Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
1
2
3
4

 

Boyer, Claude. La Mort de Démétrius. Tragédie.. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 41 sc. 367 répl. 3,9 l. 1 441 l. 1 441 l. 46 % 3 188 l. (100 %) 2,2 pers.
DEMETRIUS 13 sc. 66 répl. 5,0 l. 536 l. (38 %) 330 l. (23 %) 62 % 1 361 l. (43 %) 2,5 pers.
ARSINOÉ 9 sc. 43 répl. 3,6 l. 373 l. (26 %) 153 l. (11 %) 42 % 899 l. (29 %) 2,4 pers.
ALEXANDRE 11 sc. 57 répl. 4,3 l. 404 l. (29 %) 247 l. (18 %) 62 % 929 l. (30 %) 2,3 pers.
ISMENIE 13 sc. 52 répl. 3,4 l. 456 l. (32 %) 178 l. (13 %) 40 % 1 050 l. (33 %) 2,3 pers.
MILON 20 sc. 97 répl. 4,4 l. 919 l. (64 %) 426 l. (30 %) 47 % 2 162 l. (68 %) 2,4 pers.
SELEUCUS 6 sc. 24 répl. 2,6 l. 203 l. (15 %) 62 l. (5 %) 31 % 431 l. (14 %) 2,1 pers.
TELAMON 7 sc. 16 répl. 1,1 l. 225 l. (16 %) 17 l. (2 %) 8 % 578 l. (19 %) 2,6 pers.
LAODICE 3 sc. 9 répl. 2,5 l. 68 l. (5 %) 23 l. (2 %) 34 % 135 l. (5 %) 2,0 pers.
DIOCLES 1 sc. 3 répl. 1,4 l. 5 l. (1 %) 4 l. (1 %) 92 % 14 l. (1 %) 3,0 pers.
SUITE 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Boyer, Claude. La Mort de Démétrius. Tragédie.. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
DEMETRIUS 45 l. (100 %) 2 répl. 22,1 l. 2 sc. 44 l. (4 %) 1,0 pers.
DEMETRIUS
ARSINOÉ
72 l. (62 %) 13 répl. 5,5 l.
45 l. (39 %) 12 répl. 3,7 l.
4 sc. 116 l. (9 %) 3,1 pers.
DEMETRIUS
ALEXANDRE
31 l. (39 %) 10 répl. 3,1 l.
50 l. (62 %) 12 répl. 4,1 l.
2 sc. 80 l. (6 %) 3,2 pers.
DEMETRIUS
ISMENIE
39 l. (58 %) 4 répl. 9,6 l.
29 l. (43 %) 3 répl. 9,5 l.
1 sc. 67 l. (5 %) 3,0 pers.
DEMETRIUS
MILON
136 l. (65 %) 32 répl. 4,2 l.
76 l. (36 %) 30 répl. 2,5 l.
6 sc. 211 l. (15 %) 2,7 pers.
DEMETRIUS
SELEUCUS
7 l. (82 %) 1 répl. 6,5 l.
2 l. (19 %) 1 répl. 1,5 l.
1 sc. 8 l. (1 %) 2,0 pers.
DEMETRIUS
TELAMON
4 l. (54 %) 4 répl. 0,8 l.
3 l. (47 %) 5 répl. 0,5 l.
3 sc. 6 l. (1 %) 3,0 pers.
ARSINOÉ 14 l. (100 %) 1 répl. 13,5 l. 1 sc. 14 l. (1 %) 1,0 pers.
ARSINOÉ
ALEXANDRE
18 l. (33 %) 10 répl. 1,7 l.
36 l. (68 %) 8 répl. 4,4 l.
2 sc. 53 l. (4 %) 2,7 pers.
ARSINOÉ
MILON
79 l. (53 %) 20 répl. 3,9 l.
71 l. (48 %) 20 répl. 3,5 l.
4 sc. 148 l. (11 %) 2,2 pers.
ALEXANDRE 26 l. (100 %) 3 répl. 8,5 l. 3 sc. 26 l. (2 %) 1,0 pers.
ALEXANDRE
ISMENIE
116 l. (65 %) 27 répl. 4,3 l.
64 l. (36 %) 25 répl. 2,5 l.
3 sc. 180 l. (13 %) 2,0 pers.
ALEXANDRE
MILON
1 l. (16 %) 1 répl. 0,5 l.
3 l. (85 %) 2 répl. 1,4 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
ALEXANDRE
SELEUCUS
21 l. (73 %) 5 répl. 4,0 l.
8 l. (28 %) 4 répl. 1,9 l.
1 sc. 28 l. (2 %) 2,0 pers.
ALEXANDRE
DIOCLES
1 l. (6 %) 1 répl. 0,3 l.
5 l. (95 %) 2 répl. 2,1 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 3,0 pers.
ISMENIE 7 l. (100 %) 1 répl. 6,7 l. 1 sc. 7 l. (1 %) 1,0 pers.
ISMENIE
MILON
34 l. (35 %) 13 répl. 2,6 l.
64 l. (66 %) 12 répl. 5,3 l.
3 sc. 96 l. (7 %) 2,6 pers.
ISMENIE
TELAMON
1 l. (34 %) 1 répl. 0,7 l.
2 l. (67 %) 1 répl. 1,4 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 2,0 pers.
ISMENIE
LAODICE
46 l. (67 %) 8 répl. 5,6 l.
23 l. (34 %) 9 répl. 2,5 l.
3 sc. 68 l. (5 %) 2,0 pers.
ISMENIE
DIOCLES
1 l. (46 %) 1 répl. 0,2 l.
1 l. (55 %) 1 répl. 0,2 l.
1 sc. 0 l. (1 %) 3,0 pers.
MILON 14 l. (100 %) 2 répl. 6,9 l. 2 sc. 14 l. (1 %) 1,0 pers.
MILON
SELEUCUS
114 l. (69 %) 20 répl. 5,7 l.
53 l. (32 %) 18 répl. 2,9 l.
4 sc. 166 l. (12 %) 2,1 pers.
MILON
TELAMON
88 l. (87 %) 11 répl. 7,9 l.
14 l. (14 %) 10 répl. 1,3 l.
3 sc. 100 l. (7 %) 2,3 pers.

La Mort de Démétrius. Tragédie.

Boyer, ClaudeGeorges ForestierClaire SupplissonÉdition critique établie par Claire Supplisson sous la direction de Georges Forestier (2000-2001)

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CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne)http://bibdramatique.paris-sorbonne.fr/boyer_mort-demetrius/teihtmltextepub
Boyer, Claude. La Mort de Démétrius. Tragédie.. Imprimé à Rouen,  ; se vend A Paris, Chez Augustin Courbé, au Palais, Gallerie des Merciers, à la Palme. Et Charles de Sercy, au Palais, dans, la salle Dauphine, à la Bonne-Foy couronnée. M. DC. LXI. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Tragédie

LA MORT DE DÉMÉTRIUS, ou le rétablissement d’Alexandre roy d’Epire. TRAGÉDIE

EPISTRE A Monseigneur le CHANCELIER

MONSEIGNEUR,

S’il est vray que les puissantes recommandations peuvent rendre suspectes les meilleures causes, j’ay sujet de croire, qu’en voulant faire honneur à mon Ouvrage, je hazarde sa reputation, lorsque je mets à sa teste, le plus illustre Nom, que les Muses ayent jamais reveré ; on dira sans doute que couvrant ses defauts sous l’éclat d’une si haute protection, je veux ébloüir les yeux du Public,  ; que par une adresse encore plus ambitieuse, je me sers de vous mesme pour prévenir vostre jugement,  ; vous persuader du merite de mon present par la confiance avec laquelle je l’offre à vostre Grandeur. Je suis peu en peine, MONSEIGNEUR, du jugement qu’on fera de mon dessein, pourveu qu’il reüssisse : il n’est point de moyen qui ne me semble glorieux, s’il me sert à acquerir  ; mesme à surprendre l’honneur de vostre approbation : estimant peu celle des autres, si elle n’est consacrée par la vostre. Pour connoistre le destin des Ouvrages de l’Esprit, il faut consulter cette Sagesse consommée qui vous a rendu l’admiration de tout le monde,  ; que vous vous estes acquise par une experience de tant d’années,  ; à la teste du Conseil du Roy,  ; parmy cet illustre Corps de Sçavans, dont vous estes la premiere Intelligence. C’est à vous, MONSEIGNEUR, qu’appartient le souverain empire des belles Lettres, aussi bien que la souveraine Justice de l’Estat : le Ciel vous reservoit l’union de ces deux augustes Tribunaux qui seroient sans doute incompatibles en une mesme personne à moins que d’estre remplis par un Génie aussi grand que le vostre ;  ; c’est la bonne fortune des Sciences  ; des Sçavans parmy tant de disgraces qui les accompagnent, de trouver un si puissant Protecteur, dans celui que nostre Grand Monarque a fait le dépositaire de son authorité,  ; le premier Oracle de ses Loix : que l’envie  ; l’injustice se mélent de juger temerairement de toutes choses, il suffit de vivre dans le Siecle du GRAND SEGUIER, pour estre à couvert de toutes les persecutions de ces deux puissantes ennemies de la raison  ; du merite. Vostre Esprit est une source inépuisable de lumiere qui porte un jour continuel dans toutes les parties du monde raisonnable : c’est de cette mesme source que coulent depuis si long-temps cette Politesse  ; tout cet Art merveilleux qui a reconcilié nos Muses avec les Graces que la barbarie des derniers Siecles avoit si fort éloignées les unes des autres. De sorte, MONSEIGNEUR, qu’il est juste d’avoüer que nous vous avons la principale obligation de toute la gloire des belles Lettres,  ; que nous vous en devons rendre le premier hommage. Si vous ne treuvez pas dans mon Ouvrage, ce beau, dont vous avez la parfaite idée, j’ose au moins m’imaginer qu’aprés les efforts que j’ay faits pour vous le rendre agreable, il pourra tirer quelque merite de la Grandeur de mon zéle  ; de la noblesse de sa fin*,  ; que vous pourrez treuver quelque chose qui ne vous déplaira pas dans une Muse qui est si puissamment animée de la glorieuse ambition de vous plaire. C’est cette esperance, MONSEIGNEUR, qui luy donne le courage de vous demander l’honneur de vostre protection,  ; de vous asseurer de la passion tres-ardente  ; tres-respectueuse, avec laquelle je veux estre toute ma vie,

MONSEIGNEUR :

DE VOSTRE GRANDEUR,

Le tres humble et tres obeïssant

serviteur,

BOYER.

A MONSEIGNEUR LE CHANCELIER, SONNET.

J’Ay beau pour ta loüange animer tout mon zéle,
Et des titres fameux faire le plus beau choix ;
De ses soins glorieux la vigueur immortelle
Seroit mal consacrée avec ma foible voix.
5 Avec une eloquence  ; si noble  ; si belle
Qui comme toy jamais a fait parler nos Rois ?
Qui jamais à l’Estat se montra si fidelle,
Et soûtint mieux que toy la majesté des loix ?
Ton merite est si grand, qu’il m’est permis de dire,
10 Que jamais nul mortel, dans tout ce vaste Empire
Ne pourra t’égaler dans ton auguste employ :
La France est des Heros la glorieuse mere ;
Mais avec tant d’orgueil la France desespere,
D’avoir un Successeur qui soit digne de Toy.

ACTEURS

  • DEMETRIUS,Roy d’Epire.
  • ARSINOÉ,Reine d’Epire.
  • ALEXANDRE,Fils de Pyrrus, legitime heritier de la Couronne d’Epire.
  • ISMENIE,Princesse d’Epire.
  • MILON,Favory de Démétrius.
  • SELEUCUS,Seigneur d’Epire.
  • TELAMON,Capitaine des Gardes de Démétrius.
  • LAODICE,Confidente d’Isménie.
  • DIOCLES,de la suite d’Alexandre.
  • SUITE.
La Scène est à Dodone dans le Palais Royal.

ACTE I.

LA MORT DE DEMETRIUS OU LE RETABLISSEMENT D’ALEXANDRE ROY D’EPIRE. TRAGÉDIE.[p. 1]

SCENE PREMIERE.

DEMETRIUS, TELAMON, GARDES.

DEMETRIUS.

Pourray-je voir enfin mon ingrate Princesse ?

TELAMON.

Vous la verrez bien-tost.

DEMETRIUS.

Qu’on sorte,  ; qu’on me laisse ;
Et que nul n’entre icy que par un ordre exprés.
[p. 2]

SCENE II.

DEMETRIUS, MILON, ARSINOÉ.

MILON.

La Reyne...

DEMETRIUS.

Que veut-elle ?

MILON.

Elle me suit de prés,
5 La voicy.

DEMETRIUS à Arsinoé.

Quoy, faut-il nous voir toûjours ensemble ?
Je hay la jalousie,  ; cela luy ressemble.
Quoy, toûjours sur mes pas, à toute heure, en tous lieux,
Les soûpirs à la bouche,  ; les larmes aux yeux,
La rage  ; la douleur sur le visage peintes,
10 Troubler tout mon repos par l’éclat* de vos plaintes,
Et loin de consoler un esprit abatu,
Du bruit de vos douleurs accabler ma vertu ?

ARSINOÉ.

Reduite à tout souffrir,  ; reduite à tout craindre,
Ne puis-je devant vous que pleurer,  ; me plaindre,
15 Et me permettre au moins au fort de mes malheurs
L’usage infortuné des soûpirs  ; des pleurs ?
Vous le sçavez, cruel,  ; j’en fremis dans l’ame ;
Du glorieux bonheur  ; de Reyne  ; de femme
Le vain titre, le nom seulement m’est resté,
20 Et vous avez conclû* qu’il me seroit osté.
Alexandre revient,  ; votre aveugle zéle
Comme à moy, comme au Thrône, à vous mesme infidelle,
Rappelle cét amy, qui fier du nom de Roy [p. 3]
Vangera son exil sur vous mesme  ; sur moy.
25 Viens vanger, Artaban, l’honneur de ta famille,
Viens destourner l’affront qu’on prepare à ta fille,
Sors du tombeau, cher pere, avec ce grand pouvoir
Qui sçavoit contenir chacun dans son devoir :
Viens, viens pour reprocher au Roy qui m’abandonne,
30 Qu’il a receu de toy son Sceptre  ; sa Couronne,
Et que sans une indigne  ; noire trahison,
Il ne peut maintenant l’oster à ta maison*.

DEMETRIUS.

Dites mieux, qu’il ne peut  ; sans honte  ; sans crime
Retenir* plus long-temps un Sceptre illegitime.
35 Cét Empire usurpé sur le sang de Pyrrus,
Cét indigne present d’un traistre qui n’est plus,
Puis-je le retenir sans me rendre complice
Et de ses cruautez,  ; de son injustice ?
Nous avons vous  ; moi peu de part* à ce rang
40 Qu’Artaban vostre pere acquit par tant de sang,
Quand trop ambitieux par un horrible crime
Il renversa du Thrône un Prince legitime,
Et recueillant* des droits morts avec mes Ayeux,
Se servit de mon nom pour regner dans ces lieux.
45 Quand la mort de Pyrrus authorisa ce traistre
A secoüer* le joug d’Alexandre son maistre,
Voyant qu’il destinoit ce grand Prince à la mort,
Je fléchis Artaban par un fatal* accord ;
Je vous donnay la main,  ; je devins son gendre
50 Pour borner à l’exil les malheurs d’Alexandre ;
Mais les Dieux sçavent bien combien ce triste* coeur
Pour vostre pere  ; vous avoit conçeu d’horreur.
Tandis qu’il a vescu, sa violence extréme
M’a contraint de regner sous luy malgré moy mesme,
55 J’ay retenu ce rang, mais apres son trespas [p. 4]
Je serois criminel en ne le quittant pas ;
D’un Empire arraché triste dépositaire,
Je rends à mon amy le vol de vostre pere,
Je le quitte avec vous, ; ne vous oste* rien.

ARSINOÉ.

60 Renoncez à vos droits sans disposer du mien,
Oubliez lâchement, ennemy de vous mesme,
Qu’autrefois vos Ayeux ont eu le Diadéme.
Il me souvient combien pour acquerir ce rang
Aux amis de mon pere il a cousté de sang :
65 Comme il est sa conqueste, il est mon heritage ;
J’en garde sans remords le superbe avantage*,
Si vostre coeur en souffre un lasche repentir,
Le Thrône est tout à moy, vous en pouvez sortir.

DEMETRIUS.

Je veux en le rendant me laver de mon crime.

ARSINOÉ.

70 Si le Ciel veut du sang, je seray sa victime,
Tombe, tombe sur moy tout le courroux des Cieux :
Je m’offre sur le Thrône à la foudre des Dieux.

DEMETRIUS.

Ce sont là des fureurs* dignes de vostre pere.

ARSINOÉ.

Si j’avois son pouvoir ainsi que sa colere...

DEMETRIUS.

75 Mais enfin il est mort.

ARSINOÉ.

Tant de sanglants* mespris
Me l’ont depuis trois mois cruellement apris :
S’il vivoit...

DEMETRIUS.

S’il vivoit, cét orgueil qui menace,
Quoy que tousjours injuste, auroit meilleure grace ;
Mais enfin il est mort,  ; vostre unique appuy [p. 5]
80 Et vostre unique espoir sont tombez avec luy.
Quittez donc cét orgueil si digne de ma haine:
C’est trop,  ; trop long temps faire la Souveraine,
Il faut cesser de l’estre,  ; sans vous consulter,
Je sçauray bien garder le Sceptre, ou le quitter.

ARSINOÉ.

85 C’est peu, c’est peu, perfide ; avec mesme injustice
Brise un hymen qui fait ma honte  ; ton suplice,
Acheve de me perdre,  ; dans ce triste jour
Comble le desespoir de ma fidelle amour.
Songe au moins de quels fruits ma flame fut suivie :
90 De l’amy que tu sers j’ay racheté la vie ;
Sans cét hymen, mon pere alloit trancher ses jours,
Et tu dois Alexandre à ce tendre secours.

DEMETRIUS.

Ouy, c’est par vostre hymen qu’il le fallut defendre,
J’immolay mon repos au salut d’Alexandre :
95 Mais quel droit vostre pere eut-il sur ce grand Roy ?
Faloit-il le sauver en vous donnant ma foy* ?
Rendez moy cette foy que vous m’avez surprise*.

ARSINOÉ.

Toy, rends-moy mon amour, mon Throsne, ma franchise*.
Tu ne peux les quitter, ny les garder sans moy ;
100 Adieu, sois si tu veux mon Espoux  ; mon Roy ;
Je n’y renonce point malgré ta perfidie ;
J’en veux tousjours garder l’esperance  ; l’envie :
Mais n’espere jamais d’un parjure odieux
Estre quitte envers moy, ny quitte envers les Dieux.
[p. 6]

SCENE III.

DEMETRIUS seul.

105 Ton interest n’est pas ce qui trouble mon ame,
Et les Dieux auroient tort de condamner ma flame,
Pour m’en justifier Ismenie est mon choix,
Elle est aimable  ; belle,  ; du sang de nos Roys.
Il m’est permis de rompre une indigne alliance
110 Pour aimer la beauté, l’honneur  ; l’innocence,
Et pour livrer mon coeur à des charmes si grands,
Je le puis arracher au sang de nos Tyrans.
Mais pourquoi se flater  ; déguiser son crime ?
Un amour qui viole un hymen legitime,
115 Que six mois tous entiers n’ont que trop affermy,
Un amour qui trahit ma femme  ; mon amy,
Qui donne de l’horreur aux yeux qui l’ont fait naistre,
Qui se cache à soy-mesme,  ; qui n’ose paroistre,
Est un de ces amours, qui nés de nostre erreur*,
120 Vantent leur innocence,  ; ne sont que fureur.
Mais quel crime d’aimer un objet tant aimable ?
Quels feux sont innocens si le mien est coupable,
Si je ne puis sans crime aimer ce que les Dieux
Ont formé de leurs traicts pour le charme des yeux ?
125 Ah ! bien loin d’estouffer le feu qui me devore,
Je le veux augmenter, je l’ayme, je l’adore :
Si l’amour est ma faute, il est mon châtiment,
Et j’adore mon crime ainsi que mon tourment,
Grands Dieux, qui l’avez faite  ; si fiere  ; si belle,
130 Immortelles beautez qui vous montrez en elle,
Est-ce un crime d’aymer ce qui nous vient de vous, [p. 7]
Ce qui vous represente avec des traits si doux ?
Ces yeux, de tous les yeux le plaisir  ; la peine,
Cette auguste fierté si digne d’une Reyne,
135 Tout ce brillant amas de force  ; de douceur,
Charmera-t’il les yeux sans arrester le coeur ?
Gardes.

SCENE IV.

DEMETRIUS, MILON, GARDES.

MILON.

Seigneur...

DEMETRIUS.

Helas !

MILON.

Quoy ! ce grand coeur soupire ?

DEMETRIUS.

Qu’on nous laisse icy seuls.

MILON.

Gardes, qu’on se retire.
Vous puis-je demander quel trouble, quel soucy...

DEMETRIUS.

140 Alexandre revient.

MILON.

Il est fort prés d’icy.

DEMETRIUS.

Sçais-tu qu’il vient m’oster mon Sceptre  ; ma Princesse ?

MILON.

[p. 8]
Craignez vous un Rival avec tant de foiblesse ?
Il revient par vostre ordre,  ; ce retour fatal*
Va mettre entre vos mains ce dangereux Rival.

DEMETRIUS.

145 Milon, tu connois mal les desseins de mon ame.

MILON.

Mais je sçay ce qu’exige un Thrône  ; vostre flame,
Puis-je enfin m’expliquer sans manquer de respect ?
L’amitié d’Artaban me peut rendre suspect,
Quoy qu’à vous seul sa mort attache tout mon zéle,
150 On peut craindre l’amy de ce fameux Rebelle.

DEMETRIUS.

J’ay de trop bons garans* de ta fidelité ;
Sans le puissant secours que ta main m’a presté,
Des Sujets soûlevez pour leur Roy legitime
J’estois dans ce Palais la sanglante victime,
155 Te puis-je soupçonner apres ce grand secours ?

MILON.

Je me servois moy-mesme en conservant vos jours ;
Mais sans ces seuretez, Seigneur, un zele extreme
Ne prend pour vous servir conseil que de soy-mesme.
J’ose donc avancer, qu’alors qu’il faut regner
160 C’est generosité de ne rien espargner :
On blâme vostre amy de peu d’experience ;
Chacun croit qu’il se perd par trop de confiance,
Et nomme les honneurs que vous luy preparez,
Des poisons déguisez,  ; des pieges dorez.
165 L’aveugle ! il connoit mal l’orgueil du Diadême.
Parce que vous l’aimez,  ; parce qu’il vous ayme,
Ose-t’il imputer ce soudain changement
A la compassion de son bannissement ?
Vient-il pour remonter sur le Throsne d’Epire ?
170 Vous sçavez trop, Seigneur, l’interest d’un Empire ;
Il n’est point d’amitié qui fasse dédaigner [p. 9]
Sur un Thrône affermy la douceur de regner,
C’est ce que jusqu’icy pas un n’a pû comprendre.

DEMETRIUS.

C’est ce que le succez te va bien tost apprendre.
175 Qui croit que la Couronne est si pleine d’appas,
En discourt en aveugle,  ; ne la connoist pas.
Par tout elle a ses maux qui valent bien ses charmes ;
Et celle de Dodone est si pleine d’alarmes*,
Que pour en détester l’insupportable pois,
180 Il ne faut que sçavoir l’histoire de nos Roys.
Le peuple incessamment me demande Alexandre,
Et quand mon amitié s’apreste à le luy rendre,
Je rougis que le peuple une seconde fois
A mon juste devoir veuille imposer des loix.
185 Mais ce n’est pas la peur qui m’arrache du Thrône,
Ny la foudre du Dieu qui preside à Dodone :
Ce ne sont que les noms de traistre  ; de Tyran,
Et l’horreur de jouyr du crime d’Artaban.
Tandis que je retiens la grandeur souveraine,
190 Ainsi que de son vol j’herite de sa hayne,
Je deviens son complice,  ; gardant son bien-fait,
Je consens par ce crime au crime qu’il a fait.
Maintenant que sa mort m’en laisse la puissance,
Je veux, m’en dépouillant, purger mon innocence,
195 Me soustraire à sa hayne, aux foudres, aux horreurs
Qui suivent tost ou tard de pareilles fureurs.

MILON.

Quoy, Seigneur ? d’un remords le conseil infidelle...

DEMETRIUS.

Aux yeux bien éclairez l’innocence est si belle...

MILON.

L’innocence par tout fuit les maistres des loix,
200 Et le seul repentir est le crime des Roys.
Un Roy se connoist mal s’il se repent de l’estre ; [p. 10]
Le Thrône absout si tost qu’on en devient le maistre,
Et comme pour regner tout crime est glorieux,
Les Roys sont sans remors aussi bien que les Dieux.

DEMETRIUS.

205 J’oppose à tes raisons ces remors  ; ces craintes,
Quand mon coeur affranchy de ces lâches contraintes
Se rend à l’amitié, dont les nobles efforts
Font plus pour mon amy que l’effet d’un remors,
Ou plutost, puisqu’enfin il faut t’ouvrir mon ame,
210 Sçache qu’au desespoir d’une amoureuse flame
Je donne cet effort bien plus qu’à l’amitié ;
Peut-estre ny remors, ny devoir, ny pitié,
Ne sçauroient me forcer à cette complaisance,
L’amour, le seul amour m’arrache ma puissance,
215 Et je ne l’acceptay que par l’espoir un jour
D’obliger mon Rival à servir mon amour.
J’ay crû que sur le Thrône en luy cedant ma place,
Au crime de ma flame il pourroit faire grace,
Et qu’enfin Ismenie avouëroit* pleinement
220 Une ardeur dont l’effort couronne son amant.

MILON.

Ah plûtost, sauvez-vous de cet indigne outrage,
Que vostre aveugle amour fait à vostre courage.

DEMETRIUS.

Avecque tant d’amour, adorant tant d’appas,
Je me plains de ma peine,  ; je n’en rougis pas.

MILON.

225 Mais vostre heureux Rival luy paroist seul aymable.

DEMETRIUS.

Tâchons donc de fléchir cet objet adorable.

MILON.

Mais la Reine...

DEMETRIUS.

[p. 11]
Tu sçais quel genereux dessein
Me força malgré moy de luy donner la main :
Pour sauver mon Rival  ; ma chere Ismenie
230 J’épousay malgré moy la honte  ; l’infamie,
Et sans mesme employer la coustume  ; les loix,
Tout mon devoir m’arrache à cet indigne choix.

SCENE V.

TELAMON, DEMETRIUS,
MILON, ISMÉNIE.

TELAMON.

La Princesse, Seigneur, par vostre ordre est venuë.

DEMETRIUS, à Milon.

Laisse-nous, ta presence offenceroit sa veuë.
Milon sort.
235 Alexandre revient,  ; voicy ce beau jour
Si cher à mes desirs, si cher à vostre amour :
Il revient, ce grand Prince, étouffer tant d’alarmes ;
Il revient essuyer ces precieuses larmes,
Dont vos beaux yeux sans cesse honorent ses malheurs,
240 Et c’est moy qui mets fin à toutes vos douleurs.
Vous aviez tout perdu par les maux de l’absence,
Vous estiez sans plaisir, sans biens, sans esperance,
Vos Dieux estoient absens de ces funestes lieux,
Et je vous rens vos biens, vostre espoir,  ; vos Dieux,
245 Les pardonnerez vous à ma raison blessée,
Ces ardeurs, ces transports qui vous ont offencée ?
Ces soupirs tant de fois poussez à vos genoux, [p. 12]
Apres ce grand effort les pardonnerez-vous ?
Vous ne répondez rien ?

ISMENIE.

Que pourray-je vous dire ?
250 Le Prince d’un malheur va tomber dans un pire ;
Je pleurois son exil,  ; ce triste retour
Plus que son exil mesme afflige mon amour,
Ce grand Prince en Sujet osera-t’il paroistre ?
Viendra-t’il dans ces lieux y voir un autre Maistre,
255 Et l’exposerez-vous à ce nouveau malheur,
De mourir à vos pieds de honte  ; de douleur ?
Je veux que par l’effort de sa reconnoissance
Il vous laisse jouyr de toute sa puissance,
Et que pour prix des jours qu’il tient de vostre main,
260 Il cede sans rougir le pouvoir souverain ;
Puis-je voir sans trembler une si belle vie
Exposée aux perils d’une Cour ennemie ?
Voir ce beau sang en proye à deux monstres jaloux,
A la Reyne, à Milon,  ; (le diray-je) à vous ?
265 Ouy, vous mesme, Seigneur, voyant sous vostre Empire
Le vainqueur d’Ismenie,  ; le maistre d’Epire,
Si vous craignez un jour sa flame  ; son pouvoir,
Vous sentez-vous plus fort que vostre desespoir ?

DEMETRIUS.

Vous me soupçonnez donc de quelque violence ?
270 Amant trop malheureux,  ; Roy sans innocence,
Vous me croyez aussi dans mes transports jaloux,
Sans foy pour mes amis,  ; sans respect pour vous.
Vous sçavez que le Ciel dés ma plus tendre enfance
Entre ce Prince ; moy sema l’intelligence*,
275 Et qu’une mesme main nous élevant tous deux,
D’une longue habitude en forma les beaux noeuds,
Si ma forte amitié gardoit mal Alexandre, [p. 13]
Sur ce que vous aimez oseray-je entreprendre,
Et par mon mauvais sort suis-je si mal traité,
280 Que je vous sois suspect de quelque lâcheté ?
Desarmé par les yeux de ma belle Princesse,
Contre un Rival heureux que pourroit ma foiblesse ?
Quand des mains d’Artaban je luy sauvay le jour,
Pour l’aimable Ismenie avois-je moins d’amour ?
285 Je brûlois, je régnois,  ; toutefois, Madame,
J’ai servy ce Rival du Thrône  ; de ma flame.

ISMENIE.

Je ne connois que trop l’excés de cet amour,
Il sauva mon Amant, il m’a sauvé le jour.
Vostre vertu, Seigneur, qui n’a point de seconde,
290 Vous acquerroient les voeux de tous les coeurs du monde,
Si vostre injuste amour n’en ternissoit l’appas ;
Et je vous aimerois, si vous ne m’aimiez pas.
Immolez un amour fatal à vostre gloire,
Au bon-heur d’un amy cher à vostre memoire ;
295 Quoy que fassent pour luy l’amour  ; l’amitié,
Alexandre est toûjours un objet de pitié,
Et dans ce triste état sans cesse il vous impute
Le peu d’espoir qu’il a de relever sa chûte.
Laissez ce malheureux, loin de vous, loin de moy,
300 Avec l’espoir un jour de revenir en Roy.

DEMETRIUS.

C’est peu de cet espoir, donnez luy la Couronne :
Puisque vous le voulez, mon coeur vous abandonne
Un rang dont le pouvoir alarme vostre amour.
Faites à mon Rival un glorieux retour ;
305 Mettez-le promptement au dessus de l’envie ;
Asseurez sur le Thrône  ; sa gloire  ; sa vie.

ISMENIE.

[p. 14]
Ah ! si vostre amitié pouvoit en sa faveur
Jusqu’à ce grand effort élever vostre coeur,
Qu’elle auroit à mes yeux de merite  ; de gloire !

DEMETRIUS.

310 Vous estimeriés donc cette grande victoire ;
Mais pour ce grand effort d’amour  ; d’amitié,
Sentez-vous pour mes maux quelque ombre de pitié ?
Quel secours offrez-vous à ce Roy miserable ?
Faites luy pour le moins une chûte honorable,
315 Et qu’il sçache en tombant, qu’il s’apreste à gagner
Des biens beaucoup plus doux que celuy de regner.
Parlez, resolvez-vous, qu’avez-vous à me dire ?
Faut-il enfin ceder, ou retenir l’Empire ?

SCENE VI.

SELEUCUS, DEMETRIUS,
ISMENIE.

SELEUCUS.

Alexandre s’aproche,  ; chacun va sortir,
320 Pour l’aller recevoir il est temps de partir.

DEMETRIUS.

Madame, c’est à vous sans que rien vous retienne
De regler promptement sa fortune  ; la mienne :
Je vay, si vous voulez, le recevoir en Roy ;
Mais ce grand point se doit resoudre icy sans moy :
325 Je vous quitte, usez bien du droit que je vous donne ;
Souvenez-vous quel est le prix d’une Couronne,
Quel devoir, quelle ardeur m’oblige à la ceder, [p. 15]
Et qu’en cedant un Thrône on peut tout demander.

SCENE VII.

ISMENIE, LAODICE.

ISMENIE.

Laodice, est-il vray ce que je viens d’entendre ?
330 Je puis par son adveu* couronner Alexandre,
Et relever le sort d’un Monarque abatu,
Prés d’un si beau succez, mon amour, trembles-tu ?
Ouy, je sens, Laodice,  ; qu’il tremble  ; qu’il doute :
Voy ce qu’on me demande,  ; le prix qu’il me coûte.
335 Pour rendre à mon Amant la qualité de Roy,
Il faut que j’aime ailleurs,  ; qu’il regne sans moy.
Cruel Demetrius, qu’est-ce que tu m’ordonnes ?
En m’ôtant mon Amant voy ce que tu luy donnes ;
Pour perdre nostre amour tu luy rens sa Grandeur ;
340 Et pour prix d’un devoir tu demandes mon coeur.
Tu te sers, inhumain,  ; non pas Alexandre ;
Tu luy vens des honneurs que tu devois luy rendre.
Si pour tant de perils je craignois son retour
Je n’avois pas préveu celuy de mon amour.
345 Mais helas ! mon amour, tu te trahis toy-mesme,
Quand on aime il suffit de servir ce qu’on aime,
Luy conserver un Sceptre,  ; peut-estre le jour ;
Que pretend davantage un veritable amour ?

LAODICE.

Mais pourrez-vous quitter l’objet de vostre flâme ?

ISMENIE.

350 Cache-moy des malheurs dont je fremis dans l’ame. [p. 16]
Je ne crains que l’effort qui m’arrache à mes feux :
Soûtiens avecque moy cet amour malheureux.
Il a besoin de force,  ; je sens sa foiblesse ;
J’écoute son devoir, mais je crains sa tendresse.
355 Allons voir mon Amant qui revient dans ces lieux,
Travaillons pour sa gloire,  ; mourons à ses yeux.

Fin du premier Acte.

[p. 17]

ACTE II.

SELEUCUS, MILON.

SCENE PREMIERE

SELEUCUS.

Ou peut-on voir jamais avecque tant de zele
Deux Princes signaler* leur amitié fidelle ?
Depuis six mois du Thrône Alexandre exilé
360 Semble le negliger quand il est rapelé,
Et de ses Alliez refusant l’assistance,
Il prend de son Rival toute son esperance.
Voyez comme il revient ; il n’entre que la nuit,
Craignant que son retour dans la pompe  ; le bruit
365 Fust à Demetrius ou suspect ou funeste,
Il vient comme un amy genereux  ; modeste ;
Il se dérobe au peuple,  ; sans aucun secours
Il fie à son amy sa fortune  ; ses jours.
Voir des amis Rivaux en Grandeur, en Maistresse !

MILON.

370 Amis pour la Couronne, ; non pour la Princesse,
De ses maux Alexandre ignore la moitié.
J’admire cependant ce que peut l’amitié,
Ce grand zele m’étonne, ; leur intelligence* [p. 18]
Blesse d’un coup mortel toute mon esperance.
375 Tout ce qu’a l’amitié de pressant  ; de fort
A paru pour nous perdre à ce premier abord ;
En les voyant tous deux se donner tous en proye
A ces ardens transports de tendresse  ; de joye,
D’un froid  ; triste amas de crainte  ; de douleur
380 Ce spectacle odieux a transi tout mon coeur.

SELEUCUS.

Il n’en faut plus douter ; trahy par sa tendresse,
Voulant toucher par là le coeur de la Princesse,
Demetrius rendra le Sceptre à son Rival,
Et nous sommes perdus par cet accord fatal.
385 Il me l’a dit cent fois, qu’il n’estoit Roy d’Epire
Que pour servir sa flâme en cedant un Empire ;
Si son Rival charmé d’un zele si parfait
Oubliant son amour se rend à ce bien-fait,
Partisans d’Artaban, nous restons seuls en bute.

MILON.

390 Plus je suis prés du Thrône,  ; plus je crains ma chûte.
Seleucus, ce malheur m’est commun avec toy ;
Mais j’en ay de plus grands qui ne sont que pour moy.
Je perdrois sans regret ma fortune  ; ma vie,
Mais mon amour ne peut luy quiter Ismenie.

SELEUCUS.

395 L’aimez-vous ?

MILON.

Ouy, je l’aime,  ; je sens que mon coeur
Par trop de retenüe a conceu plus d’ardeur.
Comme un brazier caché, ma passion secrete
Est d’autant plus pressante, importune, inquiete,
Que pour m’en soulager je n’ay que des soûpirs
400 Contre l’embrazement qu’allument mes desirs :
Au point que je le sens, je n’en suis plus le maistre ; [p. 19]
Auprés d’un grand Rival il commença de naistre,
Il brûle prés d’un autre encor plus dangereux,
Et redouble sa force à triompher de deux.

SELEUCUS.

405 Vous, l’apuy d’Artaban  ; de sa tirannie,
Vous osez aspirer à l’amour d’Ismenie ?
D’elle, qui vous regarde avec tout le courroux
Que tant de maux soufferts luy font naistre pour vous ?
Quel est donc vostre espoir ?

MILON.

Dans ma fureur extrême
410 Je feray tout perir,  ; la Princesse mesme.

SELEUCUS.

O Dieux !

MILON.

Ton coeur s’étonne*,  ; tremble à ce discours.
Mais sçais-tu l’ascendant des jalouses amours ?
J’adore un autre Dieu, que ce Dieu de tendresse
Qui remplit tous les coeurs de crainte  ; de foiblesse,
415 Qui forcé de laisser son bien aux mains d’autruy,
Le quitte, ou l’aime encor quand il n’est plus à luy,
Et n’a d’autre secours dans toutes ses alarmes
Que des soûpirs perdus  ; de honteuses larmes.
Je brûle d’une amour qui porte dans mon sein
420 Contre un objet ingrat des foudres à la main.
Il vaut mieux, quand un coeur a refusé le nostre,
Le voir perir pour tous, que vivre pour un autre,
Et suivant les fureurs d’un jaloux desespoir,
Il faut aneantir ce qu’on ne peut avoir ;
425 Mais je suis encor loin de ce malheur extrême,
J’ay du pouvoir assez pour avoir ce que j’aime.

SELEUCUS.

[p. 20]
Milon, n’en croyez pas un desespoir jaloux ;
Servez le vray Monarque,  ; travaillez pour vous.
Pour faire nostre paix relevons sa puissance,
430 N’accablez pas de soins* toute vostre prudence.
Quel remede avez-vous contre de si grands maux ?

MILON.

Malgré leur amitié, l’amour de deux Rivaux.
Quelques beaux sentimens qu’ils nous ayent fait paroistre,
Ils aiment, c’est assez,  ; l’Amour est leur maistre,
435 Et si l’ambition y mesle un peu ses feux,
Je les crois assez forts pour les perdre tous deux.
C’est à quoy mon amour éleve ma pensée :
D’un revers ma Grandeur peut estre renversée,
Si je veux l’affermir, je sçay trop que je doy
440 La placer sur le Thrône,  ; m’y couronner Roy.
Juge si mes desseins sont sans quelque apparence*,
Tu vois nos deux Rivaux negliger leur puissance,
Tous deux la negligeant comme un bien sans apas
Attachent tous leurs voeux à celuy qu’ils n’ont pas,
445 Chacun pour Ismenie également soûpire ;
Si pour la meriter il leur faut un Empire,
Tous deux peuvent pretendre au pouvoir Souverain,
Alexandre est aimé, l’autre a le Sceptre en main,
Le Thrône soûtient l’un,  ; l’autre peut l’abatre,
450 Et tous deux ont ma flâme  ; ma haine à combatre.
Voy d’un autre costé nostre Reyne en fureur :
Entre elle  ; son époux j’ay semé tant d’aigreur*,
Qu’imprimant dans son coeur toute l’horreur d’un traistre,
J’ay mis enfin sa haine au point qu’elle doit estre.
455 Artaban qui craignoit un gendre trop ingrat
A laissé dans nos mains le pouvoir de l’Estat,
Fort de ces passions, d’ambition, de haine, [p. 21]
D’amour, de desespoir, ma victoire est certaine.
Semons divisions, troubles, soupçons, fureurs,
460 Tout mon espoir ne luit que parmy ces horreurs ;
Toy, va-t’en voir la Reyne,  ; pressant sa furie...

SELEUCUS.

Ah ! craignez...

MILON.

Qu’ay-je à craindre en perdant Ismenie ?
De grace, laisse moy mon conseil* : aujourd’huy
Mon trouble est trop puissant pour en prendre d’autruy.
465 Mais voicy nos Rivaux. Triste  ; jalouse flâme,
Cache ton desespoir dans le fons de mon ame.

SCENE II.

DEMETRIUS, ALEXANDRE,
MILON.

DEMETRIUS à Alexandre.

Souffrez que l’amitié vous dérobe un moment
Aux tendres entretiens d’un objet si charmant.
Mais j’aperçoy Milon. Viens, cher Milon, aproche ;
470 Ne crains de ce grand Roy ny froideur ny reproche,
Cet amy genereux pardonne à mes amis.

MILON.

Il n’a point de Sujet qui luy soit plus soûmis :
C’est ce qu’avec le temps je luy feray connoistre.

ALEXANDRE.

Ces respects de Sujet sont deus à vostre Maistre,
475 Je vous pardonne en Prince,  ; ce n’est pas à moy [p. 22]
A recevoir de vous ce qui n’est dû qu’au Roy.

DEMETRIUS.

Vous obstinerez-vous dans cet aveugle zele ?
Je rougis d’une ardeur à vous mesme infidelle,
Cette tendre amitié me comble de plaisirs,
480 Mais enfin vous devez vous rendre à mes desirs.
Quand j’acceptay le Sceptre, avant que de le prendre
Ma parfaite amitié fit voeu de vous le rendre,
Et puisqu’enfin les Dieux m’en laissent le pouvoir,
J’acquitte avec honneur mes voeux  ; mon devoir.

ALEXANDRE.

485 Moy, que j’oste le Sceptre à qui je doy la vie,
A vous, à qui je dois le salut d’Ismenie ?
C’est peu de vous ceder l’Empire de ces lieux,
Cher Prince, c’est un bien qui fut à vos Ayeux ;
Je fais en vous laissant la supréme Puissance
490 Un acte d’équité, non de reconnoissance,
Et ma juste amitié doit rechercher ailleurs
D’autres occasions à montrer ses chaleurs.

DEMETRIUS.

Il est vrai, mes Ayeux ont porté la Couronne,
Mais ce droit ne va pas jusques à ma personne.
495 Ptolomée autrefois l’acquit par trahison,
Quand un de vos Ayeux pour se faire raison
D’un ennemy voisin, ayant quité l’Epire,
Mon Ayeul Ptolomée envahit cet Empire.
Seul vous estes le sang des legitimes Roys.

ALEXANDRE.

500 Vous ne pouvez sans honte abandonner vos droits.

DEMETRIUS.

On cede avec honneur ce qu’on a par le crime.

ALEXANDRE.

La Fortune vous rend un Thrône legitime.

DEMETRIUS.

Je ne le tiens du Sort qu’à titre de Tyran. [p. 23]

ALEXANDRE.

Le Ciel se sert pour vous du crime d’Artaban.

DEMETRIUS.

505 Tremblez à ce seul nom d’horreur  ; de colere,
Voyez Arsinoé, digne sang de son pere,
Ce Monstre couronné triompher dans un rang
Qu’un pere ambitieux acquit par tant de sang.
Quoy, vous voudriez laisser le Sceptre à sa famille ?
510 Je vous déthrônerois pour couronner sa fille ?
Me reserveriez-vous à des crimes si grands ?
Tombe plûtost sur moy tout le sort des Tyrans.
Cessez de resister,  ; plus juste à vous mesme,
Recevez de ma main la puissance suprême,
515 Seur que l’offre du Thrône est beaucoup au dessous
De ce que l’amitié voudroit faire pour vous.

ALEXANDRE.

Ce qu’elle fait pour moy va jusques à l’offence ;
Me presser d’accepter la suprême puissance,
C’est m’appeller ingrat, lâche,  ; me reprocher
520 Que je ne suis venu que pour vous l’arracher.
Ah ! pour me dérober à ce reproche infame,
Bien plus que de ceder le Sceptre à vostre femme
Je verrois sans murmure  ; sans ressentiment
Artaban à mes yeux regner impunément.
525 Mon coeur ne conçoit point de suplice si rude
Que de vivre un moment suspect d’ingratitude,
Et ce Monstre adoré des coeurs ambitieux,
D’une invincible horreur frape toûjours mes yeux.
Doncques si vous m’aimez...

DEMETRIUS.

Helas ! si je vous aime ?
530 Dois-je enfin m’expliquer,  ; me trahir moy-mesme ?
Je tremble, je fremis,  ; mon coeur interdit... [p. 24]

ALEXANDRE.

Que me dit cette peur, ce desordre ?

DEMETRIUS.

Il vous dit,
Que cet amy si cher dont vous vantez le zele,
Est un amy sans coeur, un lâche, un infidelle,
535 Qui sous un faux éclat couvrant ses lâchetez...

ALEXANDRE.

Que vous reprochez-vous aprés tant de bontez ?

DEMETRIUS.

J’aime ; ma passion a trop de violence
Pour pouvoir plus long-temps se contraindre au silence :
Ouy, j’aime ; à ce seul mot vostre amour alarmé
540 Ne vous apprend que trop l’objet qui m’a charmé.

ALEXANDRE.

Ah, Prince... c’est donc là ce malheur, ma Princesse,
Dont vous avez tantost menacé ma tendresse.
Ah ! Destins ennemis !

DEMETRIUS.

Je ne vous diray pas
Combien pour n’aimer plus j’ay rendu de combats.
545 J’aurois par mes efforts brisé la tyrannie
De toute autre beauté que celle d’Ismenie,
Et j’aurois veu ce coeur libre  ; victorieux,
Si l’on pouvoit guerir du mal que font ses yeux ;
Mais tout ce que j’ai fait croissant sa violence,
550 Mes feux ont consumé toute ma resistance.
Je ne veux point icy toucher vostre pitié ;
Mon amour est un crime envers nostre amitié :
Je devois étouffer tous les voeux* de mon ame ;
Je devois arracher ou mon coeur ou ma flame.
555 Cependant (disons tout,  ; par ce souvenir
Commence, ingrat amy, commence à te punir)
Cependant loin d’en faire une juste vangeance, [p. 25]
J’ay poussé jusqu’au bout mon ingrate constance.
Par vostre éloignement, par le rang que je tiens,
560 Par mes voeux qu’un divorce alloit rendre tous siens,
J’ay crû pouvoir fléchir l’adorable Ismenie,
Et prest d’abandonner tout l’espoir de ma vie,
Je me sers de vous mesme  ; de vostre retour
Pour un dernier secours que j’offre à mon amour ;
565 Je tâche à vous tenter par l’offre d’un Empire,
Et contre vostre amour tout mon amour conspire.
Voila ce digne amy, cet amy si parfait ;
Mais n’en soûpirez plus, vous serez satisfait,
Je quitte tout pour vous,  ; voilà la vangeance
570 Que tire l’amitié d’une amour qui l’offence.
Si c’est assez pour elle,  ; si c’est vous cherir
Que vous quitter le Sceptre, Ismenie,  ; mourir,
Pour le prix du bonheur que je vous abandonne
Daignez sans plus tarder accepter la Couronne,
575 Et faisant qu’Ismenie excuse mon transport,
Avec elle donnez quelques pleurs à ma mort.
Adieu.

MILON bas.

Peut-on regner avec tant de foiblesse ?
à Alexandre.
Seigneur, souffrirez-vous...

ALEXANDRE.

Suy ton Maistre,  ; me laisse.
[p. 26]

SCENE III.

ALEXANDRE seul.

Amy, cruel autant qu’on peut l’imaginer,
580 Ne m’as-tu rappellé que pour m’assassiner ?
Où me reduisez-vous, desordre de mon ame,
Pensers précipitez de devoir  ; de flame,
Sentimens d’amitié, de confiance,  ; de foy,
Tendresse, honneur, pitié, que voulez-vous de moy ?
585 Sans foule expliquez-moy quel dessein est levostre ;
Laissez-vous discerner ; parlez l’un apres l’autre ;
Appaisez un tumulte, un trouble où je ne puis
Ny sçavoir, ny souffrir, ny vaincre mes ennuis*.
Mourra-t’il ce grand Prince à qui je doy la vie ?
590 Mais m’ose-t’il parler de ceder Ismenie ?
Car enfin je voy bien où s’attache son choix.
Qu’il garde ma Grandeur, je luy cede mes droits ;
Je donne à ses desirs tout, horsmis ma Princesse.
Ciel, par l’amour du Thrône affoiblis sa tendresse.
595 Puissans Maistres des coeurs, rendez-le, justes Dieux,
Un peu moins amoureux  ; plus ambitieux,
Cher  ; cruel amy, regne,  ; souffre que j’aime.
Dieux ! qu’est-ce que je voy ? ma Princesse, elle mesme.
[p. 27]

SCENE IV.

ALEXANDRE, ISMENIE,
LAODICE.

ALEXANDRE.

Rendez-vous cet honneur au rang que je n’ay plus ?
600 Ces excés de bonté me rendent tout confus.

ISMENIE.

Aprés les longs ennuis d’une cruelle absence,
J’oublie une legere  ; foible bien-seance.

ALEXANDRE.

Sçavez-vous le succez* d’un funeste retour ?

ISMENIE.

Helas ! Demetrius vous a dit son amour.

ALEXANDRE.

605 Ouy, ce cruel amy m’en a fait confidence,
Et j’apprens des malheurs pires que mon absence :
Mais, ma chere Princesse, estre amis  ; Rivaux,
Helas ! ce n’est pas là le plus grand de mes maux.

ISMENIE.

Par quels autres malheurs la Fortune ennemie
610 Peut-elle encor troubler une si belle vie ?
Le Tyran préferant sa flame à son devoir,
Menace,  ; veut sans doute user de son pouvoir ?

ALEXANDRE.

Que je serois heureux s’il prenoit cette voye !
Ma constance verroit sa menace avec joye,
615 Et ce coeur genereux pourroit mieux s’attacher
Aux biens que sa fureur me voudroit arracher.
Mais il me rend le Thrône,  ; me cede Ismenie, [p. 28]
Et quand il veut quitter Thrône, Maistresse,  ; vie,
Vous pouvez bien juger par ce grand desespoir,
620 Qu’il me demande tout,  ; qu’il veut tout avoir ;
Il m’arrache en mourant à tout ce qu’il me donne,
Et met par là si haut les biens qu’il m’abandonne,
Que pour m’en rendre digne il faut y renoncer,
Et que ma seule mort le peut recompenser.

ISMENIE.

625 Ah ! Seigneur, moderez l’excés de ce grand zele,
Imitez les ardeurs de cet amy fidelle :
Mais voyez jusqu’où va sa generosité ;
Il a choisi, cher Prince,  ; n’a pas tout quitté.
Il m’a plûtost qu’à vous ouvert toute son ame,
630 Et bornant son espoir aux douceurs de sa flame,
Il choisit de deux biens ce qui plaist à ses yeux,
Et vous rend le plus grand,  ; le plus glorieux.

ALEXANDRE.

Que dites-vous, Princesse ? Ismenie, elle mesme
Me condamneroit-elle à perdre ce que j’aime ?
635 Elle mesme à ma flame imposer cette loy ?

ISMENIE.

Prince, vous ne pouvez disposer que de moy.
Vous croyez-vous permis de ceder la Couronne ?
Vous devez la reprendre,  ; l’honneur vous l’ordonne,
Tout l’Empire aujourd’huy vous presse par ma voix
640 De luy rendre le sang des legitimes Roys.
Voyez quels sentimens vostre devoir m’inspire ;
Malgré tout mon amour je vous cede à l’Empire.
Par cet effort mortel que je fais sur mon coeur,
Pour payer vostre amy sans trahir vostre honneur ;
645 Par ces larmes qu’arrache un si grand sacrifice ;
Par cet amy si cher  ; si plein d’injustice,
Escoutés un devoir de vostre rang jaloux : [p. 29]
Cedez vostre Ismenie, elle dépend de vous.
J’immole tout mon coeur aux soins de vostre gloire ;
650 Ne me dérobez pas cette grande victoire,
Et qu’on dise par tout aprés un si beau choix,
Ismenie a sauvé le plus grand de nos Roys,
Et pour le couronner cedant tout ce qu’elle aime,
Son amour s’est fait voir plus grand que l’amour mesme.

ALEXANDRE.

655 Helas ! à quelle gloire aspire vostre coeur !
Puis-je regner sans vous,  ; vivre avec honneur ?
Si vous avez dessein de sauver l’un  ; l’autre,
Et de justifier son amour  ; le vostre,
Montez dessus le Thrône,  ; par ce doux espoir
660 Consolez mon amour,  ; servez mon devoir.

ISMENIE.

Vous vivriez donc sans moy, si j’étois couronnée ?

ALEXANDRE.

Regnez sans éclaircir ma triste destinée.

ISMENIE.

Pour la remplir, Seigneur, vous devez estre Roy.

ALEXANDRE.

Regneray-je sans vous,  ; vivrez-vous sans moy ?
665 Non, non, connoissez mieux toute ma destinée ;
D’un costé regardez l’amour infortunée ;
Et puis jettez les yeux sur la triste amitié.
Où peut-on voir un sort si digne de pitié ?
Ce cher Demetrius qui m’a sauvé la vie,
670 Luy qui seul m’a sauvé mon aimable Ismenie,
Perdra-t’il tout son bien, vous, l’Empire,  ; le jour ?

ISMENIE.

Prince, connoissez mieux le but de son amour.
Il ne me cede pas en cedant la Couronne,
Et si vous méprisez ce qu’il vous abandonne,
675 Voyez que cet amy par un faux desespoir [p. 30]
Ainsi que vostre amour trompe vostre devoir.

ALEXANDRE.

Quel que soit son motif, n’ostons rien à sa gloire :
Quand je pourrois douter de ce que j’en dois croire,
Puis-je sans estre indigne  ; de vous  ; du jour,
680 Perdre un amy si cher,  ; trahir son amour ?
Dans l’estat malheureux où ma flame est reduite,
Mon honneur ne se peut sauver que par la fuite ;
Je ne puis vous ceder, ny regner qu’avec vous :
Tout party m’est fatal* ou peu digne de nous ;
685 Et de peur de choisir je fuis vostre presence.
Seule reglez mon sort ;  ; sur cette asseurance
Je prens congé de vous,  ; vay dans ce moment
Revoir les tristes lieux de mon bannissement :
De là, si de deux biens que pour luy j’abandonne,
690 Mon Rival veut choisir,  ; garder la Couronne,
Vostre Amant viendra passer à vos genoux
Des jours, que par vostre ordre il gardera pour vous.

ISMENIE.

Quoy, me quitter si tost ?

ALEXANDRE.

Peu sçachant ma venuë,
Ma fuite cette nuit en sera moins connuë :
695 Un prompt depart faisant douter de mon retour,
Peut épargner un peu de honte à mon amour.

ISMENIE.

Ah ! devoir trop cruel !

ALEXANDRE.

Quoy, vous pleurez, Princesse ?
Adieu, je fuis des pleurs qui tentent ma tendresse,
Et vay dans mon exil attendre un sort plus doux,
700 Et du temps,  ; des Dieux,  ; plus encor de vous.
[p. 31]

SCENE V.

ISMENIE, LAODICE.

LAODICE.

Quoy, le Prince s’enfuit,  ; cet ingrat vous quitte ?

ISMENIE.

Il fuit,  ; cette fuite est d’un si grand merite,
Que si son coeur eust pû se rendre à d’autres soins,
Peut-estre mon amour l’en estimeroit moins.

LAODICE.

705 Est-il rien à ce Roy si cher que sa Maistresse ?

ISMENIE.

Peut-il vivre en ces lieux sans honte  ; sans foiblesse ?
Trahira-t’il l’espoir de son liberateur ?
Regnera-t’il sans moy ? vivra-t’il sans honneur ?
Tu sçais mal les devoirs d’une ame delicate :
710 Pour fuir le nom d’injuste,  ; le titre d’ingrate,
Elle peut negliger ce qu’elle aime le mieux ;
Et dans l’ordre des biens qui luy sont precieux,
Quelque amere douleur qu’en souffre sa tendresse,
L’honneur est un degré plus haut que la Maistresse.
715 Il ne se dément point, tu sçais avec quel coeur
Il souffrit sa disgrace en quittant sa Grandeur :
Le Roy toûjours fidelle à sa reconnoissance,
Semble avoir oublié son Thrône  ; sa vangeance,
Et de ses Alliez negligeant le secours,
720 Sa vertu fait partout la gloire de ses jours.
Cependant qu’il est dur de voir fuir ce qu’on aime !
Je ne sçay quoy m’entraine,  ; m’arrache à moy mesme.
Allons suivre le Prince,  ; dans les mesmes lieux [p. 32]
Attendre un meilleur sort  ; du temps  ; des Dieux.

LAODICE.

725 Vous le suivre ? vous fuir ?

ISMENIE.

Excuse ma foiblesse,
Voy les biens que je suis,  ; les maux que je laisse.
Un Roy m’aime en ces lieux, un Roy peut tout oser,
Et cette seule crainte a de quoy m’excuser ;
Mais je crains plus encor de mon amour extrême ;
730 Puis-je aimer, puis-je vivre,  ; perdre ce que j’aime ?

LAODICE.

Madame, oubliez-vous ce que vous vous devez ?

ISMENIE.

Ou la fuite, ou la mort.

LAODICE.

Fuyez donc,  ; vivez.

Fin du second Acte.

[p. 33]

ACTE III.

SCENE PREMIERE.

MILON, TELAMON.

MILON.

Ah, que je suis heureux d’empescher cette fuite !

TELAMON.

Par vostre ordre, Seigneur, j’observois sa conduite :
735 Mais qui l’eust jamais crû, que dans un mesme jour
Sa fuite de si prés eust suivy son retour ?

MILON.

Il m’estoit trop suspect pour le laisser sans garde :
Comme à le laisser fuir tout mon bien se hazarde,
Sans me fier qu’à moy j’ay suivy ton advis ;
740 Au sortir de Dodone enfin je l’ay surpris,
Au moment qu’il entroit dans ce lieu Prophetique,
Dans la forest fameuse où l’Oracle s’explique.
En ramenant le Prince,  ; rentrant dans ces lieux,
La Princesse paroist comme un Astre à mes yeux :
745 A chercher son Amant cette Belle empressée,
Ayant l’esprit troublé, plein de cette pensée,
Elle me prend pour luy, m’arreste par le bras, [p. 34]
La Lune foiblement éclairoit ses appas.
O Dieux ! qu’en cet estat elle me parut belle !
750 Cet amas de clartez qu’on voit briller en elle,
De l’Astre de la nuit prenant un foible jour,
Inspiroit moins de crainte,  ; donnoit plus d’amour.
Pouvez-vous fuir sans moy, Prince ? s’escria-t’elle,
Mais voyant son erreur, c’est toy, Monstre infidelle ;
755 Elle fuit,  ; le Prince, en luy tendant la main,
Vous me suiviez, dit-il,  ; je fuyois en vain.
Tu vois quelles horreurs a pour moy la Princesse,
Ma fureur redoubloit en voyant leur tendresse ;
La mutuelle ardeur de leurs brûlans soûpirs
760 Allumoit ma colere,  ; glaçoit mes desirs.
Voyant mon Rival seul, de nuit, sous ma puissance,
Mon amour me tentoit d’achever ma vangeance,
Et surpris par l’appas de cette occasion
Il laissoit échapper son indignation.
765 De cet heureux Amant j’allois trancher la vie ;
Mais ma fureur a craint le couroux d’Ismenie ;
Je perdois mon Rival si j’avois moins aimé,
L’amour armoit mon bras, l’amour l’a desarmé.

TELAMON.

Mais pourquoy dans ces lieux retenir Alexandre ?
770 C’est un Rival de plus dont il vous faut défendre.

MILON.

Ah, je ne crains de luy que son éloignement.
Voy si ma Politique* agit sans fondement :
Mon rival ne se peut sauver que par l’absence,
Loin de nous il pourroit armer pour sa puissance.
775 D’ailleurs le Tyran seul est bien plus dangereux,
J’affoiblis l’un par l’autre estant icy tous deux :
Si l’un fuit, l’autre icy regneroit sans contrainte,
Et pour perdre du Peuple  ; la haine  ; la crainte,
Il pourroit publier* qu’il vouloit tout quiter, [p. 35]
780 Mais qu’Alexandre a fuy pour ne rien accepter.
J’oste à nostre Tyran un si grand avantage ;
La fuite d’un Rival luy donne de l’ombrage,
Elle luy rend suspect cet amy genereux,
Et d’un accord fatal va rompre tous les noeuds.
785 Il l’a fait arrester,  ; cet éclat de haine
Brise le premier noeud d’une si forte chaîne,
Et si nostre Tyran attente sur le Roy,
Il tombe sans ressource,  ; tout dépend de moy.
Il vient.

SCENE II.

DEMETRIUS, TELAMON, MILON.

DEMETRIUS.

Que Seleucus le garde,  ; m’en réponde.

MILON.

790 Cette fuite, Seigneur, étonne tout le monde.

DEMETRIUS.

M’ayant fait voir tous deux de si beaux sentimens,
Ce procedé confond tous mes raisonnemens.
Quelle fuite jamais fut si précipitée ?

MILON.

Avant que de venir ils l’avoient concertée.

DEMETRIUS.

795 Mais je la luy quitois*, pourquoy me l’arracher ?

MILON.

Vos offres n’ont servy qu’à les effaroucher,
Alexandre a trop crû sa lâche défiance.
Mon Rival, disoit-il, quite tout ; l’apparence !
Quelque piege est tendu sous de si beaux appas, [p. 36]
800 Fuyons, fuyons, Princesse,  ; ne l’attendons pas.
Tandis que la Princesse estoit sous vostre Empire,
Il n’osoit attenter sur le Thrône d’Epire ;
Mais de ces deux tresors l’un estant enlevé :
Il eust demandé l’autre aprés s’estre sauvé.

DEMETRIUS.

805 Que de divers transports mon ame est possedée !
Quoy ? l’enlever aprés que je l’avois cedée ?
L’enlever,  ; m’oster par cet injuste effort
Le fruit de mes douleurs,  ; le prix de ma mort ?
Je luy rendois le Sçeptre,  ; dans mon zéle extréme
810 Ne pouvant sans mourir luy quiter ce que j’aime,
J’allois mourir pour luy, sans que mon amitié
Par ces preuves de foy si dignes de pitié,
Pour toutes mes douleurs,  ; pour toutes mes pertes
Pretendist que l’honneur de les avoir souffertes,
815 Et luy, que je comblois de gloire  ; de bon-heur,
Le perfide, l’ingrat, me ravit cet honneur ?
Pour remettre en ses mains la supréme puissance,
J’entre dans les horreurs d’une indigne alliance,
Je suis pour le sauver le gendre d’Artaban ;
820 Et pour tant de bien-faits il me traite en Tyran ?
Il m’enleve Ismenie, il s’enfuit avec elle ?
Je te connoissois mal, amy trop infidelle.

MILON.

Vous le connoissez mal encor en ce moment
Lors que vous l’accusez de ce rapt seulement ;
825 Athenes, où j’ay sçeu que s’adressoit sa fuite,
L’aime,  ; vous hait assez pour en craindre la suite.

DEMETRIUS.

Craindray-je pour le Sçeptre ? il a pû l’accepter.

MILON.

Il croit plus glorieux de venir vous l’oster ;
Un Empire conquis a pour luy plus de charmes : [p. 37]
830 Il veut au droit du sang joindre celuy des armes,
Vanger l’honneur du Trône,  ; dedans vostre sang
Se laver de l’affront d’avoir perdu son rang.

DEMETRIUS.

Sans chercher ces raisons pour le charger d’un crime
Dont je ne puis avoir de soupçon legitime,
835 Cette fuite infidelle,  ; cet enlevement
Sont les dignes sujets de mon ressentiment.
L’ingrat !  ; je voulois luy quiter la Couronne ?
Lâcheté trop infame où l’amour m’abandonne,
D’un faux éclat d’honneur fantôme revestu,
840 Ne prens plus dans mon coeur le tiltre de vertu.
Qu’estes-vous devenus dans ce desordre extréme,
Beaux desirs de regner, amour du Diadéme ?
Vous qui devez remplir toute l’ame d’un Roy,
Ay-je pû vous ceder pour un amy sans foy ?
845 Reprenez pour toûjours l’empire de mon ame.
Et vous, cheres ardeurs d’une immortelle flame,
Que l’aveugle amitié trahissoit lâchement,
Rallumez vous au feu de mon ressentiment.
Ah ! Milon, que ne puis-je esperer d’Ismenie
850 Quelque adoucissement à ma peine infinie !
Ah, que de cet ingrat je prendrois à mon tour
Une douce vangeance  ; chere à mon amour !
Mais que puis-je esperer dans mon malheur extréme ?

MILON.

Contre vostre malheur n’employez que vous mesme ;
855 Pour gagner Ismenie offrez-luy vostre main ;
Offrez-luy la Couronne en Amant souverain,
Et pour ne trouver plus d’obstacle à vostre flame,
Et du Trône,  ; du lit, bannissez vostre femme.
Separez des desirs qui s’accordent si mal,
860 Les soins de vostre amour,  ; l’amour d’un Rival.
Perdez l’un ; gardez l’autre avec plus de courage, [p. 38]
Vous aimez, vous regnez ; en faut-il davantage ?
Pour servir vostre amour commencez d’estre Roy.

DEMETRIUS.

Dois-je armer contre luy ce qu’il quite pour moy ?

MILON.

865 De vostre offre du Trône il a sçeu se deffendre*
Pour vous précipiter d’où vous vouliez descendre ;
C’est du sang de Pyrrus l’ambitieux espoir,
D’arracher un honneur qu’il ne veut pas devoir.

DEMETRIUS.

Ce soupçon est injuste,  ; ta rage ennemie...

MILON.

870 Prenez-vous son party ?

DEMETRIUS.

Je hay la calomnie.

MILON.

Seigneur, la défiance est la vertu des Rois.

DEMETRIUS.

Dy plûtost des Tyrans.

MILON.

Vous en avez le choix ;
Roy, Tyran, quelque nom que prenne un nouveau Maistre,
Il doit craindre toûjours quiconque a droit de l’estre ;
875 Pour bien regner, il faut craindre plus d’une fois ;
Et toujours les soupçons sont du conseil des Rois.

DEMETRIUS.

Si l’on ne peut regner ou sans crainte ou sans crime,
Je renonce à ce Trône injuste ou legitime.

MILON.

Pensez-vous qu’il vous soit facile d’en sortir,
880 Qu’il soit seur d’en descendre,  ; de vous démentir ?
On ne fait point divorce avec le rang supréme : [p. 39]
Il faut le retenir en dépit de soy-mesme.
Prince ou Tyran, qui cede est prest à succomber,
Et l’on ne descend point du Trône sans tomber.
885 Pour garder seurement  ; le Trône  ; la vie,
Perdez vostre Rival, regnez sans jalousie ;
Ou si vous resolvez encor de l’espargner,
Seigneur, sortez du Trône,  ; le laissez regner.
Il sçaura mieux que vous user de mes maximes.

DEMETRIUS.

890 Il sçaura mieux que moy te punir de tes crimes.

MILON.

Quels crimes ? c’est pour vous seulement que j’en fais.

DEMETRIUS.

Pour moy, lâche ! fuy, Monstre,  ; ne reviens jamais.

SCENE III.

DEMETRIUS, TELAMON.

DEMETRIUS.

Qu’avec juste raison je bannis cet infame !
Le dangereux poison, qu’il verse dans mon ame
895 M’a si fort déguisé*, que d’un esprit confus
Je me cherche moy-mesme,  ; ne me trouve plus.
Où sont tes sentimens autresfois si sublimes,
Où l’amour des vertus, où la hayne des crimes ?
Par quel bizarre effet, par quel déreglement
900 Ce qui te fit horreur te paroist-il charmant ?
L’amour ne sçauroit-il entrer dedans une ame
Sans y jetter le trouble aussi-tost que sa flame ?
Sera-t’il toûjours mal avecque la raison, [p. 40]
Et ne peut-il regner sans quelque trahison ?
905 Escoute enfin la voix du remors qui t’accuse,
Tyran,  ; romps enfin le charme qui t’abuse.
Mais quel charme* plûtost qui t’empesche de voir
Que Milon sert ma gloire,  ; soûtient mon devoir ?
Il me veut conserver mon Sçeptre  ; ma Maistresse,
910 L’autre me les ravit ; ah ! c’est trop de foiblesse.
Gardes, suivez Milon ; je suis prest à l’oüir,
Qu’il vienne, mon couroux vient de s’évanoüir.
Télamon sort et Arsinoé entre.
Je veux tout accorder au secours de ma flame,
S’il faut perdre un amy, détrôner une femme,
915 Je ne refuse rien pour en venir à bout,
Et ce coeur amoureux est capable de tout.

SCENE IV.

ARSINOÉ, DEMETRIUS.

ARSINOÉ.

Qu’entens-je !

DEMETRIUS, sans voir Arsinoé.

C’en est fait ; je suivray ton envie ;
Perisse Arsinoé ; vive  ; regne Ismenie ;
Meure Alexandre.

ARSINOÉ.

O Dieux !

DEMETRIUS.

J’y consens sans regret :
à Arsinoé.
920 Reviens. Dieux ! osez-vous entrer dans mon secret ?
Ce lâche procedé marque vostre naissance : [p. 41]
Mais vostre jalousie a pris trop de licence,
Et de quelque dessein dont je vous sois suspect,
M’éclairer* de si prés c’est manquer de respect.
925 Et bien, vous n’avez plus aucun doute dans l’ame,
Vous estes éclaircie*, ; connoissez ma flame ;
Vous avez découvert avec vos soins jaloux,
Que j’aime une beauté plus aimable que vous ;
Pour vous éclaircir mieux je veux bien le redire,
930 Ismenie est l’objet pour qui mon coeur soûpire,
M’entendez-vous, Madame ? instruite de mon choix,
Songez à faire place au sang de tant de Rois,
Allez luy raconter, mais sans reserve aucune,
Que mon amour luy fait raison de sa fortune
935 Qui n’a pas daigné mettre un Sçeptre dans ses mains,
Dignes de gouverner l’Empire des humains.
Ayant receu le mien, rendez-luy vostre hommage,
Si vostre fier orgueil, vostre jalouse rage
Ne peuvent s’abaisser à cette juste loy,
940 Songez pour obeïr que je suis vostre Roy.
Adieu, suivez mon ordre.

SCENE V.

ARSINOÉ, seule.

Est-ce un charme, est-ce un songe,
Qui dans une erreur folle,  ; m’entraîne,  ; me plonge ?
Le traistre a déjà fait un choix à son amour :
Celle que sa beauté fait regner dans ma Cour,
945 Que je hay d’autant plus qu’elle est plus adorée,
Pour comble de malheurs me sera préférée.
Le perfide a-t’il crû qu’il s’adressoit à moy ? [p. 42]
Est-ce à moy qu’il parloit, à moy, qui l’ay fait Roy ?
Ah, Tyran, fuis aux traits de ma juste colere,
950 Si le Trône est mal seur contre ceux de mon pere,
Crains en moy la fureur de mes fameux parens,
D’une race fatale à l’orgueil des Tyrans.
Milon entre avec Télamon.
Souviens-toy par quel sang  ; par quelle victime
Artaban te vendit un Trône illegitime.
955 Tyran, je suis son sang, j’ay sa rage en mon sein,
Son orgueil dans mon coeur,  ; sa foudre en ma main.
Mais que fais-je ? quelqu’un pourroit icy m’entendre.

SCENE VI.

ARSINOÉ, TELAMON, MILON.

ARSINOÉ.

C’est toy, Milon, reviens ; je te veux tout apprendre.

MILON.

Par ordre exprés du Roy, je revenois icy.

ARSINOÉ.

960 Arreste ; il faut enfin que tu sois éclaircy.
Telamon, ayez soin qu’aucun ne nous surprenne.
Milon, tu viens de voir un éclat de ma haine,
Tu sçais que mon amour est l’unique secours
A qui Demetrius doit sa gloire  ; ses jours ;
965 Mesme encore pour luy je sens quelques tendresses ;
Mais il est temps enfin d’étouffer ces foiblesses,
Tu vois mes déplaisirs, tu vois si j’ay raison
D’armer la trahison contre la trahison,
Qui s’apreste à trahir consent qu’on le trahisse. [p. 43]
970 Enfin si ce dessein avoit moins de justice,
Il ne se seroit pas étably dans mon coeur,
Avec tant de repos, de calme,  ; de douceur.
Depuis que mon esprit le contemple  ; l’embrasse,
Nul penser pour le Roy ne m’a demandé grace ;
975 Tous demandent sa mort ; maintenant c’est à toy
D’en advertir le traistre, ou de te joindre à moy.

MILON.

O Dieux !

ARSINOÉ.

Pour t’engager à suivre ma querelle*,
Ne t’imagine pas qu’en ce lieu je rapelle
Tant de bien-faits receus d’Artaban  ; de moy ;
980 Aux vrais hommes de Cour, aux hommes comme toy,
C’est un foible motif que la reconnoissance ;
Oublier les bien-faits c’est leur haute prudence ;
Il faut, à qui s’en sert,  ; les veut retenir,
Le charme du present, l’espoir de l’advenir.
985 Laisse à part mes faveurs  ; celles de mon pere,
Et songe seulement à ce que je puis faire.
Tu te vois Favory, mais d’un Maistre inconstant,
Difficile à garder, inquiet, mécontent.
Veux-tu toûjours marcher entre ces précipices ?
990 Voicy pour en sortir des momens fort propices.
Ose, prens coeur, suy-moy d’un pas ferme  ; constant ;
Le Tyran mort, Milon, la Couronne t’attend.

MILON.

Pensez-vous bien, Madame, à l’horreur de ce crime ?

ARSINOÉ.

Pour perdre qui trahit tout semble legitime.

MILON.

995 Mais ne sentez-vous point ces remors, ces terreurs,
Que l’image du crime imprime aux plus grands coeurs ?

ARSINOÉ.

Toy, parler de remors ? ô Dieux, quelle impudence ! [p. 44]
Milon m’ose parler d’honneur  ; d’innocence ?
Avec quel front, cruel, à mes yeux oses-tu
1000 Me faire des leçons d’honneur  ; de vertu ?
Toy, l’amy d’Artaban...

MILON.

Agreable colere !
A ces marques en vous je connois vostre pere.
Digne sang d’Artaban, pardonnez une horreur
Que j’ay feinte à dessein de sonder vostre coeur.
1005 Grace aux Dieux, je vous voy courir à la vangeance
En fille du Heros dont vous pristes naissance,
Qui dans ses plus hardis  ; plus sanglants efforts
A veu toûjours son ame au dessus du remors.
Je me joins avec vous,  ; vay mettre en usage
1010 Le bel Art dont sous luy je fis apprentissage.
Instruit par les leçons de vos dignes parens,
Je cours ensanglanter le Thrône des Tyrans,
Et du grand Artaban surpassant les maximes,
Par un crime plus grand couronner tous ses crimes.

ARSINOÉ.

1015 Je reconnois Milon à ces beaux mouvemens.

MILON.

Connoissez jusqu’au bout quels sont mes sentimens :
L’ardeur de vous servir où mon coeur s’abandonne,
Redouble par l’horreur que le Tyran me donne.
Le lâche a pû former le dessein de quitter
1020 Ce que de tout son sang il devroit acheter ;
Il condamne Artaban,  ; maintenant n’aspire
Qu’à vous oster, l’ingrat, les marques de l’Empire :
Jugez du traitement* que j’en puis recevoir.
Ces inégalitez m’ont mis au desespoir ;
1025 J’ay voulu vous trahir pour tâcher de luy plaire, [p. 45]
Broüiller tout pour me rendre encor plus necessaire,
Le Tyran maintenant m’a mis de son secret,
Je le sers contre vous,  ; le sers à regret ;
Mais il verra bien-tost, si le Ciel m’est propice,
1030 Quels fruits vos ennemis tirent de mon service ;
Seule vous regnerez ; pour ce coup seulement
Prestez-moy tout entier vostre ressentiment :
Vostre pere Artaban, dont nous suivons les traces,
Me laissant de l’Estat toutes les fortes Places...

ARSINOÉ.

1035 Ces seuretez pour moy sont fort à dédaigner ;
Je songe à me vanger,  ; non pas à régner,
Et ce coeur amoureux cherche à punir un traistre,
Plus pour mourir vangé, que pour vivre sans Maistre.

MILON.

Si vous perdre avec luy suffit pour vous vanger,
1040 Toutes mes seuretez sont fort à negliger :
Mais joüissez long-temps du fruit de la vangeance ;
J’en connois un moyen digne de ma prudence.
Son Rival doit pretendre au pouvoir Souverain,
Faisons que pour ce coup il nous preste la main ;
1045 J’en fais semer le bruit pour servir nostre haine,
Et sur luy nous sçaurons en rejetter la peine.

ARSINOÉ.

Leur étroite amitié nous deffend ce secours.

MILON.

Leur étroite amitié n’a plus le mesme cours ;
Le Prince descendoit jusqu’à cette foiblesse,
1050 De fuir,  ; de ceder le Thrône,  ; la Princesse ;
Mais j’ay sçeu déguiser sa fuite avec tant d’art,
Que le Tyran l’a fait arrester de sa part.
Pour servir son amour encore il me rappelle,
Et je vay luy donner un conseil si fidelle
1055 Qu’il faut que son Rival, ou perisse aujourd’huy, [p. 46]
Ou force sa douleur à s’armer contre luy.

ARSINOÉ.

Mais comment l’engager dans nostre confidence ?

MILON.

Se commettre* au hazard est quelquefois prudence.
On seduit aisément des esprits mécontens.
1060 Mais en ce lieu suspect nous sommes trop longtemps,
On peut nous soupçonner ; que rien ne vous étonne*,
Seule sans plus tarder vous aurez la Couronne.

ARSINOÉ.

Adieu, je ne la veux que pour te faire Roy.

SCENE VII.

MILON, seul.

Ce n’est pas mon dessein de regner avec toy :
1065 Une autre par ma main sur le Thrône élevée
Doit rendre pleinement ma fortune achevée.
Quel torrent de bon-heur d’un cours precipité
M’entraîne dans ce port si long-temps souhaité ?
Thrône, Maistresse...
[p. 47]

SCENE VIII.

MILON, SELEUCUS.

MILON.

Enfin nous tenons Alexandre.

SELEUCUS.

1070 Confus,  ; dans son sort ne pouvant rien comprendre,
Il demande à parler,  ; l’apprendre du Roy.

MILON.

Il n’est pas en estat de l’obtenir de moy.
Et la Princesse ?

SELEUCUS.

Helas ! triste  ; desesperée,
Du Prince pour jamais se voyant separée,
1075 Elle donne des pleurs au sort de son Amant.

MILON.

Que ce Prince est heureux d’estre plaint tendrement,
Et pleuré de ces yeux où brillent tant de charmes !
Que n’ay-je part, Princesse, à de si belles larmes,
Et de ceux qu’à souffrir vos yeux ont condamnez,
1080 Que ne connoissez-vous les plus infortunez !
Les maux que vous pleurez sont moindres que les nostres :
Les pleurs de mon Rival sont vangez par les vostres ;
Mais ceux de mon amour  ; de mon desespoir,
Loin d’estre regretez n’osent se faire voir.
1085 Mais où m’emportez-vous, ridicules foiblesses ?
Seleucus, est-ce à moy d’écouter ces tendresses ?
Ces soûpirs ne sont pas d’un coeur comme le mien, [p. 48]
Et la plainte est honteuse à qui n’espere rien.
Je dois d’autres transports aux ardeurs de mon ame.
1090 Rappellé par le Roy pour conduire sa flame,
J’appreste à mes Rivaux un trait mortel  ; noir
Qui ne peut inspirer que haine  ; desespoir :
Sans leur division ma ruine est certaine ;
Il faut que mon amour triomphe par leur haine.

SELEUCUS.

1095 Craignez que ces fureurs ne retombent sur vous,
Je n’attends rien de bon d’un aveugle couroux,
Qui pour des biens douteux porte tout à l’extréme.
La Fortune, Milon, n’est pas toûjours la mesme,
Et si jusqu’à ce jour elle a suivy vos pas,
1100 La Fortune se prête,  ; ne se donne pas.

MILON.

Si tost qu’entre nos mains la Fortune se livre,
Qui la sçait gourmander, la force de le suivre.
A qui peut tout oser  ; braver le trépas,
La Fortune se donne,  ; ne se prête pas.
1105 Prens soin du Prisonnier ; cache son innocence.
Et des yeux du Tyran éloigne sa presence.
Va, dy-luy que le Roy luy deffend de le voir.
Au retour tu sçauras jusqu’où va mon espoir.
Tu sçauras que le Ciel par une illustre voye
1110 Précipite déjà le moment de ma joye,
Qu’il ne m’offre pas moins que le tiltre de Roy,
Et qu’il n’est presque rien entre le Thrône  ; moy.

Fin du troisiéme Acte.

[p. 49]

ACTE IV.

SCENE I.

ALEXANDRE, SELEUCUS.

ALEXANDRE.

Ces cruels traitemens ont droit de me surprendre.
Quoy ? me faire arrester, refuser de m’entendre,
1115 M’arracher Ismenie,  ; m’oster la douceur
De pouvoir auprés d’elle alleger ma douleur !
Quand je quite pour luy Trône, vie,  ; Maistresse,
Il ose soupçonner ma fuite  ; ma tendresse.
Quel charme m’a ravy mon cher Demetrius ?
1120 Est-il si fort changé ? ne me connoist-il plus ?

SELEUCUS.

Il vous fait arrester quand il craint vostre fuite,
Mais vous estes icy libre sous ma conduite ;
Quoy que sur luy l’amour ait pris trop de pouvoir ;
Il vous rend Ismenie,  ; vous la pourrez voir.

ALEXANDRE.

1125 Et je la pourray voir mon aimable Ismenie ?
Tu rends à mon amour une joye infinie ;
Ces bontez d’un Rival, ces retours de pitié [p. 50]
Me font voir dans son coeur un reste d’amitié.

SELEUCUS.

Seigneur, vous puis-je enfin parler en confidence ?
1130 N’attendez rien du Roy, craignez sa violence,
Et puisque sa fureur ose tout contre vous,
Songez... Mais vous pourriez vous défier de nous.

ALEXANDRE.

Me viens-tu conseiller par les avis d’un traistre ?
Viens-tu sonder mon coeur en condamnant ton Maistre ?

SELEUCUS.

1135 Quoy ! mes conseils, Seigneur, vous seroient-ils suspects ?

ALEXANDRE.

Garde à Demetrius ton zéle  ; tes respects ;
Puisque le Sort, les Dieux,  ; ma reconnoissance
Ont mis dedans ses mains la supréme puissance,
Lâche, revere en luy le sacré nom de Roy,
1140 Et prens de ton devoir, prens l’exemple sur moy.
Qu’il soüille ce grand Nom par celuy d’infidelle,
Je ne veux écouter, ny corrompre ton zéle.
Il regne, j’y consens,  ; fais ce que je dois :
Apprens par mes respects ce que l’on doit aux Rois.
1145 Si tu veux m’obliger sans honte ; sans foiblesse,
Hâte ce doux moment qui me rend ma Princesse ;
Je crains...

SELEUCUS.

Vous l’allez voir.

ALEXANDRE.

Seleucus, je la voy.
[p. 51]

SCENE II.

ISMENIE, ALEXANDRE,
TELAMON, SÉLEUCUS.

TELAMON.

Madame, vous sçavez quel est l’ordre du Roy ;
J’attens vostre réponse avec impatience.

ISMENIE, parlant à Seleucus et Telamon.

1150 Laissez ce moment libre à nostre confidence.

SCENE III.

ALEXANDRE, ISMENIE.

ALEXANDRE.

Vous puis-je encor revoir ? qu’en l’estat où je suis
J’ay souffert loin de vous de peines  ; d’ennuis* !
Mais quoy ? vous paroissez étonnée*, interdite.

ISMENIE.

Prince, à quoy pensez-vous devoir cette visite ?
1155 Ce n’est point aux faveurs d’un amy genereux ;
C’est à la cruauté d’un Tyran amoureux :
De ce fatal écrit vous le pourrez apprendre.

ALEXANDRE, en prenant le Billet.

Je tremble, je fremis, Madame, à vous entendre,
Princesse, si vos loix m’ordonnent de perir, [p. 52]
1160 Il faut que mon Rival partage ma fortune ;
Que nous tombions tous deux d’une chûte commune,
Ou que vostre pitié songe à me secourir.
DEMETRIUS.

ISMENIE.

Voilà cet amy magnanime
Qu’on ne pouvoit quiter ny refuser sans crime,
1165 Et pour qui vostre amour m’ose presque trahir.

ALEXANDRE.

Je te plains, pauvre Prince,  ; ne te puis haïr.
Des conseils de l’amour voyez la tyrannie,
Ou plûtost admirez le pouvoir d’Ismenie,
Dont les traits par un sort trop digne de pitié
1170 Blessent d’un coup mortel une illustre amitié.

ISMENIE.

Excusez-vous encor sa rage  ; sa foiblesse ?

ALEXANDRE.

Je sçay sur tous les coeurs ce que peut ma Princesse ;
Tous ces déreglemens qu’enfantent ses beaux yeux,
Sont la gloire du Monde,  ; la faute des Dieux :
1175 Le Roy n’a pû forcer* les transports de sa flame,
Vous voyez son dessein ; mais le vostre, Madame ?
Mourray-je ? ou mon Rival a-t’il lieu d’esperer ?

ISMENIE.

Est-ce moy qu’on choisit pour en deliberer ?
Nos malheurs sont trop grands pour la foible Ismenie,
1180 Et cet injuste choix a trop de tyrannie.
C’estoit tantost à vous, maintenant c’est à moy,
Tantost contre un amy, maintenant contre un Roy ;
Nous avons, vous  ; moy, de grands combats à rendre,
Vous avez succombé, quel succez* puis-je attendre ?
1185 Où vous avez cedé, pourray-je resister ?

ALEXANDRE.

Un Roy comme un amy n’est pas à redouter : [p. 53]
Contre un amy ceder c’est gagner la victoire,
Contre un Roy resister c’est se couvrir de gloire :
Qui cede à son amy, s’il en eust eu le choix,
1190 N’auroit pas consulté pour combatre cent Rois.

ISMENIE.

J’aurois pour ce combat de legeres alarmes
Si vostre amy n’avoit toûjours les mesmes armes ;
Mais usant envers vous de force ou de douceur,
C’est par vous seulement qu’il attaque mon coeur.
1195 Dans quelle extrémité me reduit sa menace ?
Resister est sur vous attirer sa disgrace,
C’est perdre ce que j’aime.

ALEXANDRE.

Et ne resister pas,
C’est me donner cent morts pires que le trépas.
Me reserveriez-vous à ce malheur extrême
1200 De voir à mon Rival posseder ce que j’aime,
Et me faire vous mesme un si funeste sort,
Pensez-vous que ce soit m’arracher de la mort ?
C’est joindre l’infamie à ma triste avanture,
C’est oster tout leur prix aux peines que j’endure,
1205 Et par des cruautez qui font fremir mon coeur,
C’est m’attacher mourant au char de mon Vainqueur.
Me feriez-vous, Princesse, un destin si contraire* ?

ISMENIE.

Vous aimez le Tyran, moy je crains sa colere :
Parce qu’il vous est cher,  ; que je crains pour vous,
1210 Ne dois-je pas...

ALEXANDRE.

Percez ce coeur de mille coups ;
Adjoûtez ce reproche au mal qui me devore :
Ouy, je l’aimois, Princesse,  ; ce coeur l’aime encore ;
Quand j’ay veu les effets de sa triste amitié, [p. 54]
Je ne le cele* point, ses maux m’ont fait pitié ;
1215 J’ay senty comme luy leur violence extrême,
Je l’ay plaint ; j’ay voulu, trop contraire à moy-mesme,
Malgré les sentimens de ce coeur amoureux,
Me perdre, vous quiter,  ; le laisser heureux.
Pardonnez-moy des voeux qui vous ont outragée ;
1220 Mon amitié par eux pleinement dégagée,
Si j’ay cedé tantost à son feint desespoir,
Souffre que mon amour s’oppose à son pouvoir.
Madame, c’en est fait : sa violence extrême
Me rend à mon amour, ou plûtost à moy-mesme :
1225 Tout mon coeur maintenant agit en liberté.
Si j’ay contre un amy foiblement resisté,
Maintenant qu’un Tyran me declare la guerre,
Seul je vous défendray contre toute la terre ;
Sans que quelque fureur dont je sente les coups
1230 Mesme dans mon trépas me separe de vous.
Te dois-je pas, Rival, une grace infinie,
Non à ton amitié, mais à ta tyrannie,
Puisque ta tyrannie enfin m’a redonné
Ce qu’à ton amitié j’avois abandonné ?

ISMENIE.

1235 Que vous redonne-t’il s’il vous oste la vie ?

ALEXANDRE.

La gloire de mourir pour vous avoir servie ;
Et si vous consentez à mon dernier orgueil,
La gloire d’estre aimé mesme dans le cercueil.
Alors que je cedois à l’amitié fidelle,
1240 Je fuyois, je mourois, je quitois tout pour elle ;
Mais m’en voyant trahy, par un destin bien doux
Je rends tout à l’amour,  ; je meurs tout pour vous :
Esclave seulement de la belle Ismenie,
Je vay par mon amour braver la tyrannie ;
1245 Victime d’amitié, j’allois perdre le jour, [p. 55]
Et je mourray pour vous en Victime d’amour.

ISMENIE.

Ah ! vous ne mourrez point.

ALEXANDRE.

Quel dessein est le vostre ?
Puis-je vivre,  ; vous voir entre les bras d’un autre ?
Est-ce là le secours qu’on offre à mes douleurs ?

ISMENIE.

1250 Je ne seray qu’à vous malgré tous nos malheurs.

ALEXANDRE.

Le Tyran veut enfin*, ma mort, ou ma Princesse.

ISMENIE.

Laissez agir pour vous ma gloire  ; ma tendresse :
Je conçois un dessein grand, noble, genereux,
Un dessein plein de gloire,  ; digne de tous deux.

ALEXANDRE.

1255 Qu’avez-vous resolu ? quelle est cette entreprise ?

ISMENIE.

Je vous aime, Seigneur, que cela vous suffise :
Mon amour fait luy seul ce que je fais pour vous.

ALEXANDRE.

Est-il quelque secret qui le soit entre nous ?

ISMENIE.

Adieu, le Roy m’attend avec impatience.

ALEXANDRE.

1260 Accablé de douleurs, sans vous, sans esperance...

ISMENIE.

Telamon vient à nous ; avant la fin du jour
Tu sçauras ce que peut un veritable amour.

ALEXANDRE.

Quoy ? Madame...

ISMENIE.

Obeïs, laisse-moy, vis,  ; m’aime.
[p. 56]

SCENE IV.

ALEXANDRE seul.

Que ton dessein me jette en un desordre extrême !
1265 Qu’a-t’elle resolu ? mais n’ay-je pas sa foy ?
J’ay son coeur ; c’est assez, Ismenie est à moy :
Je n’ay plus rien à craindre avec cet avantage.
Ciel, Enfer, Dieux, Mortels, que toute vostre rage
Fasse tomber ses traits sur des voeux si contens*...

SCENE V.

ARSINOÉ, SELEUCUS,
ALEXANDRE.

ARSINOÉ à Seleucus.

1270 Avec ton Prisonnier je seray peu de temps ;
Laisse-moy ; tu nuirois à nostre confidence.

ALEXANDRE.

Que voy-je ? Arsinoé ? Dieux, fuyons sa presence.

ARSINOÉ.

Me fuyez-vous, Seigneur ?

ALEXANDRE.

S’adresse-t’elle à moy,
La fille d’Artaban ?

ARSINOÉ.

La femme de ton Roy.

ALEXANDRE.

[p. 57]
1275 Ennemy des Tyrans, du Trône,  ; de ma flame,
J’abhorre également  ; sa fille  ; sa femme.

ARSINOÉ.

Quoy ? Seigneur, est-ce ainsi qu’on traite mon époux ?
Avez-vous oublié ce qu’il a fait pour vous ?
Ne vous souvient-il plus avec quelle tendresse
1280 Pour défendre vos jours, pour sauver la Princesse,
Contre les interests de sa propre grandeur,
Contre ses amis mesme animant sa valeur,
Sans épargner le sang de qui prit sa querelle,
Au grand art de regner il parut infidelle ?
1285 C’est à ses grands efforts que vous devez le jour ;
C’est luy seul qui sauva l’objet de vostre amour.

ALEXANDRE.

Achevez ce reproche,  ; dites tout, Madame ;
Dites qu’il m’a sauvé par un Hymen infame,
Qu’il sauva ma Princesse en vous donnant la main,
1290 Et qu’enfin c’est pour nous qu’il s’est fait Souverain ;
Mais s’il sauva mes jours  ; ceux de ma Princesse,
De ce qu’il m’a donné voyez ce qu’il me laisse :
Il demande Ismenie,  ; menace mes jours :
Dois-je pas détester ce funeste secours ?
1295 Qu’a fait son amitié que n’ait détruit sa rage ?
Que ne me laissoit-il dans ce sanglant naufrage,
Où mon Trône tombant je serois mort en Roy ?
Le Tyran me creusoit l’abysme où je me voy :
Connoissant le pouvoir qu’il avait sur mon ame,
1300 L’ingrat ne me sauva que pour servir sa flame,
Pour me desesperer par un faux desespoir,
Faire perir ma flame,  ; trahir mon devoir ;
Voilà ce que je dois à cet amy fidelle.
Vous, qui me reprochez la grandeur de son zéle,
1305 Qui femme d’un amy qui devient mon tyran, [p. 58]
Ne m’offensez pas moins que fille d’Artaban,
Venez-vous m’insulter, ou braver ma colere ?
Si la mort à ma haine a ravy vostre pere,
J’ay de quoy me vanger ; vostre époux vit encor,
1310 Et puisqu’il veut m’oster mon unique tresor,
Qu’il n’attende plus rien d’une amitié blessée,
D’un devoir violé, d’une amour offensée.

ARSINOÉ.

Ah ! ce ressentiment est si digne de vous,
Que mon coeur prés de luy s’allume de couroux.
1315 Quelque noeud qui m’attache au sort de ce parjure,
Je vous offre ma main pour vanger vostre injure,
Contre la tyrannie,  ; l’injuste fureur
Tout me semble permis, tout crime est sans horreur.

ALEXANDRE.

O Dieux !

ARSINOÉ.

Refusez-vous l’offre d’une ennemie ?

ALEXANDRE.

1320 Va porter loin de moy ta lâche perfidie ;
Laisse à mon innocence à guerir mes douleurs :
Tes conseils me feroient meriter mes malheurs.

ARSINOÉ.

Ta foiblesse merite un destin plus contraire.

ALEXANDRE.

Digne d’un tel époux,  ; digne d’un tel pere,
1325 Dans le ressentiment où ta fureur m’a mis,
Tu me fais plus d’horreur que tous mes ennemis.
Oses-tu me choisir pour l’effroyable crime
Qui doit faire perir ton époux legitime ?
Si mon ressentiment demandoit son trépas,
1330 J’irois faire la guerre,  ; non des attentats.
Je dois, Demetrius, excuser ta furie, [p. 59]
De cette infame Cour l’horreur te justifie ;
En vain dedans ces lieux ta gloire a combatu,
Si tout ce qui t’approche a soüillé ta vertu.
1335 Barbare, qui t’inspire une action si noire ?
D’un si sensible affront je vangeray ma gloire ;
Le Roy vient.

ARSINOÉ.

Est-ce agir en homme genereux ?

ALEXANDRE.

Je sçay ce que je dois.

ARSINOÉ.

O succez malheureux !

SCENE VI.

DEMETRIUS, ALEXANDRE,
ARSINOÉ, MILON,
SELEUCUS.

MILON.

C’est le Prince  ; la Reyne.

DEMETRIUS.

Evitons leur presence.

ALEXANDRE.

1340 Demetrius, écoute un advis d’importance :
Arreste.

DEMETRIUS.

Quel advis ?

ARSINOÉ, à Milon bas.

Il va tout dire au Roy.

ALEXANDRE.

Malgré les traitemens que j’ay receus de toy, [p. 60]
Quand les avis d’un traistre aveuglant ta conduite,
Te font craindre ma haine,  ; soupçonner ma fuite,
1345 Cet amy malheureux te voyant en danger
Par zéle  ; par pitié t’advertit d’y songer ;
Mais apprens que du Ciel la puissance suprême
Aprés ce grand secours t’abandonne à toy mesme,
Et peut-estre le trait que retenoient ses soins
1350 Va partir de la main dont tu l’attens le moins.

DEMETRIUS.

Quoy ! vous me menacez ?

ALEXANDRE.

Aprés ta violence,
Ce n’est plus ton respect qui m’impose silence,
Et si d’autres motifs ne retenoient mon bras,
Alexandre trahy ne menaceroit pas.
1355 M’as-tu crû hors du Trône avec tant de foiblesse,
Pour te précipiter du rang où je te laisse ?
M’as-tu crû sans amis, sans force,  ; sans pouvoir ?
Rentre enfin en toy-mesme  ; songe à ton devoir.
Surtout n’offense pas l’adorable Ismenie ;
1360 Espuise sur moy seul ta lâche tyrannie.
Songe que si je veux croire la trahison,
Je puis braver ta haine  ; rompre ma prison.
C’est peu de ce secours qu’on offre à ma vangeance :
Peut-estre encor le peuple arme pour ma défence.
1365 Ose, si tu le peux, te défier de moy :
Moy seul que tu trahis, moy seul je suis pour toy.
Mon malheur m’a forcé de te devoir la vie :
Je veux te la devoir malgré ta perfidie,
Mais en t’advertissant qu’on menace tes jours,
1370 Je te rends ton bienfait par un si grand secours.
Adieu, joüis, ingrat, de ma reconnoissance : [p. 61]
Un reste d’amitié s’oppose à ma vangeance,
Et si tous ont pour toy mesme fidelité,
Tu vivras plus heureux que tu n’as merité.

SCENE VII.

DEMETRIUS, ARSINOÉ,
MILON.

ARSINOÉ, bas.

1375 Ah ! Prince genereux !

MILON, au Roy.

Orgueil insuportable !

DEMETRIUS.

Mais plûtost, ô bonté qui sans cesse m’accable !
Je menace sa vie,  ; loin de se vanger,
Mon Rival m’advertit quand je suis en danger.
Ah ! trop sensible amy d’un lâche  ; d’un perfide,
1380 Que ne te lasses-tu d’aimer ton homicide !
Que n’es-tu plus barbare, ou moy plus genereux !
Que n’es-tu moins sensible, ou moy moins amoureux !
Source de trahisons, de desordre,  ; de flame,
Amour, rends-moy, Tyran, l’empire de mon ame.
à Milon.
1385 Voy quels troubles, quels maux vont produire mes feux ;
Voy l’advis que m’en donne un Rival genereux.

MILON.

Vous laissez-vous corrompre à l’advis qu’il vous donne ?

ARSINOÉ.

[p. 62]
Quoy ! Seigneur ?

DEMETRIUS.

Est-ce vous qu’il faut que je soupçonne ?

ARSINOÉ.

Moy, grands Dieux ?

DEMETRIUS.

L’innocente ! osez-vous démentir
1390 Le crime dont le Prince a voulu m’advertir ?
Dans ce soupçon mon ame est toute confirmée :
La frayeur dont tantost vous estiez alarmée,
Et qu’en vain vostre front tâche à dissimuler,
Dit assez que c’est vous dont il vouloit parler.

MILON, bas.

1395 Dans quels nouveaux perils me met sa défiance ?

DEMETRIUS.

Cet orgueil me parloit avec tant d’asseurance,
S’est-il évanoüy ? parlez, rasseurez-vous.

ARSINOÉ.

Je me trouble ; il est vray, mais c’est pour mon époux.
De mes tendres frayeurs ignorez-vous la cause ?
1400 Voyant à quels perils vostre amour vous expose,
Par le funeste advis qu’on vient de vous donner,
Sur ce trouble amoureux m’osez-vous soupçonner ?

DEMETRIUS.

Ah ! j’interprete mieux d’où vous naist cette crainte.
Mais parmy tant de maux dont mon ame est atteinte,
1405 J’abandonne ma vie à tout vostre couroux,
Je me livre à vos traits, je m’expose à vos coups.
Soyez pour moy sans foy, sans pitié, sans tendresse ;
J’ay trahy mon amy, j’ay trahy ma Maistresse ;
Vangez-les, vangez-vous sur un Roy malheureux ;
1410 Soyez enfin pour moy ce que je suis pour eux :
Accablé, desolé, par mon desordre extrême [p. 63]
J’immole à vos fureurs ce reste de moy-mesme.
Par l’exemple d’un pere instruite aux cruautez,
Signalez* jusqu’au bout le sang dont vous sortez,
1415 Et delivrez un Roy, par grace, ou par vangeance,
Des horreurs de son crime  ; de vostre alliance.

SCENE VIII.

DEMETRIUS, ARSINOÉ,
TELAMON, MILON.

TELAMON.

Seigneur.

DEMETRIUS.

Viens achever mon dernier desespoir.

TELAMON.

La Princesse, Seigneur, se dispose à vous voir.

DEMETRIUS.

Que dis-tu, Telamon ?

TELAMON.

Je dis que la Princesse...

DEMETRIUS.

1420 A ce nom, quel espoir, quelle prompte allegresse
Sur mes noires douleurs répand un si beau jour,
Et remplit mon esprit de lumière  ; d’amour ?
Ton conseil, cher Milon, me sera favorable :
Mais pour mieux soûtenir un espoir adorable,
1425 De grace, sois toûjours mon unique secours ;
Tu vois de tous costez qu’on menace mes jours ;
J’aime encore des jours qui sont pour Ismenie,
Je mets entre tes mains ma cruelle ennemie.

MILON.

[p. 64]
Ne craignez rien, Seigneur, je feray mon devoir.

DEMETRIUS.

1430 Vous, cruelle, tremblez,  ; craignez mon pouvoir.

SCENE IX.

ARSINOÉ, MILON.

MILON.

Nous voila delivrez d’une mortelle crainte.

ARSINOÉ.

Nous sommes seuls, parlons, agissons sans contrainte,
Tu vois pour t’avoir crû le peril que je cours,
Pour avoir d’Alexandre imploré le secours.

MILON.

1435 Mes soins ne sçauroient rompre une amitié fidelle ;
Puisque tant de soupçons ne peuvent rien sur elle,
Et ne sçauroient broüiller deux Rivaux genereux ;
Confondons leurs destins en les perdant tous deux.
J’avois contre le Prince armé la tyrannie ;
1440 J’attendois un grand coup de l’amitié trahie :
Mais puisqu’enfin de nous il s’ose défier,
Le Tyran doit mourir,  ; mourir le premier.

ARSINOÉ.

Prevenons promptement sa haine, ou sa foiblesse ;
Le Prince en a trop dit,  ; je crains la Princesse :
1445 Elle va voir le Roy, peut-estre avec dessein
De calmer sa fureur en luy donnant la main.
Perdons sans differer ma superbe Rivale ;
Sa vie à l’un ; l’autre est funeste ; fatale* ;
Allons, allons sur elle essayer nos fureurs.

MILON.

1450 Sur Ismenie ! ô Dieux ! [p. 65]

ARSINOÉ.

D’où viennent ces frayeurs ?

MILON.

Il faut auparavant se deffaire d’un traistre,
Affranchir nostre haine,  ; n’avoir plus de maistre ;
Aprés, si la Princesse est digne du trépas,
Ce coup quand nous voudrons ne nous manquera pas.
1455 Vous, perdez le Tyran,  ; punissez son crime.

ARSINOÉ.

Quoy ! faut-il d’un tel sang faire nostre victime ?

MILON.

Quel soudain repentir...

ARSINOÉ.

Pardonne ce remors,
L’amour en expirant fait ses derniers efforts* ;
Mais malgré cet amour je te livre une vie
1460 Qui doit estre le prix de celle d’Ismenie :
Perisse cet ingrat qui me manque de foy,
Par ce sanglant traité, Milon, je suis à toy.

MILON.

Allons tout préparer contre un couple infidelle.

ARSINOÉ.

Je te répons de luy.

MILON.

Moy, je vous répons d’elle.

Fin du quatrième Acte.

[p. 66]

ACTE V.

SCENE PREMIERE.

SELEUCUS, MILON,
TELAMON, entrant de deux
divers costez du Theatre.

SELEUCUS.

1465 Ah ! Seigneur !

MILON.

C’en est fait, Demetrius est mort.
Mais sçais-tu bien l’autheur de ce sanglant effort* ?
Une fille à nos soins a dérobé sa vie.

SELEUCUS.

O Dieux !

MILON.

Le croiras-tu ? l’adorable Ismenie
Est l’instrument fatal d’un crime plein d’horreur,
1470 D’un coup pour qui l’Enfer eust manqué de fureur.
On la tient ; mais c’est peu de se vanger sur elle :
Un grand coupable est joint à cette criminelle.
Toy qui gardes ce traistre, enfin fais-le venir ;
C’est luy seul, Seleucus, c’est luy qu’il faut punir.

SELEUCUS.

[p. 67]
1475 Mais, Seigneur...

MILON.

Immolons cette grande victime.

SELEUCUS.

Sa fuite le dérobe aux peines de son crime.

MILON.

Que me dis-tu ? grands Dieux !

SELEUCUS.

L’assassinat du Roy,
La revolte du Peuple, un Palais plein d’effroy,
Ont fait à cette fuite un succez favorable.

MILON.

1480 Va reparer ta faute,  ; suivre ce coupable ;
Tout est perdu pour nous s’il est en liberté ;
Va l’arracher des bras d’un Peuple revolté,
Prens nos meilleurs Soldats,  ; d’une ardeur si prompte...

SELEUCUS.

Il ne peut échaper,  ; j’en rendray bon compte :
1485 C’est un foible secours qu’un Peuple mutiné ;
Au premier choc qu’il souffre on le voit étonné*.
Vous, icy sur le Trône, à l’abry de l’orage,
Au dedans du Palais, gardez vostre avantage :
Le Sort l’a commencé, poussez-le jusqu’au bout :
1490 J’auray soin du dehors,  ; vous répons de tout.

MILON.

Va, de quelques malheurs que le Ciel nous menace,
Ma peur s’évanoüit par cette noble audace.
[p. 68]

SCENE II.

MILON, TELAMON.

MILON.

Ah ! si le Sort vouloit s’entendre avecque moy,
Je me verrois bien-tost heureux Amant  ; Roy.
1495 Nos mutins dissipez je n’ay plus rien à craindre :
Mais pour nous mieux entendre, il faut cesser de feindre,
Pour me connoistre entier, Telamon, sçache enfin,
Si le Tyran est mort, que j’en suis l’assassin,
Et le complice seul de cette perfidie,
1500 Sçache que c’est l’amour du Trône,  ; d’Ismenie.

TELAMON.

O Dieux !

MILON.

A Seleucus je cache ma fureur
Pour faire agir son zéle avec plus de chaleur,
En croyant qu’Alexandre a part à ce grand crime.
Ne crains rien : mon dessein rend ce coup legitime.
1505 Au point de tout oser, voyant toûjours le Roy
Reprendre ses soupçons, se défier de moy ;
Voyant qu’il aimoit trop le Prince,  ; la Princesse ;
Soupçonnant son amour, sa haine, ou sa foiblesse,
Nous avons par sa mort prévenu son dessein.
1510 La Reyne pour ce coup m’a dû prester sa main ;
Mais sur le point d’agir, sa haine trop timide
A forcé ma fureur à ce grand parricide.
Ayant sçeu qu’Ismenie estoit avec le Roy,
Dedans un cabinet toûjours ouvert pour moy,
1515 J’y cours, j’entre au moment qu’en sortoit la Princesse, [p. 69]
Un fer brille en sa main, dans ses yeux l’allegresse :
Ce poignard me surprend,  ; flate mon dessein ;
Je la suis,  ; je cours l’arracher de sa main ;
Je rentre ; le Roy seul, l’occasion m’engage :
1520 En l’approchant, mon crime étonne* mon courage ;
Mais plus par ce remors je me sens attaquer,
Plus je presse le coup, de peur de le manquer :
Je frappe ; il tombe ; il meurt ; voyant qu’il est sans vie,
Je sors, en m’écriant, qu’on saisisse Ismenie,
1525 Qu’on l’arreste, elle vient d’assassiner le Roy.
Pour convaincre quiconque eust soupçonné ma foy,
Ce fer estoit gravé des Armes d’Alexandre.

TELAMON.

Seigneur, aprés ce coup que pouvez-vous attendre ?

MILON.

La gloire de regner,  ; la douceur d’aimer.
1530 Mon crime est inconnû ; cesse de m’alarmer :
Tu vois pour mon bon-heur qu’un hazard favorable
D’un crime tout à moy fait un autre coupable ;
Cette heureuse imposture a de quoy me couvrir.

TELAMON.

Mais ce que vous aimez, le ferez-vous perir ?

MILON.

1535 J’aime trop Ismenie,  ; pour disposer d’elle,
Mon amour malgré moy la traite en criminelle,
Et pour vaincre l’horreur, qu’elle eut toûjours pour moy,
Je deviens son témoin,  ; son Juge,  ; son Roy.

TELAMON.

Vous attirez sur vous une horrible tempeste.

MILON.

[p. 70]
1540 Je voy tous les perils qui menacent ma teste ;
Avant que m’exposer à ce fatal instant,
Je les avois tous veus d’un oeil ferme  ; constant.
Crois-tu que d’un Roy mort la vaine  ; foible image,
Ou qu’un lâche remors estonne mon courage ?
1545 Sçache, quand un grand coup est party d’un grand coeur,
Qu’il redouble sa force,  ; le ferme à la peur ;
L’ame en devient plus forte,  ; le bras redoutable ;
Tel seroit moins hardy s’il estoit moins coupable,
Et loin qu’un grand forfait rende un coeur abatu,
1550 Le crime a ses Heros ainsi que la vertu.

TELAMON.

Mais, Seigneur, vous sçavez les remors de la Reyne,
Vous devez craindre tout des fureurs de sa haine.
Elle vient.

MILON.

Ne crains rien d’un si foible transport.

SCENE III.

ARSINOÉ, MILON, TELAMON.

ARSINOÉ.

Quoy ! tu m’oses attendre,  ; mon époux est mort ?
1555 Qu’as-tu fait de mon Roy ? rens-le moy, parricide.

MILON.

Quoy ! vous repentez-vous de la mort d’un perfide ?

ARSINOÉ.

Cruel, mon repentir a prévenu* ma main,
Et si ma jalousie en forma le dessein,
Barbare, as-tu bien crû qu’un amour en colere [p. 71]
1560 Aux dépens de mon coeur se voulust satisfaire ?
L’amour dont pour mon Roy je brûlois dans mon coeur
N’estoit pas moins amour quoy qu’il fust en fureur.
Quand je cours immoler une si chere vie,
Et qu’un soudain transport m’en fait perdre l’envie,
1565 Veux-tu de mon amour un témoin plus certain,
Que ce tendre remors qui fait trembler ma main ?
Tu feins de me vanger pour ton seul avantage,
Acheve pour regner les effets de ta rage,
Je suis toûjours, je suis pour ta confusion
1570 Un obstacle eternel à ton ambition :
Romps ce fatal obstacle, ose tout entreprendre ;
Mesle mon sang au sang que tu viens de répandre.
Acheve enfin.

MILON.

C’est trop par d’ingrates douleurs
Me reprocher un coup qui finit vos malheurs.
1575 J’ay bien d’autres soucis au milieu des alarmes,
Sans ceux de condamner, ou combatre vos larmes ;
Ces momens precieux qu’il nous faut épargner,
Ne doivent s’employer qu’à vaincre  ; qu’à regner.

ARSINOÉ.

Tout ce que ma douleur me laissera de vie,
1580 Je ne veux l’employer qu’à trahir ton envie.
Penses-tu me flater aprés la mort du Roy
De l’execrable espoir de regner avec toy ?
Lorsque je te promets ma main  ; la couronne,
Lors qu’à ces lâchetez ma douleur m’abandonne,
1585 As-tu crû profiter de mon aveuglement ?
Ma fureur promit tout sans mon consentement :
Maintenant que la mort d’un époux adorable
Semble te faire au Trône un chemin favorable,
Pour regner malgré moy, traistre, n’épargne rien ;
1590 Aprés le sang du Roy, perfide, prens le mien. [p. 72]
Grand Roy, qu’ont aveuglé les conseils d’un infame,
Cher époux qu’a trahy ta malheureuse flame,
Accepte mon remors,  ; dans mon desespoir
Voy que je songe au moins à faire mon devoir.
1595 Toy qui veux m’épargner, pour t’en oster l’envie,
Je sçauray te forcer à m’arracher la vie.
Elle sort.

MILON.

Je ris de ta menace,  ; je suis sans effroy,
Je me possede* encor,  ; je suis tout à moy.
Allons par ma présence... Ah ! je voy ma Princesse ;
1600 Pour servir mon amour employons nostre adresse :
à Telamon.
Toy, va de Seleucus apprendre nostre espoir ;
Je te suivray bien-tost.

SCENE IV.

ISMENIE, MILON.

ISMENIE.

Quel injuste pouvoir,
Quelle estrange licence aujourd’hui t’authorise
A te rendre en ces lieux maistre de ma franchise* ?

MILON.

1605 Demetrius est mort,  ; mort par vostre main.

ISMENIE.

Par ma main, imposteur !

MILON.

Vous le niez en vain ;
Pour vos seuls interests jaloux de vostre gloire, [p. 73]
J’ay sauvé vostre main d’une action si noire,
Et pour vostre innocence obstiné contre tous,
1610 J’impute cette mort à tout autre qu’à vous.

ISMENIE.

Ose-t’on m’imputer les effets de ta rage ?

MILON.

Quoy qu’il en soit, Madame, on le croit vostre ouvrage.

ISMENIE.

D’un poignard arraché pers-tu le souvenir ?

MILON.

Ce poignard vous accuse,  ; je vous dois punir.
1615 Cessez de vous troubler ; je regne par ce crime,
Et Roy, je vous fait part d’un Sceptre legitime ;
Mettez-vous sur le Trône à l’abry de ces coups
Qu’Arsinoé s’appreste à lancer contre vous,
Et prenant de ma main ce superbe avantage...

ISMENIE.

1620 Dieux ! me condamniez-vous à ce sanglant outrage !
Quoy ! le perfide autheur de tous nos déplaisirs,
Jusqu’à moy, jusqu’au Trône esleve ses desirs !
Traistre, quelle fureur t’a donné la licence
De disposer du Trône  ; de mon innocence ?
1625 Tantost tu m’as surprise un poignard à la main,
Et tu l’as fait servir à ton cruel dessein :
Mais si de ton Monarque immolé par ta rage
Ce coup ne m’eust osté l’illustre témoignage,
Tu sçaurois que du fer que j’avois prés du Roy
1630 Je voulois prévenir un Tyran comme toy ;
Tu sçaurois que pour fuir sa lâche tyrannie,
Je voulois de ma main sacrifier ma vie,
Et braver par ma mort un injuste pouvoir ;
Et qu’enfin j’avois sçeu par ce beau desespoir
1635 Fléchir nostre Tyran,  ; le couvrir de honte. [p. 74]
Mais est ce à son bourreau que j’en dois rendre compte ?

MILON.

Ignorez-vous le rang que je tiens dans ces lieux ?
En faisant mon devoir je vous l’apprendray mieux.
Demetrius mourant m’a laissé sa puissance :
1640 Milon, m’a-t’il dit, regne,  ; songe à ma vangeance.
Rappellant dans mon coeur cette mourante voix
J’abandonne vos jours à la foudre des loix :
Mais pour mieux commencer un si juste supplice,
Je vay de ton Amant me faire un sacrifice.

ISMENIE.

1645 Mon Amant, grace aux Dieux, n’est plus en ton pouvoir.

MILON.

Seleucus va bien-tost confondre* ton espoir.
Cependant nous verrons cette insolente audace
Prés des tourmens trembler,  ; me demander grace :
Il ne sera plus temps.

ISMENIE.

Menace,  ; fay le Roy ;
1650 Voilà le traitement que j’attendois de toy ;
Ce sont là tes douceurs ; l’injure  ; la menace
Dans la bouche d’un traistre ont bien meilleure grace :
Montre toy tout entier, ne te déguise point.

MILON.

Ah ! que ne puis-je icy vous accorder ce point !
1655 Vous verriez que ce Roy, qui tonne  ; qui menace,
Se condamne soy-mesme,  ; vous demande grace ;
Vous verriez sur le Trône au milieu de sa Cour
Vostre juge tremblant de respect  ; d’amour.

ISMENIE.

Qu’entens-je ? juste Ciel ! pour comble d’infamie
1660 C’est peu de m’accuser, Milon aime Ismenie !

MILON.

[p. 75]
Je vous aime, il est vray, le mot en est lâché ;
Ce feu que mes respects ont si long-temps caché,
Laisse aller aujourd’hui toute sa violence :
De deux Rivaux, l’un mort,  ; l’autre sans puissance,
1665 Laissent à mon amour la douceur d’éclater.
En vain vostre fierté s’appreste à resister
A ces vieilles ardeurs qui devorent mon ame ;
Rien ne peut arrester le torrent de ma flame ;
Je m’abandonne tout au charme de vos yeux ;
1670 Vous estes tout mon bien, ma fortune,  ; mes Dieux.
C’est pour vous seulement...

SCENE V.

TELAMON, MILON,
ISMENIE.

TELAMON tirant Milon à l’écart.

Ah ! Seigneur, Alexandre
A pour luy tout le monde, il est temps de se rendre.
Seleucus poursuivy d’un Peuple furieux,
S’est à peine en fuyant retiré dans ces lieux.

MILON.

1675 O Dieux !

TELAMON.

Fuyez, fuyez ; le Peuple  ; la Noblesse...

MILON.

Moy, fuïr, moy Fuïr du Trône,  ; quitter ma Princesse ?
Mon adresse  ; mon coeur peuvent tout surmonter ;
Il me reste auprés d’elle un moyen à tenter,
S’il manque, mon courage ose tout entreprendre. [p. 76]
à Ismenie.
1680 On vient de m’advertir du bonheur d’Alexandre :
Craignant tout de sa haine  ; de vostre couroux
Je dois en cet estat contre luy, contre vous,
Prendre mes seuretez dans ce peril extrême ;
Desesperé, perdant un Trône  ; ce que j’aime,
1685 Je puis faire perir Alexandre avec moy :
Mais pour l’amour de vous je l’accepte pour Roy.
Pour le moins puisqu’il faut luy ceder la victoire,
Faites que mon Rival me laisse cette gloire,
Et confesse en montant au bonheur souverain,
1690 Que tout vainqueur qu’il est, il le tient de ma main.

ISMENIE.

Sers ton Maistre,  ; de luy tu pourras tout attendre.

MILON.

Vous verrez quels devoirs je m’appreste à luy rendre :
Je vay dans un moment desarmer ce Palais,
Desarmer Seleucus : Si vous aimez la paix,
1695 Faites que vostre Amant sans desordre  ; sans armes
Vienne dessus le Trône étouffer tant d’alarmes.
Venir pour l’emporter les armes à la main,
C’est agir en Tyran plustost qu’en souverain ;
Qu’il monte sans combat à la grandeur suprême,
1700 Il n’a plus maintenant d’ennemis que soy-mesme ;
C’est luy seul qui se ferme en attaquant ces lieux
Le passage du Trône,  ; celuy de vos yeux.
Qu’il vienne...

ISMENIE.

Desarmé sur la foy d’un perfide,
Qu’il vienne dans ces lieux sanglants d’un parricide ?
1705 Songe, songe, Milon, à te déguiser mieux ;
Ma haine est éclairée, elle a de trop bons yeux.
Reduit à ce Palais, hors de toute esperance, [p. 77]
Tu voudrois bien tenir ton Maistre en ta puissance.

MILON.

Quand je veux couronner mon vainqueur de ma main,
1710 Quand pour vous...

ISMENIE.

C’est assez, je connois ton dessein,
Ne te déguise plus.

MILON.

Et bien, cessons de feindre,
Puisque tu me connois, commence de me craindre,
Crains, orgueilleuse, crains mon desespoir jaloux,
J’aime, je hay, je regne.

TELAMON.

Ah ! Seigneur, sauvez-vous,
1715 Fuyez, vostre fortune à ce point est reduite.

MILON.

Fuyons, amy, fuyons, mais signalons* ma fuite,
Et faisons par un coup digne de ma fureur
Déplorer à jamais la victoire au vainqueur.
Il est temps, il est temps de te faire connoistre
1720 Quel amour dans mon coeur tes yeux avoient fait naistre,
Tu ne seras qu’à moy dans ce moment fatal,
Je t’aime encor autant que je hay mon Rival.
Ouy, je t’aime, cruelle,  ; perdant tant de charmes
Ma flame  ; ma douleur m’en font verser des larmes,
1725 Je t’aime,  ; si je suis infâme, ambitieux,
Assassin de mon Roy, ne t’en prens qu’à tes yeux.
Je t’ay sacrifié ma fortune  ; ma vie,
Et je veux t’immoler à ma flame trahie.

ISMENIE.

Frape, acheve, cruel,  ; ne m’épargne pas ;
1730 Vange ton desespoir sur ces tristes appas,
S’ils ont mis de l’amour dans le coeur d’un infame, [p. 78]
Punis-les hardiment du crime de ta flame.

SCENE VI.

ISMENIE, SELEUCUS,
MILON.

SELEUCUS.

Ah ! Seigneur.

MILON.

Qu’est-ce enfin ? que me dit ce transport ?

SELEUCUS.

Vous triomphez malgré la malice du Sort.

ISMENIE.

1735 Dieux ! vous obstinez-vous à trahir l’innocence ?

MILON, à Ismenie.

Ose encore braver ma flame  ; ma puissance.
Mais dy moy, Seleucus, d’où naist ce prompt espoir.

SELEUCUS.

Il suffit qu’Ismenie est en vostre pouvoir.
Apprenez, apprenez ma derniere conduite.
1740 Trahy des miens, au peuple échapé par la fuite,
Voyant que ce Palais pour comble de malheur
Alloit estre forcé par l’effort du vainqueur ;
D’un Balcon élevé, qui domine la place,
Je l’appelle, il paroist, il triomphe, il menace.
1745 Prince, luy dis-je alors, pers un dessein fatal.
Regarde ta Princesse aux mains de ton Rival ;
Elle mourra. Frapé comme d’un coup de foudre,
Stupide,  ; tout d’un coup ne sçachant que resoudre*,
Je l’entens s’écrier, je mets les armes bas ; [p. 79]
1750 Je vay sans differer desarmer nos soldats,
Et je consens à tout pour sauver ma Princesse.

MILON.

Seleucus, c’est assez ; je connois sa foiblesse.
Ouy, superbe, par toy je triomphe de luy ;
Tu seras malgré toy ma force  ; mon appuy :
1755 Tu fais mon desespoir, mes soûpirs,  ; mes larmes,
Tu seras aujourd’huy, ma puissance,  ; mes armes.
Rougissez de mon sort, Dieux ingrats, Dieux jaloux,
J’ay de quoi vaincre encor malgré vous  ; sans vous.
Par elle mon Rival releve de ma grace ;
1760 Je vay luy confirmer ton affreuse menace.
à Ismenie.
Toy, cependant choisis ou la mort ou ma main.
à Seleucus.
Va-t’en prés de la Reyne observer son dessein,
Et de tous nos soldats relever l’esperance.

SCENE VII.

ISMENIE.

M’as-tu fait de Milon l’azile  ; la défence ?
1765 Ciel,  ; pour me sauver, Alexandre vainqueur,
Perdra-t’il sa victoire  ; toute sa grandeur ?
Justes Dieux, estes-vous si lents à vous resoudre ?
Pouvez-vous sur Milon suspendre vostre foudre ?
Ou sans craindre pour moy son cruel desespoir
1770 Faites que mon amant fasse enfin son devoir,
Ou ma mort ostera cet obstacle à sa gloire ;
Mais quel tumulte affreux...
[p. 80]

SCENE VIII.

LAODICE, ISMENIE.

LAODICE.

Le Prince a la victoire,
Et Milon en sortant a trouvé sur ses pas
Nos gens victorieux qui pressent ses soldats :
1775 Il combat ; mais en vain, sa défaite est certaine.

ISMENIE.

Quel favorable Dieu...

LAODICE.

Le croiriez-vous ? la Reyne,
Ouy, Madame, elle-mesme, ou plutost sa fureur
Vient d’ouvrir une porte aux armes du vainqueur.

ISMENIE.

Comment ?

LAODICE.

Contre Milon le coeur plein de vangeance,
1780 Sçachant que son amour endormoit sa prudence,
Elle a gagné la Garde à force de bienfaits,
Et son ressentiment a livré le Palais.
Alexandre estonné pressoit la populace
D’éloigner le Palais, d’abandonner la place,
1785 Quand une porte s’ouvre, où la Reyne soudain
Se presente en fureur un poignard à la main.
Peuple, s’écrie-t’elle, acheve la vangeance
De ton Roy sur Milon, ce poignard la commence ;
Sans attendre ce coup ny des Dieux ny de vous,
1790 J’ay sceu perdre un ingrat,  ; je vange un espoux.
Là plongeant dans son sein cette lame mortelle, [p. 81]
Elle meurt : aussi-tost une troupe rebelle
Du quartier de Milon accourt à ce grandbruit :
Cependant le Prince entre,  ; sa troupe le suit :
1795 On attaque, on combat, on deffend le passage,
Mais enfin Alexandre a tousjours l’avantage.
Il vient.

SCENE IX.

ALEXANDRE, ISMENIE,
LAODICE.

ALEXANDRE.

Je vous revois aprés tant de malheurs.
Qu’un court éloignement m’a coûté de douleurs !
Mon ame à vos perils fortement attachée,
1800 De la mort d’un amy n’est qu’à demy touchée,
Que dans un autre temps, quoy qu’il m’ait fait souffrir,
A peine j’aurois pû suporter sans mourir.

ISMENIE.

Je n’ay pas moins souffert de cruelles atteintes ;
Mais vos perils, Seigneur, faisoient toutes mes craintes ;
1805 Et ce coeur tout à vous a pû voir sans effroy
La mort que loin de vous j’ay veu si prés de moy.

ALEXANDRE.

Telamon en mourant m’a tout appris, Madame.
Helas ! je tremble encor des perils de ma flame :
Mais calmons ces frayeurs, Arsinoé n’est plus, [p. 82]
1810 Seleucus l’a suivie,  ; Milon tout confus,
Suivy, pressé des miens nous va faire justice.
Vangeons Demetrius par ce grand sacrifice.

SCENE X.

DIOCLES, ISMENIE, ALEXANDRE,
LAODICE.

DIOCLES.

Ah ! Madame.

ISMENIE.

Qu’as-tu ?

DIOCLES.

Milon percé de coups,
Furieux vous demande,  ; ne cherche que vous.
1815 Avec tant de succez sa fureur le seconde,
Qu’échapant comme aux mains, aux yeux de tout le monde,
Par un secret détour il vient se rendre icy.
Ah ! Seigneur, prévenez...

ALEXANDRE.

Ne crains rien.

DIOCLES.

Le voicy.
[p. 83]

SCENE XI.

MILON, ALEXANDRE,
ISMENIE, LAODICE,
DIOCLES.

MILON.

Ingrate, il faut mourir. Mais Dieux ! quelle foiblesse !
1820 Ma rage vit encor,  ; la force me laisse.
Quoy ! mon Rival aussi rit de mon vain effort* ?
Mes fureurs, ostez-luy le plaisir de ma mort :
Mais je meurs, Dieux cruels ! faut-il que j’abandonne
A cet heureux Rival  ; Maistresse  ; Couronne,
1825 Demetrius par moy n’est-il mort que pour luy ?
Tout ce que je croyois ma force  ; mon appuy,
La Reyne, mon amour,  ; ma propre furie
Me font perdre aujourd’huy, Maistresse, Trône  ; vie ;
Mais pour comble de maux, de honte  ; de malheur,
1830 Rival, je te les laisse, et j’en meurs de douleur.
[p. 84]

SCENE DERNIERE.

ALEXANDRE, ISMENIE,
LAODICE, DIOCLES.

ALEXANDRE.

Va, monstre furieux, ta derniere injustice
Est d’avoir en mourant évité ton suplice.
Allons de tant d’horreurs purger ces tristes lieux,
Et d’un si grand succez rendre graces aux Dieux ;
1835 Et demain nous pourrons avec plus d’allegresse
Par un illustre Hymen couronner ma Princesse.

FIN

Extrait du Privilège du Roy.

Par grace ; Privilege du Roy, donné à Paris le 10 septembre 1660. Signé, Par le Roy en son Conseil, FOURNIER, Il est permis au sieur Boyer, de faire imprimer, vendre  ; debiter une Piece de Theatre qu’il a composée, intitulée Démétrius, en telle marge  ; en tel caractere que bon luy semblera,  ; ce durant l’espace de cinq ans : Et deffences sont faites à tous autres de l’imprimer ou faire imprimer, vendre ou debiter sans le consentement de l’Exposant, à peine de mil livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits,  ; de tous dépens, dommages  ; interests, ainsi que plus au long il est porté par ledit Privilege.

Registré sur le Livre de la Communauté le 12 Novembre 1660. Signé, Josse, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le 10 Decembre 1660, à ROUEN, par L. MAURRY.