Querelle de l'orthographe

Dates

1529

Autre(s) titre(s)

La bataille de l’orthographe (Hausmann)

Fiche rédigée par Mathilde Bernard . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

La querelle de l’orthographe oppose les partisans d’une orthographe étymologique (les « Latins » tels que les appelle Louis Meigret) et les défenseurs d’une orthographe phonologique (les « Modernes », selon le même). Si les prémisses de la querelle se situent à la parution de Champ fleury de Geoffroy Tory, en 1529, la véritable bataille a lieu entre 1548 et 1554 et surtout au cours des années 1550-1551. Elle se déroule ainsi :

Prologue

En 1529, Geoffroy Tory fait paraître Champ fleury dans la préface duquel il appelle à « purifier » la langue française. Son livre traite de la nécessité des accents, de l’apostrophe et de la cédille. L’auteur aurait également conçu un ouvrage intitulé Règles générales de l’orthographe du langage français, qui est mentionné dans le privilège d’une des traductions de Champ fleury. Peu avant ce privilège, paraît le Très utile et compendieux traité de l’art et science d’orthographie gallicane, anonyme et probablement inspiré des Règles. L’auteur de ce traité demande un recours plus systématique à une orthographe étymologique. Deux ans plus tard, Jacques Dubois, dans le In linguam gallicam isagoge, essaie, non sans quelques acrobaties, de combiner logique étymologique et logique phonologique. En 1533, paraît la Briefve Doctrine pour deuement escripre selon la proprieté du langaige francoys, qui a été attribuée tantôt à A. Augereau, tantôt à Clément Marot s’inspirant des Règles de Tory (voir Nina Catach). Cette Doctrine préconise l’introduction de l’apostrophe, la suppression d’une des deux voyelles formant hiatus, l’introduction de l’accent aigu, la systématisation de l’accent circonflexe et du tréma, l’utilisation de la cédille ou de l’accent diacritique sur le « a », de l’accent tonique enfin. En 1535, Pierre Olivétan recopie une partie de ce texte dans une Apologie du translateur, et en 1540, Etienne Dolet s’en inspire largement dans ses Accents de la langue française.

Le Traité de Meigret et la querelle de l’orthographe

Fin 1542, Louis Meigret publie le Traité touchant le commun usage de l'escriture françoise, probablement écrit une dizaine d’années auparavant, comme semble l’attester la Réponse à Des Autels de 1551. Il serait alors une réaction directe à l’ouvrage de Tory, et se présente comme un plaidoyer en faveur de l’orthographe phonologique. En 1548, Meigret s’allie à son imprimeur Chrestien Wechel pour lancer l’attaque contre l’orthographe traditionnelle avec la publication d’une traduction du Menteur de Lucien en orthographe moderne, dans la préface duquel il reprend les thèses énoncées dans le Traité.

C’est au même moment que le jeune Guillaume des Autels écrit contre Meigret une Brève Epitre touchant aucuns points de la langue française, qui sera publiée sous l’anagramme de Glaumalis du Vezelet et sous le titre de De l’antique écriture de la langue française et de sa poésie, contre l’orthographe des Maigretistes, et dont il ne reste aucun exemplaire. Meigret réplique alors avec ses Défenses de Louis Meigret, qui paraissent en 1550, juste avant un nouveau Traité de grammaire en orthographe moderne. Jacques Peletier du Mans, de son côté, fournit un troisième écrit en orthographe réformée en publiant son Dialogue de l’orthographe et prononciation française ; il ne se montre pas cependant en faveur d’une réforme radicale, comme il l’explique dans l’Apologie à Louis Meigret Lyonnais comprise dans le Dialogue. Louis Meigret répond aussitôt à cette Apologie, et Des Autels réplique à son tour en faisant paraître en 1551 un ouvrage écrit en 1550, la Réplique de Des Autels aux furieuses défenses de Louis Meigret. Théodore de Bèze, dans la préface de sa Tragédie française du sacrifice d’Abraham, fait référence à ces « maigres fantaisies qu’on [a] mis en avant depuis trois ou quatre ans [quant à l’orthographie] ». Meigret répond à la fois à Des Autels et à Bèze dans une Réponse de Louis Meigret qui paraît en 1551. Etienne Pasquier, ainsi qu’on le voit dans ses lettres, se range également du côté des anti-Meigret.

Epilogue

Malgré toutes ces attaques, Meigret a des partisans : Pelletier du Mans est vu comme l’un d’entre eux, Thomas Sébillet le défend, ainsi que certains étrangers (et notamment John Hart, dès The Opening of the Unreasonable Writing of our English Toung, 1551). Claude de Taillemont, Pierre Ramus (1559), Jacques de La Taille (1562) ou encore Laurent Joubert (1579) se montrent adeptes de l’orthographe réformée. Malgré tout, à la mort de Chrestien Wechel en 1553, Meigret se résigne à abandonner son combat et à se consacrer à ses traductions ; on perd sa trace en 1558.

Enjeux

Enjeux

Les propositions de Louis Meigret, de par leur caractère radical, posent des problèmes de faisabilité, liés d’une part à l’introduction de symboles nouveaux, et d’autre part à l’homographie fréquente résultant de l’adoption d’un principe phonétique. En effet Des Autels, à juste titre, souligne le fait qu’il ne sera pas assez suivi par les pouvoirs pour que son combat ait une réelle influence. Par ailleurs, l’orthographe phonologique ne peut rendre compte de la diversité des prononciations régionales et la grammaire de Meigret se révèle véritablement illisible.

La querelle de l’orthographe n’en reste pas moins intéressante parce qu’elle rend compte dans une certaine mesure d’un clivage entre catholiques et réformateurs. Les premiers, fidèles à la tradition et partisans d’un élitisme orthographique, défendent le latin et l’orthographe étymologique. Marot, Meigret et plusieurs réformés qui se soucient des difficultés d’un peuple n’ayant pas accès au latin, sont quant à eux favorables à une modernisation de l’orthographe. Des Autels propose de prononcer toutes les lettres écrites, quand Meigret se scandalise du fait que l’usage populaire ne prime pas sur la réfection savante de la prononciation. La bataille de l’orthographe se révèle ainsi être un combat social, la non publication d’écrits révolutionnaires sur l’orthographe après l’Affaire des placards rendant ce fait manifeste. En effet, en 1534, la politique de François Ier devient nettement plus répressive à l’égard des luthéranisants et réformés, si bien que ceux-ci ont tendance à vouloir se faire oublier. Cependant, le propos doit être relativisé dans la mesure où Théodore de Bèze ou les Estienne se font les champions du conservatisme orthographique, tandis que Ronsard adopte quant à lui une orthographe moderne, même s’il ne prend pas explicitement part à la querelle.

De tels soutiens ne sont pas sans effets, et de grands éditeurs – comme Jean de Tournes à Lyon – adoptent une graphie quasi moderne, différenciant notamment le i et le j, le u et le ; cependant, la fuite à l’étranger de nombreux libraires et imprimeurs au cours des guerres de Religion donne un coup d’arrêt à cette modernisation. Si elle n’est donc pas une révolution immédiate et durable, cette querelle pose la question de la démocratisation de la langue, qui est toujours d’actualité.

Chronologie

Chronologie

• 1529 : parution de Champ fleury de Geoffroy Tory, appel à la purification de la langue française.

• 1531 : Jacques Dubois, dans le In linguam gallicam isagoge, essaie de combiner logique étymologique et logique phonologique.

• 1533 : parution de la Briefve Doctrine pour deuement escripre selon la proprieté du langaige francoys qui inspirera Pierre Olivétan et Etienne Dolet.

• Fin 1542, publication du Traité touchant le commun usage de l'escriture françoise de Louis Meigret, plaidoyer en faveur de l’orthographe phonologique.

• 1548 : publication d’une traduction du Menteur de Lucien en orthographe moderne.

• 1548 : Guillaume des Autels attaque Meigret avec sa Brève Epitre touchant aucuns points de la langue française, publiée sous l’anagramme de Glaumalis du Vezelet

• 1550 : Meigret réplique alors avec ses Défenses de Louis Meigret

• 1550 : il publie un nouveau Traité de grammaire en orthographe moderne.

• 1550 : Jacques Peletier du Mans publie le Dialogue de l’orthographe et prononciation française contenant l’Apologie à Louis Meigret Lyonnais

• 1550 : Louis Meigret répond à cette Apologie qui lui semble trop peu engagée

• 1551 : Des Autels réplique à son tour en faisant paraître la Réplique de Des Autels aux furieuses défenses de Louis Meigret.

• 1551 : Meigret réplique dans sa Réponse de Louis Meigret

• 1553 : mort de Chrestien Wechel, l’éditeur de Meigret

• 1558 : on perd la trace de Meigret

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• De Beze, Le Sacrifice d’Abraham, Tragédie françoise, Lausanne, 1550.

• Des Autels, Guillaume, De l’antique écriture de la langue française et de sa poésie, contre l’orthographe des Maigretistes, 1548, disparu.

• Des Autels, Guillaume, Replique de Guillaume Des Autelz aux furieuses défenses de Louis Meigret, Lyon, J. de Tournes et G. Gazeau, 1551.

• Meigret, Louis, Traité touchant le commun usage de l'escriture françoise faict par Loys Meigret,... auquel est débattu des faultes et abus en la vraye et ancienne puissance des letres, Paris, J. Longis, 1542.

• Meigret, Louis, Le Menteur, ou l'incrédule [Texte imprimé], de Lucian, traduit de grec en françoes, par Louis Meigret,... aveq une écritture q'adrant à la prolaçion françoeze, e les rézons, Paris, C. Wechel, 1548.

• Meigret, Louis, Défenses de Louis Meigret touchant son orthographe françoęze, contre les çęnsures ę les calõnies de Glaumalis Du Vezelet ę de sęs adhérans, Paris, C. Wechel, 1550.

• Meigret, Louis, Le Tretté de la grammȩre françoȩze, Paris, C. Wechel, 1550.

• Meigret,  Louis, La Réponse de Louis Meigret à l'apolojie de Jáques Pelletier, Paris, C. Wechel, 1550.

• Meigret, Louis, Réponse de Louis Meigret à la dézespérée réplique de Glaomalis de Vézęlet, transformé ęn Gyllaome des Aotels, Paris, C. Wechel, 1551.

• Peletier du Mans,  Jacques, Dialogue de l'ortografe e prononciation françoese departi an deus livres, Poitiers, J. e E. de Marnef à l'anseigne du Pelican, 1550.

Sources secondaires

Aux origines de la querelle

• Tresutile et compendieulx Traicte de l'art et science d'orthographie gallicane, Paris, Jean de Saint-Denis, 1529.

• Dubois, Jacques, In linguam isagoge, Paris, R. Stephani, 1531.

• Tory, Geoffroy, Règles générales de l’orthographe du langage français, 1529, disparu.

Prolongements de la querelle

• Dolet, Etienne, Accents de la langue française, 1540, contenu dans Thomas Sébillet, Art poëtique francois, pour l'instruction des jeunes studieux, & encor' peu avancez en la poësie francoise. Avec le Quintil Horatian, sur la Defense & illustration de la langue francoise. Reveu, & augmenté, Lyon, Thibauld Payan, 1556.

• Joubert, Laurent, Dialogue sur la cacographie fransaise, dans Traité du Ris, Paris, N. Chesneau, 1579.

• Olivetan, Pierre, Apologie du translateur, dans  La Bible qui est toute la sainte Escripture. En laquelle sont contenus/ le Vieil Testament & le Nouveau/ translatez en francoys. Le Vieil/ de lebrieu : & le Nouveau/ du grec. Aussi deux amples tables, Neufchâtel, Pierre de Vingle, 1535.

• Ramus, Pierre, Scholae Grammaticae, Paris, André Wechel, 1559.

Bibliographie critique

• Charles Beaulieux, Histoire de l’orthographe française, Paris, Champion, 1927, rééd. 1967.

• Nina Catach, « Orthographe et conception de la langue en 1550 », Histoire, Epistémologie, Langages 4, 1982, p. 79-91.

• Nina Catach, Histoire de l’orthographe française, édition posthume réalisée par Renée Honvault avec la collaboration de Irène Rosier-Catach, Paris, Champion, 2001.

• Yves Citton et André Wyss, Les Doctrines orthographiques du XVIe siècle en France, Genève, Droz, 1989.

• Ambroise Firmin Didot, Observations sur l'orthographe ou Ortografie française ; suivies d'une Histoire de la réforme orthographique : depuis le XVe siècle jusqu'à nos jours, Paris, France Expansion, 1973.

• Franz Josef Hausmann, Louis Meigret. Humaniste et linguiste, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1980.

• Huguette Hermans et Willy Van Hoecke, « Le problème de la Réforme de l’orthographe : les conceptions de Peletier (1550, 1555) et de Rambaud (1578) », La Langue française au XVIe siècle : usage, enseignement et approches descriptives, sous la direction de P. Swiggers et W. Van Hoecke, Louvain-Paris, Leuven university Press/Peeters, 1989, p. 136-156.

• Jean-Charles Monferran (dir.), L’Ecriture du français à la Renaissance. Orthographe, ponctuation, système scripturaires, dans Nouvelle Revue du Seizième siècle, n°17/1, 1999, et notamment :

- Jean-Max Colard, « La question du livre dans le Dialogue de l’ortografe et prononciacion françoese de Jacques Peletier du Mans », p. 55-65.

- Guillaume Freyssinet, « Ecriture du Français et projets humanistes : Meigret, Peletier et quelques autres », p. 37-54.

- Jean-Charles Monferran, « Le Dialoguɇ dɇ l’ortografɇ e prononciacion françoesɇ de Jacques Peletier du Mans : de l’œil, de l’oreille et de l’esprit », p. 67-83.

• Pasquier, Etienne, Choix de lettres sur la littérature, la langue et la traduction, publiées et annotées par D. Thickett, Genève, Droz, 1956.

• Tory, Geoffroy, Champ fleury au quel est contenu lart et science de la deue et vraye proportion des lettres attiques, quon dit autrement lettres antiques et vulgairement lettres romaines, proportionnées selon le corps et visage humain, Paris, G. Gourmont, 1529 ; édition moderne : La Haye/Paris, Mouton, 1970.

Liens

Liens

Liens vers d'autres querelles associées

Placards (affaire des)