(1772) Spectacles [article du Dictionnaire des sciences ecclésiastiques] « Spectacles. » pp. 150-153
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(1772) Spectacles [article du Dictionnaire des sciences ecclésiastiques] « Spectacles. » pp. 150-153

Spectacles.

Dans l’usage ordinaire, on entend par le mot de spectacles tous les divertissemens que l’on donne au public, & plus particulierement les représentations du théâtre, opéra, comédie, tragédie, tragi-comédie, pastorale, ballets, &c. Quelques-uns attribuent l’origine des spectacles à la politique des Grecs, qui les inventerent, disent-ils, pour amuser les gens oisifs, & les empêcher de former des cabales contre l’état. D’autres prétendent que les spectacles doivent leur origine à la lie du paganisme, & que la premiere comédie commença par des danses & des chansons, qui se faisoient dans Icarie, bourg d’Athenes, autour d’un bouc qu’Icare avoit tué dans une vigne de Bacchus, dont il gâtoit les fruits. Quoi qu’il en soit, le but, le propre objet des spectacles, n’est autre que d’exciter, de nourrir & d’enflammer les passions, l’orgueil, l’ambition, la haine, la colere, la vengeance, & sur-tout l’amour profane qui paroît sur le théâtre comme une noble foiblesse, & avec tous les agrémens les plus capables de l’inspirer. Sur le théâtre paroissent encore des Acteurs & des Actrices, dont tout l’art consiste à transporter aux spectateurs les mouvemens vicieux qu’ils éprouvent, par des discours séduisans, une musique lascive, des chants mous & efféminés à la louange des Dieux & des demi-Dieux des Payens, des gestes expressifs, des peintures naïves, des portraits parlans & animés, des parures riches, pompeuses, immodestes & plus ou moins indécentes, suivant que l’exige la scene. Voilà ce qui se voit sur le théâtre, & ce qui l’a fait condamner comme une source de mille désordres, non-seulement par les Conciles & les Peres de l’Eglise, mais aussi par les Payens, & par ses propres partisans revenus à eux-mêmes.

L’an 400, après la fondation de Rome, les Censeurs ayant proposé au Sénat de faire construire un théâtre de pierre, le grand Scipion représenta que les spectacles corromproient infailliblement les Romains ; & sur sa remontrance qui ne se vérifia que trop dans la suite, le Sénat fit vendre aussi-tôt les matériaux préparés pour la construction du théâtre.

Ovide, dans sa fameuse apologie adressée à l’Empereur Auguste, avoue que les jeux sont des semences de corruption, & il exhorte ce Prince à supprimer les théâtres. Ut tamen hoc fatear : ludi quoque semina prabeant nequitia : tolli tota theatra jube. Trist. l. 2.

Seneque, epist. 7, soutient que rien n’est plus contraire aux bonnes mœurs que d’assister à quelque spectacle ; que l’ame s’y trouvant séduite par le plaisir, reçoit aisément les méchantes impressions du vice ; & tout Stoïcien qu’il étoit, il avoue qu’il en sortoit plus avare, plus ambitieux, plus porté au plaisir & au luxe. Nihil verò tàm damnosum quàm in aliquo spectaculo desidere : tunc enim per voluptatem faciliùs vitia surrepunt. Quid me existimas dicere ? avarior redeo, ambitiosior, luxuriosior.

Tacite, rapporte dans ses annales, liv. 4, ch. 8, les plaintes que faisoient les plus sages d’entre les Romains, lorsqu’on alla chercher en Grece des Comédiens pour les amener à Rome. On va achever de ruiner , disoient-ils, ce qui nous reste encore des bonnes mœurs de nos ancêtres, qui sont si fort altérées.

Solon, ce célebre Législateur d’Athenes, s’opposa à l’établissement des spectacles, en disant que si on les toléroit, on les verroit bientôt contredire les loix & corrompre les mœurs ; & Plutarque attribue la corruption & la perte de cette république à sa fureur pour les spectacles. Ils n’étoient point soufferts à Lacédémone, & ils ne le sont point encore aujourd’hui à Geneve ; les Comédiens qui oseroient s’y établir, en seroient chassés comme des corrupteurs. Tacite assigne l’opposition des Germains pour les spectacles, comme l’une des causes de la pureté de leurs mœurs : nullis spectaculorum illecebris corrupti . Tacite, lib. de more German.

L’illustre Prince de Conti, M. le Duc de la Rochefoucault, Bussy-Rabutin, la Bruyere, Racine, & beaucoup d’autres qui en avoient fait l’expérience, ont tous écrit que les spectacles sont dangereux, séduisans, corrupteurs, & qu’il est impossible d’aimer la comédie & l’opéra, si on n’a jamais eu d’amour ni d’autre passion. Le fameux Riccoboni, qui avoit monté cinquante ans sur le théâtre, le regardoit comme l’école des mauvaises mœurs & de la corruption, & ne pouvoit s’empêcher d’avouer que rien ne seroit plus utile que la suppression entiere des spectacles.

Mais, dit-on, l’Ecriture ne défend point les spectacles. Les saints Peres ne les condamnent que par rapport à l’idolâtrie, aux superstitions & aux impuretés grossieres qui y régnoient de leur tems. Le théâtre moderne est pur & modeste. Il est même une école de vertu, dont on fait l’éloge avec la censure du vice. On va aux spectacles sans mauvais dessein, & sans mauvais effet. Les puissances ecclésiastiques & séculieres permettent les spectacles. Ils sont permis surtout en Espagne & en Italie, de l’aveu & sous les yeux des souverains Pontifes. Telles sont les frivoles raisons qu’on allegue communément pour justifier les spectacles.

L’Ecriture, dit-on, ne défend point les spectacles. Il est vrai que l’Ecriture ne condamne point formellement la comédie, l’opéra, ni les autres semblables spectacles, parce qu’elle ne les nomme point expressément. Mais l’on peut dire avec vérité que l’Ecriture toute entiere est une condamnation implicite & continuelle des spectacles, puisqu’elle condamne jusqu’à un geste, un clin-d’œil, une parole inutile, & qu’elle ne parle par-tout que de gêne, de contrainte, de violence, de renoncement au monde & à toutes les choses du monde, de sacrifices, de pénitence, de mort à soi-même, de modestie, de recueillement, de retraite, de silence, de suite des occasions du péché & des passions. Quoi donc ! l’Apôtre saint Jean, ép. 1, ch. 11, v. 15 & 16, ne condamne-t-il pas les vains plaisirs du théâtre, lorsqu’il défend aux Chrétiens l’amour du monde comme incompatible avec celui de Dieu ; parce que tout ce qu’il y a dans le monde n’est que concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, & orgueil de la vie ? où voit-on cette triple concupiscence plus triomphante qu’au théâtre ? l’Apôtre saint Paul, Ephes. 4, 5, ne défend-il pas les théâtres, lorsqu’il interdit aux Chrétiens jusqu’à la moindre parole indécente ou boufonne ? Voici un trait dans l’Ecriture qui regarde encore les spectacles le plus près. Nous lisons, au ch. 4 du second livre des Machabées, que Jason qui s’étoit emparé du souverain pontificat, voulant pervertir entierement le peuple juif, ne trouva pas de moyen plus efficace pour réussir, comme il ne fit que trop dans son malheureux dessein, que d’établir à Jérusalem les spectacles de la Grece.

Les saints Peres ne condamnent les spectacles que par rapport à l’idolâtrie, aux superstitions & aux impuretés grossieres qui y régnoient de leur tems. Les saints Peres condamnent les spectacles non-seulement par rapport à l’idolâtrie, aux superstitions & aux impuretés grossieres, mais encore par la raison générale que les spectacles mêmes où il n’y a ni idolâtrie, ni superstition, ni impureté grossiere, sont néanmoins très-dangereux ; qu’ils excitent les passions, & qu’ils portent à la corruption des mœurs. Laissons-là l’idolâtrie , disoit Tertullien, lib. de spectac. cap. 14, … examinons–en la question par d’autres raisons comme de surcroît. Après cet examen, Tertullien conclud à la condamnation des spectacles, parce qu’ils excitent les passions, qu’ils sont contraires aux dons du Saint-Esprit, incompatibles avec les engagemens contractés dans le baptême, & à l’obligation qu’ont tous les Chrétiens de rapporter à Dieu toutes leurs actions, & de vivre dans une disposition continuelle de priere, d’attention, de vigilance & de pénitence. Les autres Peres, & sur-tout Salvien, l. 6, de Provid. qui vivoit dans un pays où l’idolâtrie ne régnoit plus, employent les mêmes raisons & d’autres semblables pour condamner les spectacles. On sait comment saint Augustin déplore dans ses confessions le penchant funeste qu’il avoit eu pour les spectacles mêmes où il n’y avoit ni idolâtrie, ni obscénité.

Le théâtre moderne est pur & modeste. Ceux qui ont comparé le théâtre de Racine, des deux Corneilles, de Moliere, &c. avec celui d’Euripide, de Sophocle, de Ménandre, de Séneque, de Plaute, de Terence, &c. conviennent que le premier l’emporte sur le dernier pour le danger, & le trouvent plus propre à corrompre le cœur. La pureté prétendue qu’on attribue au théâtre moderne, n’est donc tout au plus qu’une pureté, apparente, qui n’adoucit les images du vice que pour le faire recevoir avec plus de facilité, en le rendant moins affreux, & par conséquent moins haïssable. C’est une gaze légere qui laisse appercevoir d’une maniere plus piquante, ce qui présenté trop à découvert, ne manqueroit point d’allarmer & de choquer. C’est une coupe d’or, dit saint Augustin, dans laquelle des Docteurs ivres font boire avec plaisir le vin empoisonné de leurs dissolutions. En un mot, le théâtre le plus épuré n’est autre chose que l’art réduit en pratique de farder les passions, pour les inspirer plus sûrement, & les faire triompher avec moins de peine des résistances de la pudeur. C’est le langage même, c’est la peinture des passions, mais peinture fine, naïve, pathétique, animée, & dont les traits délicats n’en sont que plus dangereux. Tout ce qu’on y voit, & tout ce qu’on y entend, parures, décorations, gestes, attitudes, mouvemens, discours, entretiens, chants, larmes, soupirs, privautés, déclarations, intrigues, liens rompus & renoués, tout ne tend qu’à plaire, à toucher, à ravir, à charmer, à transporter. Quand tous les autres désordres seroient bannis des spectacles, le systême fabuleux qui y regne, & les termes sacrileges de divinités, d’hommages, de culte, d’encens, de vœux, d’adoration, qu’on y prodigue à d’infames créatures ; cet abus suffiroit seul pour les faire condamner absolument ; ce n’est pas moins qu’une idolâtrie spirituelle, qui met la créature à la place du Créateur par le plus monstrueux de tous les attentats.

Le théâtre est une école de vertu. « Oh, la belle école, en effet, s’écrie Ciceron (Tuscul. l. 4.) que la comédie & la tragédie ! si on en ôtoit tout ce qu’elle offre de vicieux, il n’y auroit plus de spectateurs. »  Je n’ai jamais entendu , dit M. de Fontenelle à ce sujet, la purgation des passions par le moyen des passions mêmes. Voici l’aveu public qu’a fait sur le même sujet M. de la Motte dans son discours sur la tragédie : Nous ne nous proposons pas d’éclairer l’esprit sur le vice & la vertu en les peignant de leurs vraies couleurs. Nous ne songeons qu’à émouvoir les passions par le mêlange de l’un & de l’autre ; & les hommages que nous rendons quelquefois à la raison, ne détruisent pas l’effet des passions que nous avons flattées. Nous instruisons un moment, mais nous avons long-tems séduit ; & quelque forte que soit la leçon de morale que puisse présenter la catastrophe qui termine la piece, le remede est trop foible & vient trop tard. Bayle, cet écrivain si fameux par les indécences & les impiétés répandues dans ses ouvrages, & si cher aux libertins par ces endroits, Bayle lui-même se moque de ceux qui disent fort sérieusement que Moliere a plus corrigé de défauts à la cour, lui seul, que tous les Prédicateurs ensemble ; & il assure qu’il ne croit nullement que la comédie soit propre à corriger les crimes & les vices de la galanterie criminelle, de l’envie, de la fourberie, de l’avarice, de la vanité, de la vengeance, de l’ambition, &c. Le théâtre, quelque épuré qu’on le suppose, est donc la véritable école des vices & des passions ; & la censure du vice, jointe à l’éloge de la vertu qu’on voit à la fin de quelques comédies, est un foible antidote contre le poison qu’on a bu avec délices durant toute une piece dans une délicate & séduisante peinture. Quels sont les héros des pieces mêmes où l’amour profane ne regne pas perpétuellement ? un usurpateur, un tyran, un fanatique, un rebelle, un emporté, un furieux, un vindicatif, dont on présente les sentimens poussés à leur dernier période, comme des effets de la grandeur d’ame. Voilà les leçons de vertu qu’offre aux spectateurs avides le plus chaste & le plus épuré théâtre.

On va aux spectacles sans mauvais dessein & sans mauvais effet. Quand cela seroit, on feroit toujours mal d’y aller, parce qu’en y allant on viole les loix de Dieu & de l’Eglise, & qu’on s’expose au danger sans raison ; ce qui est toujours mal. Mais d’où vient l’insensibilité de ceux qui disent qu’ils n’éprouvent rien de mauvais aux spectacles ? n’est-ce pas de ce qu’ils ont des passions plus fortes que celles qu’on y représente, & qu’ils sont si corrompus, que les spectacles ne trouvent plus rien à faire en eux ?

Mais est-il bien vrai qu’on va aux spectacles sans en ressentir aucun mauvais effet ? eh ! que sont donc ces émotions, ces troubles, ces attendrissemens, tant d’autres impressions également vives & touchantes, tant d’autres mouvemens que le cœur éprouve dans le cours d’un spectacle, & qui continuent, & qui reviennent si souvent long-tems après la piece ? Ecoutons l’auteur des réflexions sur les principales vérités de la religion, imprimées à Paris chez Charles-Maurice d’Houry, en 1726, in-12. « Je vous conjure, dit cet auteur, d’éviter les spectacles, & d’en éloigner tous ceux pour qui vous vous intéressez. Tout ce qui s’y fait est la mort de l’ame ; ce ne sont point des divertissemens, ce sont des meurtres, ce sont des sources de crimes & de remords, avant-coureurs de l’enfer. Les passions humaines débitent sur le théâtre les maximes du démon. On prend le cothurne, on se pare avec des habits magnifiques, pour retracer dans l’esprit des hommes la mémoire des crimes passés. On y représente des incestes & des parricides qui devroient être ensevelis dans un éternel oubli. Il semble qu’on craint que les hommes venant à oublier ces forfaits ne fussent plus tentés de les commettre. Ces crimes ne sont plus ; mais on veut qu’ils puissent encore servir de modeles : on prend plaisir à voir ces spectacles impurs, parce que l’on aime à voir ce que l’on a fait & à apprendre ce que l’on peut faire. On y fait des leçons publiques d’impureté. Une femme y étoit entrée vertueuse, elle en sort le crime & l’adultere dans le cœur. Et n’est-ce pas de-là que naissent tant de désordres dans les familles, tant de divisions & de querelles, tant de guerres intestines ? on rentre chez soi avec un cœur blessé, qui porte encore le trait empoisonné ; on a perdu le goût de la vertu & de la pudeur ; les plaisirs légitimes deviennent insipides ; le crime devient un assaisonnement nécessaire pour les rendre agréables & piquans ; on méprise tout ce qui ne porte pas écrit sur le front le caractere du vice, tout ce qui n’est pas marqué au sceau du démon. On n’ose découvrir ses propres sentimens ; on n’ose montrer ses plaies, mais on affecte une indifférence extrême ; on cherche divers prétextes pour s’éloigner de ce qui est permis ; on prête une oreille attentive à la voix de la volupté qui semble encore se faire entendre ».

Les puissances ecclésiastiques & séculieres permettent les spectacles. Non, les puissances ecclésiastiques & séculieres ne permettent point les spectacles ; elles les tolerent seulement, comme elles tolerent les femmes perdues d’honneur, & une infinité d’autres maux qu’elles ne peuvent empêcher. Aaron , dit S. Augustin, (ep. 43, ad Glorium, Eleusium, nov. edit.) ne tolera-t-il pas la multitude qui s’oublia jusqu’au point de demander une idole, de la fabriquer & de l’adorer ? Moyse ne toléra-t-il pas ce grand nombre d’Israélites qui murmuroient contre Dieu ?… Samuel ne toléra-t-il pas les enfans d’Heli, quelque corrompus qu’ils fussent, & les siens mêmes, qui ne l’étoient pas moins ? Isaïe n’a-t-il point toléré ceux à qui il fait tant de reproches ?… Jesus-Christ même a toléré Judas, c’est-à-dire, un démon, un voleur, un traître… Les Apôtres ont toléré les faux Apôtres. Enfin Dieu même loue le Pasteur d’une Eglise de ce qu’encore qu’il fût plein de haine pour les méchans, il les supportoit pour le nom de Jesus-Christ.

Les spectacles sont permis sur-tout en Espagne & en Italie, de l’aveu & sous les yeux des souverains Pontifes. Les spectacles ne sont pas plus permis en Espagne & en Italie que par-tout ailleurs. Le Cardinal d’Aguirre, qui fut long-tems Professeur en Théologie à Salamanque, parle avec force contre les spectacles dans sa grande collection des Conciles d’Espagne, & cite un grand nombre de Docteurs espagnols, qui les condamnent. Tels sont entr’autres Mariana, de spect. cap 12. Gonzalès, dans son commentaire sur les decretales. Bulenger, liv. 1 de circo, cap. 52. Amaya, de lege unic. cap. de venat. ferarum. Mendoza, quæst. 9 quodlib. &c. Escobar, qui écrivoit aussi en Espagne, porte l’horreur des comedies jusqu’à ne point approuver qu’on en souffre dans un état. Pour ce qui est de l’Italie, nous ne pouvons produire un monument ni plus récent, ni plus fort, ni plus certain, des sentimens des souverains Pontifes touchant les théâtres, que le traité latin des spectacles, imprimé à Rome en 1752, par le célebre Pere Concina, Dominicain. Ce savant Religieux nous apprend trois choses dans cet excellent traité. La premiere, qu’il l’a composé à la persuasion du Pape Benoît XIV. dont les lumieres sont connues de toute l’Europe ; la seconde, que le même Pape a donné le premier janvier de l’an 1748, une déclaration authentique, par laquelle il proteste à tout le monde qu’il ne tolere les spectacles qu’à regret ; la troisieme, que le même Pape encore combat les spectacles dans ses différens ouvrages. Nous apprenons d’ailleurs que le même Pape a diminué le nombre des théâtres à Rome.

Il faut conclure de tout ce que nous avons dit, qu’aller aux spectacles est un péché mortel de sa nature, & qu’on peche en effet mortellement lorsqu’on y va de son propre mouvement, & sans nécessité, par goût, par inclination, par choix.

Lorsque les spectacles sont une occasion prochaine de péché mortel, quoiqu’on ne s’y trouve qu’à regret & par nécessité : c’est, dis-je, un péché mortel dans ce premier cas, 1°. parce qu’on autorise les acteurs par sa présence ; 2°. parce que l’on contribue à leur entretien, & que l’on coopere par conséquent au péché qu’ils commettent en représentant : s’il n’y avoit point de spectateur, il n’y auroit point d’acteur ; 3°. à cause du scandale ; 4°. à cause de la perte du tems ; 5°. par rapport au mauvais emploi de l’argent, qui est dû aux pauvres, s’il est superflu, ou aux autres besoins, s’il est nécessaire ; 6°. parce qu’on s’y expose presque toujours à l’occasion prochaine, & au danger presqu’inévitable d’offenser Dieu ; 7°. parce qu’en s’exposant ainsi à l’occasion prochaine de pecher, on tente Dieu ; 8°. parce qu’on fait une action que l’on ne peut rapporter à Dieu, & qui est directement contraire à l’esprit du christianisme, qui est un esprit de vigilance, de priere, de recueillement, de pénitence ; 9°. parce qu’on viole les loix de l’Eglise, qui condamnent les spectacles & ceux qui les représentent. C’est aussi un péché mortel d’aller aux spectacles, quoiqu’on y aille à regret & par nécessité, lorsqu’ils sont pour ceux qui les fréquentent une occasion prochaine de péché mortel, parce qu’il n’est jamais permis de s’exposer à ces sortes d’occasions. Mais lorsqu’on ne va aux spectacles que par pure nécessité, & par l’engagement indispensable de son état ; qu’on n’y commet aucun mal, & que l’on ne s’expose pas même à l’occasion prochaine d’en commettre aucun, il n’y a point de péché, ou il n’y a tout au plus qu’un péché véniel, selon plusieurs Théologiens, quoique fort rigides d’ailleurs. Tels sont entr’autres l’auteur de la morale sur l’oraison dominicale, (liv. 1, pag. 155.) & M. Arnauld, qui dit expressément qu’il ne voudroit pas condamner de péché mortel les personnes qui n’auroient été aux spectacles que par la nécessité & dans les circonstances dont nous parlons ici. Tels sont les Officiers d’un Prince, & les autres personnes qui sont obligés de suivre leurs Maîtres ou Maîtresses ou de mener leurs enfans aux spectacles. Voyez la réponse de ce Docteur à la consultation que lui fit sur ce sujet & sur quelques autres difficultés, M. Treuvé, le 24 août 1684. Voyez aussi saint Charles Borromée, dans ses instructions pour les Confesseurs ; M. Bossuet, traité de la comédie ; M. Nicole, traité de la comédie ; Mgr. le Prince de Conti, traité de la comédie ; Le Pere le Brun, de l’Oratoire, traité de la comédie ; M. Dupin, biblioth. eccl. dix-septieme siecle, part. 6, pag. 367 & suiv. La théorie & pratique des Sacremens, tom. 2, pag. 421 & suiv. MM. Pontas, de Lamet & Fromageau, au mot Comédie ; le Pere Concina, traité latin des spectacles ; lettre de M. DES P. DEB. Avocat au Parlement, à M. le Chevalier DE… sur les spectacles, imprimée à Paris chez la veuve Lottin, & J. H. Butard, rue S. Jacques, à Paris 1756 ; la lettre de M. Bordelon, où il fait voir que l’aumône exigée pour l’Hôpital général, de ceux qui vont aux spectacles, ne les justifie point ; réfutation d’un écrit favorisant la comédie, in-12. à Paris, chez Edme Couterot 1694 ; lettre d’un Docteur de Sorbonne à une personne de qualité, au sujet de la comédie, in-12. à Paris, chez Claude Mazuel, 1694 ; sentimens de l’Eglise & des saints Peres sur la comédie & les comédiens ; le mandement donné par M. l’Evêque d’Arras, (Gui I. de Seve de Rochechouart) contre la comédie, par lequel il défend, sous peine d’excommunication, à tous les Fideles soumis à sa conduite, d’aller à la comédie, in-12. à Paris, chez Pierre Ballard, 1696 ; histoire & abrégé des ouvrages latins, italiens & françois pour & contre la comédie & l’opéra…. où l’on conclud qu’on ne peut aller à la comédie sans pécher, in-12. à Orléans, 1697 ; l’écrit de M. Rousseau de Geneve, intitulé, J. J. Rousseau, citoyen de Geneve, à M. Dalembert, sur son article Geneve, dans le septieme volume de l’Encyclopédie, & particulierement sur le projet d’établir un théâtre de comédie en cette ville, à Amsterdam, chez Marc-Michel Rey, 1758. Voyez aussi l’article 17, pag. 233, des maximes pour se conduire chrétiennement dans le monde, par M. l’Abbé Clément, Aumônier & Prédicateur ordinaire du Roi de Pologne, Duc de Lorraine & de Bar, Prédicateur du Roi, & Doyen de l’église collégiale de Ligny, imprimées à Paris en 1753, chez Hyppolite-Louis Guerin & Louis-François Delatour. Ce célebre Orateur, après avoir prouvé qu’il n’est point permis d’aller aux spectacles, & qu’il n’y pas un Philosophe ancien, soit grec, soit romain, qui n’ait regardé les spectacles, comme la source de tous les désordres, rapporte ce beau trait d’une illustre Princesse, dont toute la France a pleuré & pleurera long-tems la mort prématurée, (Madame Anne-Henriette de France.) « Cette auguste Princesse, dit M. l’Abbé Clément, disoit un jour à une personne qu’elle honoroit de quelque confiance, qu’elle ne concevoit pas comment on pouvoit goûter quelque plaisir aux représentations du théâtre, que pour elle c’étoit un vrai supplice. La personne, à qui elle parloit ainsi, ne put s’empêcher d’en marquer de l’étonnement, & prit la liberté de lui en demander la raison. Je vous avoue, répondit la Princesse, que quelque gaie que je sois en allant à la comédie, si-tôt que je vois les premiers acteurs paroître sur la scene, je tombe tout-à-coup dans la plus profonde tristesse ». Voilà, me dis-je à moi-même, des hommes qui se damnent de propos délibéré pour me divertir. Cette réflexion m’occupe & m’absorbe toute entiere pendant le spectacle. Quel plaisir pourrois-je y goûter ?

Que ces sentimens sont beaux, & qu’ils peignent admirablement la religion de la pieuse Princesse qui les exprime ! qu’ils sont dignes de la fille du Roi très-Chrétien & de l’auguste Reine, qui honore bien davantage, par le lustre de ses vertus, le premier trône de l’univers sur lequel elle est assise, qu’elle n’en reçoit d’honneur par l’éclat qui l’environne.