Querelle de Marot versus Sagon

Dates

1534

Autre(s) titre(s)

La querelle de Marot et Sagon [Lacombe, Paul et Picot, Emile, Querelle de Marot et Sagon, voir bibliographie]

Fiche rédigée par Hélène Pétorin , Mathilde Bernard . Dernière mise à jour le 17 December 2015.

Synopsis

Synopsis

Le 16 août 1534, Clément Marot est invité par Marguerite de Navarre au mariage d’Isabeau d’Albret (sœur de Henri de Navarre) et de René de Rohan-Frontenay, au château d’Alençon, où se trouve également François Sagon, secrétaire de l’abbé de Saint-Evroult. Le lendemain, lors d’une promenade dans le parc d’Alençon, Marot entame une conversation avec Sagon et prêche en faveur de la religion nouvelle. Le poète rouennais, proche de la faculté de théologie, s’en prend à l’attitude religieuse de Marot, allant jusqu’à le traiter d’hérétique. Les répliques fusent, Marot sort son poignard et Sagon s’enfuit. (Les faits sont relatés dans la Deffense de Sagon, v. 13-30 et v. 57-60).

Quelques mois plus tard, à la suite de l’affaire des Placards d’octobre 1534, Marot doit s’exiler à Ferrare, où il écrit deux épîtres, l’Epître au Roy, du temps de mon exil à Ferrare et l’Épître aux deux sœurs savoisiennes. La première attaque la Sorbonne ainsi que le système judiciaire français, tandis que la seconde montre les exactions subies par les hérétiques comme des signes d’une élection divine. La provocation est alors suffisante pour enflammer tout le pan conservateur de la Sorbonne. Sagon, plein de rancune, profite de l’absence de Marot et rédige Le Coup dessay, dans lequel il attaque à nouveau – mais cette fois par écrit et publiquement – son adversaire sur sa religion et sa licence de mœurs. Il est appuyé dans son entreprise par l’activité pamphlétaire de Jean Leblond, curé de Branville. On lui doit l’édition d’un recueil de poèmes, dans lequel sont insérées deux épîtres responsives à Marot : l’une est rédigée par Leblond lui-même et l’autre par un poète dont l’identité reste mystérieuse, le « Général Chambor ». Les trois poètes élisent le style formel de l’épître afin de répondre de manière spéculaire à Marot. Leurs missives publiques s’adressent toutes à un destinataire idéal, François Ier, durement attaqué par Marot dans son Epistre au Roy, selon ses détracteurs. Seul Bonaventure des Périers ose reprendre la forme pour défendre Marot dans son libelle Pour Marot absent contre Sagon. Les sagoniques s’adonnent alors à un exercice de style commun afin de contrer en bloc la tentative de réhabilitation de Marot.   

Malgré les efforts des conservateurs, Marot obtient son laissez-passer de la part de François Ier et rentre en France en 1536. Il publie un Dieu gard à la Cour auquel Sagon va répondre par son propre Dieu gard à Marot où il blâme l’hypocrisie de son ennemi, revenu comme un fils prodigue. Il serait en fait toujours atteint d’hérésie et prêt à récidiver à tout moment dans ses actes de pécheur. Marot, imposant un silence méprisant à Sagon, reçoit le soutien de nombreux amis tels que Nicole Glotelet et Charles Fontaine qui célèbrent son retour (Apologie pour Clément Marot et Epistre à Sagon et à la Hueterie). Néanmoins, cet apaisement flottant ne dure pas. Au printemps 1537, Marot et Sagon sont amenés à se rencontrer à nouveau lors d’une fête donnée au parc Saint-Cloud par Marguerite de Navarre. Cette entrevue ne fait que raviver les flammes de la querelle et Marot réplique en 1537, sous le nom de son valet (Le Valet de Marot contre Sagon). Ce libelle ouvre le bal de la caricature puisqu’il présente sur la page de titre le valet Frippelippes tenant en laisse le grand singe « Sagouin », qui n’est autre que la persona animale de Sagon. A travers la voix de Frippelippes, Marot remercie ses amis et attaque Sagon par le point le plus sensible, celui de son manque de talent. Ce dernier a osé frotter sa « rude cornemuse » contre le « Maro de France » et s’en trouve rossé comme une vulgaire bête.

Ce libelle de Marot donne lieu à une formidable généralisation de la querelle : le clan de Sagon se forme peu à peu. L’un de ses partisans publie anonymement La Grande Généalogie de Frippelippes (il s’agirait probablement de Mathieu de Vaucelles). Grâce à la veine scatologique, le « jeune poète champestre » s’inspire des généalogies bibliques parodiées par Rabelais. Il recherche les origines du valet de Marot, loin d’être illustres, et annonce dans le même temps l’entrée du page de Sagon dans l’arène polémique. Un Rescript marotique vient y répliquer tout en attaquant François Sagon. Ce dernier propose alors une Elégie où il fait complainte ; l’intention héroïque de son Coup dessay n’aurait pas été comprise. Charles Huet enchaine avec sa Responce à Marot, dict Frippelippes et son maistre Clément. Dès le titre, on note le besoin du sagonique de mettre bas les masques. L’hypocrisie et le dédoublement de personnalité de Marot sont mis en avant par ce triptyque identitaire. Le livre offre également une caricature de Marot, figuré en rat en arrêt devant un bout de lard, allusion à son arrestation en 1526 pour avoir « mangé le lard en carême ». La légende « rat pelé » est sylleptique ; elle fait d’abord référence à la tonsure subie par Marot lors de son abjuration et l’homophonie avec « rappelé » sous-entend le rappel de son exil italien par le roi. Huet tente également de disperser le clan marotique en formulant des accusations de plagiat contre Marot. Sagon suit ce mouvement de près et produit son Rabais du Caquet de Frippelippes sous l’identité de son page tant attendu : Mathieu de Boutigny. Grâce à la création de ce personnage, Sagon procède à un retour à l’ordre où les maîtres se toisent en silence, tandis que les subalternes s’entre-écrivent et s’injurient mutuellement. L’équilibre social est donc maintenu de façon fictionnelle. Sagon ne produit pas une réponse purement argumentative, mais en profite pour faire ses preuves en usant d’une plasticité formelle hors-du-commun. Sans crier gare, le poète rouennais insère au cœur même de son épître des formes brèves, ne se démarquant pas du corps du texte. Il cherche à éprouver sa plume dans les formes poétiques dites « provinciales » pour lesquelles il a été primé. On remarque donc une volonté d’imposer à la Cour un style différent et, en même temps, de répondre au dénigrement constant de cette poésie mise à l’écart par les poètes parisiens. Cette salve de libelles donne l’impression d’un acharnement de la part de la coalition sagonique.

Cette hargne, cette « muse furieuse » est d’ailleurs moquée dans l’Epistre responsive au Rabais du Caquet. Les petits « sagonneaux » à peine formés sont abandonnés par leur marâtre, Sagon, incapable de les élever correctement. Leur mauvaise poésie n’est que cacophonie devant le chant mélodieux du grand rossignol Marot. Colet quant à lui, sous le pseudonyme transparent de Daluce Locet fait paraître la Remonstrance à Sagon, à la Huterie et au poète Campestre. Il s’attaque aux libelles des trois sagoniques et s’insurge particulièrement contre la vulgarité de la Généalogie. Sur un ton menaçant, il en profite pour proclamer de manière anticipée la victoire de Marot. Selon Colet, il ne peut en être autrement tant le camp de Sagon est clairsemé et inexpérimenté. L’imprimeur du Coup dessay, également pris à parti par Colet, est défendu dans une pièce sagonique intitulée Responce par l’ung des amys de l’imprimeur de ce petit traicté. Le Coup dessay, qui a été réimprimé trois fois, a été extrêmement prisé par le public selon le sagonique. Le clan de Marot a une toute autre hypothèse rendue publique par un certain Grandis Ligulet, ami de l’illustre Daluce Locet. Dans sa Replicque par les Amys de l’aucteur de la Remonstrance, il affirme que les deux premières impressions étaient de si mauvaise qualité qu’il a fallu imprimer l’ouvrage une troisième fois. Les éditeurs entrent donc à ce moment-ci dans l’arène polémique et subissent à leur tour des attaques.  

De ce dédale textuel découle naturellement le premier recueil collectif de la querelle. Il rassemble toutes les pièces des partisans de Clément Marot. Ceux-ci choisissent de le titrer Les Disciples et amys de Marot, en réaction à la Responce de Charles Huet, dans laquelle il réfutait cette appellation. Afin de parfaire le recueil, François Calvy de la Fontaine produit deux nouvelles pièces conclusives. La Response à Charles Huet, dict Hueterie vient répondre de manière plutôt classique à l’acolyte de Sagon. En revanche, la deuxième pièce adressée à Sagon se veut plus originale et incisive. Grâce au procédé de la prosopopée, Calvy de la Fontaine fait parler « Sagouyn » dans une Complaincte et testament. La première partie est une parodie de l’Elégie de Sagon, où il se plaignait pathétiquement auprès du public. Il fait ainsi tenir à Sagon les propos les plus incongrus qui soient et se présente comme un nouveau Marsyas, reniant son propre jugement poétique. Par ailleurs, il célèbre Marot, « La perle des Poëtes Françoys », après l’avoir tant blâmé. Le décalage entre les textes du véritable Sagon, habituellement acharné à annihiler Marot, et ce contre-pied pris par ce « Sagouyn » fictif est risible. Le ton devient plus grave dans la partie testamentaire puisque « Sagouyn » est considéré comme quasi-inexistant. D’ailleurs, Calvy de la Fontaine lui a même concocté une épitaphe, parachevant ce recueil de poèmes consacrés à la défense de Marot contre le « Sagouyn ». Les « disciples » auront maltraité la bête sagonique jusqu’à la laisser pour morte.

Cette veine éminemment polémique est suivie par un désir d’apaisement et de conciliation. Germain Colin, qui avait d’abord refusé de s’allier à qui que ce fût et de répondre à la demande de Sagon, formulée dans Le Rabais de Frippelippes, publie l’Épîstre à Marot, à Sagon et à La Huterie. Il s’en prend aux deux clans, en soutenant qu’aucun d’eux n’est digne de présenter ses vers à l’intention de Dieu tant leurs entreprises polémiques sont misérables. Il charge tout de même largement Sagon pour avoir entériné les hostilités et ne satisfait pas les objectifs d’impartialité qu’il s’était donné. Le Différent de Clément Marot et de François Sagon se propose également de revenir aux sources de la querelle, sans prendre parti. La pièce se conclut de façon à montrer les torts et qualités de chacun des champions de la poésie. Mais l’objectivité et la nuance sont inadmissibles lors de polémique aussi manichéenne que celle opposant Marot à Sagon. Un marotique anonyme dans son Epistre a Marot, a Sagon & a la Hueterie se pare premièrement d’une certaine neutralité. Il fait un portrait extrêmement élogieux de Marot mais annonce à la fin du libelle qu’il ne peut pas rendre la pareille à Sagon pour des raisons purement techniques. La faillite de l’impartialité est achevée avec la Response d’ung qui ne se nomme point à l’epistre de celluy qui ne s’est point nommé, adressée à Marot, à Sagon, & la Hueterie. Il vient contrer les arguments précédemment convoqués pour défendre Marot. La querelle reprend alors de plus belle. Partant d'une intention louable, les tentatives de pacification du conflit se voient toujours avortées à la fin. Les rancœurs, qui s'amplifient de jour en jour, donnent lieu à une véritable mêlée d'invectives.

Le rythme de la querelle est soutenu jusqu’à ce que l’abbé de la Confrérie des Conards de Rouen raille les ridicules des deux partis à travers son Apologie. Il impose son autorité suprême sur la sphère littéraire en émoi. Cette suprématie lui permet de proclamer un armistice estival dans son libelle pacificateur : De Marot et Sagon les trèves. Néanmoins, le ton conciliateur n’est qu’apparence. En effet, l’Abbé des Conards se permet de piquer subtilement les poètes des deux camps grâce à un ton moqueur. Il critique le ton polémique des belligérants qui les feront vite passer à des duels physiques, de son point de vue. D’ailleurs un sagonique relève la provocation dans sa Responce à l’abbé des Conards et va décrier cet abbé de pacotille. Il relève les défis stylistiques lancés par l’Abbé et termine par une réflexion métatextuelle sur poétique et polémique. L’Abbé finit par lui faire une Première leçon de matines ordinaires en le taxant de manque de talent, grâce à la réversibilité polémique. Il annonce également le deuil de la communauté car le Chancelier Roger est mort. Cet événement signe le retrait définitif de l’Abbaye des Conards de la querelle. Toutefois, le chef conard sera invité au Bancquet d’honneur où la paix sera proposée aux adversaires. Cependant, ce libelle ouvertement marotique met l’accent sur les méfaits de Sagon. La querelle reprend donc de plus belle, centrée sur la Confrérie des Conards. Malgré la volonté de concorde apparente, le ton enjoué et persifleur des Conards réactive les travers polémiques. Il y a ici la formation d’une micro-querelle dans la querelle générale entre Marot et Sagon : c’est une mise en abyme polémique.

La querelle se poursuit par un libelle du page de Sagon donnant « le vin aux disciples de Marot » de façon tout à fait méprisante. Il les déconsidère et les rabaisse au rang de simples valets de pied du « Prince des poëtes ». La persona du « Sagouyn » est reprise dans un libelle marotique : Le Frotte-Grouing du Sagouyn. Le maître de la « vilaine beste » lui promet un traitement d’une violence extrême pour s’être rebellé contre Clément Marot. La pièce atteste une intention d’annihiler l’autre absolument et de tuer symboliquement Sagon par le biais de sa persona. Durant cette période de la querelle finissante, La Prognostication des prognostications donnée par Bonaventure des Périers est tout à fait intéressante. C’est une satire des almanachs, qui fleurissent ici et là, et se targuent de prédire l’avenir. Dieu a refusé à l’homme cette connaissance du futur ; il ne faut donc pas chercher à le révéler de la sorte. Des Périers conclut son libelle avec un message universel. Par sa revendication de l'unicité et de la toute-puissance de Dieu, l'auteur prône une certaine réunification de la société. A l'aube des Guerres de Religions, les catholiques et les réformés commencent à se déchirer. L’auteur ne prend plus parti pour un camp ou l’autre et, grâce à un regard surplombant, il prévient de ces peccadilles devenant dangereuses et annonçant les guerres de religion. Par la suite, Sagon publie un dernier libelle conséquent, pour faire Deffense. On peut penser qu’au moment de la composition, Sagon était peut-être dans une posture difficile. En effet, il tente de réinvestir les arguments religieux des prémisses, pour redevenir maître du conflit. Le basculement vers des discussions littéraires et poétiques, moins litigieuses, donne lieu à un désintérêt du public, mais également du roi de France que Sagon avait réussi à approcher au début de la querelle. Il tente par tous les moyens de réhabiliter sa figure, en tant que théologien salvateur. Il s’attaque en suite comme de coutume aux partisans de Marot, puis aux « appoincteurs » dont le travail contre-productif ne fait qu’attiser la querelle. Les « juges » sont finalement célébrés et Sagon dit être toujours dans l’attente de leur sentence finale. Mellin de Saint-Gelais s’interpose alors avec sa « Ballade d’un chat et d’un milan ». Il y transfigure les deux chefs de file en allégories animalisées et les fait s’affronter lors d’un combat épique. Mellin de Saint-Gelais prend à contre-pied le registre ordurier qui a été employé et rend à la poésie ses lettres de noblesse.

La querelle aurait gagné à s’achever sur cette douce note de Mellin de Saint-Gelays. Mais, les rancœurs sont encore vives. Dans le Recueil des estrenes de Francoys de Sagon pour l'an present, le rouennais laisse à nouveau éclater sa colère, et notamment contre les Conards de Rouen qui auraient dû prendre son parti. En réponse, un certain Loys Pratin produit son ironique Deffense des escriptz de Sagon a luy envoyee pour estreines. Il vient donc défendre les écrits de Sagon qui ne sont pas totalement inutiles comme on a pu le faire croire. Les allusions au quotidien relèguent le texte de Sagon au rang de simple torchon, prêt à l'emploi pour satisfaire aux diverses tâches ménagères à effectuer. Ses écrits poétiques deviennent bons à tout faire, excepté à être lus. Pratin les trouve particulièrement adéquats pour se « torcher » le cul. Ainsi, l'auteur enseigne à tous que les écrits peuvent avoir une utilité, même s'ils sont littérairement sans intérêt. Il faut savoir les réutiliser avec intelligence et, aucun homme ne peut se revendiquer « si glorieux » qu'il puisse leur refuser cette fonction. La querelle se calme ; cependant les deux adversaires se détestent trop et Sagon, à travers l’Apologye en défense pour le Roy (1544), relance discrètement les attaques contre Marot alors que celui-ci doit quitter la France une seconde fois. Sagon meurt quelque mois plus tard, le 19 août 1544.

Enjeux

Enjeux

Au cours de cette querelle, Marot est attaqué pour ces mêmes déviances religieuses qui lui ont valu un emprisonnement et qui l’ont déjà contraint à l’exil. Il sait que de telles accusations sont graves. Cependant il ne répond pas immédiatement à l’attaque écrite, alors même que sa réaction lors de la provocation de Sagon à Alençon avait été relativement brusque. Il est dès lors intéressant d’étudier la stratégie dilatoire de Marot et la façon dont il mûrit sa réponse polémique. L’escalade pamphlétaire et satirique permet par ailleurs d’aborder cette querelle de plusieurs points de vue. Les deux chefs de file entament cette querelle sur la base d’une ancienne rancœur et des griefs plus que personnels font surface. Il devient alors crucial pour Marot et Sagon de généraliser la querelle et de trouver des appuis influents pour pouvoir s’ériger en grands champions. A partir du retour de Marot en France, le clan sagonique est beaucoup plus épars du fait que le roi François Ier ait donné son aval en faveur de Clément Marot. La plupart des poètes prennent alors le parti de Marot et Sagon tentera de persuader un lectorat qui n’est pas forcément concerné directement par ces joutes verbales dans les hautes sphères poétiques. Le registre injurieux vers lequel glisse la querelle et les gravures systématiquement adjointes aux libelles sont dirigés vers ce public plus populaires, afin de l’appâter et de le faire rire à gorge déployée. Les anti-èthos de l’hérétique et du mauvais poète sont évidemment de rigueur dans une telle querelle, qui a été amorcée par des motifs religieux et transposée par la suite sur un plan littéraire. On s’intéressera au vocabulaire et au champ lexical de l’injure (très centrés ici sur les animaux) pour penser la façon dont la destruction des persona de Marot et Sagon est effectuée par une onomastique parfois un peu facile – c’est la loi du pamphlet – mais également par une réutilisation des images construites par les auteurs eux-mêmes (ainsi de l’image du rat pelé évoquant l’ « Épistre à son amy Lyon » écrite par Marot en 1534). Le bestiaire de la Renaissance est largement employé, autant dans sa symbolique profane que sacrée, et permet d’annihiler absolument l’Autre en tant qu’être raisonné. Cette querelle offre également un exemple des moyens par lesquels les poètes s’attaquaient. Comme dans celle qui opposera, quelque vingt-cinq ans plus tard, Ronsard aux poètes protestants, l’accusation liée à la religion vire à l’insulte et au dénigrement. Dès lors que leur talent est mis en cause, les poètes attaquent de plus belle. Or Sagon a sans doute vu juste en voulant blesser Marot ainsi, car, de fait, à la différence de son adversaire et contrairement à son père, ce dernier n’avait jamais réussi à gagner le moindre prix de poésie. Ce fait permet enfin de nous amener, une fois de plus, à être très vigilant quant aux hiérarchies établies par l’histoire littéraire. Si Sagon, contrairement à Marot, n’a rien d’un « prince des poètes » – et beaucoup ne s’y sont pas trompés – la poésie est loin d’être jugée sur des critères purement esthétiques, indépendamment de toute éthique. Les jeunes poètes en mal de reconnaissance profitent de la médiatisation polémique pour exercer leurs plumes et démontrer leur talent - peut-être dans le but de faire carrière. Une véritable innutrition se fait sentir dans le cercle très fermé de la poésie du début du XVIe siècle. Les écrivains se copient, se prisent et se reprisent à profusion sans aucun état d’âme. La question de l’imitation est centrale puisque les accusations de plagiat fusent contre François Sagon. L’imitation dont Marot use est plus proche de l’inspiration telle que nous la connaissons aujourd’hui et des intérêts humanistes. En effet, celui-ci puise au sein des poètes classiques mais détourne leurs codes et styles afin de le transposer en français, langue alors vernaculaire et populaire. Marot crée des formes neuves à partir de l’esprit antique qui flotte constamment à la Renaissance. On peut notamment penser à l’épigramme « Contre Sagon », au Dieu gard à la Court et à l’« Epistre de Frippelippes ». Sagon ne fait que le talonner et reprend ses idées, mais toujours de façon tardive. Le renouveau poétique tant attendu depuis le milieu du XVe siècle – dont on voit les traces avec les expérimentations des Grands Rhétoriqueurs – est enfin apporté par Clément Marot et pourrait expliquer le choix de la postérité en sa faveur.

Chronologie

Chronologie

• 1534/17/08 : première agression de Sagon contre Marot, à Alençon

• 1535 : publication de l’Épître aux deux sœurs savoisiennes et de l’Epître  Au Roy, du temps de mon exil à Ferrare

• 1536 : publication du Coup dessay de François Sagon

• 1536 : publication de Le Printemps de l’humble espérant aultrementdict Jehan Leblond

• 1537 : publication de la première réponse écrite de Marot, sous un faux nom : Le Valet de Marot contre Sagon, cum commento.

— Généralisation de la querelle à partir de 1537, publication successive de ces différents libelles entre juin et septembre 1537 :

La Grande Généalogie de Frippelippes

La Responce à Marot, dict Fripelippes et à son Maistre Clement de Charles Huet.

Responce à Charles Huet de Calvy de La Fontaine

Remonstrance à Sagon, à la Huterie et au poète Campestre, par maistre Daluce Locet Pamanchoys de Claude Colet.

Le Rabais du caquet de Fripelippes

La Complainte et le Testament de Sagouin de Calvy de La Fontaine

Rondeau à Marot de Sagon

L’Épîstre à Marot, à Sagon et à La Huterie de Germain Colin

Apologie sur les invectives, de l’abbé des Conards

Responce à l’abbé des Conards, anonyme (mais ce libelle émane certainement d’un sagonique)

Première leçon des matines ordinaires du grand abbé des Conardz de Rouen.

De Marot et Sagon les trèves

Le Banquet d’honneur sur la Paix

Ballade au nom de Clément Marot de Mellin de Saint-Gelais

• 1544 : François Sagon, Apologye en défense pour le Roy dans laquelle l’auteur s’en prend plus discrètement à Marot.

• 1544, 19 août : mort de Sagon.

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

— Pièces extraites de LACOMBE Paul et PICOT Emile, Querelle de Marot et de Sagon, pièces réunies par Émile Picot et Paul Lacombe. Introduction par Georges Dubosc, Rouen, A. Lainé, 1920. Fac-similé Genève, Slatkine, 1969 :

• Appologie faicte par le grant abbe des Conards Sur les Invectives Sagon, Marot, La Huterie, Pages, Valetz, Braquetz, etc. On la vend devant le College de Reims.

• Le Bancquet dhonneur sur la Paix faicte entre Clement Marot, FrancoysSagon, FripelippesHueterie et aultres de leurs ligues. Nouvellement imprimé. 1537.

• Contre Sagon et les siens. Epistre nouvelle, faicte par ungamy de Clement Marot. On la vend devant le College de Reims.

• Le Coup Dessay de Françoys de Sagon Secretaire de labbe de sainct Ebvroul. Contenant la response a deux epistres de Clement Marot retire a Ferrare. L'une adressante au Roy treschrestien. L'autre a deux damoyselles seurs. Vela de quoy. Avec Une Responce a celuy qui a escript que limprimeur de ce present livre avoit beaucoup perdu a limpression diceluy. Les semblables sont a vendre a Paris a lenseigne du pot casse.

• Deffence des escriptz de Sagon a luy envoyee pour estreines de par Loys Pratin.

• Deffense de Sagon contre Clement Marot. On la vend au mont Sainct Hylaire, devant le college de Reims.

• De Marot & Sagon les treves, Donnez, jusqua la fleur des febves. Par lauctorite de Labbe des Conardz.

• Les Disciples et Amys de Marot contre Sagon, La Hueterie, et leurs adherentz. On les vend a Paris, pres le college de Reims, a l’enseigne du Phoenix. Disponible sur Gallica. Côte : ark:/12148/bpt6k70948w

• Epistre a Marot, a Sagon, & a la Huterie. On la vend au mont Sainct Hylaire, Devant le College de Reims. Disponible sur Gallica. Côte : ark:/12148/btv1b8618502v

• Epistre a Marot par Francois de Sagon pour luy monstrer que Frippelipes avoit faict sotte comparaison des quatre raisons dudit Sagon à quatre Oysons. Vela de quoy.

• Epistre envoyee a Clement Marot, et Francoys Sagon tendant a leur paix Par Germain Colin. On la vend en la rue sainct Iaques pres le mortier dor.

• Epistre responsive au rabais de Sagon. Ensemble une Aultre Epistre faicte par deux amys de Clement Marot. On les vent a Paris, au mont sainct Hilaire, devant le College de Reims.

• Le Frotte-Groing du sagouyn. Avec sholies exposantz lartifice, etc. On le vend a Paris, en la rue S. Iacques a lenseigne des trois Brochetz, 1537.

• La Grande Genealogie de Frippelippes, composee par ung jeune Poete champestre. Avecques une epistre adressant le tout à Francoys Sagon. On les vend au mont sainct Hylaire, pres le college de Reims, au Phoenix.

• La Prognostication des prognostications, non seulement de ceste presenteannee MDXXXVII. Mais aussi des aultresa venir, voire de toutes celles qui sont passees, composee par Maistre Sarcomoros, natif de Tartarie, et secretaire du tres illustre et tres puissant Roy de Cathai, serf des Vertus. On les vend a Paris en la rue sainctIacques, pressainct Benoist, a lenseigne du Croissant, en la boutique de Jehan Morin, MDXXXVII. Disponible sur Gallica. Côte : ark:/12148/bpt6k70950f

• Le Rabais du caquet de Fripelippes et de Marot dict Rat peleadictione avec le comment. Faict par Mathieu de Boutigni page de maistre Françoys de Sagon secretaire de Labbe de sainct Eburoul. Disponible sur Gallica. Côte : ark:/12148/bpt6k70953g

• Remonstrance a Sagon, a La Huterie, et au Poete Campestre, par maistre Daluce Locet, Parmanchoys. On la vend au mont sainct Hylaire, Devant le College de Reims. Disponible sur Gallica. Côte :  ark:/12148/bpt6k709497

• Replicque par les Amys de l’auctheur de la Remonstrance faicte a Sagon, contre celuy qui ce dictamy de L’imprimeur du coup d’essay, Ensemble responce a Nicolas Denisot qui blasma Marot en vers enragez à la fin du Rabais.

• Rescript a Francoys Sagon et au ieune poete Champestre facteur de la généalogie de Frippelippes. Avecques ung Rondeau faict par Clement Marot du dict ieune poete, 1537. Disponible sur Gallica. Côte : ark:/12148/bpt6k70951s

• Responce a Labbe des Conars de Rouen. On les vend en la rue sainctIacques par Jehan Morin. M.D.XXXVII.

• Responce a Marot, dict Fripelippes, et a son Maistre Clement. On les vend a Paris en la rue sainctIacques, devant lescu de Basle, par Iehan Luquet.

• Le Valet de Marot contre Sagon, cum commento. On les vend a Paris en la rue sainct Iacques pres sainct Benoist, en la bouticque de Iehan Morin, pres les troys Couronnes dargent, 1537. Disponible sur Gallica. Cote : ark:/12148/bpt6k709524

 

— Pièces tirées d’autres ouvrages :

• Leblond, Jean, Le Printemps de l'Humble espérant, aultrementdict Jehan Leblond, seigneur de Branville , où sont comprins plusieurs petitzoeuvres semez de fleurs, fruict et verdure qu'il a composez en son jeune aage, fort récréatifz, comme on pourra veoir à la table, Paris, A. Langelier, 1536.  Disponible sur Gallica. Côte : ark:/12148/bpt6k70262h

• Marot, Clément, Le Dieu gard de Marot à la Court, dans Dieu gard de Marot à son retour de Ferrare en France , avecques la triumphe des trioletz, où est comprins les Neuf preuses, les Devis de deux amans et plusieurs ballades, rondeaux, espîtres, disains, huictains et quatrains, ensemble La chanson de Hesdim composez par Jehan Chapperon, dit le Lassé de repos, Paris, Sainct Nicolas, 1537.

• Marot, Clément, Oeuvres poétiques complètes, Paris, G. Defaux éd., Classiques Garnier, 1996, 2 tomes.

• Sagon, François, Apologye en defense pour le Roy, fondée sur texte d'evangile, contre ses ennemys&calumniateurs, par Françoys de Sagon. Avec privilege du Roy. 1544. De l'imprimerie de Denis Janot, imprimeur du Roy en langue Françoyse, & libraire juré de l'Université de Paris.  Disponible sur Gallica. Côteark:/12148/bpt6k71358s

• Saint-Gelais Mellin (de), « D'un chat et d'un milan », dans Oeuvres complètes de Melin de Sainct-Gelays, Paris, P. Daffis, 1873.

• Le Different de Clement Marot et de François Sagon, dans MAROT Clément, Oeuvres de Clement Marot valet-de-chambre de François I. Roy de France, revûes sur plusieurs manuscrits, & sur plus de quarante editions ; et augmentées tant de diverses poësies veritables, que de celles qu'on lui a faussement attribuées : avec les ouvrages de Jean Marot son pere, ceux de Michel Marot son fils, & les piéces du different de Clement avec François Sagon : accompagnées d'une preface historique & d'observations critiques. Tome Quatrième, La Haye, P. Gosse, 1731, p. 566-568.

• Epistre en forme de complaincte sur la fuycte de Clement Marot, composée par le frere mineur, et par luy envoyée aux Françoys suivie d’une Enigme, publié par  COOPER Richard, « ‘Bon heretique’ : an unpublished riposte to Marot’s épîtres from exile (1535) », dans Writers in conflict in Sixteenth-Century France : Essays in honour of Malcolm Quainton, éd. E. Vinestock et D. Foster, Durham, Durham University Press, 2008, p. 275-282.

• La Premiere Leçon des matines ordinaires du grand abbé des Conardz de Rouen, souverain monarque de l'ordre, contre la Response faicte par un corneur a l'apologie dudict abbé, reproduit dans V.-L. Saulnier, “Le faux dénouement de la querelle opposant Marot à Sagon”, dans Mélanges d'histoire littéraire (XVIe-XVIIe) : offerts à Raymond Lebègue par ses collègues, ses élèves et ses amis, Paris, A.-G. Nizet, 1969, p.33-44.

• Response d'ung qui ne se nomme point à l'epistre de celluy qui ne s'est point nommé, adressée à Marot, à Sagon, & la Hueterie. En laquelle il blasme Sagon, disant qu'il a commencé le débat de Marot et de luy, dans Oeuvres de Clement Marot valet-de-chambre de François I. Roy de France, revûes sur plusieurs manuscrits, & sur plus de quarante editions ; et augmentées tant de diverses poësies veritables, que de celles qu'on lui a faussement attribuées : avec les ouvrages de Jean Marot son pere, ceux de Michel Marot son fils, & les piéces du different de Clement avec François Sagon : accompagnées d'une preface historique & d'observations critiques. Tome Quatrième, La Haye, P. Gosse, 1731, p. 569-572.

Sources secondaires

Lacombe, Paul et Picot, Émile, Querelle de Marot et de Sagon, pièces réunies par Émile Picot et Paul Lacombe. Introduction par Georges Dubosc, Rouen, A. Lainé, 1920. Fac-similé Genève, Slatkine, 1969.

Bibliographie critique

• Desan, Philippe, « Le feuilleton illustré Marot-Sagon », dans La Génération Marot. Poètes français et néo-latins (1515-1550), Gérard Defaux,(éd.), Paris, Champion, 1996, p. 348-380.

• Guiffrey, Georges, édition des Œuvres de Clément Marot, Genève, Slatkine Reprints, 1969

• Kinch, Charles, La Poésie satirique de Clément Marot, Genève, Slatkine Reprints, 1969.

• Mayer, C. A., Clément Marot, Paris, Nizet, 1972.

• Montovani, Thierry, « La querelle de Marot et de Sagon : essai de mise au point », dans La Génération Marot, op. cit., p. 381-404.

• Preisig, Florian, Clément Marot et les métamorphoses de l’auteur à l’aube de la Renaissance, Genève, Droz, 2004.

• Villey, Pierre, Tableau chronologique des publications de Marot, Genève, Slatkine Reprints, 1973.

Iconographie

Les pages de titre sont quasiment toutes ornées de gravures, qui sont souvent en rapport avec le titre, représentant ainsi un sagouin (singe) battu par un valet (Le Valet de Marot contre Sagon), une truie et un âne (Response à Charles Huet), un sagouin portant la patte sur un rat pelé (Le Rabais du caquet de Frippelippes), un rat pelé devant son morceau de lard et menacé par Mitouart le gris, un gros chat (Responce à Marot), ou encore deux sages discutant entre eux (De Marot et Sagon les treves).

Liens

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