Querelle des Entretiens d’Ariste et d’Eugène de Bouhours
Dates 1668 - 1675
Fiche rédigée par Richard Scholar . Dernière mise à jour le 24 December 2014.
Synopsis
Synopsis
Il s’agit d’une attaque lancée par des écrivains pro-jansénistes contre Les Entretiens d’Ariste et d’Eugène de Bouhours et des réponses qu’elle a suscitées.
Professeur au Collège jésuite de Clermont à Paris, Bouhours était connu pour ses écrits sur la langue et le style littéraire, qui faisaient déjà autorité de son vivant : ainsi Racine semble avoir cherché à obtenir l’approbation de Bouhours sur le style de Phèdre. C’est précisément à titre d’autorité en matière de style que Bouhours prit part au conflit qui, depuis longtemps déjà, opposait sa congrégation au mouvement de Port-Royal. Il choisit de servir la cause jésuite en attaquant le style des écrits jansénistes plutôt que leurs soubassements théologiques. Dans sa Lettre à un seigneur de la Cour (1668), Bouhours s’en prend à la traduction du nouveau testament élaborée à Port-Royal et critique Pascal pour le soutien qu’il apporte aux jansénistes. En 1671, en publiant ses Entretiens d’Ariste et d’Eugène, série de six conversations littéraires, Bouhours revient à la charge : le second entretien, « De la langue française », vante les mérites des écrivains des salons, tels que La Rochefoucauld et Méré, et voue aux gémonies le style hyperbolique et incohérent des écrivains de Port-Royal. Ariste et Eugène affirment que les écrivains des salons possèdent un « je-ne-sais-quoi » (le sujet du cinquième entretien d’Ariste et d’Eugène) qui les distingue et qui fait défaut aux « solitaires » de Port-Royal. Le je-ne-sais-quoi sert alors à exprimer toute l’antipathie de Bouhours à l’encontre de ses ennemis, notamment lorsque Ariste fait remarquer à Eugène qu’il y a, dans le style des Imitations de Jesus-Christ de Port-Royal (1662), un je-ne-sais-quoi de choquant et de pénible.
La réponse de Port-Royal arrive sous la plume du polémiste janséniste, Jean Barbier d’Aucour, qui fut aussi précepteur d’un fils de Colbert et qui sera élu à l’Académie française en 1683. Barbier d’Aucour publie, dès 1671, huit lettres critiques sous le titre Sentiments de Cleanthe sur les Entretiens d’Ariste et d’Eugène, que Bouhours tente en vain de faire supprimer. L’année suivante, Antoine de Courtin profite de la seconde édition de son Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens pour attaquer lui aussi Bouhours. La contre-attaque jésuite est tout aussi rapide, via une seconde édition des Entretiens de Bouhours en 1671 (qui paraît avant même la première publication des Sentiments de Barbier d’Aucour), et via alliés : Charles Sorel publie De la connaissance des bons livres et Montfaucon de Villars De la délicatesse (texte qui contient également une critique des Provinciales et des Pensées de Pascal ainsi qu’un éloge de La Princesse de Montpensier). Bouhours modifie le texte des Entretiens en 1673 pour répondre aux objections de Barbier d’Aucour, tandis qu’il consacre certaines pages de ses Remarques nouvelles de la langue française (1675) à répondre à l’attaque de Courtin. Montfaucon de Villars, quant à lui, défend les Entretiens de Bouhours contre Barbier d’Aucour : le livre de ce dernier est qualifié de « satire noire et sotte ». Tous ces textes forment un véritable entrelacs de querelles et ils continuent d’être réédités tout au long du xviiie siècle : une quatrième édition des Sentiments de Barbier d’Aucour, « revue et augmentée », paraîtra à Paris chez Guillaume Desprez et P Guillaume Cavelier en 1748.
Enjeux
Enjeux
• Enjeux théologiques, liés ici à la question du style. Les adversaires de Bouhours espèrent en effet dénoncer à la fois sa critique des textes de Port-Royal et son statut d’arbitre du bon goût. Ils s’unissent pour condamner l’usage que fait Bouhours du je-ne-sais-quoi dans le domaine du divin, usage qui représente, à leurs yeux, un « scandale » au sens théologique du terme. Ils voient en Bouhours un agent double qui fait commerce de biens profanes auprès des croyants, et vice-versa. Pour les admirateurs de Bouhours comme Sorel ou Montfaucon de Villars, ce dernier, incarnation de l’élégance littéraire, occupe au contraire une position idéale d’intermédiaire entre le domaine sacré de la foi et le « monde ». C’est par excellence le « bel esprit » (quintessence de l’ « honnêteté » mondaine et sujet du quatrième des Entretiens de Bouhours) du siècle présent, à l’égal du siècle d’Auguste.
• Si bien que les enjeux de la querelle des Entretiens rejoignent d’autres querelles : la querelle du je-ne-sais-quoi et celles, bien plus large, des Jésuites et des Jansénistes et des Anciens et des Modernes.
• On peut la qualifier de querelle à longue durée puisque les textes continuent à être réédités tout au long du xviiie siècle.
N’oublions pas, cependant, les limites de cette querelle par rapport aux attentes qu’on peut avoir des querelles en général.
Il n’y a pas eu d’appel à une instance supérieure, à part au public, censé lire les textes et trancher le différend…
• Bouhours n’est ni perdant ni gagnant. Il retouche un peu le texte des Entretiens (il cite St Augustin à l’appui de l’usage qu’il fait du je-ne-sais-quoi dans le domaine du divin), mais ne cède pas.
Chronologie
Chronologie
• 1668 : Dans sa Lettre à un seigneur de la Cour (1668), Bouhours s’en prend à la traduction du nouveau testament élaborée à Port-Royal et critique Pascal pour le soutien qu’il apporte aux jansénistes.
• 1671 : En publiant ses Entretiens d’Ariste et d’Eugène, série de six conversations littéraires, Bouhours s’attaque de nouveau aux écrivains de Port-Royal ; Barbier d’Aucour publie huit lettres critiques sous le titre Sentiments de Cleanthe sur les Entretiens d’Ariste et d’Eugène, que Bouhours tente en vain de faire supprimer.
• 1672 : Antoine de Courtin profite de la seconde édition de son Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens pour attaquer Bouhours.
• 1671-1673 : Contre-attaque de ceux qui soutiennent Bouhours et les jésuites : Montfaucon de Villars publie De la délicatesse et Charles Sorel De la connaissance des bons livres.
• 1673-1675 : Bouhours modifie le texte des Entretiens en 1673 pour répondre aux objections de Barbier d’Aucour, tandis qu’il consacre certaines pages de ses Remarques nouvelles de la langue française (1675) à répondre à l’attaque de Courtin.
Noms propres
Noms propres
Références
Références
Corpus
• Bouhours, Dominique, Lettre à un seigneur de la cour sur la requeste presentée au Roy, par les ecclésiastiques qui ont esté à Port-Royal, Paris, Sebastien Cramoisy, 1668.
• Bouhours, Dominique, Les Entretiens d’Ariste et d’Eugene (1e édition), Paris, Sebastien Cramoisy, 1671 [édition critique de Bernard Beugnot et Gilles Declerq, Paris, Champion, 2003].
• Bouhours, Dominique, Remarques nouvelles sur la langue françoise (1675) et Suite des remarques nouvelles sur la langue françoise (1687), Genève, Slatkine, 1973.
• Barbier d’Aucour, Jean, Sentiments de Cléante sur les Entretiens d’Ariste et d’Eugène, Paris, Pierre Le Monnier, 1671.
• Courtin, Antoine de, Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens, Paris, H. Josset, 1671 ; éd critique de Marie-Claire Grassi, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1998.
• Sorel, Charles, De la connaissance des bons livres, ou, Examen de plusieurs auteurs, Paris, A. Pralard, 1671-1673 ; éd. critique de L. Moretti Cenerini, Rome, Balzoni, 1974.
• Montfaucon de Villars, Nicholas-Pierre-Henri de, De la délicatesse, Paris, Claude Barbin, 1671.
Bibliographie critique
• Voir les commentaires dans les éditions critiques citées plus haut (corpus).
• Doncieux, George, Un Jésuite, homme de lettres au xviie siècle : le Père Bouhours, Paris, Hachette, 1886.
• Viala, Alain, Naissance de l’écrivain : sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Minuit, 1985, p. 148-150.
• Scholar, Richard, Le Je-ne-sais-quoi : enquête sur une énigme, trad. Thomas Constantinesco, Paris, puf, 2010, p. 43-47 (en version anglaise, The Je-Ne-Sais-Quoi in Early Modern Europe: Encounters with a Certain Something, Oxford, OUP, 2005, p. 63-69).
• Mochizuki, Yuka, « Un prélude à la ‘guerre civile de la langue française’ : la polémique du Nouveau Testament de Mons », Chroniques de Port-Royal, 51 (2002).
• Beugnot, Bernard et Gilles Declerq, « Préface » à leur édition des Entretiens d’Ariste et d’Eugene, Paris, Champion, 2003, p. 12-15.
Liens
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