Querelle des vapeurs

Dates

1760

Titre(s) endogène(s)

Le procès Pierre Pomme

Autre(s) titre(s)

Querelle sur le traitement des vapeurs, Querelle des vapeurs

Fiche rédigée par Alexandre Wenger . Dernière mise à jour le 27 December 2014.

Synopsis

Synopsis

Pierre Pomme (1735-1812) est docteur de la faculté de médecine de Montpellier. En 1760, il publie un Essai sur les affections vaporeuses des deux sexes (renommé Traité à partir de la deuxième édition) par lequel il remet radicalement en cause la conception et la thérapeutique traditionnelle des vapeurs. Alors qu’elles étaient exclusivement féminines, Pomme étend les vapeurs aux hommes. De surcroît, il les explique par un facteur unique : le dessèchement ou racornissement des nerfs, ce qui l’amène à rejeter toute la pharmacopée traditionnelle au profit des seuls remèdes adoucissants ou humectants (bains, boissons).

Ce système vaut à Pomme un énorme succès mondain, qui culmine à la fin des années 1760 avec son installation à Paris. En revanche, il suscite la division et l’ire d’une grande partie de la profession. Initialement bienséante et cantonnée à des questions de théorie médicale, la querelle s’envenime jusqu’à faire rage entre 1765 et 1775. Les protagonistes recourent alors aux invectives et aux « personnalités » (attaques ad personam). Vers 1772, probablement pressé par une situation financière mise à mal par la querelle des vapeurs, Pomme retourne en Arles, sa ville natale, où il continuera inlassablement à défendre ses principes.

Les éditions successives de l’ouvrage de Pomme sont de plus en plus longues, car elles s’augmentent d’observations et de documents divers relatifs à la querelle des vapeurs. La querelle fait des remous dans les principaux périodiques de l’époque, du Journal des Savants aux Mémoires de Trévoux et du Mercure de France à la Gazette de santé. Le Journal de Médecine, Chirurgie, Pharmacie, &c. s’en fait le principal relai (voir la section « chronologie »). Ce journal, créé en 1754, est le premier périodique français spécialisé en médecine.

Enjeux

Enjeux

La querelle soulève des problèmes médicaux de définition d’une maladie. Elle porte également sur un conflit territorialiste de légitimité (Pomme, docteur de Montpellier, vient s’installer sur les terres dépendant de l’université ennemie, la Faculté de médecine de Paris). Elle porte également sur l’image publique du médecin (définition du bon et du mauvais médecin), et sur son rapport à l’opinion publique : Pomme n’a de cesse d’y référer et d’appeler à son arbitrage (appel au public comme témoin et instance de validation dans la querelle), alors que les adversaires de Pomme invoquent la professionnalisation des critères d’évaluation de l’exercice médical. Pomme n’obtient jamais vraiment la reconnaissance de ses pairs. On assiste à l’opposition entre une logique de validation mondaine, et une logique de spécialisation. La question de l’argent dans la pratique médicale est omniprésente dans la querelle (Pomme est accusé d’être vénal). Enfin, le Journal de médecine s’impose comme un lieu nouveau de la validation professionnelle (la querelle a donc des implications sur le rôle des médias dans la constitution d’une communauté médicale).

Chronologie

Chronologie

1) Les Publications de Pierre Pomme :

• 1763 : Pierre Pomme fait publier son Traité des Affections Vaporeuses des Deux Sexes (447 p.).

• 1765 : Pierre Pomme fait publier son Traité des Affections Vaporeuses des Deux Sexes 2e éd. revue, corrigée, augmentée (521 p.).

• 1767 : Pierre Pomme fait publier sa 3e édition du Traité des Affections Vaporeuses des Deux Sexes 3e éd. (569 p.)

• 1769 : Pierre Pomme fait publier sa 4e édition du Traité des Affections Vaporeuses des Deux Sexes, en deux volumes (533 p. + 472 p.).

• 1771 : Pierre Pomme publie son Nouv. recueil de pièces pour l’instruction du procès que le traitement des vapeurs a fait naître parmi les méd.

1782 : Pierre Pomme fait publier un Supplément à son Traité des Affections Vaporeuses des Deux Sexes.

• 1782 : Pierre Pomme fait publier sa 5e ( ?) édition du Traité, dans une nvlle éd. augm. et publié par ordre du gvt fr.

• 1798-1799 (an VII) : Pierre Pomme fait publier une 6e édition de son Traité.

• 1804 : Pierre Pomme fait publier un nouveau Supplément à son Traité.

 

2) Publication d’autres médecins :

• 1767 : Rostain, Réflexions sur les affections vaporeuses (239 p.).

 

3) Le « Procès Pierre Pomme » dans le Journal de Médecine, Chirurgie, Pharmacie, etc. :

• 1761 :

- mars : compte-rendu par Vandermonde : annonce de parution et description Traité de Pierre Pomme ; les vapeurs sont un protée, leur thérapie complexe. Tonalité neutre ; souligne la nécessité du traité.

• 1764 :

- septembre : compte-rendu, par Roux, de la 2e édition du Traité de Pierre Pomme. Tonalité plutôt élogieuse.

1765 :

- septembre : réaction de Paris (DM Montp.) à une autre observation de Pamard. Affirme que les vapeurs ont des causes multiples. Cite Raulin.

• 1766 :

- mai : Mémoire et deux observations de Coste (Bugey). Aucune mention de Pierre Pomme, qui ne le mentionne pas dans les Pièces (mais Brun répond en août 1766).

- juin : Paris réagit contre Pamard. Un seul remède aux vapeurs est impossible. Aucune mention de Pierre Pomme.

- août : Note de Roux introduisant les pièces qui suivent, envoyées par différents médecins et qui portent toutes sur les humectants contre les vapeurs. Première mention du « procès ». Les pièces sont les suivantes : 1. Observations de Labrousse, favorables à Pomme (au sujet des cures réussies selon les méthodes de Pomme). 2. Lettre de Brun, favorable à Pomme, adressée à Coste contre ses observations (critique la position de Coste et la manière de mener ses observations ; attaques ad hominem). 3. Observation de Dejean, hostile à Pomme, qui vont dans le sens de celles de Coste (ton sans animosité ; c’est Pomme qui rangera Dejean parmi ses adversaires en octobre 1766). 4. Observation de Comte, chirurgien favorable à Pomme (rhétorique molle non incisive, observation brèves qui confirment la méthode de Pomme).

- octobre : 1. Texte de Pomme adressé à Dejean, qui réfute son observation sur le quinquina (ton sarcastique). 2. Texte de Coste adressé à Brun, qui reste favorable au quinquina (Coste piqué de la virulence de ton de Brun).

• 1767 :

- janvier : 1. Compte-rendu par Roux des Vapeurs de Whytt. 2. Observation de Dablain (opposé à Pomme) sur le cas de Mlle Delcourt de Douai, guérie au quinquina ; l’abus d’humectant peut être nuisible, comme l’a suggéré Paris. 3. Observations de Delabrousse (favorable à Pomme), sur différents cas de guérisons complètes après recours à la méthode de Pomme ; joint un certificat du curé d’Aramon, guéri par la méthode de Pomme. 4. Observations du Mareschal de Rougeres, à l’appui de Pomme. 5. Observation de Brun à l’appui de Pomme (et en réponse notamment à Coste).

- mars : réponse de Dejean à Pomme (fait des concessions mais persiste dans son diagnostic, flatte Pomme et définit ce qu’est « le vrai médecin »).

- avril : 1. réponse de Pomme à Dejean (débat médical sur l’action des remèdes). 2. Roux rédige la notice à la 3e édition du Traité de Pomme.

• 1768 :

- janvier : nouvelle annonce (par Roux) des anonymes Réflexions sur le Traité de Pomme, « à l’instante prière de M. Pomme », suivi d’une apostille de Pomme où il critique les Réflexions et parle de lui-même à la 3e personne (l’ouvrage anonyme est celui de Rostain qui se dévoilera plus tard ; Pomme l’accuse de « personnalités »).

- février : réponse à l’apostille précédente de Pomme.

• 1769 :

- juillet : 1. Compte-rendu par Roux de la 4e édition du Traité de Pomme ; longue réponse aux différentes critiques (texte polémique). 2. Observations de Taillière, allant dans le sens de Pomme (texte non agressif, Pomme n’est pas nommé, on comprend qu’il s’agit de lui).

- août : Lettre de Pomme à Le Camus, où Pomme lui reproche la critique de son Traité dans sa Médecine pratique (ton venimeux de Pomme ; il est étrange que Roux publie un passage précisément jugé grossier).

- novembre : Rosain répond à Brun et à Pomme (ironie ; attaque ad personam).

• 1770 :

- janvier : 1. Réponse de Coste à Pomme après sa 4e édition du traité ; Coste critique Pomme d’être à la mode, d’écrire pour ses patients et non plus les médecins, il se moque du nombre d’éditions du même livre qu’il faut à chaque fois acheter (critique du jargon de Pomme, thème de l’argent, référence ( ?) à une pièce carnavalesque). 2. Observations de Marteau sur l’utilité du quinquina et le danger de n’utiliser comme seul remède que les humectants.

- février : Observations de Dupon en faveur de Pomme (ton neutre, sans composante agressive).

- mars : remarque de Mongin de Montrol qui réagit contre Taillère (ci-dessus), « jeune médecin » qui s’est trompé dans son diagnostic (ton honnête)/

- juillet : mémoire de observations de Chevalier (opposé à Pomme) qui déplore que Pomme ait proscrit toutes les eaux minérales (critique l’éloquence de Pomme).

- août : Chevalier (suite du précédent).

- septembre : 1. Réponse de Brun à Chevalier (ton assez vif ; voir en note de bas de page la prise de position irritée de Roux contre Brun). 2. Réponse de Brun à la seconde partie du mémoire de Chevalier (vocabulaire martial ; voir en note de bas de page une 2e et 3e prise de position irritée de Roux contre Brun ; selon Roux, les deux réponses sont de la main de Pomme et non de Brun).

- novembre : 1. Caziot répond contre « monsieur Pomme-Brun ». 2. Lettre à Pomme de Dejean : observations personnelles sur la guérison de vapeurs par le quinquina.

• 1771 :

- février : 1. « Avertissement sur les trois pièces suivantes » par Roux. 2. Lettre de Pomme à Tissot sur les Maladies des gens du monde. 3. Réponse de Tissot à Pomme : réponse sans grand sens, sinon d’apaiser Pomme ; lénifiante concession de façade (Tissot s’excuse des mauvaises conditions de livraison de son livre), mais positions maintenues quant à la matière (Tissot semble avoir compris qu’il s’agit là d’un jeu social, mondain, que Pomme veut préserver son image publique). 4. Madame Pécauld témoigne de sa guérison des vapeurs par la méthode aqueuse de Pomme, dans un texte raconté à la première personne mais pris sous la dictée de Madame Pécauld par son frère l’abbé de Résie (Madame Pécauld apparaît en lectrice du Journal de Médecine et du Traité de Pomme, intéressée par le « procès » ; texte qui met en jeu la réputation de Pomme, par les cas célèbres de femmes guéries, etc ; ton laudatif). 4. Lettre sur ses vapeurs de Madame Pécault.

- mai : 1. Réponse de Taillère à Mongin de Montrol : conteste des points de médecine, reproche l’inexactitude de certains faits conernant la malade qu’ils ont vue tous deux. 2. Lettre de Taillère contre Chevalier : conteste une observation de Chevalier (condescendance de Taillère envers le chirurgien Chevalier ; cliché du vilain chirurgien plagiaire). 3. Observation de Duchanoy (opposé à Pomme) sur l’abus de l’eau topique (il est surprenant qu’un étudiant publie ; poussé par ses maîtres dans le cadre de la querelle Paris-Montpellier ?).

- juin : Observation de Renard (favorable à Pomme) sur l’eau froide dans la guérison de l’hémorragie pulmonaire.

Noms propres

Noms propres

Références

Références

Corpus

• Pomme, Pierre, Essai sur les affections vaporeuses des deux sexes, contentant une nouvelle méthode de traiter ces maladies, fondée sur des observations, par M. Pomme, le fils, docteur en médecine de la faculté de Montpellier, résidant à Arles, Paris, Desaint & Saillant, 1760. – par la suite Traité des Affections Vaporeuses des Deux Sexes ; Où l’on a tâché de joindre à une théorie solide une pratique sûre, fondée sur des observations (Lyon, B. Duplain, 1763). Six éditions augmentées, publiées jusqu’en 1804.

• Pomme, Pierre, Nouveau Recueil des Pièces Publiées pour l’Instruction du Procès que le traitement des Vapeurs a fait naître parmi les Médecins ; Dans lequel on trouve la Réponse à toutes les Objections que l’on a faites contre la Méthode humectante, & de nouvelles Observations pratiques qui en démontrent la sûreté. Par M. Pomme, Docteur en Médecine de l’Université de Montpellier, Médecin Consultant du Roi, & de la Grande Fauconnerie, Paris, Imprimerie J. Th. Herissant Père, 1771.

• Rostain, Réflexions sur les Affections Vaporeuses, ou Examen du Traité des Vapeurs des Deux Sexes. Troisième édition, publiée en 1767, par Monsieur P***. A Amsterdam, Et se trouve A Paris, 1768 [1767].

• Vandermonde, Charles-Augustin, puis Augustin Roux (éd.), Journal de Médecine, Chirurgie, Pharmacie, &c. Dédié à S.A.S. Mgr le Comte de Clermont, Prince du Sang […], Paris, Chez Vincent, depuis 1754.

Bibliographie critique

• Appelt, Beate, Les Vapeurs : Eine literarische Nosologie zwischen Klassik und Romantik : Kulturgeschichtliche Untersuchung, literarische Analyse und bibliographische Dokumentationen, Frankfurt am Main [etc.], P. Lang, cop. 2000.

• Arnaud, Sabine, « Capturer l’Indéfinissable: Métaphores et Récits sur l’Hystérie dans les Ecrits Médicaux Français et Anglais entre 1650 et 1800 », in Annales, Histoire, Sciences Sociales, 1, 2010, p. 63-85.

• Arnaud, Sabine, « Citation and distortion: Pierre Pomme, Voltaire and the crafting of a medical reputation », Gesnerus 66/2 (2009), p. 218-236.

• Imbroscio, Carmelina, « “Madame a ses vapeurs…”. Une affection “à la mode” au XVIIIe siècle », in Dames, demoiselles, honnêtes femmes. Studi di lingua e letteratura francese offerti a Carla Pellandra, a cura di Nadia Minerva, Bologna, Ed. CLUEB, 2000, 21-40.

• Wenger, Alexandre, « Le procès Pierre Pomme. Légitimité professionnelle et violence polémique dans une querelle médicale du XVIIIe siècle », in Vincent Azoulay et Patrick Boucheron (dir.), Le Mot qui tue. Les violences intellectuelles de l'antiquité à nos jours, Paris, Champ Vallon (coll. Époques), 2009, p. 191-206.

Liens

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