Controverse de Ban vs Boësset

Dates

1640

Titre(s) endogène(s)

Dispute Bannius-Descartes : lettre de Descartes à Huygens du 4 février 1647 (Roth, p. 250-251; Adam & Tannery, v. 4, p. 790-791)

Autre(s) titre(s)

Controverse Ban-Boësset (Rasch, article à paraître); Concours musical de Mersenne : Ban-Boësset (D. P. Walker)

Fiche rédigée par Théodora Psychoyou . Dernière mise à jour le 19 October 2014.

Synopsis

Synopsis

Cette controverse sur la composition musicale concerne les modalités de mise en musique d’un texte. Elle oppose deux musiciens, Joan Albert Ban, prêtre catholique et musicien amateur de Haarlem, et le parisien Antoine Boësset, le compositeur probablement le plus important d’airs de cour de son temps, tandis que des savants et théoriciens de la musique interviennent au cours de la controverse en faveur de l’un ou de l’autre et, en réalité, surtout en faveur de Boësset (Marin Mersenne, René Descartes, Constantijn Huygens, « un Trésorier Général » [Jacques de Gouy ?]). Pour Ban, la musique doit être entièrement dépendante du texte à tous points de vue, avec une correspondance quasi déterministe entre la composition musicale et les paroles. Il avait développé une théorie sur la musique vocale (intitulée musica flexamina), selon laquelle chaque élément significatif du texte doit être exprimé dans la mélodie. Ban avait développé pour cela une théorie des affects pour les intervalles musicaux : à chaque intervalle est attribué un certain affect et, pour bien exprimer cet état émotionnel, l’intervalle doit être accordé parfaitement. À cette fin Ban envisage une intonation parfaite (en intervalles purs), un système qui ne peut pas être réalisé avec un clavier normal de douze touches, mais qui exige un « clavier parfait », composé de trente-et-une touches par octave. La prosodie des paroles doit être exprimée fidèlement dans la mélodie, tant par la hauteur des tons que par leurs durées.

Fort de sa théorie, Ban commence à analyser et à émettre des évaluations négatives sur diverses œuvres de compositeurs Français (dont certaines puisées dans les exemples donnés par Mersenne dans ses traités de 1623 et 1636) alors que ses propres compositions sont exemptes des erreurs incriminées. Mersenne lance le défi en soumettant à Ban le poème Me veux-tu voir mourir (attribué par Mersenne à Germain Habert, abbé de Cérisy), déjà mis en musique par Boësset, afin que le Néerlandais livre sa version. Les deux mises en musique du poème Me veux-tu voir mourir sont ensuite comparées, celle de Ban issue de ses règles « déterministes », celle de Boësset dans son propre style musical (défendant la position d’une composition assujettie aux lois musicales).

Ban défend la supériorité de sa version alors que l’air de Boësset reçoit les faveurs de Mersenne, Descartes et du « Trésorier Général » [Jacques de Gouy ?]. Les Français ont donc estimé que la version de Ban était inférieure à celle de Boësset ; Ban, furieux, accuse les Français d’avoir été impolis à son égard. C’est l’absence totale d’argumentation ou de commentaire de la part des Français concernant leur jugement qui l’offense le plus. Sa contre-attaque fait l’objet de critiques encore plus accablantes de la part des Français, alors que Huygens hésite à défendre Ban, sans doute pas convaincu du bien fondé de la position de ce dernier et pas désireux de se mêler dans cette affaire et de s’opposer à ses amis parisiens."

Enjeux

Enjeux

Il y a, au cours de cette abondante correspondance sur cette affaire, deux niveaux d’argumentation. L’un est spécifique à des questions musicales, l’autre mobilise des questions à la fois sociales et nationales, mêlées aux attaques ad hominem et à l’agacement général.

Les enjeux musicaux touchent à l’interprétation du texte, le rôle des accents dans la langue française, le choix du ton ou mode, l’expression des éléments du texte dans la musique et le choix de la mesure, particulièrement la mise en jeu d’une mesure ternaire.

Les enjeux ad personam touchent (et opposent) la renommée de Boësset comme compositeur (et, par contraste, l’insignifiance de Ban à cet égard). L’attitude des Français est condescendante à l’égard de Ban, dont il ne s’agirait pas de considérer l’intérêt de la théorie, à la suite de quoi Ban ne s’est pas vu considéré comme un honnête homme, intègre et sérieux.

Chronologie

Chronologie

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Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

1636-début 1640 : premiers contacts entre Ban et Mersenne, précédant la controverse proprement dite.

En 1636, Huygens rencontre Ban à Haarlem. S’ensuivent quelques lettres dans lesquelles Ban expose ses théories :

• 11 août 1636 : lettre de Ban à Huygens (Rasch 2007, p. 272-278), contenant un remaniement du madrigal Fili mentre ti miro de Pomponio Nenna, « corrigé » par Ban.

• 14 août 1636 : lettre de Huygens à Ban (Rasch 2007, p. 278-280);

• 18 août 1636: Ban à Huygens (Rasch 2007, p. 280-287).

• 23 novembre 1637 lettre de Mersenne à Ban (perdue) : quatre questions à Ban sur les vibrations d’une corde tendue.

• 14 décembre 1637: Ban à Boswell (Jonckbloet 1882, p. lxiii-lxvi): elle livre la réponse de Ban à Mersenne, soumise d’abord à William Boswell, l’ambassadeur anglais à La Haye [après avoir reçu une réponse de Boswell, Ban envoyait lui-même ses réponses à Mersenne : lettre perdue].

• 17 avril 1639 : autre lettre de Ban à Mersenne (De Waard, 7, 1962, p. 205-209, 256-262, 343-346, 384-401), contenant des annexes dont une série de compositions de la main de Ban pour deux à sept voix, une « Anatomia quarundam cantionum musicarum Parisiensium » (des analyses de quelques compositions par des musiciens parisiens), une « Anatomia musicae » (une analyse de quelques compositions de Ban lui-même), un petit traité sur la musique écrit par Ban et la table des matières d’un livre que Ban envisageait d’écrire. Quatre œuvres sont analysées (de Jacques Mauduit, de Claude Le Jeune, et d’un certain « Flaury ») : Ban y voit des erreurs par rapport à sa théorie et propose des améliorations (erreurs absentes, évidemment, de ses propres compositions).

• 26 août 1639 : lettre de Huygens à Mersenne ; dans un post-scriptum concernant les « corrections » de Ban sur la chanson Blessé d’une playe inhumaine de Claude Le Jeune : « Vous estes bien de mesme advis que moy en ce qui est de la comparaison de La playe inhumaine de Claudin, et de Bannius, et qui en juge autrement me semble bien frappé au cerveau d’une playe plus inhumaine » (Waard, 8, 1963, p. 490-494; Rasch 2007, p. 305-309).avril-mai 1640 : début de la controverse

• 1 avril 1640: lettre de Huygens à Mersenne (De Waard, 9, 1965, p. 257-261; Rasch 2007, p. 323-327). Huygens parle de Ban et de « ses discours de musique, suivant lesquels jamais il n’a esté faict aucun bon air seulement, qui est un insolent paradoxe ».

• avril-mai 1640 : envoi par Mersenne du poème Me veux-tu voir mourir à Ban afin que ce dernier le mette en musique, une version par Boësset ayant déjà été composée en 1639.

• 19 mai 1640 : lettre de Ban à Huygens (De Waard, 9, 1963, p. 321-323; Rasch 2007, p. 331-333), relatant que Ban reçoit la lettre de Mersenne le 5 mai et achève sa propre composition le jour-même. Puis, il l’envoie à Huygens par l’intervention de l’architecte Jacob van Campen, afin que celui-ci la remette à Mersenne. Mersenne dut la recevoir fin mai ou début juin.

• lettre de Mersenne à Ban (perdue), livrant le jugement des « français » et délibérant en faveur de la version de Boësset (le contenu est en partie cité dans une lettre de Ban).

• 26 juin 1640 : lettre de Huygens à Ban, livrant à ce dernier une version de l’air de Boësset.

La réplique de Ban

• 20 août 1640 : lettre de Ban à Anna Maria van Schurman (De Waard, 10, 1967, p. 18-46 ; Rasch 2007, p. 348-394). Critique négative de la version de Boësset et apologie de sa propre version, jugée parfaite.

• Copie de la lettre envoyée par Ban à Mersenne par l’intermédiaire de Huygens. Traduction par Mersenne du latin au français à l’attention de Boësset : « Examen du Sieur Bannius de l’air Me veux-tu voir mourir composé par Monsieur Boësset » (Jonckbloet & Land 1882, p. lxx-lxxix; De Waard, 10, 1967, p. 836-844 ; Rasch 2007, p. 406-410).

Les réponses françaises de la lettre de Ban à Anna Maria van Schurman (toutes accablantes pour Ban)

• 3 novembre 1640 : lettre de Mersenne à Huygens (De Waard, 10, 1967, p. 205-207; Rasch 2007, p. 402-410) contenant une copie de l’« Examen du Sieur Bannius… ».

• 14 novembre 1640 : autre lettre de Mersenne à Huygens (De Waard 10, 1967, p. 236-249; Rasch 2007, p. 419-437). Elle comporte une annexe intitulée « Jugement d’un Trésorier-Général sur la lettre de Monsieur Bannius » (attribuée à Jacques de Gouy par Cornelis de Waard).

• 15 novembre 1640 : lettre de Boësset à Huygens (De Waard, 10, 1967, p. 250-253; Rasch 2007, p. 440-444). Le compositeur intervient pour la première fois dans la discussion, et se défend.

• [decembre 1640] : lettre de Descartes à Ban.

• 9 décembre 1640 : lettre de Huygens à Ban (Rasch 2007, p. 447-448), lui réexpédiant les lettres de Mersenne et de Boësset de novembre 1640

• 15 décembre 1640 : lettre de Ban à Huygens (Rasch 2007, p. 448-451), première réaction furieuse de Ban.

• 12 janvier 1641 : lettre de Ban à Huygens (Rasch 2007, p. 452-472)

• 13 janvier 1641 : lettre de Ban à Mersenne (Jonckbloet & Land 1882, p. cviii-cxii; Waard, 10, 1967, p. 400-404). Ces deux dernières comportent des réactions plus étendues voire point par point aux critiques de Boësset et du « Trésorier Général ».

• 16 janvier 1641 : lettre de Huygens à Ban (Rasch 2007, p. 475-479). Il lui demande de ne pas s’emporter et démarque sa position à la fois de Ban et des Français.

• 18 janvier 1641 : lettre de Ban à Huygens (Rasch 2007, p. 479-488). Ban poursuit l’exposé de sa réfutation des critiques des Français.

Après cette lettre, le sujet disparaît des correspondances de Mersenne, Huygens et Ban, pour connaître quelques ultimes rebondissements courant 1642.

• 29 avril 1642 : lettre de Huygens à Ban livrant un nouveau commentaire parisien sur la lettre à Anna Maria van Schurman et une nouvelle composition de Me veux-tu voir mourir, tous les deux par un “Conseiller parisien” (De Waard, 11, 1970, p. 133-134; Rasch 2007, p. 639-642)

• 1 mai 1642 : lettre de Ban à Huygens, réaction furieuse à la lettre précédente (Rasch 2007, p. 642-646).

• 19 août 1642 : nouvelle pièce française envoyée par Huygens à Ban (Rasch 2007, p. 658-661).

• 16 septembre 1642: réponse de Ban à Huygens (Rasch 2007, p. 662-665), on apprend que la pièce était de Guillaume Dumanoir (maître de danse à la cour de Frédéric Henri à La Haye, donc probablement une connaissance personnelle de Huygens).

Sources secondaires

• 27 juillet 1644 : mort de Ban. Cette nouvelle est transmise par Huygens à plusieurs correspondants, et ces échanges ont suscité divers commentaires relatifs à la polémique, et aux velléités de compositeur de Ban :

• 6 août 1644, lettre de Jacob van der Burgh (ami commun) à Huygens (Worp 4, 1915, p. 26-27) : « Je ne sçay si vous sçavez que Dieu a retiré de ce monde le pauvre Bannius. J’espère qu’il entendra meilleure musique [dans le ciel] qu’il ne s’est imaginée estant en vie. S’il avoit des erreurs, il avoit l’âme bonne ».

• 16 août 1644, Huygens transmet la nouvelle à Mersenne (De Waard 13, 1977, p. 193-197): «  Et les sciences y perdent beaucoup, nommément celle qu’il embrassoit si fort. Car, comme j’ay tousjours dit, il y avoit des choses considérables en ses principes, quoyque la prattique n’en réuscissoit pas entre ses mains. Car autre chose est de bien sçavoir la prosodie et autre d’estre bon poète. Enfin, un honeste amy perdu, mais Dieu l’a faict ».

Fin 1646, début 1647 Huygens et Descartes discutent les théories musicales de Ban :

• 30 novembre 1646 : lettre de Descartes à Huygens : Descartes livre une copie de sa lettre à Ban de décembre 1640 (« […] vous prendrez peut-estre plaisir à voir ce qu’un homme qui n’a jamais sceu apprendre à chanter ut re mi fa sol la, ny à juger si un autre le chantoit bien, a conjecturé touchant un sujet qui ne dépend que du jugement de l’oreille »).

• 7 janvier 1647 : réponse de Huygens à Descartes (Roth 1926, p. 249-250; Adam & Tannery v. 4, p. 789-790) : « Je vous rends [...] mes remerciemens très-humbles pour la très-bonne réfutation du pauvre Bannius. Il avoit besoin d’un censeur de vostre autorité, que seule il recognoissoit parmi nous autres petits chiens, qu’il croyoit ne faire qu’aboyer. Cependant, j’ay creu avoir le mot à dire en ceste matière, et en suis encor d’advis, mais cela seroit long pour ce papier. A quelqu’entreveue nous nous en entretiendrons ».

• 4 février 1647 : réponse de Descartes à Huygens (Roth 1926, p. 250-251; Adam & Tannery, v. 4, p. 790-791) : « Cependant je ne puis m’abstenir d’escrire ces lignes, pour vous prier de continuer en la volonté de me faire part de vos considérations sur le sujet de ma dispute avec Bannius, car je ne doute point qu’elles ne servent beaucoup à mon instruction, et si je ne meurs que de vieillesse, j’ay encore envie quelque jour d’escrire de la théorie de musique ».

• Marin Mersenne, Harmonicorum libri XII, seconde édition (Paris, 1648), p. 153-154 : Mersenne y insère le petit traité de musique que Ban lui avait envoyé avec sa lettre du 17 avril 1639.

Bibliographie critique

Éditions critiques :

• Correspondence of Descartes and Constantin Huygens (1635-1647), edited by Leon Roth, Oxford, The Clarendon Press, 1926.

• « Correspondance », Œuvres de Descartes, vol. 1-5, éditées par Charles Adam et Paul Tannery, Paris, Cerf, 1896-1903.

W.A.J. Jonckbloet & J.P.N. Land, Musique et musiciens du dix-septième siècle: La correspondance musicale de Constantin Huygens (Leiden, 1882).

D.P. Walker, « Mersenne’s Musical Competition of 1640 and Joan Albert Ban », Studies in Musical Science in the Late Renaissance (London, 1978), p. 81-110.

Rudolf Rasch, Driehonderd brieven over muziek van, aan en rond Constantijn Huygens (Hilversum, 2007).

Rudolf Rasch, « La controverse des controverses : Ban contre Boësset 1640-1641 », Parallèles, querelles, confrontations dans le discours sur la musique au xviie siècle, éd. Théodora Psychoyou, Mardaga ; à paraître

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