(1811) Cours complet de rhétorique « Livre premier. Éléments généraux du Goût et du Style. — Chapitre V. Du Style en général, et de ses qualités. »
/ 572
(1811) Cours complet de rhétorique « Livre premier. Éléments généraux du Goût et du Style. — Chapitre V. Du Style en général, et de ses qualités. »

Chapitre V.
Du Style en général, et de ses qualités.

Ou sachez-vous connaître, ou gardez-vous d’écrire. (Voltaire).

Le style est la manière dont on exprime, par le moyen du langage, ce que l’on a conçu par le raisonnement : c’est le tableau fidèle de nos idées et de l’ordre dans lequel elles se sont liées dans notre entendement.

Quelque sujet que l’on traite, deux qualités constituent essentiellement l’excellence du style : la clarté et la pureté. Ou n’écrit que pour se faire entendre : il faut donc commencer par se bien entendre soi-même, et l’on deviendra clair et facile pour les autres.

Avant donc que d’écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit ou moins nette ou plus pure ;
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
(Boileau).

Ce principe est si naturel, et devient d’une exécution si indispensable, qu’il semblerait presque inutile de le rappeler ici. Rien de plus ordinaire cependant que de le voir négliger aux jeunes gens : l’empressement de produire, l’avidité de jouir ou de faire jouir les autres de ses productions, fait que l’on prend la plume avant d’avoir bien démêlé le fil de ses idées, d’avoir cherché et mis entre elles cette liaison, cette harmonie, sans lesquelles le style le plus chargé d’ornements fatigue, au lieu d’intéresser le lecteur. S’il faut revenir sans cesse sur ses pas, relire vingt fois ce qu’on a déjà lu, pour parvenir à le comprendre,

Mon esprit aussitôt commence à se détendre,
Et, de vos vains discours prompt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher.
(Boileau).

L’homme est naturellement trop indolent pour se charger volontiers d’une tâche aussi laborieuse ; et quelques éloges que l’on donne à l’auteur profond, dont on a enfin percé les ténèbres, on serait rarement tenté de le relire une seconde fois11.

L’obscurité du style naît le plus souvent de la confusion ou du vague des rapports entre eux ; et c’est de tous les vices du style le plus inexcusable et le plus choquant dans toutes les langues, et dans la nôtre en particulier. L’entassement de mots et de circonstances inutiles, ou l’affectation d’une précision ridicule, contribuent également à l’obscurité du style. Tantôt on ne dit rien, parce qu’on a voulu trop dire ; tantôt, pour ne pas tout dire, on ne dit pas assez ; et de peur d’être trop simple, on se fait une étude de devenir obscur. Rien de plus mal entendu que cette affectation, dans les grandes choses ; rien de plus vain, dans les petites : cette réflexion est de Marmontel, qui devait savoir mieux que personne à quoi s’en tenir à cet égard.

Nous n’en prétendons pas conclure qu’il faille renoncer à s’exprimer d’une manière ingénieuse, nouvelle et piquante, et s’interdire ce qu’on appelle les finesses du style ; non sans doute : nous voulons seulement prémunir les jeunes gens contre les écueils d’un genre qui les séduit aisément par son éclat passager, et auquel ils sont naturellement disposés à sacrifier tout le reste. Nous voulons leur apprendre que le grand point est de concilier la finesse du style avec sa clarté, et que tout ce qui brille aux dépens de cette qualité indispensable, ne peut briller longtemps et ne doit plaire qu’à des esprits faux et superficiels.

La clarté dépend du choix des mots, de la construction des phrases et de l’enchaînement des idées. Considérée sous le rapport des mots et des phrases, elle exige pureté et propriété dans les termes, et précision dans les phrases.

On confond souvent la pureté et la propriété grammaticales : ces deux qualités se touchent en effet de fort près ; il serait possible cependant d’apercevoir entre elles une différence. La pureté du langage consiste, par exemple, à n’employer que les termes et les constructions qui appartiennent à l’idiome que l’on parle, de préférence à ceux qu’il emprunte des autres langues, ou qui ont vieilli, ou qui sont trop nouveaux encore et employés sans autorité. La propriété consiste à choisir, pour nous exprimer, les termes les plus convenables et les plus généralement adaptés aux idées que nous nous proposons de rendre. Le style peut être pur, c’est-à-dire, rigoureusement français, et laisser cependant beaucoup à désirer, quant à la propriété. Les mots peuvent être mal choisis, mal adaptés au sujet, et présenter dans un faux jour la pensée de l’auteur. Il les a cependant puisés tous dans la masse générale des mots français ; mais il n’a été ni heureux ni habile dans son choix. Le style néanmoins manque de propriété, quand il pèche contre la pureté ; et c’est de la réunion précieuse de ces deux qualités, que résultent principalement ses grâces et sa clarté.

12On peut blesser la pureté du langage de trois manières différentes : 1º en employant des mots qui ne seraient pas français, et c’est ce que les grammairiens ont appelé barbarisme. Il a lieu toutes les fois que l’on se sert de mots tombés en désuétude, ou trop nouveaux encore, et qui n’ont pas reçu du temps et de l’usage la sanction qui leur est nécessaire, pour être introduits avec succès dans le discours 13

2º La construction de la phrase peut n’être pas française, quoique tous les mots qui la composent soient strictement français : c’est ce que l’on nomme solécisme 14. 3º Enfin les mots et les phrases peuvent être choisis et arrangés de manière à ne point signifier ce qu’ils signifient ordinairement ; et ce troisième défaut est appelé impropriété.

Surtout qu’en vos écrits la langue révérée,
Dans vos plus grands excès, vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux ;
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un mauvais écrivain.
(Boileau).

Indépendamment de la pureté, qui est une qualité purement grammaticale, et qui appartient indistinctement à tous les genres d’écrire, le style peut être considéré comme ayant pour objet l’entendement qu’il veut éclairer, l’imagination qu’il doit frapper, les passions qu’il se propose d’exciter, l’oreille enfin qu’il ne doit jamais négliger ; et, sous ces divers rapports, il sera clair pour l’entendement, vif et animé pour l’imagination, fort ou véhément pour la passion, et nombreux pour l’oreille.

Mais c’est peu d’être clair, il faut être précis. Il y a plus : il est difficile de concevoir la clarté sans précision. Le grand art de l’écrivain est de les concilier, et l’on n’y parvient qu’au moyen de la pureté et de la justesse du langage.

La précision a deux écueils à craindre : la prolixité, qui dégénère en une abondance stérile de paroles vagues et insignifiantes ; et l’extrême concision, qui conduit souvent dans l’obscurité :

J’évite d’être long, et je deviens obscur.
(Boileau).

Il y a un milieu à prendre entre ces deux excès : émonder un bel arbre n’est pas le mutiler.

Seulement de ta main éclaircis son feuillage.
(Delille).

Voilà l’image et le devoir de la précision : ne rien dire de superflu, ne rien omettre de nécessaire ; voilà son secret et son mérite.

La précision est quelquefois dans la pensée, quelquefois dans l’expression. Quand César aperçoit Brutus au milieu de ses assassins, et qu’il s’écrie douloureusement : Et toi y mon fils, aussi ! quand ce personnage de Térence dit, au sujet d’un jeune homme dont on vient de lui peindre les égarements : Il rougit ; tout est gagné ! l’expression est simple, et la précision de la pensée a quelque chose de sublime.

Rome ! si tu te plains que c’est là te trahir,
Fais-toi des ennemis que je puisse haïr.
(Corneille).
L’imbécille Ibrahim, sans craindre sa naissance,
Traîne, exempt de péril, une éternelle enfance.
Indigne également de vivre et de mourir,
On l’abandonne aux mains qui daignent le nourrir.
(Racine).

Voilà des exemples où la précision de la pensée s’unit à celle de l’expression, et qui prouvent que, bien loin d’être ennemie de la clarté, la précision, telle que nous la considérons ici, en est la compagne la plus fidèle. Elle prête au discours un charme de plus, celui de graver aisément dans la mémoire ou dans le cœur de grandes pensées ou de beaux sentiments : ce qui deviendrait impossible sans son secours.

Est brevitate opus, ut currat sententia, neu se
Impediat verbis lassas onerantibus aures.
(Horat.)

Mais, nous le répéterons encore, la précision, soit dans la pensée, soit dans l’expression, ne peut produire un bon effet, qu’autant qu’elle est jointe à la plus grande clarté : les jeunes gens ne sauraient y faire trop d’attention. Horace dit beaucoup sans doute dans ce peu de mots :

Paulùm sepultæ distat inertiæ
Celata virtus.

Cette précision cependant devient inutile à celui qui a besoin qu’on lui explique ce que l’auteur a voulu dire. Il n’en est pas de même de ce vers de Virgile :

Littora tùm patriæ lacrymans, portusque relinquo,
Et campos ubi troja fuit.
(Eneid. Lib. iii).

Ici la précision rassemble en un seul et même trait tout ce qui pouvait exprimer une grande idée ; et tous les détails possibles ne donneraient pas une idée plus vive et plus juste de la destruction totale d’une grande ville. Aussi Voltaire, en transportant ce trait dans sa Henriade, s est-il bien gardé de l’affaiblir en voulant l’étendre :

Dans sa course d’abord il (l’Amour) découvre avec joie
Le faible Simoïs, et les champs où fut Troie.
(Henr. Ch. 9).

Lucain, voulant peindre l’abattement muet et la consternation profonde qui régnaient dans Rome, aux approches de la guerre civile, n’emploie qu’un trait ; et ce trait est sublime par sa précision :

Erravit sine voce dolor.
(Ph. Lib. ii).

Brébeuf paraît-il s’être douté du mérite d’une pareille concision, quand il la noie dans le fatras suivant ?

De ces faibles Romains les premières alarmes
Font parler seulement les soupirs et les larmes ;
Et n’ont, pour accuser la vengeance des dieux,
Que ce muet discours et du cœur et des yeux.

Peu d’écrivains modernes ont porté aussi loin que Pope cet art précieux d’unir la concision de la pensée à la rapidité d’une expression toujours poétique, toujours harmonieuse. C’est dans son admirable Essai sur l’Homme, que le mérite du poète anglais se fait principalement sentir : c’est là que la précision morale était aussi indispensable que celle du style, et que l’une et l’autre se devaient fortifier et éclairer mutuellement. Quelle force elles empruntent l’une de l’autre dans le morceau suivant !

Va, sublime ignorant, monte aux cieux, pèse l’air !
Règle le vent, soulève et rabaisse la mer ;
Apprends aux tourbillons leur route mesurée,
Et fixe des vieux temps l’incertaine durée !
Va, cours avec Platon et ses disciples vains,
Chercher la vérité dans des rêves divins :
Pour t’égaler à Dieu, dépouillé la matière !
Tel, croyant imiter l’astre de la lumière,
Un bramine insensé, dont l’orgueil s’applaudit,
Dans un cercle rapide en tournant s’étourdit.
Cours porter ton conseil dans le conseil suprême :
Du haut des cieux retombe, et rentre dans toi-même.
Compare à ton néant tes superbes discours15.
(M. de Fontanes).

Ces caractères généraux du style sont indispensables à l’écrivain, quelque genre qu’il ait adopté et quelque sujet qu’il traite : il en est cependant une foule d’autres qui dépendent plus particulièrement de la nature même du sujet, et qu’il faut connaître et savoir distinguer.

C’est une vérité d’une évidence incontestable, que des sujets différents exigent un style différent, et que le style oratoire, par exemple, ne peut pas être celui d’un traité philosophique. Mais ce qui n’est pas également sensible pour les jeunes gens, et ce que nous nous proposons d’observer, c’est qu’à travers cette variété, nous devons reconnaître la manière d’un auteur dans toutes ses compositions. Les harangues de Tite-Live et celles de Tacite sont et devaient être d’un style bien différent du reste de l’ouvrage : elles portent cependant l’empreinte caractéristique de la manière particulière des deux écrivains ; et l’on y retrouve la richesse et l’abondance de l’un, et la nerveuse concision de l’autre. Les Lettres Persanes et l’Esprit des Lois sont deux ouvrages du même auteur ; ils exigeaient sans doute un genre de composition fort différent, et tous deux sont supérieurement traités dans leur genre : il est facile cependant d’y reconnaître la même main. L’écrivain de génie a un style, une manière à lui, et on les retrouve dans toutes ses productions. Lorsqu’au contraire les compositions d’un auteur n’offrent point de caractère particulier et distinctif, on en peut conclure que c’est un écrivain médiocre, qui ne travaille que d’imitation, et n’éprouvera jamais l’impulsion du génie. Comme on reconnaît les peintres célèbres à la touche de leurs pinceaux, on distingue aussi les grands écrivains à leur style et à leur manière particulière. C’est une règle générale, dont on compte les exceptions.

Denys d’Halicarnasse divise en trois espèces les caractères généraux du style, et les nomme le style austère, le fleuri et le mitoyen. Cicéron et Quintilien établissent cette même division des styles, mais avec une distinction de leurs qualités respectives, et ces distinctions ont été adoptées et suivies par tous les rhéteurs modernes. Mais elles ont quelque chose de si vague, de si indéterminé, qu’il est impossible d’en rapporter des idées justes sur le style en général et ses nuances particulières. Nous allons essayer d’y suppléer.

La première, la plus frappante distinction des styles, résulte du plus ou moins de développement que l’auteur donne à sa pensée : de là, le style concis et le style diffus. L’écrivain concis resserre sa pensée dans le moins de mots possible, n’emploie que les plus expressifs, et rejette tout ce qui n’ajoute pas sensiblement à sa pensée. Se permet-il quelque ornement ? c’est pour fortifier, jamais pour embellir sa phrase. Jamais il ne représente deux fois la même idée ; tout tend chez lui à la plus grande précision, et il cherche plutôt à faire penser le lecteur, qu’à satisfaire complètement son imagination.

L’écrivain diffus, au contraire, ne croit jamais s’être assez expliqué : il semble se méfier tellement de l’intelligence de son lecteur, qu’il fatigue, qu’il retourne sa pensée, jusqu’à ce qu’il l’ait présentée sous tous les jours possibles. Il se met peu en peine de se faire entendre du premier coup, parce qu’il se propose de revenir sur son idée ; et ce qu’il perd en force, il tâche de le regagner par l’abondance et la variété. Ses périodes sont naturellement longues, et il prodigue volontiers tous les ornements qu’elles lui paraissent susceptibles de recevoir. Aussi le style diffus est-il nécessairement toujours lâche ; mais il est lâche sans être diffus, lorsqu’il manque de nerf et de ressort. C’est le défaut que César reprochait à l’éloquence de Cicéron : nous verrons bientôt jusqu’à quel point le reproche était fondé ; et si dans les Verrines, dans les Catilinaires, dans les beaux plaidoyers pour Milon et pour Ligarius, elle manquait de véhémence et d’énergie ; et si, pour être élégant et harmonieux dans son style, Cicéron en a voit moins de force et de vigueur, quand il le fallait.

Le style prolixe n’est pas le style diffus : l’un s’étend sur la superficie des objets, s’arrête sur les idées accessoires ; l’autre se traîne pesamment d’induction en induction, de conséquence en conséquence, fatigue notre pensée et rebute notre attention, en la voulant assujettir à sa pénible lenteur.

Le style faible et le style nerveux sont souvent confondus avec le style concis et le style diffus, et la nuance qui les sépare est en effet quelquefois difficile à saisir. On trouve cependant des écrivains aussi recommandables par la force que par l’abondance de leur style ; et l’on peut citer, entre autres, Platon, Plutarque et Tite-Live, chez les anciens, pour preuve de la vérité de cette assertion. La force ou la faiblesse du style dépend en effet de la manière dont un auteur voit son sujet. Le conçoit-il fortement ? il l’exprimera avec force. N’en a-t-il au contraire qu’une idée vague et confuse ? on s’en apercevra aisément à son style. Tout sera décousu, ses épithètes vagues, l’expression indéterminée, la construction des phrases louche et embarrassée, et nous aurons autant de peine à le suivre qu’à le comprendre. Mais l’écrivain nerveux, que son style soit concis ou diffus, nous laissera toujours une impression profonde de ce qu’il a voulu nous dire. Toujours rempli de son sujet, ses expressions seront toutes également expressives ; chaque phrase, chaque figure, contribueront à rendre le tableau plus frappant et plus complet. Tels sont, Corneille dans ses beaux morceaux, et Bossuet dans la plupart de ses oraisons funèbres.

Jusqu’ici nous avons parlé du style sous les rapports de l’expression de la pensée ; nous allons le considérer maintenant relativement aux ornements dont il peut être susceptible. Sous ce dernier point de vue, le style sera sec, simple, concis, élégant, fleuri.

Le style sec ne comporte aucune espèce d’ornement. Content de se voir entendu, l’écrivain ne cherche ici ni à captiver l’oreille, ni à flatter l’imagination. Ce genre n’est guère tolérable que dans les ouvrages didactiques, encore faut-il qu’il soit racheté par la solidité de la matière que l’on traite, et par la plus grande clarté dans l’expression. C’est le caractère de tous les écrits d’Aristote.

Le style simple n’admet qu’un très petit nombre d’ornements ; il ne les rejette cependant pas tous, et s’il ne nous charme pas par les grâces et les finesses de la composition, il ne nous rebute pas du moins par la sécheresse et la dureté de sa manière. Indépendamment de la plus heureuse clarté, il se fait une loi sévère de la propriété, de la pureté et de la précision, et c’est un genre de beauté qui a son mérite. Il y a cette différence entre le style sec et le style simple, que le premier n’est pas susceptible de recevoir des ornements, et que le second se les interdit volontairement.

L’auteur qui adopte le style concis, ne dédaigne pas les beautés du langage ; mais il les fait consister seulement dans le choix et dans l’arrangement des mots. Rien de traînant, rien d’embarrassé dans le tour de sa phrase ; il vise à la concision ; ses périodes sont variées, sans affectation, sans la moindre apparence de recherche dans leur harmonie : ses figures, quand il en emploie, sont courtes et correctes, plutôt que hardies et brillantes. Il ne faut ni beaucoup de génie, ni beaucoup d’imagination, pour atteindre à ce style ; il suffit du travail et de l’attention : c’est celui qu’il faut étudier avec le plus de soin, parce qu’il n’est point de sujet auquel il ne convienne, et qu’il en est beaucoup où il est indispensable.

L’élégance du style suppose la correction, la justesse, la pureté de la diction. Tout cela contribue à l’élégance, mais n’y suffit pas ; elle exige encore une liberté noble, un air facile et naturel, qui, sans nuire à la correction, déguise l’étude et la gêne. Le point essentiel et difficile est de concilier l’élégance avec le naturel ; il y en a deux moyens : le choix des idées et des choses, et le talent de placer les mots. Quelquefois cependant le sujet présente inévitablement des objets rebutants à décrire, des circonstances basses ou triviales. Que faire alors, et quelle sera, pour être élégant, la ressource de l’écrivain ? Fléchier va nous l’apprendre. Il s’agit d’un hôpital, et voici comme il le décrit :

« Voyons-la (la reine) dans ces hôpitaux où elle pratique ses miséricordes publiques ; dans ces lieux où se ramassent toutes les infirmités et tous les accidents de la vie humaine ; où les gémissements et les plaintes de ceux qui souffrent, remplissent l’âme d’une tristesse importune ; où l’odeur qui s’exhale de tant de corps languissants, porte dans le cœur de ceux qui les servent le dégoût et la défaillance ; où l’on voit la douleur et la pauvreté exercer à l’envi leur funeste empire ; et où l’image de la misère et de la mort entre presque par tous les sens ».

(Oraison funèbre de la reine).

La langueur et la mollesse du style sont les écueils voisins de l’élégance, et nous ne saurions trop insister, avec Cicéron, sur les soins que doit prendre un écrivain pour réunir, autant qu’il est possible et que son sujet le permet, la force des pensées à l’élégance continue du style.

« Le gladiateur et l’athlète, dit-il, ne s’exercent pas seulement à parer et à frapper avec adresse, mais à se mouvoir avec grâce. C’est ainsi que dans le discours il faut s’occuper en même temps à donner du poids aux pensées, de l’agrément et de la décence à l’élocution16 ».

Le style fleuri est rempli de pensées plus agréables que fortes, d’images plus brillantes que sublimes, de termes plus recherchés qu’énergiques ; et la métaphore dont il emprunte son nom est justement prise des fleurs, qui offrent plus d’éclat que de solidité. Les beautés légères sont donc à leur place, quand on n’a rien de solide à dire ; mais le style fleuri serait ridiculement employé dans un sermon, dans un plaidoyer, etc. Il ne convient qu’aux pièces de pur agrément, aux idylles, aux églogues, aux descriptions des saisons, des jardins, etc. C’est là que l’écrivain peut dire avec M. Delille :

Des couleurs du sujet je teindrai mon langage,

et s’efforcer surtout de remplir, comme lui, l’étendue de la promesse.

Le style fleuri est celui qui séduit le plus les jeunes gens, celui auquel ils se livrent le plus volontiers. Il est rare que les premières compositions des jeunes artistes ne pèchent par la profusion des ornements, dont le choix et la distribution n’ont pu être réglés encore par la sagesse d’un goût sévère et éclairé. Heureux défaut (dit Quintilien) ! car l’âge calmera cette fougue d’une imagination trop abondante ; le jugement la corrigera en se formant… Il est bon que les jeunes gens aient un génie hardi et inventif, et qu’ils tirent vanité de leurs premiers essais, quelque incorrects qu’ils soient. On retranche aisément ce qu’il y a de vicieux dans cette première abondance ; mais la stérilité est un vice irréparable. Facile remedium est ubertatis : sterilia nullo labore vincuntur.