(1760) Sur l’atrocité des paradoxes « Sur l’atrocité des paradoxes —  PRÉFACE. » pp. -
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(1760) Sur l’atrocité des paradoxes « Sur l’atrocité des paradoxes —  PRÉFACE. » pp. -

PRÉFACE.

Le motif qui me fait écrire n’est pas celui de contrarier par partie de plaisir : cette soif méprisable ne m’a point guidé : je me suis consulté avant d’entrer dans cette carrière dangéreuse où tant d’autres ont échoué …

J’en vois plus d’un étendu sur l’arène.

ce n’est pas non plus pour exciter l’indulgence du Public que je mets une Préface à la tête de cet Ouvrage : non, je n’ignore pas que j’en aurais besoin : jeune encore, c’est le premier que j’ai osé livrer à l’Imprimeur ; que de raisons ! elles prouvent combien elle m’est nécessaire : (si ce n’était une bassesse de l’exiger) mais prévenu qu’un Pilote n’acquiert l’expérience qu’à force d’orages, je me laisse aller à l’attrait de mon penchant.

Si cette Brochure est bien traitée, le Public judicieux à qui seul je cherche à plaire, & dont je chéris les suffrages, ne me ravira pas le légitime salaire que mes travaux méritent : s’il la trouve faible, je le conjure de m’honorer de ses conseils. Je fais trop de cas de ses leçons pour n’en pas profiter. Oui, Lecteur, daigne exécuter ce que j’exige de ta complaisance, ne sois avare de tes lumières que pour ceux dont la présomption est le partage. C’est cet espoir qui me fait te présenter cette Brochure. J’aurais cru manquer à ce que je me dois, & aux personnes respectables de mon état, si je fusse resté muet aux imputations fausses de Jean-Jacques Rousseau. Révolté de son audace, mon ame s’est éveillée pour repousser l’imposture ; je n’ai répondu qu’à une partie de ses raisonnemens paralogiques. Si je l’eusse suivi pied à pied, c’eût été m’engager dans des longueurs inutiles. Je n’ai travaillé que sur le plan qui regarde les Spectacles, une partie de sa Brochure étant coupée de dissertations étrangères à son sujet & nullement faites pour le mien. Détracteur implacable, il voudrait diffamer le Théâtre, asile de la vérité opprimée, temple où la sagesse antique paraît dans toute sa splendeur. Noms immortels que la postérité révère, que les Corneille, les Racine, les Voltaire ont fait revivre sur la Scène, animez mon ame échauffée d’un zèle respectueux pour vos vertus ? secondez mes efforts pour repousser cet infâme Zoïle. Enfans chéris des neuf Sœurs, il est encore sur la terre un Pithon éclos de la fange ; sage moteur de tant de merveilles, dont le séjour impénétrable n’est ouvert qu’aux humains vertueux, lance du haut de l’Olimpe tes carreaux brûlans sur cette tête audacieuse.

Mais en le foudroyant ce serait t’avilir ;
Laisse aux Filles d’Enfer le soin de le punir.
Qui périt par tes coups périt moins misérable,
Ils honorent celui que ta vengeance accable.

Il manquait à Jean-Jacques Rousseau pour le compléter, & le rendre tout à fait joli homme, de jouër l’hypocrisie, art dangéreux, inséparable des imposteurs. Pour se rendre le Public favorable, il affecte des sentimens religieux, grossière amorce des lâches, heureusement trop usitée pour faire des dupes. Pour moi la nature, seul organe que je consulte, & que je fais vanité de croire, crie au fond de mon ame que le mépris est le partage de ses pareils. Dussai-je me faire des ennemis de ses partisans, s’il est possible qu’il en ait, n’importe.

« Juste ou faux, mal ou bien, je pense à découvert.
… … …
La fausseté toujours fut un vice inutile
Dont la premiere dupe est celle qui s’en sert.1 »

Je le serais sans contredit, si j’avais gardé le silence : j’aime mieux être accusé de trop de zèle, que soupçonné d’ame timide.

On verra dans le cours de cet Ouvrage que l’envie des succès d’autrui n’est pas l’éguillon qui m’a guidé : si ma fortune était moins bornée, la preuve serait aisé à donner : mon bien serait celui des enfans des arts ; au surplus, j’ai pour garands ceux qui me connaissent : souvent avili par des gens méprisables, c’est l’ordinaire, en état de leur faire payer cher leurs infâmes menées, j’en ai dédaigné les moyens, on le sait… un mot m’eut mis à même d’en avoir satisfaction,

Mais me venger est au-dessous de moi.

je laisse ce soin au tems. Presque tous ceux qui m’ont fait du mal, en ont été les victimes. J’en ai gémi : & lorsque j’apprenais leur infortune, le mépris que mon ame avait conservé pour eux, se changeait aussi-tôt en attendrissement.

« Il suffit qu’on soit homme, & qu’on soit malheureux. »

Voilà ma façon de penser ; elle ne sera pas du goût de tout le monde ; on pourra soupçonner trop d’orgueil dans l’aveu que j’en fais, mais je répondrai que je ne la détaille pas pour en être loué : tant d’autres ont pris ce tour, que j’aurais mauvaise grace de m’enservir ; ce n’est point là mon caractère : non, Messieurs, & vous pouvez m’en croire. Une Dame respectable, dont l’amitié m’honore, me fit voir la Brochure du Genevois ; elle parut desirer que quelqu’un répondît à tant d’impertinences ; je m’offris, & dans l’instant je m’armai de la plume ; heureux si ma prompte obéissance m’obtient à jamais son estime.