(1640) Traité des Spectacles des Gentils « SAINCT CYPRIAN DES SPECTACLES. » pp. 155-193
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(1640) Traité des Spectacles des Gentils « SAINCT CYPRIAN DES SPECTACLES. » pp. 155-193

SAINCT CYPRIAN DES SPECTACLES.

Comme il m’est extremement sensible de me voir hors des occasions de vous escrire (car de tous les maux que ie souffre depuis que ie suis en exil, celuy qui m’afflige le plus c’est de ne vous pouvoir entretenir) aussi m’est-il impossible d’exprimer la ioye que ie ressens, quand ie vous puis tesmoigner mes soins, & vous faire auoüer que pour estre separés de corps nous ne le sommes pas d’esprit ; & certes ie m’imagine estre parmy vous autres toutes les fois que ie vous visite de mes lettres. Car encore que vous ne doutiez point de la verité de mes paroles, & que vous sçachiez bien que ie ne suis pas d’humeur à vous faire compliment ; i’ay voulu neantmoins dissiper le soupçon que vous pourriez auoir de ma fidelité, vû que la plus asseurée preuue d’vne amitié veritable, c’est de ne laisser passer aucune occasion pour en donner les tesmoignages. Et partant bien que ie sçache asseurerement, que si vous fleurissez beaucoup dans la foy & dans la pieté, vous n’estes pas moins austeres & Reguliers en vos mœurs ; & que vos actions ne desmentent en rien vostre creance ; ie sçay aussi que le siecle est remply d’esprits libertins, qui estans engagés dans le vice luy donnent beaucoup d’autorité pour le faire aymer, & ne voulants pas estre seuls dans l’erreur, taschẽt non seulemẽt d’y attirer les autres par leurs persuasions ingenieuses, mais empruntẽt encor la faueur de l’Escriture Saincte pour l’accõmoder à leurs sentimẽts ; nous voulãt faire croire qu’elle appreuue les crimes & les diuertissemẽs impies des spectacles puis que (disent-ils) n’ont rien qu’vn innocent plaisir, & qu’ils seruent à delasser nos esprits abbatus des continuelles occupations ; car l’impudence du siecle a si fort alteré la vigueur de la discipline Ecclesiastique, & l’a renduë si languissante & eneruée par les desbordements, que les vicieux ne se mettent plus en peine de treu-a des excuses aux vices les voyants appuyées du consentement public. C’est ce qui m’a porté à vous dresser ce discours, pour vous auertir de vostre deuoir, afin qu’vne salutaire instruction découure vos manquements, & remedie aux blesseures de vos ames, qui n’estants pas soignées ne guariroient pas facilement ; car plus on flatte vn mal plus on le rend incurable : Et le vice n’est iamais plus insolent que lors qu’on l’authorise ; & qu’on excuse sa malice au lieu de la chastier.

Que des fidelles ! des hommes qui font profession de la Religion Chrestienne, n’ayent point honte de se ioindre aux Payens ; qu’ils suiuent auec eux les impietés & les superstitions ; qu’ils corrompent le sens des Sainctes Escritures pour maintenir les abominations des Spectacles ; qu’ils prophanent ce qu’il ne faut manier qu’auec reuerence ; & qu’ils dressent à l’idolatrie vn trophée de nos depoüilles ? quelle odieuse lascheté ; puisque fauorisants de leur presence les spectacles qui sont instituez à l’honneur d’vn Idole, c’est toûjours à la gloire du Paganisme, & au mespris du vray Diev, & de la Religion. Certes cette infidelité me fait rougir, & i’ay honte de mettre au iour les foibles arguments dont ils la couurent. Ils n’attendent pas qu’on deffende les spectacles, ils preuiennent eux-mesmes, & demandent hardiment ; qui les peut impreuuer puisque la Saincte Escriture les appreuue ; le Prophete Helie n’a t’il pas mené le chariot d’Israël ; Dauid n’a t’il pas dansé deuant l’Arche d’Alliance à la face de tout son peuple ; ne lisons nous pas qu’aux plus Sainctes réjoüissances on a fait des concerts de voix & d’instruments ; qu’on y a fait retentir les Harpes, les Tambours, les Trompettes, & les Psalterions. Sainct Paul mesme pour nous exciter à l’amour de la Vertu, & à la haine du vice, s’est seruy des termes de luttes, de combats, de courses ; de palmes & de victoires ; pourquoy donc sera t’il moins permis aux Chrestiens d’assister à vne representation qu’aux anciens ; pourquoy leur deffendra t’on des choses que la Saincte Escritute authorise si solemnellement. C’est ainsi qu’ils vont tout glorieux aux Spectacles. C’est ainsi que ces rares interpretes suiuent la lettre des escritures ; bien qu’il leur fust plus seant de n’y auoir iamais étudié que de donner vn sens si contraire à ce qu’elles signifient. Car quelle impudence d’appliquer les Oracles Diuins de la Saincte Escriture à la deffẽce des vices, puisque son intention est de nous en faire conceuoir l’horreur, & de nous porter à l’amour de la perfection Euangelique ; & que si elle a des lieux & des passages qui semblent en quelque façon s’accorder à leurs sentiments, on ne les y a pas couchés en faueur des spectacles, & des Chrestiens qui y assistent : mais au contraire pour nous donner dans leur sens mysterieux la connoissance des fruits que nous en pouuõs tirer, & pour nous animer à l’amour des bonnes choses, puisque les Payens mesmes s’échauffent si fort après des sottises, dont ils ne peuuẽt esperer de gloire, & qui ne leur sçauroient produire que de la peine.

C’est donc prendre les choses du bon costé que d’expliquer ces allegories pour l’amour de la vertu ; puisque dans les saincts Cahiers on les a obseruées si soigneusement à céte seule intention, & non pas pour donner cours à la vanité de ces Spectacles, qui sont les fruits de la superstition payenne ; ouy, la sainte Escriture l’a fait pour allumer on nos cœurs le desir de la perfection euangelique, & nous faire obtenir vn iour les recompenses que le Ciel nous prepare à l’issuë de céte vie, qui ne se peuuent mieux abreger que par les trauaux & les calamitez dont elle est accompagnée. Car si elle nomme Helie le cocher d’Israël, elle n’appreuue pas pour cela les courses du cirq, puisque iamais Helie n’a couru dans céte fameuse academie de la superstition ; & si Dauid a fait des cõcerts de musique, pour adorer le vray Dieu & honorer l’Arche d’alliance, cela ne conclud pas en faueur des Chrestiens qui se meslent parmy les Gentils sur le theatre, & qui s’y font imitateurs de leurs impietez ; puisque iamais Dauid n’a representé les fables & les ordures de la Grece auec des détours & des mouuements impudiques de tout le corps, comme les Athletes dans le cirq. Dauid dans ses rejoüissances, a fait seruir les trompettes, les tambours & les psalterions aux loüanges du vray Dieu ; & non pas d’vn idole. C’est estre donc bien aueuglé que de ne mettre point de difference entre les Spectacles deuots, & les Spectacles impies & malicieux : Mais nostre artificieux ennemy altere tousiours la bonté des choses Saintes, pour authoriser celles qui sont défenduës. Que si la sainte Escriture n’a pas le pouuoir de desabuser vn Chrestiẽ, qu’au moins la honte d’auoir esté si long temps abusé le fasse reconnaistre ; & qu’il ne prophane plus l’Escriture, parce qu’elle est prudente ; elle s’accommode comme vne mere bien auisée à nos infirmitez ; elle donne quelquefois des commãdemens, quelquefois de simples conseils : & souuent ce qu’elle veut défendre est mieux défendu par son silence que par sa voix, quand sa modestie le veut ainsi ; si la verité y paroissoit tousiours nüe, elle auroit changé de nature, ayãt ses nourrissons en si mauuais estime. Car il y a des choses que la Loy des commandemens estouffe dãs le silence, & qui neãtmoins seruent souuent d’instruction bien qu’elles soient défenduës, & d’autres qui semblent oubliées, bien qu’elles soient escrites. La raison doit suppleer au defaut des preceptes, elle nous doit tousiours conduire, & elle dicte assez ce que la sainte Escriture pouroit oublier. Il faut seulement rentrer en nous mesme, & produire des raisonnemens conformes à nostre condition ; ainsi les loix de l’honnesteté seront religieusement obseruées, car les choses qui partent de nous ont beaucoup plus d’efficace quand de tout ce qu’elles sont, elles n’en sont redeuables qu’à elle mesme.

Mais pour reprendre nostre discours ; qu’est-ce que la sainte Escriture défend ? Ie dis qu’elle défend de voir ce qu’elle défend de faire. Elle a condamné les representations, d’autant que par vn certain rapport elles sont attachées aux actions, comme en estants les images. Elle n’a point renuersé l’idolatrie qu’elle n’ait eu dessein d’enseuelir dans vne mesme ruine les fruits qu’a produit céte enragée, céte mere feconde des jeux, des spectacles, de ces monstres de la vanité & legereté des payens. Car a ton quelque spectacle sans auoir vn idole ; voyons nous vn seul des jeux du cirq, qui ne soit accompagné du sacrifice & des effusions ; & quels combats y font les payens qui ne soient dediés à la memoire impie des défunts. Dans céte coniõcture que peut faire vn Chrestien qui doit necessairement estre idolatre, ou n’estre point spectateur. S’il n’a pas dessein d’idolatrer, & s’il abhorre les superstitions, pourquoy allegue t’il en leur faueur l’authorité des Escritures, pourquoy viole-t’il la Sainteté de sa Profession, lors qu’il fait d’vn crime le suiet de ses plaisirs, & qu’il agrée des spectacles & des impietez, dont Dieu n’a iamais permis l’vsage : au contraire, il doit sçauoir qu’ils sont de l’inuention des Diables, qui donnent tousiours aux mauuaises choses le voile de l’innocence. Mais, est-il bien possible qu’vn Chrestien qui exorcise les demons dans l’Eglise, ait l’impudence d’applaudir aux voluptez du theatre qui leur sont consacrées : & apres auoir renoncé genereusement au diable & à ses vanitez dans le Baptesme, courir vistement au spectacle pour y renoncer Iesus-Christ.

L’idolatrie, comme i’ay déja dit, est la mere de tous ces ieux : mais n’osant se declarer ouuertement aux pauures Chrestiens, elle a recours aux artifices pour les y attirer, & surprendre insensiblement, auec les doux charmes de la volupté, leurs yeux & leurs oreilles. Romvle qui ietta les premiers fondemens de céte pompeuse cité, qui porte encor son nom, consacra les premiers leux du cirq au Dieu des conseils surnommé Consus, pour estre aydé de ses conseils dans l’enleuement des Sabines, qui trop curieuses de voir vne Comedie, se veirent la proye d’vn tas de frippons & de bannis que Romule auoit appellés pour peupler sa nouuelle ville. Par succession de temps, & à la poursuite du peuple superstitieux qui estoit cruellement pressé de la famine, on donna naissance aux autres ieux comiques, qui furent dediés les vns apres les autres à la memoire de Baccus, de Ceres, des Morts, des Idoles, des Diables. Tous les Demons president diuersement à ces disputes de course, de force, de vigueur des nerfs, de voix & d’instruments, qui ont pris origine dans la Grece ; les Demons sont arbitres de ces assemblées : Et si l’on recherche soigneusement la source de toutes ces illusions & de ces charmes trompeurs qui gaignent si subtilement la veuë & les oreilles d’vn spectateur, on la découurira dans vn mort, dans vn Idole, ou dãs vn Diable : c’est ainsi que ce rusé aduersaire preuoyant que l’Idolatrie route nuë & sans fard paraistroit mõstrueuse, & qu’elle dõneroit plus d’horreur que d’amour, s’auisa de la reuestir des spectacles, afin qu’auec le foïble plaisir dont ils sont meslés, elle pût cacher sa laideur sous vn visage est ranger. Il n’est pas necessaire de décrire icy la diuersité de tant de ieux & d’inhumains sacrifices, ou la barbarie d’vn Prestre des faux Dieux s’estend le plus souuent sur les mortels. Ce n’est pas assés qu’vn sacrifice soit impie, il faut qu’il soit sanglant. Céte place abominable fume du sang des hommes ; on y épuise les veines de l’innocente victime qu’on sacrifie au plaisir public, on voit sõ sang nager dãs les coupes & les vaisseaux, & on l’offre encor tout chaud à l’idole qui y preside pour le desalterer. Le theatre est en mesme temps vne boucherie, & vn lieu d’ordures ; & l’on esgorge des hommes en suitte des jeux & des passe-temps pour apprendre aux spectateurs, que le fruict qu’ils remporteront de céte veuë sera glorieux, s’ils y ont apris à estre tout ensemble voluptueüx & sanguinaires. Comme si ce n’estoit pas assés à l’homme d’estre aucunement porté de son naturel à la barbarie, sans reueiller encore ses humeurs & ses passiõs, & exciter dans son cœur vne funeste rage par céte leçon publique. On employe ce qu’il y a de plus inhumain dans la nature, pour arracher du corps humain vn leger soufle de vie. On nourrit auec delicatesse les lyõs, les tygres, & les leopards, pour les rendre plus habiles à déchirer les hommes ; & les cruels maistres qui ont le soin de ces animaux, & qui les dressent pour le plaisir des Spectateurs, les animent au carnage par mille artifices, & taschent de les mettre dans le comble d’inhumanité, qui peut-estre leur auoit esté denié par la nature.

Ie fremis d’horreur en céte pensée ; mais l’idolatrie en donne bien d’autres suiets. Car que d’impertinance & de vanité dans les combats du cirq, où l’on void les sottes émulations qu’ont des athletes à paraistre les premiers en addresse & en magnificence, en la beauté des couleurs & des liurées, & en la somptuosité des chariots. Ils attachent tous leurs soins aux haras ; ils sont rauis quand vn cheual a esté bon coureur, abbatus & tristes quand il s’est monstré pesant. Ils espluchent soigneusement tous les defauts d’vne beste, ils calculent ses années, ils s’enquestent de l’âge qu’elle peut auoir, ils consultent ceux qui l’ont dressée, ils recherchent diligemmẽt son histoire & sa genealogie, ils déduisent au long ses ayeuls, ses bysayeuls & son engeance. Sans mentir céte perte de temps est bien honteuse, & toutes ces vaines occupatiõs ne ressentent pas beaucoup son honneste homme. En effet si l’on agite quelque question sur nostre creance ou sur nos mysteres, en presence de ce suffisant, qui vante si haut ses recherches, & qui ne charge sa memoire que des remarques d’vn cheual, de sa race & du cõte de ses années ; si on luy en demande son sentiment, on voit aussi-tost son ignorance, ou s’il en sçait quelque chose, est-il pas bien criminel d’en negliger, ainsi la pratique ? Demandez-luy en-suitte le chemin qu’il a tenu pour arriuer au Spectacle, vous le verrés confus, & forcé d’auoüer que les lieux infames, la conuersation des femmes prostituées, la veuë des débauches publiques, & des nudités scãdaleuses, le deshonneur & l’infamie, & tout ce qui se peut imaginer de lascif & de plus honteux dans vne ville ? ont esté les passages & les conditions qui luy ont frayé le chemin du theatre. Ie ne veux point m’informer s’il a fait du mal en tant de dangereuses occasions, mais le reprendre seulement du hasard où il s’est mis d’en faire ; car au moins a t’il esté tesmoin de beaucoup de méchancetés : & ces mesmes yeux qu’il porte au Spectacle des Idolatres, sont les yeux qu’il a soüillé n’agueres par le rencontre de mille objets impudiques. Est-ce estre Chrestien que de cherir des euenemens si impies & si contraires à son estat ; & peut-on douter qu’il ne fut assez impudent pour porter s’il pouuoit le Saint Esprit dans ces lieux de débauches & d’infamie, puisqu’à l’issuë de la Messe étant congedié auec les autres Chrestiens, selon la coustume de l’Eglise, & bruslant d’enuie d’estre vistement au theatre, il y porté le S. Sacrement qu’il venoit de receuoir, & s’est allé ietter auec ce precieux dépost entre les bras des publiques & prostituées, sans cõsiderer que pour le plaisir criminel d’vn Spectacle, il attire sur soy les vengeances & les chastimens du Ciel.

Passons à ces Comediens qui remplissent la scene d’impuretez & d’ordures ; sans mentir, i’ay honte d’estre icyleur accusateur, & la bien-seance de ma profession me défend de rapporter tous leurs discours, leurs abominations, & leur adresse à bien ioüer toutes sortes de personnages, on y commet mille ordures, on y apprend les intrigues dans les amours, les détours & subtilitez des amants dans leurs poursuittes, les finesses des adulteres pour abuser, le peu de resistance des femmes pour ne l’estre pas, les lasciuetez, les petits discours, les rendez vous, les messages, toutes ces momeries authorisées de l’agreement des impudiques, & ce qui m’estonne le plus, de la presence des plus affairez, des peres de famille, qui quittent froidement leur mesnage pour se treuuer au Spectacle, pour y folastrer, pour y faire les gaillards, & pour y donner à connaistre qu’ils n’ont pas encor esteint les feux de la ieunesse, bien qu’ils ne soient la plus-part que des souches à demi pourries, des stupides, & des hommes pour beaucoup de raisons, sans pudeur & sans honnesteté : Mais ce qui est plus admirable, c’est d’y voir toutes les conditions extremement maltraitées dans les discours, & de n’y voir personne qui en témoigne du ressentiment, qui ne se treuue au Spectacle, & qui ce semble ne tiene à gloire d’y estre ioüé par des insolents. L’infamie est estimée en public, chacun y fait estat du des-honneur ; chacun court à céte fameuse eschole des vices, qui triomphe pompeusement de la honte publique. On se presse pour auoir place dãs vn consistoire de l’impudicité ; de crainte que si on ne commettoit point de mal en public, on fût soupçonné de n’en pas assez commettre, ou dépecher contre les leçons qu’on en fait au Spectacle : car à la face des loix mesme, on enseigne la pratique de tout ce qu’elles défendent. Dans ces lieux où les débauches fleurissent auec excés, quelle posture peut tenir vn Chrestien à qui les seules pensées du vice sont des crimes ; quelle satisfaction a t’il de voir l’impureté dans son throsne ; prend-il plaisir à voir tant d’objets & de marques d’infamie, pour estre puis après moins honteux & plus libertin ; & ne considere t’il point que pour auoir souuent veu faire le mal, on apprend à le faire aussi par coustume.

Au moins les femmes que la misere du viure, & leur malheur reduisent à se prostituer, ont quelque espece d’hõnesteté dans vne extreme infamie ; leur abandonnement est en secret, leurs crimes sont voilez des tenebres, leurs corps se donnent aux débauches dans des lieux retirez : & bien qu’elles ayent vendu leur honte, & que leurs visages ayent quitté céte innocente pudeur qui leur estoit si auantageuse, elles rougissent à tous moments d’apprehension d’estre veuës. Mais icy tous les vices ont quitté le masque, les crimes sont publics, on y passe sous silence, mais bien plustost on y loüe l’impudicité des prostituées, les yeux mesme y sont criminels, car on y estudie les moyens de commettre aussi l’adultere par la vuë. Ainsi les impudicitez, le des-honneur & l’infamie augmentent à veuë d’œil. Ainsi vn hõme qui est souple de tous ses mẽbres quoy qu’il ait le corps affoibly de débauches ; vn hõme qui ne merite pas le nom de fẽme pour ses dissolutiõs ; bref vn ie ne sçay qui, vn voluptueux, vn mõstre en nos iours qui n’est ny hõme ny femme, a biẽ le pouuoir de ietter le desordre dans vne ville, & de donner par ses bouffõneries vn credit absolu aux salles plaisirs & aux fables du temps passé, qu’il fait reuiure dans la scene : C’est de céte façon que nôtre nature defectueuse nous porte à l’amour des choses illicites ; & que les hommes pour authoriser leurs vices recherchent les memoires des anciens afin d’en tirer quelques mauuaises actions qui ont esté la proye de plusieurs siecles, & que l’aage deuroit auoir estouffées, ces squelettes qui sont fraischement sorties de la poussiere & du tombeau, paraissent sur le theatre ; & comme si les voluptez n’auoient pas assez d’empire d’elles mesmes, on expose aux Spectateurs ces exemples de l’impudicité de nos ancestres, pour leur en donner dauantage. Ie ne puis souffrir que les Chrestiens, au lieu de condamner ces spectacles y donnent leur attention ; & ils ne sçauroient sans faire tort à leur condition, porter la veuë sur les actions bouffonnes de certains charlatans qui ont appris des Grecs l’art d’imiter toutes sortes de voix pour le plaisir des oreilles ; quel agreement y a t’il dans ces sots exercices. L’vn fait exprimer à sa trompette vn son guerrier & enroüé, & l’autre fait exprimer à sa flute des voix plaintiues ; vn autre voulant accorder vn instrument auec la voix delicate d’vn homme, emplit le corps du sien de l’air qu’il a premierement attiré dans ses poulmons ; il se peint la face à force d’y souffler, & puis retirant par les pertuis l’air qui s’y est gardé quelque temps, & entrecouppant le son à diuerses reprises, il tasche de donner à ses doigts l’vsage de la parolle : Et bien qu’il forme seulement des voix inarticulées, n’est-il pas bien m’éconnaissant de renuerser ainsi les ordres du createur, qui pour parler ne luy a pas dõné les doigts mais la langue. Chacun de ces badins veut paraistre habil-homme, & ce seroit perdre le temps de mettre au iour toutes leurs façons de faire. Leur corps y contribuë ses plus violents efforts, & s’ils crient ou s’ils declament c’est auec vne contention de tous les nerfs, & des eslancemens si excessifs, qu’à les voir on diroit qu’ils se vont rompre vne veine. Mais quand tous ces jeux ne se celebreroient point à l’honneur des Idoles, des Chrestiens ne deuroient pas s’y trouuer, ils ne deuroient pas cherir des diuertissemens, qui pour estre exempts de crime ne sont pas exempts de vanité, & dont le pompeux appareil a trop de la liberté du siecle. Car ceux qui gaignent leur vie aux dépens de leurs jouës qu’ils exposẽt aux coups & aux soufflets, sont ils pas bien fous de viure ainsi sur le plaisir du peuple, à qui ils se donnent eux mesme en spectacle ; & ceux qui lient entre eux vne partie de manger auec excés, & qui en disputent publiquement la gloire, après s’y estre disposez par vne diette extréme, & qui surpasse ce semble les forces de nostre nature ; sont-ils dignes de loüange ? Ce jeu est bien plaisant, la loy en est, que celuy qui par vne excessiue abstinence a mieux combattu la faim, soit desia victorieux par auance ; & la qualité heroïque d’estre plus grand mangeur que les autres, est le prix de la victoire. Certes les pratiques de ceux-cy sont bien criminelles ; & des autres, ie ne sçay comment ils veulent acheter le viure si cherement, que de l’acheter en prostitüant honteusement leur visage.

Que i’ay encor en horreur le jeu infame des lutteurs. On voit des hommes, qui pour paraistre bien soupples & adroits, taschent par mille détours lascifs de s’abbatre l’vn l’autre, se liants par des embrassements si sales, que les plus dissolus ont honte de les voir faire ; en effet si quelqu’vn y a de l’auantage sur son aduersaire, la victoire est bien honteuse puisque la honte en fait vne partie, & que la déshonnesteté y est en triomphe. On void mille autres extrauagances dans le Spectacle. Les vns tous nuds se picquent d’adresse à bien sauter ; les autres à battre bien l’air auec vn balon d’airin, ayans ramassé toutes leurs forces dans les poings, afin de pousser plus loin céte lourde machine. On estime gloire ce qui est vne pure folie ; & de moy i’estime qu’vn Spectateur seroit bien sage s’il reconnaissoit la vanité de tous ces exercices. Les Chrestiens sont criminels s’ils ne les fuyent, il les faut abhorer, puisque tant d’impietés & de superstitions, & tout ce superbe équipage des spectacles seruent seulement à rendre l’idolatrie plus pompeuse & mieux suiuie. Nos yeux & nos oreilles doiuent s’appliquer aux bonnes choses, & ne point gouster toutes ces libertes ; nos ames agissent le plus souuent par ces deux puissances, & quand on est prõpt à escouter le mal, on s’habituë promptement à le commettre. Nous y sommes naturellement portés plustost qu’au bien ; nous auons vne secrette inclination pour les vices ; & partant que peut faire vne ame qui les prend pour exemples, & qui se conduit par les saillies d’vne nature lubrique & corrompuë ; & si estant foible de soy-mesme, elle glisse aisément ; comment pourra-t’elle s’empescher de choir estant poussée d’ailleurs ?

Nous auons des esprits trop releués pour les abbaisser à des choses si viles & méprisables. Vn Chrestien doit preferer les loüables occupations à l’oysiueté du theatre ; & si les spectacles ont attiré ses inclinations, il y en a de plus beaux dans la nature que ceux de la gentilité, & il aura dans leur entretien les vrays & solides plaisirs. Car sans luy descouurir ces Spectacles surnaturels, ces beautés celestes & rauissantes, qui luy seront cachées tant qu’il viura ; ie veux exposer à sa veuë céte vaste machine du monde, qui est remplie de tant de merueilles. Qu’il porte donc ses yeux & son admiration vers le Ciel, & qu’en suitte d’vn tout si accõply il décẽde aux parties. Il verra le Soleil, cet Astre lumineux qui diuise les iours & les nuits, qui no9 iette ses lumieres, foiblemẽt quand il se leue, auec vigueur sur le midy, pour nous les dérober enfin sur le soir, & faire place par sa retraite à la nuit. Alors il pourra dans ce profond silence admirer à loisir le globe de la Lune, ce beau corps qui nous fournit la clarté au defaut du premier, & qui par le cours & decours, nous donne auec la distinction des mois, la cõnaissance des saisons. Parmy ces tenebres il sera esclairé d’vne infinité de celestes flambeaux, il verra les estoilles errantes & mobiles, il verra les fixes, il verra tous ces beaux astres qui semblent amener vn nouueau iour. Qu’il admire en suitte la diuision des années en saisons, des saisons en mois, des iours & des nuits que les heures partagent si iustement. Qu’il jette en après les yeux sur la terre, dont la masse est comme vn point enuironnée du Ciel, & suspenduë auec les montagnes qui luy sont attachées. Il ne pourra voir sans s’estonner, les eaux & les fleuues, qui d’vn cours precipité se vont perdre les vns dans les autres ; les mers & leurs reflus, leurs ports & leurs promontoires. Il raisonnera en passant sur l’vnion qui est entre les choses naturelles, il verra qu’elles conspirent vnaniment par des secrets diuers & ocultes, à accomplir les ordres de cette adorable prouidence. Au dessus de nous & plus bas que le Ciel il verra l’air auec ses regions, qui eschauffe & vegete la terre, qui a vn soin particulier de sa nourriture & de ses productions, qui se resserrant luy ouure ses canaux & fait creuer les nüées pour luy donner la pluye quand elle en a de besoin, & qui vne autre fois se dilate, se rarefie, & r’appelle sa premiere serenité pour luy donner le beau-temps, & ne rien oublier de ce qui peut estre à son soulagement. Bref il verra les parties du mõde frequentées par diuer habitans, les hommes sur la terre, les oyseaux dans l’air, & les poissons sous les eaux.

Que ces Spectacles sont rauissants, veritablement ils meritent seuls la meditation d’vn Chrestien, car quel cirq ou quel theatre peut disputer de gloire & de beauté auec toutes ces merueilles ? C’est assez de dire que Dieu en est l’ouurier, & que les hommes ont esleué les autres, dont les embellissemens & la structure qui nous semble prodigieuse, ne sont autre chose qu’vn assemblage confus, & vn peu curieux des pierres qu’on a arrachées du sein des carrieres & des montagnes. Et tous ces beaux lambris, dont l’or & les richesses surprennent les yeux vn peu foibles, que sont ils aupres du vif esclat des Astres. Iamais les ouurages des hommes ne donneront de l’admiration à vn Chrestien qui sçait que Dieu l’a choisi pour son enfant. Celuy qui n’a des yeux que pour admirer la creature sans le Createur, fait tort à sa generosité, & à la grãdeur de sa naissance. On peut bien estre Chrestien & aymer les Spectacles, mais il les faut rechercher dans l’Escriture sainte, c’est ainsi qu’vn fidelle pourra satisfaire sa curiosité sans deroger à sa foy. C’est-là qu’il verra Dieu qui crea le monde d’vn rien, qui donne l’estre à ce qui n’en auoit point, & qui destine vne infinité d’animaux à l’vsage de l’homme, qu’il tire aussi du neãt pour en faire vn chef-d’œuure accomply. Il contemplera les hommes dans leur ingratitude, & dans vn deluge de crimes, pour les voir en après enseuelis dans le deluge des eaux. Il verra les naufrages en suite de la vengeance diuine ; il verra les recompenses en suite des sainctes actions, & les chastiments en suite des impietés & des mauaises œuures. Il verra toutes les creatures soumises au Createur, excepté l’homme seul qui luy est rebelle, il verra les mers se resserrer & estre à sec pour la commodité du peuple esleu ; & pour le soulager vne autrefois, il verra les eaux reiaillir en abondance des pierres & des rochers. Il verra le Ciel fournir au defaut des greniers la mãne & les moissons, & les fleuues suspendre leur cours rapide & remonter ce semble vers leur source, pour donner le passage libre sur leur sable. Il verra que les Saints personnages, dont la vie a esté tousiours conduitte par la Foy, & par les vrays preceptes de la vertu, n’ont rien trouué d’impossible ; qu’ils ont hardiment combattu l’actiuité des flammes & du feu, & donné des loix à ce fier élement ; qu’ils ont appriuoisé, & adoucy les bestes farouches, les dépoüllants de l’inhumanité dont elles ont esté pourueuës par la nature. Il verra reuiure ceux qui estoient morts ; bien plus il verra des squelettes décharnés, & quasi pourris sortir des tombeaux pleins de vie. Et pour la derniere face du Spectacle, il verra le diable qui auoit reduit sous sa dominatiõ toute l’estenduë de la terre habitée, captif aux pieds de Iesvs-Christ, & contraint de reuerer ses loix, & d’orner le triomphe de sa croix, de ses propres dépoüilles. Ces Spectacles (mes freres) sont curieux & diuertissants, ils sont seuls dignes de vous, & c’est vn plaisir indicible de les aimer, ainsi que c’est vne necessité d’ouurir les yeux à l’esperãce & au salut. Ces Spectacles sont bien plus illustres que ceux des payens, puis qu’estans destinés au plaisir de l’ame, la priuation des yeux corporels n’en peut oster la jouïssance. En fin ils nous sont tousiours presents, & nous n’en auons point l’obligation à vn Preteur ou à vn Consul eschauffé à monstrer au peuple sa magnificence par le superbe appareil d’vn spectacle ; mais à ce Souuerain Monarque, à cette infinie Majesté, à Dieu Eternel, Tout-puissant, Createur, qui est deuant tout & dessus tout, Pere de nostre Sauueur Iesvs-Christ, que nous deuons aimer & adorer à iamais.