Querelle d'Andromaque

Dates

1667

Titre(s) endogène(s)

La Folle Querelle ou la critique d’Andromaque (titre de la pièce de Subligny)

Fiche rédigée par Jeanne-Marie Hostiou . Dernière mise à jour le 7 December 2014.

Synopsis

Synopsis

Lorsque la tragédie d’Andromaque est créée à l’Hôtel de Bourgogne, le jeune Racine a déjà acquis la notoriété grâce à a sa tragédie d’Alexandre. Après l’épisode de la querelle des Imaginaires, il connaît un succès considérable avec Andromaque. Ce succès lui attire de nombreuses critiques auxquelles il répondra : c’est l’objet de cette querelle, qui se déroule en deux temps.

(1) De la création à la publication

La création d’Andromaque a été préparée par des lectures de la pièce à la Cour, plus particulièrement auprès de Madame (Henriette d’Angleterre, belle-sœur du roi), comme en atteste la dédicace de la première édition.

La pièce est d’abord créée à la Cour (ce qui constitue un honneur rare), le 17 novembre 1668, avant de l’être dans les jours qui suivent à l’Hôtel de Bourgogne. On ignore, faute d’archives, quelle fut exactement la réception de la pièce à la ville, mais elle y connut probablement un succès considérable, comme en atteste, entre autres, la longueur du compte-rendu que Robinet lui consacre dans sa Lettre en vers du 26 novembre.

Le succès de Racine lui attire des critiques nombreuses, que nous ne connaissons pas directement mais que nous pouvons déduire des réponses qu’il y fait. Il réagit en deux temps.

D’abord, par une (ou deux) épigramme(s) anonyme(s) qui circule(nt) par voie manuscrite dans les semaines qui suivent la création de sa pièce. La première est intitulée « Épigramme de Racine sur le jugement que deux Seigneurs de la cour dirent de son Andromaque ». Elle attaque violemment et directement le duc de Créqui (accusé de pédérastie) et le comte d’Olonne (raillé d’être cocu). Il n’est pas sûr que la seconde épigramme qui circule alors soit également de Racine (voir Forestier, 2006, p. 311-312). Ces textes répondent à des objections de la première heure, et laissent de côté la justification de la pièce

Sa réponse officielle passe par l’impression de sa pièce, escortée de deux textes liminaires : une dédicace à Madame et une préface. L’absence d’achevé d’imprimer dans l’édition originale, qui paraît en décembre 1667 ou en janvier 1668, est probablement le signe d’une publication précipitée (voir Forestier, 1999, p. 1324, n. 4), qui aurait eu vocation à couper court aux critiques.

L’épître dédicatoire de Racine signale aux lecteurs qu’Henriette d’Angleterre elle-même a participé à l’élaboration de cette pièce – qu’elle a « daigné prendre de la conduite de [sa] tragédie » et qu’elle a prêté quelques unes de ses « lumières, pour y ajouter de nouveaux ornements ». Il signale également que cette pièce a su lui plaire et la toucher (elle l’a « honorée de quelques larmes »). Il s’agit là d’une stratégie déjà éprouvée dans l’épître d’Alexandre : afin de se prévenir contre la meute des critiques de la ville ainsi que des doctes et des savants, Racine s’autorise d’une des plus grandes figures de la Cour, qui passe pour « l’arbitre de tout ce qui se fait d’agréable ».

Dans sa préface (qui ne se désigne pas comme telle), Racine vise notamment à répondre aux critiques des doctes. Il commence par citer longuement Virgile : c’est une façon, à la fois, de s’autoriser de la plus haute figure antique, de souligner qu’il en a une connaissance très fine, et de renvoyer aux textes de l’Antiquité les détracteurs qui critiqueraient son adaptation des sources. Puis il justifie son système des personnages, qui ne sont pas des « héros parfaits », et se réclame des règles du théâtre édictées par Horace et surtout Aristote, qui veut que les personnages tragiques ne soient « ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants ». Il s’agit là d’une préface polémique où Racine récuse les grands principes de la tragédie héroïque portés notamment par Corneille depuis un quart de siècle, mais aussi par les auteurs de tragédies galantes qui promeuvent des « héros parfaits ».

(2) De La Folle Querelle aux rééditions de Racine.

Une deuxième étape de la querelle se déroule six mois après la création de la pièce de Racine, quand la troupe de Molière donne, dans son théâtre du Palais-Royal, La Folle Querelle ou la critique d’Andromaque de Subligny (le 25 mai 1668). Les recettes consignées dans le registre de Lagrange signalent que la pièce connaît un succès assez médiocre, malgré la publicité que lui offre le gazetier Robinet. Elle est néanmoins jouée 17 fois de suite, puis maintenue à l’affiche jusqu’au mois de décembre, alors même qu’elle n’attire un public suffisant pour remplir plus de la moitié de la salle du Palais-Royal qu’à deux ou trois reprises. Cet épisode, et le maintien de la pièce à l’affiche, n’est probablement pas sans rapport avec la brouille personnelle entre Racine et Molière survenue, en 1665, après la création d’Alexandre (Racine avait d’abord donné cette pièce à la troupe de Molière, mais l’avait ensuite confiée aux comédiens de l’Hôtel de Bourgogne). La pièce est publiée en août 1668 chez Thomas Jolly, avec une préface et une dédicace à « Mme la Maréchale de L’Hospital ».

La Folle Querelle est une comédie d’intrigue dans laquelle Subligny introduit des discussions autour d’Andromaque, que les personnages ridicules soutiennent tandis que les « honnêtes gens » la critiquent (rejouant, de façon inversée, le procédé adopté par Molière dans sa Critique de l’École des femmes, cinq ans plus tôt). Cette pièce, qui sera publiée quelques mois plus tard accompagnée d’une longue préface, offre probablement la synthèse, après coup, des critiques et discussions qui avaient porté sur la pièce de Racine dès sa création. On peut en retenir cinq. (a) La pièce contient trop d’éléments contraires à la bienséance et à la vrisemblance. (b) Elle est trop galante et Pyrrhus se comporte comme un héros de roman. (c) Elle a ébloui tout le monde mais ce n’est qu’une pièce clinquante qui abuse les esprits faibles et relève de l’imposture (le même propos avait été développé par Scudéry contre Corneille dans ses Observations sur le Cid). (d) Le système des personnages est défectueux et leurs caractères ne sont pas acceptables (Oreste manque de dignité, Pyrrhus est trop faible, Hermione est trop abandonnée à sa passion et en oublie le sens de l’honneur, etc.), et le personnage d’Astyanax n’aurait pas dû être substitué à Molossos. (e) Enfin les critiques portent sur les vers de Racine et sa tendance au « galimatias ». De nouveau, la préface insiste sur ce dernier point ainsi que sur l’adaptation de la source qui a été faite par Racine en rapportant ce que, selon lui, Corneille aurait fait s’il avait traité la même source. Dans cette préface, Subligny est assez habile pour faire part de son admiration pour Racine, mais il justifie sa démarche en alléguant que ce n’est pas rendre service à ce jeune auteur que de trop louer son œuvre car il doit encore corriger quelques défauts pour égaler le grand Corneille.

Racine ne répondra pas directement à cette Folle Querelle, mais il en tiendra compte en amendant le texte de sa tragédie lors de la première édition d’Andromaque dans ses œuvres (en 1675) : Racine ne tient pas compte des critiques concernant l’adaptation de la source antique, mais répond à Subligny dans sa préface au sujet du personnage d’Astyanax ; et dans le corps de la pièce il prend également en compte les remarques de style qui lui ont été faites en supprimant une trentaine de vers et en en modifiant certains autres. r

Enjeux

Enjeux

• La querelle d’Andromaque s’articule autour d’attaques (dont nous n’avons pas les traces directes) ; d’une première réponse de Racine (dans les discours qui accompagnent sa première édition) ; d’une nouvelle attaque (de Subligny) ; et d’une seconde réponse de Racine (qui amende son texte et reprend sa préface dans l’édition de 1675). Il est à noter que cette querelle ne donne pas lieu au recours à une instance supérieure ; et que Racine, qui retouche un peu sa pièce, ne cède pas puisqu’il défend son sa conception du héros tragique et qu’il défend son adaptation des sources (au sujet d’Astyanax notamment). La figure de Corneille est convoquée notamment par Subligny dans sa préface, ainsi que par Saint-Evremond (qui réaffirme la supériorité de Corneille sur Racine dans sa Lettre sur Alexandre, tout en laissant entendre que Racine pourrait devenir un digne successeur de Corneille), mais le tragédien n’entre pas dans la querelle.

• Cette querelle a des enjeux dramaturgiques et esthétiques. Andromaque introduit une rupture dans l’esthétique de la tragédie par rapport à l’héritage de la tragédie cornélienne et à la mode de la tragédie galante, dans sa façon d’articuler action amoureuse et action tragique. À cet égard, Andromaque est souvent considérée comme la première tragédie véritablement racinienne, en ce qu’elle développe une action dans laquelle le tragique réside dans les conséquences destructrices de la passion amoureuse (Forestier 2006, p. 298). C’est parce qu’elle fait évoluer le genre de la tragédie que cette pièce a eu un tel retentissement, qui sera comparé a posteriori au choc provoqué par Le Cid. L’infléchissement opéré par Racine, et qu’il revendique dans sa préface, porte notamment sur le système des personnages et la promotion de « héros imparfaits ». Racine rompt avec la tradition, sans pour autant afficher sa radicale nouveauté : dans sa préface, il présente sa pièce comme la simple adaptation d’un sujet antique et se réclame de l’autorité d’Aristote pour justifier sa conception du héros tragique.

• Ces enjeux esthétiques sont indissociables d’enjeux de carrière. Pour Subligny, il s’agit de se faire connaître : il profite du succès de la pièce de Racine pour faire valoir la sienne. Au moment de la création de sa pièce, il aurait également bénéficié d’une rumeur qui attribuait sa pièce à Molière (ce qu’il évoque et qu’il s’attache à rectifier dans sa préface). Ces enjeux de carrière concernent aussi le jeune Racine. Après le succès d’Alexandre, Racine ne poursuit pas entièrement dans la voie de la tragédie galante qui plaît à son public ; il montre aussi, à l’intention du public des gens de lettres et des mondains cultivés et censeurs du goût (comme Saint-Évremond), qu’il possède le « goût » de l’Antiquité. Son Andromaque peut être interprétée par rapport à ces enjeux de carrière.

• À travers la question du genre tragique (son infléchissement et son renouvellement), les enjeux de la querelle d’Andromaque rejoignent d’autres querelle : celle de la querelle de la galanterie et donc celle des Anciens et des Modernes (voir aussi à ce sujet la fiche consacrée à la querelle de Bérénice).

• Il s’agit aussi d’une rivalité entre troupes (l’Hôtel de Bourgogne versus le Palais-Royal), probablement liée à une querelle entre individus qui remonte à la création d’Alexandre (Racine versus Molière). 

Chronologie

Chronologie

• 1666 : dès le début de l’année, circule par voie manuscrite à Paris une lettre de Saint-Evremond qui est une esquisse de sa Dissertation sur le Grand Alexandre. Elle reproche notamment à Racine de ne pas avoir « le goût » (c’est-à-dire aussi le sens) de l’Antiquité.

• 1667/11/17 : création d’Andromaque de Racine au Louvre, puis dans les jours qui suivent à l’Hôtel de Bourgogne. Cette création a été préparée par des lectures auprès de Madame, Henriette d’Angleterre, comme en atteste la dédicace placée au seuil de la première édition.

• 1667/12/-- : mort de Montleury, qui jouait alors le rôle d’Oreste dans l’Andromaque de Racine. Cet événement contribue à faire de la « publicité » à la pièce de Racine.

• 1668/[janvier ou février] : première publication d’Andromaque, chez Claude Barbin (sans achevé d’imprimer), avec une dédicace à Madame et une préface. La dédicace sera supprimée à partir de l’édition de 1675.

1668/05/25 : création de La Folle Querelle ou la critique d’Andromaque de Subligny au théâtre du Palais-Royal. Cette pièce connaît un succès moyen mais est toutefois jouée 17 fois successivement. Elle sera ensuite jouée une dizaine de fois jusqu'àu mois de décembre 1668.

• 1668/06/-- : publication de la Dissertation sur le Grand Alexandre de Saint-Évremond.

• 1668/08/22 : Achevé d’imprimer de La Folle Querelle ou la Critique d’Andromaque de Subligny, avec une préface. À Paris, chez Thomas Jolly.

• 1673 : deuxième édition d’Andromaque, à Paris, chez Henry Loyson (édition séparée). Achevé d’imprimer du 6 juin 1673). Dans cette édition, Racine opère une modification notable : l’éviction d’Andromaque de l’acte V scène 3, ce qui entraîne plusieurs modifications, dont la suppression d’une trentaine de vers.

• 1675 : troisième édition d’Andromaque dans la première édition des Œuvres de Racine, Paris, Barbin, 1675-1676. Tome I. 

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• [Racine, Jean,] « Épigramme de Racine sur le jugement que deux Seigneurs de la cour dirent de son Andromaque » et « Autre », textes conservés sous forme manuscrite et publiés par V. Maigne dans Le Manuscrit 673 de Tallemant des Réaux, Paris, Klincksieck, 1994, p. 468-469 ; ou encore dans l’édition Pléiade de G. Forestier (p. 257).

• Racine, Jean, Andromaque, première édition (Paris, Barbin, 1668).

• Racine, Jean, Andromaque (avec une nouvelle préface et un texte amendé), première édition dans Les Œuvres de Racine, Paris, Barbin, 1675-1676, Tome I.

• Subligny, Adrien-Thomas Perdou de, La Folle querelle ou la critique d’Andromaque, Paris, Thomas Jolly, 1668.

Sources secondaires

• Gazette de France, « 19 novembre 1667 », dans R. Picard, Nouveau Corpus racinianum, p. 40.

• Robinet, « Lettre en vers à Madame » : trois d’entre elles portent sur Andromaque – sa création à la cour (19 novembre 1667), sa création à l’Hôtel de Bourgogne (90 vers, indiquant notamment la distribution de la pièce, le 26 novembre 1667), la mort de Montfleury interpète du rôle d’Oreste (17 décembre 1667), dans R. Picard, Nouveau Corpus racinianum, p. 41-42.

• Robinet, « Lettre en vers à Madame » puis « Lettre à Madame » : deux passages concernent la création puis la publication de La Folle Querelle de Subligny, le 26 mai et le 8 septembre 1668. Extraits reproduits dans R. Picard, Nouveau Corups racininanum, p. 46, 49.

Bibliographie critique

Éditions critiques utilisées :

• Racine, Jean, Andromaque, par Georges Forestier, dans les Œuvres complètes de Jean Racine, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1999, p. 195-300 (notice et notes p. 1318-1375).

• Racine, Jean, Andromaque, par R. C. Knight et H. T. Barnwell, Genève, Droz, 1977. (Établit notamment les variantes et relève les sources.)

• Subligny, Adrien-Thomas Perdou de, La Folle Querelle ou la critique d’Andromaque, par Georges Forestier, dans les Œuvres complètes de Jean Racine, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1999, p. 258-296 (notice et notes p. 1371-1375).

• Picard, Raymond, Nouveau Corpus Racinianum. Recueil – inventaire des textes et documents du XVIIe siècle concernant Jean Racine, Paris, Éditions du CNRS, 1976.

Autres références critiques :

• Forestier, Georges, Jean Racine, Paris, Gallimard, 2006.

• Picard, Raymond, Racine polémiste, Paris, J.-J. Pauvert, 1967.

• Picard, Raymond, La Carrière de Jean Racine, Paris, Gallimard, 1961, p. 129-138.

Liens

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