Le scandale Hastings

Dates

1774

Titre(s) endogène(s)

Mise en accusation et procès de Warren Hastings

Fiche rédigée par Claire Gallien . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

Après de nombreuses années au service de la Compagnie des Indes Orientales, d’abord en tant que marchand et secrétaire, puis en tant qu’administrateur, Warren Hastings est nommé au poste de gouverneur du Bengale en 1772. Le East India Regulating Act voté sous le gouvernement de Lord North en 1773 modifie la structure administrative des colonies britanniques en Inde. Hastings est alors nommé gouverneur général à la tête d’un conseil administratif restreint, nommé par le gouvernement, et non plus par la Compagnie des Indes, et constitué de cinq membres, dont un certain Philip Francis.

Les historiens débattent encore des raisons de l’animosité exprimée par Francis à l’égard de Hastings. Elle est néanmoins avérée. En effet, dès son arrivée à Calcutta, le 19 octobre 1774, Francis se lance dans une campagne de diffamation à l’encontre de Hastings. Ce dernier, censé assainir les finances de la Compagnie et restaurer auprès des autorités indiennes et auprès du public anglais un climat de confiance à l’égard de l’administration coloniale britannique, est accusé de reproduire la politique corrompue de ses prédécesseurs. Après tout, Hastings est arrivé en Inde par le biais de la Compagnie. Philip Francis et deux autres membres du comité restreint, le général Clavering et George Monson, sont directement nommés par le gouvernement, tandis que Hastings et le dernier membre du comité, Richard Barwell, étaient déjà sur place. Il se trouve que, pendant les premières années de la querelle, Barwell défendra systématiquement Hastings, tandis que Clavering et Monson se joindront à Francis dans ses attaques contre Hastings.

La première de ces attaques concerne sa conduite de la guerre contre les Rohillas, des Pashtouns de la région du Rohilkhand, dans l’état actuel de l’Uttar Pradesh. Ils considèrent que Hastings a procédé au massacre systématique de cette population.

Les accusations de corruption sont, quant à elles, présentées à la Cour Suprême de Justice de Calcutta par un notable indien, Nandakumar, travaillant à la cour du nawab d’Oude, et qui était depuis des années en très mauvais termes avec Hastings. En salissant la réputation de ce dernier, Nandakumar espérait gagner les faveurs de ceux qu’il imaginait être les prochains remplaçants de Hastings, mais les plaintes du notable indien se retournent contre lui et il est condamné à la peine de mort pour fausse accusation. Sir Elijah Impey, alors président de la Cour Suprême, et grand ami de Hastings, prononce la sentence. L’exécution de Nandakumar aurait donc pu provoquer une nouvelle crise de confiance dans le gouvernement de Hastings. Mais il n’en est rien. Une série d’évènements – à savoir, la mort de Monson en 1776 puis de Clavering en 1777, et le départ de Francis en 1780 – va même lui permettre de faire taire les accusations émises à son égard.

Cependant, la politique de conquêtes coloniales soutenue par Hastings, notamment contre les états marathe, du Mysore et d’Hyderabad, au sud de l’Inde, entre 1780 et 1783, coûte très cher au gouvernement britannique et ne lui rapporte que peu de succès. On reproche au gouverneur ses provocations et son imprudence. Dans le même temps, Philip Francis qui est rentré en Angleterre, se rapproche de membres de l’opposition au Parlement, notamment d’Edmund Burke, et dénonce les exactions de Hastings en Inde. Les parlementaires de l’opposition s’emparent du « cas Hastings » pour dénoncer la politique coloniale du gouvernement tory de Lord North. En 1782, ce dernier, qui avait jusqu’à présent soutenu Hastings, tombe et est remplacé par un gouvernement whig. Hastings perd donc un soutien politique fort et la nouvelle administration annonce des réformes concernant la politique coloniale en Inde. Restaurer la confiance dans le gouvernement, assainir les finances, et mettre fin à une politique de conquêtes ruineuses en sont les maîtres mots. Hastings se sait sur le départ. Sa femme malade rentre en Angleterre en 1784 et lui même démissionne pour la rejoindre en 1785.

Après seize années d’absence, Hastings débarque à Plymouth le 13 juin 1785. L’interlude whig a été très court. Le gouvernement est alors à nouveau entre les mains des tories, après le succès électoral de William Pitt, élu premier ministre en 1784. Malgré tout, l’opposition whig ne faiblit pas et Burke reprend en main le dossier Hastings dont il se sert comme d’un bouc émissaire pour dénoncer la politique coloniale de ses ennemis au pouvoir et tenter de faire tomber le gouvernement. Hastings ne prend pas très au sérieux les discours de Burke à la Chambre des Communes au début de l’année 1786 et prépare une défense assez molle. Le Parlement annule la plainte liée à la guerre des Rohillas mais maintient celle en rapport avec le rajah de Bénarès. Une série d’autres plaintes s’ajoutent à celle-ci et la mise en accusation officielle de Hastings est prononcée par la Chambre des Communes le 10 mai 1787.

Contrairement à ce qui avait pu se passer avant 1780, le gouvernement n’apporte pas son soutien à Hastings. En effet, le premier ministre William Pitt juge Hastings trop dangereux pour l’image de son gouvernement. Chantre de la colonisation vertueuse, Pitt essaie de ne pas associer son nom à celui de l’ancien gouverneur général.

Le procès se déroule sur quatre ans, de 1787 à 1791, pendant lesquels les parlementaires qui prennent part à l’accusation, notamment Edmund Burke, Francis Sheridan et Charles Fox, se lancent dans de longues tirades adressées aux pairs de la Chambre des Lords. Ces auditions attirent les foules qui s’arrachent des tickets pour entendre, depuis les balcons, ces morceaux de bravoure. Le 30 mai 1791 marque la fin de la procédure de mise en accusation. Quatre charges sont finalement retenues contre Hastings : ses démêlés avec le rajah de Bénarès, le mauvais traitement infligé aux bégums (reines) d’Oude, les accusation de corruption personnelle et de son administration. La défense prépare ses réponses et les présente à la Chambre des Lords entre 1791 et 1793. Burke se lance dans une ultime tentative pour faire tomber Hastings et profite de discours, qu’il continue parfois sur neuf jours, pour pourfendre la politique coloniale de ses adversaires politiques. Lorsque la Chambre des Lords rend son jugement en 1795, le résultat ne surprend en fait personne, tant le scandale Hastings avait finit par user les participants eux-mêmes ! Vingt-neuf pairs prennent part au vote et pour chacune des quatre accusations le verdict rendu est « non coupable ». Much ado about nothing ?

Enjeux

Enjeux

• De la querelle personnelle au débat national : vers une redéfinition de la politique coloniale. Voir la rubrique « Synopsis » et l’opposition depuis Calcutta entre Warren Hastings et Richard Barwell d’un côté, et Philip Francis, le général John Clavering et Georges Monson de l’autre. En Angleterre, l’opposition à Hastings est relayée par Burke, Sheridan, et Fox. Ces trois parlementaires whigs reprennent les accusations montées par Francis, Clavering et Monson, et se servent du procès Hastings pour condamner le gouvernement tory de William Pitt et dénoncer une politique coloniale jugée corrompue et inhumaine (voir à ce sujet, dans la rubrique « Iconographie », la gravure « For the trial of Warren Ha[stings] »). Burke avait notamment défendu l’indépendance des colonies d’Amérique dès 1774-1775 devant la Chambre des Communes et exprimé son opposition à la traite esclavagiste.

Ainsi, la querelle et le scandale participent à la redéfinition de la politique coloniale en Grande Bretagne. Le centre de gravité de l’empire est déplacé à l’Est (voir à ce sujet, dans la rubrique « Iconographie », la gravure « Thunder, lightning and smoke »), l’administration passe entre les mains du gouvernement, après avoir été longtemps assurée par la Compagnie des Indes Orientales, et repose sur les réseaux locaux de pouvoir. Le gouvernement met l’accent sur sa proximité avec les colonisés et sur le modèle de vertu qu’elle souhaite inspirer. Au delà de la querelle ad hominen, le scandale dont Warren Hastings devient le signe a pour enjeu la nature de l’empire colonial britannique en reconstruction, après la perte d’un premier empire en Amérique et en pleine campagne pour l’abolition de l’esclavage.

• La justice comme spectacle : le scandale Hastings est l’occasion pour les grands orateurs de l’époque, dont Burke est par excellence le représentant, de faire leur preuve devant le parterre de la Chambre des Lords et la foule de Londoniens qui se pressent aux portes de Westminster pour acheter un ticket d’entrée et assister aux séances depuis les balcons (voir dans la rubrique « Iconographie » : « A View of the Tryal of Warren Hastings Esqr. before the Court of Peers » et « Impeachment ticket. For the trial of W-rr-n H-st-ngs Esqr »). L’écrivaine Frances Burney en donne une description très vivante dans son Journal (voir la rubrique « Corpus »). Le procès Hastings est l’occasion pour ces hommes de briller en public grâce à des discours mêlant éloquence et émotion. Il révèle ainsi l’importance de la notion d’opinion publique dans le débat politique de cette fin de XVIIIe siècle, alors même que le droit de vote appartient à une très restreinte minorité d’aristocrates et très riches bourgeois, et les enjeux grandissants que représente la colonisation pour l’élite politique de l’époque.

Chronologie

Chronologie

• 1774 : premières accusations déposées contre Warren Hastings auprès du conseil d’administration de la Compagnie des Indes Orientales, du gouvernement, et de la Cour Suprême de Calcutta par le général Clavering, Georges Monson, Philip Francis, et Nandakumar.

• 1775 : excécution de Nandakumar sur ordre du président de la Cour Suprême de Calcutta, Sir Elijah Impey.

• 1776 : première tentative du gouvernement britannique de forcer Hastings à la démission ; la Compagnie refuse.

• Sept. 1776 : Monson meurt.

• Juin 1777 : Hastings déjoue les ambitions de Clavering et empêche le général de lui voler le poste de gouverneur général.

• Août 1777 : Clavering meurt.

• 17 août 1780 : Hastings provoque Francis en duel ; Francis est blessé et quitte l’Inde en décembre 1780.

• 1780-1783 : la Grande Bretagne entre guerre contre les royaumes marathe, de Mysore, et d’Hyderabad, soutenus par la France ; Hastings apporte un soutien financier et militaire au gouverneur de Bombay.

• 1782-1783 : chute du gouvernement tory de Lord North, remplacé par un gouvernement whig.

• 1783 : élection de William Pitt comme premier ministre et retour des tories au pouvoir.

• 1785 : Hastings démissionne et rentre en Angleterre le 7 février 1785.

• 1786 : Edmund Burke dépose ses charges contre Warren Hastings à la Chambre des Communes et leur demande de voter pour une mise en accusation (impeachment) du gouverneur du Bengale. Ce vote doit être suivi d’une audition à la Chambre des Lords, qui, en Grande Bretagne, joue le rôle de Cour Suprême de Justice.

• 1-2 mai 1786 : Warren Hastings est convoqué à la Chambre des Communes et présente un discours rapide pour sa défense. Il ne reconnaît aucun des torts qui lui sont adressés. Le Parlement décide de ne pas retenir la charge déposée contre lui au sujet de la guerre des Rohillas mais retient la charge liée à ses relations avec le rajah de Bénarès.

• 10 mai 1787 : la procédure de mise en accusation (impeachment) débute.

• 1787-1791 : discours de Burke, Sheridan, et Fox à la Chambre des Lords ; examen des témoins et des pièces servant le procès.

• 30 mai 1791 : fin de la procédure de mise en accusation ; 4 charges sont finalement retenues contre Hastings : ses démêlés avec le rajah de Bénarès, le mauvais traitement infligé aux bégums (reines) d’Oude, et les accusations de corruption personnelle et de son administration.

• 1791-1793 : réponse de la défense.

• 1794 : nouvelles sessions parlementaires pour l’accusation ; discours de neuf jours de Burke.

• 1795 : La Chambre des Lords rend son jugement ; 29 pairs prennent part au vote et pour chacune des quatre accusions le verdict rendu est « non coupable ».

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

Manuscrits :

• British Library, Corresp. and MSS on trial, Add. MSS 17061–17062, 16261–16267.

• Lincoln’s Inn, London, MSS on trial.

• Parl. Arch., shorthand notebooks of his trial; additional shorthand notebook for his trial.

• University of Minnesota, Minneapolis, James Ford Bell Library, solicitor’s briefs for trial.

• Yale U., Farmington, Lewis Walpole Library, account book of R. Shawe, solicitor for the defence in his trial.

Publications :

• The answer of Warren Hastings, Esq. to the articles exhibited by the knights, citizens, and burgesses, in Parliament assembled, in the name of themselves, and of all the Commons of Great Britain, in maintenance of their impeachment against him for high crimes and misdemeanors, supposed to have been by him committed : delivered at the bar of the House of Peers, on Wednesday, November 28, 1787. London, printed for J. Debrett and for John Stockdale, 1788.

• Burke, Edmund, The Writings and Speeches of Edmund Burke. Vol. 7 India: the Hastings trial, 1789-1794, éd. Peter Marshall. Oxford, Clarendon Press, 2000.

• Burney, Frances, The Diary and Letters of Frances Burney, éd. Sarah Chauncey Woolsey, 2 vols. Boston, Little Brown Company, 1910, vol. 1, p. 422-469 (May 1788), vol. 2, p. 166-168 (Feb. 1790), 213-217 (June 1791).

• Minutes of the evidence taken at the trial of Warren Hastings Esquire, late Governor General of Bengal, at the bar of the House of Lords, in Westminster Hall, upon an impeachment against him for high crimes and misdemeanors, by the knights, citizens, and burgesses, in Parliament assembled ...., 11 vols., London, 1788-1794

• Observations on the conduct of Mr. Fox, in the impeachment of Mr. Hastings. By a friend to the freedom of the press. London, printed for J. Debrett, opposite Burlington House, Piccadilly, 1793.

Bibliographie critique

• Dirks, Nicholas B., The Scandal of Empire : India and the Creation of Imperial Britain, Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard UP, 2006.

• Marshall, Peter James, Bengal – The British Bridgehead: Eastern India, 1740–1828, Cambridge, CUP, 1987.

• —— « Hastings, Warren (1732–1818) », Oxford Dictionary of National Biography, éd. H. C. G. Matthew et Brian Harrison, Oxford, OUP, 2004. Éd. en ligne, éd. Lawrence Goldman. Oct. 2008. 28 June 2013 http://www.oxforddnb.com/view/article/12587

• —— The Impeachment of Warren Hastings, London, OUP, 1965.

• Suleri, Sara, The Rhetoric of English India, Chicago, Chicago UP, 1992.

• Sutherland, Lucy Stuart, The East India Company in Eighteenth Century Politics, Oxford, Clarendon Press, 1952.

Iconographie

• « A View of the Tryal of Warren Hastings Esqr. before the Court of Peers », by Robert Pollard, by Francis Jukes, after Edward Dayes, etching and aquatint, published 1789,18 in. x 26 3/8 in. (458 mm x 669 mm) paper size, given by Harold Lee-Dillon, 17th Viscount Dillon, 1924. http://www.npg.org.uk/collections/search/portraitLarge/mw17068/A-View-of-the-Tryal-of-Warren-Hastings-Esqr-before-the-Court-of-Peers?LinkID=mp02080&search=sas&sText=hastings%2C+warren&OConly=true&displayNo=60&role=sit&rNo=27`

• « For the trial of Warren Ha[stings] » (includes Edmund Burke; Charles James Fox; Sir Philip Francis; Warren Hastings), by James Sayers,
etching, published February 1788,
7 in. x 5 in. (178 mm x 127 mm) plate size, 8 1/4 in. x 6 1/8 in. (210 mm x 156 mm) paper size,
purchased, 1905. http://www.npg.org.uk/collections/search/portraitLarge/mw60596/For-the-trial-of-Warren-Hastings-includes-Edmund-Burke-Charles-James-Fox-Sir-Philip-Francis-Warren-Hastings?LinkID=mp02080&search=sas&sText=hastings%2C+warren&OConly=true&displayNo=60&role=sit&rNo=16

• « Impeachment ticket. For the trial of W-rr-n H-st-ngs Esqr », by James Gillray, hand-coloured etching, circa February 1788, 7 1/2 in. x 5 7/8 in. (191 mm x 149 mm) plate size, 8 7/8 in. x 7 1/4 in. (226 mm x 183 mm) paper size, purchased, 1947.

http://www.npg.org.uk/collections/search/portraitLarge/mw63139/Impeachment-ticket-For-the-trial-of-W-rr-n-H-st-ngs-Esqr?LinkID=mp02080&search=sas&sText=hastings%2C+warren&OConly=t rue&displayNo=60&role=sit&rNo=25

• « Thunder, lightning and smoke », published by William Moore, and published by W. Dickie,
hand-coloured etching, published 22 April 1783,
9 3/4 in. x 14 in. (248 mm x 355 mm) plate size, 10 1/2 in. x 14 3/4 in. (267 mm x 373 mm) paper size,
bequeathed by (Frederick) Leverton Harris, 1927. http://www.npg.org.uk/collections/search/portraitLarge/mw69876/Thunder-lightning-and-smoke?LinkID=mp02080&search=sas&sText=hastings%2C+warren&OConly=true&displayNo=60&role=sit&rNo=8

• Warren Hastings, by Sir Joshua Reynolds,
oil on canvas, 1766-1768,
49 3/4 in. x 39 3/4 in. (1264 mm x 1010 mm)
Accepted in lieu of tax by H.M. Government and allocated to the Gallery, 1965. http://www.npg.org.uk/collections/search/portraitLarge/mw02979/Warren-Hastings?LinkID=mp02080&search=sas&sText=hastings%2C+warren&OConly=true&displayNo=60&role=sit&rNo=0

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