La querelle des femmes dans le monde de l’imprimerie en France

Dates 1617 - 1632

Fiche rédigée par Alexis Tadié . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

La querelle et son déroulement sont marqués par des compositions nouvelles ou par des réimpressions, à Paris ou en Province.

C’est un auteur normand qui relance la querelle : le sieur de Fierville de l’Aigle fait publier à Caen (probablement à ses propres frais) sa Caco-gynie ou mechanceté des femmes, avant septembre 1617. Il qualifie cet ouvrage de « compendium ou racourcy tableau » des humeurs et méchancetés des femmes. Son existence est attestée par la réfutation de Baudot (2) : ce traité consiste d’abord en une série de preuves théologiques et physiologiques, suivie d’une liste des vertus dans laquelle on trouve des exemples de femmes qui en sont dotées. Un marchand-libraire imprime ensuite un texte anonyme, Alphabet de l’imperfection et malice des femmes (3), ouvrage imprégné de misogynie cléricale. Cet Alphabet provoque la réfutation d’un certain « Sieur Vigoureux, Capitaine du Chasteau de Brye Comte Robert » (4) dont l’imprimeur, Pierre Chevalier appartient au camp des libraires du Palais. L’auteur de l’Alphabet, en répondant (5) à cette Defense des femmes prétend révéler son « vrai » nom (« Jacques Olivier, Licencier aux Loix, et en Droict Canon ») ; en même temps il dévoile le pseudonyme du Capitaine Vigoureux (« Barbier, avocat du Conseil »), et se fait seconder par un certain « Sieur de la Bruyère, gentil-homme bearnois », qui vient à son secours avec une Replique à l’antimalice ou defense des femmes du sieur Vigoureux (6). Ces deux ripostes (5 et 6) sont publiées par Jean Petit-Pas et obtiennent leur privilège le même jour. Un certain « [Maître] Abraham Bernier Champenois » entre alors en lice avec son Apologie contre le livre intitué Alphabeth de la meschanceté des femmes (9), suivi par Adam de l’Escale, un Chevalier de Malte de souche italienne. Dans son Champion des femmes paru en 1618 (10), il s’affuble d’un harnais militaire, tout comme le capitaine Vigoureux et, plus tard, les auteurs des deux « boucliers ». L’Escale accuse Jacques Olivier d’être l’auteur du traité attribué à La Bruyère ; plus tard (en 1631), il va plus loin, et révèle le vrai nom de l’auteur de l’Alphabet, qui l’a caché dans les lettres initiales d’un sonnet acrostiche : c’est le Cordelier Alexis Trousset.

Les publications sont ensuite suivies de réimpressions de textes plus anciens (par exemple (11)), que des imprimeurs ou colporteurs opportunistes publient pour tirer profit de l’intérêt que montre le public pour la querelle. Le rythme accéléré de la polémique ressort clairement, notamment, des dates des privilèges (août, début octobre, fin octobre, 1617, mai 1618). En 1619, une nouvelle édition de l’Alphabet voit le jour (13), si bien qu’il est raisonnable de supposer que plus de 5 000 exemplaires de l’Alphabet de Trousset et 2 000 du traité de Fierville ont été écoulés sur le marché français en moins de dix ans (et dans le cas de Trousset, 10 000 en quatorze ans). La capitale suffit à elle seule à écouler tous les exemplaires.

Plusieurs points doivent être notés dans la forme des publications. D’abord l’utilisation de différents genres :

- Fierville est inspiré par la prolifération d’ouvrages satiriques qui exploitent les méthodes de la rhétorique démonstrative. Il qualifie son texte de « compendium » ou de « tableau » et se sert des trois modes d’argumentation propre au genre (raisonnement, exemple, autorité) ; son texte s’apparente en cela à une parodie de l’herméneutique chrétienne. Les écrivains misogynes s’appuient sur des textes établissant la supériorité des hommes sur les femmes en puisant notamment l’ancien Testament et les épîtres pauliniennes, si bien que leurs adversaires, comme L’Escale, les accusent de falsifier et corrompre la sainte Écriture, et de réduire la querelle ainsi à une dispute entre exégètes

- On observe encore l’usage du discours pastoral homélisant, qui mêle sur un ton homilétique une invective sentencieuse contre le vice à des exemples historiques de mauvaises femmes (c’est le cas de Trousset).

- On compte encore parmi ces genres celui du texte-miroir ou de la réfutation qui se calque sur la structure du texte original ou y répond point par point (L’Escale, Vigoureux-Barbier ou Trousset et de La Bruyère).

- Le petit livret ou les feuilles volantes que l’on appelle alors canard, caquet, complainte, chanson, factum, brocard ou encore pasquinade.

- Les histoires tragiques, publiées en compendia et qui s’approprient parfois les récits des canards.

Tous ces écrits se lisent et se vendent dans un contexte de grande instabilité politique et religieuse. Les luttes religieuses et la vie de la société à Paris dans les années 1610 sont déterminantes dans le déroulement de la querelle des femmes. Les textes anti-féministes sont ainsi opposés aux « mondaines » de la capitale. Les luttes religieuses au sein du catholicisme jouent aussi un rôle (les prêtres séculiers s’efforcent de garder la supériorité sur les ordres réguliers, ainsi que sur les Jésuites, les réguliers font cause commune contre séculiers, mais se déchirent entre eux, etc.).

Les participants, à tout le moins ceux qui utilisent leur vrai nom, sont avant tout des avocats (habitués des harangues et des trois modes d’argumentation). On peut cependant se demander pourquoi ces auteurs n’écrivent qu’un seul ouvrage. Le sujet exige-t-il un seul texte ?

Le point de vue des imprimeurs et des éditeurs est ici essentiel parce que ce sont eux qui financent les éditions, et plusieurs éditeurs en vue, comme Jean Petit-Pas, apparaissent ici.

Les acheteurs et lecteurs appartiennent à toutes les couches sociales (les « canards » sont en particulier très goûtés des élites), mais l’identification d’acheteurs historiques est ici malaisée. 

Enjeux

Enjeux

• Le monde de l’édition dans la querelle des femmes :

La querelle témoigne des luttes religieuses entre réguliers et séculiers, de la présence à Paris d’une bande de joyeux lurons, de certains débats politiques contemporains, mais elle n’en est pas un élément dynamique, ce qui va changer trente ans plus tard sous la régence d’Anne d’Autriche.

• Faits matériels de l’imprimerie, et absence de réglementation :

Le marché parisien des livres est vibrant et n’a pas besoin d’autre débouché que celui de la capitale. Il est régenté par deux camps, qui enfreignent tous les deux les mêmes règlements qu’ils s’évertuent à imposer à leur propre communauté de marchands libraires, d’imprimeurs, et de colporteurs. La comparaison avec l’Angleterre montre l’importance du marché des livres à Paris, et la domination du genre théâtral en Angleterre.

• Enjeux esthétiques :

Les genres littéraires dont se compose la querelle des femmes n’attirent pas les meilleurs esprits de la capitale, et ne sont pas tout à fait pris au sérieux par les lecteurs, même si ces textes, où le rire occupe une place importante, se vendent abondamment.

Chronologie

Chronologie

Voir la bibliographie

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

Sieur de Fierville [de l’Aigle] alias Ferville, Cacogynie ou méchanceté des femmes, Caen, 1617, in-12 [Dubuisson-Aubenay]

François-Nicolas Baudot, sieur d’Aubuisson et d’Aubenay, Traité de la perfection des femmes comparée à celle des hommes MS [contre Fierville] daté septembre 1617

Anon., Alphabet de l’imperfection et malice des femmes, dedié à la plus mauvaise du monde, Paris, Jean Petit-Pas, 1617, in-12, 360 p. Priv. 30.8.1617 (en faveur de Petit-Pas)

« Le sieur Vigoureux, Capitaine du Chasteau de Brye Comte Robert » [ ?Josué Barbier, avocat du Conseil], La Defense des femmes, contre l’alphabet de leur pretendue malice et imperfection, Paris, Pierre Chevalier, 1617, in-12, 16+210+16 p, Priv. 3 10.1617 (en faveur de ??)

« Jacques Olivier, Licencier aux Loix, et en Droict Canon, auteur de l’Alphabet […] » [Alexis Trousset, Cordelier], Responce aux impertinences de l’aposté Capitaine Vigoureux, sur la defense des femmes, Paris, Jean Petit-Pas, 1617, in-12, 252+12p. Priv. 27.10.1617 (en faveur de Petit-Pas)

«Le Sieur de la Bruyère, gentil-homme bearnois » [Alexis Trousset, Cordelier] Replique à l’antimalice ou defense des femmes du sieur Vigoureux […], Paris, Jean Petit-Pas, 1617, in-12, [316 p] Priv 27.10.1617 (en faveur de Petit-Pas)

*Fierville, La mechanceté des femmes, Paris, Pierre Rocolet, 1618, in-12, 189+7 p., « iouxte la copie imprimee à Caen »

*Trousset, Alphabet […], Paris, Jean Petit-Pas, 1617-9, in-12 [deuxième impression : voir l’édition de 1619]

[Maître] Abraham Bernier Champenois, Apologie contre le livre intitulé Alphabeth de la meschanceté des femmes. Par laquelle l’on void l’excellence de leurs vertus et perfections, Paris, Joseph Bouillerot, 1618, in-12, 14+ 55 p. Achevé d’imprimer 11 5 1618

[Adam Scaliger] Le Chevalier de l’Escale, Le Champion des femmes, qui soutient qu’elles sont plus nobles, plus parfaites et en tout plus vertueuses que les hommes, contre un certain misogynes, anonyme auteur et inventeur de l’imperfection et malice des femmes, Paris, veuve Matthieu Guillemot, 1618, in-12, 191-3 p., Priv. 1506. 1618 (en faveur de Guillemot)

*L’Excellence des femmes avec leur response à l’autheur de l’Alphabet. Accompagnee d’un docte et subtil discours de la feu reyne Marguerite, envoyé sur le mesme suiet à l’autheur des secrets moraux [François Loryot, S.J, 1614], Paris, Pierre Passy, 1618, in-8, 15 p.

*Fierville, La mechanceté des femmes, Paris, Joseph Guerreau, 1619, in-12, 189+7 p., « iouxte la copie imprimee à Caen »

*Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine [« troisiesme edition »], Paris, Jean Petit-Pas, 1619, in-12, 431 + 24 p.

*Etienne Pasquier, Les Œuvres meslees, tome troisiesme, [éd. André Duchesne], Paris, Iean Petit-Pas, 1619, in- 8 Priv. 16 6 1619 (en faveur de Petit-Pas et Laurent Sonnius) [contient Le Monophile]

*[Nicole Estienne, Mme Liébaut] Discours pitoyable, des lamentations de la femme mariee [= Les miseres de la femme mariee], Lyon, Thomas Arnaud d’Armosin, 1619, in-4, 8 p.

*Le purgatoire des hommes mariez, avec les peines et tourmentz qu’ils endurent incessamment au subject de la malice et mechanceté des femmes, Paris, iouxte la coppie imprimee à Lyon par François Paget, 1619, in-8, 8 p.

*Thomas Arnaud d’Armosin [=Marie de Romieu], Discours admirable de l’excellence des femmes, s.l. [Lyon, Thomas Arnaud d’Armosin], 1619, in-4, 8 p. « avec permission »

Le Sieur de Gaillar, Le Bouclier des femmes contre les impostures et les calomnies des mesdisans de leur sexe, Paris, Jacques Bessin, 1621, in-8, 16 p.

Louys [Le] Bermen, sieur de la Martinière, Le bouclier des dames, contenant toutes leurs belles perfections, Rouen, Jacques Besongne, 1621, in-12, 21+3+401+3 p.

Cristoforo Bronzini, L’Advocat des femmes ou de leur fidelité et constance. Dialogue contre les medisans de ce temps. Traduit d’italien en françois, par [le sieur de l’Escale]. Paris, Toussainct du Bray, 1622, in-12, 140 p. L’original fut publié en 1622.

Marie le Jars de Gournay, Egalité des hommes et des femmes. A la Reyne, s.l, s.n, 1622, in-8, 28p.

La Response des dames et bourgeoises de Paris au caquet de l’accouchée 1622 (parodie de L’Egalité de Marie de Gournay), Paris « chez l’imprimeur de la ville, à l’enseigne de trois pucelles », 1622, in-8, 16 p.

Les singeries des femmes de ce temps decouvertes, et particulierement d’aucunes bourgeoises de Paris, s.l., s.n, 1623, in-8, 16 p.

« L. S. R. », Tableau historique des ruses et subtilitez des femmes. Où sont naivement representees leurs mœurs, humeurs, tirannies, cruautez, desseins, inventions, feintises, tromperies, et generalement leurs artifices et practiques. Le tout confirmé par histoires arrivés en France de nostre temps, non moins veritables que tragiques et prodigieuses, Paris, Rollet Boutonné, 1623, in-8, 16+643 p. Priv. 25 1 1623, accordé à Pierre Billaine, cédé à Joseph Guerreau, cédé après à Rollet Boutonné,

*Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine [« quatriesme edition »], Paris, Jean Petit-Pas, 1623, in-12, 431 + 24 p.

*Thomas Sonnet, Sieur de Courval, Satyre menippee contre les femmes : sur les poignantes traverses et incommoditez du mariage, Lyon, Vincent de Coeursilly, 1623, in-8.

Honorat de Ménier [ou Meynier], Provençal, La perfection des femmes, Avec l’imperfection de ceux qui les mesprisent, A la plus parfaicte du monde, Paris, Julian Jacquin et Nicolas Alexandre, 1625, in-8, 8+62+2 p. Priv. 23 3 1625 (en faveur de ??). 

*Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine [« cinquiesme edition »], Paris, Jean Petit-Pas, 1626, in-12, 431 + 24 p.

*Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine [« quatriesme edition »], Lyon, par Claude Armand dit Alphonse, 1628, in-12, 431 + 24 p. [première édition pirate]

Nicolas Angenoust, Sieur d’Avans, Le paranymphe des dames, Troyes, Pierre du Ruau, 1629, in-8, 24 + 271+ 1 p.

*Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmenté d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine, Rouen, Robert Féron, 1630, in-12, 431 + 24 p. [deuxième édition pirate]

*Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine, Rouen, David Ferrand, 1631, 431 + 24 p. [troisième édition pirate]

*L’Escale, Alphabet de l’excellence et perfection des femmes contre l’infame Alphabet de l’imperfection des femmes, in-12, Paris, Nicolas de la Vigne, 1631, 508 p. Priv 15 6 1631 (en faveur de ??)

[Jacques Du Bosc, Cordelier], L’honneste femme, Paris, Pierre Billaine, 1532, in-8, 8 + 347 p. Priv. 28.7.1632 (en faveur de Pierre Billaine, qui en a cédé la moitié à Jean Jost) ; achevé d’imprimer 3 9 1632

Canards : 15, 16, 17, 22, 23;

Réimpressions : 11 [1614], 14 [1554], 15 [c. 1590], 17 [1571], 26 [1609-10]

Bibliographie critique

Fiche tirée de l’article de Ian Maclean, « 1La querelle des femmes en France et en Angleterre de 1615 à 1632 : conjoncture et structures », dans Littératures classiques, « Le Temps des querelles », à paraître en 2013.

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