SCÈNE PREMIÈRE. Lucrèce, Clarice.
LUCRÈCE.
Non, je ne puis plus vivre avec votre frère,
Son humeur me déplaît, je ne saurais m’en taire ;
Il me traite trop mal, depuis neuf ou dix mois
Que notre hymen m’engage à vivre sous ses lois.
5 Il croit, dès qu’on me voit que je dois être aimée,
Et me tient en ce lieu jour et nuit enfermée,
Où ne trouvant jamais personne à qui parler,
Avec vous seulement je puis me consoler.
CLARICE.
Je sais que je ne puis justifier mon frère,
10 Qu’un naturel jaloux a rendu trop sévère ;
Mais je crois être encore plus à plaindre que vous,
Vous êtes mariée, et je n’ai point d’époux :
Toutefois il me tient comme vous prisonnière ;
À peine, en ce Château, puis-je voir la lumière ;
15 J’en connais les raisons, et je m’aperçois bien,
Qu’il ne me traite ainsi, qu’afin d’avoir mon bien ;
Et qu’il veut que je sois sans cesse à la campagne,
Afin que vous ayez une triste compagne,
Qui puisse vous veiller, et répondre de vous.
20 Il satisfait ainsi son naturel jaloux ;
Et me tenant toujours avec vous enfermée,
Il empêche, par là, que je ne sois aimée ;
Car comme en ce logis aucun n’entre jamais,
Nul ne peut être épris de mes faibles attraits :
25 Cependant chaque jour la jeunesse se passe,
Et le temps, tous les jours, de nos beautés efface.
LUCRÈCE.
Je ne puis condamner l’excès de votre ennui,
Et je dois, par mes maux, juger de ceux d’autrui,
Car enfin je ressens dans ma peine secrète...
SCÈNE II. Lucrèce, Clarice, Lisette.
LISETTE.
30 Ah quel maudit logis !
CLARICE.
Ah quel maudit logis !Mais qu’as-tu donc, Lisette ?
LISETTE.
Ce que j’ai ! Croyez vous que je n’enrage pas,
De voir ici chacun si triste un Lundi gras ?
Depuis qu’en ce château je me vois enfermée,
Je sens que je n’ai plus ma joie accoutumée ;
35 Et je vous prie enfin, de vouloir m’accorder
Mon congé, que je viens exprès vous demander.
CLARICE.
Ta demande m’étonne, et n’est pas raisonnable.
LUCRÈCE.
Voudrais-tu me quitter dans l’ennui qui m’accable ?
LISETTE.
Vous vivez bien hélas ! Plus contente à Paris ;
40 Et ce n’était chez vous que festins, jeux, et ris,
Quand ce campagnard vint enjôler votre père,
Et quand il vous promit ce qu’il ne vous tient guère,
Pour vous faire en partant étouffer vos soupirs,
Il sut de la Campagne étaler les plaisirs :
45 Les nobles sont, chez eux, comme de petits princes,
Vous dit-il, et l’on est heureux dans les provinces ;
On y voit mille gens dont on est respecté ;
On goûte les plaisirs de la société ;
Sans divertissement, aucun jour ne se passe ;
50 On a la promenade, et la pêche et la chasse ;
On trouve, chaque jour, mille plaisirs nouveaux ;
On mange l’un chez l’autre, on se fait des cadeaux ;
Du soir, jusqu’au matin, on tient tables ouvertes ;
Qui d’excellent gibier sont sans cesse couvertes ;
55 On est, sans de grands frais, dans les jeux et les ris ;
Les modes aussitôt, y viennent de Paris ;
Les plaisirs qu’on y prend, sont charmants et tranquilles,
Ils ne se sentent point de l’embarras des villes ;
Et qui veut y jouer, y trouve des joueurs.
60 Vous avez bien ici tout cela ?
CLARICE.
Vous avez bien ici tout cela ?Comme ailleurs,
Nous aurions ces plaisirs, sans l’humeur de mon frère.
LISETTE.
Elle est trop ridicule ensemble, et trop sévère.
LISETTE.
Depuis son mariage, il est toujours pensif ;
À tout ce qu’on vous dit, à toute heure attentif ;
65 Il ouvre de grands yeux, et fait voir qu’en son âme
Il n’a jamais pensé qu’il fut d’honnête femme.
CLARICE.
Quoi qu’on souffre avec lui, je crois que tu diras,
Que tu n’as jamais mieux passé de Lundis gras.
Mon frère aura ce soir, à souper, dix personnes.
LISETTE.
70 Et oui, je le croirai.
CLARICE.
Et oui, je le croirai.Quoi donc, tu t’en étonnes ?
LUCRÈCE.
Vous le dites aussi, pour vous moquer de nous.
LISETTE.
Le souper n’est pourtant préparé que pour vous.
CLARICE.
Ils viendront toutefois.
LISETTE.
Ils viendront toutefois.S’ils n’ont que l’ordinaire,
Monsieur leur veut donc bien faire méchante chère.
CLARICE.
75 Pour vous tirer d’erreur, je veux vous avouer
Un tour, dont toutes deux vous devez me louer.
Le Sieur de Bois-le-Roux, qu’autrefois pour affaire
Vous avez vu souvent venir trouver mon frère,
Pour mes faibles appâts ayant pris de l’amour,
80 Par son mérite, a su m’en donner à son tour.
Ce Cavalier n’a rien qui sente la province,
Ayant été longtemps à la Cour de son Prince,
Le trépas de son père, assez inopiné,
Pour recueillir ses biens, ici l’a ramené :
85 Mais comme il a vidé d’affaire avec mon frère,
Pour nous revoir tous deux, ne sachant plus que faire,
Ayant trouvé Céphise au Temple l’autre jour,
Je ne pus en sortant lui taire mon amour.
Comme elle a de l’esprit, et qu’enfin elle m’aime,
90 Elle sut m’inspirer d’abord ce stratagème,
Qui fut que de la part de mon frère, aujourd’hui,
Je prierais nos voisins de souper avec lui,
Sans oublier celui qui cause ma tendresse.
Je l’ai fait, et dans peu vous verrez la noblesse
95 De dix châteaux voisins arriver en ce lieu.
J’ai fait encore plus ; car pour couvrir mon jeu,
Et faire qu’on n’en puisse éclaircir le mystère,
J’ai su faire éloigner, et même par mon frère,
Celui qui de sa part, les a conviés tous.
LISETTE.
100 Vous en savez, ma foi, Madame, plus que nous.
CLARICE.
Il n’en saurait coûter qu’un repas à mon frère.
LISETTE.
Vous avez bien, par là, fait une pire affaire.
Monsieur étant toujours si bourru, si jaloux,
Hélas ! Mon Dieu, Madame, où nous fourrerons-nous,
105 Quand ces gens-là viendront tantôt baiser sa femme,
Car la civilité veut qu’ils baisent Madame,
Alors qu’ils la verront pour la première fois,
S’en dut-il de dépit cent fois mordre les doigts.
Quand j’y songe pourtant, j’en suis déjà ravie,
110 Car jamais à baiser, un campagnard n’oublie ;
Contre la bienséance, il croirait trop pêcher ;
La plus hardi jaloux ne saurait l’empêcher ;
Et quoi que toujours fou, se croirait lors peu sage,
Blâmant ce qu’autorise un aussi long usage :
115 Mais quand ils baiseront tantôt, figurez-vous.
Ce que doit en son coeur ressentir le jaloux,
Qui verra, devant lui, qu’on baisera sa femme.
LISETTE.
Il vient.Je ris déjà par avance en mon âme.
SCÈNE III. Lucrèce, Clarice, Le Vicomte, Lisette.
LE VICOMTE, à Lucrèce.
Te verrai-je toujours avec cette langueur ?
120 Et ne puis-je savoir ce qui te tient au coeur ?
Là, tâche à rire un peu, bannis cette tristesse,
Et du moins, ces jours gras, montre quelque allégresse.
LUCRÈCE.
Les divertissements nous marquent les jours gras ;
Et n’en ayant jamais, je ne les connais pas.
CLARICE.
125 Mais, mon frère, il est vrai qu’elle est trop solitaire.
LE VICOMTE.
Mais, ma soeur, s’il est vous plaît, apprenez à vous taire.
LISETTE, à part.
Nous rirons bien tantôt, lorsque les campagnards,
Pour souper avec lui, viendront de toute parts.
LE VICOMTE, à Lucrèce.
Te verrai-je toujours tant de chagrin dans l’âme ?
130 Le plaisir d’un époux devant être en sa femme,
Et celui de la femme en son époux aussi,
J’ai cru ne devoir pas te laisser seule ici,
Quoiqu’on m’ait, pour ce soit, avec beaucoup d’instance,
Prié plus de dix fois d’un repas d’importance.
LUCRÈCE.
135 Mais, de ce grand repas, nous étions prié tous.
LISETTE.
J’étais priée aussi d’aller avec vous.
LE VICOMTE.
Comme pour toi mon coeur a beaucoup de tendresse,
Je veux avoir bien soin de toi dans ta grossesse.
LISETTE.
Quoi, ma maîtresse est grosse ? Il n’en est ma foi rien ;
140 Je crois, s’il était vrai, que je le saurais bien.
LUCRÈCE.
Non, je ne la suis pas.
CLARICE.
Non, je ne la suis pas.Elle dit vrai, mon frère.
LE VICOMTE.
Mais que sait-on enfin ?
LISETTE.
Mais que sait-on enfin ?On le sait d’ordinaire.
LE VICOMTE.
Nous rirons entre nous ; va, ma femme, crois-moi,
Le plaisir est bien doux, d’être en repos chez soi.
145 Le berger doit ce soir apporter sa musette,
Et pour te divertir, danser avec Lisette ;
Ne te chagrine point, tu te réjouiras,
Bien que nous soyons seuls le reste des jours gras.
LE VICOMTE.
Oui-dà.Nous goûterons un plaisir bien tranquille.
SCÈNE V. Le Vicomte, Lucrèce, Clarice, Lisette, Monsieur de Cornanville.
MONSIEUR DE CORANANVILLE, au Vicomte, apercevant Lucrèce.
Monsieur... Mais que d’appât ! Ô Dieu, la belle femme !
Ah, permettez, Monsieur, que j’embrasse Madame.
LE VICOMTE.
155 Il appuie un peu fort.
LISETTE.
Il appuie un peu fort.Je plains peu le jaloux.
LE VICOMTE, à part.
Il n’est que pour baiser, je crois, venu chez nous ;
À Monsieur de Cornanville.
Les femmes de Paris craignent d’être baisées,
Et pour cette venu sont dessus tout prisées.
MONSIEUR DE CORNANVILLE.
Pour la première fois, je sais ce que je dois,
160 Et vous auriez sujet de vous plaindre de moi.
MONSIEUR DE CORNANVILLE, se retournant, et baisant Clarice.
Point.Mais...
LE VICOMTE.
Point. Mais...Il s’accommode ici tout à son aise.
LISETTE, comme il va à elle pour la baiser.
Je ne suis pas, Monsieur, de celles que l’on baise.
MONSIEUR DE CORNANVILLE.
Ah Madame !
LISETTE.
Ah Madame !Ma foi je suis d’un rang plus bas :
Foin, il m’a fait baiser aussi ses cheveux gras.
LE VICOMTE, à part.
165 Puis que pour la servante il a de la tendresse,
Il s’accommoderait aussi de la maîtresse.
LUCRÈCE, à M. de Cornanville.
Vous êtes trop civil.
LE VICOMTE, à Lucrèce.
Vous êtes trop civil.Vous voulez tout pour vous.
LISETTE.
Ah, quel plaisir de voir rechigner un jaloux !
MONSIEUR DE CORNANVILLE.
J’ai quitté mes amis, pour venir voir Madame.
LE VICOMTE.
170 Hé Monsieur.
LUCRÈCE, à Monsieur de Cornanville.
Hé Monsieur.Tout de bon.
LE VICOMTE, le regardant en colère.
Hé Monsieur. Tout de bon.Ah !
MONSIEUR DE CORNANVILLE.
Hé Monsieur. Tout de bon. Ah !Oui, dessus mon âme.
Je pense que de loin, je viens de voir aussi
Monsieur de Bois-Doüillet qui tire droit ici.
LE VICOMTE.
Comment, ici ?
MONSIEUR DE CORNANVILLE.
Comment, ici ?Du moins il en tenait la route.
LE VICOMTE, regardant sa soeur.
Ah j’enrage...
MONSIEUR DE CORNANVILLE, à part.
Ah j’enrage...Je suis prié tout seul, sans doute.
175 Je crois que vous passez votre temps sans ennuis,
Car on se divertit fort bien en ce pays :
Il le faut avouer, on goûte ici la vie
D’une manière douce, et qui doit faire envie.
S’il arrive qu’on soit d’un ami visité,
180 Quand par hasard on est de quelque autre côté,
Le femme le reçoit, comme le mari même.
LE VICOMTE.
Ce serait, pour ma femme, une fatigue extrême ;
Elle hait l’embarras.
LUCRÈCE.
Elle hait l’embarras.Hé mon Dieu, je ferais,
En cette occasion, tout ce que je pourrais.
LE VICOMTE.
185 Tant pis pour moi.
LISETTE.
Tant pis pour moi.Madame est fort accommodante.
LE VICOMTE.
Plus que je ne voudrais.
MONSIEUR DE CORNANVILLE.
Plus que je ne voudrais.Mais au Trente et Quarante
Si vous saviez jouer, je viendrais quelquefois....
LE VICOMTE.
Le jeu ne lui plaît plus, depuis huit, ou neuf mois.
CLARICE.
Elle ne peut jouer, étant sans compagnie.
LE VICOMTE.
190 Je sais ce que je dis, taisez-vous je vous prie.
N’auriez-vous pas besoin de manger ?
MONSIEUR DE CORNANVILLE.
N’auriez-vous pas besoin de manger ?C’est bien dit,
Car le chemin m’a fait gagner de l’appétit.
LE VICOMTE.
Allez donc, je vous suis.
MONSIEUR DE CORNANVILLE, à Lucrèce.
Allez donc, je vous suis.N’en soyez pas surprise,
Madame, la campagne est un lieu de franchise, :
195 Et chez ses bons amis on vit comme chez soi.
LUCRÈCE.
Que ne le suivez-vous ?
LE VICOMTE.
Que ne le suivez-vous ?Pourquoi vient-il chez moi,
Sachant bien qu’à présent je ne vois plus personne ?
Un procédé si libre, et me fâche, et m’étonne.
SCÈNE VI. Monsieur de Bois-Douillet, et son fils, Lucrèce, Clarice, Le Vicomte, Lisette.
BOIS-DOUILLET.
Je suis, sans dire mot, entré jusqu’ici.
200 Vous voyez avec moi, Monsieur, mon fils aussi.
LE VICOMTE, courant l’embrasser de peur qu’il n’aille à sa femme.
Ah Monsieur !
BOIS-DOUILLET.
Ah Monsieur !C’est assez, permettez-moi de grâce...
LE VICOMTE.
Ah souffrez, s’il vous plaît, qu’encore je vous embrasse.
LISETTE.
Ils sont fort bons.
CLARICE.
Ils sont fort bons.Mon frère est bien inquiété.
BOIS-DOUILLET, au Vicomte.
Vous me faites commettre une incivilité ;
205 Je sais bien que je dois saluer votre femme,
Il court à elle. Il la baise.
C’est la première fois que je la vois. Madame,
Je suis ravi du bien qu’aujourd’hui je reçois.
LE VICOMTE, à part.
S’il en est satisfait, je ne le suis pas, moi.
LUCRÈCE, à Monsieur de Bois-Douillet.
C’est moi qui le reçois.
BOIS-DOUILLET, faisant signe à son fils.
C’est moi qui le reçois.Ste. Approchez, vous dis-je,
210 Et saluez Madame. Approchez donc.
BOIS-DOUILLET.
Où suis-je !Là, saluez-la donc, faites-lui compliment.
CLARICE, voyant l’action du fils.
Est-il un plus grand sot !
LISETTE.
Est-il un plus grand sot !Quel divertissement !
LE FILS, faisant des révérences à Lucrèce.
Madame.
BOIS-DOUILLET? le poussant par derrière.
Madame.Il est honteux ; là, baisez donc Madame ;
C’est toujours en baisant, qu’on salue une femme.
LE VICOMTE.
215 Quand il n’en ferait rien, ce n’est pas m’offenser.
BOIS-DOUILLET.
Vos charmes l’ont surpris, je vais recommencer,
Afin de lui montrer, par là, comme il faut faire.
LE VICOMTE.
Oh !Arrêtez, Monsieur, il n’est pas nécessaire.
CLARICE.
On le doit excuser, car toujours les enfants
220 Sont honteux, quand ils sont avec leurs parents.
LE VICOMTE.
Il fait bien ce qu’il fait, apprenez à vous taire.
BOIS-DOUILLET.
Le fils, à ce qu’on dit, ne vaudra pas son père.
LUCRÈCE.
Vous étiez bien galant, je crois, en votre temps.
BOIS-DOUILLET.
Ah galant ! Tête-bleu, je l’étais dès dix ans.
LE VICOMTE.
225 Je crois que vous ferez, Messieurs, méchante chère.
BOIS-DOUILLET.
Alors qu’on voit, Madame, on ne la saurait faire.
SCÈNE VII. Bois-Douillet, Le Vicomte, Lucrèce, Clarice, Lisette, Colas.
COLAS.
Monsieur il faut percer du vin pour ce Monsieur.
LE VICOMTE.
Hé bien, que l’on en perce, et même du meilleur.
LE VICOMTE.
Mais....Quoi mais ?...
COLAS.
Mais.... Quoi mais ?...Il faudrait que vous vinssiez vous-même.
LE VICOMTE, à part.
230 Quitterai-je ma femme ? Ah ma peine est extrême.
[À Colas.]
Va-t-en.
LE VICOMTE.
Va-t-en. Mais...Va, te dis-je, et ne raisonnes pas.
BOIS-DOUILLET.
Je m’en vais le percer, va, mon pauvre Colas.
J’entends mieux ce métier qu’aucun qui soit en France ;
Et si vous le voulez voir par expérience,
235 Je vais en un moment percer tout votre vin.
BOIS-DOUILLET.
C’est trop.Il vous en faut, car il est très certain
Que les chemins sont pleins de beaucoup de noblesse,
Qui vient souper céans avec grande allégresse.
LE VICOMTE.
Comment, souper céans ? Diable ! Que dites-vous ?
LISETTE, à part.
240 Nous allons comme il faut voir pester le jaloux.
BOIS-DOUILLET, à son fils.
Nous étions priés seuls, et sa peine le montre.
LE VICOMTE, à part.
Qui Diable fait qu’ici tout ce train se rencontre ?
BOIS-DOUILLET.
Je m’en vais vous percer du vin pour ces Messieurs.
À son fils.
Quoi tu me suis, grand sot, ici tout comme ailleurs :
245 Apprends qu’un garçon doit rester avec les femmes,
Et pour se façonner, entretenir les dames.
Tu n’es point de mon sang, et je vois entre nous
Trop...
LE VICOMTE.
Trop...Monsieur, il fait bien d’aller avec vous :
Oui, mon Fils, c’est bien fait, de suivre votre père.
LISETTE.
250 Suivez votre papa.
SCÈNE VIII. Le Vicomte, Lucrèce, Clarice, Lisette.
LE VICOMTE.
Suivez votre papa.Ceci ne me plaît guère :
Comment, un régiment de gens dans ma maison ?
CLARICE.
Si vous ne tenez point votre femme en prison,
Vous n’auriez pas chez vous aujourd’hui cette fête ;
Le bruit court qu’on vous veut donner martel en tête ;
255 Et ces Messieurs pourraient, vous croyant fort jaloux,
S’être donné le mot, pour fondre ainsi chez vous.
Mon frère, pardonnez au zèle qui m’emporte,
Votre intérêt m’oblige à parler de la sorte.
LE VICOMTE.
Ah j’empêcherai bien qu’aucun d’eux n’entre ici.
CLARICE.
260 Vous pourrez tout gâter, en agissant ainsi ;
Et vous devez, bien loin de paraître en colère,
Pour les faire enrager, faire tout le contraire.
Ne leur demandez point qui les a priés tous,
Mais paraissez content de les avoir chez vous ;
265 Ils seront bien surpris, et tout couvert de honte,
Ils en seront sans doute une retraite prompte ;
Car leur dessein ne va qu’à vous faire dépit,
Et qu’à voir s’il est vrai, ce que de vous on dit.
LE VICOMTE.
Vous en savez beaucoup.
LISETTE.
Vous en savez beaucoup.Ma foi sa politique,
270 Monsieur...
LUCRÈCE.
Monsieur...Moi, je suivrais ses conseils sans réplique.
LE VICOMTE.
Hé bien soit ; mais s’il vient quelqu’un pour vous baiser,
Daignez adroitement du moins le refuser.
Je vous dirai pourtant d’être alors plus civile ;
Mais loin de m’obéir, soyez plus difficile ;
275 Et si vous ne pouvez enfin tenir contre eux,
Tendez leur seulement l’oreille, ou les cheveux ;
L’ardeur des campagnards à baiser sans pareille,
Se contente souvent d’avoir touché l’oreille.
SCÈNE X. Lucrèce, Le Vicomte, Clarice, Lisette, Monsieur de Chante-Pie et de Cochon-Vilain.
LE VICOMTE, les allant embrasser tous deux à la fois.
Ah, Messieurs, aujourd’hui je veux vous protester,
Que pour vous...
CHANTE-PIE.
Que pour vous...Quoi, tous deux nous embrasser ensemble ?
COCHON-VILAIN.
290 Quoi, Madame nous fuit ?
LISETTE.
Quoi, Madame nous fuit ?Il en tient.
LE VICOMTE, à part.
Quoi, Madame nous fuit ? Il en tient.Ah je tremble.
CHANTE-PIE.
Quand nous sommes venus, nous espérions jouir
Du bonheur de la voir.
LUCRÈCE.
Du bonheur de la voir.Je ne saurais plus fuir.
COCHON-VILAIN.
Mais laissez-nous aller saluer votre femme.
LE VICOMTE, les serrant.
Je vous aime tous deux, et de toute mon âme.
CHANTE-PIE.
295 En entrant dans ces lieux, je sais ce que je dois.
LE VICOMTE.
Pour elle, j’aime mieux vous embrasser dix fois.
CHANTE-PIE, s’échappant.
Monsieur....
CLARICE, à part.
Monsieur....Selon mes voeux, la chose enfin se passe.
CHANTE-PIE, à Lucrèce qui se défend sans parler.
Pour la première fois, permettez-moi de grâce...
COCHON-VILAIN, embrassant à son tour le Vicomte, et l’arrêtant quand il veut voir si l’autre baise la femme.
En vous embrassant seul, je veux vous faire voir....
LE VICOMTE.
300 Ce que je vois suffit pour me faire savoir....
COCHON-VILAIN.
Tout le monde sait bien que je suis fort sincère.
LE VICOMTE.
Oui.
À part.
Oui.Mais je ne vois pas ce qu’on fait là-derrière ;
À Cochon-Vilain qui l’embrasse toujours.
C’est assez.
COCHON-VILAIN, allant à Lucrèce.
C’est assez.Je vous laisse, et sais bien que je dois...
LE VICOMTE.
Embrassez-moi plutôt encore une, ou deux fois.
305 Là, bon.
Voyant sa femme se défendre d’être baisée des deux.
CHANTE-PIE, à Lucrèce.
Là, bon.Votre rigueur est pour nous sans pareille.
Cochon-Vilain la baise comme elle veut éviter Chante-Pie.
COCHON-VILAIN, la baisant.
Ah !
LISETTE, à part.
Ah !Celui-là, ma foi, n’a pas baisé l’oreille.
LE VICOMTE.
Messieurs, l’un après l’autre, au moins allez plus doux.
Dois-je fermer les yeux, ou me mettre en courroux ?
Mais vous n’avez tous deux salué que ma femme ;
310 Ma soeur en doit avoir quelque dépit dans l’âme.
CHANTE-PIE.
Moi ?Nous n’osions baiser une fille chez vous,
Après vous avoir vu presque entrer en courroux,
De voir baiser, Madame, avec bienséance ;
Car nous craignons tous deux de vous faire une offense,
315 Si la première fois que...
Il regarde Lucrèce avec des yeux doux, et lui fais une révérence comme pour l’approcher.
LE VICOMTE.
Si la première fois que...C’est assez, Monsieur,
Je vous l’eusse à tous deux pardonné de bon coeur.
COCHON-VILAIN, à Clarice.
Puisqu’enfin nous pouvons vous saluer sans crainte,
Il ne faut vous laisser aucun sujet de plainte.
Il va la baiser, et cependant le Vicomte prend la place qu’il avait près de Lucrèce.
CLARICE, à part.
Ah qu’il sent le fumier !
CHANTE-PIE, allant la baiser à son tour.
Il va la baiser, et cependant Cochon-Vilain prend sa place, la sienne étant prise par le Vicomte.
Ah qu’il sent le fumier !Puisqu’il nous est permis....
CLARICE, se laissant baiser.
320 Hé quoi, doit-on baiser toujours tous ses amis ?
LISETTE.
Le beau jeu ! Je plaignais ma vie infortunée ;
Mais je ris aujourd’hui, pour toute mon année.
SCÈNE XI. Le Vicomte, Lucrèce, Clarice, Cochon-Vilain, Chante-Pie, Lisette, Nicodème.
LE VICOMTE.
Monsieur.Que me veux-tu ?
NICODÈME.
Monsieur. Que me veux-tu ?Hais venez, s’il vous plaît.
LE VICOMTE.
Est-ce encore quelqu’un ?
NICODÈME.
Est-ce encore quelqu’un ?Non.
LE VICOMTE.
Est-ce encore quelqu’un ? Non.Dis donc ce que c’est.
LUCRÈCE, au Vicomte.
Mais venez.Allez voir ce que ce pourrait être.
LE VICOMTE.
Vous montrant mes talons, je vous plairais peut-être.
Mais, parle.
NICODÈME.
Mais, parle.Que faut-il que je parle Monsieur ?
LE VICOMTE.
N’as-tu point retenu ce qu’on t’a dit par coeur ?
NICODÈME.
Dame, on dit qu’ous veniez.
LE VICOMTE.
Dame, on dit qu’ous veniez.Ah ma peine extrême !
LISETTE.
330 Explique-toi donc mieux, mon pauvre Nicodème.
NICODÈME.
Colin-Poivret, qui fait la Cuisine là-bas,
Dit qu’il laissera tout là, si vous ne venez pas.
Venez donc lui prêter la main.
LE VICOMTE.
Venez donc lui prêter la main.Hé quoi donc, Traître...
CHANTE-PIE, court mettre le hola, et prend la place du Vicomte près de Lucrèce.
Hé Monsieur.
LE VICOMTE.
Hé Monsieur.Quoi, parler de la sorte à son maître ?
Comme il trouve en se retournant Chante-Pie en sa place, ils se regardent tous deux sans se rien dire.
CHANTE-PIE, regardant Lucrèce.
335 Je crois qu’on ne voit rien de plus beau dans la Cour.
COCHON-VILAIN, la regardant aussi.
Qu’un si charmant objet peut inspirer d’amour !
CHANTE-PIE, au Vicomte.
Que vous-avez, Monsieur, une adorable femme !
COCHON-VILAIN.
Rien ne peut échapper aux attraits de Madame.
CHANTE-PIE.
On sait que sur les coeurs ils sont les tout-puissants.
COCHON-VILAIN.
340 Qu’elle a les cheveux beaux !
CHANTE-PIE.
Qu’elle a les cheveux beaux !Qu’elle a les yeux perçant !
COCHON-VILAIN.
Le beau front !
CHANTE-PIE.
Le beau front !Le beau teint !
COCHON-PIE.
Le beau front ! Le beau teint !Le beau nez !
CHANTE-PIE.
Le beau front ! Le beau teint ! Le beau nez !Que sa bouche
Fait voir, quand elle rit, une douceur qui touche !
COCHON-VILAIN.
On ne peut admirer assez ses belles dents.
CHANTE-PIE.
On a bien du plaisir lorsqu’elle mord les gens.
COCHON-VILAIN.
345 Les belles lèvres ! Ah !
CHANTE-PIE.
Les belles lèvres ! Ah !Dirait-on pas de roses,
Du plus bel incarnat, et fraîchement écloses ?
COCHON-VILAIN.
Je ne puis me lasser d’admirer ce beau cou.
CLARICE, à Lisette.
Ils me poussent à bout.
LISETTE, à Clarice.
Ils me poussent à bout.Cela le rendra fou.
CHANTE-PIE.
On ne saurait trouver une plus belle oreille.
COCHON-VILAIN.
350 Elle est belle, bien faite, et petite, et vermeille.
CHANTE-PIE.
La belle gorge, ô Ciel !
COCHON-VILAIN.
La belle gorge, ô Ciel !Les admirables mains !
CHANTE-PIE.
Sa taille seule peut charmer tous les humains.
COCHON-VILAIN.
Les beaux pieds ! Tête-bleu.
CHANTE-PIE.
Les beaux pieds ! Tête-bleu.Le reste, que je pense..
LISETTE, à part.
Il fait bien, là-dessus, de garder le silence.
COCHON-VILAIN.
355 Chacun doit demeurer d’accord qu’elle a bon air.
LE VICOMTE, à part.
Jusqu’ici je me suis empêché de parler,
De peur d’en dire trop.
CHANTE-PIE.
De peur d’en dire trop.Il faut mener Madame,
Voir la belle maison du Baron de Vigame.
COCHON-VILAIN.
Mais...Il la faut mener encore voir dix châteaux,
360 Qui ne lui cèdent pas, et qu’on croit aussi beaux.
CHANTE-PIE.
Si...Je la veux mener chez Monsieur de Chant-Oye.
COCHON-VILAIN.
Quoi...Nous irons aussi chez Monsieur de Cour-Joye ?
CHANTE-PIE.
Ah !Messieurs de Lampont, et de Crocan-Villiers,
Sur notre seul récit, viendront tous des premiers.
COCHON-VILAIN.
Ils...De tout le pays elle doit être aimée.
CHANTE-PIE.
Je ne...Notre jeunesse en sera bien charmée.
COCHON-VILAIN.
Croyez...Tout le pays fondra bientôt chez vous,
Apprenant que Madame a des charmes si doux.
Ici ils parlent bas à Lucrèce et Clarice, et Lisette les regarde avec étonnement.
LE VICOMTE.
Je ne parlerai plus, que chacun ne se taise ;
370 Je leur pourrai parler alors plus à mon aise ;
Jusque dans le gosier ils me coupent les mots,
Et leur langue maudite, est sans aucun repos.
CLARICE.
Ils ont, sans l’épargner, poussé sa jalousie.
COCHON-VILAIN, s’éloignant un peu.
Un mot ou deux, Monsieur. Il faut que je vous dise...
375 Mais je crois que je dois passer de ce côté,
Car avec raison je crains d’être écouté.
COCHON-VILAIN, à Lucrèce.
Allons dans le Jardin, car ils ont, que je pense.
À se parler tous deux, d’affaires d’importance.
LUCRÈCE.
Allons. Mais suis-moi donc, et demeure avec nous.
CLARICE, à part.
380 Qui peut faire tarder Monsieur de Bois-le-Roux ?
SCÈNE XVI. Le Vicomte, Lucrèce, Clarice, Bois-Le-Roux.
LE VICOMTE.
Le voici.De leurs mains j’ai su tirer ma femme :
410 Mais Dieu, que celui-ci met de trouble en mon âme !
C’est un galant blondin, un poupin, un poudré
Qui connaissant la Cour, doit être bien madré.
Il le salue et se retourne vers sa femme, pour lui faire signe de se souvenir de l’oreille.
BOIS-LE-ROUX.
Quoi, Monsieur, c’est donc là Madame votre femme ?
Il ne répond que de la tête, et se met quasi au devant d’elle, de peur qu’il ne la baise.
Mais quoi, tout de bon ?
LE VICOMTE.
Mais quoi, tout de bon ?Hay.
BOIS-LE-ROUX.
Mais quoi, tout de bon ? Hay.Je suis ravi, Madame,
Que Monsieur le Vicomte ait si bien mis son coeur ;
Serrant la main au Vicomte.
420 Il sait bien que je suis toujours son serviteur,
Et ne doit point douter que mon coeur ne partage
Le plaisir qu’il ressent d’un si grand avantage.
LE VICOMTE, à part.
L’honnête femme ! On ne peut jamais trop le priser,
Voir une belle femme, et ne la point baiser !
425 Je ne m’en puis tenir, il faut que je l’embrasse.
Vous me ferez, Monsieur, une sensible grâce,
L’embrassant.
De croire que....
SCÈNE XX. Le Vicomte, Lucrèce, Lisette.
LE VICOMTE, entre tout à coup dans un grand chagrin, et dit après.
J’étais presque dupé.
LUCRÈCE.
J’étais presque dupé.Qui vous met en colère ?
LE VICOMTE.
455 J’allais donner dedans.
LUCRÈCE.
J’allais donner dedans.Mais, Monsieur, qu’avez-vous ?
LE VICOMTE.
J’avais l’esprit bouché.
LUCRÈCE.
J’avais l’esprit bouché.D’où vient donc ce courroux ?
LUCRÈCE, à Lisette.
C’est assez.De ma soeur, il a connu la flamme.
LUCRÈCE.
Nous verrons.Ils n’ont point mérité tant de blâme.
LUCRÈCE.
Tête-bleu !Vous devez excuser votre soeur.
LE VICOMTE.
460 Il l’entend.
LUCRÈCE.
Il l’entend.Vous aviez aussi trop de rigueur.
LE VICOMTE.
À dessein, moi présent, il vous a méprisée,
Et d’abord en entrant ne vous a point baisée !
Cependant il devait vous baiser, que je crois,
Venant vous voir chez vous pour la première fois :
465 Mais de ce fin galant, c’est sans doute une adresse,
Pour ne pas faire voir devant moi sa tendresse.
LUCRÈCE.
Qu’on me baise, Monsieur, on ne me baise pas,
On vous cause toujours un pareil embarras :
Mais avec un jaloux on ne sait comment faire ;
470 Et même ce qu’il veut ne le peut satisfaire.
LE VICOMTE.
Je crois n’avoir pas tort de vous parler ainsi ;
C’est un amant poudré, doucereux, et transi,
Et les femmes, morbleu, dans le siècle où nous sommes,
Aiment ces blondins-là, qui... qui ne sont pas hommes.
475 Comme il n’en veut qu’à vous, je crois que de bon coeur,
Il enrage à présent de n’avoir que ma soeur.
LISETTE.
C’est justement cela.
LE VICOMTE.
C’est justement cela.Je crois bien qu’en ton âme,
Quoi qu’il brûle pour toi, tu condamnes sa flamme ;
Et comme je connais qu’ils te déplaisent tous,
480 Il te faut éviter de souper avec nous ;
Et tu dois, pour cela, pendant la promenade,
Revenir tout d’un coup, feignant d’être malade,
Et t’aller mettre au lit tout aussitôt.
LISETTE.
Et t’aller mettre au lit tout aussitôt.Hélas !
S’aller coucher de jour, un propre Lundi gras !
LE VICOMTE.
485 J’entends que tu viendras lui tenir compagnie.
LUCRÈCE.
Je demeure immobile, et votre jalousie
Me paraît aujourd’hui ridicule à tel point...
LE VICOMTE.
Tu prends tout de travers, car je n’en ressens point.
Hé bien, Mignonne, enfin n’es-tu pas résolue ?...
LUCRÈCE.
490 Vous vous moquez de moi.
LE VICOMTE.
Vous vous moquez de moi.De puissance absolue,
Je le veux.
LUCRÈCE.
Je le veux.Mais...
LE VICOMTE.
Je le veux. Mais...Mais, quoi ? Je suis le maître enfin.
LUCRÈCE, à part.
Maître des fous fieffés.
LE VICOMTE.
Maître des fous fieffés.Vous avez du chagrin ;
Quelqu’autre campagnard pourrait encore vous plaire ;
Vous ne leur montrez pas un visage sévère,
495 Vous en aimez ici de rougeauds, et de frais,
Qui paraissent émus, en voyant vos attraits.
LUCRÈCE.
Il est vrai qu’en mon coeur tant de belles figures
Ont fait, tout à la fois, de profondes blessures.
Qui pourrait s’en défendre ? Ils sont si ragoûtants,
500 Qu’on ne saurait contre eux résister bien longtemps.
Comme leur bonne mine est rare et sans pareille...
LE VICOMTE.
Vous n’avez pas à tous fait baiser votre oreille ;
Mais je veux que l’on fasse, enfin, ce que j’ai dit.
LUCRÈCE.
Je vais me retirer, mais sans me mettre au lit,
505 Et me venger, par là, de votre jalousie
Qui fournira de quoi faire une comédie.
Lisette, allons, suis-moi.
LISETTE.
Lisette, allons, suis-moi.Quoi, c’est donc tout de bon ?
LE VICOMTE, seul.
Se rira qui voudra de ma précaution.
SCÈNE XXII. Le Vicomte, Lisette.
LE VICOMTE, sans la voir.
Ah dans un tel malheur, que résoudre, et que faire !
LISETTE, au bout du théâtre.
Je connais à ses yeux qu’il est bien en colère,
515 Il a son humeur noire, et ses chagrins jaloux,
Et tantôt, comme il faut, pestera contre tous.
LE VICOMTE.
Je suis au désespoir, la fureur me transporte.
LISETTE.
Tout tremble devant lui, quand il est de la sorte.
LE VICOMTE.
Je ne sais qui me tient....
LISETTE.
Je ne sais qui me tient....Voyez-vous le jaloux,
520 Est-il pas bien aimable ? Hé bien, mariez-vous.
LISETTE.
Morbleu !Tous les jaloux s’empêcheraient de l’être.
Si dans cette humeur noire ils se pouvaient connaître.
LE VICOMTE, faisant quelques pas.
Ciel !
LISETTE.
Ciel !La chanson dit vrai, Que le plaisir est doux
De faire un cocu d’un jaloux.
Haut.
525 Ah.
Le Vicomte ayant été deçà delà, se retourne brusquement et se trouve contre Lisette, qui s’enfuit de l’autre côté comme toute éperdue.
Ah.J’ai parlé trop haut, je suis morte.
LE VICOMTE, regardant de temps en temps Lisette, et songeant toutefois encore à sa femme.
Ah. J’ai parlé trop haut, je suis morte.Traîtresse !
J’ai toujours craint cela de ta fausse sagesse.
LISETTE, croyant qu’il l’avait entendue, et voulant s’excuser.
Ce n’est qu’une chanson...
LE VICOMTE.
Ce n’est qu’une chanson...Une Chanson ? Tais-toi,
Je sais les sentiments qu’ici l’on a de moi,
Carogne.
LISETTE, voyant le Vicomte s’arracher les cheveux.
Carogne.Mais Monsieur... Arrachez, bon, courage :
530 S’il en pouvait crever, ce serait grand dommage.
Qu’il se fait les yeux doux ! Le bel objet à voir !
Pour se considérer, que n’a-t-il un miroir ?
LE VICOMTE, encore tout transporté.
Les filles de Paris sont pour moi trop rusées.
LISETTE.
Vous vous blessez.
LE VICOMTE, à Lisette.
Vous vous blessez.J’ai su démêler vos fusées ;
535 Avec ma femme, enfin, je sais que tu t’entends ;
Tu me le paieras sans attendre longtemps.
Dis, qui sont ses galants ?
LISETTE.
Dis, qui sont ses galants ?C’est votre jalousie
Qui vous a mis cela dedans la fantaisie :
Et je crois, par ma foi, qu’il en serait parlé,
540 Si parmi votre honneur le sien n’était mêlé ;
Car vous l’y contraignez, puisqu’il faut vous le dire.
LE VICOMTE.
À quoi ? Dis, dis.
LISETTE.
À quoi ? Dis, dis.Jaloux de l’air qu’elle respire,
Lorsque vous la tenez serrée entre vos bras,
La voyant, la touchant, vous ne l’y croyez pas :
545 Vous paraissez jaloux de la province entière,
Et ne pouvez souffrir que le soleil l’éclaire :
Depuis neuf mois qu’à peine elle ose voir le jour,
A-t-elle seulement vu votre basse-cour ?
Lui jetant une clef.
Tenez, je ne veux plus lui servir de geôlière,
550 Vous la pouvez tenir vous-même prisonnière,
Ou chercher qui voudra s’en donner le souci ;
Car pour moi, dès demain, je veux sortir d’ici.
SCÈNE XXIV. Clarice, Vicomte, Chante-Pie, Cochon-Vilain, Bois-Le-Roux.
CHANTE-PIE.
Sans Madame, ma foi, c’est trop se promener.
LE VICOMTE.
565 Je vais vous l’envoyer quérir. Holà, Lisette.
LISETTE, rentrant sur le théâtre.
Allez-vous me payer ? Est-ce une affaire faite ?
LE VICOMTE.
Oui, tu dénicheras, n’en doute nullement :
Mais fais venir ici ma femme promptement.
LE VICOMTE.
Je ne puis.Tu ne peux ?
LISETTE.
Je ne puis. Tu ne peux ?Non.
LE VICOMTE.
Je ne puis. Tu ne peux ? Non.Non ? Crains ma colère.
LE VICOMTE.
Moi ?Toi. Ne veux-tu point m’obéir, et te taire ?
CLARICE.
Madame est enfermée, et la clef est sur vous.
LE VICOMTE.
À l’entendre, on croirait que je serais jaloux ;
Par mégarde, la clef était sur moi restée.
CLARICE.
Sans la croire sur vous, vous l’aviez emportée.
LE VICOMTE.
575 Vous en étiez fâchez, vous autres, que je crois.
BOIS-LE-ROUX.
Nous ! Pourquoi ?
COCHON-VILAIN.
Nous ! Pourquoi ?Pourquoi donc ?
LE VICOMTE.
Nous ! Pourquoi ? Pourquoi donc ?Ah, trêve de pourquoi ;
Je suis dupe, il est vrai, mais c’est en apparence.
CHANTE-PIE.
Croyez-vous...
LE VICOMTE.
Croyez-vous...Que chacun parle à sa conscience.
Vous veniez pour... Mais non, je ne veux dire rien ;
580 Je sais ce que je sais, et je le sais fort bien.
COCHON-VILAIN.
Nous avez-vous priés pour nous faire querelle ?
LE VICOMTE.
Moi, je vous ai priés !
CHANTE-PIE.
Moi, je vous ai priés !Vous.
COCHON-VILAIN.
Moi, je vous ai priés ! Vous.Oui, vous.
LE VICOMTE.
Moi, je vous ai priés ! Vous. Oui, vous.Bagatelle ;
On ne me berce point avec ces contes-là.
CLARICE.
Je tremble... Son chagrin lui fait dire cela,
585 Et l’on sait...
LE VICOMTE.
Et l’on sait...Non, morbleu, je n’ai prié personne.
CLARICE, à part.
Il va tout découvrir.
CHANTE-PIE.
Il va tout découvrir.Ce procédé m’étonne.
COCHON-VILAIN.
De votre part, pourtant, Maître Blaise Clampin,
Est venu me prier dès hier au matin.
BOIS-LE-ROUX.
Il m’est aussi venu prier avec instance.
CHANTE-PIE.
590 Il m’est venu quérir avec diligence.
LE VICOMTE.
Vous rêviez, que je crois, car ce Blaise Clampin,
Est allé, par mon ordre, à Paris hier matin,
Et ne peut vous avoir conviés. Mais ma femme
Vient enfin dissiper le trouble de votre âme ;
595 Vous la faire venir, n’est point être jaloux.
SCÈNE XXV. Lucrèce, Le Vicomte, Bois-Le-Roux, Cochon-Vilain, Chante-Pie, Clarice, Lisette.
LE VICOMTE, les regardant tous.
Hé bien, Messieurs, hay ? Quoi ? Parlez, qu’en dites-vous ?
À Lucrèce.
Vous, de votre côté, faites leur bon visage.
CLARICE.
Pour moi, je ne puis rien comprendre à ce langage.
LE VICOMTE.
Hé la-donc ? Vous, Messieurs, faites-lui compliment.
COCHON-VILAIN.
600 Il est fou, sur mon âme.
CHANTE-PIE.
Il est fou, sur mon âme.Il l’est assurément.
COCHON-VILAIN.
Je ne puis rien comprendre à tout ce badinage.
LE VICOMTE.
Vous me faisiez jouer un fort sot personnage,
Et j’allais être dupe enfin ; mais Dieu merci...
Mais Monsieur, s’il vous plaît, vous serez mieux ici.
Il ôte Bois-le-Roux d’auprès de sa femme, pour le mettre auprès de sa soeur.
605 Ah quelque sot pourrait, en sa présence même,
Laisser ce beau blondin auprès de ce qu’il aime.
BOIS-LE-ROUX.
Que veut dire ceci ?
CHANTE-PIE.
Que veut dire ceci ?Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?
LE VICOMTE.
Lequel connaît le mieux Céphise de vous tous ?
CLARICE, bas à Bois-le-Roux.
Hélas ! Elle a parlé.
LE VICOMTE, à Clarice.
Hélas ! Elle a parlé.Vous paraissez surprise,
610 Vous rougissez. Ah, mort, vous savez l’entreprise.
LE VICOMTE, regardant Bois-le-Roux..
Moi, je rougis !Voyez comment elle rougit :
Monsieur rougit aussi.
BOIS-LE-ROUX.
Monsieur rougit aussi.Croyez-vous...
LE VICOMTE.
Monsieur rougit aussi. Croyez-vous...Il suffit.
Comme on voit rarement une fille muette,
Céphise...
SCÈNE XXVI. Le Vicomte, Lucrèce, Clarice, Bois-Le-Roux, Chante-Pie, Cochon-Vilain, Clampin, Lisette.
CLAMPIN, au Vicomte.
Céphise...Me voici, car votre affaire est faite,
615 Monsieur, et j’ai trouvé sur le chemin celui
Que je croyais trouver à Paris aujourd’hui ?
Pour vous parler d’affaire il vient ici lui-même.
CLARICE.
Ah tout ceci me met dans une peine extrême.
LE VICOMTE, à Clampin.
Fus-tu chez ces Messieurs hier ?
CLARICE.
Fus-tu chez ces Messieurs hier ?Que j’ai d’effroi !
LE VICOMTE.
Quoi faire !Les prier de souper avec moi.
CLAMPIN.
Quoi faire ! Les prier de souper avec moi.Moi ?
COCHON-VILAIN.
C’est la vérité.
CHANTE-PIE.
C’est la vérité.Vous nous en devez croire.
CLARICE.
Vous n’en tirerez rien, je vois qu’il vient de boire.
BOIS-LE-ROUX.
Il ne s’en souviendra donc plus ?
CLARICE.
Il ne s’en souviendra donc plus ?Non, que je crois.
COCHON-VILAIN, le tirant.
Dis-moi, ne vins-tu pas hier me prier chez moi ?
CHANTE-PIE, le tirant aussi.
625 Ne vins-tu pas aussi chez moi ? Réponds donc ?
LE VICOMTE.
Ne vins-tu pas aussi chez moi ? Réponds donc ?Traître ;
Si tu ne leur réponds, réponds donc à ton maître.
Fus-tu chez ces Messieurs hier ? Peste du sot.
Quoi, je ne puis de toi tirer enfin un mot ?
Si tu ne me réponds, je t’étranglerai.
Le prenant au collet.
CLAMPIN, à Clarice.
Si tu ne me réponds, je t’étranglerai.Dame,
630 Dites-moi ce qu’il faut que je dise, Madame.
LE VICOMTE.
Mais ma soeur, et Monsieur, paraissent bien confus.
CLARICE.
Sans consommer le temps en discours superflus,
Ne trouvant plus de jour à m’en pouvoir défendre,
Je vais tout débrouiller, Messieurs, et vous surprendre.
635 Je confesserai donc, et même devant tous,
Que j’aimais en secret Monsieur de Bois-le-Roux,
Et que pour lui parler, ne sachant plus que faire,
Je vous ai fait mander de la part de mon frère,
Afin que mon amant, dont l’entretient m’est doux,
640 Sans qu’on soupçonnât rien, pût passer parmi vous.
Céphise, qui m’a fait trouver ce stratagème,
N’en a pas pu garder le secret elle-même,
Et ce sot...
LE VICOMTE.
Et ce sot...C’est assez.
COCHON-VILAIN.
Et ce sot... C’est assez.Nous avions tort, Monsieur ?
LE VICOMTE.
Grand tort.Vous en savez beaucoup, ma chère soeur :
645 On ne peut, à les voir, connaître les personnes ;
Ma femme avec vous, en apprendrait de bonnes.
Ah je veux qu’au plutôt Monsieur de Bois-le-Roux,
Hors d’ici vous emmène, et qu’il soit votre époux :
Vous serez au contrat, Messieurs, je vous en prie,
650 Et partirez après cette cérémonie.