Querelle des Bérénices

Dates 1670 - 1683

Fiche rédigée par Alain Viala . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

Il s’agit d’une attaque lancée par l’abbé de Villars contre les tragédies de Corneille et Racine intitulées Bérénice, et des réponses qu’elle a suscitées.

Bérénice, tragédie de Racine, créée le 21 novembre 1670 à l’Hôtel de Bourgogne, est suivie le 28 novembre 1670 par Bérénice, tragédie ou comédie-héroïque de Corneille, au théâtre du Palais-Royal (la pièce paraîtra sous le titre de Tite et Bérénice). Les deux pièces connaissent un succès important, mais celle de Racine se maintient plus longtemps (30 représentations) et attire plus de spectateurs. Le 14 décembre 1670, elle est représentée aux Tuileries, devant la cour.

Les 10 et 17 janvier 1671, Villars publie La Critique de Bérénice (sur la pièce de Racine), puis La Critique de la Bérénice du Palais-Royal (sur la pièce de Corneille). Racine répond dans la préface de l’édition imprimée de sa pièce, qui paraît le 24 janvier 1671. Corneille ne répond pas. Puis Saint-Ussans publie, en faveur de Racine, une Réponse à la critique de Bérénice, en mars 1671. Le débat porte sur la fadeur et l’immoralité de ces tragédies qui s’écartent de la vérité historique et surtout sont jugées par trop galantes. La réponse de Saint-Ussans se moque de Villars et des ses fantaisies dans l’invention romanesque dans son œuvre Le Comte de Gabalis ou entretiens sur les sciences secrètes . La querelle semble en rester là mais en 1673, un anonyme publie à Utrecht Tite et Titus ou Critique sur les Bérénice, comédie non représentée. Cette pièce relit la querelle sur un mode différent, en en faisant une rivalité entre Corneille et Racine, alors que ni l’un ni l’autre n’ont traité la chose sur ce mode. Il y a donc une mise en scénographie de la logique de la querelle à partir d’une querelle à peine esquissée (contre Racine) et une autre avortée (contre Corneille), alors que Villars avait attaqué les deux.

Déplacement de la querelle donc, et « ratage ». Villars semble avoir surtout voulu attirer l’attention en lançant une polémique, comme d’autres l’avaient fait juste avant (Subligny, Donneau). Le texte le plus intéressant en fin de compte est donc celui de Tite et Titus.

Quelques échos ensuite : en 1675, Barbier d’Aucourt, polémiste janséniste, publie Apollon charlatan qui attaque entre autres la pièce de Racine. Et en 1683, Fatouville donne Arlequin Protée, comédie créée à la Comédie-Italienne, qui contient une parodie de la Bérénice de Racine. Mais sans liens explicite avec les attaques antérieures.

Enjeux

Enjeux

• Se faire connaître, pour des auteurs peu connus.

• La rivalité entre les troupes et les écrivains.

• Enjeux dramaturgiques et surtout esthétiques, liés ici à la définition des genres. Là où Racine revendique le genre de la tragédie qu’il redéfinit dans sa préface pour mieux se l’approprier, Corneille propose une « comédie héroïque », genre qui a déjà connu des essais sans parvenir à s’imposer. Saint-Ussans complète Racine en citant des théoriciens (Scalliger) qui font des larmes le but de la tragédie, tandis que l’auteur anonyme de Tite et Titus accuse Racine d’être un auteur trop galant.

• Si bien que les enjeux de la querelle de Bérénice rejoignent d’autres querelles : la querelle de la galanterie et donc celle des Anciens et des Modernes.

 Les querelles fonctionnent en réseau.

 

La « querelle de Bérénice » apparaît en cela comme un cas d’école. Pourtant, il faut en déceler les limites, ce qui invite à repenser le fonctionnement même des querelles.

Il n’y a pas eu d’appel à une instance supérieure : académie, institution, public…

• La querelle s’éteint assez vite.

• On ignore quelle a été la diffusion des pièces de Villars, d’Ussans ou de l’auteur anonyme.

• Racine n’est ni perdant ni gagnant. Il retouche un peu sa pièce (le « poulet galant » qu’il supprime), mais ne cède pas.

• Corneille n’entre pas dans le débat.

Dans la comédie anonyme en trois actes de Tite et Titus, le Titus de Racine et celui de Corneille se rendent au Parnasse pour se plaindre auprès d’Apollon du traitement qu’ils ont reçu de la part de leurs deux auteurs. Ils sont escortés par Thalie et Melpomène et suivis par les deux Bérénice. Le vocabulaire est celui de la plainte, de la justice, du jugement et du différend. Apollon, dieu galant par excellence, représentant de Louis XIV, formule finalement un jugement en faveur de Racine.

Le moment du jugement motive la question de la mimesis allégorique. Les muses réfléchissent alors sur la façon de célébrer la gloire et de la représenter dans la peinture. Melpomène fait référence à deux tableaux qu’elle compare, l’un figurant Jupiter et Sémélé, l’autre Danaé et Zeus en pluie d’or. Ces tableaux sont associés à deux représentations du roi en Flandres lors de deux voyages, d’abord comme roi terrible à la tête d’une armée, puis comme roi « fécondant » lors de son entrée dans la ville après la victoire. Le Parnasse et Apollon préfèrent le second tableau, qui donne à voir l’image d’un prince généreux. Il semblerait que les enjeux associés à ces deux tableaux, qui ont donné lieu à d’ « agréables disputes », fassent écho à la querelle entre le dessin et le coloris (1672). On voit là encore que les querelles fonctionnent en réseau. 

Chronologie

Chronologie

• 21 novembre 1670 : création de Bérénice, tragédie de Racine, à l’Hôtel de Bourgogne.

• 28 novembre 1670 : création de Bérénice, tragédie ou comédie-héroïque de Corneille, au théâtre du Palais-Royal (la pièce paraîtra sous le titre de Tite et Bérénice).

• Les deux pièces connaissent un succès important, mais celle de Racine se maintient plus longtemps (30 représentations) et attire plus de spectateurs.

• 14 décembre 1670 : représentation aux Tuileries, devant la cour, de la Bérénice de Racine, ce qui renforce son succès.

• 10 et 17 Janvier 1671 : Villars publie La Critique de Bérénice (sur la pièce de Racine), puis La Critique de la Bérénice du Palais-Royal (sur la pièce de Corneille).

• 24 janvier 1671 : Racine publie sa Bérénice avec une préface qui répond à la Critique de Villars.

• 3 février 1671 : Corneille publie Tite et Bérénice, sans préface.

• Mars 1671 : édition d’une Réponse à la critique de Bérénice, par Saint-Ussans, qui défend Racine.

• 1673 : un anonyme publie à Utrecht Tite et Titus ou Critique sur les Bérénice, comédie non représentée.

• 1675 : Barbier d’Aucourt, polémiste janséniste, publie Apollon charlatan qui attaque la pièce de Racine.

• 1676 : la première édition des Œuvres complètes de Racine, publiée par lui-même, comprend Bérénice et sa préface pratiquement inchangées.

• 1683 : Fatouville donne Arlequin Protée, comédie créée à la Comédie-Italienne, qui contient une parodie de la Bérénice de Racine.

 La querelle s’étend sur douze années mais se déroule principalement entre janvier 1671 et 1673. 

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• Racine (Jean), Bérénice, Paris, Barbin, 1671

• Corneille (Pierre), Tite et Bérénice, comédie-héroïque, Paris, Billaine, 1671.

• Villars (Nicolas Pierre Henri de Montfaucon, Abbé de), La critique de Bérénice, Paris, Louis Bilaine, 1671. Un vol in-12 de 43 pages.

• Villars (Nicolas Pierre Henri de Montfaucon, Abbé de), La critique de Tite et Bérénice, idem une semaine plus tard.

• Saint Ussans (Pierre de Saint Glas, abbé de), Réponse à la Critique de Bérénice, Paris, De luyne, 1671 (parution anonyme, attribuée à Subligny qui avait déjà écrit La Folle querelle contre Andromaque, mais dû en fait à l’abbé de Saint-Ussans).

• Anonyme, Tite et Titus ou critique sur les Bérénices, comédie, Utrecht, Jean Ribbius, 1673.

• Barbier d’Aucour (Jean), Apollon charlatan, 1675, mss > ref. ? (attribué à Barbier au XVIIIe siècle par Richard Simon dans sa Bibliothèque critique).

• Fatouville (Anne Mauduit de), Arlequin Protée, Paris, Bonnard, 1684.

Bibliographie critique

• Textes disponibles avec commentaires dans l’éd. de Racine, Théâtre-Poésie, éd. G. Forestier et alii, Paris, Gallimard, Pléiade, 2010, pp. 511-556.

Arlequin protée, édition du texte par Charles Mazouer dans Le théâtre italien [recueilli par] Évariste Gherardi, Paris, Société des textes français modernes, 1994.

Liens

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