Affaire de l'écossaise

Dates 1760 - 1760

Fiche rédigée par Sylvie Kleiman Lafon . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

Cette « affaire » prend sa source dans le différend qui oppose durablement Voltaire à Fréron, et plus généralement dans le contexte de la querelle des philosophes.

À partir de 1759, Fréron s’attaque à Voltaire dans pratiquement chaque nouvelle livraison de L’Année littéraire. Pour Jean Balcou, la critique acerbe publiée par Fréron à propos de La Femme qui a raison, pièce dont Voltaire s’attendait au triomphe, fut l’élément déclencheur de la querelle entre les deux hommes. Excédé, Voltaire décide, comme il le dit dans une lettre à d’Argental du 27 juin 1760, de « faire donner Fréron au diable ». La représentation, le 22 mars 1760, de la pièce de Palissot Les Philosophes va radicaliser les positons des deux camps et faire de L’Écossaise une arme pointée contre les adversaires des philosophes et non plus le seul Fréron.

Entre le 6 et le 12 mai 1760, le texte imprimé d’une pièce de théâtre intitulé Le Caffé, ou l’Écossaise, circule dans le milieu littéraire parisien. Au moment où le texte est publié, nul ne parle encore d’une représentation de la pièce. La page de garde précise que l’auteur en est Monsieur Hume et que le texte a été traduit de l’anglais sans préciser le nom du traducteur. Cette édition est rapidement suivie par une autre, datée d’Avignon et imprimée par Louis Chambeau. Les rumeurs vont bon train et Diderot est un temps soupçonné d’en être l’auteur. Fréron publie une critique de la pièce le 3 juin 1760. L’action est située à Londres et met en scène une écossaise (Lindane) et sa servante (Polly), le tenancier français du café (Fabrice), un lord écossais (Lord Montrose) et le fils de son ennemi mortel (Murray), un marchand londonien affluent (Freeport), une lady anglaise (Lady Alton) éprise de Murray et un chroniqueur de la presse à scandale (Frélon).

Le 26 juillet 1760, alors que la controverse fait déjà rage, la pièce est représentée pour la première fois par les Comédiens français ordinaires du Roi. La veille de la représentation, un certain Jérôme Carré, de Montauban (en réalité, Voltaire lui-même) se présente comme le traducteur de la pièce dans une lettre adressée à « Messieurs les Parisiens. » À partir de 1761, cette requête sera ajoutée à toutes les éditions subséquentes de la pièce. Il s’agit pour Voltaire de répondre à la critique parue en date du 3 juin dans L’Année littéraire et de faire taire la rumeur qui lui attribue la paternité de L’Écossaise et qui reconnaît son ennemi Fréron derrière le nom transparent de Frélon. Dans sa lettre du 27 juin à d’Argental, Voltaire précisait d’ailleurs que la pièce « ne pourrait être supportée au théâtre qu’en cas qu’on la prît pour une comédie véritablement anglaise. » Voltaire/Jérôme Carré réaffirme parallèlement que l’auteur de la pièce est John Hume (c’est-à-dire John Home), le dramaturge écossais auteur d’Agis et de Douglas. Voltaire entretiendra la confusion pratiquement jusqu’à la fin de l’année 1760 (voir sa lettre à Madame du Deffand du 10 octobre 1760) et n’admettra qu’en 1761 être l’auteur de L’Écossaise. Le censeur ordonne d’ailleurs peu de temps avant la représentation que le nom de Frélon soit dorénavant remplacé par son équivalent anglicisé « Wasp » pour éviter une allusion trop évidente au directeur de L’Année littéraire, qui prétendit pourtant avoir insisté pour que « Frélon » soit conservé. C’est dans cette édition censurée que le nom de Voltaire apparaît pour la première fois, non comme auteur mais comme traducteur de la pièce.

Fréron contre-attaque au lendemain de la première en faisant paraître dans L’Année littéraire un compte-rendu de la représentation intitulé « La relation d’une grande bataille, » dans lequel il expose les réactions du parterre plutôt que le contenu de la pièce (déjà évoqué dans sa précédente critique). Monsieur de Lagrange en tire une pièce en vers rimés jouée le 20 septembre 1760 à la Comédie italienne qui reprend le titre de la pièce originale et suit de quelques jours la représentation de L’Écosseuse, version parodique attribuée à Panard et Anseaume. Une autre version intitulée Les Nouveaux calotins, écrite par Harny de Guerville, est jouée le 19 septembre 1760 à l’Opéra-Comique et imprimée peu de temps après : plus qu’une parodie on y trouve en réalité des commentaires et des réactions sur la pièce de Voltaire. Beuchot rapporte que Voltaire avait souhaité que la seconde édition de sa pièce soit ornée d’une gravure représentant « un âne qui se met à braire en regardant une lyre suspendue à un arbre ». Il s’agissait peut-être d’une allusion au mot de Ponce Denis Le Brun, qui avait rebaptisé L’Année littéraire « L’Âne littéraire » et publia par la suite L’Âne littéraire, ou les âneries de Maître Aliboron, dit Fr. (Paris, 1761), Fréron avait alors annoncé cette seconde édition, précisant qu’elle serait ornée d’un portrait de l’auteur : en retournant la plaisanterie contre Voltaire, il lui coupait l’herbe sous le pied et empêchait que la gravure soit utilisée. Le même Le Brun fit aussi paraître en 1761 un petit ouvrage satirique rédigé contre Fréron et directement inspiré de L’Écossaise : La Wasprie, ou l’ami Wasp, rev. et cor. par Le Brun (Berne, aux dépens de M. Wasp, 1761). Peu de temps après la première représentation de la pièce paraît également une « Lettre sur la comédie de L’Écossaise », publiée anonymement et sans date. L’auteur s’adresse à Fréron, dont il prend le parti et attaque violemment L’Écossaise qu’il ravale au rang de libelle. Balcou l’attribue à Poinsinet de Sivry et la date du 21 août 1760. Toujours en 1760, au cours des mois qui suivirent la représentation de la pièce, l’abbé Coyer fit paraître un texte intitulé Discours sur la satire contre les philosophes, dans lequel il vante les mérites de la pièce de Voltaire et s’en prend à celle de Palissot. À l’instar du texte de l’abbé Coyer, d’autres textes furent publiés pendant la seconde moitié de l’année 1760 qui commentent à la fois Les Philosophes et L’Écossaise : une petite pièce en prose anonyme intitulée Les Avis, une Épître à un ami dans sa retraite à l’occasion des Philosophes et de L’Écossaise, que Balcou attribue à Claude Joseph Dorat, ami de Fréron, et une Épître sur la comédie de l’Écossaise, en faveur de Voltaire, signée Duverger de Saint-Etienne et publiée dans Le Mercure d’octobre 1760.

L’Écossaise sera portée 134 fois à la scène entre sa création et 1794 et ne connaîtra pas moins de treize éditions pour la seule année 1760. À partir de la seconde moitié de 1761, la controverse finit par se fondre dans la querelle plus vaste qui oppose Fréron et d’autres aux philosophes.

Enjeux

Enjeux

Cette « affaire » reprend les enjeux de la querelle des philosophes, dont elle découle directement. Il s’agit également d’une querelle de personnes, Voltaire et Fréron réglant leurs comptes à coup de critiques littéraires et de pièces de théâtre, chacun accusant l’autre d’être un piètre écrivain.

Chronologie

Chronologie

• 1760/03/22, représentation des Philosophes de Palissot

• 1760/05/6-12, circulation du texte imprimé de L’Écossaise

• 1760/06/03, critique de L’Écossaise dans L’Année littéraire

• 1760/06/27, lettre de Voltaire à d’Argental.

• 1760/07/25, « lettre de Jérôme Carré aux Parisiens ».

• 1760/07/26, représentation de L’Écossaise.

• 1760/07/27, récit critique de la première dans L’Année littéraire.

• 1760/08/21, parution de la “lettre sur l’Écossaise”.

• 1760/09/04, représentation de L’Écosseuse.

• 1760/09/19, représentation des Nouveaux calotins.

• 1760/09/20, représentation de L’Écossaise mise en vers par Lagrange.

• 1760/10, « Épître sur la comédie de l’Écossaise » dans Le Mercure.

• 1760/10/10, lettre de Voltaire à Madame du Deffand.

• 1760 (fin), parution de Discours sur la satire contre les Philosophes.

• 1760 (fin), parution de la pièce en prose Les Avis.

• 1760 (fin), parution de l’Épître à un ami dans sa retraite.

• 1761, parution de L’Âne littéraire et de La Wasprie.

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• Le Caffé, ou l’Écossaise, comédie par Monsieur Hume, traduite en français (Genève, 1760).

• Requête adressée à M.M. les Parisiens, par Jérôme B. Carré, natif de Montauban, traducteur de la comédie intitulée: « Le Caffé ou l’Écossaise, » pour servir de postface à la-dite comédie (n.d., n.p.)

• Poinsinet et Anseaume, L’Écosseuse (Paris, Prault et fils, 1760)

• Harny de Guerville, Les Nouveaux calotins (Paris, Cuissart, 1760).

• Nicolas Lagrange, L’Écossoise, comédie en 5 actes traduite de l’anglais et mise en vers par M. de Lagrange (Paris, Duchêne, 1761).

• Voltaire, « Lettre à d’Argental, 27 juin 1760 », Œuvres complètes, correspondance générale, t. VI (Paris, Dupont, 1825) p. 454-455.

• Elie-Catherine Fréron, « Lettre IV, Le Caffé ou l’Écossaise, » 3 juin 1760, L’Année littéraire (Paris, Lambert, 1760) t. IV, pp. 73-114.

• Lettre sur la comédie de l’Écossaise (n.d., n.p.) Jean Balcou l’attribue à Poinsinet de Sivry et la date du 21 août 1760.

• Elie-Catherine Fréron, « La relation d’une grande bataille, » 27 juillet 1760, L’Année littéraire (Paris, Lambert, 1760) t. V, pp. 209-216.

• Ponce Denis Le Brun, L’Âne littéraire, ou les âneries de Maître Aliboron, dit Fr. (Paris, 1761).

• Ponce Denis Le Brun, La Wasprie, ou l’ami Wasp, rev. et cor. par Le Brun (Berne, aux dépens de M. Wasp, 1761).

• Gabriel-François Coyer, Discours sur la satire contre les philosophes (Athènes, chez le libraire anti-philosophe, 1760).

• Duverger de Saint-Etienne, « Epître sur la comédie de l’Écossaise, » Le Mercure de France, 1760, vol. 2, p. 41-45.

• [Claude-Joseph Dorat], Epître à un ami dans sa retraite à l’occasion des Philosophes et de L’Écossaise (Amsterdam, 1760).

Bibliographie critique

• Jean Balcou, « L’Affaire de l’Ecossaise, » L’Information littéraire 3 (mai-juin 1969), p. 111-115.

• Jean Balcou, Fréron contre les philosophes (Genève, Droz, 1975).

• Colin Duckworth, « Voltaire’s L’Écossaise and Palissot’s Les Philosophes: A Strategic battle in a Major War, » Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 87 (1972), p. 333-351.

• Logan J. Connors, « Performing Criticism during Cultural Wars: The Case of Voltaire’s L’Écossaise (1760) », Eighteenth-Century Fiction 23, n°1 (automne 2010), p. 61-80.

• Logan J. Connors, Dramatic Battles in Eighteenth-Century France : philosophes, anti-philosophes and polemical theatre, Voltaire Foundation, SVEC 2012.

• Isabelle Degauque, « Un cas singulier: la parodie dramatique d’une comédie. Étude de L’Écosseuse de Poinsinet et Anseaume, parodie de L’Écossaise de Voltaire. », Œuvres et critiques, n° spécial « Le théâtre de Voltaire » dir. Russell Goulbourne, octobre 2008, p. 63-84.

• Sylvie Kleiman-Lafon, « Voltaire’s L’Écossaise : The Story of a French and Scottish Fraud », Scotland and France in the Enlightenment, Deidre Dawson et Pierre Morère (éds.) (Brucknell University Press, New York, 2003) p. 61-73.

Liens

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