Querelle des amies

Dates 1537 - 1545

Fiche rédigée par Mathilde Bernard . Dernière mise à jour le 19 October 2014.

Synopsis

Synopsis

La Querelle des amies est un épisode de la Querelle des femmes à la Renaissance, ou, du moins, c’est ainsi qu’on a coutume de la considérer (voir Émile V. Telle, L’Œuvre de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre et la querelle des femmes, Toulouse, Imprimerie toulousaine, 1937, p. 149).

Ses origines se trouvent dans la publication en 1537 de La Victoire et triumphe d’Argent contre Cupido, dieu d’amours, naguieres vaincu dedans Paris, écrit par Almaque Papillon, œuvre à laquelle Charles Fontaine réplique dans la Responce faicte à l’encontre d’un petit livre intitulé le Triumphe (1537), où il justifie la conduite des dames de Paris, vertueuse.

Mais la querelle éclate réellement en 1542, avec la publication de L’Amye de Cour. Bertrand de La Borderie y réagit à l’idéal de la dame de cour dépeint par Castiglione dans son Livre du Courtisan. L’amie de cour explique comment elle réussit à tirer plus de profit que de perte de l’entreprise de séduction que les courtisans mènent envers elle. Elle se réserve des « amys » pour le « profit » exclusivement, aimant être « servie » par eux, mais elle met en garde contre les hommes, dont l’amour est fondé sur la jouissance. Le livre de La Borderie est cependant très probablement satirique et critique à l’égard de cette « amye », le sens d’ « amye » étant à l’époque, dans les textes en prose, celui de « maîtresse ».

Antoine Heroët, auteur de La Parfaicte Amye de Cour (1542), qui paraît pratiquement en même temps que L’Amye de Cour, adopte un point de vue opposé, mais ne fait probablement pas référence à La Borderie. Il ne se montre pas querelleur et son monologue est plus épidictique que polémique, défendant l’amour néoplatonicien. Charles Fontaine semble quant à lui répondre plus directement à La Borderie avec La Contre Amye de Court (1543) : la contre amie est la fille d’un marchand, qui, contrairement à l’ « amye de cour » corrompue, rejette tout présent et refuse de se compromettre.

Paul Angier prend enfin parti pour La Borderie, en plaçant dans la bouche d’un jeune amant la défense de l’amie de cour. L’Experience de maistre Paul Angier (1545) contient une violente diatribe contre le dieu d’Amour, qui empêche le libre arbitre.

Le combat entre les partisans d’un amour épuré et ceux d’un amour qui sait jouer de la ruse et de la dissimulation est à l’origine de la querelle des amies et trouve de nombreux échos dans l’Heptaméron (notamment nouvelles 19, 58 et 59). Il semble cependant avant tout prétexte à écrire de la poésie et à philosopher sur la question de l’amour. Dans ce sens, il alimente plusieurs poèmes (outre les principaux cités ci-dessus, on peut mentionner les noms de Guillaume des Autels, de Mellin de Saint-Gelais, Charles de Sainte-Marthe, de Clément Marot, qui se sont joints à Antoine Héroët et Charles Fontaine, ou encore de François de Billon, qui, outre Charles Fontaine, semble être le seul à avoir réellement critiqué L’Amie de court) et plusieurs éditions collectives – qui ont généralement pour titre Le Mespris de la court – jusqu’en 1568.

Enjeux

Enjeux

La Querelle des femmes s’étend du Moyen-Âge au début du XXe siècle et trouve des échos dans toute la littérature de la Renaissance ; c’est pourquoi il est difficile de la découper ou de la circonscrire.

La Querelle des amies n’en est qu’un petit épisode, mais il semble intéressant pour les questionnements qu’il amène à se poser sur la nature de ces productions poétiques autour de la question de la juste attitude de la dame de cour. Le statut de « querelle » aurait été créé a posteriori, notamment par Ferdinand Gohin, et Danielle Trudeau s'interroge sur le caractère polémique des œuvres concernées. Selon elle, non seulement L’Amye de Cour n’a pas provoqué de scandale, mais en outre, cette œuvre aurait été largement appréciée. Il faudrait alors comprendre L’Amye de cour, La Parfaite Amye et même La Contre Amye comme des variations autour de la représentation de l’amour chaste, dans une perspective anti-pétrarquisante.

Cette question est indissociable d’une interrogation générique sur L’Amye de court. Les critiques du XXe siècle s’entendent généralement pour y voir de l’ironie, mais ne savent pas toujours sur quoi se porte cette ironie, et si, finalement, elle revient à transmettre la voix du féminisme ou de l’anti-féminisme. Faut-il parler de « satire », d’ « éloge satirique », de « paradoxe » ? Cette ambiguïté conduit elle aussi à privilégier la thèse d’une œuvre qui vaudrait davantage pour ses qualités littéraires que pour un message à bien des égards voilé. L’échange entre La Borderie et Fontaine, ainsi que ses prolongations à travers la forme dialogique adoptée par les devisants de l’Heptaméron serait alors un exercice poétique. Charles Fontaine peut dès lors, sans contredire son projet, prôner l’acceptation des présents dans sa Responce à A. Papillon pour la critiquer quelques années plus tard, dans sa Contre Amye.

Chronologie

Chronologie

• 1537 publication de La Victoire et triumphe d’Argent contre Cupido, dieu d’amours, naguieres vaincu dedans Paris, écrit par Almaque Papillon

• 1537 : réponse de Charles Fontaine : Responce faicte à l’encontre d’un petit livre intitulé le Triumphe.

• 1542 : publication de L’Amye de Cour de Bertrand de La Borderie

• 1542 : publication de La Parfaicte Amye de Cour de Antoine Heroët.

• 1543 : publication de La Contre Amye de Court de Charles Fontaine.

• 1545 : publication de L’Experience de maistre Paul Angier de Paul Angier

• Deuxième moitié des années 1550 : derniers échos de la querelle à travers l’œuvre de François Billon et celle de Marguerite de Navarre

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• Paul Angier, L’Experience de maistre Paul Angier Carentennoys contenant une briefve deffense en la personne de l’honneste amant pour l’amye de court contre la contre amye (1545), dans Le Mespris De La Court, Paris, Jehan Ruelle le jeune, 1568, f. 140 v° - 155 v°.

• Gilles d’Aurigny, Le Tuteur d’Amour, Paris, Arnoul l’Angelier, 1546.

• François de Billon, Le Fort inexpugnable de l’honneur femenin, Paris, J. d’Allier, 1555.

• Baldesar Castiglione Il Libro del Cortegiano (1528) ; première traduction française par Jacques Colin d’Auxerre : Le Courtisan de Baldassare Castiglione, nouvellement traduict de langue ytalicque en françoys par Jacques Colin, d'Auxerre, Pais, J. Longis, 1537.

• Charles Fontaine, La Contre Amye de Court, Lyon, Sulpice Sabon, 1543.

• François Habert, La Nouvelle Vénus, par laquelle est entendue pudique amour, présentée à Mme la Daulphine, jointe une épistre à Mgr le Daulphin, Lyon, Jean de Tournes, 1547.

• François Habert, Le Temple de chasteté, avec plusieurs épigrammes, tant de l'invention de l'autheur que de la traduction et imitation de Martial et autres poètes latins, ensemble plusieurs petits œuvres poétiques, contenus en la table de ce présent livre, le tout par François Habert, Paris, M. Fezandat,1549.

• Antoine Heroët, La Parfaicte Amye de Cour, Lyon, Pierre de Tours, 1542.

• Antoine Heroët, L’Androgyne de Platon, nouvellement traduict de latin en François, par Anthoine Heroet dict la Maison neufve, dans Antonio de Guevara, Le Mespris De La Court, Paris, Jehan Ruelle le jeune, 1568, f. 126-133.

• Antoine Heroët, Autre invention extraicte de Platon dans Antonio de Guevara, Le Mespris De La Court, op. cit., f. 133 r° - 134 v°.

• Antoine Heroët, Complaincte d’une surprinse nouvellement d’Amour dans Antonio de Guevara, Le Mespris De La Court, op. cit., f. 134 v° - 140 r°.

• Bertrand de La Borderie, L’Amye De Cour, Paris, Gilles Corrozet, 1542 ; Édition Utilisée : édition Critique De Danielle Trudeau, Paris, Champion, 1997.

• Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, Paris, P. de Boaistuau, 1558.

• Clément Marot, Epistre à son amy, en abhorrant folle amour, par Clement Marot, dans Antonio de Guevara, Le Mespris De La Court, op. cit., f. 171 v° - 173 r°.

• Almaque Papillon, La Victoire et triumphe d’Argent contre Cupido, dieu d’amours, naguieres vaincu dedans Paris, Paris, François Juste, 1537.

• Almaque Papillon, Le Nouvel Amour inventé par le Seigneur Papillon, 1541, dans Antonio de Guevara, Le Mespris De La Court, op. cit., f. 155 v° - 170 v°

Sources secondaires

Antonio de Guevara, Le Mespris De La Court, Paris, Galliot du Pré, 1544 ; édition utilisée : Le Mespris de la Court, Paris, Jehan Ruelle le jeune, 1568 : Les monologues de la querelle furent ici imprimés ensemble, pour la première fois.

Bibliographie critique

• Maïté Albistur et Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français, Paris, Editions des femmes, 1977.

• Marc Angenot, Les Champions des dames, Québec, Presses de l’Université de Québec, 1977.

• Evelyne Berriot-Salvadore, Les Femmes dans la société française de la Renaissance, Genève, Droz, 1990.

• Robert Cottrell, « Le déplacement d’Eros par Anteros dans L’Amye de Court de La Borderie », dans Anteros, sous la direction d’Ullrich Langer et Jan Miernowski, Orléans, Paradigme, 1994, p. 117-136.

• Marie-Thérèse Cuyx-Barnes, Étude sur la Querelle des amies suivi d’une édition annotée de la Contr’amye de Court de Charles Fontaine, Dissertation, Florida State University, 1974.

• Ferdinand Gohin, Œuvres poétiques d’Antoine Héroët, Paris, Droz, 1909 et 1943.

• Richmond L. Hawkins, Maistre Charles Fontaine parisien, Cambridge, Harvard University Press, 1916.

• Madeleine Lazard, Les Avenues de Fémynie. Les femmes et la Renaissance, Paris, Fayard, 2001

• Abel Lefranc, Le Tiers Livre et la querelle des femmes, Paris, Honoré Champion, 1904.

• Michael Screech, « An Interpretation of the Querelle des Amyes », Bibliothèque d’Humanisme et de Renaissance, 1959, n° 21, p. 103-130

• Pauline M. Smith, The Anti-Courtier Trend in Sixteenth Century French Literature, Genève, Droz, 1966.

• Emile V. Telle, L’œuvre de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre et la querelle des femmes, Toulouse, Imprimerie toulousaine, 1937.

• Annette Tomarken, The Smile of Truth: The French Satirical Eulogy, Princeton, Princeton University Press, 1990, p. 107-111.

• Danielle Trudeau, édition critique de L’Amie de Court, Paris, Champion, 1997.

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