Querelle de l'authenticité des poèmes attribués à Ossian

Dates 1760 - 1805

Fiche rédigée par Samuel Baudry . Dernière mise à jour le 12 November 2014.

Synopsis

Synopsis

Peu après la publication, en 1760, des Fragments et de Fingal de Macpherson, plusieurs comptes rendus émirent quelques doutes quant à l’origine purement écossaise des originaux et leur antiquité supposée. Sous l’impulsion de Samuel Johnson, le débat s’enflamme : il ne sera dès lors plus question des qualités artistiques de ces œuvres mais seulement de leurs sources, de la possibilité qu’une civilisation gaélique autonome ait pu exister et qu’elle ait pu donner naissance à de telles œuvres.

Samuel Johnson proclame ce qu’il pense de Macpherson et de ses poèmes dans son Voyage dans les Hébrides : «  L’éditeur, ou auteur, n’a jamais pu produire l’original ; et personne d’autre ne le pourra […]. Il serait aisé à l’éditeur de montrer cet original s’il le possédait ; mais où aurait-il pu le trouver ? Il est trop long pour pouvoir être mémorisé et ce langage n’avait jusqu’alors jamais été écrit. L’éditeur a, de toute évidence, glissé des noms qui circulent dans les histoires populaires et a peut-être traduit quelque ballade colportée ici ou là, si tant est que l’on puisse en retrouver ; ces noms et ces quelques images rassemblées, assistés par un chauvinisme typiquement calédonien, ont pu convaincre des auditeurs incultes qu’ils avaient auparavant entendu l’œuvre entière » (R.W. Chapman, éd., Samuel Johnson et James Boswell, A Tour of the Hebrides, Oxford, Oxford University Press, 1924, p. 107).

L’existence et l’authenticité des sources, le refus ou l’impossibilité de Macpherson de montrer les manuscrits qu’il prétend avoir consultés, la proportion de passages effectivement traduits par rapport à ceux totalement inventés, l’opportunité d’utiliser des sources orales et la manière de procéder, occupèrent alors historiens, folkloristes, érudits et fanatiques jusqu’au début du siècle suivant.

Une paix temporaire est signée en 1805 avec la publication d’un rapport qui retrace la méthode suivie par Macpherson (Report of the Committee of the Highland Society of Scotland, appointed to Inquire into the Nature and Authenticity of the Poems of Ossian, publié sous la direction de Henry Mackenzie).

Avec la publication de ce Report, ainsi que d’une version exhaustivement annotée par Malcolm Laing, la cause est désormais entendue : pour le public anglais, Macpherson n’est plus un simple traducteur, mais un plagiaire ou un menteur — et l’intérêt pour ses œuvres va rapidement s’essouffler.

Enjeux

Enjeux

La controverse peut se décliner en quatre questions : les œuvres publiées par Macpherson dérivent-elles, thématiquement ou linguistiquement, d’originaux en langues gaéliques ; si oui, ces originaux sont-ils aussi anciens que le prétend Macpherson ; les fragments utilisés appartiennent-ils à un ensemble plus vaste ; leur auteur présumé a-t-il réellement vécu en Écosse ?

De ces quatre questions, c’est la première qui est résolue le plus rapidement et avec le moins de doute. Le compte rendu publié par la Highland Society of Scotland dresse une liste exhaustive des sources potentiellement utilisées par Macpherson et résume sans ambigüité la méthode de traduction qu’il a suivie. L’étude de Thomson, publiée en 1952, identifie plus systématiquement les textes sources et cibles mais arrive aux mêmes conclusions. Macpherson n’a pas créé de toutes pièces les œuvres d’Ossian. Il a entendu, lu, transcrit, traduit et fait traduire un nombre considérable de ballades, de récits et de chants, composés en Écosse et en Irlande entre le XIIIe et le XVIe siècle. On peut retrouver avec certitude dans ses textes la trace de seize ou dix-sept ballades : quelques vers sont traduits littéralement et des strophes librement adaptées ; on reconnaît plusieurs séquences narratives ; il emprunte des noms et des incidents spécifiques. Il invente le reste — c’est-à-dire beaucoup : sur trente-neuf poèmes attribués à Ossian, vingt-huit ne reposent sur aucune source clairement identifiée. Ce qui rend l’entreprise de Macpherson radicalement novatrice, c’est que, sous couvert de littéralité (dans sa « Dissertation sur l’antiquité des poèmes d’Ossian fils de Fingal, et autres questions », il affirme que « l’ordre des mots du texte original est imité ; nous avons respecté les inversions stylistiques »), il s’autorise une langue rude, singulière, obscure, à l’opposé des traductions parfaitement anglicisées que l’on favorisait alors, celles de Dryden ou de Pope par exemples. Macpherson est donc, paradoxalement, un des pionniers de la traduction qui demeure « étrangère », qui ne cherche pas à tout prix à être « transparente » (au sens d’Antoine Berman et Lawrence Venuti).

Les trois autres questions relèvent du champ des études folkloristes, qui, dans une large mesure, doivent à cette controverse leur émergence au xixe siècle. 

Chronologie

Chronologie

• 1760 : publication des Fragments of Ancient Poetry Collected in the Highlands of Scotland

• 1762 : publication de Fingal, an Ancient Epic Poem

• 1763 : publication de Temora, an Ancient Epic Poem

• 1773 : voyages de Johnson et Boswell dans les Highlands d’Écosse

• 1775 : publication du Journey to the Western Islands of Scotland

• 1805 : publication du Report of the Committee of the Highland Society

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

A. Préfaces, essais, comptes rendus

[Pour une liste exhaustive, voir : Howard Gaskill, édit., The Reception of Ossian in Europe, Londres, Thoemmes Continuum, 2004, p. xxi-lxviii.]

• Macpherson, James, « Preface » to the Fragments of ancient Poetry collected in the Highlands of Scotland, and translated from the Galic or Erse language, Edinburgh : printed for G. Hamilton and J. Balfour, 1760.

• Smollett, Tobias, Critical Review, décembre 1761 (Article I, p. 405-418), et janvier 1762 (Article VII, p. 45-53)

• Burke, Edmund, Annual Register, 1761 (« Account of the Books for 1761 », p. 276-286).

• Macpherson, James, « A Disertation Concerning the Antiquity, &c. of the Poems of Ossian the Son of Fingal », in James Macpherson, The Works of Ossian, The Son of Fingal, 2 vols., London, printed for Becket and Dehondt, 1765, I, i-xxiv.

• Blair, Hugh, « Appendix » to the « Critical Dissertation on the Poems of Ossian », in James Macpherson, The Works of Ossian, The Son of Fingal, 2 vols., London, printed for Becket and Dehondt, 1765, II, p. 445-460.

• Johnson, Samuel, A Journey to the Western Islands of Scotland, London, printed for W. Strahan; and T. Cadell, 1775.

• MacNicol, Donald, Remarks on Dr. Samuel Johnson's Journey to the Hebrides; in which are contained, observations on the antiquities, language, genius, and manners of the Highlanders of Scotland, London, Printed for T. Cadell, 1779.

• Shaw, William, An enquiry into the authenticity of the poems ascribed to Ossian, London, 1781.

• Clark, John, An answer to Mr Shaw's Inquiry into the authenticity of the poems ascribed to Ossian, Edinburgh, 1781.

• Boswell, James, Journal of a Tour to the Hebrides, London, printed by Henry Baldwin, for Charles Dilly, 1785.

• Boswell, James, The Life of Samuel Johnson, London, printed by Henry Baldwin, for Charles Dilly: 1791.

• Mackenzie, Henry, éd., Report of the Committee of the Highland Society of Scotland, appointed to Inquire into the Nature and Authenticity of the Poems of Ossian, Edinburgh, printed at the University Press, 1805.

• Laing, Malcolm, The Poems of Ossian, &c.: Containing the Poetical Works of James Macpherson in Prose and Verse, with Notes and Illustrations, Edinburgh, Printed by James Ballantyne, 1805.

B. Lettres

• David Hume to David Dalrymple, Lord Hailes, 16 August 1760. (The Letters of David Hume, Ed. J. Y. T. Greig (2 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1932, « Letter 176 », I, p. 328–331.)

• David Hume to The European Magazine, 16 August 1760. (T. Gray, Correspondence of Thomas Gray : 1766–1771, ed. P. Toynbee et al. (3 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1935, III, p. 1227–1229.)

• Thomas Gray to William Mason, c. 31 August 1760. (T. Gray, Correspondence of Thomas Gray : 1756–1765, ed. P. Toynbee et al. (3 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1935, « Letter 319* », II, p. 694–696.)

• David Hume to Hugh Blair, 19 September 1763. (The Letters of David Hume, ed. J. Y. T. Greig (2 vol.), Oxford: Oxford University Press, 1932, « Letter 215 », I, p. 398–401.)

• David Hume to Hugh Blair, 6 October 1763. (The Letters of David Hume, ed. J. Y. T. Greig (2 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1932, « Letter 217 », I, p. 403–404 (Letter 217).)

• David Hume to Hugh Blair, 6 October 1763. (New Letters of David Hume, ed. R. Klibansky et al., Oxford, Oxford University Press, 1954, « Letter 26 », p. 72–74.)

• David Hume to Adam Ferguson, 9 November 1763. (The Letters of David Hume, ed. J. Y. T. Greig (2 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1932, « Letter 223 », I, p. 410–413.)

• David Hume to Hugh Blair, ? 15 December 1763. (The Letters of David Hume, ed. J. Y. T. Greig (2 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1932, « Letter 227, I, p. 418–421.)

• James Boswell to Samuel Johnson, 27 January 1775. (J. Boswell, Letters of James Boswell: 29 July 1758–29 November 1777, ed. C. Brewster Tinker (2 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1924, « Letter 133 », I, p. 208–209.)

• James Boswell to Samuel Johnson, 2 February 1775. (J. Boswell, Letters of James Boswell: 29 July 1758–29 November 1777, ed. C. Brewster Tinker (2 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1924, « Letter 134 », I, p. 209–210.)

• James Boswell to Samuel Johnson, 18 February 1775. (J. Boswell, Letters of James Boswell: 29 July 1758–29 November 1777, ed. C. Brewster Tinker (2 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1924, « Letter 135 », I, p. 210–211.)

• David Hume to Edward Gibbon, 18 March 1776. (The Letters of David Hume, ed. J. Y. T. Greig (2 vol.), Oxford, Oxford University Press, 1932, « Letter 516 », II, p. 309–311.)

Bibliographie critique

• Burnett, Allan et Burnett, Linda Anderson, éd., Blind Ossian’s Fingal : Fragments and Controversy, Édimbourg, Luath Press, 2011.

• Curley, Thomas M., Samuel Johnson, the Ossian Fraud, and the Celtic Revival in Great Britain and Ireland, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.

• Gaskill, Howard, éd., The Reception of Ossian in Europe, Londres, Thoemmes Continuum, 2004.

• Haywood, Ian, The Making of History : A Study of the Literary Forgeries of James Macpherson and Thomas Chatterton in Relation to Eighteenth-Century Ideas of History and Fiction, Rutherford, N.J., Fairleigh Dickinson University Press, 1986.

• Porter, James, « “Bring Me the Head of James Macpherson” : The Execution of Ossian and the Wellsprings of Folkloristic Discourse », Journal of American Folklore, vol. 114, no 454, Fall 2001, p. 396-435.

• Stafford, Fiona. The Sublime Savage : A Study of James Macpherson and the Poems of Ossian. Édinburgh : Edinburgh University Press, 1988.

• Thomson, Derick S., The Gaelic Sources of Macpherson’s“Ossian”, Aberdeen University Studies no 130, Édimbourg et Londres, Oliver and Boyd, 1952.

• Trevor-Roper, Hugh, « The Invention of Tradition : The Highland Tradition of Scotland », dans Eric Hobsbawm et Terence Ranger, éd., The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 15-41.

Liens

Liens

Aucun lien n'a été publié pour cette querelle.