Querelle entre Calvin et les évangéliques
Dates 1542 - 1555
Fiche rédigée par Mathilde Bernard . Dernière mise à jour le 24 December 2014.
Synopsis
Synopsis
En 1537, Bonaventure des Périers, le secrétaire de Marguerite de Navarre, publie le Cymbalum mundi, sans nom d’auteur. Ce dernier ne tarde pas cependant à être identifié, le brûlot faisant beaucoup parler de lui. Le livre est vite condamné, considéré comme une œuvre d’athéiste lucianique. Si Des Périers y est irrévérencieux avec toutes les religions, il y est cinglant envers la Réforme luthérienne et bucérienne, qu’il accuse de fomenter les guerres.
En 1542, dans le prologue de Pantagruel, un autre évangélique, François Rabelais, assimile les « prestinateurs », adeptes de la prédestination que sont cette fois les réformateurs de Genève, à des abuseurs.
En 1544, Calvin ne s’en prend pourtant pas explicitement à Rabelais ni à Bonaventure des Périers dans l’Excuse à messieurs les Nicodémites, mais il est fort probable qu’il songe notamment à eux lorsqu’il évoque les « lucianiques et épicuriens » qui font semblant d’adhérer à la parole et, dedans leurs cœurs, s’en moquent et ne l’estiment pas plus qu’une fable ».
C’est frère Gabriel de Puy-Herbault qui le premier fait explicitement de Rabelais un impie, semblable en cela aux calvinistes (Theotimus, 1549). Calvin songe sans doute à se dissocier de Rabelais, lorsque, dans le traité Des Scandales, qu’il publie en 1550, il attaque plusieurs évangéliques : Agrippa [Cornelius Agrippa], Villeneuve [Michel Servet qu’il fera exécuter en 1553, ou Simon de Neufville], Dolet, Rabelais, Degovea [Antoine Govéan] et Deperius [Bonaventure des Périers].
Rabelais réplique dans le Quart livre de 1552, dans lequel il affirme que l’Anti-Nature a engendré « les Maniacles Pistoletz [Guillaume Postel], les Demoniacles Calvins, imposteurs de Geneve ; les enraigez Putherbes [Puy-Herbault], […] et aultres monstres difformes et contrefaicts en despit de nature ». Il présente les Papefigues, qui représentent les calvinistes, obscènes et belliqueux.
Calvin riposte en 1555, en condamnant dans un sermon sur le chapitre 13 du Deutéronome « ce diable qui s’est nommé Pantagruel, et toutes ces ordures et villenies ». Ses semblables, continue-t-il, « sont des chiens enragez qui desgorgent leurs ordures à l’encontre de la majesté de Dieu, et ont voulu pervertir toute religion ».
Enjeux
Enjeux
Dans cette querelle qui ne dit jamais son nom, Calvin et les évangéliques se retournent les accusations d’être scandaleux : Rabelais reproche au réformateur d’avoir une attitude querelleuse et belliciste, ce dernier en veut aux évangéliques de ne pas oser proclamer la vérité de la confession calviniste, en laquelle, selon lui, ils croient.
Si Puy-Herbault lance l’offensive, Calvin, qui excelle dans l’art du pamphlet mêle l’insulte haineuse au traité théorique pour convaincre les hésitants à affirmer leur religion. Bonaventure des Périers et Rabelais, quant à eux, emploient tout l’art de la mise en scène, ainsi que l’ironie cinglante des clés de lecture transparentes pour tourner en ridicule leurs adversaires.
Dans cette querelle qui donne l’occasion de savoureuses scènes, c’est toute la question de la tolérance et de la place de la religion qui est en jeu. La querelle se réitère sous d’autres formes, mais pour des raisons similaires lorsque Calvin met à mort Michel Servet en 1553, et que Castellion brave son intolérance.
Chronologie
Chronologie
• 1537 : parution du Cymbalum mundi de Bonaventure des Périers, dans lequel Luther et Bucer sont accusés d’avoir une attitude belliqueuse
• 1542 : Rabelais change le prologue de Pantagruel et y fustige les « prestinateurs », soit les calvinistes
• 1544, Calvin publie l’Excuse à messieurs les Nicodémites, dans lequel il attaque les gens de lettres, très probablement les évangéliques humanistes au rang desquels sont Rabelais et Bonaventure des Périers.
• 1549 : parution du Theotimus de frère Gabriel de Puy-Herbault, qui assimile Rabelais aux calvinistes.
• 1550 : Calvin attaque nommément plusieurs évangéliques dans Des Scandales
• Rabelais réplique dans le Quart livre de 1552
• Calvin riposte en 1555, en condamnant dans un sermon sur le chapitre 13 du Deutéronome
Noms propres
Noms propres
Références
Références
Corpus
• Calvin, Jean,
- Des Scandales [Crespin, 1550], éd. Olivier Fatio, Genève, Droz, 1984.
- Traité des reliques, suivi de l’Excuse à Messieurs les Nicodémites sur la complaincte qu’ilz font de sa trop grand’rigueur ([Genève], [Jean Girard], 1544), éd. Albert Autin, Paris, Bossard, 1921.
- Sermon sur le chapitre III du Deutéronome, dans Sermons de M. Jean Calvin sur le V livre de Moyse nommé Deutéronome... Avec une préface des ministres de l'Église de Genève, et un advertissement fait par les diacres, Genève, Thomas Courteau, 1567.
• Des Periers, Bonaventure, Le Cymbalum mundi, Paris, Jean Morin, 1537 ; édition utilisée avec introduction et notes de Max Gauna, Paris, Champion, 2000.
• Puy-Herbault, Gabriel de, Theotimus, sive De tollendis & expugendis malis libris, iis praecipuè, quos vix incolumni fide ac pietate plerique legere queant, Libri Tres, Paris, Jean Roigny, 1549.
• Rabelais, François,
- Pantagruel, édition de 1534, Lyon, François Juste ; édition utilisée, Pantagruel dans Les Cinq Livres, Paris, La Pochotèque, édition de Jean Céard, Gérard Defaux et Michel Simonin, 1994.
- Le Quart Livre de Pantagruel (édition dite partielle par Jean Plattard), Lyon, 1548, Paris, Champion, 1910.
- Le Quart Livre de Pantagruel, Paris, M. Fezandat, 1552, dans Les Cinq Livres, Paris, La Pochotèque, édition de Jean Céard, Gérard Defaux et Michel Simonin, 1994.
Sources secondaires
Estienne, Henri, Apologie pour Hérodote : satire de la société au XVIe siècle (Genève, Henri Estienne, 1566), nouvelle édition faite sur la première et augmentée de remarques par P. Ristelhuber, Genève, Slatkine Reprints, 1969, tome 1.
Bibliographie critique
• Autin, Albert, Un épisode de la vie de Calvin. La crise du Nicodémisme, 1535-1545, thèse complémentaire présentée à la Faculté de lettres de Montpellier, Toulon, Tissot, 1917.
• Droz, Eugénie, Chemins de l’hérésie. Textes et documents., Genève, Slatkine Reprints, 1970.
• Defaux, Gérard, Rabelais agonistes : du rieur au prophète. Etudes sur Pantagruel, Gargantua, Le Quart Livre, Etudes rabelaisiennes, tome XXXII, Genève, Droz, 1997.
• Eire, M. N., FIRE, Carlo, « Calvin and Nicodemism : A Reappraisal », dans The Sixteenth Century Journal, vol. X, n° 1, 1979, p. 45-69.
• Febvre, Lucien, Le Problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, 1942, édition utilisée, 1962.
• Higman, Francis, « Calvin polémiste », Études théologiques et religieuses, n°69, 1994/3, p. 349 à 365.
• Millet, Olivier, Calvin et la dynamique de la parole. Etude de rhétorique réformée, Paris, Champion, 1992.
• Saulnier, Verdun-Léon, Rabelais dans son enquête, t. II, Etude sur le Quart et le Cinquième Livre de Rabelais, Paris, SEDES, 1982.
• Turchetti, Mario, « Calvin face aux tenants de la concorde (moyenneurs) et aux partisans de la tolérance (castellionistes) », dans Calvin et ses contemporains, actes du colloque de Paris 1995, édités par O. Millet, Genève, Droz, 1998, p. 43-56.
• Wendel, François, Calvin et l’humanisme, Cahiers de la revue d’histoire et de philosophie religieuse, Paris, PUF, 1976.
Liens
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