Querelle des couplets

Dates

1729

Titre(s) endogène(s)

Les Couplets en procès (titre de la pièce de Lesage et d’Orneval, créée en 1729)

Fiche rédigée par Jeanne-Marie Hostiou . Dernière mise à jour le 24 December 2014.

Synopsis

Synopsis

Le genre de l’opéra-comique, qui consiste à mêler de la prose et des airs chantés, est né dans les théâtres forains. À partir des années 1715, ce genre est exploité par la troupe de l’Opéra-Comique, en vertu d’un accord financier avec l’Opéra qui lui cède temporairement son privilège exclusif de chanter et danser sur scène. La préface du Théâtre de la Foire publié entre 1721 et 1734 rend compte de la naissance du genre en ces termes (tome I) : « Les forains voyant que le public goûtait les spectacles en chansons, s’imaginèrent avec raison que si les acteurs chantaient eux-mêmes en vaudevilles, ils plairaient encore davantage. Ils traitèrent avec l’Opéra qui, en vertu de ses patentes, leur accorda la permission de chanter. On composa aussitôt des pièces en vaudevilles et le spectacle prit le nom d’opéra-comique. On mêla peu à peu de la prose avec des vers pour mieux lier les couplets ou pour les dispenser d’en trop faire de communs. De sorte qu’insensiblement les pièces devinrent mixtes. »

Les vaudevilles, c’est-à-dire les couplets chantés alternativement avec la prose parlée, sont des chansons anciennes et connues dont l’air original est réutilisé pour y appliquer de nouvelles paroles en rapport avec l’action de la pièce. Les airs les plus couramment utilisés sont généralement anciens, tels « Réveillez-vous belle endormie », « Robin turelure » ou encore « Ho, ho, tourelouribo ». Chaque air a une connotation propre, liée à la musique et aux paroles originales, qui est exploitée pour créer divers effets (de concordance ou de discordance notamment) par les dramaturges.

Une quinzaine d’années après l’essor du genre de l’opéra-comique, les airs nouveaux font leur apparition : le Menuet, la Musette ou le Cotillon viennent concurrencer les airs anciens. C’est de cette polémique au sujet des mérites comparés des airs anciens et des airs nouveaux que rendent compte Lesage et d’Orneval dans Les Couplets en procès (musique de Gilliers), créée à la Foire Saint-Germain le 18 février 1729.

Le théâtre représente d’abord « une rue » puis se déroule « au bas du Mont-Parnasse » où se tient un procès entre « Gouffin, avocat des nouveaux couplets » et Pierrot incarnant « Grossel, avocat des vieux couplets ». L’action compte encore un président, quatre conseillers et un greffier muni de placets, ainsi que des représentants, chantants et dansants, des vieux couplets (représentés notamment par un « vieux grivois » et une « harengère ») et des nouveaux. Les premiers viennent trouver Grossel en ville pour lui demander « de [les] maintenir, [eux] et tous les autres anciens airs du Pont-Neuf [leurs] confrères, […] de débiter [leur] marchandise à l’Opéra-Comique », alors qu’ils font face à une « maudite engeance » qui veut les « chasser de [leur] boutique » (scène 1). Après que le sujet de plusieurs placets a été rappelé (qui rendent compte d’autres querelles théâtrales du moment – celle qui oppose la tragédie en vers contre la tragédie en prose, ou de l’auteur de Calitshène contre le parterre), le procès commence. Gouffin rappelle l’ennui provoqué par les vieux airs qui blessent la pudeur : il plaide pour les nouveaux airs au nom de la satisfaction du public et de « la gloire d’un spectacle qui a l’honneur de porter le titre respectable d’opéra » et accuse les airs anciens de traîtres car ils servent aussi les Comédiens Italiens. Grossel rappelle au contraire que les airs anciens, contrairement aux nouveaux qui ne sont bons qu’à délasser l’esprit, sont les fondateurs de l’opéra-comique, qu’ils ont le pouvoir d’exprimer les passions (joie, tristesse) et sont propres à faire des récits (scène 6).

Au terme du procès, la sentance du juge appelle à la nécessité pour les couplets anciens et nouveaux de vivre en harmonie et bonne intelligence. La pièce se termine par un divertissement où « tous les couplets, tant vieux que nouveaux, dansent seuls et à deux, chacun dans leur caractère ; après quoi ils se réunissent tous, et finissent le divertissement par un ballet général ».

Les frères Parfaict rapportent que cette pièce fut reçue « très favorablement ». De fait, cette pièce qu’ils présentent d’abord comme une comédie en un acte, est reprise en mars de la même année pour servir de prologue à une parodie, puis elle est rejouée à partir de 1738 sous un nouveau titre, La Bazoche du Parnasse (pièce perdue : voir Desboulmiers et le Dictionnaire des frères Parfaict).

Les Couplets en procès sont publiés probalement dans la foulée de la création sur scène, sans lieu ni date ; Lesage et d’Orneval la retiennent ensuite au sein de leur anthologie du Théâtre de la Foire (tome VII, publié en 1731). Trente ans plus tard, en 1760, la permanence de ces questionnements occasione une nouvelle pièce écrite sur le même thème dont les enjeux se sont déplacés : Le Procès des ariettes et des vaudevilles.

Enjeux

Enjeux

• Les Couplets en procès rend compte d’un débat qui touche à l’esthétique des vaudevilles (la question de leur choix et de leur renouvellement) et à leur fonction au sein du genre de l’opéra-comique (faire avancer l’action, exprimer les passions, etc.).

• Ce débat est lié, plus largement, à l’esthétique de l’opéra-comique et à son évolution en tant que genre qui acquiert ses lettres de noblesse au cours du XVIIIe siècle, pour devenir un genre propre non plus seulement à parodier l’opéra (c’est-à-dire à en offrir une version dégradée et burlesque) mais bien à concurrencer l’opéra. Les vieux vaudevilles, airs simples aux refrains joyeux ou tendres, sont faciles à retenir et souvent transmis oralement : ils participent d’un patrimoine musical commun qui créée une complicité certaine entre la scène et la salle. En renouvelant ses airs, l’opéra-comique va vers plus de raffinement, tout en annonçant les transformations profondes du genre quand il introduira des arietttes.

• Cette pièce s’inscrit dans la tradition foraine des pièces métathéâtrales qui rendent compte de querelles dramatiques. Les Forains ont habitué leur public à de petites pièces rendant compte dans la fiction de conflits souvent bien réels – notamment dans le contexte de la querelle des théâtres qui oppose les Forains aux scèneS institutionnelles concurrentes (voir par exemple La Querelle des théâtres). Mais elle rompt aussi avec cette tradition puisqu’il s’agit ici de la représentation purement fictive d’une querelle interne à la Foire qui a pu faire l’objet d’un débat parmi le public ou les dramaturges mais qui n’a pas de référent judiciaire.

• Cette pièce relève ainsi d’une stratégie publicitaire qui témoigne du goût du public pour les querelles ou « procès » mis en fiction. À l’heure où la troupe de l’Opéra-Comique, relativement épargnée par les théâtres concurrents, connaît une période de prospérité, elle invente ce procès fictif et persévère ainsi dans une veine dont le publie est friand.

Chronologie

Chronologie

• 1729 (18 février), création des Couplets en procès à la Foire Saint-Germain

• 1731 : publication des Couplets en procès dans l’anthologie du Théâtre de la Foire par Lesage et d’Orneval.

• 1738 : reprise des Couplets en procès sous le titre de La Bazoche du Parnasse.

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• Lesage (Alain-René) et d’Orneval (Philippe), Les Couplets en procès, sans lieu ni date [vers 1729 ou 1730].

• Lesage (Alain-René) et d’Orneval (Philippe), Les Couplets en procès, dans Le Théâtre de la Foire ou l’Opéra-Comique, Paris, Gandouin, Tome VII, 1737, p. 323-349.

Sources secondaires

• Jullien (ou Desboulmiers), Jean-Auguste, Histoire du théâtre de l’Opéra Comique, Paris, Lacombe, Paris, Lacombe, 1769, Tome II, p. 262.

• Parfaict (Claude et François), Mémoires pour servir à l’histoire des spectacles de la Foire, Paris, Briasson, 1723, Tome II, p. 58-60.

• Parfaict (Claude et François), Dictionnaire des théâtres de Paris, Paris, Rozet, 1767, Tome I, p. 393.

Bibliographie critique

• Martin, Isabelle, Le Théâtre de la foire : des tréteaux aux boulevards, Oxford, Voltaire Foundation, 2002, p. 113-114, 293.

• Pré, Corinne, « L'utilisation des timbres dans les pièces en vaudeville des théâtres de la foire », in La commedia dell'arte, le théâtre forain et les spectacles de plein air en Europe, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Société internationale, Société internationale d'histoire comparée du théâtre, de l'opéra et du ballet, 1998, p. 137-147.

• Vénard, Michèle, La Foire entre en scène, Paris, Librairie théâtrale, 1985, p. 123-124

Iconographie

Frontispice des Couplets en procès, in Le Théâtre de la foire, 10 tomes, t. VII, Paris, Gandouin, 1734 : http://cesar.org.uk/cesar2/imgs/images.php?fct=edit&image_UOID=349481

Liens

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