais qui ne se détourne ni ne s’arrête jamais. Cet homme à l’âne le devance : c’est l’image de son cousin Salem qui arrive à tout avant lui avec ses qualités compassées et son activité incessante. Il vient un moment pourtant où, dans l’intérêt et pour le salut de la société, les ânes, même les meilleurs, ne suffisent pas, et où il faut recourir dans le péril au coursier généreux. L’heure d’Aladin a sonné ; il est appelé par le Sultan, il sauve l’État, il repousse l’ennemi par son habileté et même sans livrer de bataille, puis il se retire à temps loin de la ville et de la Cour, au sein de l’amitié et des lettres : « Les grands hommes sont comme les remèdes actifs, qu’il ne faut employer que dans les grandes occasions. »

M. de Meilhan tarda peu à émigrer. Il était à Aix-la-Chapelle en 1791, s’y considérant peut-être comme Aladin dans le voyage et dans l’exil, et comptant encore sur quelque retour imprévu. C’est du moins ce qu’on pourrait conjecturer en écoutant Tilly dans ses Mémoires. Tilly parle d’ailleurs de lui avec aversion, sans rendre justice à son esprit et en ne voyant que les ridicules. L’ouvrage que M. de Meilhan publia à Hambourg en 1795, intitulé Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution, avec le caractère des principaux personnages du règne de Louis XVI, est d’un homme en qui les ridicules cessent dès qu’il tient la plume et qui mérite toute attention par la modération et les lumières. Ce livre me semble un des meilleurs de cette littérature de l’émigration, et il est instructif encore aujourd’hui. Je ne le rapprocherai ni des Considérations de M. de Maistre, ni de l’Essai de Chateaubriand, mais je le mettrai à côté des écrits de Mallet du Pan à cette date. Le style en est simple et uni :

La simplicité du style, pense avec raison l’auteur, convient seule lorsque l’expression ne peut atteindre à la grandeur des objets. L’homme n’a qu’une mesure de sensibilité, et son langage qu’un degré d’énergie ; son cœur est-il oppressé par le poids accablant d’un sentiment profond, son imagination ravagée par des spectacles d’horreur multipliés, il désespère d’y proportionner son langage ; et un geste, un regard, un morne silence lui tiennent lieu alors de paroles et sont plus expressifs.

L’objet de M. de Meilhan est de présenter un tableau général exact du gouvernement de la France et de la société avant la Révolution, et de montrer qu’il n’y avait pas lieu ni motif à la révolte, qu’il y aurait eu moyen de la conjurer si on l’avait su craindre, et que lorsque la crainte est venue après l’extrême confiance, elle a, par son excès même, paralysé les moyens : « La légèreté d’esprit dans les classes supérieures a commencé la Révolution, la faiblesse du gouvernement l’a laissée faire des progrès, et la terreur a consommé l’ouvrage. »

La description que donne l’auteur de l’ancien gouvernement de la France, de cette Constitution non écrite, éparse et flottante, mais réelle toutefois, est des plus fidèles ; il fait parfaitement sentir en quoi la France d’avant 89 ne pouvait nullement être considérée comme, un État despotique proprement dit ; il parle du roi et de la reine, du clergé, de la noblesse, du tiers état et du rapprochement des diverses conditions, des parlements, du mécanisme de l’administration, des lettres de cachet, de la dette, de l’influence des gens de lettres sous Louis XVI, avec une justesse et une précision qui me font considérer cet ouvrage comme la meilleure production de M. de Meilhan, après ses Considérations sur l’esprit et les mœurs, et comme pouvant se joindre à titre de supplément utile à l’Abrégé chronologique du président Hénault. On y reconnaît à chaque page l’homme qui parle de ce qu’il sait et de ce qu’il a pratiqué ; on y lit quantité d’anecdotes qui sont de source et d’original, et qui méritent d’entrer dans l’histoire. Ainsi, contre les lettres de cachet, que n’a-t-on pas dit, et avec raison, en principe ? Au commencement du règne de Louis XVI, un des premiers objets qui fixèrent l’attention de ce roi fut la liberté du citoyen :

Il avait dans son Conseil, dit M. de Meilhan, deux ministres (Turgot et Malesherbes) portés par sentiment et par principes à seconder ses équitables dispositions. M. de Malesherbes ayant été nommé ministre s’empressa, selon l’usage, de faire aussitôt la visite des maisons qui contenaient des prisonniers d’État. La prévention favorable qu’on avait pour ce vertueux ministre a fait répandre qu’il en avait délivré un nombre considérable : il m’a dit lui-même, avec la franchise qui le caractérisait et lui faisait repousser les éloges qui n’étaient pas mérités, qu’il n’en avait fait sortir que deux. Cette circonstance prouve que les motifs de la détention des autres lui avaient paru fondés.

Lorsque le peuple, quinze ans après, s’empara de la Bastille, on n’y trouva que quatre ou cinq prisonniers : « L’un d’eux était fou, et les autres avaient commis des crimes avérés. » C’est cependant sous ce règne « à jamais remarquable par l’indulgence » qu’on s’est élevé contre l’autorité avec une violence sans bornes, qui a fini par tout niveler. M. de Meilhan montre très bien ce duel engagé entre un monarque armé, qui se tient sur la défensive, et des agresseurs à outrance, pour qui tous les moyens sont bons : « Dans cette lutte sanglante de la royauté et de la démocratie, on croit voir, dit-il ingénieusement, deux combattants, dont l’un, bien supérieur en force, se contente de parer, et ménageant sans cesse la vie de son adversaire, finit par tomber sous les coups qu’il aurait pu prévenir. »

Revenant sur sa distinction entre ce qui a été véritablement principe, cause, ou occasion, M. de Meilhan (et ceci est chez lui une vue originale) insiste sur cette idée favorite, qu’on a exagéré l’influence directe des écrivains sur la Révolution française. Il veut que les causes aient été purement et simplement politiques :

On pourrait comparer, dit-il, la Constitution de la France à un vaste édifice dont on a laissé tous les abords ouverts : peu importe qu’on soit entré par une porte ou par une autre pour en dévaster l’intérieur ; on y aurait toujours pénétré du moment où la surveillance en avait été abandonnée à des gardiens négligents ou infidèles. — Un homme est-il assassiné chez lui par un voleur, dit-il encore, le principe de ce crime est l’avidité des richesses ; la cause de l’événement, le voleur ; et si la porte de la maison se trouve ouverte, elle a été l’occasion favorable à l’assassin. Les causes véritables sont celles sans lesquelles l’événement n’aurait point eu lieu, quelques circonstances qui eussent été rassemblées.

Quant aux idées philosophiques ou politiques renfermées dans des écrits antérieurs, une fois la tranchée ouverte et l’ennemi introduit dans la place, on y recourut, mais comme on s’adresse à un avocat pour fournir des motifs à l’appui d’une cause, d’un acte qu’on veut colorer :

C’est quand la Révolution a été entamée, dit M. de Meilhan, qu’on a cherché dans Mably, dans Rousseau, des armes pour soutenir le système vers lequel entraînait l’effervescence de quelques esprits hardis. Mais ce ne sont point les auteurs que j’ai cités qui ont enflammé les têtes.

Et il en revient à désigner son grand coupable politique, après Calonne, après Brienne, et plus funeste qu’eux tous, c’est-à-dire M. Necker.

Dans un autre écrit, M. de Meilhan va même plus loin : il est persuadé que Louis XV, tout amolli et apathique qu’on le connaît, aurait eu plus que Louis XVI l’espèce d’énergie suffisante pour arrêter à temps cette suite d’entreprises et d’insubordinations qui ouvrirent la Révolution française. Il le montre jaloux de son autorité, sentant le danger de la laisser attaquer, et capable, à cette seule idée, de violents mouvements de colère qui avaient des suites ; il cite une lettre vigoureuse de ce roi au duc de Richelieu sur les envahissements de pouvoir du Parlement :

Cette lettre, dit-il, doit prouver que Louis XV aurait employé la force pour arrêter, dès les premiers moments, les entreprises des révolutionnaires. Quand on l’a connu, il est évident qu’il n’aurait jamais consenti à assembler les notables, et encore moins les États généraux ; et que, si l’on suppose des circonstances critiques, il n’aurait pas balancé, pour le rétablissement de l’ordre, à prendre les plus violents partis et à y persévérer.

Je me suis laissé aller à développer cette idée de M. de Meilhan, qui n’est pas celle de tout le monde. Ce livre Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution est terminé par une suite de portraits historiques (Maurepas, Turgot, Saint-Germain, Pezay, Necker, Brienne), dans lesquels il y a des traits exacts et neufs, bien de l’esprit et même du talent29.

Pendant l’émigration, et dans le temps qu’il voyageait en Italie, M. de Meilhan fut appelé en Russie par l’impératrice Catherine qui, sur sa réputation et d’après la lecture de ses ouvrages, voulait faire de lui son historien et celui de son empire. Arrivé à sa cour, il réussit moins de près que de loin ; il quitta bientôt Pétersbourg, avec une pension toutefois ; la mort de l’impératrice la lui fit supprimer et vint détruire ses projets de composition historique. On a de lui des lettres où il célèbre l’âme et le génie de Catherine ; mais ici se trahit un grave défaut de M. de Meilhan, et qui était déjà sensible dans quelques passages de ses Considérations sur l’esprit et les mœurs ; cet homme d’esprit et de conception, qui n’a pas seulement de la finesse, qui y joint des vues et de la portée, n’a pas le goût très sûr : il le prouva bien lorsque étant parti de Rome pour aller en Russie, l’idée lui vint un jour de comparer l’église de Saint-Pierre et Catherine II. Cette comparaison entre l’impératrice et le chef-d’œuvre de l’architecture romaine existe, classiquement déduite et poussée de point en point, et sans que l’auteur ait eu l’idée d’en sourire.

M. de Meilhan avait encore composé dans ces années un roman en quatre volumes intitulé L’Émigré, et qui fut imprimé à Hambourg en 1797 ; je ne doute pas qu’il ne doive contenir des observations curieuses sur cette France d’outre-Rhin et cette société errante, mais je n’ai pu le trouver nulle part ni rencontrer personne qui en eût connaissance30.

Dans les dernières années, M. de Meilhan vivait à Vienne, au quatrième étage, pauvre et assez entouré. Il avait la manie de rester au lit des journées entières, et prétendait qu’il n’avait plus la force d’en sortir :

Sortez donc quelquefois, mon cher ami, lui écrivait le prince de Ligne : si je pouvais être tous les jours chez vous avec un récipient pour toutes les idées que vous jetez en l’air, je ne demanderais pas mieux ; mais vous jetez bien des perles aux pieds de ces messieurs qui vont chez vous.

Vous vous croyez trop faible pour sortir de votre lit, et vous y faites, si la conversation est animée, des sauts d’anguille ; on croit être à votre chevet, et vous retournant comme Crispin médecin, on se trouve à vos pieds. — Vous ne savez pas, lui disait-il encore, que vous m’êtes nécessaire pour me remonter : vous êtes de l’éther pour moi.

M. Craufurd, un Anglais ami de la France et de notre littérature, sur laquelle il a publié des Essais, acheta pour cent louis, de M. de Meilhan, je ne sais quels manuscrits : c’est sans doute ce qu’il a publié depuis, des anecdotes originales sur M. de Choiseul, sur le Dauphin, sur cette cour de Louis XV que M. de Meilhan avait connue près de son père et par les escaliers dérobés. Les Mémoires de Mme Du Hausset, femme de chambre de Mme de Pompadour, ont été conservés par M. de Meilhan, qui empêcha un jour M. de Marigny de les jeter au feu et qui les emporta ; ils passèrent de ses mains entre celles de M. Craufurd, qui le premier les fit imprimer (1809).

M. de Meilhan, qui a tracé les portraits de tant de personnages, en a laissé un de lui. Dans ces sortes de portraits personnels on ne se donne jamais trop de désavantages, même lorsqu’on a l’air de se dire des vérités. Voici sous quel profil assez imposant il aime à s’offrir à nous, et, dans sa prétention soit à se montrer, soit à se dérober, on peut encore saisir les défauts :

Mon esprit est un terrain très inégal ; il est de plusieurs côtés borné à un point qu’on n’imaginerait pas ; il est dans d’autres parties très étendu. Je supplée, pour les objets qui m’intéressent, certaines incapacités par un discernement rare des diverses qualités des hommes, joint à la conscience bien exacte de ce qui me manque. Ce qui distingue mon esprit, c’est son premier élan, c’est la facilité d’atteindre sans effort. Je devine, ou n’entends jamais ; je compose et ne peux corriger. Je fais un mémoire, un calcul, une combinaison comme un poète fait des vers, et, comme lui, je parais inepte, si je ne suis pas en verve…

Ma conversation est très variée, parce que rien ne remplit en général mon esprit et ne me porte à m’appesantir sur les objets. Ils me sont indifférents, et j’ai supérieurement le don de l’intérêt du moment, sans fausseté et sans effort. Ce que j’écris, ce que je dis, n’est jamais pour moi ni une vérité intime, ni un motif d’amour-propre. Je me crois toujours supérieur à ce que l’on connaît de moi, et prêt à l’abandonner…

C’est ici que, professant cette absolue indifférence pour le fond de toute chose et pour la vérité en elle-même, il laisse échapper cet aveu que nous avons déjà recueilli et qui juge tout l’homme : « Rien n’a jamais fait effet sur moi comme vrai, mais comme bien trouvé. » Et il continue de se dessiner en se mirant :

Je suis vivement paresseux, ce qui me donne deux inconvénients, celui de la paresse et celui de l’ardeur. Je laisse perdre le temps, et ensuite je veux tout forcer : voilà la clef de ma conduite…

Mon amour-propre est extrême ; mais dans les petits objets, dans la société, il n’est que sur la défensive, il ne demande qu’à n’être pas blessé, sans désir d’être flatté ; dans les grands, il ne me porterait qu’à la gloire la plus éclatante ; mais le dégoût suivrait de près, et le mépris de mon siècle ne me permettrait pas de mettre longtemps du prix à son approbation…

Mon amour-propre s’irrite quelquefois dans le tourbillon du monde : il se tait dans la solitude…

Je n’aime point à me montrer à mes amis sous un côté défavorable ; je souffre de les voir malheureux de mon malheur, et je suis convaincu que les sentiments diminuent par la perte des avantages… Il faut donc cacher ses plaies, dissimuler les grandes impuissances de la vie : la pauvreté, les infirmités, les malheurs, les mauvais succès… Il ne faut confier que les malheurs éclatants, qui flattent l’amour-propre de ceux qui les partagent et s’y associent.

Appliquant à l’auteur de ce portrait un mot qu’il aime et auquel il n’attachait aucune idée défavorable, je dirai qu’il avait l’amour-propre fastueux 31.

Le prince de Ligne, dans une lettre détaillée, achève et complète à merveille ce portrait de M. de Meilhan ; il le confirme ou le corrige sur les points essentiels :

Sans en avoir l’air, lui dit-il, vous êtes plus occupé des autres que de vous ; vous ne vous aimez qu’un moment ; vous êtes fou de ce que vous avez écrit le matin, et le soir vous n’y pensez plus. Vous êtes un vantard d’égoïsme et un esprit fort d’insensibilité. Je vous ai fait pleurer pour moi, et vu pleurer pour d’autres.

Le prince de Ligne s’arrête avec complaisance sur cette idée secrète et chère de M. de Meilhan, que celui-ci a manqué sa fortune et sa destinée et qu’il aurait dû être ministre à la place de Necker ou de Calonne :

Avec l’air de mépriser tous les détails, les regardant au-dessous de vous, il n’y en avait pas un de votre intendance de Valenciennes qui vous échappât, et vous racontez très plaisamment ce que c’est que de travailler légèrement, quand M. de Calonne écrivait sur le coin de la tablette d’une cheminée sur ce que vous aviez été vingt-quatre heures à penser.

Connaissant mieux votre nation et la Cour que lui, vous n’auriez jamais assemblé les notables, qui auraient pu être une bonne chose sous un autre gouvernement ; et c’est vous qui aviez dit au baron de Breteuil ce grand mot au sujet du premier club, que ce n’était pas une plante monarchique.

N’oublions pas que le prince de Ligne lui-même se croyait frustré dans ses légitimes espérances ; il aurait voulu commander un jour en chef, succéder aux Lacy et aux Laudon, s’illustrer dans une carrière sérieuse ; comme M. de Meilhan, il revenait en idée sur le passé et le considérait avec un sentiment caché de désappointement et d’amertume. C’étaient deux débris politiques qui se consolaient par l’esprit, et dont le moins caduc, le plus ferme et le plus élégant, encore debout, disait à l’autre :

Vous n’auriez convenu qu’à moi si, au lieu d’être un petit souverain de quatre ou cinq lieues en carré, j’en avais été un grand. Vous auriez été à moitié ministre penseur, comme à la Chine, à moitié administrateur. En mettant votre esprit juste, élevé et profond sur une plus grande échelle, il n’y a pas de doute de l’effet de vos prodigieuses lumières et connaissances. En attendant, laissons faire et dire bien des sottises autour de nous : ce n’en est pas une de nous être si amicalement et tendrement attachés l’un à l’autre pour toute notre vie.

Ils font ensemble leur dernier rêve d’imagination ; « Si j’étais roi, vous seriez Premier ministre ! »

Pour nous, qui ne pouvons juger M. de Meilhan que par ses écrits, nous avons cru n’être que juste en lui accordant un souvenir, en lui assignant un rang élevé parmi les moralistes pour ses Considérations sur l’esprit et les mœurs (1787), et, parmi les politiques, pour son ouvrage Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution (1795). Il peut servir à représenter à nos yeux toute une classe et une race de gens du monde, de gens d’esprit et d’administrateurs distingués, qui existaient tout formés à la fin de l’Ancien Régime, qui succombèrent avec l’ordre de choses, et qui ont péri dans l’intervalle, avant que la société reconstituée pût leur rendre une situation ou même leur donner un asile. Combien de ceux-là qui tenaient dans le monde et la société de leur temps une grande place n’ont pas même laissé un nom ! Que M. de Meilhan, naufragé comme eux, les personnifie du moins et les résume honorablement dans la mémoire !