Controverse entre Las Casas et Sepulveda

Dates

1550

Titre(s) endogène(s)

Dispute ou controverse entre Las Casas et Sepulveda (Bartolomé de Las Casas, Aqui se contiene una disputa…)

Fiche rédigée par Mathilde Bernard . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

Le 03 juillet 1549, le Conseil des Indes, gouvernement espagnol de l’Amérique, sollicite de l’empereur Charles Quint un débat sur la manière dont doivent se faire les conquêtes espagnoles d’Amérique, pour assurer la justice et la sécurité de conscience.

Le 16 avril 1550, Charles Quint ordonne la suspension de toutes les conquêtes dans le Nouveau Monde et envoie en juillet des convocations pour participer à ce débat que l’empereur veut faire porter sur toutes les expéditions de découverte. Le théologien Juán Ginès de Sepúlveda et le religieux dominicain Bartolomé de Las Casas acceptent de s’affronter devant quinze juges – trois théologiens dominicains, un franciscain, un évêque, et des hommes choisis dans le Conseil des Indes, le Conseil royal suprême et le Conseil des grands ordres chevaleresques. Sepúlveda est un humaniste érudit, traducteur d’Aristote, porte-parole de l’ex-conquistador Cortès, de l’ex-président du Conseil des Indes, Garcia de Loaisa et du premier historien de la conquête américaine, Fernandez de Oviedo, tandis que Las Casas est un homme de terrain, religieux dominicain, ex-évêque du Chiapas au Mexique, ex-protecteur officiel des Indiens, auteur de nombreuses interventions pro-indigénistes et anti-conquistadors. Les participants se réunissent le 15 août 1550, dans la chapelle du collège Saint-Grégoire de Valladolid, cette ville étant alors la capitale politique et administrative de l’Espagne.

Sepúlveda explique sa position en se fondant sur l’argumentation développée dans son Apologie. Il soutient qu’il est légitime d’employer la force pour évangéliser les populations amérindiennes, dans la mesure où elles sont idolâtres, barbares et serviles, anthropophages et qu’il est nécessaire de les soumettre pour pouvoir les instruire. Las Casas glose alors l’Apologie qu’il a rédigée en réponse à celle de Sepúlveda, soutenant quant à lui que l’Évangile doit être prêché de façon pacifique grâce à la conviction, et que les guerres font plus de morts que le cannibalisme. Les séances s’interrompent en septembre et Domingo de Soto en fait le résumé.

Elles ne reprennent qu’en avril 1551, après des mises en demeure officielles de la Couronne. Elles tournent alors pour l’essentiel autour du sens de la bulle du pape Alexandre VI, qui, en 1493, avait fait don de l’Amérique découverte aux rois d’Espagne : veut-elle signifier que ce don est modal (théorie de Las Casas), subordonné à l’impératif d’évangélisation pacifique, ou absolu (théorie de Sepúlveda) ? Le franciscain Bernardino de Arévalo se prononce en faveur de Sepúlveda et Domingo Soto en faveur de Las Casas.

Les deux adversaires se déclarent vainqueurs de cette controverse, mais aucune déclaration ne vient jamais dire officiellement quelle était la position de la Couronne. Cela dit, Sepúlveda est frappé d’une interdiction de publication qui ne touche pas Las Casas.

Enjeux

Enjeux

On ignore le déroulement exact de la controverse, dans la mesure où elle a essentiellement été rapportée par les antagonistes, qui en gauchissaient la réception. Les autorités religieuses ou impériales n’ont pas n’en ont pas non plus donné une interprétation claire et n’ont pas exposé ses résultats. Il n’en reste pas moins qu’elle est célèbre pour plusieurs raisons et qu’elle a une importance considérable.

La controverse ne porte pas véritablement sur la question de savoir si les Indiens ont une âme – ce que donne à croire la version théâtrale élaborée par Jean-Claude Carrière –, cette question ayant été résolue dans le sens positif depuis les Rois catholiques. Mais elle pose la question de l’évaluation et de la hiérarchie des civilisations, vouée à un grand avenir. Si la nécessité chrétienne et charitable de l’évangélisation des Indiens n’est jamais remise en cause, les moyens le sont : Las Casas force les Européens à relativiser leur conception de la barbarie ; on sait la fortune que ce thème aura chez les humanistes de la deuxième moitié du siècle, et notamment chez Montaigne.

Si à première vue la controverse de Valladollid est un problème espagnol qui concerne les Espagnols, nouveaux maîtres de toute une partie du monde, les participants mêmes de ces débats se sont très vite rendu compte de la portée universelle des thèmes qu’ils abordaient, comme le prouve la prudence avec laquelle les juges se sont prononcés. La controverse de Valladolid marque un sursaut de conscience de la part des catholiques qui réfléchissent à cette question de leur droit sur la conscience de l’autre et de la bonne démarche en matière d’évangélisation. La question de l’attitude à adopter face à la conscience que l’on juge en train de se damner, qu’elle soit païenne ou hérétique, est un point central de la controverse au XVIe siècle et pose les premiers jalons du grand débat sur la tolérance, qui sourd tout au long du siècle, sans jamais dire son nom.

Chronologie

Chronologie

• 1549/07/03 : le Conseil des Indes sollicite de l’empereur Charles Quint un débat sur la manière dont doivent se faire les conquêtes espagnoles d’Amérique.

• 1550/04/16 : Charles Quint ordonne la suspension de toutes les conquêtes dans le Nouveau Monde

•  1550/07 : Charles Quint envoie des convocations pour la controverse

• 1550/08/15 : début de la controverse

- Argumentation de Sepúlveda

- Réponse de Las Casas

• 1550/09 : Interruption de la controverse

• 1551/04 : reprise de la controverse, qui n’a pas de fin véritable, les deux adversaires se déclarant vainqueurs

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• Bartolomé de Las Casas, Aqui se contiene una disputa o controversia entre el obispo Dom Fray Bartholomé de Las Casas ó Casaus, obispo que fué de la ciudad real de Chiapa... y el doctor Gines de Sepulveda,... sobre que el doctor contendia que las conquistas de las Indias contra los Indios eran licitas, y el obispo... defendió y affirmo aver sido... tirannicas, injustas y iniquas. La qual questión se... disputó... en la villa de Valladolid... año 1552, Séville, Sebastián Trugillo, septembre 1552 ; édition utilisée : La Controverse entre Las Casas et Sepúlveda, édition de N. Capdevila, Paris, Vrin, 2007.

• Bartolomé de Las Casas, Proposiciones temerarias, escandalosas y heréticas que notó el doctor Sepúlveda en el libro de la conquista de las Indias que fray Bartolomé de las Casas, obispo de Chiapa, hizo omprimir sin licencia, s.l.n.d. dans Antonio María Fabie, Vida y escritos de don fray Bartolomé de las Casas, Madrid, Miguel Ginesta, 1879. La bibliographie de Las Casas note « sin fecha ni lugar », et comme référence le livre de Fabie.

• Bartolomé de Las Casas / Juán Ginès de Sepulveda, Apología de Juan Ginés de Sepúlveda contra Fray Bartolomé de Las Casas y de Fray Bartolomé de Las Casas contra Juan Ginés de Sepúlveda, Madrid, éd. nacional, 1975.

• Gonzalo Fernandez de oviedo, Historia general y natural de las Indias, 1535 ; autre édition traduite par Jean Poleur : L’Histoire naturelle et générale des Indes, Paris, M. Vascosan, 1555.

• Juán Ginès de Sepulveda, Apologia pro libro de iustis belli causis, Rome, ad Antonium Ramirum Episcopum Segoviensem 1550 ; autre édition : Obras completas, Pozoblanco, Ayuntamento de Pozoblanco, 1995-2003.

• Juán Ginès de Sepulveda, Democrates primus, dans Tratados políticos, Rome, Antonium Bladum, 1535 ; édition d’Angel Losada, Madrid, IEP, 1951.

• Juán Ginès de Sepulveda, Democrates secundus o de las justa causas de la guerra contre los indios. Le livre n’a apparemment jamais été imprimé avant Madrid, CSIC, 1984.

Sources secondaires

• Bartolomé de Las Casas, Brevísima relación de la destrucción de las Indias, Séville, Sebastien Trugillo,1552 ; édition utilisée Très brève relation de la destruction des Indes, Paris, Chandeigne, 1995.

• Bartolomé de Las Casas, Historia de las Indias, première édition : 1875-1876, Madrid, Imprimerie de N. Ginesta, 5 vol. ; édition utilisée Histoire des Indes, 3 tomes, traduction de J.-P. Clément et J.-M. Saint-Lu, Paris, Seuil, 2002.

• Francisco Lopez de Gomara, La Historia general de las Indias, Saragosse, Agustín Millán, 1554 ; autre édition traduite par M. Fumée, sieur de Marly Le Chastel : Histoire généralle des Indes occidentales et terres neuves, 1569.

Bibliographie critique

• Marcel Bataillon, Études sur Bartolomé de Las Casas, Paris, Centre de recherches de l’Institut d’études hispaniques, 1966.

• Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau monde, tome 1, De la découverte à la conquête (1492-1550), Paris, Fayard, 1991.

• Bartolomé et Lucile Bennassar, 1492 : un monde nouveau ?, Paris, Perrin, 1991.

• Nestor Capdevila, Las Casas : une politique de l’humanité. L’homme et l’empire de la foi, Paris, Éditions du Cerf, 1998.

• Jean Dumont, La Vraie Controverse de Valladolid. Premier débat des droits de l’homme, Paris, Criterion, 1995.

• Lewis Hanke, The Spanish struggle for justice in the conquest of America, traduction par François Duris, Colonisation et conscience chrétienne au XVIe siècle, Paris, Plon, 1957.

• Alvaro Huerga, Bartolomé de Las Casas. Vie et œuvres, Paris, Les éditions du Cerf, 2004.

• Bernard Lavallé, Bartolomé de Las Casas. Entre l’épée et la croix, Paris, Payot, 20007.

• Marianne Mahn-Lot, Bartolomé de Las Casas et le droit des Indiens, Paris, Payot, 1982.

• Fernando Vázquez de Menchaca, Controversias fundamentales y otras de más frecuente uso, Valladolid, 1932-1934.

• Silvio Zavala, « Aspectos formales de la controversia entre Sepúlveda y Las Casas en Valladolid a mediados des siglo XVI », Cuadernos Americanos (Mexico), CCXII, 1977, p. 135-152.

Liens

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