Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Alexandre Hardy. Méléagre. Tragédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 11 sc. 203 répl. 4,5 l. 922 l. 922 l. 21 % 4 420 l. (100 %) 4,8 pers.
MELEAGRE 5 sc. 40 répl. 6,5 l. 522 l. (57 %) 261 l. (29 %) 50 % 3 197 l. (73 %) 6,1 pers.
ARISTANDRE 1 sc. 2 répl. 10,2 l. 162 l. (18 %) 20 l. (3 %) 13 % 975 l. (23 %) 6,0 pers.
CHŒUR DE PEUPLE 2 sc. 3 répl. 11,5 l. 249 l. (28 %) 34 l. (4 %) 14 % 1 236 l. (28 %) 5,0 pers.
TROUPE DE PAYSANS 1 sc. 2 répl. 12,0 l. 162 l. (18 %) 24 l. (3 %) 15 % 975 l. (23 %) 6,0 pers.
I VENEUR 2 sc. 2 répl. 11,4 l. 276 l. (30 %) 23 l. (3 %) 9 % 1 887 l. (43 %) 6,8 pers.
II VENEUR 1 sc. 1 répl. 4,4 l. 162 l. (18 %) 4 l. (1 %) 3 % 975 l. (23 %) 6,0 pers.
ATALANTE 5 sc. 36 répl. 3,3 l. 399 l. (44 %) 119 l. (13 %) 30 % 2 109 l. (48 %) 5,3 pers.
CHŒUR DE FILLES 3 sc. 4 répl. 5,9 l. 250 l. (28 %) 24 l. (3 %) 10 % 1 127 l. (26 %) 4,5 pers.
THESÉE 2 sc. 7 répl. 5,0 l. 207 l. (23 %) 35 l. (4 %) 17 % 1 566 l. (36 %) 7,5 pers.
PIRITHOIS 2 sc. 4 répl. 6,1 l. 207 l. (23 %) 24 l. (3 %) 12 % 1 566 l. (36 %) 7,5 pers.
LYNCÉE 2 sc. 3 répl. 3,9 l. 207 l. (23 %) 12 l. (2 %) 6 % 1 566 l. (36 %) 7,5 pers.
PLEXIPPE 5 sc. 22 répl. 2,9 l. 450 l. (49 %) 63 l. (7 %) 14 % 2 617 l. (60 %) 5,8 pers.
TOXÉE 5 sc. 19 répl. 2,5 l. 450 l. (49 %) 47 l. (6 %) 11 % 2 617 l. (60 %) 5,8 pers.
IDMON 2 sc. 6 répl. 3,6 l. 155 l. (17 %) 21 l. (3 %) 14 % 837 l. (19 %) 5,4 pers.
ALTÉE 2 sc. 20 répl. 4,1 l. 125 l. (14 %) 82 l. (9 %) 66 % 312 l. (8 %) 2,5 pers.
NOURICE 2 sc. 16 répl. 1,9 l. 125 l. (14 %) 30 l. (4 %) 24 % 312 l. (8 %) 2,5 pers.
CHŒUR 3 sc. 12 répl. 4,6 l. 220 l. (24 %) 55 l. (6 %) 25 % 802 l. (19 %) 3,6 pers.
MESSAGER 1 sc. 4 répl. 11,0 l. 87 l. (10 %) 44 l. (5 %) 51 % 261 l. (6 %) 3,0 pers.
Alexandre Hardy. Méléagre. Tragédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
MELEAGRE
ARISTANDRE
41 l. (67 %) 3 répl. 13,5 l.
21 l. (34 %) 2 répl. 10,2 l.
1 sc. 61 l. (7 %) 6,0 pers.
MELEAGRE
CHŒUR DE PEUPLE
26 l. (75 %) 2 répl. 12,8 l.
9 l. (26 %) 1 répl. 8,9 l.
1 sc. 35 l. (4 %) 6,0 pers.
MELEAGRE
TROUPE DE PAYSANS
12 l. (34 %) 1 répl. 11,9 l.
25 l. (67 %) 2 répl. 12,0 l.
1 sc. 36 l. (4 %) 6,0 pers.
MELEAGRE
I VENEUR
14 l. (53 %) 2 répl. 6,6 l.
13 l. (48 %) 1 répl. 12,1 l.
2 sc. 25 l. (3 %) 6,8 pers.
MELEAGRE
II VENEUR
5 l. (52 %) 1 répl. 4,7 l.
5 l. (49 %) 1 répl. 4,4 l.
1 sc. 9 l. (1 %) 6,0 pers.
MELEAGRE
ATALANTE
74 l. (59 %) 13 répl. 5,6 l.
52 l. (42 %) 13 répl. 4,0 l.
3 sc. 125 l. (14 %) 5,9 pers.
MELEAGRE
CHŒUR DE FILLES
11 l. (65 %) 1 répl. 10,2 l.
6 l. (36 %) 1 répl. 5,7 l.
1 sc. 16 l. (2 %) 5,0 pers.
MELEAGRE
THESÉE
25 l. (48 %) 4 répl. 6,2 l.
28 l. (53 %) 4 répl. 7,0 l.
2 sc. 53 l. (6 %) 7,5 pers.
MELEAGRE
PIRITHOIS
18 l. (68 %) 2 répl. 8,8 l.
9 l. (33 %) 1 répl. 8,5 l.
2 sc. 26 l. (3 %) 7,5 pers.
MELEAGRE
PLEXIPPE
14 l. (54 %) 4 répl. 3,4 l.
12 l. (47 %) 5 répl. 2,3 l.
2 sc. 25 l. (3 %) 5,9 pers.
MELEAGRE
TOXÉE
7 l. (39 %) 3 répl. 2,2 l.
11 l. (62 %) 4 répl. 2,6 l.
2 sc. 17 l. (2 %) 5,9 pers.
MELEAGRE
IDMON
13 l. (64 %) 3 répl. 4,3 l.
8 l. (36 %) 2 répl. 3,6 l.
1 sc. 20 l. (3 %) 7,0 pers.
ATALANTE
CHŒUR DE FILLES
19 l. (54 %) 2 répl. 9,2 l.
17 l. (47 %) 2 répl. 8,2 l.
2 sc. 35 l. (4 %) 4,1 pers.
ATALANTE
THESÉE
2 l. (25 %) 1 répl. 1,4 l.
5 l. (76 %) 2 répl. 2,2 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 8,0 pers.
ATALANTE
PIRITHOIS
2 l. (53 %) 1 répl. 1,6 l.
2 l. (48 %) 1 répl. 1,5 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 8,0 pers.
ATALANTE
LYNCÉE
2 l. (32 %) 1 répl. 1,4 l.
4 l. (69 %) 1 répl. 3,1 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 8,0 pers.
ATALANTE
PLEXIPPE
12 l. (50 %) 5 répl. 2,2 l.
12 l. (51 %) 5 répl. 2,3 l.
1 sc. 23 l. (3 %) 5,0 pers.
ATALANTE
TOXÉE
6 l. (43 %) 4 répl. 1,4 l.
8 l. (58 %) 5 répl. 1,5 l.
1 sc. 13 l. (2 %) 5,0 pers.
ATALANTE
CHŒUR
28 l. (46 %) 9 répl. 3,1 l.
34 l. (55 %) 8 répl. 4,2 l.
2 sc. 61 l. (7 %) 4,1 pers.
PLEXIPPE
TOXÉE
40 l. (61 %) 12 répl. 3,3 l.
26 l. (40 %) 9 répl. 2,8 l.
3 sc. 65 l. (8 %) 6,4 pers.
IDMON
ALTÉE
15 l. (47 %) 4 répl. 3,5 l.
17 l. (54 %) 3 répl. 5,4 l.
1 sc. 30 l. (4 %) 3,0 pers.
ALTÉE
NOURICE
66 l. (71 %) 17 répl. 3,8 l.
28 l. (30 %) 14 répl. 2,0 l.
2 sc. 93 l. (11 %) 2,5 pers.
CHŒUR
MESSAGER
22 l. (34 %) 4 répl. 5,4 l.
44 l. (67 %) 4 répl. 11,0 l.
1 sc. 66 l. (8 %) 3,0 pers.

Méléagre. Tragédie

Alexandre HardyBoucebia MaghdaGeorges ForestierÉdition critique établie par Boucebia Maghda sous la direction de Georges Forestier (2000-2001)

Autres contributions

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Frédéric Glorieux : Informatique éditoriale.
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne)http://bibdramatique.paris-sorbonne.fr/hardy_meleagre/teihtmltextepub
Méléagre, tragédie, par Alexandre Hardy, parisien, 1624.
Tragédie

MELEAGRE,
Tragedie.

ARGUMENT de ceste Tragedie.

DIANE offensée du mépris qu’Oenée, pere de Meleagre &Roy de Calydon, avoit fait de sa Deïté*, envoye un sanglier de monstrueuse grandeur, qui ravage tout le païs. Meleagre donc, ne pouvant, ne par vœux envers les immortels, ne par aucune humaine industrie*, chasser ce fleau de son pays, a recours aux Argonautes ses anciens compagnons d’armes, qui sous la conduite de Thesée, se resolvent à la conqueste du sanglier. Atalante cependant vierge des plus belles, & endurcie au travail de la chasse, se trouve à l’assemblée*, avec resolution de participer à la gloire de tel exploit, ils vont de compagnie forcer la beste jusqu’en son repaire, laquelle après une merveilleuse resistance, meurtres d’hommes, & de chiens, est atteinte du dard* d’Atalante en la hure*; Meleagre la seconde, donnant le coup mortel au sanglier. La chasse faite, le pris de vaillance* d’une commune voix s’adjuge, & se porte à la belle Atalante, ce qui conçoit une telle jalousie d’honneur aux oncles du Roy, qu’ils le luy vont arracher de vive force. La Vierge en fait sa plainte au Roy, qui sur le refus d’une promte restitution tüe ses oncles, épousant Atalante. Ce meurtre offense tellement Altée mere du Roy, qu’elle conspire la mort de son fils, & par le moyen du tison fatal, auquel estoit attaché le destin de la vie de Meleagre, effectuë sa mauvaise volonté, ce qui finit la Tragedie.

LES ACTEURS.

  • MELEAGRE.
  • ARISTANDRE.
  • CHŒUR DE PEUPLE.
  • TROUPE DE PAYSANS.
  • I VENEUR.
  • II VENEUR.
  • ATALANTE.
  • CHŒUR DE FILLES.
  • THESÉE
  • PIRITHOIS.
  • LYNCÉE.
  • PLEXIPPE.
  • TOXÉE.
  • IDMON.
  • ALTÉE.
  • NOURICE
  • CHŒUR.
  • MESSAGER.

ACTE I

MELEAGRE, ARISTANDRE, CHŒUR DE PEUPLE, TROUPE DE PAYSANS, I VENEUR.

MELEAGRE.

Fille de Jupiter, Déesse trois fois grande,
Au Ciel, dans les forests, & où Pluton commande,
Diane, desormais fléchible*, pren pitié,
D’un peuple, pour son Roy trop long tems châtié.
5 Benigne* fay cesser ta vengeance effroyable, [p. 214]
Qu’exerce dessur* nous ce monstre impitoyable,
Ce sanglier qui remplit la province d’horreur,
Qui d’un monde englouty ne borne sa fureur.
Helas ! l’impieté du mépris de mon pere,
10 Tes honneurs oubliez alluma ta colere,
Les siens, & luy, punis de l’offense à bon droit,
Car qui plus autrement des mortels te craindroit ?
Poursuivre toutefois ne convient pas à celle,
Qu’oblige à la clemence un titre de pucelle,
15 Saturne des humains dissipe la rancœur,
Te peut la tienne donc demeurer sur le cœur ?
Mesme apres ne sçavoir offrande, ny victime,
Qui puisse plus laver l’énormité du crime,
Apres mainte hecatombe, outre* le sang humain,
20 Qu’épanche l’animal implacable de faim,
O vierge Latoïde, ô puissance premiere,
A qui nous devons tous la celeste lumiere,
Retire ce fleau, qui tache funereux*,
D’un diffame* éternel mon regne malheureux !
25 Ou mon peuple affranchy, détourne sur ma teste,
Les suprêmes efforts de l’outrageuse* beste,
Repete sur moy seul, comme plus criminel,
Qui me vouë au païs le delit paternel.

ARISTANDRE.

Plus le pilote expert voit s’accroître l’orage,
30 D’autant sçait-il mesler l’industrie* au courage,
Sa constance redouble, ainsy que le danger,
Et ne sçauroit la peur où chez lui se ranger! [p. 215]
Imitez-le grand Roy vostre vertu montrée,
En chose digne d’elle à propos rencontrée,
35 Sans doute qu’on devoit selon l’ordre tenu,
Tel malheur du courroux celeste provenu,
N’épargner aucuns vœux, sacrifice, priere,
Capable* d’amolir* la Dive* forestiere,
Remedes appliquez en leur propre saison,
40 Mais il faut que l’effet succede à l’oraison*;
Quiconque attend oisif l’assistance divine,
Ne la merite pas, amy de sa ruine,
Sire, il faut employer l’artifice*, & l’effort,
Qui desire exaucé, mettre le monstre à mort.

MELEAGRE.

45 Las ! Où la Deïté* nos malheurs favorise,
Toujours trop d’aliment nourit leur flâme éprise,
On a beau se deffendre, on a beau rechercher,
Dequoy pouvoir le flus d’un torrent empescher,
Qui dissipe, qui pert, qui se trouve passage,
50 Parmy la prévoyance aveugle du plus sage !
Ainsy froisse* les dards*, les veneurs & les rets*,
Ce sanglier qui n’a plus son repaire aux forests,
Qui s’ose impunément jusqu’aux portes des villes,
Exiger un tribut sur leurs troupes serviles;
55 L’inévitable parque accompagne ses pas,
Mon Empire, & ma gloire envoyez au trépas,
Hé ! qui jamais eust creu les natures celestes,
Nourir si longuement des rancoeurs* si funestes ?
O déplorable Prince, ô trop inique sort, [p. 216]
60 Un peuple aporte icy ses plaintes de renfort.

CHŒUR DE PEUPLE.

Pere comun des tiens, Monarque magnanime,
Vueille faire cesser le mal qui les opprime,
Ce mal qui vagabond assiege nos citez,
Prive les habitans de leurs necessitez,
65 Interdit le commerce, épouventez de sorte,
Qu’il n’y a contre luy forteresse assez forte,
Que l’horreur de ce monstre empreinte au souvenir,
La province un desert rendroit* à l’avenir,
Chacun qui çà, qui là, minutant sa retraite,
70 Où il la juge en lieu de sauveté* distraite,
Or* dois-tu vray pasteur, ton troupeau secourir,
A l’extrême réduit, sur le point de mourir.

MELEAGRE.

Chetifs* ! l’affliction vous ôte la prudence,
Telle plainte vers moy coupable d’imprudence,
75 Qui l’Empire attaqué de voisins ennemis,
Où le juste combat d’homme, à homme, permis,
Dés* long tems, dés* long tems, ma vie abandonée,
Eusse au bien du païs salutaire* donée,
Mon desir brûle apres ce dessein vertueux,
80 Que le cruel destin me rend infructueux :
Toutefois chers amis, la bonne conscience,
M’asseure que dans peu (munis de patience) [p. 217]
Un secours employé qui surpasse l’humain,
Joyeux vous brisera ce servage inhumain,
85 Et possible* premier* que le flambeau celeste,
Mais ? quel spectacle encor nous arrive moleste*,
D’une troupe champestre effroyable de pleurs ?
Indice plus que vray témoignant ses malheurs.

TROUPE DE PAYSANS.

Plaise à ta Majesté, ne souffrir davantage,
90 Qu’un fier* hôte infernal gâte son heritage,
Plusieurs* sans resistance, épars diversement,
Et de qui le travail est le seul pensement*,
Desesperez d’avoir toujours perte sur perte,
Sont contraints de quitter la province deserte,
95 Province que viendra la famine engloutir,
Où nul n’ose l’enclos de ses Lares sortir,
Lares impunément violez à toute heure,
Du monstre carnacier qui fait que chacun pleure,
Qui vient les nouriçons aux meres arracher,
100 Mortes de ses regards lancez à l’approcher.
Quiconque d’entre nous ose prendre les armes,
Ne faisant rien qu’acroistre, & la perte, & les larmes,
Si qu*’au lieu de l’espoir de la blonde Ceres,
Les steriles chardons herissent nos guerets*,
105 Bacchus sur les cotaux languit la teste basse,
Sans qu’aucun* le service* acoutumé luy face ; [p. 218]
Helas ! qui le pourroit ? l’image du trépas,
Presente, inseparable, unie à chaque pas.
Ren nous donc, ô grand Roy, la franchise* premiere,
110 Où te cherche qui plus habite un coemetiere,
Pareille extrémité dispense du devoir,
Au cas que ton secours n’avise d’y pourvoir.

MELEAGRE.

Relevez-vous enfans, d’espoir & de courage,
Un beau soleil plus gay, va luire apres l’orage,
115 Qui ce foudre pouvoit decoché retenir :
Qui des mortels parer aux coups de l’avenir ?
Nul certes, le destin maitre absolu, dispose,
De l’Empire des Roys, qu’il couronne, & dépose,
Sa justice expiant le crime paternel,
120 Me reserve un courrous de rancœur éternel ;
Desormais* elle a pris excessive l’usure,
Ce feu meurt à present, faute de nouriture,
Autre dificulté plus grande ne me tient,
A qui du monstre occis* la victoire apartient,
125 Sinon joints d’arrester sa fuite vagabonde,
Chacun donc vigilant à l’envy me seconde,
Chacun des mariniers* le bel ordre suivant,
Patron me reconnoisse à ce grand coup de vent,
Sans murmure obeïsse, & sans plus entreprendre,
130 Que ne veut notre oracle, à peine de méprendre. [p. 219]

CHŒUR DE PEUPLE.

Quiconque à ce devoir impieux* contredit,
Soit du moteur suprême, & des hommes maudit,
Quiconque, épargnera sa fortune, ou sa vie,
Puisse, l’ âme aux enfers criminelle ravie,
135 De memoire execrable à la posterité,
Recevoir un supplice éternel merité.

TROUPE DE PAYSANS.

Bien que notre industrie* à cultiver la terre,
L’usage n’ait apris des outils de la guerre,
Propres à conquerir ce brutal ennemy,
140 Nul pourtant ne voudroit paroitre homme à demy,
Nul, où la Majesté du Prince se hazarde*,
Montrer d’aucune peur l’aparence coüarde,
Plus digne ocasion* ne se peut onc* offrir,
Plus digne, où le trépas, volontaire souffrir.

MELEAGRE.

145 Telle émulation* de vertu me contente :
Or* preparez ensemble à une brêve atente,
Chacun paisiblement se retire chez soy,
Nos veneurs de retour à propos j’apperçoy,
Qui possible* auront mieux la beste reconnuë,
150 Comme tout au labeur cede à la continuë*,
Et bien ? quelle nouvelle ? avons-nous découvert,
Un chemin desormais à la victoire ouvert ? [p. 220]

I VENEUR.

L’ animal effroyable en son espece énorme,
Surpasse des sangliers la nature, & la forme,
155 Qui ne sçauroit de l’œil estre assez admiré,
Haut, quartanier*, & plus, oüy bien plus que miré,
Sa hure* une forest ombrageuse ressemble,
N’estant à son mouvoir si brave* qui ne tremble,
Dessous chaque paupiere un tison furieux,
160 Toujours étincelant luy compose les yeux,
Quelque chesne vieillard qu’imprime sa deffence,
S’ensuit comme du foudre une mortelle offence,
Nous-mêmes l’avons veu par maniere d’ébat*,
Dechirer un lion aggresseur du combat,
165 Son soufle, bruit plus fort qu’une forte tourmente,
Et jadis le pareil es* forests d’ Erymanthe ;
Sous Alcide broncha ce demy-dieu vaincoeur,
Que le Tonant fournit de forces, & de cœur*.

MELEAGRE.

Préoccupez d’effroy, ce rapport peu fidelle,
170 Ne touche au principal du soin* qui me martelle,
Sur les bauges* instruits*, ou sur l’endroit celant*,
(Repaire accoutumé) l’animal violent,
Nul n’ignore que là gist* le nœu de l’affaire,
Qu’il faut voir l’ennemy, premier que* le défaire*.

II. VENEUR.

175 Hors du cours naturel, conçeu prodigieux*,
Chaque action chez lui nous ébloüit les yeux,
Aucuns secrets appris du métier de la chasse, [p. 221]
Non quand un Orion tiendroit la même place,
Ne le reconnoitroit qui vague* sans égard,
180 Et giste, où sa fureur s’adonne de hazard*.

MELEAGRE.

L’œuvre laborieux ma presence demande,
Bel œuvre qu’à un Roy la pieté commande,
Œuvre dont j’ayme mieux la gloire disperser*,
Que de ne rien étraindre à force d’embrasser :
185 Aristandre, va donc exercer ta faconde*,
Chez la fleur des vaillants qui decore le monde,
De ces preux Myniens, qui la riche toison,
Conquirent avec moy au Thessale Jason :
Accepte Ambassadeur un offre magnanime,
190 D’affranchir le païs du fleau qui l’opprime,
Accepte necessaire un secours étranger,
A qui ma main premiere écarte le danger,
A qui l’extrémité communique ma gloire,
Honteux qu’une si basse, & brutale victoire,
195 Profane la valeur des fils de Jupiter,
Mais le destin nous veut jusques-là mal-traiter.

ARISTANDRE

Un prince vertueux n’obscurcit sa loüange,
Où la necessité à ce party le range,
D’employer les amis capables reconnus,
200 Et ne luy en sont pas ses peuples moins tenus,
Qui moissonnent* le fruit d’une volonté bonne,
Qui le voyent premier* aux effets en personne ;
Ainsy le bon pasteur contraint reclamera, [p. 222]
La troupe des voisins qui promte s’armera,
205 Et du loup combatu la gloire luy demeure,
Bien qu’accablé parmy la multitude il meure :
Sire, pareil honneur ce bel exploit attend,
Or* vay-je du devoir enchargé* m’aquitant.

MELEAGRE.

Afin que l’entreprise heureuse nous succede,
210 J’entends qu’un sacrifice à Diane précede,
Seule propiciable* entre les immortels,
Que mainte pure hostie* arrouse ses autels :
Sans desister*, avant qu’es* entrailles on lise,
Un signe favorable à la chasse entreprise :
215 Vous autres derechef*, & promts, & vigilans,
Ce foudre découvert, à ses pas violens,
Toute difficulté, toute demeure ôtée,
Ne faudrez de donner l’adresse souhaitée,
Quiconque plus expert fera mieux son devoir,
220 Un salaire Royal certain de recevoir.
[p. 223]

ACTE II.

ATALANTE, CHŒUR DE FILLES, THESÉE,MELEAGRE, PIRITHOIS, LINCÉE, PLEXIPE, TOXÉE.

SCENE I.

ATALANTE, CHŒUR DE FILLES.

ATALANTE.

Compagnes, n’estimez qu’où la gloire convie,
Je refuse jamais de prodiguer ma vie,
Atalante chez elle a pris son élément,
Si bien qu’on ne l’en peut separer nullement,
225 L’aiguille, & le fuseau*, feminins exercices,
Où comme d’autres font courtiser les delices,
Non, certes, notre humeur n’y sçauroit consentir,
Oisive ne sçauroit ces Sereines sentir,
Sous ne sçay quel aspect genereusement née,
230 Depuis l’âge plus tendre à la chasse adonée,
Que Diane endurcit aux robustes ébats,
Qui par fois les lions affrontez mettent bas,
Qui m’obtiennent apres la Déesse un Empire, [p. 224]
Des hostes bocagers, seul bon-heur où j’aspire.
235 Quelle apparence* donc, un brave los* aquis,
De ne prétendre pas à ce laurier exquis ?
Laurier que ne dispute une ignoble commune,
Mais la fleur des guerriers, qui fut malgré Neptune,
Jusqu’aux bords Phasiens conquerir la toison :
240 Resoluë, ma gloire est ma seule raison,
Qui ne treuveroit onc* objet plus digne d’elle,
Qui vous veut consacrer un vertueux modelle,
Ou sucombant au faix, n’importe, mon trépas,
Sans honneurs immortels ne demeurera pas.

CHŒUR DE FILLES.

245 Merveille de nos jours, que l’univers adore,
Phoenix* que la vertu ne sçauroit plus éclore,
Reprime ce desir tes forces excédant,
N’obscurcy la clairté du renom précédent.
Temeraire tenter l’impossible n’apporte,
250 Qu’un honteux repentir au dessein qui avorte,
Consulte ta prudence, ô Vierge derechef*,
Premier* que d’encourir le suprême méchef*,
Ce monstre qui les cœurs plus genereux effroye,
A qui tout un païs tantost demeure en proye,
255 T’engloutiroit, ainsy que le lion cruel,
Quelque biche legere opposée en duel.

ATALANTE.

La grandeur du peril m’augmente le courage, [p. 225]
Qui souvent les sangliers à l’ecumeuse* rage,
Transperce roides morts sur l’herbage étendus,
260 Peu, ou point, de mes dards* inutiles perdus,
Un populaire bruit le figure indomtable,
Sujet qui me le rend beaucoup moins redoutable,
Car ce fangeux amas s’epouvente d’un rien,
De ma part incredule à l’epreuve je vien.

CHŒUR.

265 Helas ! mille ont passé l’irrepassable* fleuve,
Qui trop avantureux firent la même épreuve,
Qui vous servent d’exemple, & deussent empécher,
De perdre ce qu’on tient au monde le plus cher.

ATALANTE.

Cloton mire* plutost la personne coüarde,
270 Que celle qui sans crainte au peril se hazarde*.

CHŒUR.

Au soldat furieux conviennent ces propos,
Une Vierge ne doit cherir que le repos.

ATALANTE.

La vertu paroist mieux en une âme debile*,
Quand elle vient à bout d’un exploit difficile.

CHŒUR.

275 La vertu paroist mieux quand sage on se contient,
Et que dessous son joug la nature nous tient.

ATALANTE.

Erreur de l’estimer maratre, qui deffende, [p. 226]
A nous autres l’effet d’une entreprise grande.

CHŒUR.

Qui croira que jamais l’amoureuse Cypris,
280 Ait le metier de Mars homicide entrepris ?

ATALANTE.

Qu’aux simples animaux ma guerre ne s’adresse,
Où peu d’autres possible* égalent mon adresse.

CHŒUR.

Mais icy le danger surmonte le plaisir,
Que legitime on doit à la chasse choisir.

ATALANTE.

285 Ce bras l’écartera, Diane reclamée,
Propice*Deïté* qui m’a toujours aymée,
Qui me ramenera le front ceint de laurier,
Adieu, l’heure m’apelle à cet ébat guerrier.

CHŒUR.

O vaine ambition, pernicieuse* audace,
290 Qui herisse mon chef*, & les veines me glace,
En la perdant, mes sœurs, notre chaste troupeau,
Pert ce qu’il eut jadis d’admirable, & de beau,
Pareilles desormais* au rosier qu’on méprise,
Sa plus vermeille fleur du Scyrien surprise.
295 Demeure opiniâtre*, & ne te vueille pas,
De loüange affamée apporter le trépas :
Sourde, un tan* genereux la semble forcenée,
Pousser bon-gré, mal-gré, devers* sa destinée,
Si que* ne pouvant plus autre chose de mieux, [p. 227]
300 Que le zele dans l’âme, & les larmes aux yeux ;
Implorer ta grandeur, ô claire Cinthienne,
Qu’ores* de* son salut quelque soucy te tienne,
Conserve-là, Déesse, & franche* de méchef*,
Nos saints vœux exaucez luy couronne le chef*.

SCENE II.

THESÉE, MELEAGRE, PIRITHOIS, LINCÉE, PLEXIPE, TOXÉE, ATALANTE, VENEUR.

THESÉE.

305 Venus à ton secours, juge si telle bande,
Peut le monstre deffait* accomplir ta demande,
Juge si chez Neptune, ou chez le Roy des morts,
Aucun* se treuveroit digne de ses efforts,
L’univers me connoist leur fleau redoutable,
310 Pourquoy donc employer que ma dextre indomtable ?
Thésée combatant, reposez-vous amis,
Fussent les infernaux, & les Cieux ennemis,
Ma dextre se promet une victoire entiere,
Ou je perdray vaincu l’honneur, & la lumiere,
315 Les perdre en un exploit qui peu laborieux, [p. 228]
Semble notre pouvoir bleçer injurieux*.

MELEAGRE.

A mon grand deshoneur la rancune celeste,
Paroist en ce seul point plus inique, & moleste*,
M’afflige malheureux davantage, reduit,
320 A me tenir vaincu de l’ennemy qui fuit,
M’ implorer du secours sans moyen, sans espace,
D’opposer son courage à ce foudre qui passe :
Autrement Jupiter, tu me seras témoin,
Que jà* vaincoeur, ou mort les armes dans le poin,
325 La pointe du peril emporteroit éleuë,
Ma premiere loüange aux neveux impoluë* :
Quiconque à ce sujet refuse le trépas,
Trahit le nom de Roy qu’il ne mérite pas.

PIRITHOIS.

Monarque Ætolien ta valeur indomtée,
330 Au suprême degré de la gloire montée,
Ne se peut revoquer* en doute nullement,
Chez ceux que même aspect influë* également,
Chez ceux que tu as eus compagnons de fortune,
Quand la premiere nef* triompha de Neptune,
335 Nous sçavons que la peur de ta presence fuit,
Qu’un brutal adversaire en trahison te nuit ;
Or* me feray-je fort sa retraite conneuë,
De luy clôre les yeux d’une éternelle nuë,
Ton labeur épargné brave Cecropien,
340 Le chef d’œuvre second du pere olimpien,
[p. 229]

LINCÉE.

Pourveu que seurement conduit dessur* ses erres*,
L’épaisseur des forests, ne* distance de terres,
Ne* ruse, que sçauroit l’animal employer,
Mon œil qui perce tout ne sçauroit fourvoyer*.
345 Découvert une fois, au peril de la teste,
Lincée ose plêger* certaine sa conqueste,
Du plutost que miré, que receu pour objet,
Diane l’abandone à la parque sujet.

PLEXIPE.

Entre ces clairs soleils de vaillance* guerriere,
350 L’honneur ne nous permet de demeurer derrière,
Unis à la couronne, à qui le même sang,
Peut selon l’ordre un jour donner le même rang :
Mon frère, que chacun destine là sa vie,
D’une gloire en la mort immortelle suivie.

TOXÉE.

355 Le cheval genereux en la plaine piquer,
Est sa peine, dit-on, superfluë appliquer,
Ainsy, n’ay-je besoin, qu’exemple ou que langage,
Autre que le devoir à ce combat m’engage ;
Heureux si le païs épreuve mon amour,
360 Que qui me le donna me répete le jour.

THESÉE.

Telle émulation* de bien faire, m’asseure,
Comme aquise dé-ja nôtre victoire seure,
Que n’executeroit en sa guerriere ardeur,
Une troupe qui n’est que gloire, & que candeur ?
365 Reste à ne la laisser oisive davantage, [p. 230]
Sçavoir user du tems est un grand avantage.

MELEAGRE.

Les veneurs atendus, qui sur certain raport,
Découvrent du sanglier le plus habile abord,
Qui guident l’assemblée aux bauges* reconnuës,
370 Les relais disposez dessur* les avenuës,
Chacun avisera de se mettre en devoir ;
Mais, quelle Deïté* maintenant nous vient voir,
La trousse* sur le flanc, à Diane pareille ?
Ce poil* d’or crépulu*, cette face* vermeille,
375 Figurent Atalante, hé ! qui t’amene icy,
Beauté l’honneur du monde, & des Cieux le soucy ?

ATALANTE.

Sur ce qui se passoit nagueres avertie,
Un desir glorieux me fait de la partie,
Preste à montrer que m’a l’experience apris,
380 Et que Vierge, parmy tant d’hommes de grand pris,
Atalante, chez eux merite quelque place,
Qui d’un sexe craintif l’ordinaire surpasse,
Qui conjoint le courage à la dexterité,
Posons que ce luy fût au pis temerité,
385 Sire, l’affection qui pure vous la donne,
Ne se peut, ny se doit, dédaigner de personne.

MELEAGRE.

Non, certes ton secours amene dans ces yeux,
Le vaincoeur enchainé du Monarque des Cieux,
Amene de renfort les amours & les graces,
390 Avec leur moindre effort le monstre tu terraces, [p. 231]
Tu charmes sa manie*, & ne faut autre dard*,
Autre chasse, autre rets*, qu’un amoureux regard.

ATALANTE.

Ce bras décochera, non l’œil, chose solide,
Capable d’arrester sa fureur homicide*.

THESÉE.

395 Tu me presteras donc asseuré* le couvert,
En cas que le peril menace trop ouvert.

ATALANTE.

Les plus petits buissons par fois portent ombrage,
Tel se moque, qui peut s’aider de mon courage.

PIRITHOIS.

Vaincre les cœurs humains suffit à ta beauté,
400 Ailleurs* à mon avis nouvelle en cruauté.

ATALANTE.

Une chaste Déesse imitable modelle,
M’aprent la cruauté, je ne la tiens que d’elle.

LINCÉE.

Poursuivre le chevreüil, ou la biche, ou le daim,
Sont ébats* familiers que demande ta main,
405 Non l’extrême peril de la chasse presente,
Où la dextre plus forte à peine est suffisante.

ATALANTE.

Ma foiblesse, par fois ne laisse sans secours,
D’abatre à coups de traits les lions, & les ours,
Plus ostinée alors, plus ardente* de gloire,
410 Où l’enorme danger balance la victoire. [p. 232]

MELEAGRE.

Ne vous émerveillez, son courage dément
Ce beau teint délicat, doux, & fatal aymant,
Incapable de crainte, à la chasse nourrie,
Elle s’est jusques-là genereuse aguerrie,
415 Qu’autre Veneur jamais n’a plus de gloire aquis,
N’a plus dans les forests de dépoüilles conquis.

THESÉE.

Vien donc à la bonne heure Amazone accomplie,
Et ne t’éloigne pas de moy je te supplie,
Qui seray ton bouclier, ton appuy, ton rempart,
420 Qui fourniray la force où tu presteras l’art.

ATALANTE.

Me devore le monstre, avant que telle honte,
A l’honneur entamé d’Atalante s’affronte,
Paravant* que de crainte elle recule un pas,
La puisse prévenir le plus âpre trépas.

MELEAGRE.

425 Regarde* neantmoins à ne priver nature,
Du Phoenix* qui s’éteint dedans ta sepulture,
Ne laisse de beautez orphelin l’univers,
Amour verroit adonc* son Empire à l’envers,
Ta perte me tient lieu de la perte d’un monde,
430 Fay donc que le courage à la force réponde,
Ne prodigue ta vie, ou vueille desister*,
J’apperçoy nos veneurs, il n’y a que douter,
Quelle nouvelle enfants ? une derniere queste,
Nous peut-elle montrer les erres* de la beste ? [p. 233]

VENEUR.

435 Sire, graces aux Dieux, ma vigilance a fait,
Qu’on tire du repaire un indice parfait,
D’embuscade caché dedans l’épais fueillage,
D’un vieil chesne au bois même, où l’ennemy saccage,
Devers* le point du jour sorty pour vermeiller,
440 Bien deux arpens de terre on luy a veu foüiller,
De là courir brigand les campagnes voisines,
Sur hommes, & troupeaux, exercer ses rapines,
Puis le soleil jà* haut, superbe revenir,
Au creux d’une spelonque* affreuse se tenir,
445 Mille buissons autour en deffendent l’aproche,
Sa profondeur étrange occupe une grand roche,
Toutefois on pourra le forcer là dedans,
A coups d’épieux, de dards*, avec flambeaux ardens.

THESÉE.

Sus* amis, la vertu par tout se fait passage,
450 Chacun paroisse icy temerairement sage,
Se haste lentement, & ne prenne le soin*,
Que de suivre conduit mon exemple au besoin.

MELEAGRE.

Conjoint à ta valeur, divine, inseparable,
Octroyez-moy, bons Dieux, ce destin favorable,
455 Que victime receuë,autre chef* que le mien,
Ne rende à ce païs le bon-heur ancien,
Faites que mon trépas luy rachete la vie, [p. 234]
Une sainte justice à cela vous convie :
Or* allons sur les lieux du combat disposer,
460 Et nos hommes selon l’occurrence poser.

ACTE III.

CHŒUR DE PEUPLE, MESSAGER, MELEAGRE, THESÉE, PIRITHOIS, LINCÉE, PLEXIPPE, TOXÉE, IDMON.

SCENE I.

CHŒUR, MESSAGER,

CHŒUR DE PEUPLE.

ESPANCHONS* à ce coup, le sein moüillé de larmes,
Les genous contre terre, & l’âme dans les Cieux,
Une priere, afin de revoir nos gendarmes,
Ce fier* monstre vaincu, le laurier sur les yeux.
465 Car, helas ! autrement sa brutale manie*,
Nous chasse vagabons hors du natal sejour,
Et faut bon-gré, mal-gré, fuir telle tyrannie,
Qui se veut conserver la lumiere du jour.
Deux grands peuples détruits, sans ordre, sans conduite,
470 Iront par l’univers à la mercy du sort, [p. 235]
Epreuver les travaux d’une éternelle fuite,
Et mourir mille fois en redoutant la mort.
Hélas ! hé ! le moyen, que ces âmes chétives ?
Qu’un peuple de vieillards, de femmes, & d’enfans,
475 Passassent pesle-mesle, aux étrangeres rives,
Et pour les prolonger n’acourcissent leurs ans ?
Détourne ce méchef* Déesse, qui présides,
Au Ciel, dans les forests, & au Royaume vain,
Termine en ton courous ces fureurs homicides*,
480 La victoire emportée est un coup de ta main.
Si tu le fais, ô claire, ô belle Delienne,
Une pure Hecatombe offerte à tes autels,
Ne doute que chez nous ta Deïté* n’obtienne,
Une premiere gloire entre les immortels.
485 De riches jeux de prix, celebrez chaque année,
Jusqu’à la fin du monde honorent ce bien-fait,
Mais quelqu’un survenu sçait notre destinée,
Bonne ou mauvaise, ainsy que la chasse aura fait.
[p. 236]

MESSAGER.

Citoyens, qu’on éleve un long io* de joye,
490 Le monstrueux sanglier demeure notre proye,
Une brave pucelle, & la valeur du Roy,
Remettent l’asseurance* où habitoit l’effroy.

CHŒUR.

Qu’aujourd’huy le païs affranchy du servage,
On ne redoute plus son impiteux* ravage ?
495 Possible*, flates-tu nos malheurs d’un faux bruit,

MESSAGER.

Oculaire témoin au spectacle introduit,
J’ay veu le porc, fournir la meute de curée,
Onc* chose ne sera, ne fut plus asseurée.

CHŒUR.

O Déesse, l’honneur des nocturnes flambeaux,
500 Qui compasses* nos mois, qui moderes les eaux,
Tu as oüy les cris d’une troupe innocente,
Tu veux que ton secours à present elle sente,
On te doit la victoire, on te doit desormais,
Unique tutelaire* invoquer à jamais :
505 Or* telle histoire amy, t’oblige commencée,
Au discours poursuivy de la chasse passée.

MESSAGER.

Le repaire du monstre horrible découvert,
Precipice semblable à quelque gouffre ouvert,
Cette fleur de guerriers demy-Dieux l’environe,
510 Et la place à chacun de combatre se done,
Puis les chiens découplez un bruit monte à la fois,
De piqueurs*, de chevaux, d’armeures, & d’abois* ;
Le Ciel en retentit, la terre épouventée,
Croit Atlas succomber sous sa charge eclatée,
515 L’indomtable Ægeide, & notre Roy premiers,
Sur l’indice certain que donnent les limiers,
Entrent à corps perdu dans la grotte profonde ;
Une troupe de pres leur courage seconde,
A force de flambeaux on fend l’obscurité, [p. 237]
520 Pour tirer au combat l’animal irrité,
Qui s’élance dehors plus leger que le foudre,
Hommes, & chiens, ensemble aterre sur la poudre*,
Si que* les plus hardis commencent à blémir,
Qui luy voyent le feu de la gueule vômir,
525 Que sa peau, qui des dards* ne redoute l’injure,
Inutiles receus les émousse plus dure :
Sorty, l’enceinte acroist sa rage tellement,
Que peu l’osent en front* regarder seulement,
Meleagre qu’époint* cette Royale envie
530 D’affranchir ses sujets, ou de perdre la vie,
Rejoint le porc fumeux*, r’encourage les siens,
Commande à point nommé qu’on relaie les chiens,
Il encoche* sur l’arc une fléche pointuë,
Atalante d’ailleurs* hâtive s’évertuë,
535 En faveur* d’un gros orme atend ferme venir
L’homicide*, qui veut son garot prévenir,
Dans la hure* assené*, tout le test* en resonne,
L’animal jusqu’alors indomtable s’étonne*.

CHŒUR.

Tu t’es tantost mépris ou te méprens, je croy,
540 Qui disoit ce chef-d’œuvre apartenir au Roy.

MESSAGER.

Patience, à l’instant luy-même un coup desserre*,
Qui l’ébranlé Colosse entraine contre terre,
Coup, que ne pouvoit mieux Apollon décocher,
La fleche dans le cœur venant droit se ficher :
545 La cheute fait un bruit, comparable à la mine*,
Qui l’orgueil d’une tour précipite en ruine, [p. 238]
Ou comme quand le foudre apaise son courous,
Sur un haut chesne ateint, la gloire de ses coups.
Imaginez qu’adonc* la neige plus menuë,
550 Sur les monts Apennins ne tombe de la nuë,
Qu’une gresle de dards* l’envelope couvert,
Mort, son gosier demeure encor de rage ouvert,
Nos chiens intimidez semblent craindre son ombre,
Et n’osent l’aprocher, quoy qu’infinis de nombre;
555 Que tel heureux raport vous satisface amis,
Sejourner davantage icy ne m’est permis,
Qui m’en vay faire ouvrir le palais, & les temples;
Où ce jour produira témoignages plus amples,
D’une joye acomplie, & d’une liberté,
560 Que revoit le païs tel nuage écarté.

CHŒUR.

Suivons, suivons ses pas, & qu’à foules publiques
On pousse dans le Ciel mille pieux Cantiques,
Mille actions de grace, à redire en l’honneur,
Des organes choisis qui causent ce bonheur.
565 Preux Monarque, aujourd’huy la vertu te courone,
Sa dextre d’un laurier tes temples environe,
Tu t’aquiers aujourd’huy l’empire de nos cœurs,
Et l’oubly ne peut plus sur tes gestes vaincoeurs,
Ny sur les tiens aussi, belle vierge guerriere,
570 Qui de notre soleil précedes la lumiere, [p. 239]
Et qui meriterois sa pudique moitié,
L’étreindre sous un nœu de jugale* amitié,
Afin que quelque jour Lucine reclamée,
Perpetuast chez nous une suite germée
575 De Princes valeureux, qui de leurs devanciers,
Fussent au sçeptre autant qu’en vertus heritiers.

SCENE II.

MELEAGRE, THESÉE, PIRITHOIS, LINCÉE, PLEXIPE, TOXÉE, IDMON.

MELEAGRE.

Apres ce haut exploit, Martiale assemblée,
Qu’un doux calme a rassis ma Province troublée,
Qu’au prix de vos labeurs le monstre gist* éteint,
580 Qu’à la perfection de ses vœux on atteint,
L’allegresse à son tour veut regner successive,
Veut que de sa moisson la vertu ne se prive,
Thesée à ce sujet, comme l’astre brillant,
Capable* de guider un troupeau si vaillant,
585 Ordone souverain, disperse* à la victoire,
Ce que tu sçais chacun meriter en sa gloire :
Le premier en honneur, nomme, designe apres, [p. 240]
Ceux que tu jugeras te suivre de plus pres ;
Pareille oeconomie* entre tes mains remise,
590 Tu t’obtiens dessur* tous toute chose permise,
Ma courone, mes biens, salaire destinez,
Où rémunerateur tu les auras donez.

THESÉE.

Révoquer* du Soleil en doute la lumiere,
Et à qui de l’ébat* la loüange premiere,
595 Ne sont que chose même, autre certes que toy,
N’emporte de vaincoeur le titre, ny de Roy ;
Ton courage épreuvé te merite l’Empire,
Que si quelqu’un de suite au second pris aspire,
La belle chasseresse, un prodige à mes yeux,
600 Elêve son renom plus outre que les Cieux ;
Ne l’admireroit-on, d’adresse, & de courage ?
Qui premiere au peril tant qu’a duré l’orage,
Reprima du sanglier la brutale fureur,
Car ce coup ne sent rien d’imprudence, ou d’erreur,
605 Tel coup incomparable, & heureux, me fait honte,
Tel coup jaçoit* que veu, ma creance surmonte,
Desormais* le lion craindra le cerf peureux,
Puisqu’une fille exploite un fait si valeureux.

MELEAGRE.

Fait qui ravit mon âme en merveille profonde,
610 Et qui l’offenceroit d’une gloire seconde,
Fait bien consideré qui surpasse l’humain,
Non, Diane a voulu se servir de sa main,
Si que* ne luy ceder la primauté j’estime,
Commettre irremissible un sacrilege crime : [p. 241]
615 Mon suffrage de gré luy transporte ce droit,
Qu’aucun à son merite envier ne voudroit,
Joint* que fort peu d’honneur couronne l’entreprise,
Où qu’il n’est question que d’une beste prise,
Sujet indigne à ceux qui dessous le Dieu Mars,
620 Foulent mille lauriers plus beaux en mille parts.

PIRITHOIS.

La vertu ses effets n’exerce moins entiere,
Dessur* l’une jamais que sur l’autre matiere,
Où la difficulté se compare au danger,
Qu’un monde ne pouvoit en armes étranger,
625 Où l’extrême valeur témoigne le courage,
Où d’un énorme monstre on étoufe la rage,
Sans doute le renom s’égale glorieux,
A celuy qui d’ailleurs s’aquiert victorieux,
Ainsy l’Hydre aux marests Lerneans étoufée,
630 Alcide ne s’impute à un moindre trophée,
Que le Libique Anthée, ou Gerion défaits*,
Ainsy tort, grand Monarque à ta gloire tu fais.

MELEAGRE.

La chose plus que moy regarde une Atalante,
En tout ce qui se peut desirer excellente,
635 Sa victoire à la mienne a frayé le sentier,
Car depuis le berceau la chasse est son métier,
Aucun veneur n’eut onc* pareille experience;
Une mâle vigueur pratique sa sçience,
Pourquoy representer ce que chacun sçait bien, [p. 242]
640 Son coup dessur* le monstre a mesuré le mien.

LINCÉE.

Dy mieux que son éclair ton tonnerre précede,
Ou que ta courtoisie à sa beauté le cede,
Ou que l’afection loin de ce prix vaincoeur,
Consacre volontiers à ses graces ton cœur.

PLEXIPE.

645 Voila sonder le vif d’une invisible playe,
Et d’un los* excessif l’origine trop vraye,
Quelque adresse conjointe à la necessité,
Merite qu’on la louë avec mediocrité,
Non de sorte pourtant, que l’ignare commune,
650 Défere tout l’honneur à sa bonne fortune,
Ta vaillance*tenuë incapable d’avoir,
Sans un bras feminin le monstre en ton pouvoir.

TOXÉE.

Le grand Astre du jour ne voit chose plus vaine,
Que ce sexe n’ayant nulle borne certaine ;
655 Et plus que de raison la bonde luy lâcher,
Coûte à notre indulgence aucunefois* bien cher.

MELEAGRE.

Quelque homme ambitieux qui briguast* de salaire,
Sous un mauvais dessein la faveur populaire,
Doneroit à penser, où elle nullement,
660 Qu’un desir de loüange anime seulement.

THESÉE.

Otez à la vertu pareille recompense,
Un juste creve-cœur* de servir la dispense, [p. 243]
Elle ne porte plus ses agreables fruits
Dedans le champ ingrat de l’envie produits.

PIRITHOIS.

665 Adjoutez, que l’exploit admirablement rare,
Obtiendroit son guerdon* voire du plus barbare,
Mais icy le chemin plus facile à tenir,
Est, sauf meilleur avis, qu’on la face venir,
Celebrer à l’envy sur la palme obtenuë,
670 Sa recompense preste à même heure* tenuë,
En quelque privilege, ou remarque d’honneur,
Ainsy la comblez-vous de joye, & de bon-heur.

PLEXIPE.

O ! qu’elle sçaura bien sans qu’autre en ait la peine,
Sa loüange, & soudain pousser à forte aleine,
675 Le salaire de suite à point nommé requis,
Que sa presomtion jugera plus exquis.

MELEAGRE.

Une pluralité de sufrages suivie,
Contre tout ce qu’en vain repliqueroit l’envie,
Ma gloire du combat luy transporte sa part,
680 L’as tu point veuë Idmon, paravant* le depart ?

IDMON.

Oüy, Sire, & m’a prié de l’excuser, si lasse,
Que ses foibles genous tremblotans sur la place,
Une sueur perleuse* arrousoit le vermeil,
Du visage amoureux de ce jeune soleil !
685 Tu vois (m’at-elle dit,) que l’extrême contrainte,
Me tire sans congé d’avec leur troupe sainte, [p. 244]
Et le rapporteras fidellement au Roy,
Si par cas d’avanture il s’informe de moy.

MELEAGRE.

Va la treuver portant la hure* couronée,
690 Du monstrueux sanglier à sa valeur donée,
Ces mots précederont : belle Nymphe, recoy,
L’honorable present qui tient compris en soy,
Ta vertu, qu’une troupe immortelle préfere,
Et à qui notre Roy le triomphe défere,
695 Tu l’appendras* au temple, offrande si tu veux,
De la triple Déesse exorable* à tes vœux,
Apres, tourne legere au palais atenduë,
Une solennité jusqu’alors suspenduë,
Qui te comble d’honeur, & de contentement,
700 Or*sus*, voy d’aquiter ta charge promtement.

IDMON.

Sire, l’affection me donnera des ailes,
Mercure député de si bonnes nouvelles.

MELEAGRE.

Nous, l’hommage rendu que desirent les Cieux,
Du festin, passerons au repos gracieux.
[p. 245]

ACTE IV.

PLEXIPE, TOXÉE, CHŒUR DE FILLES, ATALANTE, MELEAGRE.

SCENE I.

PLEXIPE, TOXÉE.

PLEXIPE.

705 Tel affront enduré mon frere, nous ne sommes,
Que l’opprobre des Cieux, & la fable des hommes,
Ah ! chetifs* on a fait banqueroute à l’honneur,
Qui jadis nous tint lieu de souverain bon-heur,
Cét inique tyran que l’univers abhorre,
710 Et qu’un aveugle feu de luxure dévore,
L’arrache furieux, le volle entre les mains,
De ceux mêmes qui sont de sa mere germains*,
Repoussez, dédaignez, il ose temeraire,
Une fille honorer de ce brave salaire ;
715 Maniaque*, il offence un monde valeureux,
Sous le pretexte pris d’un coup avantureux,
Qu’extorqua la frayeur à sa belle effrontée,
Unique triomphant de la fere* domtée,
Unique à dépoüiller la commune moisson : [p. 246]
720 Non, plutost que cela passe de la façon,
Ma vie mille fois, & mille autres perduë
Luy coûtera du moins la depoüille rendüe,
L’infame dedans peu reparera ce tort,
Aprise à se sçavoir mesurer à son sort.

TOXÉE.

725 L’outrage* également sensible me transporte,
Du* regret incroyable à la fureur me porte,
Legitime fureur, qui ne peut s’alleger,
Paravant* que l’objet coupable sacager,
Qui survit à sa gloire, est indigne de vie,
730 Ou qui ne pouvant mieux ne la venge ravie :
Jà* le peuple idiot d’aparence deçeu*,
Croit semblable secours d’elle seule reçeu,
Ne bruit que sa valeur, qu’Atalante n’estime,
Nous comme ombres tenus au grade* plus infime,
735 Casaniers reputez, timides, faineants,
Plus à la volupté qu’à la gloire beants :
Mon frere, ne souffrons que l’erreur s’enracine,
Donons au mal naissant sa promte medecine,
Chacun son bien ravy par tout peut repeter,
740 Ainsy nous, ce beau fruit de force luy ôter.

PLEXIPE.

L’affection du Roy qui ne vit plus qu’en elle,
Sans doute épouseroit à l’heure* sa querelle.

TOXÉE.

L’affection du Roy ne r’animera pas,
Une ombre feminine envoyée au trépas. [p. 247]

PLEXIPE.

745 Le suplice en cela excederoit l’offence,
A l’endroit* d’une Vierge, ains* d’une pure enfance.

TOXÉE.

L’Aspic*, ou le vipere*, éteints ne font plus peur,
Et sa vie autrement nous est une vapeur.

PLEXIPE.

L’injure ne provient que de qui la guerdonne*,
750 Elle n’a point failly prenant ce qu’on luy donne.

TOXÉE.

Mais ce traitre animal une fois irrité,
Ne se rapaise plus.

PLEXIPE.

Tu dis la verité,
Toutefois n’épreuvons que tard la violence.

TOXÉE.

L’importune douceur croitra son insolence,

PLEXIPE.

755 Tant mieux, la force adonc* aura quelque raison,
Chaque chose donnée en sa propre saison.

TOXÉE.

Un Roy qui l’idolatre, un Roy qu’elle maitrise,
Plus soudain qu’averty nous fera lâcher prise.

PLEXIPE.

Permis alors aussy de disputer son droit.

TOXÉE.

760 Qui fier* au courous des amants se voudroit ? [p. 248]
Où leur pouvoir commande absolu sur la vie,
Où le sujet aymé ils pensent qu’on envie.

PLEXIPE.

Resolvons l’entreprise, & laisse à mon soucy,
Ce coup fait, le moyen de le rendre adoucy.

TOXÉE.

765 Donques s’adoucira du veneur qui le blesse,
Un lion, qui le va démembrer en la presse*,
Au surplus tel dessein s’effectüe à chercher,
Et où se treuvera le prix luy arracher.

PLEXIPE.

N’en doute pas, fût-elle au sein du temeraire
770 Qui devoit retenir ce superbe salaire,
Qui devoit contenter son ardeur, de se voir,
Dessur* la primauté nos suffrages avoir.

TOXÉE.

Semblable experience obvioit* au murmure,
De son superieur on tolere l’injure,
775 Du moindre, on ne la peut sensible digerer,
Mais resoute, avisons de ne plus differer.

PLEXIPE.

Suy-moy ne dépliant la force qu’à l’extrême,
Possible* à la raison docile d’elle même,
Qu’outre l’espoir conçeu la chose reüssit,
780 Chemin qui moins fâcheux nos rigueurs acourcit.
[p. 249]

SCENE II.

CHŒUR DE FILLES, ATALANTE, PLEXIPE, TOXÉE.

CHŒUR DE FILLES.

Vous semez les œillets, l’amarante, & les roses,
Une moisson de fleurs nouvellement écloses,
Sous ces pas, que l’on deust rebaiser adorez,
La couronne tissue à ces cheveux dorez,
785 Tressant d’une façon mignarde*, & curieuse,
N’appelle que ma main, ouvriere industrieuse*,
Comme principe*, à l’heur* du païs recouvert,
Sus*, mes sœurs, que la voix, & le courage ouvert,
Proferent gayement quelque Hymne, à la loüange,
790 D’une chaste Pallas, qui du monstre nous venge.

ATALANTE.

Rien moins, filles, cessez, le vouloir me sufit,
La gloire deuë au Roy du monstre déconfit :
Pareille recompense excede mon merite,
Donques en abuser insolentes, l’irrite :
795 Le sage sçait user d’un moderé compas*,
Et jamais à l’envie il ne seme d’appas*,
Jamais la vanité ne le force importune,
A prendre trop du vent de la bonne fortune : [p. 250]
Alons chaste troupeau, sans plus outre* atenter,
800 Chez la source du bien ce don representer.

CHŒUR.

Inique, ne présume obtenir ta demande,
Que respect, ou raison tes loüanges deffende,
Tant que du blond Phoebus les flâmes reluiront,
L’air, la terre, & les Cieux, dessous elles bruiront,
805 Nous les ferons passer jusqu’aux races dernieres,
L’univers éclairé de leurs belles lumieres,
Ta tombe comblera des honneurs immortels,
Elle aura ses parfums, ses Prestres, ses Autels,
Tu peux tout dessur* nous, hormis ce point, de faire,
810 Qu’on fraude la vertu de son juste salaire.

ATALANTE.

Ma dextre infirme, n’a qu’ébauché ce labeur,
Dont notre Roy s’aquiert le principal honneur,
Je ne suis d’un grand feu que la moindre étincelle,
De ce corps acomply que la moindre parcelle,
815 Outre que pareil coup, referable au hazart ;
Mais ses oncles vers nous tirent en cette part,
Une morne tristesse occupe leur visage,
Et ce farouche aspect rien de bon ne présage.

PLEXIPE.

Tu as mauvaise grace, ô Nymphe, à te vouloir,
820 Sur la gloire d’autruy jusques-là prévaloir,
Ce present accepté de le mettre en parade,
Quelle presomption folle te persuade,
Qu’aux dépens de l’honneur de tant de gens de bien, [p. 251]
Un si riche guerdon* puisse demeurer tien ?
825 Refrene à l’avenir une indiscrete audace,
Et fay qu’ore* envers nous sa borne elle ne passe.

ATALANTE.

Apres la volonté liberale du Roy,
Telle action demeure en immuable* loy.

TOXÉE.

Tu le dis, non pas nous, à qui ce rapt inique,
830 Ne peut autoriser un plaisir tyranique.

ATALANTE.

Le courage me l’a, non quelque brigue aquis,
Receu hors d’esperance, & premier* que requis.

PLEXIPE.

Tu inferes* de là ta valeur magnanime,
S’investir du present à titre legitime ?

ATALANTE.

835 Assez témoigneront, que selon le pouvoir,
Peu d’autres peuvent mieux aquiter ce devoir.

TOXÉE.

Volontiers, tu l’auras vaincu seule, impudente*,
Ateint d’un foible coup de ta flêche pendante ?

ATALANTE.

Onc* ma crédulité n’admettra ce forfait,
840 Nul autre que le Roy tel miracle n’a fait ;

PLEXIPE.

Tu veux gratifier un qui te gratifie,
Faveur qui rien de bon pourtant ne signifie, [p. 252]
Ne te garantira, présume le surplus,
Si de restituer tu nous refuses plus.

ATALANTE.

845 Onc* la peur n’extorqua chose à mon prejudice,
Et n’y a que le Roy qui reprendre le puisse.

TOXÉE.

Mon prophetique avis, dit bien que le plus seur,
N’estoit pas de tenir un chemin de douceur.

ATALANTE.

L’innocence ne craint ces menaces frivoles.

PLEXIPE.

850 Sus*, mon frere, passons à l’effet des paroles.

ATALANTE.

Me contraindre surprise, & me violenter,
Le courage plus mol, ne voudroit l’attenter.

TOXÉE.

Cela n’adviendra pas, moyennant qu’ostinée,
Tu ne resistes plus à une destinée.

ATALANTE.

855 Puisse, puisse premier* l’Erebe m’engloutir,
Que ma gloire trahië onques* le consentir.

PLEXIPE.

Malgré-toy, nous l’aurons, & lâche soudain prise.

ATALANTE.

Au secours Citoyens, on me force surprise.

CHŒUR DE FILLES.

Accourez-vîte, amis, des voleurs inhumains,
860 Dessur* qui vous libere osent mettre les mains. [p. 253]

TOXÉE.

Implore desormais* qui tu voudras, paillarde*,
Et renonce à la part du present qu’on te garde.

ATALANTE.

Ah ! traitres envieux, lâches, effeminez,
Indignes du Soleil, indignes d’estre nez,
865 Le Roy me vengera, mon unique deffence,
Sa grandeur plus que moy de l’injure s’offence ;
Allons, filles, venez, l’outrage* témoigner,
Et vos humides pleurs au besoin n’épargner.

CHŒUR.

Helas ! tu le peux croire, ateintes jusqu’en l’âme,
870 D’un rebelle forfait qui merite la flâme,
A qui l’extrême peur la parole a glacé,
Qui ne dirons que trop comme tout s’est passé,
Qui débiles* pour toy ne portons d’autres armes,
Que de sçavoir méler les prieres aux larmes.

ATALANTE.

875 Cela sufit, alons comme pleine d’effroy,
De ce pas, nous jeter ensemble aux piez du Roy.
[p. 254]

SCENE III.

MELEAGRE, ATALANTE, CHŒUR DE FILLES, PLEXIPE, TOXÉE.

MELEAGRE.

Beau pourtrait, imprimé dans mon cœur, qui respire,
Desormais s’asservir au joug de ton Empire,
Atalante, où es-tu ? Nymphe, hâte le pas,
880 Vien d’un Prince amoureux differer le trépas,
Ce même coup fatal deux victoires te done,
De Mars, & de Cypris, t’obtient double courone,
Ta celeste vertu conjointe à ta beauté,
Ne peuvent meriter moins qu’une Royauté,
885 Moins que ta part du sçeptre, ainsi que de ma couche,
Ah ! mon âme dé-ja vole dessur* ta bouche,
S’atache à ce corail, où un essein d’amours,
Décoche nouveaux traits, & se campe toujours,
Faveur petite, au pris de manier à l’aise,
890 Ces tertres, que decore une jumelle fraise,
Je tay le dernier point, qui du ressouvenir,
Me semble avoir dé-ja prévenu l’avenir ;
Me dérobe les sens, me transporte de joye ;
Dans un doux fleuve ateint de delices, me noye. [p. 255]
895 Vien Soleil amoureux, dissiper ce soucy,
O ! bons Dieux, toute en pleurs, & proche, la voicy
Un augure certain me frape la pensée,
D’où l’injure provient, qui l’auroit offensée,
Ma guerriere, ma sainte, hé ! quel sujet as-tu,
900 De ne joüir des fruits de ta rare vertu ?
Quiconque temeraire ose à elle se prendre,
S’asseure, qu’envers moy c’est lourdement méprendre,
Que sans exception de grade*, ma fureur,
Aux neveux le destine exemplaire terreur.

ATALANTE.

905 Chez votre Majesté, azile qui me reste,
Je me sauve des dents d’un monstre plus funeste,
Monstre plus redoutable, & mille, & mille fois,
Que l’autre à qui l’on a fait rendre les abois*,
L’Averne le conçeut dedans la nuit profonde,
910 Qui ne finira point que par la fin du monde :
L’infame nom d’envie, à sa rage convient,
De luy, mon deshonneur, & ma plainte provient,
Ses ministres choisis, ah ! dispensez-moy, Sire ;
Un respect envers eux, observe de plus dire.

MELEAGRE.

915 Parle chere maitresse, acheve hardiment,
Tu connoitras apres si ma parole ment.

ATALANTE.

Vos oncles, qui n’ont peu le faire par amorce*,
Ravissent outrageux* d’ouverte, & vive force, [p. 256]
L’honorable guerdon* qui me fût precieux,
920 Plus que de seoir au lieu de Junon dans les Cieux :
Prieres, ne raisons, ne repliques, n’excuses,
Les larmes, ny les cris, de ces filles confuses,
N’ont pû rompre le coup à ce mauvais dessein,
N’ont adoucy le fiel qui leur couvoit au sein,
925 Atalante chétive à present resolüe,
De ne survivre plus à sa gloire polüe.

MELEAGRE.

O Ciel ! as-tu pû voir un acte si pervers,
Sans les pousser ensemble aux Tartares ouverts,
Ces rebelles geans à l’âme déloyale,
930 Qui negligent, pervers, l’autorité Royale,
Qui foulent ma puissance, osent à son mépris,
Prendre où je l’ay doné ce victorieux pris.
Osent comme ennemis de la mere nature,
Violer son chef-d’œuvre en cette creature :
935 Barbares Lestrigons, courages de rocher,
Osez-vous sans tremeur* les reliques toucher,
D’un corps, divin sejour des vertus, & des graces,
Capable d’alumer la flâme dans les glaces,
Osoit votre manie* éprendre son courrous,
940 Avertis que le mien s’éclateroit sur vous.

CHŒUR DE FILLES.

Onc* spectacle ne fut à l’égal pitoyable,
Oncques* assacinat à l’égal effroyable,
Que votre Majesté se represente voir,
Deux loups une brebis tirasser* pour l’avoir, [p. 257]
945 Preste chaque moment de fournir butinée*,
Un repas sanguinaire à leur rage effrenée,
Non que la peur luy fit de visage changer,
Nous seules sans couleur tremblantes du danger.

MELEAGRE.

Idmon, tes soldats pris, viste qu’on les ameine,
950 N’importe, vifs, ou morts, mais sans excuse, à peine*,
Croiras-tu mon soucy qu’un soupçon m’a prédit,
L’origine du mal avant qu’on me l’ait dit,
Memoratif qu’au point de la palme adjugée,
Leur envie à ton los* abayoit enragée,
955 Redone à ce beau teint un gracieux printems,
Ta priere s’obtient plus que tu ne prétens,
Je veux qu’à genoux bas, d’une voix claire, & haute,
Ils impetrent* de toy le pardon de leur faute,
Le premier qui fera quelque difficulté,
960 Un suplice l’atend du destin consulté.

ATALANTE.

Sire, que mon sujet de rancœur ne vous done,
Contre ceux que le sang unit à la courone,
Las ! j’ayme beaucoup mieux ne m’en point ressentir,
Que l’ire* precipite engendre un repentir.

MELEAGRE.

965 Maxime, que l’estat préfere la tutelle,
De nos droits souverains à toute parentele, [p. 258]
Qu’agresseurs, tu n’encours aucun blâme, ha ! voicy,
Mes lions indomtez, qui froncent le sourcy ;
Comment, audacieux ? ma volonté connüe,
970 Dessur* la palme qu’a sa valeur obtenüe,
Avez-vous entrepris ce vol injurieux*,
Contre une autre Cypris, lâchement furieux,
Quelle raison solide opposée en deffence,
Peut ores* palier l’irreparable offence,
975 Dites, qui vous a meus de ravir sans égard,
Un droit que ma justice à sa gloire depart* ?

PLEXIPE.

La cause nous absout, qui parle d’elle-même,
En ce que tu luy peux doner ton Diadême,
Non pas le bien d’autruy, non pas l’honneur de ceux,
980 Que ton service n’a reconu paresseux.

MELEAGRE.

Mon service l’épreuve, ainsy que la patrie,
Utile dessur* tous qu’autre ne s’aparie*,

TOXÉE.

L’aveugle passion qu’un aveugle produit,
Nos esprits ocupez facilement séduit.

MELEAGRE.

985 Perfides, imposteurs, la verité palpable,
De telle passion me declare incoupable,
Une troupe immortelle en oracle premier*,
Voulut de ce beau pris sa valeur premier*.

PLEXIPE.

Oüy plus, ainsi qu’amis, qui desirent complaire, [p. 259]
990 Que pour ne la sçavoir indigne du salaire.

MELEAGRE.

O ! l’enorme malice, ô ! mensonge effronté,
Sans replique trois mots disent ma volonté.
Que la hure* luy soit entre les mains remise,
L’humble pardon requis de la force commise,
995 Faites tost, ce dessein n’admet aucun sejour.

TOXÉE.

Phoebus lors* ira naitre où va mourir le jour,
La belette sera des serpents lors* amie,
Que nous consentirons à pareille infamie.

MELEAGRE.

Si tel refus persiste une seconde fois.

PLEXIPE.

1000 Ta frivole menace aux esclaves tu dois,
Libres, & que la peur faciles n’épouvante,
N’espere que jamais superbe elle se vante.

MELEAGRE.

Rebelles, vous mourrez, voila trop de mépris,
Trop dessur* un Monarque à sa face entrepris.

PLEXIPE.

1005 O ! brutal, ô barbare, ô ! tyran parricide*,
Fuy mon frere, je tombe au gouffre Acherontide,
Ce suprême sanglot pousse l’âme dehors.

MELEAGRE.

A peine de le suivre en la plaine des morts,
Dépesche, ce refus te coûtera la vie. [p. 260]

TOXÉE.

1010 Tygre, ta cruauté m’oblige pousuivie,
Je veux qu’un même fer, & qu’une même main,
Rende mon sort semblable au sort de mon germain*,
Le Ciel, le juste Ciel, quelque vengeur nous garde,
Qui sur ta teste un jour, & dessur* ta paillarde*.

MELEAGRE.

1015 Ton sang nous purgera ce blaspheme outrageuse*,
Mâtin*, qui n’est sinon de l’aboy courageux.

ATALANTE.

Ha ! Sire, refrenez, la colere l’emporte,
Et pour le retenir je ne suis assez forte.

MELEAGRE.

Ces ravisseurs punis de leur temerité,
1020 Possedent justement le loyer* merité,
Mon vouloir maintenant n’a plus qui le contrôle,
Tu te peux desormais* fier en ma parole,
Tu pourras desormais* compagne de mon lit,
Dire que ta vertu, à ce grade* t’élit,
1025 Ne le consens-tu pas, chere âme de mon âme ?
Tu ne voudrois meurtrir un Roy qui te reclame.

ATALANTE.

Jaçoit que tel honeur passe ma qualité*,
Son refus sentiroit une brutalité,
Trop heureuse, le Ciel du tout*, en tout propice*,
1030 Si notre chaste hymen eut pris meilleur auspice.
[p. 261]

MELEAGRE.

Un acte de justice à ce commencement,
Plus agreable aux Dieux qu’aucun encensement,
Presage le contraire, & que tel hymenée,
N’aura que du cercüeil sa liesse* bornée,
1035 Alons, ma Reyne, alons, hâter ce doux effet,
Qui la sainte union de nos moitiez parfait*.

ACTE V.

ALTÉE, NOURICE, MELEAGRE, ATALANTE, IDMON.

SCENE I.

ALTÉE, NOURICE.

ALTÉE.

Implacables fureurs, que redoute l’Averne,
A ma plainte quitez votre horrible caverne,
Qu’une trêve aujourd’huy relâche le tourment,
1040 Aux esprits condamnez du triste Rhadamant,
Et plus qu’onques* là bas en colere alumées,
De fers, & de flambeaux, mieux que devant armées,
Qu’ores* sous ma conduite on vienne torturer,
Ce monstre scelerat qui ne peut empirer,
1045 Ce monstre issu de moy, qu’une impudique rage, [p. 262]
N’emancipe cruel à quelque simple outrage*,
L’execrable a polu* ses parricides mains,
Dans le sang innocent de mes propres germains*,
Un devoir filial n’a restreint sa manie*,
1050 Quel Busire conçeut pareille felonnie ?
Et quelle seureté nous reste desormais* ?
Nulle, fay donc saigner ta vengeance à jamais,
Assez forte, d’ailleurs le secours ne mendie,
Un moment acourcit sa trame desourdie,
1055 Un moment éteindra son adultere amour,
Qui vous prive à cette heure, ô mes freres, du jour.

NOURICE.

Moderez le courous épris dedans votre âme,
Perilleux conseiller, à qui le croit, Madame,
Domestique lion ses hôtes devorant,
1060 Qui farouche toujours à la raison se rent,
Je concede ce crime encore plus extrême,
Mais la mere, & le fils ne sont que chose même,
Et les brutes on voit mourir pour leurs petits,
Loin d’exercer sur eux de vengeurs appetits.

ALTÉE.

1065 Nature violée en ce meurtre, dispense*
Ma vindicte*, à l’effet du dessein qu’elle pense.

NOURICE.

Enfant, & Roy, bons Dieux ! perdez le souvenir,
De ce qui ne peut plus aussy bien n’avenir*.
[p. 263]

ALTÉE.

N’exiger du forfait un suplice capable,
1070 Sans doute me rendroit plus que l’auteur coupable.

NOURICE.

Jupiter seul punit les offences des Roys,
Absolus sur la vie, ainsy que sur les lois.

ALTÉE.

Cela n’empêche pas mon pouvoir sur la sienne.

NOURICE.

Que le respect d’un peuple innocent vous retienne,
1075 Ne le faites de pere en son Prince orphelin,
Acte trop impieux*, trop cruel, trop malin.

ALTÉE.

Luy ôter un tyran, m’oblige la patrie.

NOURICE.

Quoy ? le restaurateur de sa gloire flétrie ?
L’Alcide, qui le monstre a nagueres occis*,
1080 Qu’un beau los* dé-ja monte entre les Dieux assis.

ALTÉE.

Sa putain du combat remporte la loüange.

NOURICE.

Comme la passion le bon sens nous étrange,
Oncques* sujet moins sale, & moins voluptueux,
Un beau pair n’acoupla qui fut plus vertueux.

ALTÉE.

1085 Tu leur seras en fin partisane commune,
Et fautrice du coup qui cause ma rancune.
[p. 264]

NOURICE.

Vos germains* agresseurs précipitent leur mort,
Le Roy que d’un courous excessif n’a le tort.

ALTÉE.

D’un courous enragé, d’un courous, qui merite,
1090 La haine dans mon âme à sa ruine écrite.

NOURICE.

Le tems apaisera ce regret fraternel.

ALTÉE.

Oüy, son corps du tombeau le depost éternel.

NOURICE.

Voulez-vous adjouter dommage, sur dommage.

ALTÉE.

Retire-toy d’icy, je pardone à ton âge,

NOURICE.

1095 O pitoyables Dieux, rendez-luy la raison,
Saine, & sauve, gardant la Royale maison.

ALTÉE seule.

Seule, libre, qui n’as d’obstacle à l’entreprise,
Immuable*, poursuy ta conclusion prise,
Arrache à l’inhumain la lumiere du jour,
1100 Et les fruits ocieux* d’un idolatre amour,
Labeur facile à toy, qui possedes sa vie,
Dans le tison fatal des parques asservie,
Dans le tison fatal à ta garde commis,
Qui termine ses jours en la flâme remis.
1105 Sus*, alons le querir* ; tu retives* mon âme,
Et n’entens de l’Erebe une voix qui reclame,
Cheres ombres, cessez de me plus émouvoir, [p. 265]
Mon amitié vers vous bien tost se fera voir,
L’homicide* mourra, victime preparée ;
1110 Voicy qui maintenant vous la plege* assurée,
Quoy ? ma dextre tremblote, & fuit à l’aprocher,
Ce gage funereux* qu’elle n’ose toucher,
Un venin de serpent infus à son essence,
Luy done à mon avis telle oculte puissance,
1115 Ou plutost quelque instinct reprime ta fureur,
Simple, t’ébranles-tu d’un scrupuleux erreur ?
Tes freres égorgez de sa dextre assacine,
Tes freres parangons* d’une vertu divine,
Ne l’effroyerent pas, sus*, acheve, hé ! bon Dieu,
1120 Nullement, c’en est fait, la pitié n’a plus lieu,
Sacré bois, la faveur de ton secours j’implore,
Ainsy puisse perir, que le feu te devore,
L’homicide* inhumain, l’abominable chef,
Qui par sa cruauté s’attire ce méchef*.

SCENE II.

MELEAGRE, ATALANTE.

MELEAGRE.

1125 T’amuses-tu ma vie à ruminer craintive,
Dessur* la vision d’une ombre deceptive,
Change, change propos, & pour te divertir,
Vien de nouveaux baisers mes flâmes amortir, [p. 266]
Recomençons du jour une nuit amoureuse,
1130 Que ton humeur ainsy me déplaist langoureuse,
Au cas qu’elle persiste à me plus refuser,
Je m’en vay de mes droits absolument user.

ATALANTE.

Ma lumiere, mon tout, mon unique esperance,
Ce songe funereux*, portera d’asseurance*,
1135 Sa dure impression semble prédire exprés,
Nos Myrthes dedans peu convertis en Cyprés.

MELEAGRE.

Bien que ce tems perdu, redy ma souveraine,
Le motif oublié de ta creance vaine.

ATALANTE.

Une grave matrône, en équipage tel,
1140 Que la mere on depeint du Monarque immortel,
A pris ce me sembloit, (metamorphose énorme,)
De tygresse en un clin* l’épouventable forme,
Son petit d’avanture au spectacle present,
Dans une rouge flâme, & mortelle exposant,
1145 Preste de m’engloutir, à l’heure* qu’eveillée,
Palpitante de crainte, & de sueur moüillée,
Vos bras, mes doux liens, étroitement serrez,
Ont mes sens éperdus peu apres r’assurez.

MELEAGRE.

Folâtre, ce qu’on craint, ou ce que l’on desire,
1150 D’un faux crayon, Morphée au sommeil nous le tire,
Il en repaist l’esprit, qui ne repose point : [p. 267]
O Cieux ! quelle douleur profonde à coup* m’époint*,
Un feu de ma poitrine invisible s’empare,
Plus chaut que ne vomit le sommet de Lipare,
1155 Dieux ! comme un charme ardent se coule dans mes os,
Ardeur qui pourra bien s’en aler au repos.

ATALANTE.

Une étrange pâleur vous ocupe la face,
O miserable, helas ! de crainte je trépasse.

MELEAGRE.

Ne t’aflige mon heur*, tu me dones la mort,
1160 Ha ! ce mal furieux redouble son effort.

ATALANTE.

Sire, ne differez d’en chercher le remede,
Que nature vaincuë à sa force ne cede,
On ne peut prévenir trop tost les accidens.

MELEAGRE.

Tu dis vray, mon soucy, vous, sortez là dedans,
1165 Qu’icy nos medecins plus experts on assemble,
D’autres mettent au lit ce corps foible qui tremble,
Secourez mes amis votre Roy vistement*,
Où la parque le va ravir tacitement*.

ATALANTE.

Done je te suplie immortelle cohorte,
1170 Que ton ire* sur moy victime se transporte,
Que mon époux sauvé, tu ne m’épargnes pas,
A l’effroyable horreur du plus cruel trépas.
[p. 268]

SCENE DERNIERE.

ALTÉE, NOURICE, IDMON.

ALTÉE.

Le marchand qui malgré les orages, arrive,
Sa nef* de lingots pleine à sa natale rive,
1175 Le voyageur qui voit un brigand assacin,
Qui nagueres luy tint le poignard sur le sein,
Ses biens restituez, d’un bois patibulaire,
Recevoir en public le suplice exemplaire,
N’aproche comparé l’indicible soulas*,
1180 Que tu goûtes Altée, un meurtrier en tes lacs,
Que ta haine animeuse* épreuve l’allegeance*,
En la proche moisson que touche ta vengeance :
Or* la felicité parfaite qu’elle atteint,
Est qu’au même compas* que le tison s’éteint,
1185 Une flâme à loisir le rongeant languissante,
L’homicide* mourir de la sorte se sente,
Que la parque son fil retranche plusieurs fois,
Et qu’un long desespoir l’entretienne aux abois,
O ! l’heur* incomparable, ô ! la claire journée,
1190 Vien Nourice, vien voir ma tristesse bornée,
Ne sçay quelle faveur spéciale du Ciel,
L’amer de mon courous me convertit en miel.

NOURICE.

Miraculeux effet que la grace divine, [p. 269]
Ait si tost à vos maux doné la medecine,
1195 Qu’en cette passion violente qui fuit,
Elle vous ait au joug de la raison réduit.

ALTÉE.

La cause va cesser qui causoit ma rancune,

NOURICE.

Perdez entierement sa memoire importune,
Onc* vaincoeur genereux ne pardone à demy,
1200 Et apres le pardon ne hait son ennemy.

ALTÉE.

Tu dis vray, le cercüeil devore toute haine,
Haïr, seroit apres une torture vaine.

NOURICE.

L’ambage* de ces mots remplis d’obscurité,
Me fâche, dites-moy la pure verité.

ALTÉE.

1205 Elle te paroitra l’heure proche venuë.

NOURICE.

Tant y a, vers le Roy placable* devenuë,
Que l’on ne parle plus de se vouloir venger.

ALTÉE.

Non, car le sort jeté d’avis me fait changer.

NOURICE.

Dieux ! combien ce discours oblique me martelle.

IDMON.

1210 O perte à la patrie effroyable, & mortelle,
Pauvre Monarque éteint en la fleur de tes ans, [p. 270]
Que la rigueur du sort inique tu ressens.

ALTÉE.

O heureuse nouvelle, ô plus qu’heureuse Altée,
Recoy de ton exploit la courone aportée,
1215 A nous, Idmon, à nous, ne murmures-tu pas,
D’un inique tyran l’expiable trépas.

NOURICE.

Madame, parlez mieux, quelle rage incensée,
Poursuit à vous troubler la brutale pensée ?

IDMON.

Ha ! la voix me defaut*, sinistre* Messager,
1220 Du plus triste malheur qui vous puisse afliger.

ALTÉE.

Tu t’abuses, croyant ma débile* constance,
Au desastre préveu manquer de resistance,
Meleagre a suivy ses oncles immolez,
Est-ce là tant dequoy nous rendre desolez ?

IDMON.

1225 Tant que l’Empire meurt en ce Roy magnanime,
Pert avec luy son heur*, & sa gloire sublime,
Pert un sage patron, déplorable vaisseau,
Dont l’orage se jouë à la mercy de l’eau.

ALTÉE.

Le tems te purgera pareille erreur conçeuë,
1230 Fay sans plus le discours de sa tragique issuë.

IDMON.

La force, à ce recit lugubre me defaut*,
Toute l’âme d’horreur palpitante tressaut*, [p. 271]
Le pauvre Prince, helas ! plutost mort, que malade,
D’un charme, ou d’un poison, a trouvé l’embuscade,
1235 Surpris d’un mal à coup* ; qui peu à peu coulant,
De minute en minute, a cru plus violent,
Comme un cierge s’éteint la cire consomée,
La parque au sein l’a pris de son epouse aymée,
Qui Niobe soudain convertie en rocher,
1240 Ne sçauroit jamais plus de larmes étancher.

ALTÉE.

Va, poursuy ton chemin, j’ay ce que je demande,
O favorable Ciel, que ta justice est grande,
Que tu as adressé ce beau coup de ma main,
Coup, vers un parricide* encore trop humain,
1245 Coup, qui de l’univers merite des loüanges,
Et de renom voler aux terres plus étranges,
Afin de retenir sous le frein du devoir,
Quiconque le permet pardessus son pouvoir,
Quiconque ne sçait pas comme* un sçeptre on manie,
1250 Sur ses propres parents paissant sa tyrannie.
Or* la victime offerte à vos manes heureux,
Reposez sous le frais des Myrthes odoreux,
Recevez-la propice*, ô venerables ombres,
Compagne, m’atendant dans les campagnes sombres,
1255 Où dans peu, votre düeil precipite mes pas,
Car de vivre sans vous, m’est pis que le trépas.