Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Thomas Corneille. Bellerophon. Tragédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 29 sc. 208 répl. 2,6 l. 537 l. 537 l. 34 % 1 608 l. (100 %) 3,0 pers.
APOLLON 2 sc. 7 répl. 2,7 l. 91 l. (18 %) 19 l. (4 %) 21 % 497 l. (31 %) 5,4 pers.
LES NEUF MUSES 1 sc. 1 répl. 1,3 l. 40 l. (8 %) 1 l. (1 %) 4 % 239 l. (15 %) 6,0 pers.
BACCHUS 1 sc. 7 répl. 1,3 l. 40 l. (8 %) 9 l. (2 %) 23 % 239 l. (15 %) 6,0 pers.
PAN 1 sc. 3 répl. 1,7 l. 40 l. (8 %) 5 l. (1 %) 14 % 239 l. (15 %) 6,0 pers.
CHŒUR d’Ægipans et de Ménades 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
CHŒUR de Bergers et de Bergères 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
berger 1 sc. 1 répl. 4,7 l. 40 l. (8 %) 5 l. (1 %) 12 % 239 l. (15 %) 6,0 pers.
dryade 1 sc. 3 répl. 0,4 l. 14 l. (3 %) 1 l. (1 %) 9 % 12 l. (1 %) 2,0 pers.
napee 2 sc. 9 répl. 1,0 l. 14 l. (3 %) 9 l. (2 %) 69 % 27 l. (2 %) 2,0 pers.
PALLAS 2 sc. 3 répl. 2,5 l. 29 l. (6 %) 8 l. (2 %) 26 % 129 l. (9 %) 4,4 pers.
IOBATE 10 sc. 30 répl. 2,5 l. 226 l. (43 %) 76 l. (15 %) 34 % 786 l. (49 %) 3,5 pers.
STENOBEE 10 sc. 28 répl. 3,9 l. 195 l. (37 %) 109 l. (21 %) 56 % 417 l. (26 %) 2,1 pers.
PHILONOE 8 sc. 28 répl. 2,1 l. 155 l. (29 %) 60 l. (12 %) 39 % 464 l. (29 %) 3,0 pers.
BELLEROPHON 10 sc. 26 répl. 2,2 l. 159 l. (30 %) 57 l. (11 %) 36 % 452 l. (29 %) 2,9 pers.
AMISODAR 5 sc. 12 répl. 3,8 l. 81 l. (16 %) 45 l. (9 %) 56 % 168 l. (11 %) 2,1 pers.
ARGIE 5 sc. 12 répl. 2,6 l. 94 l. (18 %) 31 l. (6 %) 33 % 207 l. (13 %) 2,2 pers.
LE SACRIFICATEUR 1 sc. 5 répl. 2,0 l. 52 l. (10 %) 10 l. (2 %) 20 % 258 l. (17 %) 5,0 pers.
LA PYTHIE 1 sc. 1 répl. 4,9 l. 52 l. (10 %) 5 l. (1 %) 10 % 258 l. (17 %) 5,0 pers.
TROUPE d’Amazones 2 sc. 4 répl. 3,0 l. 43 l. (9 %) 12 l. (3 %) 28 % 173 l. (11 %) 4,0 pers.
amazone1 1 sc. 2 répl. 1,5 l. 15 l. (3 %) 3 l. (1 %) 20 % 61 l. (4 %) 4,0 pers.
amazone2 1 sc. 2 répl. 1,4 l. 15 l. (3 %) 3 l. (1 %) 19 % 61 l. (4 %) 4,0 pers.
TROUPE de Solymes 1 sc. 1 répl. 1,2 l. 28 l. (6 %) 1 l. (1 %) 5 % 112 l. (7 %) 4,0 pers.
TROUPE de Magiciens 1 sc. 4 répl. 2,9 l. 25 l. (5 %) 12 l. (3 %) 48 % 50 l. (4 %) 2,0 pers.
CHŒUR de Peuple 3 sc. 9 répl. 5,1 l. 95 l. (18 %) 46 l. (9 %) 49 % 429 l. (27 %) 4,5 pers.
tous 1 sc. 3 répl. 1,3 l. 40 l. (8 %) 4 l. (1 %) 10 % 239 l. (15 %) 6,0 pers.
dieux-bois 1 sc. 3 répl. 1,0 l. 8 l. (2 %) 3 l. (1 %) 42 % 15 l. (1 %) 2,0 pers.
voix-derriere-theatre 2 sc. 4 répl. 1,3 l. 27 l. (6 %) 5 l. (1 %) 19 % 81 l. (6 %) 3,0 pers.
Thomas Corneille. Bellerophon. Tragédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
APOLLON
LES NEUF MUSES
4 l. (75 %) 1 répl. 3,8 l.
2 l. (26 %) 1 répl. 1,3 l.
1 sc. 5 l. (1 %) 6,0 pers.
APOLLON
BACCHUS
7 l. (70 %) 4 répl. 1,6 l.
3 l. (31 %) 3 répl. 1,0 l.
1 sc. 9 l. (2 %) 6,0 pers.
APOLLON
IOBATE
3 l. (48 %) 1 répl. 2,7 l.
3 l. (53 %) 1 répl. 2,9 l.
1 sc. 6 l. (2 %) 5,0 pers.
APOLLON
tous
6 l. (68 %) 1 répl. 5,6 l.
3 l. (33 %) 2 répl. 1,4 l.
1 sc. 8 l. (2 %) 6,0 pers.
BACCHUS
PAN
6 l. (71 %) 3 répl. 1,7 l.
3 l. (30 %) 2 répl. 1,1 l.
1 sc. 7 l. (2 %) 6,0 pers.
dryade
napee
2 l. (30 %) 3 répl. 0,4 l.
3 l. (71 %) 4 répl. 0,7 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 2,0 pers.
napee 4 l. (100 %) 2 répl. 1,6 l. 2 sc. 3 l. (1 %) 1,0 pers.
napee
dieux-bois
4 l. (50 %) 3 répl. 1,0 l.
4 l. (51 %) 3 répl. 1,0 l.
1 sc. 6 l. (2 %) 2,0 pers.
PALLAS
BELLEROPHON
7 l. (83 %) 2 répl. 3,0 l.
2 l. (18 %) 1 répl. 1,3 l.
2 sc. 7 l. (2 %) 4,4 pers.
PALLAS
voix-derriere-theatre
2 l. (57 %) 1 répl. 1,5 l.
2 l. (44 %) 1 répl. 1,1 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
IOBATE 1 l. (100 %) 1 répl. 0,5 l. 1 sc. 0 l. (1 %) 1,0 pers.
IOBATE
STENOBEE
22 l. (50 %) 11 répl. 2,0 l.
23 l. (51 %) 9 répl. 2,5 l.
3 sc. 44 l. (9 %) 2,5 pers.
IOBATE
PHILONOE
10 l. (51 %) 5 répl. 1,8 l.
9 l. (50 %) 6 répl. 1,5 l.
4 sc. 18 l. (4 %) 3,5 pers.
IOBATE
BELLEROPHON
28 l. (54 %) 10 répl. 2,7 l.
24 l. (47 %) 9 répl. 2,6 l.
3 sc. 50 l. (10 %) 2,9 pers.
IOBATE
CHŒUR de Peuple
15 l. (75 %) 2 répl. 7,2 l.
5 l. (26 %) 2 répl. 2,4 l.
2 sc. 19 l. (4 %) 4,0 pers.
STENOBEE
PHILONOE
12 l. (38 %) 4 répl. 3,0 l.
20 l. (63 %) 4 répl. 5,0 l.
2 sc. 32 l. (6 %) 2,6 pers.
STENOBEE
BELLEROPHON
8 l. (45 %) 2 répl. 3,6 l.
10 l. (56 %) 2 répl. 4,5 l.
1 sc. 16 l. (4 %) 2,0 pers.
STENOBEE
AMISODAR
11 l. (42 %) 3 répl. 3,3 l.
15 l. (59 %) 3 répl. 4,7 l.
1 sc. 24 l. (5 %) 2,0 pers.
STENOBEE
ARGIE
58 l. (77 %) 10 répl. 5,8 l.
18 l. (24 %) 8 répl. 2,2 l.
4 sc. 76 l. (15 %) 2,0 pers.
PHILONOE 3 l. (100 %) 1 répl. 2,9 l. 1 sc. 3 l. (1 %) 1,0 pers.
PHILONOE
BELLEROPHON
21 l. (53 %) 14 répl. 1,4 l.
19 l. (48 %) 12 répl. 1,6 l.
4 sc. 39 l. (8 %) 3,1 pers.
PHILONOE
CHŒUR de Peuple
1 l. (35 %) 1 répl. 0,8 l.
2 l. (66 %) 1 répl. 1,5 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 3,0 pers.
BELLEROPHON 4 l. (100 %) 1 répl. 3,4 l. 1 sc. 3 l. (1 %) 1,0 pers.
AMISODAR 14 l. (100 %) 2 répl. 6,8 l. 2 sc. 14 l. (3 %) 1,0 pers.
AMISODAR
ARGIE
5 l. (29 %) 3 répl. 1,6 l.
12 l. (72 %) 3 répl. 3,9 l.
1 sc. 17 l. (4 %) 3,0 pers.
AMISODAR
TROUPE de Magiciens
13 l. (53 %) 4 répl. 3,2 l.
12 l. (48 %) 4 répl. 2,9 l.
1 sc. 25 l. (5 %) 2,0 pers.
LE SACRIFICATEUR
CHŒUR de Peuple
9 l. (22 %) 4 répl. 2,1 l.
32 l. (79 %) 5 répl. 6,2 l.
1 sc. 39 l. (8 %) 5,0 pers.
TROUPE d’Amazones 7 l. (100 %) 1 répl. 6,8 l. 1 sc. 7 l. (2 %) 1,0 pers.
TROUPE d’Amazones
amazone2
3 l. (63 %) 1 répl. 2,4 l.
2 l. (38 %) 1 répl. 1,4 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 4,0 pers.
TROUPE d’Amazones
TROUPE de Solymes
3 l. (69 %) 2 répl. 1,4 l.
2 l. (32 %) 1 répl. 1,2 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 4,0 pers.
CHŒUR de Peuple 9 l. (100 %) 1 répl. 8,1 l. 1 sc. 8 l. (2 %) 1,0 pers.
voix-derriere-theatre 3 l. (100 %) 2 répl. 1,5 l. 1 sc. 3 l. (1 %) 1,0 pers.

Bellerophon. Tragédie

Thomas CorneilleGeorges ForestierSévag TachdjianÉdition critique établie par Sévag Tachdjian dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2002-2003)

Autres contributions

Amélie Canu : Édition XML/TEI.
Frédéric Glorieux : Informatique éditoriale.
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne)http://bibdramatique.paris-sorbonne.fr/corneille-thomas_bellerophon/teihtmltextepub
Thomas Corneille. Bellerophon. Tragédie. On la vend A PARIS, A l’Entrée de la porte de l’Académie Royale de Musique, au Palais Royal rue S. Honoré. Imprimée aux dépens de ladite Académie. Par MILLE DE BEAUJEV, Imprimeur. M. DC. LXXIX. Avec Privilège de Sa Majesté.
Tragédie

BELLEROPHON
TRAGEDIE.
REPRESENTÉE
PAR L’ACADEMIE ROYALE
DE MUSIQUE.

[p. III]

[Argument]

Le Roy ayant donné la Paix à l’Europe, l’Académie Royale de Musique a creu devoir marquer la part qu’elle prend à la joye publique par un Spectacle, où elle pust faire entrer les témoignages de son zele pour la gloire de cet Auguste Monarque. Elle s’y est creuë d’autant plus obligée que la protection qu’il donne aux beaux Arts les a toûjours fait joüir, pendant le cours méme de la Guerre, de l’heureuse tranquillité qui leur est si nécessaire. C’est ce qui a donné occasion à cette Tragedie en Musique. Le Theatre represente d’abord le Parnasse François. Apollon y vient avec les Muses celebrer le retour d’une paix si glorieuse à la France. Pan & Bacchus y arrivent en méme temps, & signalent leur joye par des Danses & par des Chants d’allegresse. Mais Apollon pour mieux divertir le plus Grand Prince de la Terre, imagine sur le champ un Spectacle, où luy-méme avec les Muses veut représenter l’Histoire de Bellerophon. Chacun sçait que ce Heros combatit autrefois la Chimere*, monté sur Pegase*, & que ce fut d’un coup de [/ IV] / pied de ce Cheval que nâquit ensuite la fameuse Fontaine qui inspire les Vers, & qui a fait naître la Poësie. On ne sçait pas trop bien qui estoit le Pere de Bellerophon. Les uns tiennent que c’estoit Glaucus, les autres le font Fils de Neptune ; & c’est sur cette diversité d’opinions qu’on a formé l’intrigue de cette Piece, & l’Oracle qui en fut le nœud. Amisodar est un Personnage Episodique, fondé sur ce que quelques Mythologistes raportent sur cette Fable, qu’il y a eu une Femme nommée Chimere*, qui épousa un Roy de Lycie*, appellé Amisodar.

Acteurs du Prologue.

[p. V]
  • APOLLON.
  • LES NEUF MUSES.
  • BACCHUS.
  • PAN.
  • CHŒUR d’Ægipans et de Ménades.
  • CHŒUR de Bergers et de Bergères.

Acteurs de la Tragédie.

[p. VI]
  • PALLAS.
  • IOBATE,Roy de Lycie.
  • STENOBEE,Veuve de Pretus, Roy d’Argos.
  • PHILONOE,Fille d’Iobate.
  • BELLEROPHON,creu Fils de Glaucus.
  • AMISODAR,Prince Lycien, Sçavant en Magie, Amoureux de Sténobée.
  • ARGIE,Confidente de Sténobée.
  • LE SACRIFICATEUR.Ministres du Temple d’Apollon.
  • LA PYTHIE.
  • TROUPE d’Amazones.
  • TROUPE de Solymes.
  • TROUPE de Magiciens.
  • CHŒUR de Peuple.
LA SCENE EST A PATARE CAPTALE du Royaume de Lycie*.
[p. VII]

Prologue

Le Theatre représente une agreable Vallée, en forme de Costeaux delicieux, au fond desquels paroist le Mont Parnasse* à double sommet, & entre les deux, la Source de la Fontaine d’Helicon. Apollon* est assis au haut de cette Montagne, accompagné des Neuf Muses, qui sont aussi assises des deux costez.

APOLLON

Muses, preparons nos Concerts.
Le plus grand Roy de l’Univers
Vient d’asseurer le repos de la Terre ;
Sur cet heureux Vallon il répand ses bien-faits.
5 Apres avoir chanté les fureurs* de la Guerre,
Chantons les douceurs de la Paix.

Chœur de Muses

Apres avoir chanté les fureurs de la Guerre,
Chantons les douceurs de la Paix.

APOLLON

Par cet Auguste Roy la discorde est bannie.
10 Pour tous les Dieux sa gloire a tant d’appas*, [p. VIII]
Que Pan luy mesme oubliant nos debats
Vient icy de nos Chants augmenter l’harmonie.
Bacchus* ainsi que luy vient se joindre avec nous,
Pour rendre nos accords plus charmants & plus doux.
Bacchus entre icy d’un costé, accompagné d’ Ægipans & de Ménades, & Pan entre de l’autre, suivy de Bergers & de Bergeres.

BACCHUS

15 Du fameux bord de l’Inde, où toûjours la Victoire
Rangea les Peuples sous ma Loy,
Je viens prendre part à la gloire*
D’un Vainqueur aussi grand que moy.

PAN

J’ay quitté les Forests où je tiens mon Empire
20 Pour venir comme vous admirer ce Heros*.
Nos Plaines & nos Bois luy doivent leur repos,
C’est par luy seul qu’en nos Champs on respire.

TOUS ensemble

Chantons le plus grand des Mortels,
Chantons un Roy digne de nos Autels.

CHŒUR d’Apollon et des Muses

25 Par luy tous nos champs refleurissent.

CHŒUR de Bacchus & de Pan

[p. IX]
Les tranquilles plaisirs par luy sont de retour.

CHŒUR d’Apollon & des Muses

De son nom seul les Echos retentissent.

CHŒUR de Bacchus & de Pan

Si l’on soûpire encor, ce n’est plus que d’amour.

CHŒUR d’Apollon & des Muses

Tout rit dans nos douces retraites.

CHŒUR de Bacchus & de Pan

30 Rien ne vient plus troubler le son de nos Musetes.

TOUS ensemble

Chantons le plus grand des Mortels,
Chantons un Roy digne des Autels.
Les Bergers & les Bergeres commencent icy une Entrée*, apres laquelle un Berger chante les deux couplets suivants, qui sont entremeslez de Dances.

CHANSON du Berger

Pourquoy n’avoir pas le cœur tendre ?
Rien n’est si doux que d’aimer.
35 Peut-on aisément s’en défendre ?
Non, non, non, l’Amour doit tout charmer.
Que sert la fierté dans les Belles ? [p. X]
Tout aime enfin à son tour.
Voit-on des rigueurs eternelles ?
40 Non, non, non, rien n’échappe à l’Amour.
Apres cette Chanson, les Ægipans & les Ménades font une Entrée*, laquelle estant finie, les Bergers & les Bergeres se meslent avec eux ; & ils dansent tous ensemble. Cette dernière Danse est suivie de ce Dialogue de Bacchus & de Pan.

PAN

Tout est paisible sur la Terre,
Voicy l’heureux temps des Amours.

BACCHUS

Ils n’ont plus à craindre la Guerre,
Qui des Amants troubloit les plus beaux jours.

PAN

45 Aimez, Bergers, aimez, Bergeres,
Suivez vos plus tendres desirs.

BACCHUS

Si l’Amour a des maux, il a mille plaisirs
Qui rendent ses peines legeres.

BACCHUS & PAN

Si l’Amour a des maux, il a mille plaisirs
50 Qui rendent ses peines legeres.

APOLLON

[p. XI]
Quittez de si vaines Chansons.
Il faut par de plus nobles sons
Honorer en ce jour le Heros* de la France.
Transformons-nous en ce moment,
55 Et dans un Spectacle charmant
Celebrons à ses yeux l’heureux Evenement,
Qui jadis au Parnasse* a donné la naissance.
Allons, pour ce grand Roy redoublez vos efforts*,
Preparez vos plus doux accords.

TOUS ensemble

60 Pour ce Grand Roy redoublons nos efforts,
Preparons nos plus doux accords.

FIN DU PROLOGUE [p. XII    1/A]

Bellérophon,

TRAGEDIE

ACTE PREMIER

Le Theatre represente une avant-cour du Palais du Roy, au fond de laquelle paroist un grand Arc de Triomphe, & au delà, on découvre la Ville de Patare, Capitale du Royaume de Lycie*.

SCENE PREMIERE

STENOBEE, ARGIE

STENOBEE

Non, les soûlevements d’une Ville rebelle
Ne m’ont point fait quitter Argos.
C’est l’Amour seul fatal à mon repos,
65 C’est le cruel Amour qui dans ces lieux m’appelle.
Pretus n’est plus, & desormais sa mort [p. 2]
Me rend maistresse de mon sort ;
Je puis donner un Diadème,
Et viens en cette Cour faire un dernier effort*
70 Sur le cœur d’un Ingrat* que j’aime.

ARGIE

Quoy, de Bellerophon l’outrageante froideur
Ne peut de cet amour dégager vostre cœur ?

STENOBEE

Malgré tous mes mal-heurs je serois trop heureuse,
Si les mépris pouvoient guerir l’amour.
75 Ma fierté dés long-temps par un juste retour*,
M’auroit fait triompher de la flâme* amoureuse ;
Mais helas ! ma tendresse* augmente chaque jour.
Malgré tous mes mal-heurs je serois trop heureuse,
Si les mépris pouvoient guerir l’amour.

ARGIE

80 Contre Bellerophon vostre aveugle colere
Aux plus sanglants effets* devoit s’authoriser ;
L’amour vous le fait voir toûjours digne de plaire,
C’est assez pour vous apaiser.

STENOBEE

Helas ! à quel excez je portay ma vangeance !
85 Je l’accusay malgré son innocence
De vouloir m’inspirer une coupable ardeur*.
Ce fut pour luy ravir & l’honneur & la vie,
Que Pretus l’envoya chez le Roy de Lycie*.
Et quels troubles alors ne sentit point mon cœur ! [p. 3]
90 En vain, quand l’amour est extrême,
On veut prendre un Ingrat qui nous ose outrager.
On prend dans ses mal-heurs plus de part que luy-mesme.
Helas ! quand il se faut vanger de ce qu’on aime,
Qu’il en coûte pour se vanger !

ARGIE

95 Ne redoutez plus rien ; ce Heros* invincible
Aux plus affreux perils tant de fois exposé,
A sa valeur* a trouvé tout possible.
Quel triomphe* pour vous s’il vous estoit aisé
De rendre enfin son cœur sensible* !

STENOBEE

100 Du moins Bellerophon n’a jamais rien aimé,
C’est à la gloire* qu’il se donne,
Et son cœur peut estre charmé*
Par les offres de ma Couronne.
Espoir, qui seduisez les Amans mal-heureux,
105 Pourquoy suspendre ma vangeance ?
Je sçais, je sçais combien vous estes dangereux,
Je sçais que vous allez entretenir mes feux*,
Et redoubler leur violence ;
Cependant vous rentrez dans mon cœur amoureux,
110 Et je sens qu’avec vous il est d’intelligence.
Espoir, qui séduisez les Amans mal-heureux,
Pourquoy suspendre ma vangeance ?

SCENE II

[p. 4]
STENOBEE, PHILONOE, ARGIE

PHILONOE

Reyne, vous sçavez qu’en ce jour
Je reçois un Espoux de la main de mon Pere.
115 J’attends le choix qu’il doit faire
Entre tous ces Amants qui remplissent sa Cour.
Obtenez qu’il n’en délibere
Que de concert avec l’amour.
Qu’il est doux de trouver dans un Amant qu’on aime
120 Un Espoux que l’on doit aimer !
Lorsque le cœur a choisi de luy-mesme
Le seul Objet qui pouvait l’enflamer,
Qu’il est doux de trouver dans un Amant qu’on aime
Un Espoux que l’on doit aimer.

STENOBEE

125 Quoy, Princesse, à l’amour vous auriez pû vous rendre ?

PHILONOE

En vain j’ay voulu m’en défendre.

STENOBEE

Et qui donc aimez-vous ?

PHILONOE

[p. 5]
Un Heros* que les Dieux
Ont fait des Conquerans l’exemple glorieux.
130 Estimé dans la paix, redouté dans la guerre,
Il est, & la terreur & l’amour de la Terre.
Si pour chercher à vaincre il court dans les hazards,
A ses premiers efforts* ses Ennemis se rendent,
Et s’il aime, il n’est point de cœur qui se défend
135 De ses premiers regards.

STENOBEE

Ah ! C’est Bellerophon.

PHILONOE

C’est luy, je le confesse,
Ne condamnez point ma tendresse*.
Quand mille exploits fameux parlent pour un Amant,
Peut-on résister un moment ?
140 Après avoir vaincu deux Nations guerrieres,
Bellerophon améne en ces lieux fortunez,
Les Amazones prisonnieres,
Et les Solymes enchaînez ;
Il possède mon cœur, je puis tout sur son ame.
145 Reyne, favorisez une si belle flâme*.

SCENE III

[p. 6]
STENOBEE, ARGIE

STENOBEE

Et je croyois qu’aucune ardeur*
N’eût jamais enflamé son cœur ?

ARGIE

Un cœur qui paroist invincible
Peut estre un temps sans se laisser charmer ;
150 Mais on a beau se défendre d’aimer,
Le moment vient d’estre sensible*.

STENOBEE

C’en est fait, l’outrage est trop grand.
Si ses cruels refus faisoient tort à ma gloire,
Au moins il m’estoit doux de croire
155 Que mon cœur soûpiroit pour un Indifferent*.
Mais il aime, & c’est là ce qui me desespere.
Une autre a fait ce que je n’ay pû faire.
Venez, haine, vangeance, & versez dans mon cœur
Votre poison le plus funeste.
160 Vous ne sçauriez m’inspirer trop d’horreur
Pour un Ingrat* que je deteste.
Suivons, suivons ce désespoir.
Il faut pour vanger mon outrage
Qu’Amisodar serve ma rage; [p. 7]
165 Son Art dans les Enfers luy donne tout pouvoir.
Il en peut évoquer quelque Monstre effroyable
Qui porte le ravage & la flâme en ces lieux,
Il m’aime, & si sur luy je veux jeter les yeux…

ARGIE

Le Roy vient, contraignez l’ennuy* qui vous accable.

SCENE IV

LE ROY, STENOBEE, ARGIE, SUITE

LE ROY

170 Contre Bellerophon, j’ay fait jusqu’à ce jour
Ce que Pretus pouvoit attendre
De l’aveugle zele* d’un Gendre.
Vous vouliez comme luy qu’il perît dans ma Cour.
D’abord, sans connoistre son crime,
175 J’abandonnay sa teste aux rigueurs de son sort.
Pretus croyoit sa perte legitime,
C’estoit assez pour résoudre sa mort.
Mais enfin il est temps de vous ouvrir mon ame.
Apres qu’il s’est rendu l’appuy de mes Estats,
180 Je dois me conserver son bras.
Ma Fille est l’objet de sa flâme,
Aujourd’huy de ma main elle attend un Espoux, [p. 8]
C’est luy que je choisis.

STENOBEE

Ciel, que me dites-vous ?
Choisir Bellerophon ! & qui l’auroit pû croire ?

LE ROY

185 Ses Exploits l’ont rendu digne de cette gloire.

STENOBEE

Songez-vous que Pretus vous demanda sa mort ?

LE ROY

Les Dieux ne m’ont point fait arbitre de son sort.

STENOBEE

Quoy, vous soûtenez un Coupable ?

LE ROY

Quoy, vôtre haine est implacable ?

TOUS DEUX

190 Ah, cessez de vous obstiner.

LE ROY

Malgré vôtre jalouse envie,

STENOBEE

Malgré vos soins pour luy sauver la vie,

TOUS DEUX

Il merite le prix que je luy veux donner. la mort
On entend icy des Timbales & des Trompetes.
[p. 9/B]

STENOBEE

A ce bruit éclatant je connois* qu’il s’avance.
195 Je ne vous dis plus rien, mais vous devez songer
Que si vous negligez le soin de ma vangeance,
Je suis Reyne, & puis me vanger.
Apres que Stenobée est sortie, on voit entrer une Troupe d’Amazones, & de Solymes enchaînez, dont ceux qui les conduisent portent les Armes. La Marche que cette Troupe fait sur le Theatre est une espece de Triomphe* pour Bellerophon qui entre apres que les Amazones & les Solymes ont passé devant le Roy, & pris leur place.

SCENE V

LE ROY, BELLEROPHON, Troupe
d’Amazones et de Solymes

LE ROY

Venez, venez, goûter les doux fruits de la gloire,
Qui dans tout l’Univers vous fait tant de jaloux.

BELLEROPHON

200 Seigneur, quand on combat pour vous
N’est-on pas seur de la victoire ?
[p. 10]

LE ROY

Apres avoir rangé deux Peuples sous mes Loix,
Prince, vôtre rare vaillance
Demeureroit sans recompense
205 Si ma Fille n’estoit le prix de vos exploits.
Vous l’aimez, elle vous aime,
Soyez heureux, j’y consens.

BELLEROPHON

Ah Seigneur ! puis je encor me connoistre* moy-mesme ?

LE ROY

La valeur* obtient tout des cœurs reconnaissans.
210 Un Heros* que la gloire éleve
N’est qu’à demy récompensé,
Et c’est peu si l’amour n’acheve
Ce que la Gloire a commencé.

BELLEROPHON

Surpris de tant d’honneurs je ne puis que me taire.
215 Quel service assez grand pouvoit les meriter ?
J’eusse esté trop temeraire
Si j’eusse osé me flatter,
Moy qu’un Frere a chassé d’Ephyre,
Où mon Pere Glaucus avait donné la Loy.

LE ROY

220 Estre l’appuiy de mon Empire,
C’est meriter assez d’y regner apres moy.
Qu’aucun ne garde icy des sujets de tristesse. [p. 11]
A vos Captifs je rends la liberté.

BELLEROPHON, aux Amazones & aux Solymes

Faites tous voir vôtre allegresse
225 En sortant de captivité.
Le Roy & Bellerophon estant sortis, ceux qui ont conduit les Amazones & les Solymes, leur ostent les fers, & rendent l’espée aux unes, & la lance aux autres.

AMAZONES

Quand un Vainqueur est tout brillant de gloire,
Qu’il est doux de porter ses fers* !

SOLYMES

Celuy qui nous soûmit commande à la Victoire,
Il soûmettra tout l’Univers.

CHŒUR des Amazones & des Solymes

230 Disons cent fois ce qu’on ne peut trop dire,
Heureux qui vît sous son empire !
Les Amazones & les Solymes commencent icy leurs Danses, & chantent ensuite les paroles suivantes, dont chaque couplet se chante apres une Entrée*.

AMAZONES & SOLYMES

Faisons cesser nos alarmes*,
Goûtons les biens que rend la liberté.
Celuy dont chacun craint les armes [p. 12]
235 A fait finir notre captivité.
Un sort si plein de charmes
Met nôtre gloire enfin en seureté.
Rompons le cours de nos larmes,
Nos déplasirs ont assez éclaté.
240 Celuy dont chacun craint les armes
A fait finir notre captivité.
Un sort si plein de charmes
Met nôtre gloire enfin en seureté.

FIN DU PREMIER ACTE.

Acte II

[p. 13]
Le Theatre represente un Jardin delicieux, au milieu duquel paroist un Berceau en forme de Dôme, soûtenu à l’entour de plusieurs Termes. Au travers de ce Berceau on découvre trois Allées, dont celle du milieu est terminée par un superbe Palais en éloignement. Les deux autres finissent à perte de veuë.

SCENE PREMIERE

PHILONOE, DEUX AMAZONES

PHILONOE

Amour, mes vœux sont satisfaits,
245 Il m’est doux de porter tes chaînes*,
Et j’oublie aujourd’huy les peines
Qui de mon cœur avoient troublé la paix.
Cruelles inquietudes,
Soûpirs languissans,
250 Si j’ay souffert vos tourments les plus rudes,
Je n’ay pas trop payé les douceurs que je sens.

I. AMAZONE

[p. 14]
Les douceurs que l’amour fait trouver dans ses chaînes,
Aux plus heureux Amans ont coûté des soûpirs.

II. AMAZONE

Les plaisirs qui n’ont point commencé par les peines,
255 Ne font jamais de vrais plaisirs.

PHILONOE

Chantez, chantez la valeur* éclatante
Du plus grand des Heros* ;
Si la Lycie* est triomphante,
C’est à luy qu’elle doit sa gloire & son repos.

I. AMAZONE

260 Que de Lauriers sur une seule teste !
Avec luy la Victoire a peine à respirer.

II. AMAZONE

De l’Univers entier il eut fait la conqueste,
Si son grand cœur n’eût sçeu se moderer.

TOUTES DEUX

Chantons, chantons la valeur éclatante
265 Du plus grand des Heros* ;
Si la Lycie* est triomphante,
C’est à luy qu’elle doit sa gloire & son repos. [p. 15]

SCENE II

BELLEROPHON, PHILONOE, AMAZONES

BELLEROPHON

Princesse, tout conspire à couronner ma flâme*,
Tout s’apreste pour mon bon-heur.
270 Sentez-vous les plaisirs qui regnent dans mon ame,
Et les mesmes transports* charment-ils vôtre cœur ?

PHILONOE

L’amour qui unit par de si douces chaînes*
A dés long-temps uny tous nos desirs ;
A vos soûpirs cent fois j’ay meslé mes soûpirs,
275 Et si j’ay partagé vos peines,
Je dois partager vos plaisirs.

BELLEROPHON

Qu’un si doux aveu doit me plaire !
Qu’il rend mon destin glorieux !

PHILONOE

Quand ma bouche pourroit se taire,
280 L’amour feroit parler mes yeux.

TOUS DEUX

Que tout parle à l’envy* de nôtre amour extrême,
A ses transports* abandonnons nos cœurs, [p. 16]
Et pour goûter toujours de nouvelles douceurs,
Disons-nous cent fois : je vous aime.

PHILONOE voyant Stenobée,

285 Prince, Adieu ; mon devoir m’appelle auprés du Roy,
Je vous laisse le soin d’entretenir la Reyne.

BELLEROPHON

Quel cruel supplice pour moy !

SCENE III

STENOBEE, BELLEROPHON, ARGIE

STENOBEE

Ma présence icy te fait peine.

BELLEROPHON

Il est vrai, je frêmis lors que je vous revoy.
290 Quel destin ennemy vous améne en Lycie* ?
Y venez vous chercher à troubler mon repos ?
Vous m’avez fait bannir d’Argos,
Ne verray-je jamais vôtre haine adoucie ?

STENOBEE

S’il te souvient des maux que je t’ay faits,
295 Qu’il te souvienne aussi de ma tendresse* extrême ; [p. 17/C]
Ne me reproche point, ingrat, que je te hais,
Ou reproche moy que je t’ayme.
J’ay tasché de te perdre*, & j’ai crû le vouloir.
J’ay suivy les transports* d’une aveugle vangeance,
300 Mais plus à mon amour j’ay fait de violence,
Plus sur mon cœur il a pris de pouvoir,
Et je ne t’ay jamais haï qu’en apparence.

BELLEROPHON

Vous m’avez sans relâche accablé de mal-heurs,
Je n’ay point reconnû l’amour dans vos fureurs*.
305 Si l’amour quelque fois s’abandonne à la rage,
Il est toûjours amour mesme quand il outrage.
Mais vous, toûjours constante à me persecuter,
Vous n’avez espargné ma gloire* ny ma vie,
Et je ne dois rien écouter
310 De ma plus mortelle Ennemie.

SCENE IV

[p. 18]
STENOBEE, ARGIE

STENOBEE

Tu me quittes, cruel* ! arreste. Il fuit, helas !
Mon amour voit sa honte, & n’en profite pas.
Vous ne sçauriez guerir le mal qui me tourmente,
Foibles retours* de l’impuissant dépit ;
315 Des mespris d’un Ingrat* ma flâme* se nourrit,
Elle devroit s’éteindre, & devient plus ardente.
L’amour trop heureux s’affoiblit,
Mais l’amour mal-heureux s’augmente.

ARGIE

Quoy, vous pourrez toûjours souffrir
320 Qu’on vous brave, qu’on vous dédaigne ?

STENOBEE

Non, il faut dans son sang que mon amour s’éteigne.
Perdons* tout , faisons tout perir.

SCENE V

[p. 19]
STENOBEE, AMISODAR, ARGIE

STENOBEE

Vous me jurez sans cesse une amour eternelle.
Croiray-je, Amisodar, croiray-je vos serments ?
325 Me serez vous assez fidelle
Pour ne refuser rien à mes ressentiments ?

AMISODAR

Lorsque l’amour vous asservit mon ame,
Votre insensible cœur devroit se contenter
De ne pas respondre à ma flâme* ;
330 Pourquoy me faire encor outrage d’en douter ?
Vos froideurs, vôtre indifference,
Me touchent moins que cette offense,
Je meurs pour vos divins appas*,
Et viens vous demander pour toute recompense
335 Que vous n’en doutiez pas.

STENOBEE

Bellerophon m’a fait une mortelle injure,
Le Roy la connoist & l’endure,
Il le choisit pour Gendre au lieu de le punir.
Troublons l’Hymen* qui se prepare
340 Par une vangeance barbare*
Dont le seul souvenir [p. 20]
Fasse trembler tout l’avenir.

AMISODAR

Je puis de la nuit infernale,
Faire sortir un Monstre furieux :
345 Mais vous mesme tremblez d’exercer en ces lieux
Une vangeance si fatale.
Preparez-vous à voir nos Peuples allarmez,
Et nos Villes tremblantes.
Le Monstre couvrira de torrents enflamez
350 Nos campagnes fumantes
Et nos champs ne seront semez
Que de restes affreux de Victimes sanglantes.

STENOBEE

Que ce Spectacle sera doux
A la fureur* qui me transporte !
355 Hastez-vous, hastez-vous
De servir mon couroux,
Faites ouvrir la terre, & que le Monstre en sorte,
Hastez-vous, hastez-vous
De servir mon couroux.

AMISODAR

360 Jusqu’au fond des Enfers je vay me faire entendre,
Fuyez, Reyne, fuyez ;
Vos yeux seroient trop effrayez
De l’horreur qu’en ces lieux mes Charmes* vont répandre.

SCENE VI

[p. 21]

AMISODAR seul.

Que ce jardin se change en Desert affreux.
Le Jardin disparoist, & l’on voit en sa place une espece de prison horrible taillée dans les Rochers, & percée à perte de veuë, avec plusieurs Chaînes, Cordages, & Grilles de fer qui la remplissent de toutes parts.
365 Noirs Habitans du séjour tenebreux,
Pour m’écouter dans vos Demeures sombres,
Redoublez, s’il se peut, le silence des Ombres.
Et vous, à me servir employez tant de fois,
Ministres de mon Art, accourez à ma voix.
Quatre Magiciens & quatre Magiciennes paroissent, & témoignent en dançant l’ardeur avec laquelle ils se preparent à servir Amisodar. Apres cette Entrée*, d’autres Magiciens, au nombre de quatorze, viennent faire avec luy la Scene suivante.

SCENE VII

[p. 22]
AMISODAR, MAGICIENS

MAGICIENS

370 Parle, nous voilà prests, tout nous sera possible.

AMISODAR

Faisons sortir un Monstre horrible.
Pour l’évoquer employez l’Acheron,
Le Cocyte, le Phlegeton ;
Faites que vostre voix dans tout l’Enfer résonne.
375 C’est moy qui vous l’ordonne.
Les Magiciens se jettent icy contre terre pour l’évocation.

MAGICIENS

Par ce pressant commandement,
Promptement, promptement.,
Que la Tenare s’ouvre,
Que l’Enfer se découvre ;
380 Cocyte, Phlegeton, il nous faut du secours,
Pour nous entendre arrestez vôtre cours.

AMISODAR

Poursuivez. Que pour moy vôtre pouvoir éclate ;
Par Cerbere & la triple Hecate ;
Parlez, pressez, appellez à grand bruit, [p. 23]
385 Et la Mort & la Nuit.
Les Magiciens se jettent de nouveau contre terre.

MAGICIENS

Nuit, Mort, Cerbere, Hecate, Erebe, Averne,
Noires Filles du Stix que la fureur* gouverne,
Entendez nos cris, servez-vous,
Nous travaillons pour vous.

AMISODAR

390 Le Charme est fait, les Monstres vont paroistre,
La Terre s’ouvre, & me fait connoistre.
Rendons aux sombres Deïtez
Les honneurs que de nous elles ont méritez.
La Terre s’ouvre, & on en voit sortir trois Monstres qui s’élevent au dessus de trois Bûchers ardens, l’un en forme de Dragon, l’autre de Lyon, & le dernier de Bouc. Trois des Magiciens montent dessus; Apres quoi, les quatre qui ont désja dancé font une nouvelle Entrée* avec les quatre Magiciennes, pour marquer leur joye de ce que le Charme a reüssi. Leur Dance estant finie, les trois Magiciens qui sont sur les Monstres chantent alternativement les paroles suivantes avec les autres Magiciens.

MAGICIENS

[p. 24]
La Terre nous ouvre
395 Ses Gouffres profonds,
L’Enfer se découvre.
Chantons, triomphons,
On voit l’Onde noire
Pour nous s’arrester.
400 Victoire, victoire, victoire,
Nous avons la gloire
De tout surmonter.
Triomphe, Victoire,
Triomphe, Victoire,
405 Nous avons la gloire
De tout surmonter.
Non, non, rien ne peut nous resister.

AMISODAR

Un Monstre seul causeroit peu d’effroy,
Il faut unir ces trois Monstres ensemble.
410 Par un charme plus fort & plus digne de moy,
Faisons qu’un seul corps les assemble,
Pour en venir à bout descendons aux Enfers
Les Gouffres nous en sont ouverts.
Tout s’abysme, & la Terre se referme.

FIN DU SECOND ACTE. [p. 25]

[p. 25/D]

ACTE III

Le Theatre represente le Vestibule du Temple fameux, où Apollon rendoit ses Oracles dans la Ville de Patare. Ce Temple paroist d’abord fermé dans le fond, & ne s’ouvre que lors que la Ceremonie commence à paroistre .

SCENE PREMIERE

STENOBEE, ARGIE

ARGIE

415 Que vous faites couler & de sang & de larmes
Dans ces tristes climats.
Tout tremble, tout en est en allarmes.
On voit regner partout l’image du trespas,
Et le Monstre animé par la force des Charmes*
420 Marque de mille morts la trace de ses pas.

STENOBEE

[p. 26]
Lieux désolez, & remplis de carnage,
Campagnes où le Monstre a semé tant d’horreur,
Ne me reprochez point ma jalouse fureur*,
Dont votre embrasement est le fatal ouvrage ;
425 L’amour desesperé qui regne dans mon cœur
Vous vange assez de ce ravage.

ARGIE

Quoi, vous ne goûtez point la secrette douceur
D’avoir troublé l’Hymen* qui vous a outragé ?

STENOBEE

Impuissante vangeance ! inutile secours !
430 Dequoy peux-tu servir quand on aime toûjours ?
Les plus cruels transports* que la fureur* inspire
Consolent mal un amour outragé.
Ce mal-heureux amour apres s’estre vangé,
N’en fait pas moins sentir son tyrannique empire.
435 Impuissante vangeance ! inutile secours !
Dequoy peux-tu servir quand on aime toûjours ?

SCENE II

[p. 27]
LE ROY, STENOBEE, ARGIE

LE ROY

Que de mal-heurs accablent la Lycie* ?
Si le Ciel luy gardoit de si funestes coups,
Avant qu’il fist sur elle éclater son courroux,
440 Que ne m’a-t-il osté la vie ?
Je ne vois en tous lieux que des marques d’effroy,
Que des Objets qui m’épouvantent,
Et je partage comme Roy
Les maux que mes Sujets ressentent.

STENOBEE

445 Quand vous voyez vos Peuples abbatus,
Reconnaissez du Ciel la justice suprême.
Vous n’avez pas vangé l’injure de Pretus,
Il la vange luy-mesme.
Bellerophon Victorieux
450 Cause tous les mal-heurs dont votre cœur soûpire,
C’est contre luy seul que les Dieux
Ont envoyé le Monstre furieux
Qui desole tout vostre Empire.
Que sa valeur* en delivre ces lieux,
455 Puisque son crime vous attire.

SCENE III

[p. 28]
LE ROY, BELLEROPHON

BELLEROPHON

Vous venez consulter l’Oracle d’Apollon* ?

LE ROY

Je viens luy demander ce qu’il faut que j’espere ;
De mes Estats c’est le Dieu tutelaire.
Il écoute ma voix, quand j’implore son nom.

BELLEROPHON

460 Ce Dieu qui cherit la Lycie*
Dans ses mal-heurs voudra la secourir,
Et l’encens qu’en ces lieux vous luy venez offrir
Rendra du Ciel la colère adoucie.
Mais quand le Monstre immole à sa fureur*
465 Tout le sang qu’il trouve à répandre,
Verray-je sans rien entreprendre
Que par luy dans ces lieux tout soit remply d’horreur ?

LE ROY

Ah, Prince, songez-vous que trois Monstres ensemble
Sont unis dans ce Monstre affreux ?
470 A son aspect il n’est rien qui ne tremble,
De sa brûlante haleine il pousse mille feux.

BELLEROPHON

[p. 29]
Ces trois Monstres unis n’ont rien qui m’épouvante ;
Plus le Combat coûte au Vainqueur,
Plus la Victoire est éclatante,
475 Et c’est ce qui flatte un grand Cœur.

SCENE IV

LE ROY, PHILONOE, BELLEROPHON

PHILONOE

Seigneur, à vôtre voix je viens joindre la mienne,
Aux vœux que vous offrez je viens méler mes pleurs,
Et demander au Ciel que la Lycie* obtienne
La fin de ses mal-heurs.

LE ROY

480 Contre le Monstre qui les cause
Bellerophon veut employer son bras.
Consentirez-vous qu’il s’expose ?

PHILONOE

Ah, vous-mesme Seigneur, vous n’y consentez pas ;
Souffrirez-vous qu’il coure où la mort est certaine ?

BELLEROPHON

485 On court à la Victoire en s’exposant pour vous,
Croyez-en l’ardeur* qui m’entraîne.
Helas ! sans les frayeurs dont la Lycie* est pleine, [p. 30]
Je serois desja vostre Espoux.

PHILONOE

Esperons tout des Dieux ; un violent orage
490 Améne quelquefois le calme le plus doux.

LE ROY

Le Temple s’ouvre ; entrons, & par un juste hommage
Meritons que le Ciel appaise son couroux.
Le Sacrificateur paroist avec ses Ministres, & un grand nombre de Peuple qui entre dans le Temple en dançant. Apres la premiere Dance, le Chœur du Peuple chante les paroles qui suivent.

SCENE V

LE ROY, BELLEROPHON, PHILONOE, SACRIFICATEUR,
MINISTRES du Temple, CHŒUR de Peuple.

CHŒUR de Peuple

Le mal-heur qui nous accable
Demande un Dieu favorable.
495 Entens nous, grand Apollon* :
Par la défaite du Serpent Python,
Par l’éclat de la gloire* [p. 31]
Qui suivit ta victoire,
Viens nous secourir.
500 Hâte-toy, sauve-nous, ou bien nous allons perir.
Il se fait icy une seconde Entrée*, après laquelle le Peuple chante ce second couplet.
Nos soûpirs te font connoistre
Le mal-heur qui les fait naistre.
Entends-nous grand Apollon* :
Par la défaite du Serpent Python,
505 Par l’éclat de la gloire
Qui suivit ta Victoire,
Viens nous secourir.
Hâte-toy, sauve nous, ou bien nous allons périr.

SACRIFICATEUR

Reçois, grand Apollon*, reçois ce Sacrifice,
510 Fais que le Ciel nous soit propice.

CHŒUR de Peuple

D’un Cœur soûmis nous t’adressons nos vœux,
Ecoute un Peuple mal-heureux.

SACRIFICATEUR, versant du vin sur la teste de la victime

Par ce vin répandu fais cesser nos allarmes,
Arreste le cours de nos larmes.
515 Tu vois quel triste sort nous accable aujourd’huy ;
Preste-nous ton appuy.
Vous qu’à me seconder un zele* ardent anime, [p. 32]
Avancez, il est temps d’immoler la Victime.
Les Ministres du Temple s’avancent auprès du Sacrificateur, & immolent la victime.

CHŒUR de Peuple

Dieux, qui connoissez nos mal-heurs,
520 Laissez-vous toucher de nos pleurs.

SACRIFICATEUR, monstrant le cœur de la Victime

Esperons, je ne voy que Signes favorables.
Nos vœux au Ciel doivent estre agreables.
Il jette le cœur & les entrailles dans le feu.

CHŒUR de Peuple

Aprés un augure* si doux,
Tâchons de meriter que les Dieux soient pour nous.
Le peuple dance icy à l’entour du feu, & chante ensuite ce premier couplet.
525 Montrons notre allegresse,
Ne parlons plus de chagrin
Renonçons à la tristesse,
Nos mal-heurs vont prendre fin.
Quand le Ciel est propice à nos vœux,
530 Bannissons l’ennuy* qui nous presse,
Nous allons tous estre heureux.
Le peuple continuë sa dance, & chante ce second couplet.
[p. 33/E]
Le Ciel veut qu’on espere,
Il adoucit son courroux.
Notre hommage a sçeu luy plaire,
535 Tout s’est déclaré pour nous.
Bannissons les soûpirs de ces lieux ;
Ne craignons plus rien de contraire,
Nos maux ont touché les Dieux.

SACRIFICATEUR

Tout m’apprend qu’Apollon* dans nos vœux s’interesse,
540 Redoublez à l’envy* vos marques d’allegresse.
Le Peuple commence une nouvelle Dance à l’entour du Feu, & chante les paroles qui suivent.

[CHŒUR de Peuple]

Assez de pleurs
Ont suivy nos malheurs ;
De nostre zele*
Voy l’ardeur* fidelle.
545 C’est en toy seul que notre espoir est mis.
Viens de nos maux adoucir les atteintes.
Finis nos plaintes
Calme nos craintes.
Flechy pour nous les Destins ennemis.
550 L’Amour languit troublé de nos alarmes*,
Rappelle icy tous ses charmes,
Toy que ses traits* ont tant de fois soûmis.
Un monstre affreux [p. 34]
Nous rend tous mal-heureux.
555 Fay de sa rage
Cesser le ravage.
C’est en toy seul que notre espoir est mis.
Viens de nos maux adoucir les atteintes,
Finis nos plaintes,
560 Calme nos craintes,
Flêchy pour nous les Destins ennemis.
L’Amour languit troublé de nos alarmes ;
Rapelle icy tous ses charmes,
Toy que ses traits* ont tant de fois soûmis.

SACRIFICATEUR

565 Digne Fils de Latone & du plus grand des Dieux,
Parle, & daigne regler le destin de ces lieux.
L’Autel qui a parû s’enfonce, & la Pythie sort de son antre les cheveux épars. En mesme temps on entend de grands éclats de Tonnerre. Le Temple tremble, & on le voit tout brillant d’éclairs.

LA PYTHIE

Gardez tous un silence extrême,
Apollon* vous entend & va parler luy-mesme.
Son approche désja fait briller les éclairs,
570 Entendez résonner le sifflement des airs.
Escoutez le bruit du Tonnerre.
Voyez trembler & le Temple & la Terre,
Il va paroistre, je le vois ;
A son aspect fremissez comme moy. [p. 35]
La Pythie se panche vers la Terre, tandis qu’Apollon paroist en Statuë d’or, & prononce l’Oracle qui suit.

APOLLON

575 Que vostre crainte cesse.
Un des fils de Neptune appaisera pour vous
Le celeste courroux.
Pour l’en recompenser, il faut que la Princesse
Le prenne pour Espoux.
La Pythie s’enfonce dans l’Antre d’où elle est sortie. Apollon disparoist, & le peuple se retire.

LE ROY à Bellérophon et à Philonoé

580 Vous l’avez entendu, je n’ay rien à vous dire,
Je plains vos déplaisirs, comme vous j’en soûpire,
Mais rien n’est preferable au repos de ces lieux ;
Soûmettons-nous aux Dieux.

SCENE VI

BELLEROPHON, PHILONOE

BELLEROPHON

Dans quel accablement cet Oracle me laisse !

PHILONOE

585 Ah, cruelle surprise !

BELLEROPHON

[p. 36]
O funeste revers !
Quoy ? je vous pers, belle Princesse ?

PHILONOE

Quoy ? Bellerophon, je vous pers ?

TOUS DEUX

Helas ! n’avons nous eû le destin favorable,
590 Que pour mieux ressentir le coup qui nous accable ?

BELLEROPHON

Mes vœux allaient estre contents

PHILONOE

Jamais sort n’eust esté plus heureux que le nostre.

TOUS DEUX

Qui croiroit que deux cœurs si tendres, si constants,
Ne fussent pas destinez l’un pour l’autre ?

BELLEROPHON

595 Vous ne serez donc point à moy ?
Quel prix d’une ardeur* si fidelle !

PHILONOE

N’y pensons plus.

BELLEROPHON

Quoy ? vous pourrez, cruelle,
Engager ailleurs votre foy ?

PHILONOE

[p. 37]
Brisez, brisez une fatale chaîne.
600 Quand j’ay receu l’hommage de vos vœux,
Je croyois que le Ciel consentiroit sans peine
Que l’Hymen* nous rendist heureux,
Et je n’attendois pas l’Oracle rigoureux
Qui nous sacrifie à la haine.

BELLEROPHON

605 Non, non, quoy qu’il ait ordonné,
On ne verra jamais que mon amour s’éteigne,
Je n’examine* point ce qu’il faut que je craigne
De l’Oracle fatal qui vient d’estre donné.
Que le destin jaloux d’une flâme* si belle
610 Me porte encor des coups plus rigoureux ;
Au moins je puis etre fidelle,
Si je ne sçaurois estre heureux.

PHILONOE

Se peut-il que le Ciel contre un amour si tendre
Exerce toutes ses rigueurs ?

BELLEROPHON

615 De ses ordres cruels l’Amour doit-il dépendre ?

TOUS DEUX

Aimons nous malgré nos mal-heurs,
Ce n’est pas au Destin à separer les cœurs.

FIN DU TROISIEME ACTE.

ACTE IV

[p. 38]
Des Rochers forts hauts & forts escarpez, couverts de Sapins & d’autres Arbres solitaires font la Decoration de cét Acte. Au fond du Theatre paroist un Rocher de la méme hauteur, & garny des mémes Arbres. Il est percé par trois Grotes, au travers desquelles on découvre un Païsage à perte de veuë.

SCENE PREMIERE

AMISODAR

Quel Spectacle charmant pour mon cœur amoureux !
Ces Morts de tous costez étendus dans les plaines
620 Me sont de seurs garands de la fin de mes peines ;
Tout perit pour me rendre heureux.
Fontaines, tarissez ; embrassez-vous, Montagnes,
Brûlez, Forests ; sechez, Campagnes,
Toutes les horreurs que je voy [p. 39]
625 Son autant de sujets de triomphe* pour moy.
Quand on obtient ce qu’on aime,
Qu’importe à quel prix ?
Que tout l’Univers surpris
Condamne l’amour extrême
630 Qui couste tant de sang, de larmes, & de cris,
Quand on obtient ce qu’on aime,
Qu’importe à quel prix ?

SCENE II

ARGIE, AMISODAR

ARGIE

Il faut, pour contenter la Reyne,
Rendre le Monstre à l’eternelle nuit ;
635 Bellerophon au desespoir reduit
S’apreste à le combattre, & sa perte est certaine ;
Mais cette prompte mort finit trop tost sa peine.
Quand un fatal Oracle est contraire à ses vœux,
S’il ne souffre long-temps, il n’est point mal-heureux.
640 Puis qu’un fils de Neptune épouse la Princesse,
Laissez vivre l’Ingrat* dans ses jaloux transports* ;
Voir aux mains d’un Rival l’Objet de sa tendresse*,
C’est tous les jours endurer mille morts.

AMISODAR

[p. 40]
Le laisser vivre ! O Dieux ! que faut-il que je pense ?
645 Je voy pour luy la Reyne s’alarmer
Lors que sa mort est preste à remplir sa vangeance.
Est-ce le haïr ou l’aimer ?

ARGIE

Montrez que vostre cœur ne cherche qu’à luy plaire.
Pourquoy penetrer dans le sien ?
650 Quand l’objet aimé parle, un Amant doit tout faire,
Et n’examiner* rien.

AMISODAR

Non, non, que mon Rival perisse,
Est-ce à moy d’empécher qu’il ne perde* le jour ?

ARGIE

Il faut faire à la Reine encor ce Sacrifice,
655 Ou renoncer à vostre amour.

VOIX derriere le Theatre.

Tout est perdu, le Monstre avance,
Sauvons-nous, sauvons-nous.

AMISODAR

Le Monstre approche, éloignez-vous.

ARGIE

Ciel, contre sa fureur* embrasse ma défense. [p. 41/F]

SCENE III

UNE NAPEE, UNE DRYADE

ENSEMBLE

660 Plaignons, plaignons les maux qui desolent ces lieux
Les pleurs qu’ils font couler devroient toucher les Dieux.

DRYADE

Il n’est plus d’herbes dans les plaines.

NAPEE

Il n’est plus d’eaux dans les fontaines.

DRYADE

Tout perit.

NAPEE

665 Tout tarit.

DRYADE

Quel excés d’ennuis* !

NAPEE

Quelles peines !

ENSEMBLE

Plaignons, plaignons les maux qui désolent ces lieux
Les pleurs qu’ils font couler devroient toucher les Dieux.

SCENE IV

[p. 42]
DIEUX des Bois, NAPEE, DRYADE

DIEUX des Bois

Les Forests sont en feu, le ravage s’augmente,
670 Ce n’est partout qu’épouvante & horreur.

NAPEE & DRYADE

Du Monstre comme vous nous sentons la fureur*,
Voyez cette Plaine brûlante.

DIEUX des Bois

Helas ! que sont-ils devenus
Ces Bois dont nous faisions nos retraites tranquilles ?

NAPEE & DRYADE

675 Ces Eaux qui serpentoient dans ces Plaines fertiles,
Ces Eaux, helas, ne coulent plus.

DIEUX des Bois

Que de tristess !

NAPEE & DRYADE

Que de sujets de larmes !

TOUS ENSEMBLE

Pour adoucir le Ciel qui voit tant de malheurs,
680 Joignons nos soûpirs & nos pleurs.

SCENE V

[p. 43]
LE ROY, BELLEROPHON

LE ROY

Ah Prince ! où vous emporte une ardeur* trop guerriere ?
En vain à cent perils on vous a veu courir,
En vain vostre grand nom remplit la Terre entière,
Vous cherchez un Combat où vous allez perir.

BELLEROPHON

685 Je ne vay point combattre un Monstre redoutable
Pour remplir de mon nom l’Univers étonné,
Je vais, Amant infortuné,
Finir un sort trop déplorable.
Cent fois, jusqu’à ce triste jour,
690 J’ai hazardé ma vie en cherchant la victoire.
Ce que j’ay fait animé par la gloire*,
Ne le pourrai-je faire animé par l’amour ?

LE ROY

Suivre un amour trop temeraire,
C’est vous livrer vous-mesme au plus funeste sort.

BELLEROPHON

695 Accablé de mal-heurs, puis-je craindre la mort ?

LE ROY

[p. 44]
Ménagez vostre vie, elle m’est toujours chere.
Par ces aimables nœuds*
Que je vous destinois avec mon Diadéme,
Par la Princesse mesme,
700 Accordez, accordez quelque chose à mes vœux.
Je vais faire à Neptune offrir un Sacrifice.
Allons sçavoir ses volontez,
Peut-estre il nous sera propice ?

BELLEROPHON

En vain, Seigneur, vous me flattez.
705 Puis qu’à son Fils vous devez la Princesse,
Au moins en combattant laissez-moi faire voir
Que mon amour meritoit sa tendresse*.

LE ROY

Ah, que je crains pour vous ce fatal desespoir !
Adieu, quand le peril ne vous peut émouvoir,
710 Je dois vous cacher ma foiblesse.
On commence à voir icy tout le Païsage de l’enfoncement du Theatre, remply de feu & de fumée, pour marquer le dégast que fait la Chimere* dans le Païs.

SCENE VI

[p. 45]
BELLEROPHON, seul

BELLEROPHON

Heureuse mort, tu vas me secourir
Dans mon mal-heur extrême.
Je cours m’offrir au Monstre asseuré de perir,
Mais je m’en fais un bien supréme.
715 Quand on a perdu ce qu’on aime,
Il ne reste plus qu’à mourir.
On voit icy Pallas dans un Char de Nüages du costé droit, & en mesme temps paroist un autre Char vuide qui descend jusques sur le Theatre du costé gauche.

SCENE VII

PALLAS dans son Char, BELLEROPHON

PALLAS

Espere en ta valeur*, Bellerophon, espere,
Pallas descend du Ciel pour t’ofrir son secours.

BELLEROPHON

[p. 46]
Déesse, en vain tu prens soin de mes jours,
720 Quand la mort seule peut me plaire.

PALLAS

Ton sort est marqué dans les Cieux,
Viens, monte dans ce Char, & t’abandonne aux Dieux.
Bellerophon monte dans le Char, & est enlevé sur le Ceintre, avec Pallas. Cependant on entend le Peuple qui exprime sa desolation par ces Vers.

CHŒUR de Peuple derrière le Theatre

Quelle horreur ! quel triste ravage !
Le Monstre redouble sa rage.
Pendant qu’on entend les cris des Peuples épouvantez, la Chimere* paroist au font du Theatre & en mesme temps Bellerophon monté sur Pegase* fond du haut de l’air, & apres un premier Combat avec la Chimere, il se sauve dans les airs, & traverse tout le Theatre.

CHŒUR de Peuple derrière le Theatre, pendant le combat de Bellerophon

725 Un Heros* s’expose pour nous,
Dieux, soûtenez son bras, et conduisez ses coups.
[p. 47]
Bellerophon fond une seconde fois sur la Chimere, au milieu du Theatre, & apres qu’il a disparu un moment en s’élevant sur le Ceintre, il paroist pour la troisiéme fois, descend sur le devant du Theatre, attaque de nouveau la Chimere, la blesse à mort, & se sauve en l’air, faisant son vol en rond, & apres trois tours, on le voit se perdre dans les nuës. Cependant la Chimere tombe morte entre les Rochers ; ce qui donne lieu à la joye que marque le Peuple par les Vers suivants.

CHŒUR de Peuple derrière le Theatre

Le Monstre est défait. Quelle gloire* !
Bellerophon remporte la victoire.

FIN DU QUATRIEME ACTE.

ACTE V

[p. 48]
Le Theatre represente une grande avant-cour d’un Palais qui paroist élevé dans la Gloire. On y monte par deux grands degrez qui forment les deux costez de cette Decoration en ovale, & qui sont enfermez par deux grands Bâtiments d’Architecture, d’une hauteur extraordinaire. Les deux Degrez & les Galleries qui les environnent sont remplis des Peuples de la Lycie* assemblez en ce lieu pour y recevoir Bellerophon que Pallas doit ramener apres la défaite de la Chimere.

SCENE PREMIERE

LE ROY, PHILONOE, CHŒUR de Peuple

LE ROY

Preparez vos chants d’allegresse,
730 Peuples, c’est en ce lieu que pour nostre bon-heur
Pallas doit ramener un illustre Vainqueur,
Que le Ciel pour Espoux destine à la Princesse.
Enfin nos vœux ont reüssi, [p. 49/G]
Un Oracle confus faisoit notre infortune,
735 Mais cet Oracle est esclaircy,
Bellerophon est le Fils de Neptune.
Pour nous le declarer, dans son Temple, à nos yeux,
Ce Dieu des Mers vient de paroistre ;
Luy-mesme pour son sang a daigné reconnoistre
740 Ce Heros* glorieux.
D’une Nymphe jalouse il craignit la colere,
Et quand Bellerophon receût de luy le jour,
Il voulut que Glaucus feignist d’estre son pere ;
Il revient Triomphant, celebrez son retour.

CHŒUR de Peuple

745 Viens, digne Sang des Dieux, joüir de ta victoire,
Chacun est charmé* de ta gloire,
Et pour chanter tes grands exploits,
Nous allons tous joindre nos voix.

LE ROY

Et toy, ma Fille, abandonne ton ame
750 Aux transports* de sa flâme*.
Bellerophon t’est donné pour Espoux.

PHILONOE

Apres tant de rudes alarmes*,
Pouvons nous trop goûter les charmes
D’un changement si doux ?

LE ROY

755 Qu’il est grand ce Heros*, qui ne voit point d’obstacles !
Que le Sort contre luy ne forme vainement !

PHILONOE

[p. 50]
Pour tout vaincre, il suffit qu’un Heros* soit Amant,
La valeur* & l’amour font toûjours des miracles.

TOUS DEUX

La valeur & l’amour font toûjours des miracles.

CHŒUR de Peuple

760 O jour pour la Lycie* à jamais glorieux,
Où le Sang de nos Rois s’unit au Sang des Dieux !

SCENE II

LE ROY, STENOBEE, PHILONOE, ARGIE,
CHŒUR de Peuple

LE ROY

Venez vous partager l’allegresse publique ?
Enfin pour nous le Ciel s’explique,
Neptune a reconnu Bellerophon pour Fils.

STENOBEE

765 Je sais tout. Dieux cruels, vous l’avez donc permis ?

LE ROY

Bellerophon cause-t-il cette plainte ?

STENOBEE

C’est luy seul, il est vray, qui fait mon desespoir.
Du plus ardent amour, j’eûs pour luy l’ame atteinte,
Et pour toucher son cœur j’ay manqué de pouvoir. [p. 51]
770 Toujours l’ingrat* dédaigna ma tendresse*.
Preste à luy voir enfin espouser la Princesse,
J’ai voulu renverser vos odieux projets.
Amisodar m’aimoit, j’ay fait agir ses Charmes*,
Et le Monstre par luy remplissant tout d’alarmes*,
775 N’a versé que pour moy le sang de vos Sujets.

LE ROY

Le Traistre ! qu’on l’arreste.

STENOBEE

Il s’est mis par la fuite
A couvert de vostre poursuite ;
Mais il traisne avec luy son crime & son amour.

LE ROY

Quoy, le Ciel souffre encor que vous voyiez le jour ?

STENOBEE

780 J’ay prevenu tout ce que peut sa haine.
La justice que je me rends
M’a fait par le poison mettre fin à ma peine.
Je le sens qui désja coule de veine en veine,
Désja le jour se cache à mes regards mourants.
785 Vous, de qui la rigueur m’a toûjours poursuivie
Avec ses plus funestes traits*,
Dieux inhumains, j’abandonne le vie ;
Estes-vous satisfaits ?
Et toi, cruel Amour, reçois une Victime
790 Que tu cherchois à t’immoler ;
Je meurs pour expier le crime
Des feux dont tu m’as fait brusler. [p. 52]
Je n’ay pû m’affranchir de ton barbare* empire
Qu’en renonçant au jour ;
795 Voy mes derniers soûpirs, impitoyable Amour,
J’expire.

PHILONOE

Quel excés de fureur* ?

LE ROY

Sa mort en est le prix,
Mais oublions & son crime & sa peine,
Voicy Bellerophon que Pallas nous ramène,
800 Son Triomphe* doit seul occuper nos esprits.
On voit Pallas dans un Char, & Bellerophon avec elle. Tandis qu’elle descend, le Peuple marque sa joye par le son des Timbales, des Trompetes & de tous les autres Instruments.

SCENE III

PALLAS, LE ROY, BELLEROPHON, PHILONOE,
CHŒUR de Peuple

PALLAS

Connoissez* le Fils de Neptune
Dans ce jeune Heros*.
A sa seule valeur* vous devez le repos [p. 53]
Qui succede à vostre infortune.
805 Pallas le raméne en ces lieux.
C’est luy qui doit espouser la Princesse,
Faites en tous paroistre une entière allegresse,
Et rendez grace aux Dieux.
Bellerophon descend du Char, & Pallas est enlevée sur le Ceintre.

BELLEROPHON à Philonoé

Enfin je vous revoy, Princesse incomparable.

PHILONOE

810 O changement à mes vœux favorables !

TOUS DEUX

Quel plaisir de voir en ce jour
Le Destin ceder à l’Amour !

LE ROY

Joüissez des douceurs que l’Hymen* vous prepare,
Vivez heureux, vivez toûjours Amants.
815 Que tous vos moments
Soient doux & charmants,
Et qu’un bon-heur sans fin répare
Ce qu’un sort rigoureux vous causa de tourments.
On entend icy les Timbales & les Trompetes, & tous les autres Instruments, dont le son se mesle aux acclamations du Peuple qui chante les Vers suivants.

CHŒUR de Peuple

[p. 54]
Le plus grand des Heros* rend le calme à la Terre,
820 Il fait cesser les horreur de la Guerre.
Joüissons à jamais
Des douceurs de la Paix.
Neuf Lyciens se détachent, & font ici une Entrée*, après laquelle le Peuple chante les deux couplets qui suivent, au mesme son des Timbales, des Trompetes, & de tous les autres Instruments.

CHŒUR de Peuple

Les plaisirs nous preparent leurs charmes,
Ne songeons plus qu’à passer de beaux jours.
825 Si le Ciel nous fit verser des larmes,
Un heureux sort arreste le cours.
Puisqu’un Heros* fait cesser nos alarmes*,
Cherchons les jeux, les ris & les amours.
Que la paix qui succede à la peine
830 Fait aisément oublier les soûpirs !
Si le Ciel nous soûmit à la haîne,
Un heureux sort satisfait nos desirs.
Dans les beaux jours qu’un Heros* nous raméne,
Cherchons les Ris, les Jeux, & les plaisirs.

FIN.