(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « A MONSIEUR. MONSIEUR. DE SAINCT SYMON, premier Gentil-homme de la Chambre. du Roy, et son premier Escuyer. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « A MONSIEUR. MONSIEUR. DE SAINCT SYMON, premier Gentil-homme de la Chambre. du Roy, et son premier Escuyer. »

A MONSIEUR
MONSIEUR
DE SAINCT SYMON,
premier Gentil-homme de la Chambre
du Roy, et son premier Escuyer.

MONSIEUR,

La deformité du corps estant, comme elle est, une marque ordinaire de celle de l’ame, j’auois un juste sujet d’apprehender que pour cette raison ce pauvre Esclave estranger, à qui je fais parler nostre langue, ne fust mal venu aupres de vous. Mais sçachant qu’en quelque façon que la Vertu soit logée, et sous quelque habit qu’elle paroisse devant vous, vous la recueillez tousjours favorablement, j’ay pris, MONSIEUR, la hardiesse de vous le presenter auec sa vie et ses œuvres, que les plus grands personnages de tous les siecles ont admirées. Que sa laideur donc, je vous prie, sa mauvaise mine, et sa fortune encore pire, ne le vous fassent point rejetter : tout ce qu’il a de recommendable est interieur, il a corrigé ses defauts naturels par la force de sa raison ; et jamais homme n’a mieux que luy fait mentir les Physionomistes. Son corps est esclave d’un maistre ; mais son ame est libre et Reyne de ses passions, et quelque laid que soit son visage, son esprit est pourtant extrémement beau. Si l’un le peut rendre ridicule et desagreable aux yeux du peuple ; l’autre en recompense luy peut acquerir la bien-veillance et l’estime des sages. Si cela est, MONSIEUR, je ne doute point que la consideration de cette excellente qualité, ne produise en vous cet effet en faveur de ce Philosophe, pour ce qu’à l’exemple de ce grand Prince, aux bonnes graces et aux secrets duquel vous avez l’honneur d’avoir la meilleure part, vous n’estimez les personnes que par la plus noble partie d’elles mesmes. Aussi avez-vous, comme luy, la science de les cognoistre, et vostre affection, comme la sienne, n’est pas vne temeraire et aveugle inclination de nature ; mais un pur effect de jugement et de raison. C’est cette puissance souveraine, plutost que la conformité des humeurs, qui apres une particuliere cognoissance de vôtre merite, vous a gaigné le cœur du plus grand et du plus vertueux Prince de la terre. C’est elle aussi, MONSIEUR, qui vous empesche d’abuser de vostre faveur, à qui vous devez sa tranquillité et sa durée, et qui vous fait tousjours demeurer dans les bornes du devoir qu’elle vous a prescrites. Comme elle est immortelle en son essence, elle vous fera revivre à jamais, et dans l’Histoire de nostre temps, et dans les autres ouvrages des hommes de lettres. En voicy un qui pourroit bien estre de ce nombre, et s’exempter de l’empire des années, combien qu’il ne traitte que de Fables. Je sçay, MONSIEUR, qu’à les considerer en leur escorce, elles semblent aux ames vulgaires de pures extravagances, et des bagatelles inutiles ; comme nous voyons que les diamans bruts, pour n’avoir qu’un foible éclat par le dehors avant qu’estre mis en œuvre, sont des happelourdes aux yeux des mauvais Lapidaires et des Ignorans, qui n’en sçavent pas le prix. Mais j’ose bien me promettre qu’un esprit tel que le vostre, qui excelle en la connoissance des bonnes choses, jugera tout aussi tost du haut merite de celles-cy. C’est une école où les creatures capables de raison, apprennent de celles qui n’en ont point ce qu’elles doivent eviter ou suivre, pour la conduitte et l’instruction de leur vie. Et comme autres fois les Egyptiens adoroient certaines bestes, non pas pour le service qu’ils en tiroient ; mais comme dit un des plus sages des anciens, pour voir reluire en elles quelque image des facultez divines. De mesme je m’asseure que vous ferez quelque cas de celles de ce Philosophe, non pas pour le plaisir qu’elles peuvent donner ; mais à cause des belles leçons qu’elles font aux hommes. Aussi est-il vray que des divers personnages que cet Autheur leur fait joüer si plaisamment sur ce theatre, j’ay tiré de riches secrets de la Nature, de la Morale, et de la Politique ; comme vous verrez dans les Discours que j’ay formez là dessus selon l’occurrence des matieres. Je vous les dedie, MONSIEUR, pour y estre porté naturellement par la grande inclination que j’ay à vostre service, et pareillement pource qu’elles tireront leur plus beau lustre de celuy de vostre Nom. Car je suis bien asseuré que ceux qui le verront à l’ouverture de ce Liure, me loüeront de mon election. Je puis dire aussi sans hyperbole, sans fable, et sans flatterie, que l’affection de nostre grand Roy ne fut jamais mieux employée que pour vous ; que le bien qu’il vous a fait est un des plus grands effets de sa Justice, et que vous estes l’ornement de sa Cour, comme je suis veritablement,

MONSIEUR,
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur,
J. BAUDOIN.