JUSTINIAN, THEODORE, SOPHIE, AMALAZONTHE, BELISAIRE, NARSE’S, VITIGE’S, DIOPHANTE, & Deux Gardes.
AMALAZONTHE
Levez-vous.Ah ! Seigneur vous estes trop
Auguste*,
Devant mon Empereur ce respect est bien juste,
J’ay perdu mes Estats, mon rang l’est avec eux,
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Et cét abaissement sied bien aux malheureux.
JUSTINIAN
5 Non, je n’écoute rien en l’estat où vous estes,
Levez-vous.
AMALAZONTHE
Levez-vous.J’obeïs aux loix que vous me faites,
Et le commandement de vostre Majesté
Sert de juste pretexte à ma temerité.
Seigneur, quoy que le sort, nos malheurs & Bellonne,
10 Pour nous mettre à vos pieds nous arrachent d’un trône
L’espoir d’y remonter encore qu’il soit doux,
N’est pas ce qui me fait embrasser vos genoux,
Je voy sans desplaisir le cours de vos conquestes,
Vous pouvez tout prétendre estant ce que vous estes,
15 Et malgré leur orgueil les plus
superbes* Roys,
Pourront sans deshonneur se sous-mettre à vos loix :
Me rendent mes grandeurs, ny ces
pompes* Royales,
Qui plaisoient cy-devant à mon ambition,
20 Mon coeur n’est plus atteint de cette passion,
Un plus noble desir aujourd’huy le possede,
Il sera satisfait pourveu qu’il me
succede*,
Et son heureux effet est le bien le plus doux,
Et toute la faveur que j’espere de vous.
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25 Donc par cette bonté qui vous rend adorable,
Je conjure à present le plus grand des humains,
Que ces fers que je vois en de si nobles mains
Passent d’un Innocent en une Criminelle,
30 Ce prince a combattu, mais je suis la rebelle,
Qui seule par l’effort de mes traistres
appas*,
Ay fait impudemment revolter ses Estats,
Ouy Seigneur, il m’aimoit, & ce brave courage
Eust creü me faire tort s’il vous eust fait hommage,
35 J’avois sur son esprit un absolu pouvoir,
Et son amour enfin a trahy son devoir.
Ne me refusez point, puis qu’icy ma priere
Donne à vostre clemence une illustre matiere,
Et que pour l’asseurer de sa fidelité,
40 Je m’offre pour ostage à vostre Majesté.
Mais si vostre courroux demande une victime,
J’y consens ; punissez son amour, & mon crime,
Au lieu de mon Amant me faisant arrester,
Vous ostez le sujet qui l’a fait revolter ;
45 Il sera trop puny si je luy suis ravie,
Ostez luy sa Maistresse, & laissez luy la vie,
Conservez par ma mort un homme de son rang,
Et s’il faut sa rançon, payez vous de mon sang.
JUSTINIAN
[p. 4]Ne vous affligez pas belle & charmante Reine,
50 Cette rigueur pour vous seroit trop inhumaine,
je croirois faillir, si j’avois accepté
Une offre si contraire aux Loix de ma bonté,
Quel que soit mon bon-heur, j’y veux joindre la gloire,
D’avoir sçeu noblement user de ma victoire,
55 Je ne veux point passer pour insolent vainqueur,
Je redonne les biens pour acquerir le coeur,
Et le Ciel m’est témoin que je ne fais la guerre,
Que pour mieux establir le repos sur la terre :
Quand j’abaisse quelqu’un je le fais justement ;
60 Et quand je puis punir, je pardonne aysément.
AMALAZONTHE
Gloire de l’Orient, & l’honneur des Monarques,
En qui l’on voit des Dieux tant d’immortelles marques,
Quelque ressentiment que je vous fasse voir,
Je ne m’afflige point d’estre en vostre pouvoir,
65 Et ce malheur en moy si doucement s’efface,
Que je crains de pecher en l’appellant disgrace,
Puisque tant de vertus qui reluisent en vous,
Font mesme qu’à present mon sort me semble doux.
70 Vous ont rendu facile* envers des miserables,
Si jamais les regrets, les sanglots, & les pleurs,
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Vous ont fait compatir à leurs vives douleurs ;
Delivrez Vitigez, accordez luy sa grace
Par ces mains que j’adore, & ces pieds que j’embrasse,
75 Je sçay que vous pouvez user de la rigueur,
Que peut impunément exercer un vainqueur,
Mais monstrez nous plutôt qu’en ce siecle où nous sommes,
Les Dieux daignent encor se déguiser en hommes ;
Et qu’ayant quelques fois la foudre dans les mains
80 Ils ont compassion des larmes des humains.
VITIGES
Veut faire voir icy vôtre gloire & ma honte,
Mais je ne suis pas lâche au point que de
souffrir*,
Que vous donniez le prix que vous venez d’offrir :
85 Plutôt que m’ordonner que je vous abandonne,
Qu’on m’ôte mes Estats, mon Spectre et ma Couronne,
Je beniray mon sort, mes fers me seront doux,
S’ils me laissent l’honneur de vivre auprés de vous.
Madame, les prisons sont des champs Elizées,
90 Quand vos divins regards les ont favorisées,
Au lieu que les palais où vos yeux ne sont pas,
Ne sont que des enfers où regne le trépas.
Que le Ciel vous soit donc cruel ou favorable,
Mon sort de vos destins doit estre inseparable,
95 Mes jours avecque vous me seront precieux,
Et sans vous je renonce à la clarté des Cieux,
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Mais helas ! mes desirs ne sont pas legitimes,
Vos celestes beautez n’ont point part à mes crimes ;
Et la mesme équité me devroit enseigner
100 Comme je dois
souffrir* que vous devez regner,
Regnez, separez-vous du mal-heur de mes armes,
Mon amour quoy que grand est fatal à vos charmes,
Et c’est pour reparer un si sensible tort,
Que j’implore à genoux vostre grace & ma mort.
VITIGES
Seigneur.Amalazonthe.
THEODORE
Seigneur. Amalazonthe.Amour incomparable.
NARSES
Amant infortuné*.Mais amant adorable,
Car c’est heureusement perdre sa liberté,
Que d’estre compagnon de ta captivité,
BELISAIRE
[p. 7]Je plaindrois vostre sort illustre Amalazonthe,
110 Si vous ne voyez pas celuy qui vous surmonte,
Et mes yeux ne verroient mon bras qu’avec horreur,
S’il vous avoit soubs mise à quelque autre Empereur ;
Mais vous ne devez point envier ma victoire,
Puis qu’elle n’oste rien au prix de vostre gloire,
115 Vous donnant pour vainqueur un Prince
genereux*,
Qui détruit les malheurs, & qui fait les heureux.
JUSTINIAN
Ouy Princesse esperez, donnez tréve à vos plaintes,
Ma clemence aujourd’huy dissipera vos craintes,
120 Combien je suis modeste en ma prosperité,
Vivez Amalazonthe ; & vous Prince rebelle,
Aussi fidelle Amant que Vassal infidelle,
Apprenez par l’effet que je vay faire voir,
Qu’il est advantageux d’estre sous mon pouvoir.
125 Qu’on détache ses fers.
VITIGES
Qu’on détache ses fers.Ah ! Seigneur mon offence
Les a trop meritez ; mais par cette clemence,
Vous voulez témoigner que vostre Majesté
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Sçait comme par le fer vaincre par sa bonté,
Ainsi vous triomphez doublement d’un rebelle,
130 Cette chaine qu’on m’oste en fait une nouvelle,
Qui s’offrant à mes sens avec moins de rigueur,
Semble passer icy de mes mains à mon coeur ;
Ouy Seigneur desormais je sçauray reconnoistre,
Estant mon Empereur, que vous estes mon maistre,
135 Que je dois relever d’un si juste pouvoir,
Et par vostre vertu j’apprendray mon devoir.
JUSTINIAN à Belisaire
Rare honneur de ma Cour, appuy de mon Empire
Que j’honnore, qu’on craint ; mais que chacun admire,
Belisaire en un mot, tes belles actions,
140 Qui me rendent vainqueur de tant de nations,
Me semblent demander l’illustre recompence,
Que mon affection prepare à ta vaillance,
Il est juste, & je veux ayant bien combatu,
Que ma reconnoissance égale ta
vertu*,
145 Approche, et de ma main prends ces
augustes* marques,
Dont l’êclat te releve au dessus des Monarques,
Avecque ce pouvoir tes ordres Souverains
Regiront dessous moy l’Empire des humains ;
Je veux que mes sujets respectent ta puissance,
150 Qu’à tes commandemens on preste obeyssance,
Et que tous les Guerriers qui combattent pour moy
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Dans leurs plus beaux desseins n’agissent que par toy.
THEODORE à part
Icare audacieux, cette orgueïlleuse pompe
Dont le funeste esclat me déplaist & te trompe,
155 Seront de faux ardens dont les traistres
appas* Attireront ta vie au chemin du trespas.
BELISAIRE
Quelques nobles effects qu’ait produit ma victoire,
Seigneur, je treuve assez de
salaire* en ma gloire,
Sans que vous adjoutiez à ce rare bon-heur
160 Ces tiltres absolus ny ce supreme honneur
Qui loing de m’obliger exposeront ma vie
Aux atteintes des
traits* que décochent l’envie :
Pour ces hautes faveurs prenez d’autres objets,
Permettez que je vive au rang de vos sujets,
165 Et par le seul honneur, de franc, & de fidelle
Les
effets* en ce point vous feront accorder
Que je sçais obeïr bien mieux que commander.
JUSTINIAN
Icy ma volonté s’accorde à ta demande,
170 Fay donc & l’un & l’autre, obeys & commande
Dans le premier effect sur les loix du devoir,
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Et dedans le second celles de ton pouvoir.
SOPHIE
Heureux commandement, puissant démon des armes,
Acheve, ayde à l’amour, & seconde ses charmes,
175 Conserve Belissaire au point où je le voy,
Et fay que quelque jour il soit digne de moy.
THEODORE, SOPHIE, NARSES
THEODORE
Hé bien chers confidens des secrets de mon ame,
Dans mes ressentimens merite-je du blasme ?
Et n’ay-je pas raison de hayr un ingrat,
180 Qui par son arrogance attente sur l’Estat ?
Vous voyez toutesfois que l’Empereur adore
Ce que si justement je deteste & j’abhorre,
Qu’il me rend le mespris de mes propres subjects
Qu’un insolent me brave & rit de mes projects,
185 Et quoy que je m’oppose au dessein qu’il conspire
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Qu’il ne luy faut qu’un pas pour monter à l’Empire.
O honte, ô desespoir ! quoy son ambition
Sera donc triomphante à ma confusion ?
Non, il faut qu’au besoin ma vertu se reveille,
190 Que j’arme contre luy ma fureur qui sommeille,
Et que du trosne
auguste* où l’ingrat veut monter,
Je luy fasse un ecueil pour le precipiter
Qu’il meure.
SOPHIE
Qu’il meure.Justes Dieux
THEODORE
Qu’il meure. Justes DieuxNarsés veux-tu me plaire ?
Depeche de ce pas, va tuer Belissaire,
195 A ce
coeur* insolent que ton bras soit fatal,
M’ostant un ennemy, deffaits-toy d’un rival,
Dont la haute faveur à tous deux importune,
Estouffe ma grandeur & nuit à ta fortune,
Employe à cet effet le fer ou le poison ;
200 N’importe & ne crains rien pour cette trahison,
Si tu rends par sa mort ma vangeance assouvie,
Je sçauray bien sauver ton honneur, & ta vie :
Va,
THEODORE
[p. 12]Va, Madame,Va, dis-je, & sans plus discourir,
Ou si tu ne le fais resous-toy de mourir.
205 Non, arreste, ma hayne a trop de violence
Pour ce coup important, il faut plus de prudence,
Ne precipitons rien, escoute : tu connois
Ce Guerrier redoutable entre tous les Danois.
Ce brave Isquirion qui jadis dans son ame
210 Conceut en ma faveur une si vive flame,
Je l’attens, & je croy qu’il arrive aujourd’huy,
Il est entreprenant, je peux beaucoup sur luy,
Et si quelque raison rend son ame incertaine,
Son amour le rendra partizan de ma hayne ;
215 C’est de luy que je veux un coup si glorieux,
Il prestera sa main, guide la de tes yeux,
Belissaire est l’object, vostre appuy, ma puissance ;
L’un aura ma faveur, l’autre mon alliance,
Et vous sçaurez tous deux aprés ce noble effet
220 Comme je sçais en fin m’acquiter d’un bien-fait.
NARSES bas
Il est vray, ce dessein le fait assez paroistre :
Mais je seray plutost ton ennemy que traistre.
THEODORE
[p. 13]Ma niepce, c’est icy que vous me ferez voir
Si le sang m’a sur vous donné quelque pouvoir.
225 Comme à moy desormais cette affaire vous touche,
Il est temps de m’ouvrir & le coeur & la bouche,
Afin de tesmoigner qu’ainsi qu’à mes secrets
Vous prenez quelque part en tous mes interests,
Vous devez occuper le rang de vos ancestres :
230 Mais si vous n’estouffez l’insolence des traistres,
La couronne est un droit qu’on viendra vous ravir,
Et bien loing de regner on vous verra servir.
Voulez-vous empescher ce coup qui vous menace,
Employez vos beautez, employez vostre grace,
235 Et par tous ces attraits acquerez vous de loing
Un bras dont la valeur vous defende au
besoing* ;
Le Prince que j’attens est vaillant & fidelle,
Jeune, noble, charmant, la conqueste en est belle,
Et puis l’occasion vous montre ses cheveux :
240 Mais si vous desirez de respondre à ses voeux,
Il faut qu’Isquirion pour illustre doüaire*,
Vous donne auparavant le sang de Belissaire ;
C’est par ce beau present qu’il vous doit meriter,
Et vostre ambition se doit bien contenter ;
245 Car par ce riche don que vous devez eslire,
Un
Hymen* si charmant vous asseure l’Empire.
SOPHIE
[p. 14]Quand le sang, & le soing que vous avez de moy
Ne m’obligeroient pas à ce que je vous doy,
Mon inclination seroit assez puissante
250 Pour rendre à vos desirs mon ame obeïssante :
Mais quoy qu’un bel espoir flatte vostre projet,
Voyez bien quelle teste en doit estre l’objet,
Quel que soit nostre mal le remede est bien pire,
Et son funeste effet nous coustera l’Empire.
255 Madame excusez moy si j’ay ce sentiment,
Je croyrois vous trahir de parler autrement,
Peut-estre pourrez vous les treuver raisonnables,
Si vous considerez qu’en cette occasion
260 Mon coeur est depouïllé de toute passion.
Vous craignez, dites vous, que ce grand Belissaire
Dont la haute valeur se rend si necessaire,
N’envahisse à la fin cet Estat florissant,
Où mon Oncle à vos yeux l’a rendu trop puissant ;
265 Et c’est pour cet effet que vous avez envie
De terminer le cours d’une si belle vie :
Bien, suivez vos desseins ; mais à mon jugement
Vous prenez pour le perdre un mauvais fondement :
Car qui croira jamais qu’un si noble courage
270 N’agissant que pour vous, puisse vous faire outrage ;
Puisqu’au lieu de ravir ce qui vous appartient
C’est luy qui vous defend, c’est luy qui vous maintient.
[p. 15]
THEODORE
Donc, à ce que je voy, vous prenez la defence
D’un suject orgueilleux dont l’audace m’offence ?
275 Et de ses faux
appas* l’esclat fallacieux
Comme à Justinian vous a sillé les yeux ?
Bien, bien, que vos vertus laschement estouffées
A cét audacieux soient d’illustres trophées,
Comme de l’Orient qu’il soit vostre vainqueur
280 Il ne regnera pas tant que j’auray ce coeur,
Quoy que le Prince & vous contre moy puissiez faire,
Je le rendray bien-tost peu capable me plaire,
Et le seul partizan de mon juste couroux
Sera dans peu de temps son maistre et vostre espoux.
SOPHIE
285 Si cet Isquirion dont vous vantez les charmes
Est comme je le crois si redoutable aux armes
Qu’il vienne en cette Cour ouverte à la vertu,
Montrer les qualitez dont il est revestu :
Qu’il vienne signaler sa force, & son adresse,
290 Repousser les efforts du Persan qui nous presse,
Abattre son orgueil, nous remettre en nos droits,
Et marcher noblement sur la teste des Roys,
Si ce Prince en un mot a dessein de me plaire,
Qu’il vienne faire icy ce qu’a fait Belissaire,
295 Et non pas demander par une lascheté
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Un party de mon rang & de ma qualité.
THEODORE
Vous y pourrez songer, Narsés approche, escoute,
Sophie est un esprit qu’il faut que je redoute,
Ne l’abandonne pas, observe ses desseins,
300 Tasche de luy donner des
mouvemens* plus sains :
Ne luy fasse éventer le complot que je trame,
Je t’en laisse le soing.
Elle sort.
NARSE’S
Je t’en laisse le soing.Reposez-vous sur moy.
SOPHIE, NARSES
SOPHIE
Hé bien, Narsés, enfin puis-je m’ouvrir à toy ?
305 je te croirois faire un trop sensible outrage
Si je me deffiois de ton noble courage,
Veu que de quelque espoir dont tu sois combatu,
[p. 17]
Je sçais qu’on ne sçauroit corrompre ta vertu.
Apprends donc aujourd’huy quelle est mon
adventure*,
310 Le sang combat l’amour, & l’amour la nature :
Mais comme tu peux voir en ce triste duel,
L’amour est innocent, & le sang criminel :
Ouy, Narsés, ce Danois qu’attend l’Imperatrice,
Et dont elle pretend te rendre le complice,
315 Soubs pretexte d’offrir un azile à mon sort,
Vient signer avec elle & ma perte, & ma mort :
Mais avant que je sois l’injuste recompence
De leur assassinat, & de leur violence,
J’arracheray mon coeur, & mon sang respandu
320 Coulera sur celuy qu’un Prince aura perdu.
NARSE’S
Il n’est pas necessaire, adorable Sophie,
Qu’icy mon innocence en vain se justifie,
Puisque vous avez leu clairement dans mes yeux,
Combien ces procedez me semblent odieux :
325 Aussi certes je tiens vos refus legitimes,
La vertu ne doit point s’acquerir par des crimes,
Et vous avez raison de fuyr un amant,
Que par un homicide on veut rendre charmant :
Peut-estre que l’amour qu’on croit en Belissaire
330 Le fait en cette Cour passer pour temeraire,
Mais tant de qualitez qui le font admirer
Luy doivent pour le moins permettre d’esperer.
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SOPHIE
Je suis ce sentiment que la vertu te donne,
J’aime ses qualitez bien plus que sa personne,
335 Et voyant que tu tiens de ses perfections
Tu partages des-ja mes inclinations :
C’est par ces beaux degrez que l’on monte à la gloire,
Qu’on gaigne sur les coeurs une illustre victoire,
Et qu’on peut parvenir à ce
superbe* rang,
340 Qui supplée aux deffaux & du corps & du sang :
Theodore pretend que je sois le
salaire*,
De qui luy portera le coeur de Belisaire,
Et moy pour m’opposer à ce lasche courroux,
De son liberateur je feray mon espoux.
NARSE’S
345 L’espoir de posseder un si grand advantage
Doit aux moins
genereux* inspirer du courage,
Et si par ce moyen l’on vous peut acquerir,
Il n’est point de mortel qui ne se vienne offrir,
350 D’imposer à vos voeux cette loy rigoureuse,
Quelque succez que j’aye en cette occasion
Vous suivrez librement vostre inclination,
Je seray glorieux si j’ay l’heur* de vous plaire,
Sinon vous donnerez vos voeux à Belisaire,
[p. 19]
355 M’estimant trop heureux si par un prompt secours
Je puis contribuer au bien de vos amours.
SOPHIE
Sauve, brave Narsés Belisaire & l’Empire,
Fay par un noble coup qu’il te doive le jour,
360 L’Empire, son salut, & mon coeur son amour,
Je me promets de toy cét agreable
office*.
NARSES
Madame asseurez-vous de mon humble service,
Et dans quelque danger qu’il me faille courir,
Vous m’y verrez bien-tost satisfaire, ou perir.
SOPHIE
365 Va Narsés, mais sur tout en ce pressant orage,
Que ta discretion assiste ton courage,
Et
souffre* si tu veux m’obliger tout à fait,
Que mesme Belisaire ignore ce bien fait.