Affaire Théophile de Viau
Dates 1623 |
Autre(s) titre(s) L’affaire Théophile (autour du procès de Théophile de Viau) |
Fiche rédigée par Isabelle Moreau . Dernière mise à jour le 27 December 2014.
Synopsis
Synopsis
En novembre 1622, le Père François Garasse (renseigné par le Père Voisin) prend prétexte de la parution du Parnasse des Poëtes Satyriques, qui s’ouvre sur un sonnet signé Théophile, pour rédiger et diffuser rapidement le texte de sa Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, alors que Molé, le procureur général du roi, entame l’instruction d’un procès contre les auteurs satiriques. Les démarches de Théophile entreprises en avril 1623 (saisie de La Doctrine – aussitôt déboutée –, entretien avec Molé, plainte déposée contre l’imprimeur, justifications exprimées dans son avis Au lecteur diffusé en en tête de la Seconde partie de ses Œuvres), et les intercessions de son protecteur Montmorency n’obtiennent aucun succès : Molé décide la saisie des exemplaires du Parnasse. Théophile entre en disgrâce, un décret d’arrestation est prononcé contre lui en juillet et, à la mi-août, il est condamné au bûcher par contumace, sur l’accusation d’impiété et d’obscénité. Son effigie est brûlée en place de Grève. Théophile quitte alors Paris, où il se tenait caché, se réfugie un temps chez son protecteur à Chantilly, puis se dirige vers les Pays-Bas. Il est rattrapé le 17 septembre, enfermé à la prison de Saint-Quentin, puis transféré dans un cachot de la Conciergerie. Il y restera emprisonné, subissant plusieurs interrogatoires, jusqu’au 1er septembre 1625, date où le Parlement rend enfin son jugement et prononce un arrêt de bannissement. À sa sortie de prison, Théophile trouve refuge auprès de Liancourt et de La Roche-Guyon, qui ont régulièrement œuvré à sa libération, et de son ami Luillier. Il obtient un délai de la Cour, parvient à récupérer une partie de ses biens et réintègre la suite de Montmorency. Il quitte Paris au mois de décembre en compagnie du Duc, séjourne chez le Comte de Béthune dans le Berry, début 1626, puis rejoint Chantilly. Une grâce probable favorise son retour à la capitale, dans l’hôtel des Montmorency, à la fin de l’été. Affaibli par les rigueurs de la prison, il meurt le 25 septembre 1626, dans l’hôtel de son protecteur.
Enjeux
Enjeux
Le procès de Théophile est à la fois un cas exemplaire de l’apologétique de combat, une affaire qui met en scène une rupture historique en termes de liberté d’expression, et un nœud interprétatif de l’historiographie du libertinage.
François Garasse prend pour prétexte la parution du Parnasse satyrique pour accabler son auteur supposé, Théophile. Le recueil de vers incriminé, certes licencieux et volontiers blasphématoire, n’est pourtant que le dernier en date d’une série d’ouvrages de la même veine fort appréciés du public. Mais le livre s’ouvre sur un sonnet signé Théophile qui affiche complaisamment le blasphème et la sodomie. Il fournit le prétexte idéal pour confondre, à travers son chef de file, l’ensemble de la « confrérie » libertine.
Les accusations du jésuite importent moins que ce qu’elles provoquent, à savoir une institutionnalisation de la polémique anti-libertine par le biais de la procédure judiciaire. Le coup de semonce est exemplaire — grâce à un procureur particulièrement hostile et des témoins à la solde de la Compagnie de Jésus. Certes, l’offensive ultramontaine finira par provoquer une levée de boucliers : le père Voisin, principal instigateur du procès, est envoyé en exil, le père Garasse sera sommé de se taire — et Théophile évite le bûcher. Cet échec relatif ne doit pas dissimuler les résultats obtenus. Dès 1625, un pamphlet anonyme, intitulé Elégie sur l’arrest de Théophile, tire les leçons de l’ultime décision du Parlement : « Les Muses peuvent bien luy tenir compagnie parmis les Etrangers / Puisqu’on vit son Esprit et sa vertu bannie / Pour avoir fait des vers. / La liberté peut bien se retirer de France / Puisque le Parlement / Par exemple d’un seul vous fait à tous deffense / De parler librement. » L’auteur anonyme précise son attaque en mobilisant le topos du complot jésuite et de la menace étrangère. Motifs politiques et religieux s’entremêlent. De fait toute une génération liée au cercle de la jeune reine tombe avec ses protecteurs en même temps que s’affirme la réaction des tenants de l’orthodoxie. Les hommes de lettres s’empressent de donner des gages au bon parti — qui est aussi celui de la Reine-mère. Il n’est plus question, après ces événements, de manifester ouvertement son irréligion à la cour ou dans l’entourage des grands, au moins pour vingt ans, jusqu’à ce qu’une nouvelle régence (celle d’Anne d’Autriche) et la Fronde laissent place à plus de licence. Le pouvoir monarchique saura, en attendant, profiter de la mise aux pas des plumes indépendantes.
Chronologie
Chronologie
• Nov. 1622 : parution du Parnasse des Poëtes Satyriques
• 19 mars 1623, Garasse prend un privilège pour publier sa Doctrine curieuse. L’ouvrage ne paraît qu’après la condamnation par contumace de Théophile (Achevé d’imprimer : 18 août 1623) mais il circule, feuillet après feuillet, dès l’hiver 1622.
• Avril 1623 : Théophile plaide sa cause auprès du procureur général Molé et parvient à faire condamner l’imprimeur du Parnasse satyrique.
• Avril-Mai 1623 : Publication de la Seconde partie des Œuvres… Privilège du 18 avril 1623, publication en mai.
• 11 Juillet 1623 : le Parlement ordonne un emprisonnement.
• 18 Août 1623 : Théophile et ses coaccusés sont condamnés à être brûlés vifs ainsi que leurs ouvrages ; la sentence est exécutée « par figure et représentation ».
• 26 Août 1623 : Théophile quitte Chantilly et se dirige vers le nord de la France.
• 17 Septembre 1623 : arrêté au Catelet et emprisonné à Saint-Quentin.
• 28 Septembre 1623 : incarcération à la Conciergerie, Paris
• 1624 : début de l’année, grève de la faim, à l’issue de laquelle Théophile obtient le droit de lire et d’écrire.
• 1624-1625 : successions d’interrogatoires, dépositions de témoins, confrontations ; explosion de réquisitoires, pamphlets etc. Voir le corpus ci-dessus ainsi que les études de Lachèvre et Van Damme.
• 27 Août 1625 : comparution devant la cour du Parlement.
• 1er septembre 1625 : verdict. Théophile est banni à perpétuité du royaume, tandis que l’un de ses procureurs jésuites, le père Voisin, est invité à quitter immédiatement la France. Grâce sans doute à l’intervention de Montmorency, Théophile est tacitement autorisé à rester, à condition d’observer une discrétion absolue.
• 1625-1626 : Théophile dans la suite de Montmorency, à Chantilly, ou chez le Comte de Béthune dans son château de Selles-sur-Cher. Parution de ses dernières compositions en vers.
• 25 septembre 1626 : mort du poète à Paris à l’hôtel des Montmorency.
Noms propres
Noms propres
Références
Références
Corpus
• Le Parnasse des Poëtes Satyriques [S.l.] : [s.n.], 1622. Pièces limin. signées aii-a vi, in-8, 208 p. L'éditeur serait Anthoine Estoc. Suivi de La Quintessence satyrique, ou Seconde partie du Parnasse des Poëtes Satyriques de nostre temps. Recherchez dans les Œuvres secrettes des auteurs les plus signalez de nostre siècle. A Paris, chez Anthoine de Sommaville, 1622.
• Frédéric Lachèvre, Les Recueils collectifs de poésies libres et satiriques publiés depuis 1600 jusqu'à la mort de Théophile, 1626, in Le libertinage au XVIIe siècle, vol. 5, Genève : Slatkine reprints, 1968.
• Œuvres du sieur Théophile, Seconde partie, Paris, Pierre Billaine, et Paris, Jacques Quesnel, 1623, in-8 : adresse « Au lecteur » (privilège du 18 avril 1623, publication en mai).
• Recueil de toutes les pièces de Théophile, commençans à l’arrest de l Cour, et généralement tout ce qui s’est fait pour et contre luy depuis sa prison jusques à présent. Ainsi qu’il peut se veoir à la Table suivante. 1624. In-12 de 112 p. (Bibl Arsenal, BL 6737A).
• Recueil de toutes les pièces faites par Theophile, depuis sa prise jusques à présent. Ensemble plusieurs autres pieces faictes par ses amis à sa faveur, et non encore veuës. Avec une Table où sont mises les pieces toutes par ordre ; comme il se peut voir en la page suivante, 1624. In-8 (Bibl. Nat., Ye 7633).
• Recueil de toutes les pièces faites par Théophile depuis sa prise jusques à présent, Paris [sans nom de lib.], 1625, in-8 (deux rééditions de ce recueil en 1626).
• Les Œuvres du sieur Théophile, Divisées en trois parties…, Paris, Pierre Billaine, et Paris, Jacques Quesnel, 1626, in-8.
• La Pénitence de Théophile, première impression en 1624 [BNF, Ye 7646] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 33)
• Requête de Théophile au Roi, février ou mars 1624 [BNF, Rés. Ye 4905] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 37)
• Theophilus in carcere, février 1624 [BNF, LN77 20346 et Rés. Ye 4904] ( trad. « Théophile en prison » in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 47)
• Apologie de Théophile, 1624 [BNF, Rés. Ye 4909] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 61)
• Requête de Théophile à nos seigneurs de parlement, 1624 [BNF, Rés. Ye 4910] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 75)
• Très humble requête de Théophile à Monseigneur le premier Président, 1624 [BNF, Ye 33840 et Rés. Ye 4914] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 79)
• Lettre de Théophile à M. de Verdun, Premier Président, et au Parlement de Paris [Maz. 35.265]
• Remerciement de Théophile à Coridon et Théophile à son ami Chiron, 1624 [BNF, 31942] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 83 ; p. 87)
• Prière de Théophile aux poètes de ce temps. Ensemble La Compassion de Philotée, aux misères de Théophile, 1624 [BNF, Ye 30748 et Rés. Ye 4913] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 91 pour le premier texte uniquement)
• Lettre de Théophile à son frère, 1624 [BNF, Ye 33818] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 99)
• Factum de Théophile, 1625 [BNF, LN27 20351] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 109)
• Apologie au Roi, fin 1625 [BNF, LN27 20350] (in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, p. 113)
• François Garasse, La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, ou pretendus tels, contenant plusieurs maximes pernicieuses à la religion, à l’Estat et aux bonnes mœurs, combattue et renversée par le P. François Garassus, Paris, S. Chappelet, 1623, in-4°, 1025 p.
• François Garasse, Apologie du pere François Garassus, de la Compagnie de Jésus, pour son livre contre les Atheistes et libertins de nostre siecle et response aux censures et calomnies de l’Autheur anonyme, Paris, S. Chappelet, 1624
• [François Garasse], Nouveau Jugement de ce qui a esté dict et escrit pour et contre le livre de la Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, etc. Dialogue, Paris, J. Quesnel, 1625
• Frédéric Lachèvre, Le Libertinage devant le Parlement de Paris. Le Procès du poète Théophile de Viau (11 juillet 1623-1er septembre 1625), publication intégrale des pièces inédites des Archives nationales, Paris : H. Champion, 1909, 2 vol. gr. in-8°, portraits et fac-similé. Voir notamment vol. 2, p. 259 sq. pour une bibliographie quasi exhaustive incluant les pièces judiciaires relatives à Théophile et surtout une liste des pièces pour ou contre Théophile (p. 280-286).
• Frédéric Lachèvre, « Un mémoire inédit de François Garassus adressé à Mathieu Molé pendant le procès de Théophile (6 nov. 1623) », Revue d’histoire littéraire de la France, oct.- déc. 1911, tiré à part BN LN27 56519.
• Guez de Balzac, Lettres du Sieur de Balzac (A Paris, chez Toussainct du Bray, rue S. Jacques aux Espics Meurs, 1624) : deux lettres à Boisrobert (lettre du 12 septembre) et à Sébastien Bouthillier, évêque d’Aire (lettre du 20 septembre 1623) : voir la fiche sur la « Querelle des Lettres » pour les attaques à l’égard de Garasse et Théophile.
• [Claude Garnier], Atteinte contre les impertinences de Théophile, ennemy des bons esprits, 1624. In-8 de 11 p. chiff.
• Elégie sur l’arrest de Théophile, s. l., 1625 [BNF : Ye 21072]
• [Théophile de Viau, lettre datée de janvier 1626] Advertissement au lecteur touchant la lettre du Sieur Théophile contre le sieur Balzac, Rouen, Jean de la Mare, 1629.
• Récit de la mort, et pompe funèbre observée aux obsèques du Sr Théophile, Paris : [s.n.], 1626, 14 p. in-8
• Mercure françois, 1625-1626, t. XI, p. 1014, à propos de l’Apologie au Roy de Théophile.
Sources secondaires
• [Charles Sorel] L’Histoire comique de Francion où les tromperies, les subtilités, les mauvaises humeurs, les sottises et tous les autres vices de quelques personnes de ce siècle sont naïvement représentés. Seconde édition revue et augmentée de beaucoup, Paris, Pierre Billaine, 1626, 3 vol. in-8° (pour les allusions à l’actualité et les attaques à l’égard de Balzac).
• Alais, sieur de Beaulieu, Divertissement poétique (Paris, Denys Langlois, 1634) : ‘Complainte de Marfille (Théophile) sur les incommoditez qu’il reçoit dans la prison, adressée à son amy Dartis (Des Barreaux) – voir Lachèvre.
• Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, R. Leers, 1697, article « Garasse ».
• Tallemant des Réaux, Gédéon, Historiettes (Paris, A. Levavasseur, 1834-1835), éd. A. Adam, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1961, p. 29 (sur Des Barreaux, ‘veuve de Théophile’).
• Voltaire, Lettre sur les Français in Lettres à Son Altesse Monseigneur le prince de *** (Brunswick) sur Rabelais et sur d’autres auteurs accusés d’avoir mal parlé de la religion chrétienne. Amsterdam, Marc-Michel Rey (Genève), 1767, in-8 de 2 ff. et 144 p.
Bibliographie critique
• Éditions modernes des Œuvres complètes de Théophile de Viau : Éd. Alleaume, Paris, P. Jannet, 2 t., 1855-1856 ; éd. G. Saba, Paris, Nizet – Roma, dell’Ateneo, 4 vol., 1978-1987 ; éd. G. Saba, Paris, Honoré Champion, 3 t., 1999 ; sélection de textes écrits pendant le procès in Libertins du XVIIe siècle, éd. Jacques Prévot, Bibliothèque de la Pléiade, NRF Gallimard, 1998, vol. 1.
• Adam, Antoine, Théophile de Viau et la libre pensée française en 1520, Paris, Droz, 1935.
• Dejean, Joan, « Une autobiographie en procès. L’affaire Théophile de Viau », Poétiques, 48 (nov. 1981), p. 431-448.
• Godard de Donville, Louise, Le libertin des origines à 1665 : un produit des apologètes, Paris-Seattle-Tübingen, Papers on French Seventeenth Century Literature (BIBLIO 17), 1989.
• Jouhaud, Christian, Les Pouvoirs de la littérature, histoire d’un paradoxe, Éditions Gallimard, 2000.
• Moreau, Isabelle, « Guérir du sot ». Les stratégies d’écriture des libertins à l’âge classique, Paris, Honoré Champion, 2007.
• Pintard, René, Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Genève-Paris, Slatkine, 1983 (réimpression de l’éd. de Paris : 1943)
• Roques, Mario, « Autour du procès Théophile. Histoire d’une variante », dans Mélanges d’histoire littéraire de la Renaissance offerts à Henri Chamard, Paris, Nizet, 1951, sur les variantes du vers 78 de La Plainte de Théophile à son ami Tircis et l’accusation de sodomie.
• Rosellini, Michèle, « Homosexualité et esprit fort dans la première moitié du xviie siècle : indices poétiques d’une « invisible affinité » », Les Dossiers du Grihl [Online], 2010-01 | 2010, Online since 28 March 2010, connection on 31 May 2012. URL : http://dossiersgrihl.revues.org/3949 ; DOI : 10.4000/dossiersgrihl.3949
• Saba, Guido, Fortunes et infortunes de Théophile de Viau. Histoire de la critique suivie d’une bibliographie, Paris, Klincksieck, 1997.
• Van Damme, Stéphane, Théophile de Viau et les jésuites. Procès et polémique littéraires au XVIIe siècle. Contribution à une histoire des pratiques textuelles. Mémoire présenté en vue du diplôme de l’E.H.E.S.S. sous la dir. de R. Chartier. Juin 1994.
• Van Damme, Stéphane, L’Epreuve libertine. Morale, soupçon et pouvoirs dans la France baroque, Paris, CNRS Editions, 2008, 279 pages. Notamment sur les libelles échangés au mois d’octobre 1623, que l’auteur préfère analyser comme des « constellations polémiques » plutôt que de s’engager dans des attributions aléatoires.
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