(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre premier — Chapitre II. Des moyens qui conduisent à la connaissance des Arts »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre premier — Chapitre II. Des moyens qui conduisent à la connaissance des Arts »

Chapitre II. Des moyens qui conduisent à la connaissance des Arts

Il y a une affinité réelle entre tous les Arts ; une espèce de chaîne les rapproche tous et les lie. Si quelquefois dans leurs diverses productions, on cesse d’apercevoir leurs rapports ; si leur liaison semble se perdre dans la multiplicité variée de leurs opérations, c’est que les yeux en sont distraits par les objets actuels qui les occupent ; mais le fil échappe sans se rompre : des regards attentifs qui le cherchent, le démêlent toujours.

On croit voir alors plusieurs enfants d’un même père, heureusement nés, élevés avec soin, et chargés d’emplois différents. Chacun d’eux, avec des traits marqués qui le distinguent, en a cependant qui lui sont communs avec les autres. C’est un air de famille qui frappe et qui rappelle malgré soi, le souvenir du père et des frères.

Il en est au surplus de tous les Arts, comme de toutes les Sociétés qui se sont formées entre les hommes. Il faut, pour les bien connaître, remonter aux causes premières.

Veut-on savoir quelles sont les mœurs qui dominent dans une Monarchie florissante, dans une République sagement gouvernée, dans une famille intimement unie ? Qu’on démêle le caractère du Roi qui règne ; l’esprit des Lois qui enchaînent cette foule de Citoyens ; les maximes favorites de ce chef de famille : la clef est trouvée. Les Peuples par instinct, se modèlent toujours sur leurs Maîtres : les Républicains sont esclaves volontaires de leurs Lois : les enfants sont par habitude, les échos de leurs pères.

On a de même la clef des Arts, lorsqu’on sait remonter à leurs sources primitives ; parce qu’elles sont leurs causes premières. L’Artiste qui les ignore n’est qu’une machine grossière qui suit aveuglément l’impulsion du ressort qui la fait mouvoir, et tous les hommes en général, qui, dans les Arts dont ils s’occupent ou dont ils s’amusent, ne cherchent, n’attendent, n’aperçoivent que leurs effets, n’ont qu’une jouissance imparfaite, qui les met à tous les instants dans le danger d’en juger mal, et de leur nuire.

Dès qu’une fois, au contraire, on a connu les sources primitives des Arts, il semble que leur Temple s’ouvre : le voile qui en couvrait le Sanctuaire se déchire ; on les voit naître, croître et s’embellir ; on les suit dans leurs divers âges ; on se plaît à débrouiller les différentes révolutions, qui, en certains temps, ont dû les arrêter dans leur course, ou qui, dans des circonstances plus heureuses, ont facilité leurs progrès. On a bientôt alors un tableau combiné des effets et des causes : on jouit de l’expérience de tous les temps, et de la sienne. L’Artiste instruit aperçoit la perfection et la saisit  : l’Amateur découvre les marches secrètes de l’industrie, les loue avec choix, et les rend plus sûres ; la multitude jouit cependant, et l’État devenant plus florissant tous les jours par les efforts redoublés des Artistes, que la Théorie éclaire, voit augmenter à la fois, sa considération, ses plaisirs et sa gloire.

L’Histoire raisonnée des Arts, est donc leur vraie, leur utile, et peut-être leur unique théorie. Ce n’est que longtemps après leurs premiers succès que les Philosophes en ont écrit. Il fallait attendre que le temps eût réuni les différentes opinions des hommes sur ce qui leur plaisait, pour pouvoir enseigner quels étaient les vrais moyens de leur plaire.