Controverse autour du duel en Angleterre

Dates

1580

Autre(s) titre(s)

La controverse autour du duel en Angleterre au début du XVIIe siècle

Fiche rédigée par Alexis Tadié . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

La question du duel et de sa légitimité préoccupe l’Angleterre (autant que la France) au début du XVIIe siècle. En effet, le nombre grandissant de duels conduit le roi James I à tenter de les interdire. Si les préoccupations et les arguments en faveur des duels et contre ceux-ci fleurissent à partir de la fin du XVIe siècle, c’est en 1618 que se clôt le premier épisode de cette controverse (qui resurgit au XVIIIe siècle), avec en particulier la publication de The Peace-Maker.

Le duel est parfois traité par les historiens et critiques comme la survivance de codes anciens, liés à la chevalerie. Comme l’a montré Peltonen, le duel est plutôt à considérer en lien avec la culture de la civilité importée d’Italie : le duel n’est en ce sens pas l’héritage d’une culture ancienne de l’honneur, mais bien un héritage de la Renaissance italienne (ainsi que la nouvelle arme que constitue la rapière). Ainsi Thomas Churchyard explique que le duel était inconnu en Angleterre jusqu’à ce que la jeunesse commence à voyager dans des pays étrangers et à en rapporter des habitudes étrangères (Churchyard n’est pas opposé au duel).

C’est donc une autre conception de l’honneur qui se trouve au cœur de la question du duel : non pas un héritage médiéval, mais bien une approche centrale à la nouvelle civilité. Spécifiquement, le duel ne met pas en jeu l’honneur lié à une structure hiérarchique mais plutôt l’honneur lié au respect entre égaux, qui est effectivement défini dans les traités de civilité de la Renaissance italienne : on ne se bat qu’avec ses égaux, c’est donc autant une manifestation de solidarité que le signe d’une rupture. Un duel apportait une réponse à un affront à l’honneur : Castiglione comme Della Casa soulignent l’importance de pouvoir sauver son honneur dans le combat. Le duel est donc conçu comme une façon de garantir la civilité. Et cette idée, venue d’Italie, se retrouve également en France.

Des traités comme celui de Saviolo présentent de façon très claire les façons de procéder : le premier volume porte sur l’utilisation des armes et le second sur l’honneur et les querelles honorables. Ses analyses de l’honneur reviennent à proposer un code de bonne conduite, le duel correspondant à la position-limite : le code de bonne conduite permet de limiter et restreindre les querelles. La peur du duel peut en effet renforcer la civilité, mais s’il y a infraction à celle-ci, alors le duel permet de la rétablir. Notons que le traité de Saviolo est publié par John Wolfe, spécialisé dans les livres italiens, et qui avait également publié Churchyard.

Toutes les querelles ne doivent pas se terminer en duel, selon les traités de l’époque, mais seulement celles qui présentent une insulte particulièrement nette, soit dans les mots, soit dans les faits. L’insulte la plus commune qui mène au duel consiste à accuser quelqu’un d’avoir menti (le mensonge étant contraire à l’idéal de civilité du gentleman).

A côté des ouvrages et traités qui développent les façons de procéder dans les duels (y compris par la pratique des armes), un certain nombre de voix se font entendre pour récuser cette pratique. Le traité de Bryskett, écrit dès les années 1580, en appelle à la magnagnimité plutôt qu’à la vengeance, le duel étant contraire aux principes de la société civile. A partir des années 1590, les traités opposés au duel se multiplient : Gifford, Norden, Crosse, Glover par exemple. La dénonciation du duel se répand également dans les prêches. Des traductions du français en particulier viennent compléter cette littérature anti-duels, jusque dans les années 1630.

D’autre part, le nombre croissant de duels sous le règne du roi James I conduit ce dernier à agir à partir des années 1610. En 1613, James I publie « A Proclamation prohibiting the publishing of any reports or writings of Duels ». Mais comme cela ne suffit pas à enrayer la progression des combats singuliers, une proclamation de 1614 s’annonce comme : « against private Challenges and Combats ». Elle est accompagnée par un édit : Edict, and severe Censure against Private Combats and Combatants. Rédigés par Northumberland, mais publiés avec le nom du roi, ces textes s’inspirent en partie de l’édit de 1609 du roi français Henri IV. Mais ils n’ont pas force de loi. Ils visent à se débarrasser des causes des duels en interdisant les insultes et en les renvoyant à la « High Court of Chivalry » (de fait inactive depuis la fin du XVe siècle et remise en activité sous le règne de James I). Comme en France, il fallait référer les différends au tribunal du point d’honneur. Cela n’empêche pas les duels de continuer.

La campagne ne s’arrête pas là ; deux textes importants s’inscrivent dans cette perspective. Le premier est le texte de Francis Bacon, attorney general, intitulé : The Charge of sir Francis Bacon… Touching Duells. Le second, publié anonymement mais rédigé par le dramaturge Thomas Middleton avec le privilège royal, s’intitule : The Peace-Maker. Le sous-titre indique clairement qu’il est consacré à démontrer la futilité des querelles, qui ne consacrent ni la sagesse ni la masculinité. Son succès est tel qu’il est réimprimé cinq fois.

Si le traité célèbre avant tout le roi James pour son talent à faire la paix dans l’arène internationale, il insiste aussi sur les avantages économiques de la paix. Puis le traité se porte sur la paix au niveau personnel, et en particulier sur le duel et les autres fléaux, comme l’alcool, qui perturbent la paix domestique. Pour Middleton, toutes les formes de violence sont liées les unes aux autres. Les arguments contre le duel sont de divers types : pour Middleton, le duel est un signe de la corruption des mœurs, lié à l’alcool et au tabac. Middleton explique les gens qui manifestent un attachement immodéré à leur réputation (« vain-glory ») sont en proie à une illusion « satanique ». Le duel est également souvent opposé à l’idée du pouvoir temporel sanctifié par le commandement de Dieu. Middleton en appelle donc à une redéfinition de la notion même de réputation. De plus, comme l’explique Northampton, si les individus peuvent prendre en main leur propre réputation, cela est contraire aux principes de la monarchie absolue selon lesquels le roi est responsable du bien-être de tous. Le duel est donc, pour Northampton, contraire à l’État lui-même. Pour Bacon, de même, le duel ouvre la porte à la rébellion, menant d’une querelle personnelle à une querelle nationale. Le fond du problème tient pour Bacon au fait que la vengeance ne peut appartenir aux individus, mais relève de la loi. C’est donc toute la conception du point d’honneur qui, pour ces critiques du duel, est contraire à la loi.

Les opposants au duel (à l’exception de Northampton) en viennent donc à attaquer la conception même de l’honneur qui sous-tend le duel, qu’ils dénoncent comme fausse. Pour Bacon le véritable honneur tient à la récompense de la vertu, qu’une insulte ne peut donc en aucun cas compromettre. Les critiques en viennent alors à remettre en cause tout l’édifice de la civilité, importation de l’étranger et contraire aux idéaux du Royaume – et cette critique prolonge certaines critiques plus générales des manières italiennes. Pour Bacon, par exemple, la courtoisie ne fait que dissimuler la superficialité de caractère. Considérer l’accusation de mensonge comme affront suprême, que seul un duel pourrait laver, est donc, pour les critiques du duel, une absurdité totale – encore accentuée par le fait que toute la doctrine de la courtoisie est fondée sur des mensonges.

Les arguments des défenseurs du duel et de la conception du point d’honneur se prêtent donc facilement à la satire. Ainsi de Shakespeare, As You Like It: « O sir, we quarrel in print, by the book, as you have books for good manners. I will name you the degrees. The first, the Retort Courteous ; the second, the Quip Modest ; the third, the Reply Churlish ; the fourth, the Reproof Valiant ; the fifth, the Countercheck Quarrelsome ; the sixth, the Lie with Circumstance ; the seventh, the Lie Direct. All these you may avoid but the Lie Direct ; and you may avoid that, too, with an ‘if’. I knew when seven justices could not take up a quarrel, but when the parties were met themselves, one of them thought but of an ‘if’, as ‘If you said so, then I said so’, and they shook hands and swore brothers. Your ‘if’ is the only peacemaker ; much virtue in ‘if’ » (V, iv, 81-92). De manière plus générale, on peut retrouver dans la littérature de l’époque, dans les pièces de Beaumont et Fletcher, et surtout dans la pièce de Middleton, A Fair Quarrel, des échos de ces positions anti-duel. La pièce de Middleton, qui dramatise des conceptions de l’honneur divergentes, peut se lire partiellement comme une dramaturgie de The Peace-Maker : le personnage du Colonel, blessé, reconnaît l’inanité du code qui l’a conduit à se battre. Notons que les duels alimentent également la littérature populaire, à l’image de A Lamentable Ballad of a Combate Lately Fought, near London, qui traite du duel entre Stewart et Wharton.

Une évolution nette apparaît entre 1614 et 1618, la position de Northampton, qui accepte la théorie de l’honneur et de la civilité et souhaite donc trouver d’autres façons de résoudre les conflits autour de l’honneur, venant à céder le pas à celle de Bacon ou de Middleton qui remet en question toute la théorie de l’honneur sous-jacente à la question du duel, et ne parle plus du tout de la « Court of Chivalry ». Pour Bacon comme pour Middleton le duel n’est pas un signe de courage et d’honneur mais au contraire de honte et de déshonneur. Ces débats s’articulent également à des conceptions contradictoires de la masculinité (Amussen, Foyster).

Les mêmes débats renaissent à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, avec les mêmes arguments. Les seules différences notables tiennent au fait que c’est à ce moment-là que le duel est défendu comme spécificité anglaise et relevant de manières et de mœurs anglaises, donc d’une civilité différente de celle qui a vogue sur le continent, en France en particulier. L’hypothèse de Peltonen est que la controverse autour du duel à la Restauration s’inscrivent dans des débats complexes autour de ce qui constitue la véritable civilité. 

Enjeux

Enjeux

Le duel est à la fois l’aboutissement d’une querelle, sa quintessence en quelque sorte, mais aussi ce qui permet de l’éviter car la menace du duel peut permettre de régler les différends. D’autre part, la controverse autour du duel révèle des conceptions sous-jacentes de l’honneur différentes : soit que l’honneur est considéré comme « vertical », c’est-à-dire que le système est organisé par rapport au roi qui le domine, soit comme « horizontal » et l’honneur est ce qui est dû à son égal, ou doit être préservé par rapport à celui-ci. La controverse autour du duel est importante d’autre part, parce qu’elle révèle des tensions autour d’une conception « nationale » des manières : le duel est considéré par beaucoup, au tournant du siècle, comme importé de l’étranger. Le duel révèle enfin la présence de codes très forts, code de l’honneur bien sûr, mais également code dans l’aboutissement des querelles. Les traités anti-duels, comme celui de Bacon et celui de Middleton participent également d’une campagne en faveur de nouvelles formes de civilité.

Chronologie

Chronologie

• 1590 : publication de The Booke of Honor and Armes. Cet ouvrage anonyme défend le duel qui permet de laver un affront à l’honneur.

• 1595 : publication de l’ouvrage de Saviolo. En même temps paraissent les premiers traités anti-duels.

• 1599 : querelle entre Sir Philip Sidney et le duc d’Oxford.

• 1602 : publication de l’ouvrage de Segar qui s’appuie fortement sur The Booke of Honor and Armes.

• 1603 : accession de James VI d’Écosse au trône d’Angleterre ; il devient James I.

• 1606 : publication du dialogue de Bryskett qui tient une position anti-duel, écrit dès les années 1580.

• 1609 : duel entre Sir George Wharton et Sir James Stuart.

• 1613 : duel (près d’Anvers) entre Edward Sackville et Lord Bruce. Il reçoit une publicité considérable qui force le roi à agir.

• 1613 : le roi interdit la publication des comptes rendus de duels.

• 1614 :

- publication du traité de Bacon recommandant que les contrevenants au duel soient traduits devant le tribunal de la Star Chamber.

- interdiction par le roi des défis.

- proclamation royale, écrite par Northampton, contre les duels.

• 1617 : première édition de la pièce de Middleton et Rowley, A Fair Quarrel.

• 1618 : publication de The Peace-Maker.

• 1619 : publication du traité de William Wiseman.

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• The Booke of Honor and Armes, London, Richard Jones, 1590. [L’ouvrage est parfois attribué à Richard Jones, parfois à William Segar.]

• Bacon, Francis, The Charge of sir Francis Bacon, Knight, His Majesties Attourney General, Touching Duells Upon an Information in the Star-Chamber against Priest and Wright, London, Printed for Robert Wilson, 1614.

• Bryskett, Lodovick, A Discourse of Civill Life Containing the Ethike Part of Morall Philosophie. Fit for the Instructing of a Gentleman in the Course of a Vertuous Life, London, Printed for William Aspley, 1606.

• Churchyard, Thomas, Churchyards Challenge, London, John Wolfe, 1593.

• Crosse, Henry, The Schoole of Pollicie : or The Araignement of State-Abuses Directing Magistrates, Adorning the Court, and Beautifying the Whole Common-Wealth, London, Nathanael Butter, 1605.

• Gifford, George, A Treatise of True Fortitude, London, John Hardie, 1594.

• Glover, Robert, Nobilitas politica vel Civilis, London, William Jaggard, 1608. (Traduction anglaise The Catalogue of Honour or Tresury of True Nobility en 1610.)

• James I., A Publication of his Majesties Edict, and Severe Censure against Private Combats and Combatants, London, Robert Barke, 1613. [Northampton, Henry Howard, earl of.]

• [Middleton, Thomas], The Peace-Maker : or, Great Britaines blessing. Fram'd for the continuance of that mightie happinesse wherein this kingdome excells many empires. Shewing the idlenesse of a quarrelling reputation wherein consists neyther manhood nor wisdome. Necessarie for all magistrates, officers of peace, masters of families, the confirmation of youth, and for all his Maiesties most true and faithfull subiects: to the generall auoyding of all contention and bloud-shedding, London, Printed by Thomas Purfoot, 1618.

• Middleton, Thomas and William Rowley, A Fair Quarrel, London, John Trundle, 1617. [La pièce est composée entre 1615 et 1617.]

• Norden, John, The Mirror of Honor. Wherein Euerie Professor of Armes, from the Generall, Chieftaines and High Commanders, to the Priuate Officer and Inferiour Souldier, May See the Necessitie of the Feare and Seruice of God, and the Use of all Diuine Vertues, both in Commanding and Obeying, Practising and Proceeding in the Most Honorable Affayres of Warre. London, Thomas Man, 1597

• Saviolo, Vincentio, His Practice. In Two Bookes. London, Printed by John Wolfe, 1595.

• Segar, William, Honor, Military and Civill, London, Robert Barker, 1602.

• Wiseman, William, The Christian Knight Compiled by Sir William Wiseman Knight, for the Publike Weale and Happinesse of England, Scotland, and Ireland. London, Printed by John Legatt, 1619.

Sources secondaires

• Cockburn, John. The History and Examination of Duels. Shewing their Heinous Nature and the Necessity of Suppressing Them. London, Strahan, 1720.

Bibliographie critique

• Amussen, Susan Dwyer, « Punishment, Discipline, and Power : The Social Meanings of Violence in Early Modern England », Journal of British Studies, Vol. 34, No. 1 (Jan., 1995), p. 1-34.

• Bowers, Fredson Thayer, « Middleton’s “Fair Quarrel” and the Duelling Code », The Journal of English and Germanic Philology, Vol. 36, No. 1 (Jan., 1937), p. 40-65.

• Cuénin, Micheline, Le Duel sous l’Ancien Régime, Paris, Presses de la Renaissance, 1982.

• Foyster, Elizabeth A., Manhood in Early Modern England : Honour, Sex and Marriage. London and New York, Longman, 1999.

• Kiernan, Victor, The Duel in European History : Honour and the Reign of Aristocracy, Oxford, Oxford University Press, 1988.

• Peltonen, Markku, The Duel in Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.

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