(1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Seconde partie « Causes de la décadence du goût sur le théatre. — Chapitre XVI. De la présentation des Poëmes aux Comédiens ; de leur réception, & du choix de ceux qu’on joue dans les intervales. » pp. 8-11
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(1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Seconde partie « Causes de la décadence du goût sur le théatre. — Chapitre XVI. De la présentation des Poëmes aux Comédiens ; de leur réception, & du choix de ceux qu’on joue dans les intervales. » pp. 8-11

Chapitre XVI.

De la présentation des Poëmes aux Comédiens ; de leur réception, & du choix de ceux qu’on joue dans les intervales.

Un Comédien joue-t-il pour soi ? Si cela est, il peut jouer telle Piéce qu’il lui plaît. Si c’est au contraire pour le spectateur, le goût de celui-ci l’emporte avec raison sur le sien. Le Comédien peut être comparé en ce sens, au Médecin. L’un dissipe l’ennui, véritable maladie de l’ame, comme l’autre guérit celle du corps. Que penseroit-on d’un Docteur, qui voudroit faire prendre à un malade, des remèdes qui ne seroient bons qu’à lui-même ? C’est donc pour le spectateur que le Comédien joue.

Il remplit cette obligation par son zéle, par son jeu, & par la beauté des piéces qu’il donne. Le spectateur s’acquitte envers lui, en connoissant, & en saisissant les uns & les autres.

S’il arrivoit qu’un Comédien, jouant une bonne pièce, ne le contentât pas, & cela arrive, il auroit donc manqué son but. Si mettant de la vérité dans son action, il n’étoit pas applaudi, (disgrace éprouvée par un Acteur qui s’est retiré il y a quelques années,) il n’y parviendroit pas non plus. C’est donc le goût du public qui fait le sors des pièces & des Acteurs. C’est donc à lui qu’appartient le choix des unes comme des autres.

On lui a laissé à-peu-près le choix des Comédiens : & ceux-ci se sont arrogé le droit de recevoir les piéces ; ils ne les admettent que pour lui. Mais pourquoi leur goût n’est-il pas le sien ? Le public n’a pas même reclamé un droit, qui dans les mains des Comédiens, est la source de mille abus.

L’amour propre domine autant l’homme de Lettres, que qui que ce soit, & lui est pardonnable. Les Auteurs ont avec raison, de la répugnance à faire des démarches auprès des Comédiens, pour la réception de leurs Ouvrages ; & ils concluent avec un égal fondement, à ne les point faire, quand ils peuvent s’en dispenser.

La conduite des Comédiens envers les Auteurs, est si indécente qu’elle soulève tous les esprits. Les amateurs du Théatre, les plus zèlés partisans des Comédiens, les François, les Etrangers, tout dépose contre leur fier despotisme. Le cri est général. Le goût du Théatre est, à la vérité, porté parmi nous jusqu’à la phrénesie. Mais celle-ci se tourne contre les Comédiens, dès que par des démarches indiscrétes, ils donnent lieu à quelque plainte. Qu’en doit-on conclure ? Que le levain du mécontentement fermente dans tous les cœurs ; qu’il est sans doute encore trop foible pour étouffer entierement notre passion pour les représentations théatrales ; mais que sans cesse accru par le spectacle des usurpations des Acteurs, & par l’abus qu’ils font de nos propres droits contre nous-mêmes, ce levain parviendra enfin à triompher d’un penchant qui nous humilie, & à nous inspirer autant d’aversion pour le Théatre que nous aurons eu de goût pour lui. Si les Comédiens vouloient refléchir aux preuves, que le public leur donne assez souvent de sa sensibilité à leurs outrages, ils verroient sans doute que la révolution dont nous les ménaçons, n’est pas si éloinée qu’ils se l’imaginent.