Débat autour de la duchesse d’Estramène

Dates 1682 - 1682

Fiche rédigée par Sara Harvey . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

En mars 1682, le mensuel du Mercure galant annonce la publication de la Duchesse d’Estramène pour le 15 du mois suivant chez Claude Blageart. Le rédacteur de cette annonce, Jean Donneau de Visé, précise que le livre est très attendu au point qu’il alimente déjà des conversations sur le style et les rapports entre l’éthique du personnage principal et celle de l’auteur. Le mois de mai suivant, soit environ quinze jours après sa parution annoncée, la Duchesse d’Estramène est l’objet d’un débat public selon le même Jean Donneau de Visé.

Miroir de l’actualité, le Mercure galant donne de la visibilité à cette dispute en publiant une longue critique formulée par Étienne Pavillon qui conserve l’anonymat et prend le masque du cavalier. Il s’adresse à l’auteur qu’il associe à une femme. Sa critique reprend les éléments évoqués un mois plus tôt dans l’annonce publicitaire de Donneau de Visé. D’une part, il critique l’austérité morale du personnage principal qu’il identifie à un choix de la part de l’auteur de représenter sa propre vertu, plutôt que de respecter la passion amoureuse imposée par l’histoire. Partant d’une confusion entre la personnalité de l’auteur et celle du personnage principal, le cavalier produit une série d’observations sur la vraisemblance dans le récit en regard du comportement des protagonistes. Ce problème qui tourne autour de l’illusion référentielle est, du reste, mis en relation avec la question de la réception des lecteurs et de leur adhésion à l’histoire racontée. D’autre part, le critique fait des remarques sur le style naturel choisi pour illustrer la passion amoureuse. Il compare ce style à celui de la Princesse de Clèves. Il termine ses observations en annonçant une seconde partie à ses remarques.

Au mois de juin, paraît une réponse de la part de l’auteur de la Duchesse d’Estramène. Ce dernier (Du Plaisir), qui conserve son anonymat et assume une parole féminine, répond d’abord aux remarques du censeur en révélant que l’histoire n’est pas vraisemblable, puisqu’elle illustre une aventure réelle en lien avec l’actualité immédiate de la cour. Il étaye son propos par d’autres exemples où la vérité paraît moins vraie que l’invention. Par ailleurs, le style des remarques et l’attitude du cavalier sont commentés par l’auteur. Le débat lui-même est ainsi intégré à la discussion et, par effet de réflexivité, est jugé à partir des relations entre la morale, les passions et la manière de formuler un jugement critique à l’intérieur d’une dispute.

Dans la même livraison, le cavalier complète sa chronique du mois précédent par des commentaires critiques au sujet de la seconde partie de l’histoire. Il revient sur la question du vraisemblable en déplorant cette fois l’influence thématique du roman héroïque dans l’histoire galante.

La querelle se termine abruptement sur ces dernières remarques. 

Enjeux

Enjeux

• Le débat autour de la Duchesse d’Estramène souscrit aux ambitions du Mercure galant :

D’une part, il participe d’une dynamique publicitaire propre au périodique qui fait le suivi de certaines parutions d’actualité sur plusieurs mois afin de donner une meilleure visibilité à quelques auteurs – c’est notamment le cas de Fontenelle, de Catherine Bernard, de Jean Préhac – ou à certains libraires, c’est notamment le cas de Claude Blageart et Michel Brunet. Illustration de la réception immédiate des lecteurs et du bruit produit par certaines actualités éditoriales, la dispute de la Duchesse d’Estramène figure comme une discussion de circonstance motivée par une stratégie promotionnelle.

D’autre part, la querelle s’élabore selon les exigences du mensuel, c’est-à-dire que le jugement critique respecte les codes de l’échange galant : les observations négatives sont équilibrées par des remarques élogieuses ; les deux acteurs du débat s’adaptent au comportement stéréotypique de leur interlocuteur (la femme auteur et le cavalier) ; le style est simple et naturel et n’est pas encombré de termes techniques ; l’emploi pédagogique d’illustrations est récurrent et l’ensemble est agrémenté de commentaires de civilité. Au point que la querelle paraît conciliante et vise avant tout à déterminer un comportement critique normé et exemplaire.

• Les enjeux qui animent ce débat font par ailleurs écho aux règles éthiques et esthétiques qu’élabore le périodique lui-même en tant que forme littéraire dans laquelle s’inscrit la critique d’actualité qui est l’une des rubriques centrales du journal à cette période. Le comportement moral des protagonistes est le principal objet de la dispute et renvoie à l’effet d’adhésion et d’identification du lecteur vis-à-vis des personnages de fiction qui sont ici mis en relation avec l’éthique de l’auteur. Si la discussion autour de la Duchesse d’Estramène n’est pas explicitement exposée au jugement des lecteurs comme ce fut le cas quelques années plus tôt avec la querelle de la Princesse de Clèves dans le même Mercure galant, elle participe très clairement à l’élaboration de normes de la passion et de l’éthique galante qu’illustrent par ailleurs les questions morales qui paraissent dans les Extraordinaires de 1678 à 1684. Est par cette voie aussi posée la comparaison entre la mise en récit de l’histoire vraie versus l’histoire vraisemblable qui est l’un des enjeux constitutifs des nouvelles, histoires et anecdotes d’actualité. Cette question qui est au coeur des récits brefs qui succèdent aux romans héroïques sera significativement théorisée par l’auteur même de la Duchesse d’Estramène, le sieur Du Plaisir. Moins d’un an plus tard est publié Sentimens sur les Lettres & sur l’Histoire, œuvre qui théorise la nouvelle galante.

Même si elle est brève, sans suite et finalement peu informée, la discussion autour de la Duchesse d’Estramène paraît néanmoins importante en tant que modèle de la dispute galante. Cette forme singulière de débat se constitue dans les années 1660 autour d’une génération de jeunes polygraphes animés par le souffle de la galanterie (Jean Baudeau de Somaize (1630-v1680), Edme Boursault (1638-1701), Adrien Perdou de Subligny (1639-1696), Jean Donneau de Visé (1638-1710)). Ces « agitateurs » revendiquent explicitement une posture moderne : ils pratiquent, mais aussi jugent les œuvres dans leur rapport à l’événementialité et traitent les affaires littéraires avec pragmatisme. À l’opposé d’une approche docte qui inscrit le littéraire dans une tradition, ces jeunes ambitieux développent une critique de la circonstance en adéquation avec la « science du beau monde » et la réalité du commerce du livre et des affaires théâtrales. Lorsque Jean Donneau de Visé devient le directeur et principal rédacteur du Mercure galant, il a déjà une importante feuille de route comme « iniateur » de ce type de querelles (Molière (Le Cocu imaginaire, L’École des femmes) et Corneille (Sophonisbe, Sertorius)) et a très bien compris que la réputation des nouveaux auteurs repose sur la création d’événements de publication capables de donner un maximum de visibilité aux littérateurs (le critique, mais aussi l’auteur critiqué) et de les inscrire dans des réseaux d’influence. Dans le Mercure galant, Jean Donneau de Visé se focalise sur la dimension publicitaire des querelles au point d’en faire l’un des moteurs de la critique littéraire. Ce qui a pour effet de neutraliser la dimension polémique et satirique des débats en événements d’actualité où le dissensus repose sur l’expression d’une entente et d’une reconnaissance préalables. Ainsi intégré au journal, le débat littéraire permet de créer des modèles et des normes, incluant la dispute elle-même comme dialogue critique qui doit être « constructif ». C’est bien ce que révèle le débat ponctuel autour de la La Duchesse d’Estramène qui se pense avant tout en termes de stratégies de captation et de légitimation à des fins d’adhésion.  

Chronologie

Chronologie

• 28 mars 1682 : annonce de la publication (le 15 avril suivant) de la Duchesse d’Estramène dans le Mercure galant.

• Mai 1682 : première critique dans le Mercure galant formulée par le cavalier qui est Étienne Pavillon.

• Juin 1682 : réponse de l’auteur dans le Mercure galant à la critique du mois précédent. L’auteur, qui est le sieur Du Plaisir, conserve l’anonymat et assume le statut d’auteur féminin. Dans la même livraison, une seconde critique est formulée par le cavalier. Elle appelle une réponse, mais la discussion se termine pourtant sur cette seconde critique. 

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• Mercure galant, Paris, Palais, mars 1682 (p. 341-342), mai 1682 (p. 206-234), juin 1682 (p. 27-41 et p. 246-263)

Sources secondaires

• Nouvelles extraordinaires de Divers endroits du mardi 26 mai 1682, Leyde, Imprimerie de la Veuve Van Gelder.

Bibliographie critique

• Esmein, Camille, L’Essor du roman. Discours théorique et constitution d’un genre littéraire au XVIIe siècle, Paris, H. Champion, 2008.

• Esmein, Camille, Poétiques du roman. Scudéry, Huet, Du Plaisir et autres textes théoriques et critiques du XVIIe siècle sur le genre romanesque, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources classiques », 2004, 960 p.

• Godenne, René, La Duchesse d’Estramène, introduction par René Godenne, Genève, Slatkine, 1978.

Liens

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