Affaire des Historiae

Dates 1604 - 1621

Fiche rédigée par Mathilde Bernard . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

En 1604 paraissent les dix-huit premiers tomes des Historiae sui temporis du parlementaire Jacques-Auguste de Thou, chez la veuve de Mamert Patisson. Le livre, protégé par le roi, fait naître l’animosité des derniers ligueurs et des ultramontains, car l’auteur y est jugé trop tolérant envers les protestants – voire accusé de protestantisme lui-même – et gallican. Les opposants à De Thou tentent de faire interdire le livre à Rome et se plaignent tout d’abord à Henri IV, qui, en délicatesse avec Rome, fait son possible pour ne pas soulever l’ire du pape.

De Thou cherche alors des appuis auprès des cardinaux de Joyeuse, du Perron et d’Ossat, et prépare une seconde édition quelque peu corrigée, qu’il fait paraître en 1604 chez les frères Ambroise et Jérôme Drouart et qu’il envoie à Rome. En 1606, une troisième édition en vingt-six livres est publiée chez les Drouart.

En 1607, Antoine Caraccioli, clerc régulier chargé d’examiner les Historiae, dresse un projet de censure, demandant à l’auteur de corriger les passages dans lesquelles il s’exprime en faveur de la liberté de conscience. Selon lui, l’auteur doit être mis au rang des hérétiques de la première classe.

Le 14 novembre 1609, les Historiae sont condamnées par un décret du maître du Sacré Palais, mais la condamnation reste vague et générale. Jacques-Auguste de Thou n’en est pas moins profondément atteint par cette mise à l’Index d’un ouvrage qu’il avait voulu conforme à son devoir d’historien, neutre et vrai. Il écrit au Président Jeannin pour imputer cette condamnation à la faiblesse du roi face à Rome, à la haine de ses ennemis (notamment du cardinal Bellarmin), à la disparition de ses soutiens – le cardinal d’Ossat étant mort en 1604 et Du Perron ayant pris sa retraite. De Thou continue néanmoins son Histoire universelle en 1611 et c’est la cour d’Angleterre qui, cette fois, s’élève contre les Historiae. En 1604, Jacques-Auguste de Thou avait fait parvenir à Jacques Ier son ouvrage et ce dernier en était très satisfait, mais lorsqu’il lit la continuation dans laquelle De Thou parle des troubles d’Écosse sous le règne de Marie Stuart, il témoigne son mécontentement.

L’affaire ne va pas loin en Angleterre, mais ne s’arrête pas là cependant, car, en 1614, paraît à Ingolstadt un libelle anonyme, attribué au jésuite Jean de Machault : In Iacobi Augusti Thuani Historiarum libros notationes, lectoribus utiles et necessariae, auctore Ioanne Baptista Gallo. Le jésuite y attaque à nouveau les Historiae et s’en prend à l’auteur. Jacques-Auguste de Thou, qui pensait que les critiques contre lui s’étaient calmées, est piqué au vif. Il décide alors de se justifier dans des mémoires. Mais il ne le fait pas sous son nom et invente la fiction d’un ami – nombre de ses contemporains y voient Nicolas Rigault – qui aurait pris la plume pour venir au secours de l’historien, trop humble pour vanter son ouvrage. En 1620-1621, après la mort de De Thou, Pierre Dupuy et Nicolas Rigault font paraître l’édition des 138 premiers tomes de l’Histoire universelle qu’ils ont préparée. À la fin de cette édition, les Commentariorum de vita sua libri présentent cette justification sous la forme d’une biographie à la troisième personne.

Enjeux

Enjeux

Les démêlés que Jacques-Auguste de Thou a avec Rome et les affronts qu’il doit subir dans le libelle qui l’attaque sont révélateurs de la tension persistante entre Rome, les jésuites et Henri IV. Si les protestants sont tolérés en France, ils sont considérés comme hérétiques par Rome et la tolérance à leur égard est vite taxée de déviance protestante. Là où Jacques-Auguste de Thou voit de la neutralité, les autorités ecclésiastiques voient un esprit partisan, favorable aux hérétiques.

L’affaire des Historiae de De Thou, par ailleurs, est intéressante du point de vue des stratégies d’écriture. La Vie posthume de De Thou relève de ces nombreux mémoires émanant de grands déchus (De Thou s’est vu refuser le poste de premier président au Parlement de Paris, très probablement à cause de ses Historiae) qui ressentent profondément qu’ils ont subi une injustice et qui veulent la réparer pour le tribunal de l’Histoire, en se justifiant, en proclamant leurs bonnes intentions. Elle relève également de ces textes montés sur une falsification énonciative ; d’autres mémorialistes y ont eu recours, et notamment Sully qui mit en place le célèbre stratagème des secrétaires rappelant à l’ancien ministre sa gloire passée. Il semble que plusieurs raisons président à cette falsification qui font de la Vita l’œuvre d’un ami du parlementaire : la fierté consistant à ne pas s’abaisser à répondre aux injures trop basses, le désir de se montrer plus efficace en se constituant un réseau d’adjuvants et sans doute avant tout la volonté d’ériger la scène des mémoires en tribunal judiciaire, où l’avocat s’exprime pour le prévenu.

C’est donc aussi bien d’un point de vue historique que d’un point de vue littéraire que cette affaire, mineure d’une certaine manière – si elle monta jusqu’à Rome, elle toucha surtout le cœur d’un homme –, pourra intéresser le chercheur.

Chronologie

Chronologie

• 1604 : Parution des dix-huit premiers tomes des Historiae sui temporis du parlementaire Jacques-Auguste de Thou, chez la veuve de Mamert Patisson. Le livre soulève de nombreuses critiques

• 1604 : parution d’une nouvelle édition chez les frères Ambroise et Jérôme Drouart.

• 1606 : parution d’une troisième édition en vingt-six livres paraît chez les Drouart.

• 1607, Antoine Caraccioli dresse un projet de censure.

• 14 novembre 1609 : les Historiae sont mises à l’Index par un décret du maître du Sacré Palais

• 1614 : parution à Ingolstadt de In Iacobi Augusti Thuani Historiarum libros notationes, lectoribus utiles et necessariae, auctore Ioanne Baptista Gallo.

• 1621 : parution des Commentariorum de vita sua libri attribué à Nicolas Rigault, en réalité de Jacques-Auguste de Thou lui-même.

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• De Thou, Jacques-Auguste de, Jac. Augusti Thuani Historiarum sui temporis pars prima, Paris, veuve de Mamert Patisson, 1604, 1 vol. in-2°.

• De Thou, Jacques-Auguste de, Illustris viri Jacobi Augusti Thuani, Historiarum suis temporis, Paris, Ambroise et Hierosme Drouart, 1604-1608, 5 vol. in-8° ; 1606-1609, 4 vol. in-folio ; Paris : Jérôme Drouart, 1609-1614, 11 vol. in-12.

• [Machault, Jean de], In Iacobi Augusti Thuani Historiarum libros notationes, lectoribus utiles et necessariae, auctore Ioanne Baptista Gallo, J.C., Ingolstadii, 1614.

• [Rigault, Nicolas] (en vérité Jacques Auguste de Thou),  Illustris viri Jacobi Augusti Thuani,... Historiarum sui temporis ab anno... 1543 usque ad annum... 1607 libri CXXXVIII, quorum LXXX priores multo quam antehac auctiores, reliqui vero LVIII nunc primum prodeunt ; opus in quinque tomos distinctum. Accedunt Commentariorum de vita sua libri sex hactenus inediti, contenant la Vie de Jacques-Auguste de Thou, Genève, P. de La Rovière, 5 tomes reliés en 4 vol. in-2°, 1620-1621. La Vita constitue la dernière section, datée de 1621, du cinquième et dernier tome des Historiarum.

Sources secondaires

• de Thou, Jacques-Auguste, Préface de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou, avec la suite par Nicolas Rigault, les Memoires de la vie de l’auteur, un recueil de pieces concernant sa Personne & ses Ouvrages : y comprises les Notes & principales Variantes, Corrections & Restitutions qui se trouvent dans les MSS de la Bibliotheque du Roi de France, de Mrs. Du Puy, Rigault, & de Sainte-Marthe. Le tout traduit sur la nouvelle Edition latine de Londres, et augmenté de remarques historiques & critiques de Casaubon, de du Plessis Mornay, G. Laurent, Ch. de l’Ecluse, Guy Patin, P. Bayle, J. Le Duchat, & autres, Basle, Jean-Louis Brandmuller, 1742, tome I.

Bibliographie critique

• Chasles Philarète, Discours sur la vie et les œuvres de Jacques-Auguste de Thou, Paris, Firmin Didot, 1824

• Guérard, Benjamin, Discours sur la vie et les ouvrages du président Jacques-Auguste de Thou, Paris, Lheureux, 1824.

• Kinser, Samuel, The Works of Jacques-Auguste de Thou, La Hague, Martinus Nijhoff, 1966.

• Lestringant, Frank (dir.), Jacques-Auguste de Thou (1553-1617): écriture et condition robine, Actes de la journée d’étude du 16 mars 2006, Cahiers V.L. Saulnier 24, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2007.

• Rance-Bourrey, A.-Joseph, J.-A. de Thou, son Histoire universelle et ses démêlés avec Rome, Genève, Slatkine, Paris, Champion, 1970.

• Smet, Ingrid A.R. de, Thuanus. The Making of Jacques-Auguste de Thou, Genève, Droz, 2006.

• Teissier-Ensminger, Anne, édition critique de La Vie de Jacques-Auguste de Thou, Paris, Champion, 2007, 1085 p.

• Teissier-Ensminger, Anne, « Éditer la Vita. Entre mystères d’atelier et jurislittérarité », dans Jacques-Auguste de Thou, écriture et condition robine, Cahiers V.L. Saulnier, 24, Paris, PUPS, 2007, p. 161-174.

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