(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre premier — Chapitre III. Objet de cet Ouvrage. »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre premier — Chapitre III. Objet de cet Ouvrage. »

Chapitre III. Objet de cet Ouvrage.

Les Artistes en général n’ont que des traditions incertaines : ils se conduisent par des habitudes contractées de longue main, ou par des caprices du moment.

Ils ont donc besoin d’une histoire qui fixe leurs incertitudes, d’une lumière pure qui leur montre les erreurs, le danger, le mauvais goût de leurs habitudes ; d’un fond assez riche, pour rendre utiles ces mêmes caprices que l’ignorance rend presque toujours nuisibles.

Les Amateurs ont toujours des prédilections : leurs suffrages manquent de cette impartialité précieuse qui pourrait seule rendre leurs jugements respectables. Ils ont des goûts exclusifs pour certains genres ; et le bon goût les admet tous ; il ne rejette que le mauvais, dans quelque genre qu’il puisse être : ils ont enfin des préjugés, et les préjugés sont le poison le plus subtil de l’esprit.

Un Traité fondé sur l’expérience de tous les temps, serait par conséquent le moyen le plus sûr, de leur ouvrir les yeux sur l’injustice de leurs préférences, sur le peu de justesse de leurs goûts, sur les erreurs de leurs opinions.

Il est des Sociétés choisies qui connaissent le prix des talents, des cercles aimables qui en jouissent, des âmes vives et délicates qui les aiment. Ainsi un ouvrage qui rassemblerait les moyens de les multiplier, aurait sans doute, quelques droits sur leurs loisirs. La bonne Compagnie de ce siècle lit et s’éclaire. Jamais la pédanterie ne fut si décriée ; mais jamais aussi l’instruction ne fut si répandue.

Cette foule d’hommes oisifs qu’on ne saurait désigner que par les places d’habitude qu’ils occupent à nos spectacles, cet essaim de femmes à prétentions qui cherchent sans cesse le plaisir, et que le plaisir fuit toujours ; cette jeunesse légère, qui juge de tout, et qui ne connaît encore rien ; ces gens aimables du Monde, qui prononcent toujours sans avoir vu, et qui en effet rencontrent mieux quelquefois que s’ils s’étaient donnés la peine de voir, font tous partie de la multitude, qui prend le ton, sans s’en douter, des Artistes, des Amateurs, et de la bonne Compagnie12.

Ainsi un Traité qui corrigerait les abus, et qui aiderait les progrès de l’Art, leur deviendrait par contrecoup infiniment utile, sans même qu’il fût besoin qu’ils se donnassent la peine de le lire.

Il y a une espèce d’hommes pour qui seuls, tous les Traités les plus Philosophiques seront toujours insuffisants. La flatterie les a persuadés de la supériorité de leur être : la médiocrité leur baise servilement les pieds, et ils la protègent ; le grand talent, à qui la fierté est si naturelle les néglige, et ils le dédaignent.