Le Torrismon du Tasse
Georges ForestierCamille BassevilleÉdition critique établie par Camille Basseville dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2001-2002)Autres contributions
LE TORRISMON
DU TASSE.
DU TASSE.
TRAGEDIE.
AU LECTEUR
[f.1r.]C'EST à toy seul, LECTEUR, que je dédie cét ouvrage, afin de t’obliger, qui que tu sois, à deffendre ce que je te donne : Pour te rendre curieux de le voir, il suffit de dire qu’il est tiré du Tasse, Poëte si excellent que mesme un des plus grands hommes de son pays a monstré l’advantage que sa Hierusalem avoit sur l’Aeneide, & qu’un des nostres a chanté de luy qu’il estoit
Le premier en honneur, & le dernier en aage.
Neantmoins pour deferer à l’Antiquité le respect qui luy est deu, nous le louërons encore assez ce me semble, si nous disons avec un grand esprit de ce temps, que Virgile est cause que le Tasse n’est pas le premier, & le Tasse, que Virgile n’est pas le seul. Du moins on ne sçauroit nier qu’il n’ait cecy par dessus l’autre, que c’est un Autheur universel, et qui sans parler de tant de discours & de dialogues qu’il nous a laissez en prose, a travaillé & reüssy parfaictement en toutes sortes de Poësie, mais particulierement en la Dramatique & aux
[f.1v.] pieces de Theatre. De cela font foy l’Aminte& le Torrismon : / l’un, Pastorale ; & l’autre, Tragedie : mais tous deux dans un stile serieux. Car pour les Comedies, il les avoit en aversion comme estant contraires à la gravité de ses mœurs & de sa modestie, & mesme il estoit marry qu’Aristote eut enseigné qu’on y devoit tirer matiere de risée des choses qui choquoient l’honnesteté & la bien seance : Aussi l’Intrigue d’amour qui passe sous son nom n’est pas un effect* de luy, & quoy que la difference du stile nous le monstre assez, son propre tesmoignage le confirme encore, d’autant qu’il se fascha plus qu’on la luy donnast, que d’aucun larcin qui luy fut jamais faict de ses ouvrages.
L'Aminte donc, & le Torrismon sont les seules pieces de Theatre qu’il nous a données, chacune tres accomplie en son espece. L'une fut le coup d’essay & le chef-d’œuvre tout ensemble des Pastorales : & l’autre est encore aujourd’huy estimée la merveille des Tragedies Italiennes. Et qu’on ne s’arreste pas à ce que nostre Autheur en escrit dans une de ses lettres, car ou il en parle plustost par humilité que par jugement, ou au pis aller ce qu’il en dit n’est qu’un effect* de ceste melancholie si naturelle aux grands hommes, & qui leur donne des dégousts de leurs plus beaux ouvrages. C'est ainsi que l’un condamne en mourant son Aeneide, & l’autre sa Hierusalem : de sorte qu’il ne faut pas s’estonner si par la mesme raison cette admirable Tragedie a peu déplaire aussi au Tasse. Il est certain que les esprits
[f.2r.] sublimes ont des pensées qui vont bien plus loin que les paroles, & qu’ils / n’expriment
[b] jamais si bien leurs idées, qu’ils ne voyent tousjours quelque degré de perfection au delà : mais ce n’est pas à dire qu’ils ayent juste subject, ny nous apres eux, de mespriser d’excellentes copies, à cause qu’elles ont esté tirées sur de plus excellents originaux. En effect le Torrismon n’est pas une piece qui ait esté composée à l’advanture, ses vers nous l’enseignent assez, ny le dessein n’en a pas esté pris à la haste, mais fut un dessein premedité. Le Tasse demeura long-temps sans achever cette Tragedie, & la raison qu’il en rapporte quelque part, c’est que se sentant desja fort triste par nature & par accident*, il craignoit de travailler sur une matiere qui ne pouvoit qu’entretenir sa melancholie : neantmoins à la sollicitation de ses amys il la mit enfin en l’estat où nous la voyons maintenant, sans s’arrester beaucoup toutesfois à ce qu’il en avoit desjà tracé. Il changea de nom à son principal personnage, luy donnant celuy qui sert de tiltre au livre, & fit mesme que le Roy des Goths qui dans son premier dessein estoit l’amy trahy, est icy celuy qui trahit : Ce qui monstre bien que son subject est entierement fabuleux, quoy qu’on le reconnoisse assez en considerant comme il est dans une intrigue de Roman, & dans cet ordre que Castelvetre appelle renversé, si bien que pour le developper & luy donner une suitte naturelle, il faut commencer par la fin du quatriesme Acte.
Il sembleroit pourtant que le Poëte heroïque cherchant d’estre creu, & debvant
[f.2v.] tromper par la vray-semblance /, & non seulement persuader que les choses qu’il traitte sont veritables, mais les supposer si bien aux sens, qu’on pense estre present, les voir, & les ouyr : Il sembleroit, dis-je, qu’estant obligé de gaigner dans nos esprits cette opinion de verité, il viendroit bien mieux à bout de son intention s’il empruntoit son suject de l’Histoire : La raison en est que les grandes actions qui se sont passées jusques à nostre temps, comme sont celles que se propose la Tragedie, estant toutes escrites, celles qui ne le sont pas nous paroissent aussi-tost controuvées, & par consequent indignes de memoire ; Les Poëtes sont imitateurs, il faut donc que ce soit du vray, parce que la fausseté n’est rien, & ce qui n’est rien ne sçauroit estre imité. Le but d’un Poëte Heroïque, comme j’ay dit, c’est la vray-semblance, mais celuy qui prend un suject fabuleux la quitte d’abord, puis qu’il n’est pas croyable qu’une action illustre comme celle qu’il descript, n’ait pas esté donnée en garde à la posterité par la plume de quelque fameux Historien. Les evenemens extraordinaires ne peuvent demeurer inconnus, & quand on n’en a point ouy parler, de cela seul on tire une preuve de leur fausseté, & lors on leur refuse son consentement ; Enfin on attend point l’issuë des choses comme on feroit, si on les estimoit tout a fait ou en partie veritables ; la foy manquant, le desir, la pitié, la crainte, la tristesse, la joye, & toute sorte de plaisirs & de passions cessent. Voilà à peu pres ce que j’ay recueilly d’un costé & d’autre dans le Tasse,
[f.3r.] pour prouver qu’il faut que le suject de la Tragedie / soit veritable & connu ; Et quoy qu’il me suffist de dire que nostre Autheur n’ayant pas ignoré ces raisons puis qu’elles viennent de luy, il en a sans doute eu de plus fortes pour ne les pas suivre : Je repondray neantmoins que le Poëte n’est point obligé de chercher necessairement la vray-semblance de ce qui a esté, mais seulement de ce qui a peu estre. Que la Tragedie n’estant qu’une tromperie selon l’advis de Gorgias, où celuy qui abuse le mieux est estimé le plus juste, il est certain que cela se fait plus aisément avec les couleurs & les artifices du mensonge : que les fables sont bien souvent plus belles que la verité mesme, au moins qu’elles sont d’ordinaire plus diversifiées, & par consequent plus agreables : que dans les sujects feints on peut faire tomber tous les incidens imaginables, & par là remplir l’esprit d’admiration & de merveille ; qu’il vaut encore mieux composer une piece qui soit toute d’invention, que pour plaire davantage, déguiser & alterer l’histoire de telle sorte qu’elle en soit méconnoissable, & sur un petit fondement de verité, eslever mille mensonges, qui s’ils ont de soy quelque laideur, doivent estre horribles, meslez avec leurs contraires. Enfin que si les Maistres de l’art ne deffendent pas d’inventer les sujects de Comedies, parce qu’on n’y introduit que des personnes de mediocre condition,
dont il n’importe pas que les avantures soient veritables, puis qu’aussi bien elles demeurent la
[f.3v.] plupart du temps inconnuës : Par la mesme raison il sera permis au Poëte Heroïque de feindre, pourveu que ce soit des / actions arrivées depuis long-temps en un païs esloigné, & dont nous ne puissions pas avoir une science si certaine.
C'est ce qu’a fait tres-judicieusement le Tasse, qui nous donnant une Tragedie fabuleuse, nous persuade que le Royaume des Goths, la Norvegue & la Suede en ont autrefois esté le theatre. De moy si j’avois à trouver quelquechose à redire en cette sorte de Tragedies, ce ne seroit pas precisément de ce qu’elles sont d’invention, mais de ce que leur suject estant tout nouveau, & outre cela plus ingenieux & plus embarrassé que les autres, il peut arriver qu’elles travaillent davantage nostre esprit pour les comprendre, que nous ne sommes émeus à compassion par les accidens* qu’elles representent. Le remede à cela c’est de les voir, ou de les lire plus d’une fois, car de cette sorte le suject nous devient tousjours plus familier, & s’establit si bien dans nostre creance, que nous prenons plaisir apres à nous y laisser toucher : Et puis comme il est malaisé de découvrir d’abord toute la disposition & toutes les beautez d’une piece inventée selon les regles, si nous y faisons une reveüe, nous venons à y remarquer mille nouvelles graces, & confessons que ce qui nous paroissoit au commencement obscur & confus, estoit seulement caché & brouïllé d’artifice. Il m’en est ainsi arrivé en la lecture du Torrismon que je n’ay point bien compris ny admiré qu’apres l’avoir regousté & repassé plus d’une fois. De quoy ne s’estonneront pas ceux qui l’auront veu
[f.4r.] en sa langue, sçachant qu’il n’est / guere moins difficile que beau.
Cependant je te promets de t’en faire entendre parfaitement dans ma Version & toute la finesse & toute la suitte des la premiere lecture. A quoy serviront de beaucoup l’argument que je t’en donne, & les additions que j’ay fait mettre à la marge, qui suppléent aucunement* ce qui devoit estre plus esclaircy : Ce qui est un avantage que sa representation ne pouvoit pas avoir : Outre que la parole vole trop viste pour laisser dans l’esprit de l’Auditeur une impression assez forte des moindres choses qu’il est besoin de remarquer pour une entiere intelligence, & qu’en un suject plein comme celuy-cy, une seule faute de memoire de l’Acteur, ou quelque changement dans le vers, sont bien souvent capables de causer de la confusion à tout le reste. Adjoustez à cela que chacun n’ayme pas ces longs recits, dont l’usage est pourtant si necessaire dans une piece composée dans les regles, & dont celle-cy est toute remplie ; Et neantmoins c’est une chose asseurée que si durant quelque narration l’esprit s’eschappe & se destourne ailleurs tant soit peu, il perd incontinent* le fil ou de l’histoire, ou de la fable. Aussi pour en parler franchement, je ne croy pas que ce fust l’intention du Tasse de faire une Tragedie pour le Theatre, mais seulement de feindre un suject agreable à lire, & de travailler plustost à de belles peintures qu’à des Scenes commodes & plaisantes à la veuë. On le peut recognoistre par ce long discours de Torrismon
[f.4v.] avecque le Conseiller, & particulierement par cette ample description / de la tempeste, en une occasion où il semble que le remords du crime qu’il estoit pressé de declarer, ne devoit pas tant luy permettre de s’y estendre ; On le void aussi dans ce recit exact de l’appareil des jeux & des magnificences qu’il commande qu’on fasse pour la reception de Germon, lors que l’arrivée prochaine de cét amy trahy luy jettoit bien d’autres soucis* dedans l’ame : Tant il est vray que ce grand Genie estoit comme un torrent qui ne pouvoit s’arrester ny souffrir* de digue ou de rivage : là où les fontaines & les estangs, c’est à dire ceux qui n’ont qu’une veine mediocre, demeurent paisibles & jamais ne se debordent. Mais comme les pauvres qui manquent des choses necessaires à la vie, mesdisent d’ordinaire de ceux qui sont dans l’opulence jusques au luxe : de mesme il ne faut pas s’estonner que des esprits secs & steriles ne vueillent point excuser en nostre Autheur un semblable vice qui vaut pourtant beaucoup mieux que leur vertu*. Et quoy que dans ma Version j’ay abbregé les endroits dont je parle ; & d’autres que je passe soubs silence, pour n’estre pas ennuyeux, neantmoins comme en une si vaste Tragedie il estoit bien difficile de rencontrer justement ce qui estoit de plus necessaire : dans la seconde representation, je retranchay encore beaucoup de choses qui sembloient un peu languissantes : Nonobstant* cecy je t’asseure que pour les raisons que je t’en ay dites, cette Tragedie sera tousjours plus agreable à lire qu’à ouyr reciter, ou si elle
[f.5r.] satisfait estant recitée, ce sera quand on l’aura leuë, ou qu’on l’aura desja / veu representer. Ce que tu ne dois pas trouver estrange, car si quelques pieces reüssissent d’abord dans l’action & sur le theatre, qui sont froides apres, & principalement quand on les void sur le papier & dans le cabinet, qu’est-ce qui empesche qu’il y en ait aussi, dont la premiere representation ne ravisse pas tant, & qui d’ailleurs sont miraculeuses à les lire ? Ces vers entrecouppez par plusieurs entreparleurs, qui ont de la grace dans la bouche des Acteurs, ne font qu’embrouïller l’esprit quand ils sont imprimez, comme ces recits longs & historiques historiques qui viennent à bout de la patience de quelques Auditeurs, sont trouvez admirables alors qu’on les considere & qu’on les lit attentivement. Ce n’est donc pas l’oreille qu’il faut prendre pour souverain Juge en ces occasions, mais seulement la veuë, c’est à dire la lecture : & c’est icy, comme par tout ailleurs, qu’un tesmoin oculaire vaut plus que dix qui n’ont qu’ouy : Aussi Thales interrogé de combien l’imposture estoit esloignée de la verité, respondit si sagement, d’autant que les yeux le sont des oreilles ; Et à ce propos tu me permettras de rapporter en passant ce qu’on attribuë au Tasse, quoy que je l’aye leu autre part, mais je suis bien aise parlant de luy de parler avec luy. Comme on luy demandoit pourquoy Homere avoit feint que les songes vrays venoient à nous par la porte de la Corne, & ceux qui estoient faux pas la porte d’Yvoire, il dit que par la Corne il falloit entendre l’œil, à cause de leur ressemblance en couleur (j’adjousteray que mesme une de ses tuniques
[f.5v] s’appelle Cornée) & que par / l’Yvoire, les dents nous estoient signifiées à cause de leur blancheur & de leur matiere pareille à l’Yvoire ; Enfin qu’Homere nous enseignoit par là qu’on pouvoit seulement juger avec certitude de ce que nous voyions nous-mesmes, & non pas tousjours de ce que nous entendions de la bouche d’autruy. Que si cela doit avoir lieu quelque part, c’est particulierement dans la Poësie, tesmoin celuy qui allant reciter d’un mauvais ton des vers de Malherbe, disoit, escoutez les plus meschants vers du monde, & les allant bien reciter, escoutez les plus excellents qui furent jamais. Et affin qu’on ne se mocque pas de moy, si dans cette application je compare la Poësie aux songes, qu’est elle apres tout que la resverie d’un esprit tranquille, une chose douce, vaine, diverse & chimerique, comme la pluspart des songes, & qui s’attribuë je ne sçai quoy de divin aussi bien qu’eux ? Mais laissant ces menuës recherches à part, Je reviens, & dis qu’asseurément tu vas trouver cette Tragedie incomparable, tant pour l’invention dont tu descouvriras qu’elle est toute remplie, & qui pour peu qu’on la voulust estendre fourniroit un juste Roman, qu’à cause de la beauté & de la varieté des passions qui y sont si naïvement representées. D'un costé tu verras Alvide agitée de deux mouvemens bien contraires, d’amour, & d’inimitié, d’amour pour son cher Torrismon, & d’inimitié pour Germon, contre lequel elle ne respire que des desirs de vengeance, qui d’ordinaire ont tant de grace dans les Tragedies : & d’autre part tu la
[f.6r.] verras si sage & si resignée aux volontez de Torrismon / qu’elle croit son mary, que de
[c] consentir mesme d’aymer Germon pour l’amour de luy : Cependant nonobstant* une amour si honneste & si vertueuse, dés le commencement ; dans le progrez, & sur la fin de cette piece, elle te paroistra tousjours tres mal-heureuse & tres digne de pitié. Considere ses inquietudes dans le premier Acte, ses défiances dans le Troisiesme, & dans le Cinqiesme ce desespoir qui l’oblige à se tuër, & si tu n’en es touché, dy hardiment que tu as le cœur de marbre. De moy voyant combien ce personnage estoit funeste j’ay cherché la raison pourquoy le Tasse n’a pas intitulé cette Tragedie l’Infortunée Alvide plustost que le Torrismon, & je n’en trouve point d’autre sinon que Torrismon paroist dans tous les Actes, & qu’il est la principale cause des desastres qui arrivent. Si ce n’est qu’il faille dire avec un grand maistre en la connoissance de ces choses, que la compassion s’excite par la misere d’une personne qui n’est ny tout à fait vicieuse, ny tout à fait vertueuse aussi ; non tout à fait vicieuse, parce qu’on ne plaint point le meschant, qui n’a que le mal qu’il merite, & comme chacun se flatte en l’opinion de sa probité, on n’apprehende point pour soy ce qu’on luy void souffrir. Il ne faut pas non plus que la personne soit entièrement vertueuse, d’autant que l’infortune de celuy qui est bon ne donne point de commiseration, puisque ce qui nous en donne, c’est de voir arriver aux autres, ce que nous craignons qui ne nous arrive, mais nul ne
[f.6v.] redoute de sinistres succez pour des vertus* qui doivent / bien plustost estre recompensées de quelque bon-heur. Suivant cette maxime & supposé que la Tragedie se doive appeller du nom du personnage le plus pitoyable*, c’est justement que celle-cy est dite le Torrismon, comme ayant toutes les conditions requises pour émouvoir la compassion : Car il n’est pas tout à fait bon puis qu’il a violé les loix de l’amitié & trahy Germon, ny tout à fait meschant, puis qu’il n’a failly que par force & apres une longue resistance, que ce n’a esté que par amour & par ignorance, qu’il a de si sensibles remords de son péché, enfin qu’il est plus mal-heureux que criminel, & plus digne de commiseration que de hayne. Mais s’il m’est permis de dire mon sentiment là dessus, je trouve la derniere partie de ce raisonnement d’Aristote plus subtile que solide, & je le quitterois volontiers en cecy pour ne le pas abandonner en une chose de plus grande importance, telle qu’est l’amour & la recherche de la verité : Son opinion auroit lieu si nostre vertu* pouvoit boucher toutes les avenuës à la fortune, & si par une secrette ordonnance* d’en haut nous n’estions pas bien souvent d’autant plus miserables que nous meritons moins de l’estre ; Mais cela estant, comme personne n’en doute, qui est-ce qui n’aura subject de craindre pour soy, & de plaindre par consequent les mal-heurs qu’il verra survenir à autruy, quoy que celuy qui souffre, & celuy qui void souffrir soient les plus gens de bien du monde* : Car tant s’en faut que l’affliction des hommes de bien ne se fasse pas ressentir à ceux qui font profession d’une mesme probité /, pour la raison qui a estée
[f.7r.] alleguée, qu’au contraire l’exercice le plus ordinaire des bonnes ames, c’est de prendre compassion de l’innocence opprimée & accablée sous le faix* des infortunes ; d’autant plustost qu’on peut accuser les autres de leurs desastres, & que pour une Alvide qui est seulement mal-heureuse, il y en a cent pareils à Torrismon, qui sont aucunement* coupables. Et quant à ce qui a esté dit qu’on n’a pitié que des maux qu’on apprehende, sans doute que cela n’est pas non plus absolument veritable, car il suffit qu’ils nous pouvoient arriver pour en avoir pitié, ainsi un vieillard pleurera le decez trop precipité d’un jeune homme, quoy que ce vieillard soit hors du danger de mourir en la fleur de son aage, ainsi l’on aura pitié d’un criminel qu’on meine au supplice, parce que c’est un homme comme nous, & qu’en effect nous pouvions naistre aussi enclins que luy au vice, & suivre un mesme train de vie.
De cette authorité de la fortune sur nous, & de cette cause secrette dont nous parlions un peu auparavant, qui fait que les evenemens ne sont pas en nostre puissance, on doit tirer la raison des miseres d’Alvide, & respondre en mesme temps à une autre objection qu’on fait au Tasse, d’avoir voulu que Sylvie dans son Aminte courut deux si grands dangers, l’un de son honneur entre les mains du Satyre, & l’autre de sa vie à la poursuitte du Loup, sans que ses actions eussent merité de si fascheuses rencontres, quoy qu’on peust dire que c’estoit pour punition du traictement injuste & cruel que son amant recevoit d’elle./ Certes je
[f.7v.] trouve rois bien plus mauvais que Sylvie aussi-tost qu’elle se void delivrée de ce Bouquin, apres que sa virginité a couru un si grand peril, apres avoir estée exposée toute nuë aux regards d’un Satyre & de deux Bergers ; qu’une fille, dis-je, chaste & honneste comme on nous la depeint, s’en aille incontinent* à la chasse & à ses premiers passe-temps, veu que la seule pensée d’un si honteux accident* luy debvoit faire oublier toute autre chose, & la remplir de tant de confusion qu’elle eust mesme horreur de paroistre au jour. J'estime pour moy que cela ne sçauroit s’excuser que par la necessité de la regle des vingt-quatre heures.
Apres le personnage d’Alvide suit celuy de Torrismon, où tu considereras ce cruel combat qu’il ressent dans l’ame, pour avoir trahy Germon, & pour ne pouvoir quitter Alvide, la peine où le met l’arrivée & la presence de son amy, celle où il est, descouvrant que Rosmonde n’est pas sa sœur, apprenant qu’il a commis un inceste, & voyant Alvide morte : Mais quoy, si tu l’as veu representer à nostre Roscius François (car il est bien aussi honneste homme, & hante bien d’aussi honnestes gens que l’autre) cét homme qui parle de tout le corps, & qui fait trouver une narration de deux cents vers trop courte, & particulierement si tu as remarqué ces discours ambigus & artificieux qu’il tient lors qu’on luy annonce la venuë de Germon ou qu’il parle à luy mesme, & comme il monstre deux
visages, ainsi qu’il a deux cœurs, l’un pour son Amy, & l’autre pour sa Maistresse, tu
[f.8r.] confesseras / que s’il ne se peut rien adjouster à son action, aussi ne sçauroit-on rien desirer dans son personnage. Germon vient apres agité des mesmes passions que Torrismon, mais avec cette difference, que dans le combat d’Amour & d’Amitié qu’espreuve Torrismon, l’Amour a le dessus ; & dans celuy de Germon, c’est l’Amitié qui l’emporte.
Considere en suitte ce zele loüable du Conseiller au service de son Maistre, ce desir de grandeur dans Rusille, & au contraire ce genereux mépris des couronnes dans Rosmonde, & ce puissant amour de la virginité qui luy fait mesme refuser un Monarque pour espoux : Considere, dis-je, ces divers & contraires mouvemens, & tu verras qu’ils tendent & s’accordent à composer un tout le plus accomply du monde ; Tu seras ravy de voir qu’une Tragedie contienne tant de matiere soubs une mesme forme, & que toutes ces choses soient tellement composées que l’une regarde l’autre & luy correspond, l’une dépend necessairement ou vray-semblablement de l’autre, si bien qu’une seule partie ostée le reste tombe en ruïne : Car de condamner comme superfluë, la dispute de la Reyne avec Rosmonde touchant le mariage, qui fut la premiere pierre d’achoppement à quelques uns, il n’y a point d’apparence, puisque mesme quand elle seroit aucunement* inutile, on nous enseigne qu’il faut laisser lieu aux digressions & à l’art dans les Tragedies, & que ces Episodes y font comme les meubles & les autres ornemens dans une maison. Mais je soustiens qu’elle est
[f.8v.] extremément necessaire, veu que le seul expedient*/ qu’il restoit, au point où les affaires se trouvoient reduites, c’estoit que Rosmonde espousast Germon, & que pour n’y avoir pas consenty, & n’avoir pas estée bien persuadée, tous les malheurs qui suivent, arriverent ; Elle n’est pas trop longue non plus, tant pour la raison de sa necessité, que parce qu’il est plus aisé de l’oster tout à fait, que d’en retrancher quelquechose sans la rendre defectueuse : Mais ils objectent que dans l’impatience que l’on a de sçavoir ce qui reüssira de la venuë de Germon, elle est importune, ou fait mesme oublier le principal suject : Pour ce dernier inconvenient, il me semble qu’il n’y a que ceux-là qui s’en doivent plaindre, dont l’esprit foible, s’il vient quand il est bandé à se relascher tant soit peu, se retrouve en son premier estat, & auroit presque besoin qu’on recommençast tout de nouveau les mesmes choses, semblable en cela à ces cordes de luth, lesquelles si on les lasche lors qu’elles sont tenduës, s’en retournent incontinent* d’où on les avoit tirées. Qu'elle soit importune non plus, il ne se peut dire, car encore qu’il faille tousjours se haster de venir à l’action, on doit prendre garde neantmoins à le faire sans se precipiter, & bien souvent mesme ce n’est pas un petit artifice de sçavoir retarder & retenir quelque temps le desir & l’esprit en suspens. Pour moy je croyois qu’encore que cette dispute fust assez serieuse & assez convenable en une Tragedie, que neantmoins apres les tristes recits d’Alvide & de Torrismon, c’estoit comme ces couleurs
[f.9r.] plus gayes qu’on applique dans les tableaux aupres des ombres./ Pour ce qui regarde quelques considerations particulieres que Rosmonde allegue contre le mariage, & que l’on trouve mal dans la bouche d’une Princesse, ou du moins d’une personne tenuë pour telle, quoy que je n’en sois pas responsable, & que ce m’ait esté trop de hardiesse de retrancher ou changer quelque chose dans la disposition de nostre Autheur, sans entreprendre aussi de reformer ses pensées, je soustiens encore pourtant qu’il n’y a rien contre la bien-seance & qui ne puisse estre facilement supporté d’un Juge equitable. Des paroles on en vient aux effects*, & l’on condamne l’inceste de Torrismon comme une chose qui choque l’honnesteté & les bonnes mœurs ; Vrayment de tous les deffauts imaginaires du Tasse celuy-cy est bien le plus injuste & le plus mal fondé : Que l’inceste soit un crime abominable, j’en demeure d’accord, & je ne repondray pas avec un impie, que pour monstrer la legereté de cette faute les Latins se sont contentez de la nommer inceste, comme qui diroit simplement contraire à la chasteté : car c’est ainsi que le Poëte appelle Busiris, non loüable au lieu de detestable. Je sçay quelle est la pudeur de la Nature ; qu’un grave Philosophe & Medecin Espagnol a dit, qu’Adam ne contribua pas à la production de la premiere femme avec la matiere dont les hommes sont d’ordinaire engendrez, de peur qu’il ne se meslast apres avec sa fille, quoy qu’en ce temps là où le genre humain ne subsistoit qu’en deux personnes, la necessité de le multiplier peust
[f.9v.] servir aucunement* de dispense. Je sçay / que les bestes mesmes sont raisonnables en ce point,
Ferae quoque ipsa veneris evitant nefasGenerisque leges inscius servat pudor.
& que jusques aux choses insensibles, les loix de ce respect s’observent, qu’on ne greffe pas un arbre de ses scions propres, & qu’on ne seme gueres un champ du grain qu’il a porté. Je n’excuseray donc pas dans le Tasse une amour illicite d’un frere envers sa sœur, telle qu’on la void dans la Canace, piece Italienne. Je diray seulement qu’il y a une grande difference entre pecher ignoramment & pecher à escient, & de volonté deliberée, le dernier est digne de supplice, & le premier de commiseration : En effect, que peut-on remarquer dans l’inceste de Torrismon qu’un accident* pitoyable* de la vie & de la fortune, ordinaire suject de Tragedies, & tant s’en faut que son action soit de mauvais exemple, qu’au contraire elle tesmoigne combien ce crime-là est horrible qui oblige à se tuër celuy qui l’a commis quoique sans crime. Mais afin qu’on ne s’imagine pas que cecy soit sans authorité, tu rencontreras une pareille chose dans l’Œdipe de Sophocle, & de Seneque, piece pourtant qui a esté universellement approuvée. En quoy lors que j’ay seulement dessein de deffendre le Tasse, je découvre un grand suject de loüange pour luy. Car si les Maistres de l’Art ont trouvé si bon qu’un vieillard envoyé de Corinthe abordant Œdipe pour luy dire qu’il estoit declaré Roy des Corinthiens, au lieu d’apporter une heureuse nouvelle fist tout le contraire, & luy
[f.10r.] apprist sans / dessein son inceste avec sa mere ; N'admirerons-nous pas aussi l’industrie de
[d] nostre Autheur, qui fait venir si à propos le vieil Aralde, de Norvegue, pour declarer à Torrismon que ce Royaume luy appartenoit par le decez de Galealte, & peu à peu luy apprend qu’Alvide, qui estoit sa femme, estoit aussi sa propre sœur. Ce qui plaist davantage en cecy, & qui se rencontre pareillement dans le Torrismon, c’est cette reconnoissance, & ce changement de fortune qu’on appelle Peripetie, car Œdipe & Torrismon apprennent, l’un que Jocaste est sa mere, & l’autre qu’Alvide est sa sœur : voilà la recognoissance, & tous deux inopinément deviennent tout à coup miserables : voilà le changement. Or il faut remarquer que la recognoissance est d’autant meilleure qu’elle se fait sans aucuns signes pris de dehors, qu’elle vient & se tire de la chose mesme & de la disposition du suject. Toucher seulement les yeux des Spectateurs, depend de l’Acteur & de l’appareil du Theatre, & non pas de l’art, mais icy ne faisant que lire & ne voyant rien representer chacun juge asseurément qu’Œdipe est fils de Jocaste & Torrismon frere d’Alvide, & de cette certitude naist une plus grande compassion pour eux, lors que l’un se crève les yeux, & que l’autre voulant tout à fait perdre la lumiere, se laisse tomber sur la pointe de son espée & se tuë. Au moins, poursuivent quelques uns, il faloit que la Tragedie finist à cette mort de Torrismon, puisqu’apres on ne
void plus aucun effect Tragique ; En cela s’il y a de la faute je t’avouë franchement qu’elle est
[f.10v.] de moy,/ & non du Tasse, qui suivant le precepte & la coustume loüable des anciens, cachoit
ces dernieres actions de desespoir & d’horreur, d’Alvide & de Torrismon, & se contentoit de les faire raconter sur le Theatre, & puis de remplir la Scene de regrets & de larmes qui touchoient bien autant pour le moins que la triste narration qu’on venoit de faire de leur mort : Au lieu que voulant donner quelque chose à ceux qui n’ayment que le spectacle, j’ay creu que je pouvois faire voir ce qui n’estoit que recité dans l’Autheur. Quoy qu’il en soit, il est aisé de retrancher la fin de cette Tragedie, comme on fit en sa seconde representation, avec quelques autres endroits que je marqueray à part, & conclure avec les regrets de Germon sur la mort de son amy, car pour luy, il est necessaire qu’il paroisse encore, & qu’il lise la lettre par laquelle Torrismon luy declare le subjet de sa mort, & le laisse heritier des Goths, suivant la prediction des Oracles. Et afin que tu ne croyes pas que j’eusse non plus adjousté le reste sans raison, à ton avis estoit-il hors de propos que la Reyne, l’un des principaux personnages de la Tragedie, fust informée en la presence des spectateurs, d’une chose qui la regardoit de prés, comme estoit la mort de Torrismon & d’Alvide ? Je jugeois que c’estoit le moyen de toucher tout le monde de compassion par ces actes de pieté & d’amy, dont Germon consoloit une mere affligée, & puis s’offroit à son service : mais sur tout
[f.11r.] cela me sembloit d’autant mieux que par là detournant la Reyne de la veuë de ses enfans
morts, & l’emportant pasmée* de douleur entre ses / bras (ce qui est encore un accident*
aucunement* tragique) il se retiroit luy-mesme & s’exemptoit honnestement d’assister à un spectacle devant lequel quoy qu’il eût fait, auroit esté estimé lâche, s’il ne se fust tué. Joinct que je suis en doute s’il est necessaire que la Tragedie finisse tousjours par les actions les plus funestes. La raison sur quoy je me fonde, outre l’experience que j’ay souvent veuë du contraire, c’est que les maistres de l’Art appellent changement en la Tragedie, non seulement quand elle termine en quelque malheur, amsi aussi quand elle tourne en mieux, ce que nous nommons Tragi-comedie : Or selon cette regle je pouvois bien conclurre par quelque chose de moins triste, puisque je pouvois mesme conclurre par quelque chose de plus gay sans rien faire contre la Tragedie. Et puis supposé que le but de la Tragedie soit d’exciter à pitié, n’est-il pas vray que l’aspect de ces actions sanglantes nous surprend d’abord plus qu’il ne nous touche ? Et c’est peut estre pour cette raison que nostre Autheur & la pluspart des anciens se sont contentez de la narration, qui rendant toutes choses probables, & mesme celles qui ne sont pas arrivées, a par consequent plus de force de nous émouvoir, que non pas la veuë, qui comme je disois naguere, nous remplit moins de compassion que d’horreur : si bien qu’au cas mesme qu’on voulust faire voir ces spectacles, il seroit tousjours bon, afin de nous donner
[f.11v.] plus de pitié, d’adoucir apres nostre esprit par les plaintes, & de nous ayder à faire comme
fondre ce glaçon qui s’est emparé & saisy de nostre cœur à leur / aspect. Ou mesme pour
parler encore plus hardiment, je diray qu’il faut que les cris, l’indignation, l’amour ou la colere de ceux qui survivent aux mal-heurs qui nous viennent d’estre representez, eschauffent, & baignent, s’il faut ainsi dire, nostre douleur dans les larmes, afin qu’elle s’en imprime plus fermement dans nostre ame, de mesme qu’on met le fer dans le feu & dans l’eau pour luy faire recevoir une plus forte trempe.
Voila ce que j’avois à te dire, Lecteur, touchant le Torrismon du Tasse, non point pour le justifier, mais par maniere d’exercice ; Aussi se deffend-il assez de luy mesme & par sa propre reputation, & quand tu remarquerois icy quelque leger defaut, souvien-toy je te prie que c’est un tribut* que les plus grands personnages payent à l’humanité & de plus, que comme nous voyons de mauvaises herbes qui ne sçauroient croistre qu’en de bonnes terres, on trouve aussi des fautes dont il n’y a que les meilleurs esprits qui soient capables, en fin que ce n’est que sur les glaces bien polies que ces petits atomes paroissent, & qu’il ne te faut pas imiter ces insectes qui ne s’attachent qu’à ce qui est raboteux. Toutesfois avant que de finir, je seray bien ayse de t’advertir encore d’une chose qui regarde le corps entier de cette Tragedie, & qui n’est pas inutile que tu sçaches : C'est que bien que la Tragedie soit un Poëme heroïque qui nous represente des evenemens illustres, & des personnages de naissance Royale, neantmoins son stile doit estre moins sublime & plus simple que celuy du
[f.12r.] Poëte Epique, / pource que celui-cy discourt le plus souvent en sa propre personne ; Et comme on suppose qu’il est remply d’un esprit divin, & qui l’éleve au dessus de luy mesme, il luy est permis d’avoir un langage, & des pensées extraordinaires. Ce qui n’arrive pas dans la Tragedie, où il n’y a que ceux qui sont introduits comme agents qui parlent, & qui traitent de matieres plus pleines de passion. Or est-il que la passion demande d’estre pure & naïve, trop de lumiere & d’ornemens luy portent ombre & l’estouffent. Ces subtiles conceptions donnent plus dans l’esprit que dans l’ame, touchent plus d’admiration que de compassion, flattent plus qu’elles ne frappent. Ce sont des armes plus belles que bonnes, plus éclatantes que solides, & qui picquent plustost qu’elles ne percent. Le Poëte doit delecter, mesme dans les choses tristes, mais celuy-là le fait-il qui se sert de pensées qui mettent nostre entendement à la gesne*, telles que sont ces pointes estudiées, & qui portent souvent avec elles plus d’embarras que de nouveauté? Ce ne sont la pluspart du temps que des reflexions irregulieres d’un esprit esgaré, qui ne nous font jamais voir les choses en leur posture naturelle, comme on les void dans les droicts mouvemens d’une ame bien reglée. Je ne dis pas cecy sans suject, parce qu’en effect il y a quantité de gens qui cherchent des pointes par tout, mesme hors des Sonnets & des Epigrammes, & ne s’avisent pas cependant qu’il n’y a rien de si froid, ny qui fasse tant languir l’action sur le theatre, où l’on doit bien plus songer à
[f.12v.] l’importance / de la chose qui se traite, que non pas au jeu & à la rencontre des paroles. La Tragedie n’a donc garde de s’amuser à ces fleurettes ; elle dont la tissure doit estre toute virile, & qui s’occupe à de grandes passions, & en des evenemens de consequence, veu mesme que les Sentences, dont Aristote dit que le peuple est fort amoureux, & qui semblent partir des sentimens de l’ame, n’y sont pourtant pas par tout bien receuës. En effect il nous est deffendu d’en mettre en la bouche de ceux qui viendroient de tomber en calamité, & ce seroit manquer de jugement, que de leur en laisser trop en cette occasion. Nul ne raisonne vaincu par la force de la douleur qui n’en donne pas le loisir, & la sentence n’est pas sans raisonnement, puisque d’un accident* particulier elle tire des maximes generales, que si bien elles instruisent, ne nous esmeuvent pas pourtant, suivant ce que dit S.Thomas, que les choses universelles ne touchent point. C'est pourquoy on a repris justement le discours que fait Hercule au commencement des Troades pour ses sentences trop fortes & trop espaisses ; Comme aussi pour revenir à nos pointes, on s’est mocqué des plaines d’Hercule proche de la mort, à cause de ses subtilitez trop foibles & trop aigues, & l’on a trouvé qu’en cét endroit là Seneque tomboit presque autant de fois qu’il s’eslevoit ; Et à ce suject, la remarque qui a esté faite d’Homere est digne de ta curiosité, c’est qu’en ses deux Poëmes il ne se rencontre
qu’une seule pointe, mais qui contente sans faire rire, qui est belle sans affeterie, & /
[f.13r.] bonne sans engendrer du dégoust. En quoy Sophocle & les Anciens Poëtes l’ont suivy, qui sçachant bien que l’usage de ces choses corrompoit les genereux sentimens, & avec eux les bonnes mœurs n’en ont pas voulu enerver leurs Tragedies. Ils n’en sont pas pourtant moins majestueux, ce defaut ne fait pas ramper leur stile, puisque ce n’est qu’au genre mediocre que Ciceron donne les antitheses & les contrepointes ; Leurs conceptions n’en valent que mieux pour n’estre pas si recherchées, & j’estime qu’il en est des pensées que la nature & la passion nous inspirent, comme de celles des femmes, dont les premieres sont presque tousjours les meilleures. Je ne doute donc point que pour ces raisons tu n’approuves la naïveté du stile & des pensées de nostre Autheur, apres avoir admiré l’invention & l’oeconomie entiere de sa Tragedie, & ce seroit faire tort au Tasse, & à ton jugement aussi, de m’estendre plus long-temps sur ce suject : Joint que je ne m’avise pas qu’en voulant deffendre mon Autheur je le charge de mes propres fautes ; Car qui doute que si quelque chose déplaist en ce que je donne, je n’en sois la seule cause, & que je ne l’aye renduë des-agreable en l’exprimant de mauvaise grace ? En effet il est bien croyable qu’on ne trouvera pas icy ny la douceur de ses paroles, ny la majesté de ses Vers, & moins encore dans les narrations qu’ailleurs, où la beauté du langage, qui est loüable dans toutes les autres parties, debvant principalement reluire, comme celle de l’homme sur sa face, elles en sont par
[f.13v.] consequent d’autant / plus difficiles à faire. Si bien que je m’imagine que de mesme que des tasches sur le visage se font plus remarquer qu’une disproportion des membres, ou quelque autre imperfection du corps : aussi quelque mauvais mot, j’adjousteray ou quelque fausse rithme que tu verras dans mes recits, mais dans toute ma Version, te choqueront plus que ne pourroient faire ces defauts plus cachez, quoy que plus grands, dont je t’ay parlé, s’ils se trouvoient veritablement dans le Tasse : Ainsi je me voy maintenant insensiblement engagé à m’excuser ou à me deffendre, & peut-estre tous les deux ensemble : Mais j’apprehende fort que si mes premieres & secondes fautes en ce mestier ont impetré de toy quelque sorte de pardon, tu ne juges cette recheute irremissible. En effect quelle necessité me contraint de faillir, pour me voir en peine d’implorer ta grace apres avoir commis le mal ? Nulle certes que le desir de contenter ta curiosité, qui est si grand en moy, que mesme ne reüssissant pas si bien que je voudrois, il ne diminuë point toutesfois, mais demeure tousjours aussi ferme & aussi entier qu’auparavant. Qu'ainsi ne soit tu peux voir aisément que je ne cesse point de chercher parmy les meilleurs Autheurs quelque chose d’excellent, ou en Vers, ou en Prose, affin de te l’offrir. En quoy tu m’as double obligation, puisque non seulement je te donne, mais je vay mandiant pour te donner. Les autres dans les ouvrages qu’ils mettent au jour ne songent qu’à leur propre reputation, & moy qu’à ta satisfaction ; Aussi ne crois-je pas que la
[f.14r.] gloire / doive estre le principal but d’un honneste homme : Il ne faut pas estre fasché qu’elle nous suive, mais de la faire marcher devant, c’est à dire, se la proposer, ou mesme la prendre pour compagne en ses desseins, c’est une chose indigne de nous, & il est certain qu’il est des actions comme des viandes, dont les meilleures ne valent rien, si elles sentent la fumée. Quant à moy si je travaillois pour l’honneur, je t’asseure bien que ce ne seroit pas à des Versions, où toute la plus haute loüange qu’on puisse acquerir, c’est de bien entendre une langue estrangere & la sienne : Et moins encore m’amuserois-je à traduire en Vers, particulierement en ce temps où on a le goust si delicat pour la Poësie, & où il est si difficile de faire entrer dans une version toutes les douceurs qu’on y desire : car si la rithme dans la liberté de l’invention, se peut dire comme un lien dont quelque Tyran des esprits s’est avisé d’arrester cette noble fureur des Poëtes ; dans la necessité d’exprimer fidellement ce qu’un autre aura dit, ne nous doit elle pas estre une gesne* insupportable ? Ce que je te prie d’avoir continuellement devant les yeux, lisant les mauvais vers que je te donne, & de considerer aussi que les pensées qui nous sont naturelles, & que nous concevons de nous mesmes, nous les enonçons tousjours mieux, & avec une elocution plus riche que celles qui entrent d’ailleurs dans nostre entendement, & qui nous sont comme estrangeres : de mesme que les herbes que la terre produit de son bon gré paroissent sans comparaison plus belles, &
[f.14v.] poussent bien / mieux & plus aysément que celles que le Jardinier seme. Et si j’oseray te dire
[e] encore pour ma plus grande justification, qu’il semble mesme qu’il ne soit pas à propos de trop limer ni polir les vers d’une traduction, de crainte d’affoiblir & de rendre plus minces les pensées de l’Autheur, qui sans doute en sont plus naïvement renduës, moins nous les retenons, & d’autant moins alterées que nous y meslons moins du nostre, en fin qu’il en arrive comme d’une fléche qui plus elle va viste, plus elle va droit à son but. Je passeray encore plus avant, & te diray dans les sentimens mesmes du Tasse, que ce qui est si mol & si égal, peut estre plus agreable aux oreilles, mais ne vaut rien pour la magnificence, que la dureté des vers non plus que celle des marbres, n’empesche pas qu’ils ne soient beaux, que l’aspreté mesme & la rudesse de la composition fait d’ordinaire la majesté du Poëme, parce que cela mesme qui retient le cours des vers est cause de les faire tarder, & que la tardivité est le propre de la gravité, que ce qui n’est pas bien coulant de soy, ou par le defaut de ses particules, qui sont aucunement* necessaires à la liaison du langage, cause un parler plus heroique, & tesmoigne une liberté qui ne s’assubjettit pas aux regles de la Grammaire : Comme au contraire les vers qui s’entretiennent, & qu’il faut prononcer tout d’une haleine pour avoir l’intelligence du sens, en rendent aussi le discours plus pompeux, de mesme que le chemin semble plus grand lors qu’on marche quelque temps sans se reposer. Et pour aller
[f.15r.] en mesme temps au devant de tout / ce qui te pourroit offencer, apres t’avoir parlé des Vers qui s’entresuivent, & qui ne composent qu’une pensée, J'adjouteray cecy des mots qui ne signifient qu’une chose, quoy qu’ils soient differens, qu’encore qu’il ne soit pas permis aux Orateurs d’en user, c’est pourtant une licence accordée aux Poëtes, comme aussi la repetition non seulement des semblables paroles, mais des mesmes en effet, passe bien souvent pour une grace, ou du moins pour une noble negligence. Pleust à Dieu, Lecteur, que tu fusses de cette opinion, ou mesme du goust de quelques autres que je connois, qui ont de la peine à lire ce qui a donné trop de peine à faire, & qui ayment mieux que la Poësie sente, s’il faut ainsi parler, le vin que l’huyle, c’est à dire, qu’il y paroisse plus de chaleur & de feu, que de douceur & de travail : Les Muses à leur advis sont de ces beautez qui ont plus d’agréement estant negligées : une certaine nonchalance & facilité dans les Vers les ravit, & ce qui sembleroit à d’autres, ou trop inégal, ou trop rude, est pour eux une diversité & une marque de force : Si dis-je tu estois de ce sentiment, je penserois avoir cause gaignée, car ny les vers que je te donne, n’ont esté faits mal-aisément (peut-estre aisément mal) ny tu n’y reconnoistras pas trop d’artifice & de soin* dont je me confesse du tout incapable. C'est seulement une fois l’année que pour me divertir je m’amuse à ce mestier, lors que je suis retiré à la campagne, où je ne trouve rien de plus utile que cét Art qui n’a rien d’utile, ny rien
[f.15v.] de plus agreable que de traduire, qui est le labeur le / plus ingrat de tous : L'invention qui demande une ame arrestée pour mieux contempler, travaille trop l’esprit d’un homme qui marche, & la lecture seule attache trop les yeux pour une personne qui se promene. Cette occupation est entre-deux, & d’autant plus propre en cette occasion, que la memoire n’a que faire non plus de se mettre beaucoup en peine. Les pensées & bien souvent mesme les paroles de l’Autheur, representent les rithmes dont on s’est servy en le traduisant, & les rithmes rappellent les vers en nostre ressouvenir quand on s’en veut descharger sur le papier. D'ailleurs le mouvement de la promenade nous eschauffant desja, la veüe d’une belle campagne, & la tranquillité des bois & des prairies achevent de nous inspirer une verve & une fureur tout à fait Poëtique : Car ce n’est pas au suject de la Poësie qu’il a esté dit, que les champs & les arbres ne nous pouvoient rien apprendre, mais seulement les hommes qui estoient dans les villes, puisque cet Art ne s’enseigne pas & ne s’acquiert que par un certain entousiasme. Aussi les Muses n’habitent pas les Courts, mais les solitudes, & si quelquefois elles paroissent dans les Courts, il ne faut pas conclurre de là qu’elles y aient esté élevées : le bruit* & la presse du monde* les espouvante, & trouble leurs imaginations, & parce qu’elles sont & doivent estre masles & robustes, elles se plaisent beaucoup mieux à la liberté d’un plein air, & de vivre à la veüe du Ciel & d’un beau jour, que non pas de se retirer dans un
[f.16r.] cabinet & à l’ombre d’une estude. Et c’est paravanture pour cela / qu’on a feint qu’Apollon, qui est la mesme chose que le Soleil autheur de la lumiere, leur predisoit & estoit comme leur pere, afin de nous faire entendre que ce bel Astre avec ses rayons nous communiquoit les influences de la Poësie ; Mais quoy que tout cecy peust tourner à mon advantage, je n’espere pas neantmoins qu’il me serve. Je crains que ce Dieu des Vers n’esclaire & n’eschauffe pas tousjours veritablement l’ame de ceux dont il éclaire & eschauffe le corps, qu’à ceux qui le suivent & le reclament, il ne presente bien souvent d’autre eau à boire que celle de la suëur qu’il fait ruisseler sur leur front, qu’enfin comme il contribuë esgalement à la production & à la corruption des choses, il ne cause aussi autant de mauvais que de bons Poëtes. Tout ce que je pretends donc tirer pour moy de cecy, c’est de te justifier mon travail, & de te rendre compte de mon loisir, afin que s’il est vray que l’occasion diminuë ou aggrave nos fautes, les circonstances que j’ay remarquées avoir esté cause de l’ouvrage que je te donne, quoy qu’elles puissent contribuer à ma honte, & me reprocher mon peu de genie, servent du moins à m’excuser envers toy de mon entreprise. J'ay mal employé de bonnes heures, je l’avoüe, mais je les eusse perdues : je n’ay rien fait qui vaille, mais je n’eusse rien fait du tout : Diray-je franchement ce que je pense, tu ne liras icy que des vers durs & rudes, mais qui ne respirent au dedans qu’un esprit de douceur & d’amour, capables d’attendrir les
[f.16v.] cœurs les plus sauvages, tu n’y verras pas la / couleur, le teint, ny l’embonpoint du Tasse, mais tu y verras tous ses muscles & ses nerfs, tu ne le trouveras pas si estendu, mais tu n’en recognoistras que mieux la force, tu n’y rencontreras pas le nombre, mais le poids de ses paroles, tu n’y remarqueras point tous les pas, mais tout le chemin qu’il a faict. Que si apres cela mon travail te déplaist encore, blasme-le si tu veux, je le souffriray* volontiers, pouveu que tu le fasses avec jugement, & non point par une vaine presomption. Ayant entrepris de suivre & de m’attacher au Tasse, je suis demeuré loin derriere ; mon stile au lieu de grave s’est trouvé pesant ; croyant faire des vers tristes, j’ay fait de tristes vers ; en fin Torrismon a trahy Germon, & moy j’ay trahy le Torrismon. Dis encore pis si tu veux, cela n’empeschera pas que tu ne voyes l’un de ces jours une autre piece de Theatre que j’ay habillée à la Françoise, si bien que tu ne dois pas t’estonner que je travaille tant à me deffendre, puisque ce que je dis maintenant ne servira pas peut estre seulement pour ce que je te donne, mais aussi pour ce que je te promets. C'est lascheté de n’oser entreprendre si un espoir apparent ne nous flatte*, on perd souvent quantité de bien faits avant qu’un reüssisse ; pourquoy ne hazarderay-je pas librement mes travaux, afin qu’un d’eux te profite ? On se mocqueroit de celuy qui fuyroit de mettre des enfans au monde de peur d’estre obligé de les voir peut-estre mourir : serois-je moins ridicule si je demeurois oisif dans l’apprehension que j’aurois de
[f.17r.] survivre aux ouvrages que je puis mettre au jour ? Celuy / dont je te veux parler, & qui est un fruit du dernier Automne, c’est le Soliman du Comte Bonarelli (tres-digne frere de ce digne autheur de la Phyllis de Scyre.) Je ne me suis pas si fort attaché à la traduction que je n’aye laissé & changé quelques choses, particulierement sur la fin, parce que d’une Tragedie que c’estoit, j’en ay fait une Tragi-Comedie ; Les raisons qui m’ont induit à cela je te les deduiray plus au long en son lieu ; Seulement te diray-je icy en passant, que le Poëte debvant avoir esgard à ce qui peut servir, non pas en tant que Poëte, mais en tant qu’il entre dans la societé civile, & qu’il fait un des membres de la Republique, il faut que le but des pieces de theatre soit de nous pousser aux bonnes actions, & de nous destourner des mauvaises, & de laisser les spectateurs satisfaits en leur faisant voir les justes evenemens des unes & des autres. C'est pourqouy j’ay creu estre obligé de donner une heureuse issuë à l’innocence de Mustapha & de sa Maistresse, & à la malice & trahison de Rustan, le chastiment qu’il avoit merité. Je t’avertis donc de bonne heure de n’y point chercher une entiere verité, mais seulement la vray-semblance, & de t’imaginer que Soliman, Mustapha & Rustan, sont plustost des noms de Turcs que de l’histoire. Si j’ay bien fait ou non, je te le laisse à juger, mais pour le moins tu ne me dois imputer ce changement à grand crime, puisque je l’ay fait avec raison & dessein. En la prudence morale, la connoissance augmente le mal : aux autres
[f.17v.] Arts & Sciences elle le diminuë : Si / bien qu’il ne faut pas que tu dises simplement que j’ay failly, mais seulement que j’ay voulu faire ainsi. Et puis si tu as approuvé & mesme loüé un excellent Autheur de ce temps, d’avoir fait mourir contre la verité de l’Histoire deux Rois, dont les plus grands crimes estoient d’amour, pour rendre cette merveille des Tragedies Françoises plus funeste & plus accomplie : ma cause sera-t’elle moins favorable d’avoir sauvé la vie à un Prince & à une Princesse innocens, pour ne l’oster qu’à un traistre, en partie contre la verité de l’histoire, & en partie contre l’intention de mon Autheur, afin que ma Tragi-Comedie en fust & plus agreable & plus juste ? Mais c’est inutilement que je me mets en peine de m’en justifier, puisque l’exemple de celuy-là mesme dont je viens de parler, sera seul capable de me deffendre, au moins s’il a persisté tousjours dans le dessein qu’il avoit d’accommoder aussi le Soliman en Tragi-Comedie ; C'est un bon-heur qui m’arrivera dans le malheur que j’ay de m’estre rencontré avec luy ; car d’un autre costé je ne doute point que mon Soliman qui peut-estre estoit assez bon de soy, ne se trouve mauvais par accident*, & lors qu’il sera comparé au sien, & que la plume de l’Aigle ne devore la mienne. Aussi souhaittois-je que le mien passast bien devant, afin que comme je n’avois pas entrepris de le choquer en marchant dessus ses pas, on ne me creut pas non plus si temeraire que de pretendre de m’égaler à luy en faisant representer ma Tragi-Comedie en mesme temps que la
[f.18r.] sienne : Mais puis qu’il a jugé / qu’il avoit desja trop d’avantages naturels sur moy, pour
[f] donner encore quelque occasion de croire qu’il auroit peu profiter de mes fautes, j’ay bien voulu consentir à ne pas faire paroistre mon Soliman, que le sien ne fust prest, & je m’estimeray seulement trop heureux de luy servir de relief & de fueille. Outre que nostre subject estant Tragique & assez vaste dans son autheur, on aura sans doute de la curiosité, pour voir comment chacun l’aura retranché & disposé au Theatre en Tragi-Comedie. Que si, comme on m’a fait accroire depuis, il a mieux aymé le laisser en Tragedie, ce sera le moyen de rendre chacun content : car quoy que la plus-part des evenemens soient semblables, neantmoins la contrarieté des conclusions, dont l’une suivra la verité, & l’autre la vray-semblance, mettra une entiere diversité entre les deux pieces. Au moins je t’asseure bien que tu y reconnoistras tousjours à ma confusion la grande difference qu’il y a d’un mauvais versificateur à un bon Poëte. Adieu.
ARGUMENT.
[f.18v.]GALEALTE Roy des Goths, eut une fille nommée Rosmonde, qu’il envoya aussi-tost qu’elle fut née en un Chasteau de Plaisance, pout là estre nourrie sous un air pur & serain. Celle à qui on envoyoit Rosmonde pour la nourrir, lassée de la Cour, s’estoit retirée en ce Chasteau, & d’autant que tous ses enfans mouroient en naissant, comme elle se vid enceinte pour la troisiesme fois, elle s’advisa de voüer aux Dieux ce qui viendroit d’elle, & les Dieux permirent qu’elle mit heureusement au jour une fille au mesme temps que la Reyne accoucha de Rosmonde. Mais la fille de cette nourrice qui estoit un fruit de la devotion de sa mere, servit bien-tost d’instrument à l’impieté d’un pere ; ce qui arriva de cette sorte :
Assez prez de ce Chasteau habitoit dans un antre une Nymphe qui predit de Rosmonde, Qu'estant parvenuë à la fleur de son aage & de sa beauté, elle seroit l’occasion d’une haute vengeance ; de faire perdre la vie à son frere Torrismon, & de faire passer ses Estats sous la domination d’un estranger. Le Roy se trouvant fort effrayé de ces menaces, la relegua dans cette caverne, & la donna à la Nymphe à eslever, sans en rien dire à la Reyne, qui n’adjoustoit pas foy aysément à toutes ses predictions. Et quelque temps apres au lieu de sa fille fit supposer & presenter à la Reyne celle de la Nourrice, qui eut depuis le nom & la place de la vraye Rosmonde ; Elle cependant estoit bien loin de la Cour de son pere ; car à peine eut-elle demeuré quatre mois dans cét antre de la Nymphe, que d’autres predictions qui menaçoient de mesmes maux, augmenterent les apprehensions du Roy de telle sorte, que pour son repos il fut contraint de commander à Fauston l’un de ses plus affidez serviteurs /
[f.19r.] de l’emmener en secret en un pays escarté, afin de frustrer* par là son mauvais destin ; Or comme ce Fauston estoit avec elle sur mer, il fut pris par des pirates de Norvegue, & mis dans un petit vaisseau, & la fille dans un autre. Ces pirates furent bien-tost attaquez & chassez par d’autres qui estoient du pays des Goths : mais qui ne purent arrester que l’esquif* où estoit Fauston, qui par ce moyen se vid delivré d’entre les mains des pirates de Norvegue, & ramené en son païs par les corsaires qui en estoient, & quant à l’esquif* où estoit la fille il se sauva & s’en retourna en Norvegue, où estant, la vraye Rosmonde fut presentée à Galealte Roy de ce pays, pour le consoler de la perte qu’il venoit de faire, d’une petite fille nommée Alvide. Ce Roy la receut avec joye, l’appella Alvide du nom de celle qui luy estoit morte, & la tint d’autant plus chere que les predictions de Norvegue aussi-tost qu’elle fut arrivée, portaient ainsi que celles de son pays, qu’elle debvoit estre l’occasion* d’une haute vengeance. Galealte dont le Royaume avoit receu mille injures de la Suede, tant par surprises & stratagemes de guerre, qu’à force ouverte, expliquoit cette prediction selon son desir, esperant que par le moyen de cette fille il pourroit un jour se vanger de tous ses affronts, & de toutes ses pertes. Comme il estoit dans ses pensées, il survint une chose qui aigrit encore davantage son inimitié contre les Suedois. C'est qu’ayant envoyé aux Danois qui estoient lors en guerre, le secours d’une armée commandée par son fils unique qui n’avoit encore que seize ans, il se rencontra que ce jeune Prince eut en teste Germon fils du Roy de Suede, homme desjà tout fait, & grand Capitaine, qui assistoit le parti contraire ; Germon porta bien-tost par terre & tua ce jeune Prince, mais avec des actes d’hostilité beaucoup pires que le meurtre. Cela fut cause que Galealte respira plus que jamais un grand desir de vangeance, & qu’il s’advisa pour cét effect* de faire un fameux tournois où l’on proposa pour prix une tres-riche couronne qu’Alvide elle-mesme devoit mettre sur la teste du vainqueur ; Le but de ce tounois estoit de faire choix du plus vaillant, & de l’engager par
[f.19v.] honneur & par une sorte de recognoissance à tirer raison de la mor / du frere d’Alvide : Comme la vaillance & la gallanterie estoient en Germon au souverain degré, il se presenta aussi en ce tournois au milieu de ses ennemis ; mais en chevalier inconnu : & ayant surmonté tous ceux qui disputoient du prix, il receut la couronne des mains d’Alvide sur son armet*. Car quoy qu’on le priast instamment de se découvrir, il ne fut si temeraire que de le faire : seulement fit-il sçavoir à Alvide en partant, qu’il s’en retournoit son serviteur, quoy que de tout temps il eut esté son ennemy : Germon ayant donc luy-mesme remporté ce prix, le dessein que le Roy de Norvegue avoit eu de se vanger par ce moyen, demeura sans effet*, mais ne s’allentit* pas pour cela : tant s’en faut, Alvide estant preste à marier, Galealte ne la vouloit donner à personne qu’à condition qu’on le vangeroit de Germon : C'estoit donc bien loin de faire la paix avec luy, qui cependant entretenoit au milieu de son cœur une secrette guerre que les beaux yeux d’Alvide y avoient allumée, si bien que les longs voyages & par mer & par terre qu’ils firent depuis ensemble luy & Torrismon avec qui il contracta durant ce temps-là une amitié tres-estroite, ne servirent qu’à agiter son feu pour le mieux r'enflammer : Estant donc de retour Torrismon & luy dans leurs Royaumes, dont le decez des Princes leurs peres les laissoit heritiers, Germon escrivit plusieurs fois au Roy de Norvegue de luy donner Alvide en mariage, mais ce Roy rejetta ses demandes ; de quoy Germon se sentant piqué, & son amour s’augmentant encore davantage par la resistance, il a recours à Torrismon, lui mande qu’il falloit qu’il fist pout luy un trait d’amy, qu’il allast en Norvegue demander Alvide en mariage comme si ce devoit estre pour luy mesme : & que quand il l’auroit amenée au pays des Goths, il feroit tant qu’il gaigneroit son cœur & l’espouseroit : que ce n’estoit point faire tort à Galealte de lui donner un Roy pour gendre, & de l’obliger à la paix. Torrismon meu de ces raisons, & plus encore de la priere de son amy va trouver le Roy de Norvegue, fait la demande, la fille luy est accordée, il luy donne la foy de mariage, & promet qu’il les vangera de Germon, en fin il remonte sur mer avec Alvide & s’en retourne,
[f.20r.] dit-il, en Arane principale ville / de son Royaume pour accomplir le mariage suivant les loix du pays ; & cependant qu’il est sur mer, Alvide qui le croyoit veritablement son espoux, ayant de l’amour pour luy, luy en donne, il resiste à ses attraits le plus qu’il peut, mais en fin une tempeste survenant qui écarte leur flotte & jette leur vaisseau en un bord solitaire & sauvage, fut la triste occasion qui fit violer à Torrismon la foy deuë à son amy. Le voila donc desormais bien empesché estant devenu amoureux & traitre tout ensemble, il ne sçauroit quitter Alvide & ne peut souffrir* d’estre infidelle. Dans ce trouble il arrive en Arane, où son remords luy fait fuyr l’abord & la presence d’Alvide, qui s’estonne de ses froideurs, du retardement* de son mariage &, ce qui l’offence plus que tout, de ce qu’on attend Germon son ennemy mortel ; de la venuë duquel Torrismon luy mesme bien embarassé parce qu’il ne pouvoit se resoudre à quitter Alvide, expose tout le fait à un sage vieillard qui avoit esté autresfois son gouverneur, luy demande conseil de ce qu’il doit faire, & ce vieillard trouve à la fin qu’il n’y a point de meilleur expedient* que de dire tousjours qu’Alvide ne pouvoit aymer le meurtrier de son frere, & de luy donner au lieu d’Alvide, Rosmonde, qui jusque là avoit encore esté tousjours creüe la sœur de Torrismon ; Car Galealte autheur de la tromperie fut tué en guerre auparavant qu’il eust encore rien decouvert à la Reyne, de ce secret, dont la Nourrice & Fauston qui en estoient seuls complices, n’avoient non plus jamais rien declaré : Hormis que la Nourrice avoit découvert en mourant à la fausse Rosmonde qu’elle estoit sa fille & tout le reste du mystere. Cett fille sçachant donc sa naissance, & comme elle avoit esté consacrée aux Dieux par sa mere, & de plus s’y estant aussi voüée elle mesme tesmoignoit de l’aversion pour les grandeurs & pour les vanités du monde* & desiroit infiniment de se voir dans une condition privée, où elle peust vacquer à son aise, à la devotion qu’exigeoit d’elle le vœu de virginité qu’elle avoit juré. Neantmoins je ne say quelle force d’amour & d’inclination particuliere pour Torrismon estouffoit de fois à d’autres
[f.20v.] l’avoit retenuë jusques alors à la Cour aupres de luy ; / Mais cela n’empeschoit pas que pour tout autre son cœur ne fust de glace ; Si bien qu’elle n’avoit garde de vouloir ce que le Conseiller proposoit, c’est en vain que Torrismon approuve son advis, & en vain qu’il empoye l’authorité de la Reyne pour la faire consentir à prendre Germon pour espoux. Elle y resiste de tout son pouvoir, mais si sagement qu’il sembloit à la fin qu’elle en demeurast d’accord, quoy qu’elle eust dans l’ame un dessein tout contraire. Cependant, Germon arrive, Torrismon le reçoit assez froidement comme une personne qui luy pesoit fort, luy dit que ce qui le fasche le plus c’est qu’il ne sçauroit lui gagner le cœur d’Alvide, laquelle il prie pourtant de faire bon visage à Germon, ou parce qu’il estoit son amy, ou peut estre afin qu’il creut qu’il parloit pour luy à Alvide, & que tout ce qu’il en pouvoit obtenir, c’estoit qu’elle souffrist* sa veüe : Germon ne laisse pas de faire ses recherches, & pour cét effet* envoye à Alvide un manteau Royal & un portrait de diamants où il l’avoit fait habiller à la Suedoise, au dessous duquel estoient les armes de la maison de Suede, avec une Couronne à ses pieds & des Fléches en sa main, marques de subjetion & d’amour. Et ce qui estonne plus que tout cette jeune Princesse, il luy renvoye la Couronne qu’il avoit remportée & receüe de ses propres mains au tournois de Norvegue, par où elle apprend que luy mesme avoit esté le vainqueur & estoit party son Amant, ce qui luy donne mille defiances & entr'autres qu’on ne l’ait esté querir pour luy veu les froideurs de Torrismon, & qu’il a retardé le mariage jusques à la venuë de Germon. Mais tant s’en faut que Torrismon eust de veritables froideurs pour elle, qu’au contraire il donna charge au Conseiller de proposer à Germon comme de luy mesme & comme ne sçachant rien du secret qui estoit entre les deux amis, de prendre Rosmonde en mariage. A quoy Germon apres quelques discours respond, qu’il fera tout ce que son amy voudra, comme ne croyant pas qu’il voulust rien commettre d’injuste, ou bien faisant ceder l’amour à l’amitié. Il s’estonne poutant de ce procedé, accuse la froideur de Torrismon, & enfin l’excuse & se repose de tout sur luy. Sur ces entrefaites Rosmonde qui
[f.21r.] craint qu’il ne luy faille enfin rompre / son vœu de virginité en espousant Germon, declare à Torrismon qui elle est & comme elle passe à tort pour sa sœur. Torrismon s’en estonne, admire sa generosité & sa pieté qui luy font mespriser un si haut tiltre, est en peine où il pourra trouver sa sœur pour la donner en mariage à Germon, a recours au Devin qui luy parle obscurement & luy dit pourtant toute la verité. En fin il apprend de Fauston que comme il l’emmenoit au loin pour les mesmes raisons qu’avoit desja dites Rosmonde, elle luy avoit esté enlevée par un Pirate de Norvegue, & alors arrive un Messager de ce païs qui vient apporter à Alvide & à Torrismon des nouvelles de la mort de Galealte Roy de Norvegue, par laquelle la Norvegue leur appartenoit ; & ce Messager estoit justement celuy- là mesme qui avoit esté autresfois reduit par quelque disgrace à pratiquer cét infame metier de Pirate & qui avoit enlevé Alvide & l’avoit donnée au Roy de Norvegue ; Ce que Fauston qui le reconnut l’ayant obligé d’avoüer, Torrismon apprend son malheur & son inceste, & son amy survenant là dessus, il luy promet tout de bon de faire ce qu’il pourra afin qu’Alvide & la Norvegue soient à luy, & cependant deffend à Alvide qu’on die la mort de Galealte, parce qu’il sçavoit bien qu’elle avoit desja l’esprit assez troublé sans la surcharger encore de cette nouvelle affliction : mais elle l’ayant apprise d’ailleurs, s’imagine que son païs est d’intelligence avec Torrismon pour la trahir, elle entre en de plus fortes deffiances que jamais, & principalement apres avoir ouy de la bouche de Torrismon des choses si estranges, qu’elle estoit sa sœur, qu’elle avoit esté nourrie par une Nymphe dans une grotte, enlevée par des Corsaires, & qu’il faloit qu’elle espousast Germon : elle devient furieuse, & se donne à la fin un coup de poignard, auquel coup Torrismon survenant s’estonne de sa rage & de son desespoir, luy jure que tout ce qu’il luy a dit estoit tres-vray, & puis la void mourir entre ses bras ; & apres avoir donné à un Gentil-homme qui estoit là present, une lettre qu’il venoit d’escrire à Germon dans la resolution de se tuër quand mesme Alvide ne fust pas morte (par laquelle lettre il luy mande la cause de sa mort & le fait heritier des Goths) il se laisse
[f.21v.] tomber sur son espée & expire aux pieds d’Alvide /. Germon reçoit la lettre, se desespere à cette triste nouvelle, console la mere de Torrismon, comme il luy avoit recommandé, fait enterrer son amy & sa maistresse ensemble, & demeure maistre du Royaume des Goths suivant les predictions qui portoient qu’il devoit estre soubmis à un estranger, lesquelles predictions parloient aussi d’une haute vangeance, qui n’estoit autre chose en effet que cette mesme mort de Torrismon, pour avoir trahy le Roy de Norvegue en luy enlevant Alvide pour Germon, pour avoir esté infidelle à son amy, & peut estre pour avoir commis un inceste, quoy qu’innocemment.
Le moyen de retrancher quelques endroits de cette Tragedie, comme on fit en sa seconde Representation.
[f.22r. g]DU premier Acte, on peut oster la seconde Scene que la Nourrice fait toute seule.
Du second Acte, on peut oster la troisiesme Scene, que Rosmonde fait toute seule, & retrancher de la quatriesme Scene, cette longue dispute pour & contre le mariage, de sorte que la Scene finisse par ce vers :
Celles de mon pays n’ont point de ces appas.
Et de la cinquiesme Scene ne prendre que les quatre premiers vers.
Du troisiesme Acte, on peut oster si l’on veut, la premiere Scene que le Conseiller fait tout seul.
Du 4. Acte, il n’y a rien à retrancher.
Du cinquiesme, on peut oster la troisiesme Scene que Rosmonde fait seule. Et puis conclurre la Tragedie par les plaintes que Germon fait en la septiesme Scene, qui finissent pas ce vers,
Et fera mesme horreur à la race future.
En y adjoustant aussi ces deux qui sont les derniers de la Tragedie.
O ma vie ! ô mes jours ! non jours, mais tristes nuits,Que vous me reservez de regrets & d’ennuis.
Fautes survenuës en l’impression.
[f.22v.]Page 6 pour Gennon, lisez Germon. page 15. Que je luy cederois, il semble qu’il faille un la, c’est pourquoy mets au lieu, Que je la luy rendois, ou bien si tu veux, Et de la luy ceder. Page 44. Au comble de beauté, de valeur, & des biens, l. & de biens. Page 84. Que le Roy la craignit pas quelque destinée. l. pour quelque destinée. Le reste des fautes, s’il y en a encore quelques-unes, tu les corrigeras aysément toy-mesme.
Extraict du Privilege du Roy.
Par grace & Privilege du Roy, Donné à Paris le 12. Mars 1636. Signé par le Roy en son Conseil, VIGNERON : Il est permis au Sr Dalibray, de faire imprimer par tel Imprimeur qu’il voudra choisir un Livre intitulé, Le Torrismon du Tasse, Tragedie, en telle forme & caractere qu’il advisera bon estre, & ce durant le temps de six ans, à commencer du jour que ledit Livre sera achevé d’imprimer : Et deffences sont faites à tous Libraires & Imprimeurs, de contrefaire ledit Livre, ny en vendre ou distribuer d’autres, que de ceux dudit Dalibray, ou de ceux qui auront droit de luy durant ledit temps, à peine de cinq cens livres d’amende, confiscation des exemplaires, & de tous despens, dommages & interests.
LES ACTEURS.
[f.23v.]- LA NOURRICE.
- ALVIDE.
- TORRISMON.Roy des Goths.
- CONSEILLER.
- GENTIL-HOMME de la part de Germon.
- ROSMONDE.
- RUSILLE.mere de Torrismon.
- GERMON.Roy de Suede.
- DEVIN.
- FAUSTON.
- MESSAGER.
- GENTIL-HOMME de Chambre de Torrismon.
ACTE I.
SCENE I.
NOURRICE.
ALVIDE.
NOURRICE.
ALVIDE.
NOURRICE.
ALVIDE.
[p. 7]NOURRICE.
[p. 8]ALVIDE.
NOURRICE.
[B ; 9]SCENE II.
NOURRICE Seule.
SCENE III.
TORRISMON.
CONSEILLER.
TORRISMON.
CONSEILLER.
TORRISMON.
CONSEILLER.
TORRISMON.
CONSEILLER.
TORRISMON.
CONSEILLER.
TORRISMON.
CONSEILLER.
TORRISMON.
CONSEILLER.
CONSEILLER.
TORRISMON.
CONSEILLER.
TORRISMON.
CONSEILLER.
TORRISMON.
CONSEILLER.
CONSEILLER.
TORRISMON.
Fin du premier Acte.
ACTE II.
SCENE I.
GENTILHOMME.
TORRISMON.
GENTIL-HOMME.
TORRISMON.
GENTIL-HOMME.
TORRISMON.
GENTIL-HOMME.
TORRISMON.
SCENE II.
TORRISMON seul.
SCENE III.
ROSMONDE seule.
SCENE IIII.
RUSILLE.
[E ; 33]ROSMONDE.
RUSILLE.
ROSMONDE.
RUSILLE.
ROSMONDE.
RUSILLE.
ROSMONDE.
RUSILLE.
ROSMONDE.
RUSILLE.
ROSMONDE.
RUSILLE.
ROSMONDE.
RUSILLE.
ROSMONDE.
RUSILLE.
ROSMONDE.
RUSILLE.
ROSMONDE.
RUSILLE.
SCENE V.
RUSILLE seule.
[p. 44]SCENE VI.
RUSILLE.
TORRISMON.
RUSILLE.
TORRISMON.
ACTE III.
SCENE I.
LE CONSEILER Seul.
SCENE II.
ROSMONDE Seule.
[G ;49]SCENE III.
TORRISMON.
GERMON.
TORRISMON.
GERMON.
TORRISMON.
SCENE IIII.
TORRISMON.
ALVIDE.
TORRISMON.
ALVIDE.
TORRISMON.
SCENE V.
GENTIL-HOMME.
GENTIL-HOMME.
ALVIDE.
GENTIL-HOMME.
SCENE VI.
ALVIDE.
NOURRICE.
ALVIDE.
[p. 58]NOURRICE.
ALVIDE.
[p. 61]NOURRICE.
ALVIDE.
NOURRICE.
ALVIDE.
NOURRICE.
ALVIDE.
[p. 63]ACTE IIII.
SCENE I.
CONSEILLER.
GERMON.
CONSEILLER.
CONSEILLER.
GERMON .
CONSEILLER .
GERMON.
CONSEILLER.
GERMON.
SCENE II.
GERMON seul.
SCENE III.
[p. 71]TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
[p. 72]ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
Qu’une haute vengeanceTORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
ROSMONDE.
TORRISMON.
SCENE IIII.
[p. 77]TORRISMON seul.
SCENE V.
TORRISMON.
DEVIN.
TORRISMON.
DEVIN.
TORRISMON.
DEVIN.
TORRISMON.
DEVIN.
TORRISMON.
DEVIN.
TORRISMON.
TORRISMON.
DEVIN.
TORRISMON.
DEVIN.
TORRISMON.
SCENE VI.
[p. 83]FAUSTON.
TORRISMON.
FAUSTON.
TORRISMON.
FAUSTON.
TORRISMON.
FAUSTON.
TORRISMON.
FAUSTON.
TORRISMON.
FAUSTON.
TORRISMON.
FAUSTON.
TORRISMON.
FAUSTON.
TORRISMON.
FAUSTON.
Cecy ne sçay-je pas ;TORRISMON.
FAUSTON.
SCENE VII.
[p. 88]MESSAGER.
TORRISMON.
MESSAGER.
TORRISMON.
MESSAGER.
[p. M ; 89]TORRISMON.
MESSAGER.
TORRISMON.
MESSAGER.
TORRISMON.
MESSAGER.
FAUSTON.
TORRISMON.
FAUSTON.
MESSAGER.
FAUSTON.
MESSAGER.
FAUSTON.
MESSAGER.
TORRISMON.
MESSAGER.
TORRISMON.
SCENE VIII.
[p. 92]GERMON.
TORRISMON.
GERMON.
TORRISMON.
GERMON.
TORRISMON.
Fin du quatriesme Acte.
ACTE V.
SCENE I.
ALVIDE.
ALVIDE.
NOURRICE.
ALVIDE.
NOURRICE.
ALVIDE.
NOURRICE.
ALVIDE.
NOURRICE.
ALVIDE.
NOURRICE.
SCENE II.
[p. 102]RUSILLE seule.
SCENE III.
ROSMONDE seule.
SCENE IIII.
ALVIDE seule dans sa chambre.
SCENE V.
[O ; 105]TORRISMON.
ALVIDE.
TORRISMON.
ALVIDE.
TORRISMON.
ALVIDE.
[p. 107]TORRISMON.
GENTIL-HOMME.
TORRISMON.
[p. 108]SCENE VI.
Gentil-homme descendant de la chambre sur le Theatre.
SCENE VII.
[p. 109]GERMON.
GENTIL-HOMME.
GERMON.
GENTIL-HOMME.
GERMON.
GENTIL-HOMME.
GENTIL-HOMME.
GERMON.
GENTIL-HOMME.
GERMON.
GENTIL-HOMME.
GERMON.
SCENE VIII.
GENTIL-HOMME.
RUSILLE.
GENTIL-HOMME.
RUSILLE.
RUSILLE.
GENTIL-HOMME.
RUSILLE.
GENTIL-HOMME.
GERMON.
RUSILLE.
GERMON.
ROSMONDE.
RUSILLE revenant de pasmoison*.
GERMON.
RUSILLE.
GERMON.
RUSILLE.