Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
1
2
3
4
5

 

BOYER, Claude. Fédéric. Tragi-comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 39 sc. 376 répl. 3,7 l. 1 399 l. 1 399 l. 43 % 3 327 l. (100 %) 2,4 pers.
YOLAND 15 sc. 96 répl. 3,6 l. 711 l. (51 %) 343 l. (25 %) 49 % 1 908 l. (58 %) 2,7 pers.
FEDERIC 14 sc. 66 répl. 5,4 l. 518 l. (37 %) 354 l. (26 %) 69 % 1 370 l. (42 %) 2,6 pers.
CAMILLE 14 sc. 51 répl. 4,4 l. 578 l. (42 %) 225 l. (17 %) 39 % 1 528 l. (46 %) 2,6 pers.
VALERE 11 sc. 63 répl. 3,1 l. 478 l. (35 %) 197 l. (15 %) 42 % 1 480 l. (45 %) 3,1 pers.
FABRICE 11 sc. 32 répl. 4,9 l. 449 l. (33 %) 157 l. (12 %) 35 % 1 319 l. (40 %) 2,9 pers.
MARCELLIN 9 sc. 35 répl. 1,7 l. 325 l. (24 %) 59 l. (5 %) 19 % 770 l. (24 %) 2,4 pers.
OCTAVE 4 sc. 22 répl. 2,0 l. 171 l. (13 %) 43 l. (4 %) 26 % 385 l. (12 %) 2,3 pers.
FLORISE 3 sc. 11 répl. 1,9 l. 97 l. (7 %) 21 l. (2 %) 22 % 194 l. (6 %) 2,0 pers.
SUITE 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
BOYER, Claude. Fédéric. Tragi-comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
YOLAND 6 l. (100 %) 1 répl. 6,0 l. 1 sc. 6 l. (1 %) 1,0 pers.
YOLAND
FEDERIC
26 l. (21 %) 13 répl. 2,0 l.
97 l. (80 %) 13 répl. 7,4 l.
2 sc. 123 l. (9 %) 3,8 pers.
YOLAND
CAMILLE
75 l. (48 %) 17 répl. 4,4 l.
82 l. (53 %) 17 répl. 4,8 l.
4 sc. 156 l. (12 %) 3,3 pers.
YOLAND
VALERE
83 l. (49 %) 31 répl. 2,7 l.
87 l. (52 %) 30 répl. 2,9 l.
5 sc. 169 l. (13 %) 3,4 pers.
YOLAND
FABRICE
10 l. (45 %) 3 répl. 3,3 l.
13 l. (56 %) 2 répl. 6,2 l.
1 sc. 22 l. (2 %) 3,0 pers.
YOLAND
MARCELLIN
145 l. (75 %) 29 répl. 5,0 l.
49 l. (26 %) 26 répl. 1,9 l.
7 sc. 193 l. (14 %) 2,4 pers.
YOLAND
OCTAVE
1 l. (31 %) 2 répl. 0,4 l.
2 l. (70 %) 3 répl. 0,6 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
FEDERIC 42 l. (100 %) 3 répl. 14,0 l. 3 sc. 42 l. (3 %) 1,0 pers.
FEDERIC
CAMILLE
48 l. (75 %) 10 répl. 4,8 l.
17 l. (26 %) 8 répl. 2,0 l.
3 sc. 64 l. (5 %) 2,5 pers.
FEDERIC
VALERE
36 l. (53 %) 11 répl. 3,2 l.
32 l. (48 %) 8 répl. 4,0 l.
4 sc. 67 l. (5 %) 3,9 pers.
FEDERIC
FABRICE
27 l. (68 %) 3 répl. 8,7 l.
13 l. (33 %) 5 répl. 2,5 l.
4 sc. 38 l. (3 %) 4,0 pers.
FEDERIC
MARCELLIN
13 l. (73 %) 7 répl. 1,7 l.
5 l. (28 %) 6 répl. 0,8 l.
1 sc. 17 l. (2 %) 2,0 pers.
FEDERIC
OCTAVE
94 l. (74 %) 19 répl. 4,9 l.
34 l. (27 %) 16 répl. 2,1 l.
3 sc. 127 l. (10 %) 2,0 pers.
CAMILLE
VALERE
7 l. (73 %) 4 répl. 1,6 l.
3 l. (28 %) 2 répl. 1,2 l.
1 sc. 9 l. (1 %) 4,0 pers.
CAMILLE
FABRICE
42 l. (31 %) 8 répl. 5,2 l.
96 l. (70 %) 10 répl. 9,6 l.
4 sc. 137 l. (10 %) 3,2 pers.
CAMILLE
MARCELLIN
4 l. (37 %) 2 répl. 1,5 l.
6 l. (64 %) 2 répl. 2,7 l.
1 sc. 8 l. (1 %) 2,0 pers.
CAMILLE
FLORISE
77 l. (79 %) 12 répl. 6,3 l.
21 l. (22 %) 11 répl. 1,9 l.
3 sc. 97 l. (7 %) 2,0 pers.
VALERE 14 l. (100 %) 2 répl. 6,6 l. 2 sc. 13 l. (1 %) 1,0 pers.
VALERE
FABRICE
48 l. (67 %) 17 répl. 2,8 l.
25 l. (34 %) 13 répl. 1,9 l.
4 sc. 72 l. (6 %) 3,6 pers.
VALERE
OCTAVE
16 l. (67 %) 4 répl. 3,9 l.
8 l. (34 %) 3 répl. 2,6 l.
1 sc. 23 l. (2 %) 3,0 pers.
FABRICE 13 l. (100 %) 2 répl. 6,3 l. 2 sc. 13 l. (1 %) 1,0 pers.

Fédéric. Tragi-comédie

BOYER, ClaudeGeorges ForestierCatherine NeveuÉdition critique établie par Catherine Neveu sous la direction de Georges Forestier (2000)

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Amélie Canu : Édition XML/TEI.
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CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne)http://bibdramatique.paris-sorbonne.fr/boyer_federic/teihtmltextepub
BOYER, Claude. Fédéric. Tragi-comédie. A PARIS, Chez AUGUSTIN COURBE ; au Palais, dans la petite Salle, à la Palme. M. DC. LX. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Tragi-comédie

FÉDÉRIC. TRAGI-COMÉDIE

A MONSEIGNEUR LE DUC DE GUYSE.

MONSEIGNEUR,

La profession particulière que je fais de reverer en Vostre Altesse ces grandes qualitez, qui vous ont rendu un des plus Illustres Princes de l’Europe, m’oblige de vous en donner des marques par l’offre d’un Ouvrage qui a esté honoré de l’approbation publique.La Fortune qui se mesle de disposer des productions de l’Esprit, aussi bien que du destin des Hommes, a traité federic si favorablement, que j’ay presumé qu’il pouvoit se présenter à Vostre Altesse, par le seul privilege de son heureux ascendant. Comme dans les Pieces de Théâtre le bonheur fait souvent une partie du merite ; J’ay cru, M O N S E I G N E U R , que Vous voudriez bien laisser à celle-cy toute la gloire que luy vient de sa bonne fortune, et mesme suspendre en sa faveur l’usage de ce talent merveilleux, qui vous fait juger de toutes choses avec un discernement si fin et si délicat. Vous voyez, M O N S E I G N E U R ,quelle confiance je prens de cette bonté héroïque qu’on admire en Vostre Altesse, qui vous rend l’amour de tout le monde, et qui est sans doute le plus rare et le plus précieux ornement de la Grandeur. C’est de cette qualité, qui est comme attachée à vostre Sang et à vostre Personne, que j’espère pour FEDERIC, tout inconnu qu’il est à Vostre Altesse, l’honneur de vostre protection. J’en reçois tous les jours des marques si avantageuses, qu’elles ont déjà épuisé tout le fonds de ma reconnaissance : Il ne me reste que le seul secours d’une Muse, qui commence de faire quelque bruit dans le monde ; C’est d’elle que j’attends des efforts extraordinaires pour se rendre digne de cette faveur. Depuis qu’elle a l’honneur d’approcher Vostre Altesse vostre Vertu fait toute son estude ; et je sens qu’elle est inspirée si fortement par la beauté d’une idée si sublime, qu’elle se promet d’avoir un jour assez de voix pour celebrer le merite d’un des plus grand Héros de nostre Siècle, et pour faire voir à tout le monde avec combien de zele, d’attachement et de respect, je veux estre toute ma vie,

MONSEIGNEUR ,

De Vostre Altesse,

Le très-humble, et très obeissant

Serviteur, BOYER.

ACTEURS

  • YOLAND,Princesse de Sicile, déguisée en Roy, sous le nom de Manfrede.
  • FEDERIC,Admiral de Sicile, amoureux d’Yoland.
  • CAMILLE,Reyne de Naples, réfugiée en Sicile.
  • VALERE,Fils de Federic, Favory du Roy.
  • FABRICE,Fils de Federic, amoureux de Camille.
  • MARCELLIN,Confident d’Yoland.
  • OCTAVE,Escuyer de Federic.
  • FLORISE,Confidente de Camille.
  • SUITE.
La Scene est à Messine dans le Palais Royal.

ACTE I

[p. 1]

SCENE PREMIERE

MARCELLIN, LE ROY

MARCELLIN

Si pres de cet Hymen qui vous donnant Camille,
Joint le Sceptre de Naple à celuy de Sicile,
Et de son Protecteur va faire son Epoux ;
Quels sont vos déplaisirs* dequoy vous plaignez-vous ?

LE ROY

5 J’ay bien d’autres soucis que ceux de l’Hymenée,
Quand mille maux secrets troublent ma destinée,
Et d’un grand Roy, qu’on croit doublement couronné, [p. 2]
Font de tous les mortels le plus infortuné.

MARCELLIN

Quoy que dans vostre mal tout mon cœur s’interesse,
10 Je l’ignore, et n’en prens qu’une aveugle tendresse.
Il est bien vray, Seigneur, qu’il me souvient encor
Des discours qu’en mourant me faisoit Léonor.
Cette chere moitié, qui nourrit vostre enfance,
Voulut d’un grand secret me faire confidence,
15 A mon retour de Naple, où pour un grand employ,
Le Roy secretement se défiant de moy,
M’envoya, dés l’instant que vous pristes naissance ;
Mais si pres de la mort, presque sans connoissance,
Sa bouche par des mots confus, embarrassez,
20 Me fit craindre pour vous, mais n’en dit pas assez,
Pour pouvoir m’éclaircir cet important mystere.

LE ROY

Ta Femme, Marcellin , fut ma seconde Mere ;
Et si sa prompte mort t’a ravy ce secret,
Ma bouche maintenant te l’apprend sans regret :
25 Aussi bien sçache enfin qu’au mal qui me possede,
Ce jour me doit donner,ou m’oster le remede.
Mais helas! Marcellin, pourras-tu bien chérir
Un Roy, qui ne l’est plus, s’il s’ose découvrir,
Un lâche usurpateur, un imposteur, un traistre ?

MARCELLIN

30 Ah! Seigneur.

LE ROY

Je suis tel, si je me fais connaistre.

MARCELLIN

Expliquez vous, Seigneur, parlez plus clairement.

LE ROY

Tu vas voir tout entier cet affreux changement.
Tu sçais que par les Loix de ce Peuple indocile, [p. 3]
Les Femmes ne sçauroient regner dans la Sicile ;
35 Cet Empire en naissant établit cette Loy,
Et ce Peuple jaloux d’obeïr sous un Roy,
Croiroit se démentir, et passer pour infame,
S’il souffroit un moment le regne d’une Femme.

MARCELLIN

Seigneur, qu’a cette Loy de commun avec vous ?

LE ROY

40 Escoute, Marcellin. Apres qu’aux yeux de tous
Tous mes Freres mourans eurent laissé mon Pere
Sans autre Successeur d’un Trône hereditaire,
Estant le dernier fruit du conjugal amour ;
On me destine au Trône avant que voir le jour ;
45 Estant né, l’on m’éleve, on instruit mon enfance
De tout ce qui prepare à la toute-puissance.
Mon Pere meurt, je monte au Trône où je me voy ;
On me traittoit de Prince, on m’y traitte de Roy.
Je porte impunément le sacré Diadéme ;
50 Mais helas! Marcellin, je suis toujours la méme,
Tousjours Femme malgré ces premiers sentimens,
Tousjours Femme malgré tous ces déguisemens.

MARCELLIN

Ciel! que me dites-vous ?

LE ROY

L’horreur d’une injustice
Força le Roy mon Pere à ce grand artifice,
55 Craignant qu’apres sa mort le Prince d’Arragon,
L’eternel ennemy de toute sa Maison,
Ne se fit par l’appuy d’un droict imaginaire
Du Trône de Sicile un Trône hereditaire.
L’Admiral, de mon sort le Confident discret,
60 Sçeut déguiser mon Sexe avec tant de secret,
Qu’avant que la raison m’en intruisit moy-méme, [p. 4]
J’avois conceu l’espoir de la grandeur supréme ;
Et mon cœur s’asseurant que ce rang m’estoit dû,
Couroit aveuglement à ce Trône attendu.
65 Mais en vain mon erreur, et sa sage conduite,
Me cachoit mon destin, j’en fus bien-tost instruite;
L’amour, qui naist souvent plustost que la raison,
M’informa le premier de cette trahison ;
Ses transports, fussions nous privez de connoissance,
70 Pour discerner un Sexe, ont trop d’intelligence.
Valere, que son Pere élevoit avec moy,
Me rendant tous les soins* qu’on rend au Fils d’un Roy,
Me sceut si bien gagner par ses tendres caresses,
Qu’en peu de temps mon ame épreuva ces foiblesses
75 Dont l’amour en naissant saisit un jeune cœur ;
Pour celles de mon Sexe elle estoit sans ardeur,
Et ce trouble qu’enfante une naissante flâme,
Me fit bien pres de luy sentir que j’estois Femme ;
Et la raison qui vint m’éclaircir à son tour,
80 Me treuva pleinement instruite par l’amour.

MARCELLIN

Quoy, vingt ans tous entiersauroient sans nul indice
Caché jusques icy cet étrange* artifice ?
Quel charme* a si longtemps trompé toute la Cour ?

LE ROY

Ce charme* dureroit encor sans mon amour.
85 Oüy j’aime, je l’avouë, (à cet aveu* si lâche
Ma rougeur t’apprend bien le Sexe que je cache.)
Juge apres ces discours, qui doivent t’alarmer*,
Si l’hymen de Camille a dequoy me charmer*.
Je feignois de l’aimer par l’ordre de mon Pere,
90 Et par ce feint amour je cachois ce mystere ;
Mais si cet artifice a couvert nostre jeu,
Il ne sçauroit cacher un veritable feu.
Je brûle pour Valere, et je n’ose le dire ; [p. 5]
Depuis six ans ce cœur pressé de son martyre,
95 A pressé mille fois ma bouche de parler.
Que l’Amour, Marcellin, sçait mal dissimuler!
Qu’un cœur libre, et bien né, deteste l’imposture,
Et qu’on souffre de peine à trahir la nature!
Valere que j’ay fait le plus grand de ma Cour,
100 Impute à l’amitié* ce qu’il doit à l’amour ;
Et l’amour n’osant pas expliquer ses caresses,
Sous un Sexe caché perd toutes ses tendresses.
Regarde maintenant quel est mon desespoir ;
Il faut abandonner ma flame,ou mon pouvoir ;
105 Il faut cesser d’aimer, ou devenir Sujette.
Aimons, ne forçons plus une flame secrette :
Qu’on choisisse un Monarque, et qu’on oste à mon sang
Par le defaut du Sexe, un legitime rang.

MARCELLIN

Quoy! cesser de regner. Que faites-vous, Madame ?

LE ROY

110 Laisse agir, Marcellin, les transports de ma flame,
Donne toy tout entier à servir mon ardeur,
Et laisse à l’Admiral le soin* de ma grandeur ;
C’est luy qui doit bien-tost mettre fin à ma peine.
Mais Camille paroist.

SCENE II

LE ROY, CAMILLE, MARCELLIN, FLORISE

LE ROY continuë.

Pardonnez, grande Reyne,
115 Si je m’acquite mal de ce que je vous doy ; [p. 6]
Imputez ces delais aux soins* d’un nouveau Roy.

CAMILLE

Seigneur, de ces delais le pretexte est plausible ;
Mais un Prince amoureux doit estre plus sensible.
Depuis trois mois entiers je sollicite en vain
120 Ce qu’une Reyne attend d’un puissant Souverain.
J’allois tout obtenir du feu Roy vostre Pere,
Quand sa mort me priva d’un secours necessaire :
Depuis un mois, Seigneur, qu’il a finy ses jours,
Pourquoy diferez-vous ce glorieux secours ?
125 Vous devez me servir pour vous venger vous-méme,
Et relever en moy l’honneur du Diadéme.
Roger, ce fier mutin qui s’arme contre moy,
Sçait profiter du temps, et se croit déja Roy ;
Et par trop de lenteur à secourir ma gloire,
130 Vous hazardez* la vostre ainsi que ma victoire.
Seigneur, expliquez vous: par l’ordre du feu Roy,
Par vostre propre choix, vous deviez estre à moy :
L’Hymen devoit unir Naples à la Sicile ;
Et si j’en pris d’abord un espoir inutile,
135 Par le trépas d’un Pere estant libre en ce jour,
Vous pouvez disposer de vous, de vostre amour.
Peut-estre que le Ciel n’a pas fait l’un pour l’autre ;
Peut-estre que mon cœur n’est pas né pour le vostre.
Reprenez vostre amour, je vous rends vostre cœur,
140 Rendez moy promptement l’espoir de ma grandeur ;
Oubliez d’estre Amant*, si vous m’avez aimée,
Et servez en Monarque une Reyne opprimée.
Il m’est indiferent de tenir cet espoir
Des soins* de vostre amour,ou de vostre devoir.

LE ROY

145 Je ne me defens point d’une si juste plainte :
Mais si vous connoissiez avec quelle contrainte
Je difere un secours que je vous ay promis, [p. 7]
Et que par la rigueur des destins ennemis
Ce Roy, qui doit s’armer pour le secours d’un autre,
150 Soûpire pour un mal bien plus grand que le vostre ;
Vous passeriez bien-tost d’un si juste courroux
A la pitié d’un Roy plus à plaindre que vous.

CAMILLE

Dequoy vous plaignez vous dans l’estat où vous estes ;
Dans un Trône si haut au dessus des tempestes ;
155 Je ne puis deviner ces nouvelles douleurs
Qui vous font negliger la fin de mes malheurs.
Est-ce d’un Pere mort la récente memoire,
Qui peut troubler encor tant d’heur*, et tant de gloire ?

LE ROY

Non, non ; et si j’osois ouvrir mon sentiment,
160 Vous sçauriez que ce coup me toucha foiblement,
Quand d’un Roy trop prudent la vieillesse importune
Sembloit un long obstacle à toute ma fortune ;
Non que l’avidité du Trône paternel
M’arrachat pour sa mort un souhait criminel :
165 Bien loin de souhaiter la grandeur souveraine,
Prince,ou Roy, c’est ce rang qui fait toute ma peine :
Entre les mains d’un Pere il contraignoit mon cœur,
Dans mes mains il le fait avec plus de rigueur ;
Et je souffre aujourd’huy,maistre de sa puissance,
170 Le joug qu’il imposoit à mon obeïssance.
Je crûs qu’apres sa mort le rang qu’il m’a quitté
Rendroit à mes desirs un peu de liberté :
Mais je connoissois mal l’orgueil du Diadéme ;
Prince, j’estois captif ; Roy, je le suis de méme ;
175 Et ce rang glorieux n’a qu’un éclat trompeur,
Qui fait à mesme temps, et cache mon malheur.
Mais pourquoy vous troubler d’une plainte si vaine,
Quand vous n’entendez rien de l’excés de ma peine,
Et qu’un respect* plus fort que l’espoir d’en guerir, [p. 8]
180 Me defend de parler, et de me secourir ?

CAMILLE

Seigneur, dans ce discours je ne puis rien comprendre ;
Mais il est temps enfin qu’un Roy se fasse entendre,
Et qu’alors qu’une Reyne implore son pouvoir,
Il refuse,ou s’appreste à faire son devoir.
185 Je n’examine point le secret de vostre ame,
Si c’est raison d’Estat, ou bien quelqu’autre flame,
Qui du cœur d’un Monarque arrache ces soûpirs.
Quels que soient ces secrets et nouveaux déplaisirs*,
Ne souffrez plus enfin qu’un insolent nous brave ;
190 Vous sçavez ses desseins par les advis* d’Octave.
Nos mutins devenus plus hardis, et plus forts,
Viendront jusqu’en ces lieux prévenir* vos efforts,
Et vous feront rougir de tant de negligence.

LE ROY

Nous sçaurons prévenir*une telle insolence ;
195 Et vous sçaurez peut-estre avant la fin du jour,
Que j’aurois moins d’ennuis*, si j’avois moins d’amour.

CAMILLE

D’une si foible amour, Seigneur, je vous dispense,
Acquitez vous au moins des soins*de ma vengeance ;
Federic vient, adieu ; sçachez, Seigneur, de luy
200 Ce que me doit un Roy qui se fait mon appuy.
[p. 9]

SCENE III

FEDERIC, LE ROY, MARCELLIN

LE ROY

Hé bien, cher Federic, qu’avez-vous à me dire ?
Vous dois-je mon repos, ma gloire, et mon empire ?

FEDERIC

Tout rit à vos souhaits ; et cette vieille Loy
Qui ne souffre en ces lieux que le regne d’un Roy,
205 S’en va tomber par terre aux yeux de tout le monde.

LE ROY

Apprenez moy sur quoy ce grand espoir se fonde.

FEDERIC

C’est sur ce grand secours qui fait regner les Roys,
Qui fait la Loy par tout, et se moque des Loix,
Sur la force, Madame. Oüy cette Loy severe
210 Que consacre le temps, que le Peuple revere,
Ne peut sortir des cœurs que par de grands efforts ;
La brigue et l’artifice ont de foibles ressorts.
Il faut en vous montrant, montrer tant de puissance,
Que tout ce qui vous nuit tremble en vostre presence.
215 S’il faut flater*le Peuple, en ostant cet abus,
Il faut estre en estat de punir son refus.
A ce dessein j’ay fait ramasser sur nos terres
Les plus vaillans soldats de nos dernieres guerres ;
Tous les Ports sont à moy, qui couverts de Vaisseaux
220 Me donnent sous vos loix tout l’Empire des eaux.
Mais par cet appareil* et de Vaisseaux, et d’armes, [p. 10]
De peur que nos voisins n’en prenent trop d’alarmes*,
Vous sçavez le pretexte : Une Reyne en ces lieux
Donne à cet armement un motif glorieux :
225 J’ay fait dire par tout qu’on devoit cette Armée
Au rétablissement d’une Reyne opprimée ;
Qu’au péril de l’Empire, et de tout nostre sang,
Il fallait forcer Naple à luy rendre son rang.
Ce pretexte plausible, et si plein de justice,
230 Du voisin défiant contiendra le caprice,
Qui dans un autre temps surpris, épouvanté,
S’ebranleroit sans doute à cette nouveauté.

LE ROY

Donc je ne puis garder la supréme puissance
Que par la seule force,ou par la violence.
235 Federic, pardonnez à ma timidité*;
Je suis Femme tousjours sous ce Sexe emprunté.
Si je ne puis regner sans jetter sur ma vie
L’horreur de l’imposture,ou de la tyrannie,
Sortons, sortons du Trône au moins avec honneur.

FEDERIC

240 D’où vous naist tout d’un coup ce remors suborneur ?
Est-ce au Roy d’Arragon que vous cedez la place ?
La crainte sur le Trône est de mauvaise grace ;
Ce sont troubles qu’un Roy doit tousjours s’épargner,
On n’est jamais Tyran, quand on sçait bien regner ;
245 Suffit d’avoir regné pour rendre un regne juste :
Quand on s’est revestu de ce pouvoir auguste,
Quand le Ciel l’a souffert, quand le Sort l’a voulu,
C’est assez pour garder le pouvoir absolu.

LE ROY

Mais icy vostre Sexe a seul droict à l’Empire.

FEDERIC

250 Mais vous en estes digne, et cela doit suffire.
Oüy ce Sceptre est à vous, et tout l’effort humain [p. 11]
Ne sçauroit l’arracher d’une si digne main.
Armez vous seulement d’une mâle asseurance.
Si nostre Sexe aspire à la toute-puissance,
255 Montrez luy que le vostre, aidé de vostre sang,
Peut former un courage à soûtenir ce rang.
J’en prens en ces beaux yeux le glorieux augure ;
Cet Empire receu des mains de la Nature,
Cet Empire sans Sceptre, et que fait la Beauté,
260 Adjouste à vos grandeurs une autre majesté.
Les Graces ont déja couronné vostre teste,
Elles font de nos cœurs leur Trône et leur conqueste,
Et l’effort amoureux de ces charmes*puissans
Est un regne visible étably sur nos sens.

LE ROY

265 Ton zele, Federic, emporte la victoire ;
Couronne promptement et mon Sexe, et ma gloire,
Je brûle, je languis sous ce déguisement.
Ah!que ne connois-tu l’excès de mon tourment!
Allons, allons forcer toute ma destinée.

FEDERIC

270 Attendez, attendez cette grande journée,
Où tout bien preparé pour un succés certain,
Nous puissions sans péril tenter ce grand dessein.
Octave doit regler toutes nos avantures ;
Sur son retour de Naple on prendra ses mesures ;
275 De l’estat des mutins instruits par son rapport,
De Camille, et de vous, nous reglerons le sort.

LE ROY

Haste donc ce beau jour, et sçache …

FEDERIC

Quoy, Madame.
Quel trouble …

LE ROY.

[p. 12]
Ignore encor le secret de mon ame.

FEDERIC

Quel secret!

LE ROY bas.

Ah!Valere.Adieu ; mais souviens-toy,
280 Si je regne en ces lieux, que je me dois un Roy.

SCENE IV

FEDERIC seul.

Tu t’émeus à ces mots, ardeur ambitieuse,
Et de ce prompt espoir la flame impetueuse,
Malgré le froid de l’âge, et le poids de mes ans,
D’une noble vigueur allume tous mes sens.
285 Ose, acheve, et regarde où mon courage aspire ;
La Beauté sur le Trône, une Reyne, et l’Empire.
Grand Roy, de tous nos Roys la gloire, et le dernier,
Toy, que la juste horreur d’un injuste heritier
Força de supposer un Fils à ta famille ;
290 Sous le titre de Roy faisant regner ta Fille ;
Toy, qui voulus fier à mon zele discret
D’un Sexe déguisé le prétieux secret,
Souffre une ambition que mon amour me donne ;
La gloire est mon amour,et non pas la Couronne ;
295 Je suis Maistre du Trône, et mon cœur enflamé
Y cherche seulement la gloire d’estre aimé.
Aimer en si beau lieu,c’est la gloire elle-méme ;
Grand Roy, sous cet appas je cours au Diadéme.
Ton orgueil fait regner ta Fille injustement ; [p. 13]
300 Mon amour la fera regner innocemment :
Tu veux que pour regner ta Fille se contraigne ;
Et je veux couronner le Sexe qu’on dédaigne.
Mais puis que sur le Trône elle se doit un Roy,
Souffre un choix de sa part qui s’explique pour moy.

SCENE V

FEDERIC, VALERE, FABRICE

FEDERIC

305 Approchez, mes enfans.

VALERE

Ah! Seigneur, que de gloire
Vous appreste l’espoir d’une grande victoire,
Quand vous vous disposez d’un effort glorieux
D’aller rendre Camille au rang de ses Ayeux.
Nous venons d’admirer sur l’onde, et sur la terre,
310 Le pompeux appareil* d’une si juste guerre ;
Tous nos champs* sont couverts d’armes, et de soldats,
Et nos Ports herissez d’une Forest de mats.
Tout le monde est ravy de voir que la Sicile
Va relever par vous le Trône de Camille.
315 Pour nous, qui vous voyons dans un employ si beau
Vous preparer l’espoir d’un triomphe nouveau,
Touchez d’un sentiment à vos vœux trop contraire,
Nous portons quelque envie à la gloire d’un Pere.
Quoy, Seigneur, ce grand cœur signalé tant de fois,
320 L’effroy des ennemis, l’appuy de deux grands Roys,
Luy qui de vostre nom a remply nos Histoires, [p. 14]
Soûpire-t’il encore apres d’autres victoires ?
Si vaincre fait encor ses plus ardens soûpirs,
Déchargez vous sur nous de ces nobles desirs,
325 Et faites de vos Fils au combat qui s’appreste
Les premiers bras du corps dont vous serez la teste.

FEDERIC

Ah! Valere, ah! Fabrice, une si belle ardeur
Est digne de mon sang, et digne d’un grand cœur.
Vous aurez part tous deux à ce grand avantage ;
330 Si je doy triompher, c’est par vostre courage ;
Et j’attendois de vous ces nobles mouvemens,
Pour verser dans vos cœurs de plus beaux sentimens.
C’est peu de cette gloire où tout mon sang s’appreste,
Un Trône relevé doit estre sa conqueste,
335 Le fruit de cet employ, le prix de vostre bras ;
Vous vous troublez, mes Fils, vous ne m’entendez pas.
Sçachez donc qu’en servant une illustre Princesse,
Il faut que l’un de vous s’en fasse une Maistresse*,
Et que luy redonnant le pouvoir souverain,
340 Elle mette en vos mains le don de vostre main.

FABRICE

Nous jusques à Camille élever nostre veuë!

VALERE

Quelque puissant respect* qui la rende abbatuë,
J’ose tout par vostre ordre, et n’apprehende rien.

FABRICE

Pour aspirer si haut, je me connois trop bien.

FEDERIC à Fabrice.

345 Si d’un si haut party la majesté t’étonne*,
Songe que tout mon sang est né pour la Couronne ;
Prens d’un si digne adveu* l’orgueil de ton aisné ;
Ne crains rien du pouvoir d’un Amant* couronné,
Un obstacle eternel le dérobe à Camille. [p. 15]
350 Naple aujourd’huy ne peut s’unir à la Sicile ;
Ces Trônes sont forcez d’avoir chacun un Roy.
D’un scrupule si vain reposez vous sur moy.
Cet Hymen pretendu n’est qu’un adroit mystere
Qu’un interest d’Estat a rendu necessaire.

FABRICE

355 Donc, Seigneur, je n’ay plus à craindre un tel Rival.
Puis que vous me sauvez d’un respect* si fatal,
Il est temps, il est temps de vous faire connaistre
Un feu dont jusqu’icy j’avois esté le maistre ;
Et qu’enfin mon orgueil par vous-mesme irrité
360 Vous fasse un plein aveu* de sa temerité.
J’aime, j’aime Camille, et sans l’aveu* d’un Pere,
Ce cœur qu’on croit discret estoit un temeraire.

FEDERIC

Que j’aime en toy, mon Fils, un feu si glorieux!
Car enfin c’est sur toy que j’ay jetté les yeux,
365 Pour relever le sort d’une Reyne opprimée.
Je voy que de ce choix vostre ame est alarmée*,
Valere.

VALERE

Quoy, Seigneur, par quel sort aujourd’huy
L’honneur de cet employ tombera-t’il sur luy ?
Luy seul merite-t’il toute vostre tendresse ?
370 Ou bien ce foible amour dont on flate* l’aisnesse
Voudroit-il dérober le Favory d’un Roy
Aux glorieux périls d’un si fameux employ ?

FEDERIC

Mon Fils, pour te montrer toute l’amour d’un Pere,
Je te destine un Sceptre, aussi bien qu’à ton Frere.
375 Tu regneras un jour ; mais sans t’inquieter,
Attends de moy le bien dont je t’ose flater*.
Va, ne me presse pas d’en dire davantage, [p. 16]
Meritez l’un et l’autre un si grand avantage ;
Et vous faisant au Trône un chemin glorieux,
380 Conduisez tous vos pas où j’ay conduit vos yeux.
Je vay vous preparer cette grande victoire.
Toy va-t’en à Camille annoncer cette gloire,
Et luy faire avoüer l’audace de ton feu.

SCENE VI

VALERE seul.

Allons le prévenir* pour cet illustre aveu*.
385 Se flate* qui voudra d’un Trône imaginaire,
La faveur d’un grand Roy, les tendresses d’un Pere,
Ne sont rien où je vois un Empire à gagner ;
Et je préfere à tout le hazard* de regner.

Fin du premier Acte.

[p. 17]

ACTE II

SCENE PREMIERE

FEDERIC, OCTAVE

FEDERIC

Que je ressens de joye, Octave, à ton retour!
390 Que j’en augure bien dans cet illustre jour!
Tu vois de toutes parts se former l’assemblée
Dont la Cour est surprise, et la Ville troublée,
Et d’où tu verras naistre un grand évenement.
Cependant, cher Octave, apprens moy promptement
395 Ce qu’aux lieux d’où tu viens a produit ta presence.
Tu m’as déja mandé* par quelle violence,
Et sous quelles couleurs la jalouse fureur
A détrôné Camille,et détruit sa grandeur ;
Et que l’ingrat Roger, pour attenter sans blâme,
400 Décrioit hautement le regne d’une Femme.
Dis moy ce qu’a suivy cet indigne attentat ?

OCTAVE

Roger s’éleve au Trône, arme avec grand éclat ;
Mais tousjours menacé de ce Peuple indocile,
Au dehors allarmé* des forces de Sicile,
405 Doutant mesme des siens ; dans cette extremité
Il s’en va sur la Mer chercher sa seureté.
Il remplit ses Vaisseaux de Sujets infideles ; [p. 18]
Et comme il est mal seur de la foy des rebelles,
Voulant s’en asseurer, il s’éloigne du Port,
410 Et les force à chercher la victoire,ou la mort.
Il s’avance vers vous, bien moins pour vous surprendre
Que pour fuir le péril qu’il court à vous attendre,
Voyant que le soldat par vos retardemens
Laissoit languir l’ardeur de leurs commencemens.
415 Cependant que Roger s’éloigne de sa Ville,
Je m’y montre, j’agis, j’y treuve tout facile.
Tout le Peuple ébranlé n’attend qu’un grand éclat,
Et tout enfin dépend du succés du combat.

FEDERIC

Le succés est à nous, sois seur de la victoire ;
420 Et pour t’apprendre enfin le comble de ma gloire,
C’est peu d’un Trône, Octave, et l’orgueil de mes voeux
Entre mes Fils et moy s’ose en promettre deux :
Je destine mon sang au Sceptre de Camille ;
Et moy j’ose aspirer à celuy de Sicile.

OCTAVE

425 Vous voulez détrôner son legitime Roy ?

FEDERIC

Oses-tu concevoir ce soupçon contre moy ?
Il est temps de t’ouvrir cet important mystere ;
Et si pres d’éclater, je ne te doy rien taire.
Si dans Naple on couronne un Chef des factieux,
430 Icy regne le sang d’un Pere ambitieux,
Qui renversant nos Loix couronne sa famille,
Et pour tout dire enfin, fait un Roy de sa Fille.

OCTAVE

Ciel! que m’apprenez-vous ?

FEDERIC

Un secret étonnant*;
Mais voy combien mon sort est rare et surprenant.
435 La Princesse voulant changer son avanture, [p. 19]
Comme j’avois aidé moy-mesme à l’imposture,
Je m’appreste à forcer le Peuple à faire un choix,
Pour un Trône sans Roy, du seul sang de nos Roys.

OCTAVE

Ce dessein est hardy.

FEDERIC

C’est l’Amour qui m’en presse.

OCTAVE

440 L’Amour!

FEDERIC

Ce sentiment sied mal à ma vieillesse :
Mais aussi que sçait-on si cette passion,
Qui me semble l’Amour, n’est point l’ambition.
Le Trône jusqu’icy n’a point touché mon ame ;
C’est sans doute l’Amour qui fait toute ma flame,
445 Oüy, tout âge est sujet à ce maistre absolu,
Et tout cœur peut aimer, quand le Ciel l’a voulu.
L’Amour tient sous ses loix toutes nos destinées,
Son Empire s’étend sur toutes nos années ;
On doit dans tous les temps craindre ses trahisons
450 Et l’Amour est un Dieu de toutes les saisons.
Oüy, je veux couronner la Princesse elle-mesme ;
Pour redoubler mes soins*, j’ose croire qu’elle aime ;
Je l’entens m’adresser ces grands mots: souviens-toy
Si je regne en ces lieux, que je me dois un Roy.
455 Ce charmant souvenir émeut toute mon ame.
Allons la couronner aussi bien que ma flame.
Tu connois mon credit, mon pouvoir, mes amis.
Un seul trouble me reste en faveur de mon Fils ;
Fabrice aime Camille, et je voy que Valere
460 Aspire à sa Couronne aussi bien que son Frere.
Fais voir à mon aisné, sans luy rien expliquer,
Qu’un Empire apres moy ne luy sçauroit manquer ;
Que la faveur du Roy l’attache à sa personne, [p. 20]
Et qu’il peut dans ce rang attendre une Couronne ;
465 Qu’il luy sera plus doux de regner apres moy …
Mais Camille paroist.

SCENE II

CAMILLE, FEDERIC, FLORISE

CAMILLE

Hé bien, enfin le Roy
Va-t’il presser pour moy cette grande victoire ?

FEDERIC

Par son aveu* Fabrice aspire à cette gloire.

CAMILLE

Et la valeur d’un Roy se repose sur luy.

FEDERIC

470 Le Roy, d’un tel Sujet veut faire vostre appuy.

CAMILLE

Il peut mesme ceder, sans en craindre du blâme,
A de pareils Sujets et mon Trône, et ma flame.

FEDERIC

Fabrice se connoist, et pour ce grand espoir …

CAMILLE

Qu’il me mette en estat d’user de mon pouvoir.

FEDERIC

475 Vous l’aurez tout entier, n’en soyez plus en peine ;
Le Roy neglige trop l’interest d’une Reyne ;
Et vous sçaurez bien-tost, vous reposant sur moy,
Que ma parole icy vaut bien celle d’un Roy.
[p. 21]

SCENE III

CAMILLE, FLORISE

CAMILLE

Tu vois qu’à mon party, dans un sort si contraire,
480 J’engage adroitement les Enfans, et le Pere.
J’apprens de Federic que Fabrice est pour moy,
Valere vient aussi de m’engager sa foy ;
Et cette ombre d’espoir que ma bonté luy donne,
Inspire à son orgueil l’espoir d’une Couronne.

FLORISE

485 Ainsi l’amour du Roy vous est indiferent.

CAMILLE

Non, je doy l’avoüer, sa froideur me surprend ;
La pitié qu’il me doit, par l’Amour enflamée,
Eut vengé doublement une Reyne opprimée :
Il sembloit que le Sort qui s’est joüé de moy,
490 Me jettoit de mon Trône entre les bras d’un Roy ;
Et qu’il n’ostoit un Sceptre à cette infortunée,
Que pour m’en rendre deux par ce grand Hymenée.
Cet espoir estoit doux ; mais il le faut quitter,
Avec le mesme orgueil que j’ay sçeu l’accepter.
495 A ce grand changement j’ay preparé mon ame ;
Je sçavois que l’aveu* qu’il me fit de sa flame,
Dessus le choix d’un autre avoit un foible appuy ;
Son Pere la fit naistre, elle est morte avec luy.
Voila ce que je veux que tout le monde sçache :
500 Mais par un sentiment qu’à moy-mesme je cache,
Je t’avouë entre nous, que je sens qu’en secret
Mon orgueil pour ce coup conçoit quelque regret ;
Non de perdre l’amour d’un grand Roy qui me quitte [p. 22]
Mais de peur qu’on l’impute à mon peu de merite.
505 Voila dequoy mon cœur se plaint secretement.

FLORISE

Il est fâcheux de perdre un si parfait Amant*;
Et déja dans la Cour on vous croit destinée
A l’éclatant honneur d’un si grand Hymenée.

CAMILLE

Fut-il maistre du Monde, et dans un rang plus haut,
510 S’il ne m’aime, il n’est rien avec un tel defaut.
Suffit que deux grands cœurs, et de tout leur courage
Et de tout leur credit, daignent me faire hommage.
Si l’un est sans amour, il m’offre son appuy ;
Pour Fabrice, il m’adore, et j’attens tout de luy.

FLORISE

515 Quoy, Fabrice vous aime ?

CAMILLE

Oüy, sa flame est extréme.

FLORISE

Qui vous l’a dit ?

CAMILLE

Ses yeux m’ont dit cent fois qu’il m’aime.

FLORISE

Vous fiez-vous si fort au langage des yeux ?

CAMILLE

C’est le plus seur langage, et rien ne parle mieux.

FLORISE

Mais, Madame, aimez-vous ou Fabrice, ou Valere ?

CAMILLE

520 Fabrice dans mon cœur l’emporte sur son Frere ;
Mais comme je dédaigne un Roy qui n’aime pas,
Un Amant* sans Couronne a de foibles appas.
Il est vray qu’attachée aux soins* de ma Couronne,
Dans l’estat malheureux où le Sort m’abandonne,
525 Ma fierté me permet d’engager deux grands cœurs [p. 23]
De soûtenir ma gloire, et vaincre mes malheurs ;
Et je puis obtenir d’un devoir trop severe,
Que je flate* les Fils, quand j’attens tout du Pere ;
Que je souffre leurs feux, mais sans les ressentir ;
530 Que j’écoute leurs vœux*, mais sans y consentir.
Aussi pour mieux flater* leur esperance vaine,
Je veux rabatre un peu cette fierté de Reyne,
Et baisser pour ma gloire un rang si glorieux ;
Et si trop de respect*leur fait baisser les yeux,
535 Avec quelques regards porter dedans leurs ames
Une innocente audace à leurs timides flames ;
Et sans trahir l’orgueil du rang où je me voy,
Aider à leurs soûpirs à venir jusqu’à moy.

FLORISE

Mais pouvez-vous flater* ou Valere,ou Fabrice,
540 Sans qu’enfin vostre cœur s’oublie, ou se trahisse.

CAMILLE

Je puis aimer l’un d’eux, sans trop baisser mes yeux ;
Je voy dans l’un et l’autre un destin glorieux.
Déja par mes bontez l’ambitieux Valere
A conceu tant d’espoir … Mais j’apperçoy son Frere ;
545 Tu vas voir si je sçay d’un air assez adroit
Faire parler un cœur, quand il aime en secret.

SCENE IV

FABRICE, CAMILLE, FLORISE

FABRICE

Le temps vient, grande Reyne, où le Ciel plus propice
Par un puissant secours vous va faire justice ;
Par l’aveu* de mon Pere, et par l’aveu*du Roy, [p. 24]
550 Je me vois honoré de cet illustre employ.
Je sçay qu’aupres de vous mon Frere sollicite
L’aveu* de cet honneur avec plus de merite ;
Et sa vertu* peut-estre emporte dessus moy
Tout ce que j’obtenois et d’un Pere, et d’un Roy.

CAMILLE

555 Je n’ay pû refuser mon suffrage à Valere ;
Mais vous avez pour vous celuy d’un Roy, d’un Pere,
Et s’il m’estoit permis de faire quelque choix,
Je resoudrois bien-tost à qui donner ma voix.
Mon aveu*tout entier suit cette noble envie,
560 Et d’un plus doux succés ma disgrace est suivie,
Lors que pour remonter au pouvoir souverain
Un Héros comme vous me doit prester sa main.

FABRICE

Ah! qu’un si digne aveu* me va combler de gloire!
J’en sens presque déja l’espoir de la victoire :
565 Mais dans ce beau succés puis-je vous declarer
Que je tremble des biens que j’en ose esperer ?
Oüy, Madame, charmé* de l’employ qu’on me donne
Et d’aller par ma main vous rendre une Couronne,
Je sens naistre au milieu de cet espoir si doux
570 Les mortelles frayeurs de vous voir loin de nous.
Quand le Ciel par nos mains mettra fin à vos larmes,
Quand un Trône rendu nous ravira vos charmes*,
Que deviendra Fabrice ? et dans ces tristes lieux
Quel charme* loin de vous consolera mes yeux ?

CAMILLE

575 Vous suis-je en cet estat sans trop de complaisance,
Assez chere à vos yeux pour craindre mon absence ?
Flater*d’un air si doux celle qu’on veut venger,
Fabrice, c’est sçavoir doublement l’obliger.

FABRICE.

[p. 25]
Avec moins de bonté recevez cette plainte ;
580 A des vœux* plus hardis imposez plus de crainte ;
Reprimez leur audace, et ne m’arrachez pas
L’aveu* de ce qu’on craint, quand on perd tant d’appas.
Ah! je sens qu’à ce cœur qui n’ose vous déplaire,
Ces yeux vont dérober un aveu* temeraire.
585 Armez les, ces beaux yeux, de toutes leurs fiertez.
Hé ne voyez vous pas, qu’aupres de ces bontez
Ce cœur audacieux va tomber dans le crime ?
Retenez mes desirs sur le bord d’un abyme.
Je sens par ce regard mes respects* ébranlez ;
590 J’y tombe, c’en est fait, puis que vous le voulez.
Madame, le voilà cet Amant* miserable,
Tombé par vos bontez dans un crime effroyable ;
Son cœur, ce triste cœur, soûpiroit en secret ;
Il estoit malheureux, mais il estoit discret ;
595 Et pour comble aujourd’huy de son malheur extréme,
Il devient criminel en avoüant qu’il aime.
Faites, faites justice à ses temeritez,
Sans y considerer l’effet de vos bontez ;
Ou pour les achever, perdez ce temeraire,
600 Madame, il aime mieux et mourir, et se taire,
Qu’adorer sans espoir toute la majesté
Que jettent à la fois le Trône et la Beauté.

CAMILLE

Quoy, cette majesté desespere Fabrice!
Le Trône et la Beauté n’ont rien qui m’ébloüisse ;
605 Il est trop pres du Trône, et la Cour de ces lieux
Aux plus grandes Beautez accoustume ses yeux.
Vous avez tort de craindre avec tant d’avantage ;
Et songez, pour en prendre un peu plus de courage,
Que l’amour de Fabrice est heureux en ce poinct,
610 Qu’une Reyne le sçait, et n’en murmure point.
[p. 26]

SCENE V

FABRICE seul.

O Miracle d’amour, que l’Amour n’ose croire!
Belle temerité, qu’a suivy tant de gloire!
Mais mon Frere paroist.

SCENE VI

VALERE, FABRICE

VALERE

A ce beau mouvement
Je reconnois l’espoir d’un bienheureux Amant*.
615 D’où vient ce beau transport qui dans vos yeux éclate ?

FABRICE

D’un peu d’espoir, mon Frere,un malheureux se flate*.

VALERE

Vous vous flatez* sans doute, apres ce qu’on m’a dit ;
A ces douces erreurs donnez moins de credit.

FABRICE

Je sçay que vous avez l’honneur de son suffrage.

VALERE

620 Vous pretendez sans doute un plus grand avantage.

FABRICE

Moy, je ne prétens rien.

VALERE.

[p. 27]
Vous faites le discret ;
Et sous cet air modeste on triomphe en secret.

FABRICE

Vous voulez me surprendre, et tenter ma foiblesse.

VALERE

Camille l’a pû faire, elle a beaucoup d’adresse.

FABRICE

625 Je croy quand il luy plaist qu’elle n’en manque point,
Mais nous serons bientost éclaircis sur ce poinct.

VALERE

Il faut que cet espoir abuse l’un ou l’autre.

FABRICE

Avec mon peu d’espoir je vous laisse le vostre.

VALERE

Quel que soit cet espoir que vous m’osez vanter,
630 C’est en dire un peu trop à qui peut vous l’oster.
Gardez plus de respect* à ce double avantage
Que me donnent sur vous et mon rang et mon âge.
Si de deux Fils mon Pere ose faire deux Rois,
Regnez, si vous pouvez, mais laissez m’en le choix.
635 Un Sceptre s’offre à moy dans l’hymen d’une Reyne ;
Et son amour n’est pas ce qui me met en peine.
Separez, s’il se peut, sa Couronne et son cœur ;
La seule ambition fait toute mon ardeur.
Aimez, je veux regner, vous regnez par un autre,
640 Mon Pere m’offre un Trône, et ce sera le vostre.
J’attache mes desirs à celuy que je voy,
Et ne hazarde* point la gloire d’estre Roy.

FABRICE

Ah! cruel, ce n’est pas l’éclat d’un Diadéme
Qui charme* mes desirs, c’est Camille que j’aime ;
645 Je ne veux que son cœur, et l’espoir de regner,
Au prix de sa conqueste, est trop à dédaigner.
Ah! si vous connoissiez la grandeur de ma flame, [p. 28]
Et les belles ardeurs qui regnent dans mon ame …

VALERE

Ah! si vous connoissiez quelle est la passion
650 D’un cœur qui fait regner la noble ambition,
Quelle est l’avidité d’une grande victoire,
Quel est l’amour du Trône, et celuy de la gloire ;
Vous ne m’enviriez pas l’ambitieux employ
Qui m’offre une victoire, et le titre de Roy.

FABRICE

655 Ces desirs ont-ils rien de si grand que ma flame ?

VALERE

Rien n’égale l’ardeur qui consume mon ame.

FABRICE

La Terre a plus d’un Trône où vous pouvez regner ;
Mais elle n’a qu’un cœur que je veüille gagner.

VALERE

Naples est le seul Trône où j’ay lieu de pretendre.

FABRICE

660 On vous en promet un que vous pouvez attendre.

VALERE

Gardez, gardez pour vous ces belles visions*;
Cedez tout vostre espoir à ces illusions ;
Mais c’est trop contester ; si vous m’estes contraire,
Sçachez que je perdray toute l’amour d’un Frere ;
665 Et cette ambition dont vous estes jaloux,
Commencera sa gloire à triompher de vous.

FABRICE

Je sçay quel est le rang qu’un Monarque vous donne ;
Mais quel qu’il soit enfin, il n’a rien qui m’étonne*.
Sçachez que j’ay du cœur autant que j’ay d’amour,
670 Et que pour me l’oster, il faut m’oster le jour.
Ce cœur qui vous paroist foible par sa tendresse,
Ignore ce que c’est que crainte et que foiblesse ;
Et le vostre sçauroit, s’il aimoit comme moy, [p. 29]
Qu’un grand amour peut tout, quand il agit pour soy.

VALERE

675 Nous verrons si le Roy vous souffre tant d’audace.

FABRICE

J’ay de vostre crédit prévenu la menace :
Ouy, mon Frere, et sçachez que j’ay l’aveu* du Roy ;
Je ne m’en vantois point, Camille estant pour moy.
Son aveu* me suffit pour n’avoir rien à craindre.

VALERE

680 Nous verrons qui de nous aura lieu de se plaindre.
Il vient.

SCENE VII

LE ROY, VALERE, FABRICE, MARCELLIN

LE ROY

Quels differens s’agitent entre vous ?

VALERE

Fabrice transporté d’un aveugle courroux,
Est devenu si fier par la faveur d’un Pere,
Qu’il m’ose disputer tout le bien que j’espere.

LE ROY

685 Fabrice, sçavez-vous jusqu’où va la fureur,
Qui s’en prend à l’objet de toute ma faveur ?
C’est s’en prendre à moy-méme; et si le nom de Frere
Vous permet de manquer de respect à Valere,
Considerez son rang, sa gloire, et son appuy.
690 Mais quel ressentiment vous aigrit contre luy ?

FABRICE

[p. 30]
Seigneur, je reconnois le bonheur de Valere.
Mais quand j’ay vostre aveu*, quand j’ay celuy d’un Pere,
Est-ce avec ce secours manquer à mon devoir,
De soûtenir mes droicts contre tout son pouvoir ?
695 M’avez-vous pas, Seigneur, accordé la licence
De regarder Camille avec quelque esperance ?
Luy vanter cet espoir, c’est vanter vostre aveu*;
Et c’est prendre de vous l’audace de mon feu.
Pourquoy veut-il ravir à mon amour extréme
700 La gloire de servir une Reyne que j’aime ?
Mes soûpirs avoüez m’imposent cette Loy ;
Et son orgueil jaloux murmure contre moy.
L’impatiente ardeur d’une ame ambitieuse
A toutes vos bontez devient injurieuse ;
705 Et cherchant sur le Trône un peu plus de grandeur,
Il se veut dérober à toute sa faveur.

LE ROY

Est-ce par ce motif que Valere s’emporte ?
Cherche-t’il à regner, et d’une ardeur si forte,
Qu’il expose aux périls d’un combat incertain
710 Le prétieux bonheur qu’il tient dedans sa main ?
Laisse à ton Frere un soin* pour luy si plein de charmes*,
Et daigne m’épargner de mortelles alarmes*.
Regne avec moy, Valere, et calme ce transport
Qui met tout ce que j’aime entre les mains du Sort.

VALERE

715 Quoy, vous aussi, Seigneur, d’accord avec mon Pere,
Vous estes aujourd’huy contre moy pour mon Frere ?
Je vous verray former le glorieux projet
D’honorer d’un employ la valeur d’un Sujet ;
Je verray tout l’espoir d’une grandeur certaine,
720 Un Empire asseuré dans l’Hymen d’une Reyne ;
Je verray tant de gloire ; et vous voudriez, Seigneur, [p. 31]
Laisser à mon esprit échaper tant d’honneur ?
Seigneur, est-ce m’aimer ?

LE ROY

Ah! Valere , je t’aime,
J’en atteste le Ciel beaucoup plus que moy-méme.
725 Veux-tu quitter un Roy qui t’a mis dans son cœur ?
Luy qui t’a revestu de toute sa faveur,
Et t’a presque accablé de sa magnificence ?
Quelle amitié* jamais eust plus de violence ?
Que faut-il faire encor pour te la témoigner ?

VALERE

730 Aimer moins mon Rival, et me laisser regner.

LE ROY

Je le voy bien ingrat, vous adorez Camille ;
Les beautez, les grandeurs de la Cour de Sicile,
Ne sçauroient arrester ce cœur ambitieux ;
Une Reyne a charmé* vostre cœur, et vos yeux.
735 Voulez-vous estre Roy ? que vous faut-il pour l’estre ?
De mon rang, de mon cœur, n’estes vous pas le maistre ?
Pour un espoir douteux qui charme* vos desirs,
Me voulez-vous couster d’eternels déplaisirs*?
Ah! je voy dans ces yeux cette ardeur infidelle,
740 L’ingrate avidité d’une grandeur nouvelle.
Hé bien, brûle à jamais de cette passion,
Donne-toy tout entier à ton ambition,
Je te feray regner, puis que c’est ton envie ;
Je te feray regner sans hazarder* *ta vie,
745 Donne-moy seulement le temps d’agir pour toy.

VALERE

Et cependant mon Frere ira se faire Roy.
Pardonnez ces transports dont la chaleur vous blesse,
Aux vœux* impétueux d’une ardente jeunesse.
Rien ne peut égaler l’amitié* de mon Roy : [p. 32]
750 Mais quand vostre faveur m’oste un si grand employ,
Puis-je estimer l’honneur d’une si haute place,
Et croire que l’on m’aime apres cette disgrace ?

LE ROY

Hé bien, ambitieux, abandonnez ma Cour ;
Fuyez vostre bonheur, mes yeux, et mon amour.
755 Soûpirez pour le Sceptre, et le cœur de Camille,
Mais ne vous flatez* pas d’un espoir inutile :
Fabrice, c’est à vous que je rens cet espoir.

FABRICE

Ah! Seigneur.

LE ROY

C’est assez. Vous cessez de me voir,
Je ne veux plus rougir de vostre ingratitude.

SCENE VIII

LE ROY, MARCELLIN

LE ROY

760 Il fuit, et m’abandonne à mon inquietude.

MARCELLIN

Et vous l’allez reduire au dernier desespoir.

LE ROY

Que ne se resout-il à faire son devoir ?

MARCELLIN

Madame, est-ce y manquer, quand son grand cœur l’entraine
Au glorieux espoir d’acquerir une Reyne ?

LE ROY.

[p. 33]
765 Je souffre à ce grand cœur le desir de regner ;
Mais ce cœur à l’Amour se peut laisser gagner ;
Il peut aimer Camille, et souffrir dans son ame,
Avec l’amour du Trône, une si belle flame.
Va suivre cet ingrat pour calmer mes ennuis*,
770 Dis luy tout mon amour, et tout ce que je suis ;
Va pour finir son trouble, aussi bien que ma peine,
Opposer une Reyne à l’espoir d’une Reyne.

MARCELLIN

Moy, que j’aille à ses yeux trahir vostre secret ?
Hazardez* vostre rang.

LE ROY

Non, Valere est discret.

MARCELLIN

775 Mais enfin ce secret peut sortir de son ame.

LE ROY

Il peut aimer Camille en ignorant ma flame.
Hazarde* ma fortune, et mets ma flame au jour ;
On peut vivre sans Trône, et non pas sans amour.

MARCELLIN

Mais sans Trône avez-vous dequoy charmer* Valere ?

LE ROY

780 Helas! pour mon amour enfin que faut-il faire ?

MARCELLIN

Consultez Federic, Madame, c’est à luy
D’estre de vostre sort et l’arbitre et l’appuy.

LE ROY

Va donc à Federic ouvrir toute mon ame.
Qu’on ne ménage rien pour secourir ma flame ;
785 Moy je vay de Valere appaiser la douleur,
Empescher son depart, luy rendre ma faveur.

MARCELLIN

Federic fait pour vous une brigue puissante ; [p. 34]
Craignez le contretemps d’une ardeur trop pressante.

LE ROY

Pour les périls du rang cesse de m’alarmer*;
790 S’il est doux de regner, il est plus doux d’aimer.

Fin du second Acte.

[p. 35]

ACTE III

SCENE PREMIERE

FEDERIC, MARCELLIN

FEDERIC

Que me dis-tu ?

MARCELLIN

Seigneur, c’est Valere qu’elle aime.

FEDERIC

Son extréme couroux marque une amour extréme.
Mais que ne peut oser cet amoureux transport,
Puis qu’elle t’a fié le secret de son sort ?

MARCELLIN

795 Elle a pû sans péril m’en faire confidence ;
Et j’ay trop d’interest à garder le silence.

FEDERIC

Elle a pû tout fier à ta fidelité ;
Mais il faut plus de force, et plus de fermeté,
Quand par le seul secret on garde un Diadéme.

MARCELLIN

800 On peut mal-aisément se taire, quand on aime.

FEDERIC

Que ne préfere-t’elle un Trône à son amour ?

MARCELLIN

Mais puis que ce secret s’en va paroistre au jour …

FEDERIC.

[p. 36]
Il n’est pas encor temps ; et l’ingrate Princesse
Me devoit consulter plustost que sa tendresse.

MARCELLIN

805 Mais si nostre Princesse a trahy son secret.

FEDERIC

Va prévenir* l’effet d’un amour indiscret.
Dis luy que j’auray soin d’en instruire Valere,
Mais d’un air qui pourra l’obliger à se taire.

MARCELLIN

Mais Seigneur …

FEDERIC

C’est assez ; dis luy que cet amour
810 Bien-tost aux yeux de tous pourra paroistre au jour ;
Et qu’elle oppose enfin à tant d’impatience
Le péril où sa flame expose sa puissance.

SCENE II

FEDERIC seul.

Qu’est-ce cy, Federic ? ce n’est donc pas pour toy,
Ce n’est que pour ton Fils qu’on veut choisir un Roy.
815 Pour un autre que moy la Princesse soûpire ?
J’ay couronné son Sexe, abuse tout l’Empire,
J’ay trompé tout l’Estat pour la faire regner ;
Et j’auray la douleur de m’en voir dédaigner.
Me croit-elle à ce poinct imprudent et facile,
820 Que de luy conserver le Sceptre de Sicile,
Et la mettre en estat dans ce rang souverain,
De choisir un Monarque en luy donnant la main ?
Non, non, regnons, mon Sexe a droict à la Couronne, [p. 37]
Et sur tout autre enfin la force me la donne :
825 Amour trahy, soustiens mon indignation,
C’est pour toy que mon cœur a de l’ambition.
Quelle secrete voix reproche à ma memoire
L’ingrat oubly d’un Roy qui m’a comblé de gloire ?
Grand Roy, je t’ay juré de conserver ton rang
830 Malgré l’horreur du Sexe, aux restes de ton sang.
Oüy ton sang regnera ; mais puis qu’il me dédaigne,
Voulant m’en faire aimer, souffre aussi que je regne.
Voulant m’en faire aimer! helas déja son cœur
Soûpire, et pour mon Fils soûpire avec ardeur.
835 Tu sçais, sans y penser, trop aimable Valere,
Te bien venger du choix que j’ay fait pour ton Frere.

SCENE III

FEDERIC, OCTAVE

FEDERIC

Octave, sçais tu bien …

OCTAVE

Quoy, Seigneur

FEDERIC

Qu’un moment
Renverse mon espoir.

OCTAVE

D’où vient ce changement ?

FEDERIC

La Princesse a conceu de l’amour pour Valere.

OCTAVE

840 Voila ce que m’apprend l’éclat qu’il vient de faire.
Octave, m’a-t’il dit, j’ay tout ce que je veux, [p. 38]
Ma fortune est changée, et je suis trop heureux.
Il me quitte à ces mots tout brillant d’allegresse.
Je venois de le voir accablé de tristesse,
845 Quand pour vous obeïr j’ay pressé son devoir ;
Je l’avois veu reduit au dernier desespoir,
Murmurant contre vous, contre un Roy, contre un Frere.

FEDERIC

L’amour de la Princesse, un Trône qu’il espere,
Ont calmé ses ennuis*, et font voir dans ses yeux
850 Les superbes* transports d’un espoir glorieux.

OCTAVE

Nous pouvons nous tromper ; mais sur cette apparence
Que pouroit vostre Fils contre vostre puissance ?

FEDERIC

Veux-tu que contre un Fils, pour garder mon espoir,
Je me serve en Tyran d’un absolu pouvoir,
855 Et que j’aille forcer le cœur de ma Princesse ?

OCTAVE

Hé bien, Seigneur, regnez ; obligez sa tendresse
De s’attacher au choix d’un Amant* couronné.

FEDERIC

L’Amant* qu’on aime ainsi, le crois-tu fortuné ?

OCTAVE

Hé bien, regnez sans elle, et devenez son Maistre.

FEDERIC

860 Ah! je hay trop les noms de parjure et de traistre,
Le feu Roy m’engagea d’un serment solemnel
De conserver sa Fille au Trône paternel ;
Et sans jetter sur moy l’horreur d’un infidelle,
Je ne puis sur son Trône oser regner sans elle.

OCTAVE

865 Je ne vois donc, Seigneur, qu’un moyen à tenter :
Découvrez vostre amour, il est temps d’éclater,
Appliquez tous vos soins* à gagner la Princesse : [p. 39]
Peut-estre que Valere ignore sa tendresse ;
Elle a le cœur trop bon, pour ne la cacher pas.

FEDERIC

870 Qu’un Amant* de mon âge a de foibles appas,
Et qu’un Fils est puissant contre l’amour d’un Pere!
Il faut en cet estat n’aimer plus, ou se taire.
Mon cœur aimant un choix qu’il ne sçauroit charmer*,
Ne rougit qu’en secret de la honte d’aimer.
875 Pour sauver mon orgueil de cette honte extréme,
De n’estre pas aimé, quand j’avoûray que j’aime,
Je veux me faire aimer sans declarer mon feu,
Ou de tant de grandeur soûtenir mon aveu*,
Que tout ce qu’a d’appas la plus belle jeunesse,
880 Cede au solide éclat d’une illustre vieillesse.

OCTAVE

Faites vous promptement un sort si glorieux.

FEDERIC

Levons auparavant l’obstacle de mes vœux ;
Et rendant à Valere un espoir plus facile,
Ostons-le à la Princesse, en luy donnant Camille.
885 Que Fabrice en murmure, on ne ménage rien
Pour l’interest d’un choix aussi beau que le mien.
Voicy Valere : ô Ciel! que sa joye est extréme!
Ah! je voy bien qu’il sçait que la Princesse l’aime.

SCENE IV

FEDERIC, VALERE, OCTAVE

FEDERIC

Hé bien, mon Fils, le Ciel a changé vostre sort.

VALERE.

[p. 40]
890 Vous le pouvez juger,Seigneur, à mon transport.
Le cœur comblé de joye, et de reconnoissance,
Je viens mettre à vos pieds toute mon esperance.
D’un lieu qui m’est bien cher je prens un bien si doux ;
Mais il est imparfait, s’il ne me vient de vous.
895 Au moment que j’ay crû ma disgrace certaine,
On me rend tout d’un coup tout l’espoir d’une Reyne.

FEDERIC

D’une Reyne! mon Fils, bas. Elle a tout révelé,
Octave, et qui pis est, son amour a parlé.

VALERE

Voyez par ce billet si j’ay lieu d’y pretendre.

FEDERIC bas.

900 De mon transport jaloux je ne me puis defendre.

VALERE

J’espere vostre aveu*, quand j’ay celuy du Roy.

FEDERIC

Du Roy, mon Fils ? tu peux tout esperer de moy.

FEDERIC lit le billet.

Valere, ma tendresse a surmonté ma haine ;
Garde mesme credit, mesme rang dans ma Cour ;
905 Et pour te faire voir jusqu’où va mon amour,
Aspire hardiment à celuy d’une Reyne ;
Mais fais que Federic avant la fin du jour
Mette fin à ma crainte aussi bien qu’à ta peine.

FEDERIC continuë.

A Oct.
La Princesse à mon Fils se promet elle-méme,
910 C’est le sens du billet ; voy son amour extréme.

VALERE

Le Roy me rend Camille, achevez mon bonheur.

FEDERIC.

[p. 41]
A Octave.
L’apparence le trompe, achevons son erreur.
A Valere.
Puis que le Roy le veut, aime, espere Camille.
Oüy, mon Fils ; et c’est peu d’estre grand en Sicile,
915 Il faut regner dans Naple, et sur un revolté
Venger l’honneur du Trône, et de la Majesté.
Je vay tout disposer pour haster ta victoire.
Ton Frere seul te peut envier tant de gloire :
Mais enfin ton aisné doit avoir cet employ ;
920 Il pourra commander sous ton ordre, et sous moy.
Toy pour venger Camille, et punir un rebelle,
Par de nobles motifs embrasse sa querelle ;
Aime, adore une Reyne ; et contre son malheur,
Par les soins* de l’Amour, excite ta valeur.

SCENE V

VALERE seul.

925 Que j’adore une Reyne! à ce seul mot mon ame
Se sent toute embraser d’une si belle flame :
Un cœur ambitieux peut-il aimer ailleurs ?
Et peut-il concevoir de plus nobles chaleurs ?
Mais quel trouble impréveu confond mon esperance ?
930 Ce que m’offre mon Pere est-il en sa puissance ?
Si Camille aime ailleurs, si mon Frere est aimé,
Que deviendra l’espoir dont mon cœur est charmé*?
Plus je semble approcher du Trône que j’espere,
Plus je sens le péril d’un espoir temeraire.
935 Mais le Roy vient. Allons embrasser ses genoux,
Et réverer la main qui m’offre un bien si doux.
[p. 42]

SCENE VI

VALERE, LE ROY, MARCELLIN

MARCELLIN en entrant avec le Roy.

Federic m’a promis d’en éclaircir Valere.

VALERE

Ah! Seigneur, se peut-il …

LE ROY

Excuse ma colere,
J’ay crû que satisfait de toute ma faveur,
940 Tu devois renoncer à tout autre bonheur :
Mais je connoissois mal le destin de Valere,
Et ma tendre amitié* songe à te satisfaire.
Mais dis-moy, tout remply de cette ambition,
Ton grand cœur blâme-t’il toute autre passion ?
945 Ta fierté croit honteux lejoug d’une Maistresse*,
Traitte l’Amour d’enfant, ses transports de foiblesse
L’orgueil d’un honeste homme, et sur tout dans la Cour
Peut compatir, Valere, avec un peu d’amour :
L’Amour se vengera de cette indiference.

VALERE

950 J’ignore encor, Seigneur, jusqu’où va sa puissance ;
Et peut-estre l’orgueil dont on m’ose blâmer,
Peut luy seul me defendre, et m’empescher d’aimer.
J’ay de l’ambition, Seigneur, je vous l’avouë ;
Et c’est vostre faveur qui fait que je m’en louë.
955 Elevé par vos soins* au faiste des grandeurs,
Je croy par cet orgueil honorer vos faveurs :
Plein de cette fierté j’aspire au rang supréme,
Je ne puis rien aimer au dessous de moy-méme ;
Et je croy dans le rang où m’éleve mon Roy, [p. 43]
960 Que tout choix est trop bas s’il n’est plus haut que moy.
Cependant au milieu d’une belle esperance
Je ne sçay quelle peur m’en oste l’asseurance ;
Et quand j’ose pousser d’ambitieux soûpirs,
Je sens qu’elle rabat le vol de mes desirs.

LE ROY

965 Vous n’aviez pas tantost ces scrupules dans l’ame ;
Vous avez crû pouvoir justement, et sans blâme,
Contre mes sentimens demander un employ
Qui promet une Reyne, et le titre de Roy.

VALERE

Maintenant, si tantost j’estois trop temeraire,
970 Je voy mieux la grandeur du bonheur que j’espere ;
Soûtenu par mon Pere, et par vous, mon espoir
Frappé d’un si haut rang, n’ose se faire voir.

LE ROY

Valere a donc appris le secret de son Pere ;
Parlez enfin, parlez ; expliquez-vous, Valere.

VALERE

975 Mais, Seigneur …

LE ROY

Ah! c’est trop se contraindre tous deux,
Vous sçavez qui je suis, et je connois vos vœux.

VALERE

Mais ne sçavez-vous pas que mon audace extréme …

LE ROY

Esperez tout de moy, d’un Pere, et de vous-méme.

VALERE

Appuyé de l’aveu* de vostre Majesté,
980 Dois-je croire mon Pere, et ma temerité ?
N’est-ce point me flater* d’un espoir inutile,
De pretendre au bonheur d’estre aimé de Camille ?

LE ROY.

[p. 44]
Quoy, vous aimez Camille ?

VALERE

Oüy, je l’aime, Seigneur.

LE ROY

O d’un espoir trompé trop sensible douleur!

VALERE

985 Seigneur.

LE ROY

Allez, ingrat, indigne de ma grace.
Ambitieux, Amant*, vous avez mesme audace.

VALERE

Quoy, cet ordre si doux écrit de vostre main ?
A-t’il dû me laisser un espoir incertain ?
Aspire hardiment à l’amour d’une Reyne,
990 Ces mots m’ont-ils flaté* d’une esperance vaine ?

LE ROY

Oüy, lors que vous rendez tout mon espoir confus,
Si ce billet fut vray, sçachez qu’il ne l’est plus.
Vous perdez tout, ingrat, en adorant Camille :
Tous les biens que le Ciel vous gardoit en Sicile,
995 Tout ce que vous avez de grandeur dans ma Cour,
Tout a péry pour vous par cet indigne amour.

VALERE

Quoy, mon amour est-il digne de tant de haine ?
Ne m’ordonniez-vous pas d’esperer une Reyne ?

LE ROY

Non, je vous le deffens ; et mon juste transport
1000 Hait vostre ingratitude à l’égal de la mort.

VALERE

Pour vous plaire, Seigneur, que faut-il que je fasse ?

LE ROY

Renoncer à Camille, et meriter ma grace.

VALERE.

[p. 45]
Aimez-vous la Beauté dont mes yeux sont charmez*?

LE ROY

Je la hay, je vous hays autant que vous l’aimez.

VALERE

1005 Quel est donc ce transport que je ne puis comprendre ?

LE ROY

Cruel, c’est ton amour qui ne veut pas l’entendre :
Mais pour confondre enfin ton ingrate froideur,
Il faut t’ouvrir moy-méme et mon sort et mon cœur.
Sçache donc que je suis …

MARCELLIN

Helas! qu’allez-vous faire ?

LE ROY à Valere.

1010 Tu ne le sçais que trop ; sors, et fuis ma colere.

VALERE

Seigneur, écoutez moy.

LE ROY

Non, je n’écoute rien.
Laissez-moy.

VALERE

Ciel! quel sort est comparable au mien ?

SCENE VII

LE ROY, MARCELLIN

LE ROY

Voy quel est de mon sort l’injurieux caprice ;
Ce billet que j’ay crû me rendre un bon office,
1015 Authorise Valere à trahir mon espoir.

MARCELLIN.

[p. 46]
Pour l’entendre sçait-il tout ce qu’il faut sçavoir ?
Peut-estre Federic cache encor ce mystere.

LE ROY

Tu m’as dit qu’il devoit l’expliquer à Valere.
Sans doute qu’il le sçait, et feint de l’ignorer,
1020 Pour adorer Camille, et me la préferer.
Afin de le convaincre, allons faire paroistre
Un destin que l’ingrat feint de ne pas connoistre.

MARCELLIN

Gardez-vous bien encor de l’aller mettre au jour,
C’est avec vostre rang exposer vostre amour :
1025 Vostre Trône en péril, vous hazardez* Valere.

LE ROY

Quoy, tousjours se cacher, soûpirer, et se taire ?
C’estoit peu que mon rang contraignit mes soûpirs,
L’Amour mesme s’oppose à ses propres desirs.
Esclave d’une gloire à mon amour fatale …
1030 Ne voy-je pas passer ma superbe* Rivale ?

SCENE VIII

LE ROY, CAMILLE, MARCELLIN, FLORISE

LE ROY

Venez, venez vanter le pouvoir de vos yeux,
Valere a ressenty leurs traits victorieux.
Vous me l’ostez, Madame, et quand ma main s’apreste
D’aller de vos mutins dissiper la tempeste,
1035 D’aller mettre à vos pieds vos cruels ennemis,
Vous m’ostez le repos que je vous ay promis.
Est-ce pour m’arracher le seul bien où j’aspire, [p. 47]
Que le Ciel en couroux vous dérobe un Empire ?
Je perdray plus par vous que vous n’avez perdu ;
1040 Si vous perdez un Sceptre, il vous sera rendu ;
Et pour vous consoler d’un destin si contraire,
Vous regnez cependant sur le cœur de Valere.

MARCELLIN

Vous parlez en Amante* au lieu d’agir en Roy.

LE ROY

Les transports de mon Sexe échapent malgré moy :
1045 Mais forçons la fureur dont mon ame est saisie.

CAMILLE à Florise.

Le Roy m’aimeroit-il ? tu vois sa jalousie.
Feignant d’aimer Valere, irritons son amour.

LE ROY

Madame, triomphez au milieu de ma Cour :
Joüissez de ma peine, et de vostre victoire ;
1050 Mais au moins gardez-vous d’oublier vostre gloire ;
Escouter un Sujet, c’est descendre trop bas ;
Et c’est mal ménager l’honneur de tant d’appas.

CAMILLE

Devenez-vous si-tost à vous-méme contraire ?
Vous vantiez ma conqueste, et l’amour de Valere
1055 Vous sembloit racheter la gloire de regner.
Vous paroist-il si-tost un choix à dédaigner ?

LE ROY

J’ay d’abord oublié l’orgueil du Diadéme,
Ce que je dois au Trône, à ma gloire, à vous-méme :
Mais pour me rendre enfin tout ce que je me doy,
1060 Je change de langage, et je vous parle en Roy.
Je me sens obligé d’advertir vostre gloire
De ne se flater*pas d’une indigne victoire :
Je rougirois pour vous, si Valere aujourd’huy
Vous faisoit foiblement descendre jusqu’à luy.

CAMILLE.

[p. 48]
1065 Vous prenez trop de soins*, et leur excés m’étonne*;
J’ay crû qu’ils se bornoient au bien de ma Couronne
Mais à ce que je voy cette nouvelle ardeur
S ’interesse à ma gloire autant qu’à ma grandeur.
Songez que quand le Sort m’oste le rang supréme,
1070 Je doy porter mes yeux plus bas qu’un Diadéme ;
Je l’ay fait, et j’y treuve un choix digne de moy,
Et dequoy me venger de la perte d’un Roy.
Valere peut toucher la vertu* la plus fiere,
Et du rang Souverain l’orgueil le plus severe
1075 Ne s’empressa jamais à demander des Rois,
Quand un si grand Héros se presente à son choix :
Elever jusqu’à nous un merite sublime,
Faire un Roy d’un Sujet, ne fut jamais un crime ;
Et j’aime mieux un choix, à qui l’on sert d’appuy,
1080 Que s’il falloit monter pour aller jusqu’à luy.

LE ROY

Si vous vantez si fort cette belle victoire,
Vous vous ferez sans doute envier tant de gloire.

CAMILLE

On peut me l’envier, mais non pas me l’oster.

LE ROY

Une Reyne s’appreste à vous la disputer.

CAMILLE

1085 Cette Rivale encore ne nous est pas connuë.

LE ROY

Vous la verrez bien-tost forcer sa retenuë,
Et contre vos appas essayer son pouvoir.

CAMILLE

Mais il est temps enfin qu’elle se fasse voir.

LE ROY

Elle se fera voir trop tost pour vostre gloire.

CAMILLE.

[p. 49]
1090 Si vous la secondez à m’oster ma victoire,
J’ay du moins la douceur de rendre un Roy jaloux.

LE ROY

Je le suis, il est vray, mais ce n’est pas de vous.
Je suis jaloux d’un Homme à l’Estat necessaire ;
Je veux garder pour moy tout le cœur de Valere,
1095 L’attacher à mon Trône, et l’interest d’autruy
Ne doit pas m’arracher ce glorieux appuy.

CAMILLE

Hé bien, pour le garder avecque moins de peine,
Sauvez-le promptement des charmes* d’une Reyne ;
Eloignez moy d’icy pour ne hazarder* rien,
1100 Et servez vostre Trône, en me rendant le mien :
Aussi bien l’ennemy commence de paraistre,
Et vous devez enfin aller punir un traistre.
Je voulois tout devoir à vos illustres soins*;
Mais grace à mon destin, je vous doy beaucoup moins ;
1105 Mon depart vous importe, et ces yeux qu’on méprise,
De vostre cher Valere enlevant la franchise*,
Vous menacent au moins, tandis qu’on me retient,
D’oster à vostre Trône un bras qui le soustient.

SCENE IX

MARCELLIN, LE ROY

MARCELLIN

Vous voyez qu’elle agit en Amante* en colere :
1110 Vous, feignez de l’aimer en Rival de Valere ;
D’une Reyne en couroux l’ambitieux desir,
Entre un Sujet et vous, sçaura bien-tost choisir ;
Poussez de feins soûpirs, versez de fausses larmes, [p. 50]
D’un Amant* comme vous elle a senty les charmes*.
1115 Lors que vous la verrez pour vous se declarer,
A Valere irrité vous pourrez vous montrer :
Pour gagner son amour ce moyen est facile.

LE ROY

Soyons donc la Rivale, et l’Amant* de Camille,
Servons un feu caché par de fausses amours.
1120 Amour, fais reüssir ce bizarre secours ;
Si ma feinte à Valere oste une grande Reyne,
Ne punis pas au moins ma flame de sa haine.

Fin du troisième Acte.

[p. 51]

ACTE IV

SCENE PREMIERE

FEDERIC, OCTAVE

FEDERIC

La Princesse s’obstine à conserver un choix
Que Camille a surpris, et retient sous ses loix.

OCTAVE

1125 Laissez à vostre Fils la gloire de luy plaire.

FEDERIC

J’aime encore mon amour un peu plus que Valere.
Quelques soins* que le sang m’inspire pour un Fils,
Que peut-il sur un cœur que l’Amour a surpris ?
C’est luy qui l’a remply de toute sa tendresse ;
1130 J’attache tous mes soins* à gagner la Princesse.
Si mon âge déplaist à des yeux si charmans,
Couvrons sous ma grandeur l’horreur de mes vieux ans ;
Et voyons si ces traits, qu’impriment les années,
Déplaisent sur le front des Testes couronnées.

OCTAVE

1135 La jeunesse, Seigneur, plaist à de jeunes yeux.

FEDERIC

Un vieux Roy peut toucher des cœurs ambitieux.
Allons par ma presence achever l’assemblée ; [p. 52]
La Princesse en doit estre et surprise et troublée ;
Elle croit que je veux, avant tout autre effort,
1140 Aller venger Camille, et relever son sort :
Mais changeant de dessein, je connoy pour ma gloire,
Qu’estant Roy, j’auray plus de part à la victoire ;
Que ce delay pourrait trahir tout mon dessein,
Et que tout est facile avec un Sceptre en main.

OCTAVE

1145 Mais regnant, au feu Roy vous estes infidelle,
Il faut que la Princesse …

FEDERIC

Et c’est aussi pour elle
Que je songe à regner, et conserver la foy
Du serment solemnel qu’il exigea de moy.
Loin de vouloir regner par une perfidie,
1150 A peine un Trône offert me feroit quelque envie :
J’ay vieilly dans les soins* du Trône et des grandeurs.
Je suis las de la pompe, et fatigué d’honneurs ;
Ces titres éclatans n’ont rien qui m’ébloüisse*.
Apprens que Federic … Mais que me veut Fabrice ?

SCENE II

FABRICE, FEDERIC, OCTAVE

FABRICE

1155 Ah! Seigneur, est-ce ainsi qu’on traitte mon amour ?
C’estoit peu que Valere esperât à son tour ;
Ce Roy qui me flatoit*, et trompoit ma tendresse,
Rallume ses soûpirs aupres de la Princesse.
Contre l’amour d’un Roy que peut faire le mien ? [p. 53]

FEDERIC

1160 Je te le dis encor, Fabrice ne crains rien.
Enfin pour ton repos je n’ay qu’un mot à dire ;
Je suis Pere, je t’aime, et cela doit suffire :
De Valere et de toy les vœux sont trop ardens,
Laisse faire à Camille, à Federic, au temps.
1165 Toy va faire ta Charge, et te rens à l’Armée ;
Suspens tous les soucis d’une amour allarmée*;
Avant la fin du jour tu pourras tout sçavoir :
Le temps me presse, adieu ; Va, songe à ton devoir.

SCENE III

FABRICE seul.

Va, songe à ton devoir. Helas! ay-je dans l’ame
1170 Un soucy si pressant que celuy de ma flame ?
Quel devoir m’est plus cher que ce tendre devoir ?
Pourquoy me flatiez*-vous d’un inutile espoir,
Pere et Roy trop cruels ? Si j’estois temeraire,
Si j’aspirois trop haut, mon cœur sçavoit se taire ;
1175 Et mon juste respect* d’un silence eternel
Punissoit en secret un amour criminel.
Pourquoy m’arrachiez-vous à ce profond silence ?
Je ne me plaignois pas d’aimer sans esperance.
S’il vous estoit permis, cruels, de m’en flater*,
1180 Pensez-vous qu’il le soit aussi de me l’oster ?
Et vous, dont la bonté trop sensible à ma peine …
Mais je la voy venir.
[p. 54]

SCENE IV

FABRICE, CAMILLE, FLORISE

FABRICE

Vous voyez, grande Reyne,
Un malheureux Amant* tout d’un coup renversé
De ce Trône de gloire où vous l’aviez placé.
1185 Heureux par vostre aveu*, malgré l’espoir d’un Frere,
Ravy de vos bontez, et de celles d’un Pere,
Accablé de bonheur, je n’en puis retenir
Que la seule memoire; et c’est pour m’en punir.
Je soûtenois trop mal un espoir trop sublime,
1190 Le Roy, qui m’en flatoit*, a reconnu son crime ;
D’un remors amoureux tous ses sens transportez,
J’ay veu ce grand Monarque adorer vos beautez.
Cet excés étonnant* d’ardeur et de tendresse
Dans ce prompt changement étonne* ma foiblesse ;
1195 Et surpris d’un retour qui vous est glorieux,
J’admire en soûpirant le pouvoir de vos yeux.

CAMILLE

J’ay bien crû que Fabrice en prendroit quelque allarme*;
Mais pensez-vous qu’un Roy, d’un soûpir, d’une larme,
Que laissent échapper d’inconstantes ardeurs,
1200 Efface tout d’un coup ses ingrates froideurs ?
Un si tendre retour a droict de me surprendre ;
Mais mon cœur s’en defend, et je viens vous l’aprendre.
Ces bizarres transports, cette inégalité*,
M’asseurent mal d’un feu dont j’ay tousjours douté.

FABRICE.

[p. 55]
1205 Ah! c’est trop me flater* dans ma trop juste crainte ;
L’amour de ce grand Roy ne vient point de la feinte ;
Et c’est trop de bonté, de vouloir à mes feux
Déguiser par pitié la gloire de vos yeux :
Mais en vain vous voulez dissiper mes allarmes*;
1210 Madame, je connois le destin de vos charmes*:
Rendez, rendez au Roy toute vostre amitié*;
Vous me donnerez trop, si j’ay vostre pitié.
Du moins dans mon malheur j’auray cet avantage
De m’attacher à vous par un double esclavage ;
1215 Ma flame et mon devoir n’ayans qu’un mesme objet,
L’un vous donne un Captif, comme l’autre un Sujet.
Madame, quelquefois de ce Trône adorable
Daignez jetter les yeux sur ce cœur miserable ;
Et sans que vostre amour puisse rougir du sien,
1220 Souffrez luy des soûpirs qui n’aspirent à rien.

CAMILLE

Florise, sa douleur a pour moy tant de charmes*,
Que mon orgueil est foible à retenir mes larmes.
Ah! Fabrice, c’est trop, cachez moy des douleurs
Plus fortes sur mes sens que mes propres malheurs.
1225 C’est vous en dire assez ; et le sort qui m’outrage
M’oste la liberté d’en dire davantage.

FABRICE

Graces à mes malheurs, j’en suis trop glorieux,
Puis qu’ils ont fait sortir des pleurs de ces beaux yeux ;
Puis qu’à mes déplaisirs* ma Reyne s’interesse,
1230 Au moins le Roy n’a pas toute vostre tendresse.
C’est assez, et c’est trop pour cet infortuné ;
Par ce trait de pitié que vous m’avez donné,
Vous avez de mes maux calmé la violence ;
Malgré mon desespoir, j’en prens quelque esperance ;
1235 Et sans examiner quel est ce foible espoir, [p. 56]
Je vay pour vous servir me rendre à mon devoir.
Quoy qu’il puisse arriver, au moins j’auray la gloire
De servir mon amour, d’aider vostre victoire,
Et peut-estre d’avoir un destin assez doux,
1240 Que de vous rendre un Trône en expirant pour vous.
J’ose au moins esperer sur la foy de vos larmes,
Que si ma vie enfin tombe parmy les armes,
Ces beaux yeux qui déja pleurent mon triste sort,
Donneront une larme au recit de ma mort.
1245 Adieu, Madame.

CAMILLE

Adieu. Si le Ciel, cher Fabrice,
Exauce tous mes vœux, il vous fera justice.

SCENE V

CAMILLE, FLORISE

FLORISE

Quoy, ce cœur qui tantost sembloit si genereux,
Va quitter pour Fabrice un Monarque amoureux,
Et dement tout d’un coup l’orgueil d’une Princesse ?

CAMILLE

1250 Je doy te l’avoüer ; Fabrice a ma tendresse,
Et sans ce fier orgueil qui contraint mes desirs,
Le genereux Fabrice auroit tous mes soûpirs :
Mais quelque instinct pour luy que mon astre me donne,
Tousjours mon premier soin* se doit à ma Couronne.
1255 Pour regagner ma place, il faut aux yeux de tous,
Que mon cœur pres du Roy force un penchant si doux ;
Et que mon Trône à bas, qu’un Tyran me dispute,    [ [p. 57] ]
Employe un autre Trône à relever sa chute.
Destin, pour me venger des maux où je me voy,
1260 Que n’as-tu mis Fabrice à la place du Roy ?
Ou puis qu’enfin un Roy m’en doit faire justice,
Que ne luy donnes-tu tout l’amour de Fabrice ?

FLORISE

Le Roy vient de montrer une si belle ardeur.

CAMILLE

Tu vas voir à ses feux succeder sa froideur.

FLORISE

1265 Non, non ; mais vous verrez si pres d’une victoire,
Qui vous va rendre un Sceptre, et toute vostre gloire,
Son amour menacé de vostre éloignement,
S’éveiller, s’empresser dans ce fatal moment,
Et voulant s’épargner le déplaisir* extréme …
1270 Mais le voicy qui vient vous l’expliquer luy-méme.

SCENE VI

LE ROY, CAMILLE, FLORISE

LE ROY

Madame, je reviens ou toucher vostre cœur,
Ou mourir à vos pieds d’amour et de douleur.
Quand contre vos mutins pressant vostre vengeance,
Je vay vaincre, et vainqueur craindre pour vostre absence,
1275 Pour retenir un bien dont mon cœur est jaloux,
Mon cœur laisse échaper tout ce qu’il sent pour vous.
J’atteste de l’Amour la puissance supréme,
Que rien n’est comparable à mon ardeur extréme :
Que ce Dieu de nos cœurs tient sous vostre pouvoir [p. 58]
1280 Tout mon sort, tout mon bien, et mon plus doux espoir.
Vous estes tout l’appuy de ce cœur miserable ;
Le Dieu de mon amour est-il impitoyable ?
Et fera-t’il périr l’espoir de mes desirs,
Le fruit de tant de maux, et de tant de soûpirs ?

CAMILLE

1285 Florise, j’aurois tort de douter de sa flame.

LE ROY

Ah! si vous connoissiez les tourmens de mon ame,
Vous ne laisseriez pas, malgré tout mon pouvoir,
Au bienheureux Valere un glorieux espoir.
A ce nom je rougis de dépit et de honte,
1290 Je rougis quand je voy qu’un Sujet me surmonte.
Si vous aviez pour luy cette extréme rigueur,
Vous seriez moins aimée, et je serois sans peur.
Vous ne me dites rien ?

CAMILLE

Que pourray-je vous dire ?
Quand je vois un grand Roy qui brûle et qui soûpire,
1295 Il n’est pas malaisé d’expliquer mes desirs,
Si j’ose en ma faveur expliquer vos soûpirs.

LE ROY

En vain d’un doux espoir vous me flatez*, Madame,
Si Valere ose encor pretendre à vostre flame ;
Je doy vous l’avoüer, Valere a des appas,
1300 Des Reynes comme vous ne s’en defendent pas ;
On peut l’aimer sans honte ; et si j’estois Princesse,
Je me pardonnerois cette digne foiblesse.
Je ne veux point icy surprendre vostre cœur ;
J’implore pour ce choix toute vostre faveur ;
1305 Et tout Roy que je suis, ce grand Rival m’étonne*.

CAMILLE

Qu’est-ce qui vous fait craindre un Rival sans Couronne ?
Parce que vous l’aimez, présumez vous, Seigneur, [p. 59]
Que nous avons pour luy mémes yeux, méme cœur ?
Ce qui vous ébloüit* n’a rien qui me surprenne,
1310 Et vous connoissez mal la fierté d’une Reyne.
Je vay par tant d’orgueil rabatre ses soûpirs,
Qu’il pourra vous venger de tous vos déplaisirs*.

LE ROY

Allez, Madame, allez ; et moy plein d’esperance,
Je vay d’un prompt effort haster vostre vengeance.

SCENE VII

LE ROY seul.

1315 Pardonne, cher Valere, à ce déguisement ;
Je t’arrache une Reyne, ambitieux Amant*:
Mais je te rens aussi Couronne pour Couronne.
Je te rens encor plus, moy-méme je me donne.
Camille n’aime en toy que la faveur d’un Roy ;
1320 Elle aime son vengeur, et je n’aime que toy ;
Elle songe à regner, et je songe à te plaire ;
Elle aime ton pouvoir, je n’aime que Valere.

SCENE VIII

LE ROY, MARCELLIN

LE ROY

Marcellin, c’en est fait ; et Camille est pour moy ;
Valere est dans son cœur trop foible contre un Roy ;
1325 Je n’ay plus rien à craindre, il est temps de paroistre. [p. 60]

MARCELLIN

En vain vous cacheriez ce qu’on vient de connoistre :
Madame, en plein Conseil l’Admiral a tout dit.
Mais vous sçavez quel est son zele, et son credit ;
Federic est pour vous ; cessez d’estre surprise.

LE ROY

1330 Quoy, sans m’en advertir, presser cette entreprise ?
J’ay crû qu’on s’assembloit pour le prochain combat.

MARCELLIN

Il a trouvé le temps propre à ce grand éclat.

LE ROY

Son zele m’est connu ; cessons, cessons de craindre ;
Regnons sans imposture, aimons sans nous contraindre ;
1335 Allons sans plus tarder mettre ma flame au jour.
Et couronner enfin Valere, et mon amour.
Mais quel trouble s’oppose aux ardeurs de ma flame ?

MARCELLIN

Qu’est-ce qui vous retient ? que tardez-vous, Madame ?

LE ROY

Je sens je suis Reyne en ce fatal instant ;
1340 Et me voyant enfin sur ce Trône éclatant,
Veux-tu que j’aille dire à mon Sujet que j’aime ?
Reyne, à quoy pensois-tu ? mon cœur, rentre en toy-méme.
Tandis que la Couronne a paru devant moy,
Comme un bien usurpé qui demandoit un Roy,
1345 Dans ce déguisement à moy-méme contraire,
J’ay descendu plus bas qu’une Femme ordinaire ;
Et sans m’examiner, aussi-tost un Sujet
M’a paru de mon choix un assez digne objet ;
Mais me voyant sans feinte au rang de Souveraine,
1350 Tout mon cœur se remplit de sentimens de Reyne ;
Il se retire enfin par les mains du devoir, [p. 61]
Comme d’un grand abyme, en l’amour l’a fait choir.
Du beau feu de regner mon ame est embrasée,
J’estois Fille en effet en Prince déguisée ;
1355 Mais renversant en moy tous ces déguisemens,
Il me vient maintenant de mâles sentimens ;
Et quand mon foible Sexe est forcé de parestre,
Je me sens devenir ce que je cesse d’estre.

MARCELLIN

Mais vaincrez-vous un feu si long-temps combatu ?

LE ROY

1360 Je ne te répons pas de ma foible vertu*;
J’en auray pour le moins pour garder le silence.

MARCELLIN

A Valere déja j’en ay fait confidence ;
J’ay crû vous obliger par ce zele indiscret.

LE ROY

Qu’as-tu fait ? A Valere ouvrir ce grand secret ?

MARCELLIN

1365 Tout estant découvert, j’ay crû le pouvoir faire ;
Mais si je l’ay flaté* d’un bien imaginaire,
Je vay le détromper.

LE ROY

Arreste, Marcellin,
Je voy bien qu’il faudra se rendre à mon destin,
Et que j’oppose en vain mon orgueil à ma flame.
1370 Je te diray bien plus, je sens déja mon ame
D’un scrupuleux devoir affranchir mes soûpirs ;
Cet orgueil ennemy de mes tendres desirs
Murmure foiblement contre un cœur qui soûpire,
Quand il peut s’épargner la honte de le dire ;
1375 Et qu’enfin ton aveu* soulage ma pudeur
De l’indigne soucy d’expliquer mon ardeur.
[p. 62]

SCENE IX

VALERE, LE ROY, MARCELLIN

VALERE comme parlant à Camille.

Madame, triomphez sur l’espoir qui vous flate*;
Le Ciel venge ma gloire, et punit une ingrate ;
Et mon ambition, par un change* bien doux,
1380 Va retrouver ailleurs plus qu’il ne perd en vous.

LE ROY

Ah! tout mon cœur s’émeut à l’aspect* de Valere.

VALERE

Dois-je croire au rapport que l’on vient de me faire ?
Madame, se peut-il que mes yeux et mon cœur
Se soient laisser charmer* d’une si longue erreur ?
1385 D’un sort si surprenant la merveille* étonnante*
Rend mes sens incertains, et ma foy chancelante.
Mais puis-je encor douter, voyant briller en vous
Tout ce que le beau Sexe a de charmes* pour nous ?

LE ROY

Il n’en faut plus douter, ma bouche vous l’assure.

VALERE

1390 J’admire vostre sort ; mais dans cette avanture
Un prodige plus grand fait mon étonnement*:
Quand je découvre en vous un objet si charmant*,
Un merveilleux* transport suit cette connoissance ;
J’en prens … mais mon respect* me condamne au silence.

LE ROY

1395 Parlez, parlez, Valere, et me faites sçavoir
Si Camille tousjours est vostre unique espoir.

VALERE.

[p. 63]
A la faveur d’un Roy je préferois Camille ;
Mais quand je vous connois, ce choix est bien facile :
Me pardonnerez vous l’ingrate ambition
1400 Qui répondoit si mal à vostre affection ?
Apres des sentimens dignes de votre haine,
Puis-je encor meriter les bontez de ma Reyne ?
Et quand j’ose songer à ce tendre courroux,
Que vous faisiez tantost éclater contre nous,
1405 Puis-je esperer en vous, pour comble de surprise,
Cette Reyne à mes vœux par vous-méme promise ?
Mais las! vous vous troublez, Madame, pardonnez
Des transports qu’en secret j’ay déja condamnez.
Ah! cruel Marcellin, est-ce ainsi qu’on me joue ?

LE ROY

1410 Non, Valere; et bien loin que je le desavouë,
Il m’épargne un aveu* qui m’auroit trop cousté ;
Je ne vous cache rien sous ce Sexe emprunté ;
Et comme si j’estois à moy-méme inconnuë,
Mon Sexe sous cette ombre a moins de retenuë.
1415 Oüy, Valere, ce Roy capricieux, jaloux,
Qui tantost s’expliquoit pour vous, et contre vous,
Sous des transports meslez de tendresse et de haine,
Vous cachoit malgré moy l’amitié* d’une Reyne.
Mais il est temps enfin d’expliquer ce grand feu,
1420 Mon orgueil me doit bien pardonner cet aveu*:
Six ans entiers d’ennuis*, de crainte, et de silence,
Ont sans doute à ma flame acquis cette licence.

VALERE

J’accepte avec transport ce surprenant espoir.
Donc, Madame, six ans n’ont pû me faire voir
1425 Ce Trône glorieux que j’avois dans vostre ame ;
Je cherchois une Reyne, et j’avois vostre flame ;
J’ignorois ma fortune estant dans vostre cœur ; [p. 64]
Et j’estois malheureux avec tant de bonheur.
Pourquoy me laissiez-vous, adorable Princesse,
1430 Dans un aveuglement fatal à ma tendresse ?
Qu’il m’a fait perdre ailleurs de soins*, et de soûpirs,
Et qu’une telle erreur m’a volé de plaisirs!
Ah! si depuis le temps que vous n’osez paroistre …

SCENE X

LE ROY, OCTAVE, VALERE, MARCELLIN

LE ROY

Quel est ce trouble, Octave ?

OCTAVE

On vient de vous connoistre.

VALERE

1435 Ce mal est-il si grand ?

OCTAVE

Ah! Seigneur.

LE ROY

Qu’est-ce enfin ?

OCTAVE

Vous cessez de regner en changeant de destin.

LE ROY

O Ciel!

VALERE

Qu’entens-je ?

OCTAVE

En vain par faveur, par adresse,
Federic veut gagner le Peuple, et la Noblesse ;
En vain il a vanté le seul sang de nos Rois ;
1440 Tout le monde s’attache à la rigueur des Loix. [p. 65]

VALERE

Hé! qu’a fait Federic contre un Peuple rebelle ?

OCTAVE

Il a perdu ses soins*, son credit, et son zele.

LE ROY

Le Sort qui vous flatoit*, s’obstine à vous trahir ;
Valere, et vostre espoir, vient de s’évanoüir.
1445 Vous aimiez une Reyne, et je cesse de l’estre.

VALERE

Non, non, vous regnerez, et vous serez sans Maistre :
Madame, cette Loy n’est pas faite pour vous ;
Et si de ces abus nos Peres trop jaloux
Eussent pû jusqu’à vous porter leur connoissance,
1450 Vostre Sexe auroit part à la Toute-puissance.
Ou dans le choix des Roys le Ciel n’a point de part,
Et ce supréme rang n’est qu’un don du hazard*;
Ou bien tant de vertus* meritent la Couronne ;
En dépit de vos Loix ce titre vous la donne.
1455 Ah! si l’on connoissoit l’aimable authorité
Qu’exerce la Vertu* jointe à tant de beauté,
Nostre Sexe auroit moins de pouvoir en Sicile.
Le beau Sexe est traitté de foible, et d’imbécile ;
Mais le Sceptre des Roys, le Timon des Estats,
1460 Se doit-il gouverner par la force des bras ?
L’adresse, non la force, évite la tempeste,
Et le bras sur le Trône agit moins que la teste.
Mais qui destine-t’on au Trône de nos Rois ?

OCTAVE

J’ay laissé le Conseil opinant sur ce choix ;
1465 Et comme j’en sortois, la nouvelle est venuë
Que déja l’ennemy s’offroit à nostre veuë,
Que Roger approchoit, et menaçoit nos bords*,
Et qu’il falloit enfin prévenir* ses efforts,
Avant que de songer à se choisir un Maistre. [p. 66]

VALERE

1470 Meure quiconque aura l’ambition de l’estre :
Que l’Estat ébranlé par ses grands mouvemens
Se renverse aujourd’huy jusqu’à ses fondemens,
Avant que de souffrir qu’un autre ose y pretendre.
Tombe le Trône enfin, s’il vous en faut descendre.
1475 Mais pour mieux preparer ce glorieux éclat,
Allons contre Roger tenter ce grand combat ;
Et de ce bras vengeur du Trône de Camille,
Je reviens vous placer dans celuy de Sicile.

LE ROY

Je prise peu ce rang, si Valere est pour moy ;
1480 Mais Valere perd tout, à moins que d’estre Roy.

VALERE

C’est pour vous seulement que j’en cherche la gloire.

LE ROY

Camille pour regner n’attend qu’une victoire.

VALERE

Camille en me quittant est trop à dédaigner ;
Et je vay la servir, pour vous faire regner.

LE ROY

1485 Mais ayez soin*des jours plus chers que mon Empire.

VALERE

Mes jours me sont moins chers que le bien où j’aspire.

LE ROY

De vos seuls interests tout mon cœur est jaloux.

VALERE

Je ne veux vivre, vaincre, et mourir que pour vous.

Fin du quatrième Acte.

[p. 67]

ACTE V

SCENE PREMIERE

MARCELLIN, CAMILLE, FLORISE

MARCELLIN

C’est à quoy l’obligeoit la Puissance supréme ;
1490 Yoland est son nom, et bien-tost elle-méme
Viendra vous excuser un tel déguisement.

CAMILLE

Pour son seul interest je m’en plains seulement,
Puis qu’enfin Federic en a tout l’avantage.

MARCELLIN

Il regne dans ces lieux par le commun suffrage ;
1495 Mais lors que le Conseil précipite ce choix,
Pour appaiser le Peuple, on obeït aux Loix.
Si pres d’un grand combat ayant besoin d’un Maistre …

CAMILLE

Il en usera bien, estant digne de l’estre.
Va, dis luy de ma part que je plains son malheur.
[p. 68]

SCENE II

CAMILLE, FLORISE

CAMILLE

1500 Helas! je sens le mien avec plus de douleur.
Que de trouble, Florise! Un Roy cesse de l’estre ;
On donne une Bataille, on change icy de Maistre ;
Je trouve une Princesse où j’avois un Amant*;
Un jour peut-il produire un si grand changement ?
1505 Tu me faisois, Fortune, un peu trop de caresses,
Pour ne soupçonner pas tes perfides tendresses ;
Et ce dernier effet de tes vœux inconstans,
Me force de douter du succés que j’attens.
En esperant un Roy, j’esperois la victoire ;
1510 Ce Roy s’évanouït, je tremble pour ma gloire ;
Et reglant mon espoir sur un tel changement,
D’un combat hazardeux* je crains l’évenement.

FLORISE

Par là le Sort vous fait une foible menace ;
D’un Roy qui vous vengeoit, Federic prend la place ;
1515 Pour le bras d’une Fille, il vous offre le sien ;
Recouvrez vostre Empire, et le reste n’est rien.
Ses deux illustres Fils aident vostre victoire ;
L’un le doit pour sa flame, et l’autre pour sa gloire :
Vous sçavez que Fabrice a tant d’ardeur pour vous …

CAMILLE

1520 Je le sçais, et j’en sens un transport assez doux ;
Je sens que c’est un bien que mon malheur me laisse,
De pouvoir me livrer à toute ma tendresse.
Fabrice en ce moment devenu Fils de Roy
Me paroist plus aimable, estant plus pres de moy ;
1525 Et mon orgueil luy-mesme ouvre toute mon ame [p. 69]
A l’apparent éclat d’une si belle flame :
Déja ce grand amour est si fort sur mon cœur,
Que je crains … mais il vient, et peut-estre en vainqueur.

SCENE III

FABRICE, CAMILLE, FLORISE

FABRICE

Madame, c’en est fait, vous avez la victoire ;
1530 Au bras d’un nouveau Roy vous devez cette gloire ;
Nous l’avons veu combattre avec tant de chaleur,
Que ses Fils ont souvent rougy de sa valeur.
Il sembloit que pour vous il ressentoit ces flames
Dont Mars avec l’Amour brule les belles ames ;
1535 Qu’il avoit mes ardeurs, et qu’un plus grand espoir
Que la gloire de vaincre, animoit son devoir.
Il a voulu sans doute, en vengeant une Reyne,
Montrer qu’il meritoit la grandeur Souveraine ;
Et qu’il fallait devoir la grandeur de ce choix,
1540 A sa vertu*, plustost qu’à la faveur des Loix.
Mais, Madame, au milieu d’une grande victoire,
Qui sur tout nostre sang fait tomber tant de gloire,
Quand je puis m’applaudir du bonheur sans égal
Qui couronne mon Pere, et m’oste un grand Rival ;
1545 Parmy tant de douceurs que le Ciel nous envoye,
C’est vostre seul bonheur qui fait toute ma joye.

CAMILLE

Prince, vostre bonheur me touche également ;
Et pour ne rien cacher d’un si doux sentiment,
Je dois vous avoüer, qu’icy toute ma gloire, [p. 70]
1550 Qu’icy le plus beau prix qui suit cette victoire,
Est de me voir par vous, et pour vostre bonheur,
Reyne de ma fortune ainsi que de mon cœur.
Voyez par quels moyens vostre gloire s’acheve,
Par quel chemin le Sort jusqu’à moy vous éleve ;
1555 Il me chasse du Trône, il me mene en ces lieux,
Il me fait voir en vous un appuy glorieux ;
Il flechit mon orgueil avec vostre tendresse ;
D’un Roy vostre Rival il fait une Princesse ;
Il fait de vostre Pere un Monarque, un vainqueur,
1560 Et par ces beaux degrez il vous met dans mon cœur.

FABRICE

Ah! Madame, est-il vray ce que je viens d’entendre ?
Jusqu’à cette bonté ma Reyne a pû descendre ?

CAMILLE

Mais puis-je vous donner mon Trône avec mon cœur ?
Et puis-je pleinement m’asseurer ce bonheur ?

FABRICE

1565 Roger estant défait, tout vous devient facile.
Des Deputez de Naple ont abordé cette Isle,
Qui regardant de loin le succés du combat,
Viennent pour se soûmettre au nom de tout l’Estat.
Le Roy dessus le Port les tient en conference ;
1570 Que vous faut-il encor apres cette asseurance ?
Mais il paroist, Madame, et vous allez sçavoir
Tout ce qu’ont fait pour vous son zele et son devoir.
[p. 71]

SCENE IV

CAMILLE, FEDERIC, FABRICE, FLORISE

CAMILLE

Par quels remercimens faut-il que je m’acquitte ?
Seigneur, ce que le Ciel donne à vostre merite,
1575 Ce Trône dont il a prévenu vos exploits,
Suffit-il pour payer celuy que je vous dois ?

FEDERIC

La Fortune m’accable; et peut-estre, Princesse,
Répondra-t’elle mal au desir qui me presse ?
Au moment qu’ elle rend tous mes desirs contens,
1580 Je crains sa trahison sur un bien que j’attens :
Mais quelques biens enfin que m’offre la Fortune,
Il faudra qu’entre nous la gloire en soit commune.
Cependant, apprenez quel est nostre bonheur.
A peine aux yeux de tous les Loix et la faveur
1585 M’avoient en plein Conseil accordé la Couronne ;
Qu’alarmé* tout d’un coup sur un bruit qui m’étonne*,
Que le hardy Roger venoit fondre sur nous,
Je cours à nos Vaisseaux plein d’un ardent couroux,
J’anime tous nos Chefs contre cette insolence.
1590 Desja mes deux Enfans brulans d’impatience,
Avoient tout disposé pour ce combat naval,
Et n’attendoient de moy que l’ordre et le signal.
Roger, quoy qu’asseuré qu’on ne peutnous surprendre,
Songe à nous attaquer plustost qu’à se defendre ;
1595 Et comme se flatant* d’un succés glorieux,
Il pousse avec les siens des cris victorieux.
Nous allons tous à luy ; mes deux Fils me secondent ;
A l’espoir que j’en ay leurs courages répondent :
D’abord nous accrochons son vaste Galion, [p. 72]
1600 Comme le Trône affreux de la rebellion.
Nous entrons, et forçons toute la resistance
Des premiers que Roger commet à sa defense.
Là Roger seul fait ferme, abat plusieurs des miens.
La valeur, qui par tout abandonne les siens,
1605 Semble se retirer au cœur de ce rebelle.
O toy qui d’une Femme embrasses la querelle,
Ose seul m’attaquer (me dit-il fierement)
Je répons à sa voix par des coups seulement.
Il se defend si bien, que d’abord j’ose croire
1610 Que sa défaite enfin me vaudroit quelque gloire :
Je redouble mes coups; luy se sentant blessé,
M’approche, me saisit, et me tient embrassé ;
Jusqu’au bord du tillac son desespoir m’entraine :
A ce Monstre mourant je m’arrache avec peine ;
1615 Luy qui craint d’estre pris, s’élance dedans l’eau,
Et son orgueil périt dans ce vaste tombeau.

CAMILLE

C’est par ce dernier coup que vous vengez ma gloire.

FEDERIC

Mais voyez ce qui suit cette grande victoire.
Au nom de vos Subjets ils députent vers moy ;
1620 Et me voyant vainqueur, ils me veulent pour Roy.
Quoy! vous vous alarmez*, ce discours vous étonne*.

CAMILLE

Non, non, vostre valeur a conquis ma Couronne ;
Le droict d’en disposer, Seigneur, n’est plus à moy.

FEDERIC

Mais est-ce à vos Subjets à se choisir un Roy ?
1625 Est-ce à moy de joüir d’une telle injustice ?
C’est de leur politique un grossier artifice,
Qui pour mettre à couvert de lâches revoltez,
Contre vostre pouvoir cherchent ces seuretez.

CAMILLE.

[p. 73]
Vostre haute vertu* se fait par tout connaistre ;
1630 Mais souffrez ( car enfin vous en estes le Maistre)
Que puis qu’à vos Estats il faut donner un Roy,
J’en fasse un aujourd’huy pour regner avec moy.
En refusant pour vous l’offre d’un Diadéme,
Ne le refusez pas pour un autre vous-méme,
1635 Mon Estat et mon cœur me demandant ce choix ;
Et c’est dans vostre sang qu’il faut choisir des Rois.

FEDERIC

Ah! qu’un si digne aveu*… Mais j’aperçoy Valere.

SCENE V

FEDERIC, VALERE, CAMILLE, FABRICE, FLORISE

FEDERIC

Viens, approche mon Fils, et d’une main si chere
De ton illustre amour vient recevoir le prix.
1640 Quoy, je vous voy tous trois également surpris ?

CAMILLE

Ah! Seigneur, permettez …

VALERE

Ne craignez rien, Madame.
Vous sçavez quel estoit le motif de ma flame ;
Apres vos traittemens, dont je suis trop confus,
Je sçauray prévenir* la honte d’un refus.
1645 Oüy, cette grande Reyne enfin s’est fait justice,
Seigneur, et son amour me préfere Fabrice :
Mais j’ay dans ce moment, si vous y consentez,
Dequoy me consoler de toutes ses fiertez.

FABRICE bas.

Que j’aime son couroux!

FEDERIC

Ah! mon Fils. Ah! Madame.
1650 Quel est donc mon espoir ? [p. 74]

CAMILLE

Quel soin* trouble vostre ame ?
Fabrice comme luy n’est-il pas vostre sang ?
Seigneur, en sa faveur disposez de mon rang ;
Je vois avec plaisir l’ambitieux Valere
Ceder une Couronne en faveur de son Frere.

VALERE

1655 Je vois avec plaisir que mon Frere a dequoy
Consoler vostre orgueil de la perte d’un Roy.

CAMILLE

Il suffit que Fabrice a merité de l’estre ;
J’aime mieux faire un Roy, qu’avoir un Roy pour Maistre.

VALERE

Dans le choix que j’ay fait je trouve tant d’appas …

CAMILLE

1660 Mais avoüez au moins qu’un Trône n’en est pas.

VALERE

A tant d’appas le Roy sera juste et fidele ;
Il doit tout à ma Reyne, et n’est Roy que pour elle.

FEDERIC

Je luy doy tout, mon Fils, bas et c’est là ton malheur :
Mais il est temps enfin de le tirer d’erreur.
1665 Mon Fils … Mais j’aperçoy le sujet de ma flame.

SCENE DERNIERE

YOLAND, CAMILLE, FEDERIC, VALERE, FABRICE, MARCELLIN, FLORISE

YOLAND à Camille.

Me pardonnerez-vous …

CAMILLE

Oublions tout, Madame.

YOLAND.

[p. 75]
Vous me voyez encor sous ce déguisement ;
Honteuse de souffrir un triste changement,
Je me cache à moy-méme …

FEDERIC

Excusez, grande Reyne …

YOLAND

1670 Me rendez-vous déja le nom de Souveraine ?
Monté dans ce haut rang par vostre propre choix,
Plustost que par le droict que vous donnent les Loix ;
En faites-vous si-tost un départ volontaire ?
Parlez, quel jugement enfin en dois-je faire ?
1675 Dois-je honorer en vous cette grande action,
Et donner un beau nom à vostre ambition ?

FEDERIC

Vous le pouvez, Madame, et mon obeïssance
S’est conservée entière avec tant de puissance.
Par mes profonds respects*, Madame, connoissez …

YOLAND

1680 Je vous connois enfin, Federic, c’est assez.
Que ne vous dois-je point ?

VALERE

Tu triomphes, ma flame.

FEDERIC

Vous ne me devez rien, connoissez mieux mon ame.
Je devrois en cedant le souverain pouvoir,
Le rendre tout entier à mon juste devoir ;
1685 Au respect du serment, au bonheur de l’Empire ;
Et peut-estre ce cœur (il est temps de le dire)
Oüy peut-estre ce cœur qui cede un bien si doux,
Ne le rend qu’à l’espoir de regner avec vous.

VALERE

O Ciel!

YOLAND

Quoy ? Federic.

FEDERIC.

[p. 76]
Ne croyez pas, Madame,
1690 Que trop ambitieux, j’aspire à vostre flame.
Si je l’avois esté, mon rang et mon employ,
Depuis que vous regnez, m’auroient pû faire Roy.
Naples m’offre son Trône apres une victoire ;
A Camille, à mon Fils, j’en veux ceder la gloire ;
1695 Et vous pouvez juger apres cette action,
Si mon cœur a brulé de quelque ambition.
Vous sçavez que ce feu qui jamais ne s’arreste,
Peut par le crime méme aller à sa conqueste ;
Et qu’un cœur embrasé par un si vaste espoir,
1700 Ne se refuse rien, quand il peut tout avoir.
Mais j’avois pour le Trône un feu plus legitime,
J’y monte par la gloire, et non pas par le crime,
Et ne m’offre en ce rang aux yeux qui m’ont charmé*,
Que par l’ambition d’aimer et d’estre aimé.
1705 J’ay crû que n’ayant rien dans mon peu de merite,
Dont la voix aujourd’huy pour moy vous sollicite,
Qu’il falloit emprunter un attrait plus puissant,
Et couvrir cet espoir sous un charme* innocent.
J’ay crû qu’une Couronne en soustiendroit l’audace,
1710 Et qu’à vous l’expliquer j’aurois mauvaise grace,
Si le premier soûpir qui vous montre ma foy,
Ne sortoit de mon cœur par la bouche d’un Roy.

YOLAND

C’est là le beau pretexte, et le noble artifice
De vostre ambition, et de vostre injustice.
1715 Ces éclats de vertu* que vous m’avez fait voir,
N’avoient donc d’autre but qu’un si superbe* espoir ?
Car enfin vous sçavez que j’ay choisi Valere.
Hé bien, regnez; gardez le Trône de mon Pere;
Gardez par des sermens indignement trahis,
1720 Un rang que mon amour gardoit pour vostre Fils.
De mon mauvais destin triomphe, cher Valere, [p. 77]
Aime moy sans Couronne, et fais rougir ton Pere ;
Je beniray du Sort l’aimable trahison,
Si du Trône mon cœur te peut faire raison.

VALERE

1725 Madame, j’ay pour vous un respect trop sincere,
Pour vous cacher icy qu’un Trône a pu me plaire ;
Et qu’un autre qu’un Pere apprendroit aujourd’huy
Que qui perd ce haut rang, peut tout perdre avec luy.
Mais preferé par vous à la Couronne offerte,
1730 Je puis par vostre amour reparer cette perte ;
Et si vous n’estiez pas mon espoir le plus doux,
Je me croirois indigne et du Trône, et de vous.
A Cam.
Madame, triomphez du Sort qui nous outrage ;
Vous Fabrice, regnez, quand j’en perds l’avantage.
1735 Je borne mes desirs à ce choix glorieux.

FABRICE

Ce choix peut contenter les plus ambitieux.

FEDERIC

Ciel! qu’est-ce que je vois ? nostre grande Princesse
Prefere à sa fortune une indigne tendresse ?
Elle fait d’un Empire un genereux mépris,
1740 Et mon Trône vaut moins que l’amour de mon Fils.

YOLAND

A cent Trônes mon cœur préfereroit Valere.
Ne soyez point jaloux d’un Fils qu’on vous préfere ;
Il est glorieux d’avoir donné le jour
A qui sçait mieux qu’un Roy meriter mon amour.

FEDERIC

1745 Mon Fils, et vostre amour, n’auront pas la victoire ;
Ce cœur qui fut tousjours amoureux de la gloire,
Qui du Trône et de vous ne se sent enflamé
Que pour avoir enfin la gloire d’estre aimé,
Ne leur cedera point en merite, en courage :
1750 Je puis de vostre amour perdre tout l’avantage ;
Mais j’auray, si je perds l’espoir de vous charmer*, [p. 78]
La gloire au moins d’aimer autant qu’on peut aimer.
Par un beau sentiment digne d’une Couronne,
Vostre amour me la cede, et le mien vous la donne.
1755 Icy, devoir, serment, rien n’y peut m’obliger ;
En vous offrant mon rang, j’ay sçeu m’en dégager.
J’écoute seulement la gloire de ma flame :
Toute sorte de gloire a contenté mon ame,
La gloire des emplois, des grandeurs, des combats,
1760 Celle de bien aimer ne m’échapera pas.
Regnez, regnez, Madame, et pour regner sans peine,
Recevez de mon Fils la qualité de Reyne ;
Et puis que le beau Sexe est sujet parmy nous,
Vous regnerez par luy, comme il regne par vous.

YOLAND

1765 Ah! d’un si digne Fils illustre et digne Pere.

VALERE

Ah! Roy trop genereux. Ah! trop heureux Valere.

FABRICE

Ah! Seigneur.

CAMILLE

Vous comblez nos souhaits les plus doux.

YOLAND

N’estoit-ce pas assez de regner apres vous ?

FEDERIC

Non, non, je puis regner en un autre moy-mesme ;
1770 Puis que mon Fils vous aime autant que je vous aime,
Souffrez que mes transports s’expliquent par les siens,
Prenez dans ses soûpirs tout l’hommage des miens.
Vous, mes Fils, rendez-vous dignes de ces Princesses,
Meritez leurs grandeurs ainsi que leurs tendresses ;
1775 Je seray trop heureux de me voir par mon choix,
Et par vostre vertu*, Pere de deux grands Rois.
A Fab.
Vous, au Trône de Naple allez placer Camille,
A Val.
Vous, montrez nostre Reyne aux Peuples de Sicile.

FIN.

Extrait du Privilege du Roy.

Par Grâce et Privilège du Roy, Donné à Paris le 15. Fevrier 1660. Signé, Par le Roy en son Conseil, IVSTEL ; Il est permis à Charles de Sercy Marchand à Paris, d’imprimer, vendre et débiter une Pièce de Théâtre imtitulée, FEDERIC, en telle marge et en tel caractère que bon luy semblera, et ce durant le temps de sept ans. Et defenses sont faites à tous autres de l’imprimer ou faire imprimer, sans le consentement de l’exposant, à confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests, ainsi que plus au long il est porté audit Privilege.

Registré sur le Livre de la Communauté le 16 Mars 1660.

Signé, IOSSE, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la première fois
Le 17 Mars 1660.

Le dit Charles de Sercy a associé audit Privilege Angustin Courbé aussi Marchand Libraire, pour en iouir ensemblement suivant l’accord fait entr’eux.

Errata

P. 48 v.2 veu. Lis crû. P. 52 v.15 grandeu. lis. Grandeurs. P. 53 flatez, lis. Flatiez. P. 41 v.18 dessein, lis. Destin.