Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
1
2
3
4

 

Antoine Jacob Montfleury. Le Gentilhomme de Beauce. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 51 sc. 602 répl. 2,2 l. 1 314 l. 1 314 l. 45 % 2 963 l. (100 %) 2,3 pers.
M 31 sc. 197 répl. 3,3 l. 997 l. (76 %) 646 l. (50 %) 65 % 2 245 l. (76 %) 2,3 pers.
CLIMENNE 18 sc. 101 répl. 1,9 l. 702 l. (54 %) 190 l. (15 %) 28 % 1 674 l. (57 %) 2,4 pers.
LEANDRE 8 sc. 36 répl. 2,0 l. 174 l. (14 %) 71 l. (6 %) 41 % 567 l. (20 %) 3,3 pers.
LE BASQUE 15 sc. 111 répl. 1,2 l. 357 l. (28 %) 132 l. (11 %) 37 % 873 l. (30 %) 2,4 pers.
BEATRIX 22 sc. 104 répl. 1,7 l. 520 l. (40 %) 182 l. (14 %) 35 % 1 416 l. (48 %) 2,7 pers.
UN GASCON 4 sc. 36 répl. 1,7 l. 118 l. (9 %) 63 l. (5 %) 54 % 290 l. (10 %) 2,5 pers.
MARTIN 2 sc. 11 répl. 2,1 l. 46 l. (4 %) 24 l. (2 %) 52 % 87 l. (3 %) 1,9 pers.
CHAMPAGNE 3 sc. 6 répl. 1,2 l. 50 l. (4 %) 7 l. (1 %) 15 % 123 l. (5 %) 2,5 pers.
Antoine Jacob Montfleury. Le Gentilhomme de Beauce. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
M 92 l. (100 %) 8 répl. 11,4 l. 8 sc. 91 l. (7 %) 1,0 pers.
M
CLIMENNE
354 l. (74 %) 70 répl. 5,1 l.
130 l. (27 %) 65 répl. 2,0 l.
8 sc. 483 l. (37 %) 2,4 pers.
M
LEANDRE
13 l. (44 %) 7 répl. 1,8 l.
17 l. (57 %) 7 répl. 2,4 l.
3 sc. 29 l. (3 %) 3,7 pers.
M
LE BASQUE
102 l. (56 %) 65 répl. 1,6 l.
82 l. (45 %) 68 répl. 1,2 l.
8 sc. 183 l. (14 %) 2,4 pers.
M
BEATRIX
32 l. (39 %) 25 répl. 1,3 l.
51 l. (62 %) 22 répl. 2,3 l.
10 sc. 82 l. (7 %) 3,0 pers.
M
UN GASCON
28 l. (67 %) 15 répl. 1,8 l.
15 l. (34 %) 16 répl. 0,9 l.
1 sc. 42 l. (4 %) 3,0 pers.
M
CHAMPAGNE
29 l. (81 %) 7 répl. 4,0 l.
7 l. (20 %) 6 répl. 1,2 l.
3 sc. 35 l. (3 %) 2,5 pers.
CLIMENNE 5 l. (100 %) 2 répl. 2,3 l. 2 sc. 5 l. (1 %) 1,0 pers.
CLIMENNE
LEANDRE
26 l. (46 %) 10 répl. 2,5 l.
31 l. (55 %) 12 répl. 2,5 l.
5 sc. 55 l. (5 %) 3,4 pers.
CLIMENNE
LE BASQUE
4 l. (78 %) 3 répl. 1,2 l.
2 l. (23 %) 2 répl. 0,5 l.
2 sc. 5 l. (1 %) 2,9 pers.
CLIMENNE
BEATRIX
27 l. (35 %) 18 répl. 1,5 l.
51 l. (66 %) 19 répl. 2,6 l.
5 sc. 77 l. (6 %) 2,9 pers.
CLIMENNE
UN GASCON
2 l. (10 %) 3 répl. 0,4 l.
12 l. (91 %) 4 répl. 2,8 l.
1 sc. 13 l. (1 %) 3,0 pers.
LEANDRE
LE BASQUE
5 l. (54 %) 4 répl. 1,2 l.
5 l. (47 %) 4 répl. 1,1 l.
3 sc. 9 l. (1 %) 3,0 pers.
LEANDRE
BEATRIX
20 l. (42 %) 13 répl. 1,5 l.
27 l. (59 %) 15 répl. 1,8 l.
5 sc. 46 l. (4 %) 3,4 pers.
LE BASQUE
BEATRIX
45 l. (53 %) 37 répl. 1,2 l.
40 l. (48 %) 39 répl. 1,0 l.
7 sc. 85 l. (7 %) 2,7 pers.
BEATRIX 8 l. (100 %) 2 répl. 3,9 l. 2 sc. 8 l. (1 %) 1,0 pers.
BEATRIX
UN GASCON
7 l. (64 %) 7 répl. 1,0 l.
4 l. (37 %) 5 répl. 0,8 l.
2 sc. 11 l. (1 %) 3,0 pers.
UN GASCON 12 l. (100 %) 1 répl. 11,3 l. 1 sc. 11 l. (1 %) 1,0 pers.
UN GASCON
MARTIN
23 l. (55 %) 10 répl. 2,2 l.
19 l. (46 %) 10 répl. 1,9 l.
1 sc. 41 l. (4 %) 2,0 pers.
MARTIN 5 l. (100 %) 1 répl. 4,9 l. 1 sc. 5 l. (1 %) 1,0 pers.

Le Gentilhomme de Beauce. Comédie

Antoine Jacob MontfleuryÉlodie BénardGeorges ForestierÉdition critique établie par Élodie Bénard dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2003-2004)

Autres contributions

Amélie Canu : Édition XML/TEI.
Frédéric Glorieux : Informatique éditoriale.
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne)http://bibdramatique.paris-sorbonne.fr/montfleury_gentilhomme-beauce/teihtmltextepub
Le Gentil-Homme de Beauce, Comédie, par A. J. Mont-Fleury, À Paris, Chez Jean Ribou, au Palais, vis-à-vis la porte de l'Église de la Sainte Chapelle, à l'image S. Loüis. M. DC. LXX. Avec Privilège du Roy.
Comédie

LE GENTIL-HOMME
DE BEAUCE,
COMEDIE.

A LEURS ALTESSES SERENISSIMES
MESSEIGNEURS
LES PRINCES
DE BRUNSWIK
ET
DE LUNEBOURG.

MESSEIGNEURS,

Ne Vous estonnez pas de l’hommage que le Gentil-homme de Beauce va rendre à vos ALTESSES SERENISSIMES, ce campagnart* est tellement fier du bon-heur* qu’il eu de paroistre aux yeux de nostre Grand Monarque, qu’il ne peut s’imaginer qu’il soit tout-à-fait indigne de paroistre aux vostres, quelque soin que je prenne à l’en détourner, je me vois contraint de l’abandonner à son opiniâtreté ; & quelque reflexion que je face sur ses défauts, je ne puis me dispenser de donner quelque chose à mon zele : Je me suis en vain efforcé de mettre devant ses yeux tout ce qui le devoit intimider, de luy dire qu’il alloit s’exposer aux yeux de trois Princes si éclairez, si galans* & si accomplis, que l’ouvrage le plus parfait meriteroit à peine l’honneur de leur estre offert, & que si l’indulgence qu’on a eüe pour luy à Paris, l’a fait trouver supportable ; le juste discernement que vos ALTESSES SERENISSIMES sçavent faire de toutes choses, luy devoit faire perdre l’envie de sortir de son pays. Ces considerations l’auroient peut-estre fait rentrer en luy-mesme, si les merveilles que la renommée publie icy de vous chaque jour, ne luy avoient donné autant de curiosité que d’étonnement : Il a sceu par sa voix que l’Allemagne a produit en vos A.S. trois Princes aussi Illustres par leur merite que considerables par leur Rang, aussi redoutables par leur Valeur, que Glorieux par leurs Victoires, aussi admirables par leur Prudence, que étonnans par la vivacité de leur Esprit, & aussi remarquables par leur Magnificence qu’extraordinaires par leur generosité*. Il a sceu que la bonté vous est aussi naturelle que la justice, & n’a pû s’imaginer que la facilité que vous avez à connoistre les défauts, détruise en vos A.S. le penchant qu’elles ont à les excuser. Voilà le digne sujet* de son empressement, voilà ce qui peut justifier sa hardiesse ; & j’ose dire sans la vouloir authoriser, que la curiosité n’est pas tout-à-fait blâmable quand elle est aussi bien fondée. En effet, MESSEIGNEURS, ce n’est qu’en vostre seule Cour où la nature prodigue de Heros, fait voir en trois Illustres Freres, trois Princes dont l’union & les Vertus éclatantes donne de l’admiration à tout le reste du Monde ; ce n’est qu’en vos A.S. que le Ciel a doüé trois Freres de tout ce qui peut rendre trois Princes également parfaits, & ce n’est qu’à chacun de vous seuls en particulier, à qui le Ciel a donné deux Princes & deux Heros pour Freres. Je sçais bien que je me pouvois empécher d’avoir part à la temerité du Provincial que je vous offre, que je luy pouvois refuser mon aveu*, & que si son bon-heur* le conduisoit en Allemagne, je le pouvois laisser aller en vagabond, en une Cour où ses défauts ne peuvent avoir que vos bontez pour azile : Mais si la raison me le conseilloit, ma reconnoissance n’a pu s’y resoudre, & les biens-faits que vous avez tous si genereusement répandus sur une partie de nostre famille, vous ont tellement acquis l’autre, que j’ayme mieux vous faire un present si peu digne de vous, que de ne pas publier par tout la passion* respectueuse avec laquelle je suis,

DE VOS ALTESSES SERENISSIMES,

MESSEIGNEURS,

Le tres-humble & tres obeissant serviteur.

MONT-FLEURY.

Extrait du Privilege du Roy.

Par Grace & Privilege du Roy, donné à Paris le 7. jour de Septembre 1670. Signé par le Roy en son Conseil, le Rouge : Il est permis au Sieur Mont-Fleury de faire imprimer, vendre & debiter une Piece de Theatre intitulée, Le Gentil-homme de Beauce, fait par ledit sieur de Mont-Fleury ; Et ce durant le temps de cinq ans, à commencer du jour qu’il fera achevé d’imprimer pour la premiere fois : Et deffenses sont faites à tous Libraires & Imprimeurs, d’imprimer, faire imprimer, vendre & debiter ladite Piece, sans le consentement de l’exposant, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de cinq cens livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous despens*, dommages & interests, ainsi qu’il est porté plus au long par ledit Privilege.

Et ledit sieur de Mont-Fleury a cedé son droit de Privilege à Anne David Femme de Jean Ribou, suivant l’accord fait entr’eux.

Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arrest de la Cour de Parlement, le 18. Septembre 1670.

Signé, L. SEVESTRE, Syndic.

Les Exemplaires ont esté fournis.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 18. jour de Septembre 1670.

NOM DES ACTEURS.

  • M. DE COUTRE-VILLE.Gentil-homme Beauceron, Amant* de Climenne.
  • CLIMENNE.
  • LEANDRE.Amant* de Climenne.
  • LE BASQUE.Valet de Leandre.
  • BEATRIX.Suivante de Climenne.
  • UN GASCON.
  • MARTIN.
  • CHAMPAGNE.Lacquais de Climenne.
La Scene est à Paris dans une Sale chez Climenne.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

CLIMENNE, BEATRIX.

BEATRIX

Quoy vous espouseriez ce cousin ? ce magot* [p. 1, A]
Supplanteroit Leandre & vous ne diriez mot ?
Ce pied-plat* qui se plaint* habits, souliers & chausse,
En un mot ce bouru Gentil homme de Beauce,
5 Parce qu’il a du bien croit ce cœur destiné, [p. 2]
Au Seigneur campagnard d’un hameau ruiné ?
Qu’à le suivre en Province une fille s’engage ?
Ma foy c’est pour son nez ; qu’il aille en son village,
Conter ses poulets-d’inde* & qu’il nous laisse en paix.

CLIMENNE

10 Ma mere dans son bien a trouvé tant d’attraits,
Qu’elle veut de mon cœur forcer la repugnance,
Et luy pour m’épouzer n’attend qu’une dispense,
Estant logé chez-nous…

BEATRIX

Il est vray qu’il est bon,
Il est icy venu debarquer sans façon*,
15 Et depuis empaumant* nostre mere eternelle,
Il fait dans la maison le maistre bien plus qu’elle ;
Car souvent pour un rien, il nous menace tous,
Ou de mettre dehors ou de donner cent coups,
Lors que je me remets* son burlesque visage*,
20 Sa monture, son train*, & tout son equipage*,
Et l’air* dont ce mâtin* vous vint sauter au cou,
Je ne puis m’empescher d’en rire tout mon sou.

CLIMENNE

Il s’est fait habiller.

BEATRIX

Ouy, mais ce lunatique
Avec son habit neuf sent* sa medaille* antique,
25 Son tailleur avec luy pensa perdre l’Esprit
Quand il le fit venir, & touchant* cet habit,
Ce bouru mesprisant ses avis* & les nostres,
N’a pas voulu qu’en rien il fust semblable aux autres,
Il dit que ses ayeuls estoient ainsi vestus,
30 Et qu’il veut imiter leur mode & leurs vertus,
A propos dites-moy, Madame je vous prie.

CLIMENNE

Quoy ? [p. 3]

BEATRIX

Quand pretendez*-vous tirer la lotterie ?
Vous disiez…

CLIMENNE

Pas si tost.

BEATRIX

Et pourquoy ?

CLIMENNE

Pour raison.

BEATRIX

J’ay de voir mes billets grande demangeaison,

CLIMENNE

35 Je le crois, mais apprens pour te voir satisfaite,
Pourquoy je la differe, & pourquoy je l’ay faite,
Depuis que pour mes maux ce cousin est chez-nous,
Je n’osois voir personne, & sous ce nom d’époux,
Il m’obsedoit* par tout, & pour voir compagnie*,
40 J’ay comme tu le vois fait une lotterie.
Tâche à trouver Leandre, anime son espoir,
Sous pretexte d’y mettre il peut me venir voir,
Qu’il mette un jour pour luy, le landemain pour d’autres,
Et les soins* de l’amour seconderont les nostres.

BEATRIX

45 Il est vray qu’à l’aspect du cousin, vos amis,
Ont en fort peu de temps deserté le logis,
Car vous aviez toûjours fort bonne compagnie*,
Cela vous tient au cœur, mais depuis leur sortie,
N’avez-vous rien appris du pauvre Chevalier ?
50 D’Alchante ? de Damon ? car pour le Maltostier*,
Il est mort.

CLIMENNE

Je souffrois* ces gens par bien-seance, [p. 4]
Et de Leandre seul je regrette l’absence.

BEATRIX

Si vous la regrettez, j’y perd beaucoup aussi,
Le Basque son valet n’ose venir ici,
55 Je l’aimois, & je sçais qu’il m’ayme avec tendresse*.

CLIMENNE

Dis luy si tu le vois qu’avec un peu d’adresse…

BEATRIX

J’y suis interessée & diray ce qu’il faut.

SCENE SECONDE.

CLIMENNE, BEATRIX, LE GASCON.

LE GASCON

Hola, quelqu’un, lacquais faut il monter en haut ?
Personne ne respond.

BEATRIX

J’entens quelqu’un qui crie.
60 Que vous plaist-il, Monsieur ?

LE GASCON

Et dont la lotterie,
Je porte icy d’argent.

BEATRIX

Pour combien de billets.

LE GASCON

Pour douze, mais ou sont vos gens* ou vos valets,
Qui donne ces billets ? seroit-ce quelque fame ?

BEATRIX

Non, c’est le Precepteur du frere de Madame.

LE GASCON

65 Il s’appelle ? [p. 5]

BEATRIX

Martin.

LE GASCON

Habille ?

BEATRIX

Pas tant sot.

LE GASCON

Je voudrois qu’il m’apprit à gagner un gros lot,
Je m’en suis desja fait pour cinquante pistoles*,
Dieu me damne, & je dis ceci sans hiperboles,
J’avois trente billets chez Madame du Bois,
70 Chez Monsieur du Buisson, j’en avois vingt & trois
J’en avois douze, chez Madame la Fontaine,
Chez Monsieur de la Vigne encor autre douzaine :
J’ay pris tous billets blancs ; il faut voir jusqu’au bout.

CLIMENNE

Vous estes mal-heureux en lotterie.

LE GASCON

En tout,
75 Si pour m’indamniser j’estois heureux en belles,
Je m’en consolerois.

CLIMENNE

Vous sont-elles cruelles ?

LE GASCON

Il ne tiendra qu’à vous de m’apprendre que non,
Vous riez. Vous voyez que je suis sans façon*,
Tous nous autres Gascons sommes francs.

CLIMENNE

Je l’advouë.

LE GASCON

80 Loin de nous en blâmer, un chacun nous en louë,
Vos lots seront-ils gros ?

SCENE III.

LE GASCON, LE BEAUCERON,
CLIMENNE, BEATRIX.

LE BEAUCERON. à part

Quel est cet évelier* ? [p. 6]

LE GASCON

Vostre fons* est-il grand ?

LE BEAUCERON

Le drôle* est familier.

BEATRIX

Ouy, jusques à present le fonds* en est passable,
Beaucoup de gens ont mis, & la somme est notable :
85 Mais comme à la tirer on n’est pas encor prest,
Il peut avec le temps estre plus grand qu’il n’est,
Pour la fidelité…

LE GASCON

Je connois bien Madame,
Je suis vostre voisin, & j’y mettrois mon ame,
Si son cœur me pouvoit venir pour un gros lot.

LE BEAUCERON. à part

90 Ils jaseront toûjours si je ne leur dis mot.

BEATRIX. à Climenne

Voicy vostre cousin & vous aurez aubade.

LE GASCON. l’embrassant

Ah ! Monsieur.

LE BEAUCERON

Et mort-bleu d’où vient donc l’embrassade ?
La peste vous estouffe avec vostre jargon*.

LE GASCON

Monsieur de Coutreville… [p. 7]

LE BEAUCERON

Il est vray c’est mon nom.

LE GASCON. l’embrassant

95 Vous ne connoissez* plus vos amis.

LE BEAUCERON

Et de grace.
Laissez-moy prendre haleine, & vous revoir en face,
Voulez-vous m’estouffer, enfin je vous connois ?

LE GASCON

Sans doute.

LE BEAUCERON

Et depuis quant ?

LE GASCON

Depuis plus de dix mois.
Vous estes Beauceron volontiers,

LE BEAUCERON

Je le pense,
100 C’est un galand* qui cherche à faire connoissance.

LE GASCON

J’estois, & vous m’allez connoistre* asseurement,
Capitaine, & Major, dans certain Regiment,
Qui passa l’an dernier dedans vostre village.

LE BEAUCERON

Ah ! ouy, les grands fripons !

LE GASCON

On fit quelque ravage,
105 J’en demeure d’accord, mais je fus des premiers…

LE BEAUCERON

Vous estes donc Monsieur de ces avanturiers ?
De ces ames de feu ? de poudre ? & de salpestre ?
De ces gens avec qui chez soy l’on n’est point maistre ?
Qui ne suivez en tout que vostre passion* ?
110 Et qui voulez par tout estre à discretion ?
Dont l’esprit emporté, comme vostre regarde, [p. 8]
Du noble campagnard* la femme campagnarde ?
Qui vous apprivoisant* des la seconde fois,
Mettez effrontement un honneur* aux abois ?
115 N’employez tous vos soins* qu’à gaster* un ménage,
Et n’estes point content que le mary n’enrage ?

LE GASCON

Espargnez vos amis.

LE BEAUCERON

Apprenez que je suis,
Ennemy capital de semblables amis ;
Mais enfin dites-nous quel motif vous amenne ?

LE GASCON

120 Je viens pour des billets, & rencontrant Climenne,
J’ay pris occasion…

LE BEAUCERON

C’est donc assez jaser,
Qui vient pour des billets ne vient pas pour causer,

LE GASCON

Mort-bleu j’ayme le sexe*, & ma joye est extrême,
Quand je trouve…

LE BEAUCERON

Tout doux.

LE GASCON

Sçachez…

LE BEAUCERON

Sçachez vous-mesme,
125 Si vous ne le sçavez, que vous voyez en nous,
Le cousin de Climenne, & son futur Epoux ;
Que je me dois dans peu marier avec elle,
Et me voir gouverneur de cette citadelle ;
Que je veux pour briser toute autre liaison,
130 Y mettre mon honneur* bien-tost en garnison.
Qu’estant noble, & Seigneur d’une assez belle terre, [p. 9, B]
Mon logement doit estre exempt de gens [de] guerre,
Et qu’enfin je pretens* en cette qualité,
Que je puis faire nargue à la majorité.

LE GASCON

135 Suffit je vous entens*.

LE BEAUCERON

C’est ce que je demande,
Cherchez fortune ailleurs.

LE GASCON

La faute n’est pas grande,
Je le veux, c’est assez m’en dire sur le point ;
Mais ce Monsieur Martin, il est là haut non point ?

LE BEAUCERON

Je le crois.

LE GASCON

Prés de luy je m’en vais donc me rendre.

LE BEAUCERON. à Beatrix

140 Et par l’autre escalier qu’on le face descendre.

SCENE IV.

LE BEAUCERON, CLIMENNE.

LE BEAUCERON

Enfin vous voulez donc en tous lieux & toûjours,
De vostre humeur* galante* entretenir le cours ?
Voir toûjours près de vous quelque face chocquante*,
Pour moy futur Espoux de femme trop galante* ?
145 Et que je trouve icy toûjours malgré ce rang,
Quelque nouveau transi qui m’échaufe le sang ?
Quelque diseur de rien, de qui l’ame cocquette*, [p. 10]
Sçache à brûle pour-point tirer une fleurette* ?
Qui vous serre les mains, & qui pour mes pechez,
150 Vous parle incessamment à quatre doits du nez ?

CLIMENNE

Comme je suis chez-moy, je crois par bien-seance,
Ne pouvoir me parer de quelque complaisance,
Et principalement, lors que je vois des gens,
De qui la mine*, & l’air*, exigent…

LE BEAUCERON

Je pretens*,
155 Qu’on peut payer* ces gens malgré la bien-seance,
D’un adieu bien succint & d’une reverence.
Mais je voy ce que c’est la belle, vous aymez
Ces Messieurs à fracas*, ces galans* parfumez ;
Vostre mondain esprit, aime avoir de ces hostes,
160 Dont les bras chamarrez vous chamarent les costes,
Et l’on est bien venu lors que l’on est paré,
D’un point* Venitien ou manufacturé,
Moy qui ne suis pas fait sur de pareils modelles…

CLIMENNE

Mais enfin…

LE BEAUCERON

Mais enfin je sçay de vos nouvelles.

CLIMENNE

165 La lotterie attire icy beaucoup de gens,
Et la porte doit estre ouverte à tous venans,
Et vous voyez s’il est aisé qu’on s’en défende.

LE BEAUCERON

Il est vray que jamais rage ne fut plus grande,
Ouy, je croy qu’en effet le monde devient fou,
170 On se bat pour donner jusques au dernier sou ;
Je vois des gens tres-cours d’argent, & de resource,
Qui viennent en fureur* prostituer leur bourse,
Et s’empressent si fort, qu’ils semblent en effet, [p. 11]
Apporter à serrer* un larcin qu’ils ont fait.
175 J’en sçais qui ne sçauroient outre toutes ces peines*,
Payer un numero sans jeûner trois semaines,
Qui depuis le matin dînant d’un peu d’espoir,
Leur argent à la main, attendant jusqu’au soir :
Pour pouvoir emporter, sans se lasser d’attendre,
180 Un morceau de papier griffonné, qu’ils vont prendre,
Chez des gens plus fins qu’eux qu’ils croyent assez sots,
Pour les gratifier bonnement des gros lots,
A-t-on jamais parlé d’une telle folie ?

CLIMENNE

Vous avez cependant imité leur manie* :
185 Et pris quatre billets chez Oronte.

LE BEAUCERON

D’accord,
Mais celle-là n’a point aux autres de rapport ;
Et je m’en sçais bon gré, bien-loin que je m’en blâme,
L’interest ne sçauroit toucher cette grande ame ;
C’est pour un cœur si noble un sentiment trop bas,
190 Tout s’y fera dans l’ordre & je n’en doute pas.

CLIMENNE

On peut ailleurs aussi…

LE BEAUCERON

Vostre erreur est extrême.

CLIMENNE

C’est vostre sentiment*, pour mettre ailleurs de même ;
Le peuple a ses raisons.

LE BEAUCERON

Le peuple a ses raisons ?
Et mort-bleu que fait-on des petites maisons.

CLIMENNE

195 C’est un lieu trop petit pour tous les foux de France.

LE BEAUCERON

Ah ! si sur le public* j’avois quelque puissance, [p. 12]
Qui m’en fit ménager le bien, ou l’interest,
Le peuple deviendroit plus ménager* qu’il n’est,
Ou du moins…

CLIMENNE

Que feroit vostre humeur* prevoyante,

LE BEAUCERON

200 Moy ? je mettrois l’argent de tous ces fous en rente ;
Et je ferois donner au pere, ou bien au fils,
De vingt ans, en vingt ans, autant qu’ils auroient mis.

CLIMENNE

Cela seroit fort beau*.

LE BEAUCERON

Mais dites-moy de grace.
Cet embarras* est grand, n’en estes-vous point lasse ?
205 A chaque instant du jour un lacquais effaré,
Monte le nez cassé, son habit déchiré :
Un autre sans chapeau, peigné de bonne sorte,
Nous vient dire en pleurant qu’on a forcé sa porte,
Les gens qui l’ont forcée entrent comme des fous,
210 Et l’on diroit enfin à les voir courir tous,
Et faire chaque jour pareille violence,
Qu’ils auroient aux talons tous les Prevosts de France.

CLIMENNE

Mais j’y suis engagée, il faut voir jusqu’au bout,
Laisser passer la foule, & se resoudre à tout,
215 Pourrois-je l’empescher enfin, quoy que je fisse ?

LE BEAUCERON

Le Beau* doute.

CLIMENNE

Et comment ?

LE BEAUCERON

Il faut avoir un Suisse,
Mettre en teste à ces gens un hardaut* sans pitié, [p. 13, C]
Qui dessus leur argent soit le premier payé.

CLIMENNE

C’est un autre embarras*, il seroit necessaire…

BEATRIX

220 Madame, j’en sçais un qui sera vostre affaire.

CLIMENNE

Où le prendre ?

BEATRIX

Il demeure à vingt pas du logis,
Il est nouvellement venu de son païs ;
On n’entend* presque rien de tout ce qu’il veut dire,
Il est si plaisamment vestu qu’il en fait rire,
225 Madame, il est mutin*, parle fort son jargon*,
Et n’entend* à le voir ny rime ny raison,
Il frape comme un sourd, ne cherche qu’à se battre,
Il est fort comme deux, & méchant* comme quatre,
Avec sa mine* froide il a le sang fort chaud.

LE BEAUCERON

230 Bon, voilà justement le Suisse qu’il nous faut.

BEATRIX

Je vous le feray voir.

LE BEAUCERON

Au plûtost, sa presence…
A propos le Gascon n’est pas sorty je pense.
Il cherche à s’introduire ou j’en ay mal jugé ;
Je vais s’il ne l’est pas luy donner son congé.

SCENE V.

CLIMENNE, BEATRIX.

CLIMENNE

235 De quoy t’es tu meslée ? est-ce pour mon supplice, [p. 14]
Que tu veux t’ingerer de nous donner un Suisse ?
Je ne puis voir Leandre, & n’est ce pas assez ?…

BEATRIX

Je me sers, & vous sers plus que vous ne pensez,

CLIMENNE

Comment ? s’il est ainsi, fais-le moy donc connoistre.

BEATRIX

240 Si j’en veux au valet vous en voulez au Maistre,
N’est-il pas vray ?

CLIMENNE

D’accort.

BEATRIX

Et le Basque est celuy,
Que je pretens* pour Suisse introduire aujourd’huy.

CLIMENNE

As-tu perdu l’esprit ? le grossier artifice*,
Crois-tu qu’il puisse prendre un Basque pour un Suisse ?
245 En le faisant parler…

BEATRIX

Il contre fait si bien
Le Suisse, que jamais on n’y connoistra* rien,
Vous jugerez bien-tost de ce que j’en puis dire,
Ce folastre ceans* m’en a cent fois fait rire,
Personne ne l’a veu qui ne s’y soit trompé,
250 Et je ne doute pas qu’il n’y soit attrapé.
Je m’en suis avisée* à propos, & Leandre, [p. 15]
Sans cela prés de vous eust eu peine à se rendre,
Si le Cousin eust pris sans nous en advertir,
Un Suisse, il eust falu se resoudre à pâtir.

CLIMENNE

255 Pour avoir le valet tasche à trouver le Maistre,
Tu luy diras.

BEATRIX

J’y cours, mais je le vois paroistre.

SCENE VI.

LEANDRE, CLIMENNE, BEATRIX.

LEANDRE

Je trouve en mon mal-heur quelque chose de doux,
Puis qu’il permet encor que j’approche de vous,
Ce moyen de vous voir que le hazard m’envoye,
260 Suspend mon desespoir & fait place à ma joye,
Mais qu’elle est imparfaite, & qu’un cœur alarmé*,
Sent de maux quand il pert ce qu’il a tant aimé.
L’époux qu’on vous destine a peu dequoy vous plaire,
Madame, pourrez vous l’espouser & vous taire ?
265 Et sans faire éclater* luy donnant vostre foy*,
Quelque reste des feux que vous sentiez pour moy.

CLIMENNE

On veut que je l’épouse, & cet ordre me tuë,
Mais la dispense enfin n’est pas encor venuë ;
L’amour jusqu’à ce temps pourra faire pour nous…

LEANDRE

270 Mais s’il faut qu’elle vienne il sera vostre époux.

CLIMENNE

Ne vous alarmez* point, quoy que sa flame éclate*, [p. 16]
Et souffrez* jusques là qu’un peu d’espoir nous flate*

LEANDRE

De quel espoir helas ! flater* ma passion ?

BEATRIX. les separant

Que de discours, voicy dont il est question,
275 Pour empescher qu’ici la foule ne se glisse,
Le cousin Beauceron, veut que l’on prenne un Suisse,
Vous sçavez que le Basque est un original,
Qui le contre-fait bien.

LEANDRE

Il ne le fait pas mal,
Mesme de ce jargon* s’est fait une habitude,
280 Le drôle* a de l’esprit, & mesme un peu d’estude,
Il est plaisant, pourveu qu’il ne s’enyvre point,
Tout iray bien.

BEATRIX

J’auray soin de luy sur ce point ;
Trouvez-luy quelque habit de Suisse, & pour l’instruire,
Qu’il me vienne trouver je le dois introduire.

LEANDRE

285 Mais…

BEATRIX

Ne demandez point ny comment, ny pourquoy,
Despechez, & de tout reposez-vous sur moy.

LEANDRE

Je t’entens*, & je voy combien il nous importe,
De rendre mon valet le maistre de la porte ;
Je vais y donner ordre, & cet espoir m’est doux :
290 Mais puis-je me flater* en m’éloignant de vous ?

CLIMENNE

Allez, & soyez seur que malgré l’advantage
Qu’on veut me faire voir dedans ce mariage,
Si l’amour, et le sort, secondent mes desirs, [p. 17]
De l’espoir d’estre à vous je fais tous mes plaisirs ;
295 Et que rien ne sçauroit esbranler ma constance.

LEANDRE

Que cet espoir m’est doux & que cette asseurance,
Malgré ce que je crains rend mes desirs contens.

SCENE VII.

LE BEAUCERON, CLIMENNE,
LEANDRE, BEATRIX.

LE BEAUCERON

Le Gascon est dehors, voicy l’autre dedans,
Ils parlent d’action, peste quelle novice !

CLIMENNE

300 Mon cœur vous en respond*.

LE BEAUCERON. les escoutant

Ah nous aurons un Suisse,
Le deussay-je payer à mes dépens, je veux…

LEANDRE

Que ne vous dois-je point de souffrir* que mes feux…

LE BEAUCERON. à part

Puis qu’à remercier son ardeur est si prompte ;
On peut s’imaginer que le drôle* a son compte.

BEATRIX. bas à Climenne

305 Voicy vostre cousin.

CLIMENNE. à Leandre

Ne vous alarmez* point.
Secondez seulement ma feinte sur ce point.
Tous nos billets sont blancs, vous le voyez Leandre ;
Mais enfin ce mal-heur ne nous doit pas surprendre,
Il faut que quelqu’un perde, & le sort, aux despens : [p. 18]
310 De mille mal-heureux, fait si peu de contens ;
Que loin de s’en fascher il faut que l’on en rie.

LE BEAUCERON

Elle deviendra folle avec sa lotterie.

BEATRIX

Ils sont blancs comme nege.

LEANDRE

Il m’eust esté bien-doux,
De pouvoir partager un lot avecque* vous,
315 Vous deviez avec vous associer quelqu’autre,
Je crains que mon mal-heur n’ait fait naistre le vostre,
Jamais l’évenement* ne respond à mes veux.

CLIMENNE

Peut estre une autre fois nous serons plus heureux,
Je le souhaite au moins.

LEANDRE

Madame, je l’espere,
320 Et prens congé de vous.

LE BEAUCERON. à part

La peste quel compere*.

SCENE VIII.

LE BEAUCERON, CLIMENNE.

LE BEAUCERON. s’approchant de Climenne

Et deux cousine, & deux, parlons de bonne foy,
Il vous remercioit, peut-on sçavoir de quoy ?

CLIMENNE

De rien.

LE BEAUCERON

Mais chacun sçait par son experience, [p. 19]
Que qui ne reçoit rien ne donne point quittance.

CLIMENNE

325 Nous avions dix billets ensemble chez Damis,
Leandre s’y trouvant ce matin, les a pris,
Il m’apportoit ma boëtte, & nous l’avons ouverte
Et nous nous consolions tous deux de nostre perte ;
Quoy que dans mes billets il n’eust que peu de part.

LE BEAUCERON

330 Combien avoit-il mis ?

CLIMENNE

Il n’estoit que d’un quart.

LE BEAUCERON

Le detour est adroit, ah ma chere cousine !
D’un fleau de mary vous avez bien la mine*,
Dites que ce galand* avoit pour mon mal-heur ;
Un quart dans vostre boëtte, & trois dans vostre cœur ;
335 Et que ce dernier quart que je ne puis surprendre,
Venoit capituler à dessein de se rendre.
Car enfin, je l’ay veu, prest à s’extasier,
S’applaudir en secret, & vous remercier.
J’ay veu que vos regards avec sa bonne étoile,
340 Poussoient vers le blondin* vostre cœur à plein voile,
Que ses yeux, ne pouvant se lasser de vous voir,
Marquoient d’un air* mourant leur joye & leur espoir ;
Et que sa bouche enfin entre chaque parole,
Du vent de ses soûpirs encensoit vostre idole.
345 Je l’ay veu…

CLIMENNE

Quoy, toûjours quelque soupçon nouveau ?

LE BEAUCERON

Ah ! cousine m’amie il faut changer de peau,
Peut estre esperez-vous si le Ciel ne m’exauce, [p. 20]
Sçachant que les forests sont rares dans la Beauce ;
Pourvoir à nos besoins pour une bonne fois,
350 Et me faire à Paris provision de bois ;
Mais enfin…

CLIMENNE

Ce courroux est assez legitime,
Si vous n’avez pour moy qu’une si foible estime.

LE BEAUCERON. entend du bruit

Qu’entens-je ?

CLIMENNE

Vous devez…

LE BEAUCERON

Rentrez, j’entens du bruit.

CLIMENNE

Je pretens*

LE BEAUCERON

Et mort-bleu faites ce qu’on vous dit.

SCENE IX.

CHAMPAGNE, LE BEAUCERON.

LE BEAUCERON

355 Où cours-tu ? que fais-tu ? quel couroux te transporte,

CHAMPAGNE. fermant la porte de la sale sur luy.

Monsieur, on vient là bas de forcer nostre porte,
Avec leur lotterie ils ont le diable au corps.

LE BEAUCERON

Maudit soit l’embarras*.

CHAMPAGNE

J’ay fait tous mes efforts, [p. 21, D]
Avecque* le cocher & la presse* est si grande…

LE BEAUCERON

360 Avant que jusqu’à nous cette foule s’estende,
Prens avec toy la brie & courez promptement,
Prés de Climenne, elle est dans son appartement*,
Deffendez-en l’entrée, & que pas un n’en sorte,
Et taschez d’empescher qu’on ne force sa porte.
365 O Beatrix !

SCENE DERNIERE.

LE BEAUCERON, BEATRIX.

BEATRIX

Monsieur.

LE BEAUCERON

Va chercher de [ce] pas,
Le Suisse que tu dis.

BEATRIX

J’y vais.

LE BEAUCERON

Quel embarras* !
Le peuple, & les Galans*, tour à tour font ma peine,
Ah ! je ne pretens* plus quitter d’un pas Climenne,
Rentrons, le bruit augmente, & le peuple est mutin* ;
370 Afin de l’appaiser envoyons luy martin.

ACTE SECOND.

SCENE PREMIERE.

BEATRIX, LE BASQUE. vestu en Suisse.

LE BASQUE. pendant que Beatrix regarde s’il n’y a personne

Lestre dans sty lochis que sty Monser dimeure ? [p. 22]
Qu’il dir que je viendre moy ly servir tout à stheure* !

BEATRIX. ayant regardé par tout

Tréve de gravité personne ne nous voit.

LE BASQUE

As-tu bien regardé ? [p. 23]

BEATRIX

Ouy, nous sommes seuls.

LE BASQUE

Soit
375 Ma chere Beatrix !

BEATRIX

Ah laissons la sornette,
Suisse fait à la haste.

LE BASQUE

Ah ! charmante Soubrette,
Si tu voulois ; pour toy je souffre nuit & jour,
Tes yeux m’ont fait pour toy galerien d’amour,
Je ne suis mesme icy Suisse que pour te plaire,
380 Ah ! si je puis un jour ramer dans ta galere,
Ne m’aimerois tu plus !

BEATRIX

Ne sçais-tu pas que si.

LE BASQUE

Puis que tu m’aimes donc, & que je t’aime aussi,
Pourquoy tant de façons* ?

BEATRIX

Il n’est pas temps de rire, 
Tu vois ce qu’il faut faire & sçais ce qu’il faut dire,
385 Songe à jouër icy ton roolle comme il faut,
Je vais au Beauceron te conduire là haut,
Il vient, prepare toy.

SCENE SECONDE.

LE BEAUCERON, LE BASQUE
BEATRIX.

BEATRIX

Monsieur, voilà le Suisse. [p. 24]

LE BASQUE

Monser chil viendre icy ly rendre moy serfice,
Si vous ly prendre moy je ly servir fort bien,
390 Si vous nestry content moy ly dimandi rien.

LE BEAUCERON. aprés l’avoir regardé

On ne peut mieux parler ; tu n’as rien fait qui vaille.

BEATRIX

Ce Suisse est vostre fait*.

LE BEAUCERON

D’un Suisse a-t-il la taille ?

BEATRIX

Quoy celuy-cy, Monsieur, n’est pas à vostre gré ?

LE BEAUCERON

Il en faloit prendre un gras, grand, joufflu, carré,
395 Barbu de deux bons pieds*, & qui fut fait de sorte,
Que de son ventre seul, il peut boucher la porte.
C’est un méchant* ménage, & pour un tel logis,
Il en faudroit un gros, ou du moins deux petits.

BEATRIX

Ces gros Suisses, Monsieur, avec leur barbe salle ;
400 Et leur ventre de son, sont des Suisses de balle.
Estant plus maigre qu’eux il sera plus dispos,
Et je l’aymerois mieux comme il est, que plus gros.
Escoutez, & voyez.

LE BASQUE

Matame Piatille [p. 25, E]
Mafre dit que Monser voudre aver un bon drille*,
405 Per garder sty maison che ly garder pien moy.

LE BEAUCERON

En avez-vous gardé quelqu’autre-part ?

LE BASQUE

Mon foy,
Lautry chour un Monser tonner un Cometie*,
Tans son champre*, il tient la dy fort bon companie*.
Dy fort pon fiolon, ly sthom afre moy pris,
410 Per faire moy garder ly maison dy lochis,
Ly voudrois pien pescher, car il afre in bel fame,
Qu’un grand petit Monser parlit point à Montame,
Il vient, chil pousser luy, cocquin, dir luy, party
Chy lestre point cocquin, moy toy lafre menty ;
415 Ly donne un cou di pié dan mon cu par derriere,
Et dir qu’il donner moy bien de cou ditrifiere,
Titrifiere, à moy tiche, avec stuy gros martiau,
Dil porte en ly fermant chil casser son musiau.

LE BEAUCERON

Fort-bien.

BEATRIX

Entendez*-vous toute cette Harangue ?

LE BEAUCERON

420 Le beau* doute, j’entens* toute sorte de langue.
Je ris de son recit, le drôle* n’est point sot.

BEATRIX. riant aussi

Et moy Monsieur, j’en ris sans entendre* un seul mot.

LE BEAUCERON

Entra-t-il ?

LE BASQUE

Lentry don si lentry par firnaitre ;
La Matame safre ça, & ly veut que mon maistre,
425 Chasser moy, mais party mon Maistre y jur son foy, [p. 26]
Que chestre pon quarson & qu’il chasser point moy.
Y pour mon riconpans my tonne un grand pistole*.

LE BEAUCERON

Que ce Suisse pour nous estoit en bonne escole ?
Et qu’il me fait bien voir par sa naïfveté,
430 Qu’il a servy des gens tous pleins d’honesteté,
Beatrix a raison, il est sans artifice* ;
Et ce n’est pas la taille enfin qui fait le Suisse.
Comment vous nommez-vous ?

LE BASQUE

Torften.

LE BEAUCERON

De quel Canton ?

LE BASQUE

Dy berne il estre bon sty Canton.

LE BEAUCERON

Ouy fort bon.
à part.
435 Faisons luy sa leçon,
à Beatrix,
allez dire à Climenne,
Que de descendre en bas elle prenne la peine,
Et qu’elle vienne voir nostre officier nouveau.

BEATRIX

J’y vais, nostre cousin donne dans le panneau.

SCENE III.

LE BEAUCERON, LE BASQUE.

LE BEAUCERON

Suisse. [p. 27]

LE BASQUE

Plaist-il Monser.

LE BEAUCERON

Il faut servir de zele.
440 Estre exact, assidu, civil*, hardy, fidelle.

LE BASQUE

Ouy, Monser.

LE BEAUCERON

Gardez*-vous d’estre l’introducteur,
De ces certains Messieurs, comme ce grand Monsieur,
Qu’on vouloit empescher de parler à Madame.

LE BASQUE

Ouy, Monser, lafre fou dans sty maison son fame,

LE BEAUCERON

445 Non pas, mais vous sçaurez pour ne point perdre temps,
Que je dois épouser la fille* de ceans* ;
Et que lors que je vois le galant* qui l’approche,
La coquette* toûjours a sa défaite* en poche,
Je pretens* l’empescher & veux que sur ce point,
450 Vous soyez…

LE BASQUE

Mais Monser tir fou ly craindre point,
Si lestre son mary…sty Matame dy France,
Ayme avec ly Monser le ptit rechouissance.

LE BEAUCERON

Nous y donnerons ordre. [p. 28]

LE BASQUE

Un camarate à moy,
Qui lafre pris un fam dan sty Paris, mon foy,
455 Lestre riche, aure ly dans son pitit minache,
Dy pon pip, dy pon vin, pon tabac pon formache
Sty carogne* dy fame y sty Monser Calan,
Fisant sty suis cournar manchy tout son larchan.

LE BEAUCERON

Si nostre jeune oyson prenant l’affirmative,
460 Pour quelque protestant* fait quelque tentative,
Il faudra m’advertir.

LE BASQUE

Moy lentendre* point vous.

LE BEAUCERON

Si la belle d’icy dont je dois estre époux,
Pour voir quelqu’un de ceux que son bel œil attire ;
Vous parloit pour l’un deux, il faudra me redire,
465 Tout ce qu’elle aura dit, en quel temps, & comment.

LE BASQUE

Ouy Monser, j’il tir fou moy tout caillardement,

LE BEAUCERON

Bouche close ; il suffit, je voy venir Climenne.

SCENE IV.

LE BEAUCERON, CLIMENNE
LE BASQUE, BEATRIX.

LE BEAUCERON

Venez, que dites-vous du Suisse qu’on m’ameine ?

CLIMENNE

Je le trouve fort bien s’il est à vostre gré. [p. 29]

LE BEAUCERON

470 Voyez.

CLIMENNE. riant

Comme il est fait ? ce Suisse est fort paré.

LE BEAUCERON

Vous riez, c’est ainsi que l’on voit dans les ruës,
Ceux qui de leur païs viennent pour des recreües,
L’innocence paroist dans cet habillement ;
C’est celuy qu’ils devroient conserver cherement :
475 Et ne jamais souffrir* qu’un maistre trop fantasque,
Pour les mettre chez-luy les habillast en masque,
Peut on se dispenser des modes d’un païs,
Les habits qu’on leur voit sont-ce leurs vrais habis,
Non, & j’appelle enfin ces ames mercenaires,
480 Des Suisses renegats des modes de leurs peres.

CLIMENNE

Je veux croire avec vous qu’il est bien mieux ainsi,
Et puis qu’il vous agrée, il me plaist fort aussi,
A vostre jugement il faut que je me rende :
Mais servira-t-il bien ?

LE BASQUE

Party li pel* dimande.
485 Chil voudre moy garder si pien ly porte à vous,
Que mon Maistre estre pien content.

LE BEAUCERON

Il est à nous.

CLIMENNE

Quand il sera content je seray satisfaite.

LE BEAUCERON

Par-bleu voilà pour nous la premiere fleurette*,
Elle est prise, & voit-bien qu’il faut changer de ton :
490 Le Suisse opere, il faut commencer tout de bon*.
Suisse, allez de ce pas vous poster à la porte, [p. 30]
Le peuple est fort mutin* ; mais il faut faire en sorte,
Que sans confusion il donne son argent.

LE BASQUE

O Monser, j’y n’y fair moy point dy manquement.

SCENE V.

LE BEAUCERON, CLIMENNE.

LE BEAUCERON

495 Cette acquisition est fort bonne, & ce Suisse
Est comme je le veux, naif sans artifice*,
Et nous allons avoir un peu plus de repos* :
Mais pour ne point avoir la populace à dos,
Par un retardement dont déja chacun crie,
500 Il faudroit promptement fermer la lotterie,
En finir au plûtost les frais, & l’embarras* ;
Car enfin ainsi qu’eux, franchement, je suis las
De tous les sots discours qu’on est forcé d’entendre
Quant la tirerez-vous ? ne sçauroit-on l’apprendre ?

CLIMENNE

505 Je ne sçais ; mais enfin estant sans interest,
On peut rendre l’argent si cela vous déplaist ;
Mesme des à present on peut le faire dire.

LE BEAUCERON

Qu’on ne se presse point, je veux bien qu’on la tire ;
Cet espoir a pour moy quelque chose de dous,
510 Car enfin à parler franchement entre-nous ;
Cela ne se fait point sans que l’on en profite, [p. 31]
Et vous devez avoir du moins un tiers de quitte,
Sur ce pied* qu’on la tire, autrement marché nul,
Nous sçavons supputer*, & suivant mon calcul :
515 Ce qu’on y peut gagner, doit payer le carosse,
Les chevaux, les habits, & les frais de la nosse.

CLIMENNE

Quoy volant le public* avoir le peuple à dos ?

LE BEAUCERON

Quoy pretendre* employer tout cet argent en los ?

CLIMENNE

Comment donc ?

LE BEAUCERON

Dites-moy quelle ceremonie,
520 Pensez-vous observer tirant la lotterie ?

CLIMENNE

Je pretens* pour ne point faire de mécontens,
Méler tous les billets.

LE BEAUCERON

Quoy les noirs & les blancs ?

CLIMENNE

Sans doute, & que ce soit un lacquais qui les tire,
Au hazard, & sans choix.

LE BEAUCERON

Ma foy je vous admire*.

CLIMENNE

525 Puis faire cacheter d’un cachet peu commun,
Les boëttes où seront les billets d’un chacun :
Eviter si l’on peut le bruit & la cohuë,
Et que fidelement quelqu’un les distribuë.

LE BEAUCERON

Sans les décacheter.

CLIMENNE

Je le pretens* ainsi.

LE BEAUCERON

530 Et sans en supposer* ? [p. 32]

CLIMENNE

Je le pretens* aussi,
Si je sçay que quelqu’un ait une telle envie.

LE BEAUCERON

Fy vous ne sçavez pas faire une lotterie,
Et ne meritez pas, dans un employ si doux,
La bonne opinion que le peuple a de vous.

CLIMENNE

535 Je ne vous entens* point.

LE BEAUCERON. tirant un livre de sa poche

Voyez-vous bien ce livre ?
C’est luy qui vous devroit avoir appris à vivre,
Le voilà le Docteur* qu’il faloit consulter,
Au Palais tout exprés je le viens d’acheter,
Et vais vous en citer quelque petit chapitre.

CLIMENNE

540 Qui l’a fait ?

LE BEAUCERON

Un Abbé plein d’esprit.

CLIMENNE

Sous quel titre.

LE BEAUCERON

Le titre en est divin.

CLIMENNE

Montrez- le moy.

LE BEAUCERON

Tous doux,
Il l’intitule, avis aux Thresoriers des foux :
C’est comme on nomme ceux qui font des lotteries.

CLIMENNE

Ce sont d’un esprit creux quelques plaisanteries.

LE BEAUCERON

545 C’est un fort habille homme, & je vous en responds*, [p. 33, F]
Ecoutez vous verrez s’il en raisonne à fonds.
IL LIT
Tout homme qui voudra faire une lotterie,
Sçaura pour premiere leçon,
Que de son fonds* du moins la troisiéme partie,
550 Doit demeurer dans la maison .
Voilà le premier point qu’il faut qu’on établisse,
Le fondement la baze

CLIMENNE

Est-il quelque justice,
A piller le public* ? & n’est-ce pas voler.

LE BEAUCERON

C’est ce qu’il faut sçavoir ou ne s’en pas méler,
555 Voilà le premier point dont il faut qu’on se serve ;
Et voicy le second qu’il faut que l’on observe.
IL LIT
Quand le fonds* grossit une fois;
Il faut dire que de trois mois,
On ne tire la lotterie ;
560 Et cependant on doit sçavoir,
Que quoyque telle ou tel en crie :
Il ne faut s’appliquer qu’à le faire valoir,
Qu’il faut & sans crainte & sans trouble,
Fermer l’oreille aux cris du peuple qui s’émeut,
565 Et faire profiter jusques au dernier double*,
Au denier* quatre si l’on peut :
Voilà mort-bleu, voilà raffiner sur la chose.

CLIMENNE

Quelques expediens que cet autheur propose, [p. 34]
C’est un dépost sacré que l’argent du Public*,
570 En feroit-on trafic.

LE BEAUCERON

Si l’on en fait trafic.

CLIMENNE

C’est ce que j’ignorois & ne suis point capable…

LE BEAUCERON

Vous l’ignoriez ?

CLIMENNE

Sans doute.

LE BEAUCERON

Et mort-bleu dequoy diable,
Vous ingerez-vous donc si vous ne le sçavez ?
Dequoy vous sert l’esprit qu’on dit que vous avez ?
575 Il faloit donc avant que la chose fust faite
D’un livre tout pareil faire une bonne emplette,
Aprendre chaque article & n’en obmettre aucun.

CLIMENNE

Mais j’en ferois scrupule & quand j’en aurois un :
Je ne puis…

LE BEAUCERON

Et cela ne fait peine à personne,
580 Escoutez sur ce point comme l’auteur raisonne.
IL LIT
Le scrupulle en ce cas ne doit point s’écouter ;
Et chacun doit sçavoir touchant* les lotteries,
Que comme il est des fous pour faire des folies :
Il n’est des gens sensez que pour en profiter.

CLIMENNE

585 Je ne puis me servir de cette Politique.

LE BEAUCERON

Quand on la veut tirer voicy ce qu’on pratique : [p. 35]
IL LIT
Le tiers des billets noirs qu’on doit mettre à couvert*,
Doit estre donné de concert*,
Avec ses gens* faut s’entendre ;
590 Et leur en faire échoir exprés :
Le profit…

CLIMENNE

Quel profit en pourroit-on attendre ?

LE BEAUCERON

C’est où je vous attens vous l’allez voir après.
IL LIT
Il faut que de concert* un lot considerable,
Et non pas un lot tel que tel ,
595 Se délivre au Maistre d’Hostel :
Qui pour trois mois du moins défraye* vostre table
Il faut faire profit des moindres petits lots,
Les distribuer à propos ;
Et pour fermer la bouche à la plainte secrette,
600 Qui vient de ce qu’on n’a payé depuis quatre ans,
Ny portier, ny cocher, ny valet ny Soubrette,
Payer en billets noirs les gages à ses gens*.
Ah ! voilà bien d’un fait tirer la quintessence,
Autres à qui l’auteur pretend* qu’on en dispense.
IL LIT
605 A l’égard du Marchand, du seillier, du tailleur,
Du boulanger, du rotisseur,
Il faut en sauvant l’apparence, [p. 36]
Avec tous en secret estre d’inteligence* :
Conter doucement avec eux,
610 Lors que l’on doit bien-tost tirer les lotteries,
Et mettant dans leur boette un bon billet, ou deux,
Acquitter ainsi leurs parties* .
Aussi* bien le Proverbe dit,
Que qui s’acquitte s’enrichit.
615 Que cet homme a d’esprit !

CLIMENNE

Il n’est pas necessaire,
Pour moy qui ne dois rien.

LE BEAUCERON

Ah ! voicy vostre affaire.
IL LIT
Quand à ceux qui n’ont point de debtes à payer,
Ny de gens mécontens, ils pourront employer ;
Pour des lots dans leurs lotteries,
620 Des meubles, des tableaux, quelques tapisseries
Des montres, des points*, des bijoux ;
Quelques flambeaux d’argent, un bassin*, une aiguere ;  
Et mettre pour beaucoup ce qui ne vaudra guere :
C’est pour s’en bien défaire un moyen assez doux.
625 On peut mettre de plus dedans cette occurrence ,
Jusqu’à son lit, sans conséquence ;
Et quoy qu’il soit de cinq ou six cens francs au plus, [p. 37, G]
Le faire effrontement valoir six cens écus*.

CLIMENNE

D’accort mais sur ce point la semaine derniere,
630 Tels eurent un procés sur semblable matiere :
On vouloit le surplus le tour est délicat.

LE BEAUCERON

Il est vray sur ce point qu’un Flandrin* d’Advocat,
De figure fort longue, & de courte éloquence,
Tira par ses cheveux Cujax à l’Audiance ;
635 Et vouloit qu’à le rendre ils fussent condamnez :
Mais qu’en arriva-t-il ? il n’eut qu’un pied de nez.

CLIMENNE

Je craindrois du public* le reproche ou la plainte ;
Et ne pourrois…

LE BEAUCERON

Chacun en use ainsi sans crainte,
L’artisan fait ses lots d’un plat de son métier,
640 Le bourgeois y met tout ce qu’il peut employer ;
Sa vaisselle qui n’est que d’argent d’Allemagne :
Le riche mal-aisé, sa maison de campagne,
Le cuisinier y met des souppes de santé ;
Le patissier chez-luy met pour lot un paté :
645 La couturiere y met des manteaux & des cottes* ;
Le cordonnier chez-luy pour gros lot, met des bottes :
Le marchand affamé, se montrant aussi fin,
Fait chez-luy le gros lot d’un garde magazin* ;
Et mesme l’autre jour chez un Apoticaire,
650 Pour un des moindres lots on mettoit un clistaire.

CLIMENNE

Mais le peuple s’en mocque & l’on devroit tâcher…

LE BEAUCERON

Tant mieux c’est un plaisir qui luy coûte assez cher ; [p. 38]
On peut à ses dépens luy permettre d’en rire.

CLIMENNE

Mais…

LE BEAUCERON

Contre cet Autheur vous n’avez rien à dire,
655 Quoy d’une lotterie on aura l’embarras* ;
Et celuy qui la fait n’en profiteroit pas ?
Sans cesse quelque fou qu’il faut que l’on écoute,
Vous viendra sottement proposer quelque doute ?
A chaque instant du jour il faudra pour un fat*,
660 Sur le nombre des lots subir enterrogat ?
Et prest à la tirer dedans ce jour de chrise ;
On peut avec dépens* condamner sa sottise ;
Se vanger à profit de son sot entretien*,
Se payer par ses mains, & l’on n’en feroit rien ;
665 Il faudroit du bon sens avoir perdu l’usage,
Allez de cet Autheur parcourir chaque page ;
Et tandis qu’à loisir vous lirez ces advis,
Je vais auprés de vous écrire [à] mon païs.

CLIMENNE. à Beatrix à part

Va porter mon billet.

SCENE VI.

BEATRIX

Pendant que ce fantasque, [p. 39]
670 Ecrit, allons parler à nostre Suisse Basque ;
Il vient de debuter plaisamment, à ce fou,
L’a pris pour duppe, & m’a fait rire tout mon sou,
Mais je le vois venir, de me voir il petille,
Si quelqu’un…

SCENE VII.

LE BASQUE, BEATRIX.

LE BASQUE

Pon chour fou Matame Piatille,

BEATRIX

675 Laisse-là ton jargon* nous sommes seuls.

LE BASQUE

Ma foy
J’en suis ravy, tant mieux ; mais que dis-tu de moy ?

BEATRIX

Que je crois que l’on peut dire à ton avantage,
Que tu fais mieux le fou que tu ne fais le sage.

LE BASQUE

J’en demeure d’accort, mais… [p. 40]

BEATRIX

Quoy mais…

LE BASQUE

Je voudrois,
680 T’apprendre à faire un peu la folle*.

BEATRIX

Une autre fois.

LE BASQUE

Ah ! si tu me voulois faire sans consequence,
Sur nostre Hymen futur quelque petite avance.

BEATRIX

Tu me prens pour une autre.

LE BASQUE

Ah ! point du tout ma foy,
Si je te prens jamais, je te prendray pour moy.

BEATRIX

685 J’entens quelqu’un.

LE BASQUE. allant brusquement à la porte

Party si toy l’est pien timeure,
Ty lafre biau cogner, chy loufre d’un cartheure
Si chil prent mon libarte ô party…quoy ?

BEATRIX. se mocquant de luy

Tais-toy,
Ce n’est rien.

LE BASQUE

Comment donc te mocques-tu de [moy] ?

BEATRIX

On peut dans cette sale aisement nous surprendre.

LE BASQUE

690 Viens dedans mon taudis.

BEATRIX

Non, mais je veux t’apprendre, [p. 41]
Que je voudrois parler à ton Maistre aujourd’huy.

LE BASQUE

Quelqu’un heurte à la porte & je croy que c’est luy,

BEATRIX

Ouvre luy.

LE BASQUE. cherchant la clef

Qu’ay-je fait de la clef de la porte ?
La voicy.

BEATRIX

Va donc viste il attend.

LE BASQUE

Et qu’importe.

BEATRIX

695 Preparons le billet que ma Maistresse écrit,
A Leandre, Il verra que le tout est d’esprit ;
Mais je le voys.

SCENE DERNIERE.

LEANDRE, BEATRIX, LE BASQUE.

LEANDRE

Et bien ne puis-je voir Climenne ?

BEATRIX

Si vous vous en flattez* vostre esperance est veine,
Et si vous m’en croyez, retournez sur vos pas,

LEANDRE

700 Pourquoy ?

BEATRIX

Nostre bouru ne l’abandonne pas, [p. 42]
Et depuis que tantost avec vous il l’a veuë,
A l’obseder* ainsi son ame est resoluë,
Ce maudit Beauceron, pour la mieux tourmenter,
A fait mille sermens de ne la plus quitter,
705 Il dit qu’on fait icy des tours de passe passe,
Qu’il veut estre témoin de tout ce qu’il se passe,
Qu’il pretend* y mettre ordre, & qu’il veut empescher
Que pas un soûpirant ne la puisse approcher ;
Il vient de s’enfermer dans sa chambre avec elle.

LEANDRE

710 Ah, que pour mon Amour la fortune* est cruelle !
Quoy donc m’estant flatté* du plaisir de la voir ;
Il faut perdre à la fois sa veuë & mon espoir ;
Voir qu’à de si beaux nœuds on face violence ?
Ah ! Beatrix ce coup accable ma constance.

BEATRIX. luy donnant un billet

715 Avecque* ce billet prenez un peu d’espoir,
Et jugez si Climenne a dessein de vous voir,
Et si son cœur pour vous de tendresse* est capable.

LEANDRE. après avoir leu

Je n’en sçaurois douter, le tour est admirable :
Que ne te dois-je point, je n’y manqueray pas,
720 Beatrix, dis luy bien que je vais de ce pas ;
En suivant cet advis* éloigner le fantasque ;
Mais il me faut icy quelqu’un.

BEATRIX

Prenez le Basque.

LEANDRE

Et s’il s’en apperçoit, & demande pourquoy
Il est dehors ?

BEATRIX

Allez je prens cela pour moy, [p. 43]
725 Je l’excuseray bien, c’est à quoy je m’engage.

LEANDRE

Il faut faire pour nous un autre personnage,
Basque.

BEATRIX

Et jouër encor un tour aussi subtil.

LE BASQUE

Et bien me voilà prest, mais dequoy s’agit-il ?

LEANDRE

Je t’instruiray de tout, j’engage ma parole,
730 Qu’auprés du Beauceron il jouëra bien son roole,
Et qu’il luy va donner à courre comme il faut :
Adieu je sors.

BEATRIX

Et moy [je] remonte là haut.

ACTE TROISIEME.

SCENE PREMIERE.

LE BEAUCERON. seul

Eh Suisse, Beatrix, eh Champagne la Brie, [p. 44]
La peste soit des lots & de la lotterie,
735 Quelle confusion !

SCENE SECONDE.

LE BEAUCERON, BEATRIX.

BEATRIX

Monsieur, que voulez-vous ? [p. 45, H]

LE BEAUCERON

De grace dites-moy, d’où viennent tous ces fous,
Dont auprés de Martin, la chambre est toute pleine ?

BEATRIX

A donner leur argent ils ont assez de peine.

LE BEAUCERON

Quoy nostre nouveau Suisse au lieu de s’aguerir*,
740 Les laisse entrer ?

BEATRIX

Le Suisse est allé voir mourir,
Sa femme, qui dit-on est preste à rendre l’ame.

LE BEAUCERON

Elle prend bien son temps pour mourir cette femme,
Que Diable n’attend-elle au moins encor un jour,
Qui prend garde à la porte ?

BEATRIX

Attendant son retour,
745 Champagne…

LE BEAUCERON

Ce maraut* laisse entrer tout le monde ;

BEATRIX

Il est constant Monsieur, il faut que je l’en gronde ;
Et j’y vais de ce pas.

SCENE III.

LE BEAUCERON

C’est fort bien fait à toy, [p. 46]
Quel sabat, quel fracas ! ah je suis hors de moy ;
Ce desordre est enfin tout ce que j’apprehende.

SCENE IV.

LE BEAUCERON, CHAMPAGNE.

CHAMPAGNE

750 Avec empressement un homme vous demande.

LE BEAUCERON

Que veut-il ?

CHAMPAGNE

Je ne sçay.

LE BEAUCERON

Mais comment est-il fait ?

CHAMPAGNE

C’est un homme qui porte un fort petit colet*,
Avec un habit noir, enfin c’est ce me semble,
Quelque façon d’Abbé, du moins il leur ressemble.

LE BEAUCERON

755 Qu’il entre, ce sera quelque Abbé de bibus, [p. 47]
Ah ! que ce nom d’Abbé, fait à Paris d’abus.
Mille Abbez du faux coin en dérobent le titre,
Qui ne sçauroient tenir qu’au moulin leur chapitre,
Et comme c’est un vol qui n’est point corrigé,
760 On voit multiplier ces friquets* du Clergé,
C’est une qualité qu’un chacun s’administre,
Monsieur l’Abbé dit-on, il n’est pas jusqu’au cuistre*,
Qui pour estre honoré n’en usurpe le nom,
On en trouve par tout trente faux, pour un bon,
765 Qui vont en beaux esprits debiter leur science,
On a mis au billon les faux Nobles en France,
Ah ! si l’on y mettoit pour faire tout égal,
Tous ces usurpateurs du titre Abbatial ;
Le sort des vrais Abbez égaleroit le nostre,
770 Ah cet avis* enfin vaudroit je croy bien l’autre,
Il vient je m’en doutois & c’est un cuistre* aussi ;
Que me veut-il ?

SCENE V.

LE BEAUCERON, LE BASQUE.vestu en Abbé

LE BASQUE. vestu en Abbé

Joüons bien nostre roole icy,
Luy faisant de grandes reverences.
Monsieur puis qu’un hazart me donne la licence,
De vous pouvoir icy faire la reverence…

LE BEAUCERON

775 Monsieur sans compliment vostre civilité… [p. 48]

LE BASQUE. luy faisant la reverence

Je sçais ce que je dois à vostre qualité…

LE BEAUCERON

Tréve de reverence il suffit d’une couple,
Monsieur en quatre mots j’ay le jaret peu souple,
Finissons

LE BASQUE. continuant

Je dois trop…

LE BEAUCERON

Vous l’avez déja dit,
780 Si vous me les devez je vous en fais credit ;
Que voulez vous de moy ? que le Ciel vous confonde,
Si vous ne répondez.

LE BASQUE

S’il faut que je réponde,
Je vous diray Monsieur que je suis Beauceron.

LE BEAUCERON

Que m’importe ?

LE BASQUE

Et cousin de vostre vigneron.

LE BEAUCERON

785 Et que me fait cela.

LE BASQUE

J’ay mesme l’avantage,
D’estre l’un des neveux du Curé du village ;
J’ay sceu depuis huit jours que vous estiez icy.

LE BEAUCERON

D’accort.

LE BASQUE

J’en suis fort aise*.

LE BEAUCERON

Et moy fort aise* aussi.

LE BASQUE

Que vous vous portez bien ! [p. 49, I]

LE BEAUCERON

Qui vous dit le contraire ?

LE BASQUE

790 Vous vous mariez donc ?

LE BEAUCERON

Cela se pourra faire.

LE BASQUE

Et vostre épouse est jeune et belle.

LE BEAUCERON

L’on le croit.

LE BASQUE

Je m’appelle la roche.

LE BEAUCERON

Et bien la roche soit.

LE BASQUE

Pour goûter sous l’Hymen les plaisirs de la vie,
Vous irez au pays ?

LE BEAUCERON

Ouy, s’il m’en prend envie.

LE BASQUE

795 Vous demeurez ceans* ?

LE BEAUCERON

Toûjours si je n’en sors.

LE BASQUE

Vous manque-t-on souvent ?

LE BEAUCERON

Tant que je suis dehors.

LE BASQUE

Pour vous rendre mes soins* mon ardeur est si forte.

LE BEAUCERON

Eh mort-bleu voulez-vous finir de quelque sorte.
Beauceron trop poly, parce que vous sçavez [p. 50]
800 Faire vingt pieds de veau, de deux que vous avez,
Voulez-vous m’insulter ? & venir par bravades,
Me payer le respect qu’on me doit en gambades.

LE BASQUE

Mais Monsieur…

LE BEAUCERON

Mais voilà la porte, & me voicy,
Choisissez de conclure, ou de sortir d’icy,
805 Toutes vos questions lassent ma patience.

LE BASQUE

Et bien je vais Monsieur conclure en diligence ;
Et rendre mon discours plus clair dessus cela
Qu’un syllogisme n’est, fust-il en barbara.

LE BEAUCERON

O le facheux* pedant* ! depeschez je vous prie,

LE BASQUE

810 Chez Oronte on tira des hier la lotterie ;
J’estois prés d’une table où l’on distribuoit
La boëtte & les billets, de qui les demandoit,
Chacun voulant les siens, plusieurs s’en approcherent
Et la firent pencher ; quelques boëttes tomberent,
815 J’en pris une, & voulus voir sa suscription* :
In capite libri ; J’apperceus vostre nom,
Je la serray*, de peur qu’elle ne fut perduë ;
Et des hier sans la nuit je vous l’aurois renduë :
Trop content de pouvoir quand je le croy le moins,
820 Vous rendre ce service, & vous prouver mes soins*.

LE BEAUCERON. prenant sa boëte

Que ne vous dois-je point ? dedans cette mélée,
Sans vous ma boëtte estoit ou perduë ou volée :
Que je vous sçais bon gré de n’estre point larron ?
Ah ! je vous reconnois icy pour Beauceron ;
825 Et je vous califie à ces marques insignes, [p. 51]
Cousin du directeur general de mes vignes :
Mais puis qu’enfin pour moy, vous avez pris ce soin,
De ce qu’il en sera vous serez le témoin.

LE BASQUE

Monsieur il me suffit…

LE BEAUCERON

Ah ! Monsieur de la roche,
830 Demeurez.

LE BASQUE

J’obeys.

LE BEAUCERON. tirant des ciseaux & ouvrant la boëte & ses billets

J’ay des cizeaux en poche,
Voyons dans ce premier.

LE BASQUE

S’il pouvoit estre noir.

LE BEAUCERON

Ah ! par-bleu, je commen…

LE BASQUE

Et bien.

LE BEAUCERON

A ne rien voir,
Deux & trois tous pareils alors qu’on se propose,
De gagner…Ah ! ma foy.

LE BASQUE

Quoy ?

LE BEAUCERON

Je voy quelque chose,
835 C’est du noir ; Ouy c’en est : numero vingt-&-six.

LE BASQUE

Si c’estoit le gros lot ?

LE BEAUCERON

Voyons, trois cent Louys*.
Mort-bleu trois cent Louys*, n’ay-je point la berluë, [p. 52]
Lisons trois cent Louys* non j’ay fort bonne veuë,
Ah ! Monsieur de la roche, honneur des Beaucerons,
840 Vigneron plus heureux* que tous les vignerons,
D’avoir pour son cousin un homme si fidelle,
Si remply d’équité, de bonne foy, de zelle.
Civil*, officieux*, & des-interessé,
Ah ! pourquoy des tantost* ne vous ay-je embrassé ?
845 Mais je pretens* enfin reparer cette faute.

LE BASQUE. se retirant

Ah ! vous m’enfoncerez, Monsieur plus d’une coste.

LE BEAUCERON. regardant son bon billet

Et vous témoin muet de tant de probité,
Digne certificat de son integrité.

LE BASQUE

Si vous me soupçonniez cecy vous desabuse.

LE BEAUCERON

850 Ah ! Monsieur mille fois je vous demande excuse ;
Oublions le passé, je vous tiens à present,
Pour un homme d’honneur & sur tout bien-faisant.

LE BASQUE

Comme je n’aspirois qu’à vous rendre service,
J’excuse le transport* qui m’a fait injustice ;
855 Et vous honore trop pour en dire un seul mot,
Si vous voulez tantost* vous aurez vostre lot :
On les doit délivrer, & mesme l’heure approche ;
Je prens congé de vous.

LE BEAUCERON

Ah ! Monsieur de la Roche.
Je suis reconnoissant, & vous me faites tort,
860 De me quitter ainsi, le present n’est pas fort ;
Mais daignez accepter ces vingt Louys*.

LE BASQUE

De grace,
Croyez…

LE BEAUCERON

Dans vostre cœur je sçay ce qui se passe. [p. 53]

LE BASQUE

L’interest…

LE BEAUCERON. luy donnant une bourse

Je le sçais mais enfin je pretens.

LE BASQUE. la prenant

C’est pour vous obliger, Monsieur que je les prens.

LE BEAUCERON. l’embrassant

865 Adieu venez me voir quelquesfois.

LE BASQUE

Je l’espere,
à part.
Il en tient.

LE BEAUCERON. se retournant

Serviteur.

SCENE VI.

LE BEAUCERON. seul

Non je ne puis m’en taire ;
Je ne sçaurois assez admirer* mon bon-heur*,
Ce que c’est que d’avoir affaire aux gens d’honneur :
Un amy fait tirer chez-luy sa lotterie,
870 Pour avoir ses billets le peuple presse & crie,
Ma boëtte tombe à bas, un inconnu present,
Sans sçavoir à qui c’est la ramasse, la prent ;
Voit mon nom, le connoist*, la rapporte luy-mesme :
J’ouvre trois billets blancs, & vois au quatriéme ;
875 Numero vingt-&-six, c’est estre bien-heureux, [p. 54]
Je m’en vais recevoir cet argent ; mais je veux
En sortant que le Suisse en ait seul connoissance,
Qu’on me croye ceans*, de peur qu’en mon absence :
Si quelqu’un la sçavoit on ne trouvast moyen,
880 D’introduire quelqu’un sans que j’en sceusse rien :
Allons voir si le Suisse est de retour ; son zelle…
Mais Climenne paroist que Diable cherche-t-elle.

SCENE VI.

LE BEAUCERON, CLIMENNE.

LE BEAUCERON

Est-ce pour un galand* que l’amour en argus,
Vous poste en sentinelle ou vous met à l’affus ?
885 Venez-vous voir quittant vostre chambre si viste,
Si vous ne pourrez-point trouver un liévre au giste*
Ou si quelque portrait d’un métail peu commun,
Sur le ventre du Suisse a fait passer quelqu’un,
Qui puisse avecque* vous lier un teste-à-teste ?
890 Ouy, car je doute enfin vous connoissant peu beste :
Voyant vos yeux si guais, si brillans & si beaux,
Que vous vouliez tirer vostre poudre aux moineaux.
Ce mouchoir* bas & fait d’une dantelle claire,
Ce sein plus découvert qu’il n’est à l’ordinaire,
895 Ce bras qu’un [gant] trop court laisse voir à demy,
Ce pied sur les talons trop hauts mal affermy.
Ces petits moucherons mis en diverse place,
Dont vous sçavez si-bien parqueter vostre face :
Ces brocarts bigarez, & leur diversité, [p. 55]
900 Ce tourne-broche d’or qui vous pend au costé ;
Ce fatras de rubans chargez de nompareilles*,
Ces contre-poids brillans pendus à vos oreilles,
Cette coëffure en l’air, ce tas de cheveux blons,
905 Et vos façons* de plus en tout si peu communes,
Font voir que tout cela n’est pas mis pour des prunes.

CLIMENNE

Ne voulez-vous songer qu’à me persecuter ?
Et n’estre ingenieux que pour me tourmenter ?
La plus rare beauté veut que l’art la seconde,
910 Il faut estre à la mode, ou renoncer au monde,
Outre que je ne voy dans mon ajustement*,
Rien que de fort modeste*, à parler franchement,
Tout vous choque, & sur tout vous voulez me contraindre.

LE BEAUCERON

Il est vray j’ay grand tort cousine de me plaindre.
915 Je devois sans troubler tantost vostre entretien*
Avec ces deux Messieurs, passer sans dire rien
Je devois avec eux pour flater vostre attente
Laisser agoniser vostre pudeur mourante,
Et voir d’un œil tranquille, & plus commode enfin
920 Un reste de vertu qui tiroit à la fin,
Je croy que sur ce pied* j’aurois l’heur* de vous plaire,
Mais on en diroit trop si je pouvois m’en taire,
Je suis sur ce sujet difficile à ferrer,
Et ne fais pas façon* de vous le declarer.

CLIMENNE

925 Des discours si picquans* ont un peu trop de suite ;
Mais surquoy pouvez-vous censurer ma conduite ?
Ay-je dans mes habits rien qu’on puisse blamer ?

LE BEAUCERON

Non. [p. 56]

CLIMENNE

Rien dans mes discours qui vous doive alarmer* ?

LE BEAUCERON

Non.

CLIMENNE

Rien dans l’entretien* contre la bien-seance ?

LE BEAUCERON

930 Non.

CLIMENNE

Surquoy fondez-vous donc tant de défiance ?

LE BEAUCERON

Voyez vous les habits, les discours, l’entretien* ;
Cela c’est quelque chose, & si cela n’est rien ;
C’est vostre cœur qui donne entrée à la fleurette* ;
C’est entre cuir & chair que vous estes coquette* ;
935 Et je voudrois enfin pour voir mes feux contens,
Avec moins du dehors avoir plus du dedans.

CLIMENNE

Je vous entens toûjours plaindre de quelque chose.

LE BEAUCERON

Je trouve auprés de vous toûjours quelqu’un qui cause.

CLIMENNE

Puis-je estre auprés des gens & ne leur dire mot ?

LE BEAUCERON

940 Et puis-je l’endurer sans passer pour un sot* ?

CLIMENNE

La civilité veut…

LE BEAUCERON

Afin que sans surprise,
L’amour de nostre Hymen face un Hymen de mise,
Qui n’ait pour compagnon jamais le repentir,
De mes infirmitez* je veux vous advertir :
945 Et vous pourrez conter là-dessus ; je vous ayme, [p. 57, K]
Trop & trop peu, deux mots expliquent cet emblême*,
Trop pour ne pas vouloir devenir vostre époux,
Trop peu pour ne vouloir que la moitié de vous ;
Et souffrir*, me donnant lors que je vous achette,
950 Qu’une moitié se donne, & que l’autre se prette :
Cette premiere regle est sans exception,
Je tiens un peu beaucoup à mon opinion ;
Je ne me contrains guerre, & mesme je m’en picque*.
Je suis souvent chagrin*, & quelquefois critique :
955 Je suis vieux, ombrageux*, d’assez méchante* humeur* ;
Si je ne suis pas beau, je ne fais point de peur :
Mais naturellement j’ay de la deffiance,
Beaucoup de jalousie, & peu de complaisance ;
Enfin mon plus beau trait c’est quinze mille francs,
960 Que je mange ou je bois, s’il me plaist tous les ans.
Cependant je pretens* si l’Hymen en decide,
Estre de vostre cœur seul pilote & seul guide :
Que dans vostre entretien* autre que moy n’ait part,
Rendre vostre air* cocquet* un peu plus campagnart ;
965 Et qu’en faveur des soins* que j’ay pris à vous plaire,
Vostre amour vagabond devienne cedentaire.
Je veux vous tenir lieu de galand*, de mary ;
D’Adonis, de Phœbus, de cher, de favory ;
Que ce cœur soit à nous, & jamais ne permette ;
970 Que quelqu’autre Apollon conduise ma brouëtte.
En peu de mots voilà matiere à decider,
Vous verrez si cela vous peut accommoder,
Et me direz tantost* quelle est vostre pensée.

CLIMENNE

Sans attendre…

LE BEAUCERON

Et cela n’est pas chose pressée ;
975 Je n’ay pas le loisir.

CLIMENNE

Mais… [p. 58]

LE BEAUCERON. la faisant rentrer

Mais c’en est assez,
Vous me direz tantost* ce que vous en pensez.
M’en voila délivré, courons en diligence,
Recevoir cet argent, mais cachons nostre absence,
Je vais donner mon ordre, au Suisse sur ce point.
980 Le voicy.

SCENE VIII.

LE BEAUCERON, LE BASQUE.Vestu en Suisse

LE BASQUE. dans l’entrée

Chyl tir toy party qui lentry point,
Toy ly veut voir Montam chi lestre point un peste.

LE BEAUCERON

Qu’est-ce Canton de Berne.

LE BASQUE

Il my rompre* mon teste,
Un Gascon pour lentrer jil jeter son chapiau,
D’un cou de mon libarte au mitan* di russiau*.

LE BEAUCERON

985 Vous avez fort bien-fait…mais Suisse vostre fame,
A ce que l’on m’a dit est preste à rendre l’ame.

LE BASQUE

O point chi ly reviendre, un Monser Medeçain 
Tir moy qu’il estre rien, qu’il moury que timain.

LE BEAUCERON

Le repy n’est pas grand, son sens froit me fait rire, [p. 59]
990 Ce n’est rien, un Monsieur Medecin vient de dire,
Que ce n’est que demain que sa femme moura,
Ah vous n’en estes pas plus emeu que cela ?

LE BASQUE

O ly connestre pien Medicain.

LE BEAUCERON

Une affaire
M’oblige de sortir, il sera necessaire,
995 Si quelqu’un me demande, après m’avoir cherché,
De dire que je suis dans ma chambre empesché*,
Mesme à ceux du logis, à moins que de me suivre.

LE BASQUE

Chil tir quil tormi vou pien fort & quil estre yvre.

LE BEAUCERON

J’aymerois mieux encor que l’on me creust dehors,
1000 Qu’yvre dans le logis, je crains bien si je sors,
Que ce Suisse ingenu ne gaste* le mystere,
Je suis un peu pressé voicy ce qu’il faut faire,
Je veux quoy que dehors, qu’on me croye ceans*,
Comme la lotterie attire bien des gens,
1005 Pour donner leur argent, il faut à tous leur dire,
Que l’on n’en reçoit plus, que demain on la tire,
Et pour les empescher de vous persecuter,
Il faut ne point respondre & les laisser heurter.

LE BASQUE

Ouy, Monser.

LE BEAUCERON

Et sur tout ne point ouvrir la porte,
1010 Jusques à mon retour à personne, il m’importe,
Qu’on soit exact.

LE BASQUE

Sur fou party quil lentrera, [p. 60]
Rien point d’aut que mon Maistre ou pien moy…

LE BEAUCERON

Bon cela*,
C’est assez & je sors aprés cette asseurance.
il s’en va.

LE BASQUE. à part

Il en tient.

LE BEAUCERON. se retournant

Mais sur tout cachez bien mon absence.
1015 A tous ceux du logis.

LE BASQUE

O fou me lafre dit.
à part.
Qu’il est duppe.

LE BEAUCERON. se retournant

Si…

LE BASQUE

Quoy Monser.

LE BEAUCERON

J’entens du bruit.
Cela suffit je sors.

LE BASQUE

Chil louvre fou sty porte.

SCENE IX.

BEATRIX. seule

Enfin il est dehors, que Belzebut l’emporte, [p. 61, L]
Sans oublier quiconque en aura du soucy*,
1020 Je suis depuis une heure en sentinelle icy,
Pour voir s’il sortiroit, combien il a de peine*,
À sortir, mais allons avertir Climenne,
Ne vois-je pas Leandre ?

SCENE DERNIERE.

LEANDRE, BEATRIX, LE BASQUE.

BEATRIX

Estiez- vous à l’affus ?
Pour estre icy si-tost.

LEANDRE

Depuis une heure & plus,
1025 J’attendois sur le pas d’une porte voisine,
Qu’il sortit.

LE BASQUE

L’on n’a point éventé nostre mine.

LEANDRE

Mais quand reviendra-t-il, dis moy te l’a-t-il dit ?

BEATRIX

Quoy qu’il face, il ne peut revenir qu’à la nuit, [p. 62]
Oronte loge loin d’icy, quoy qu’il se presse…

LEANDRE

1030 Tant mieux, je vais donc voir ta charmante Maistresse.

BEATRIX

Venez.

LEANDRE. à son valet

Mais souviens toy qu’il faut bien achever.

LE BASQUE

Vivez en repos.
à Beatrix.
[Toy…]

BEATRIX

Je viens te retrouver.

LE BASQUE

D’accort, & nous pourrons nous sentant de la Feste,
Regler nostre entretien* dessus leur teste à teste.

ACTE IV.

SCENE PREMIERE.

LE GASCON

1035 À la fin j’ay trouvé moyen d’entrer ceans*, [p. 63]
La porte est à present ouverte à tous venans :
Grace au Suisse qui dort & qui sans doute est yvre,
C’est un fâcheux* maraut* dont le Ciel me delivre ;
S’il n’estoit endormy j’aurois pû me venger, [p. 64]
1040 Ce cocquin m’a cent fois pensé faire enrager,
Et des que je venois me montrer à la porte ;
Me la fermoit au nez tres-rudement, n’importe ;
Je la luy garde bonne, & devant* qu’il soit peu,
Nous conterons ensemble & nous verrons beau jeu ;
1045 Je sçay qu’il ne l’a fait que pour [me] faire niche :
Mais de coups de baston le Ciel m’a fait peu chiche.
Où se sont donc fourrez tous les gens* du logis,
Mais n’apperçois-je pas Monsieur Martin ?

SCENE II.

LE GASCON, MARTIN.

MARTIN

Quid vis.

LE GASCON

Que vous parliez François dites franc je vous prie,
1050 Quand pretend*-t-on ceans* tirer la lotterie ?

MARTIN

Cette affaire demande une uniformité,
De candeur, de loisir & de sagacité.
Un Auteur tres-sensé dit que l’exactitude,
Se trouve rarement avec la promptitude.
1055 Le peuple cependant abordant à milliers,
Et la foule causant des debats* journaliers,
Du contraste*, du bruit, d’autres choses fâcheuses*,
Des altercations mesme contentieuses,
Je suscrits aujourd’huy les boëttes de ma main,
1060 Et l’on pretend* tirer les billets des demain.

LE GASCON

Dieu me damne j’en suis au comble de la joye, [p. 65]
Pour me mettre en repos* je n’ay que cette voye,
Comment à chaque jour je creve dans ma peau,
J’ay toûjours aux talons quelque fâcheux* nouveau,
1065 Après moy sans quartier sans cesse quelqu’un crie,
Et si l’on ne tiroit bien-tost la lotterie…

MARTIN

Eh ! qu’importe à ces gens qu’on face cet effort ?

LE GASCON

Comment diable qu’importe, il importe tres-fort,
Les gens que je vous dis qui m’obsedent* sans cesse,
1070 Sont six creanciers miens ; comme chacun d’eux presse,
Je me suis à la fin resolu d’assigner,
Leurs debtes sur les lots que je m’en vais gagner,
Brûlant d’estre payez jugez s’il leur importe.

MARTIN

Quoy vous croyez payer vos debtes de la sorte ?
1075 Et vos creanciers foux au supresme degré,
Prennent pour hypotecque un lot mal assuré ?
C’est vouloir les berner, depuis quand l’esperance,
Pour payer des debets* a-t-elle cours en France ?
Si vous avez dessein de payer ces Messieurs,
1080 Croyez-moy cherchez leur un autre fons* ailleurs.

LE GASCON

Vous m’embarassez fort, à vostre lotterie,
Feroit-on dites-moy quelque friponnerie ?

MARTIN

Vous avez tort, Monsieur, d’avoir un tel soupçon.

LE GASCON

Veut-on favoriser quelqu’un des gros lots ?

MARTIN

Non.

LE GASCON

1085 Comment donc tous ces lots que ceans* on doit faire, [p. 66]
N’est-ce pas de l’argent content ?

MARTIN

La chose est claire,
Mais il faut pour avoir les gros lots de ceans*,
Les gagner.

LE GASCON

Cadedy* c’est comme je l’entens,
Je pretens* du gros lot acquitter quatre debtes,
1090 Et le gagner s’entend ; quelle mine* vous faites.

MARTIN

Je voy gagnant des lots que tout ira fort bien,
Mais qui les payera si vous ne gagnez rien ?

LE GASCON

Cela ne se peut pas, que diable allez vous dire ?

MARTIN

Je croy que vous n’aurez pas grand sujet d’en rire.

LE GASCON

1095 Comment vous le croyez ?

MARTIN

Ouy je vous en repons*.

LE GASCON

Je ne gagneray rien ? & bien nous le verrons :
Je vous ay franchement dit toute mon affaire,
Il me faut quatre lots tout au moins pour la faire,
Si je ne gagne rien je pretens*…Vous verrez.
1100 Ne m’en prendre qu’à vous & vous m’en respondrez.

SCENE III.

MARTIN. seul

À moy Monsieur à moy cet homme n’est pas sage, [p. 67]
A-t-on jamais tenu de semblable langage ;
S’il n’a pas quatre lots il s’en va prendre à moy,
Il a perdu l’esprit, mais quelqu’un vient je croy :
1105 De peur que ce n’estoit quelque fou comme l’autre ;
Sortons de cette chambre & montons dans la nostre.

SCENE IV.

LE BEAUCERON. seul

Ouy je suis pris pour duppe & voy la fausseté
La boëtte est supposée* & le cuistre* aposté* ;
C’est un tour qu’on m’a fait j’ay receu chez Oronte ;
1110 Ma veritable boëtte & j’en ay pour mon conte ;
Et douze billets blancs me coûtent vingt Louys*,
J’en creve de despit ; numero vingt & six
Est un enfant batart de cette lotterie,
Que l’on y desavoüe & que chacun descrie,
1115 Pouvois-je humainement me parer de tels coups,
Ah ! que Paris abonde en fripons, en filous ;
En batteurs de pavé* de qui la metairie,
Le revenu, le fonds* consiste en industrie*,
Et qui n’ont ny rubans ny plumes ny colet*, [p. 68]
1120 Qu’au despens du tribut qu’ils doivent au gibet,
Ce Monsieur de la Roche est un filou ; sans doute,
Mais outre le chagrin de l’argent qui m’en couste,
De peur d’estre berné je n’ose m’en vanter ;
Ah ce qui doit encor icy m’inquieter*,
1125 Plus que le déplaisir d’une semblable perte,
C’est d’avoir en entrant trouvé la porte ouverte :
Le Suisse de son long sur son lit endormy,
Peut-estre que quelqu’un l’a fermée à demy,
En sortant du logis, ou c’est quelque mistere,
1130 Il est nuit & je veux me cacher & me taire.
Si l’on me croit dehors j’en puis estre éclaircy,
Et voir sans estre veu ce qui se passe icy :
Quelqu’un vient écoutons.

SCENE V.

BEATRIX, LE BEAUCERON.

BEATRIX

Il est nuit l’heure presse,
Et je croy qu’il est temps d’avertir ma maistresse ;
1135 Et nostre Beauceron pourroit bien revenir,
Climenne avec Leandre a pû s’entretenir,
Depuis qu’il est dehors ils n’ont bougé d’ensemble.

LE BEAUCERON. à part

Quoy Leandre est ceans* ?

BEATRIX

Quand un hazart assemble, [p. 69, M]
Deux Amans* que l’amour unit en mesme temps,
1140 Il se passe ma foy des momens bien plaisans :
On cajole* on badine, on ne songe qu’à plaire,
L’œil devient plus brillant qu’il n’est à l’ordinaire :
Un certain rouge au teint donne un nouvel esclat,
On a de l’enjouëment le sang boust le cœur bat.
1145 On s’entretient un temps puis on fait quelques pauses ;
On se fait, on se dit mille sortes de choses :
De mille plaisans mots on larde* l’entretien* ;
Et sans le teste à teste enfin l’amour n’est rien.

LE BEAUCERON. à part

La peste qu’elle en sçait.

BEATRIX

Je juge par moy-mesme,
1150 Du plaisir que l’on a d’estre avec ce qu’on aime ;
Le Basque & moy voyïons tantost nos feux contens,
Nous avons assez bien employé nostre temps.
Enfin à sa maniere il me contoit sa peine,
Il estoit mon Leandre & j’estois sa Climenne ;
1155 L’amour dans ce logis estoit pris au collet,
Et je disois pour lors tel Maistre tel valet ;
C’est un plaisant garçon & pas un n’en approche,
Qu’il a plaisemment fait le Monsieur de la roche.
Et pour faire sortir d’icy le Beauceron,
1160 Qu’il a bien contrefait son visage & son ton :
Les vingt Louïs* en sont une assez bonne marque.

LE BEAUCERON. bas

Ah ! masque* c’est donc vous qui conduisez la barque.

BEATRIX

D’abort qu’il a trouvé numero vingt-&-six
Il a crû bonnement que les trois cent Loüis*,
1165 L’attendoient tous contez, il est sorty sur l’heure, [p. 70]
Comme nous l’esperions, il est bon ou je meure ;
On luy garde des lots par ma foy ce magot*,
Meriteroit d’avoir des cornes pour son lot.

LE BEAUCERON. à part

Advis au Lecteur.

BEATRIX

Mais il doit sçavoir je pense,
1170 Que l’on l’a pris pour duppe & j’en ris par avance,
Ce n’est qu’entre ses dents qu’on le verra pester,
Il est trop glorieux pour s’en venir vanter ;
Je voudrois bien avoir le plaisir de l’entendre,
Mais je ne vois venir Climenne ny Leandre ;
1175 Allons les separer dedans cet entretien*,
Ils passeront la nuit si l’on ne leur dit rien.

SCENE VI.

LE BEAUCERON. seul

Ah ! ah ! chacun icy cajole* à tour de roole,
Leandre est seul auprés de Climene & le drôle*,
Avec ceux du logis estoit donc du complot,
1180 Pour me faire acheter l’apparence d’un lot,
Ah ! megere : ah ! serpent: ouy cette fine mouche,
De l’honneur* de Climenne est la pierre de touche,
Et ne se deffend pas de garder le menteau ;
Pourveu que la traitresse ait sa part au gasteau,
1185 Maudite Beatrix peste d’une famille,
Pernicieux brûlot de l’honneur* d’une fille*,
Escüeil de sa pudeur c’est toy qui la seduis, [p. 71]
Qui luy donne le jour un avant goust des nuits :
Pour veiller dessus eux, je n’avois que le Suisse,
1190 Ils ont pour l’enyvrer employé l’artifice*,
Et ce pauvre garçon estendu sur son lit,
A semblé me vouloir dire qu’on me trahit.
Il sembloit exhalant une vineuse haleine,
S’excuser de sa faute & condamner Climenne ;
1195 Et vouloir en ronflant me dire à mon retour,
Que malgré luy Bachus a fait entrer l’amour :
Ce Monsieur de la Roche est valet de Leandre,
Il s’appelle le Basque & je le viens d’apprendre,
Je ne le connois point mais je pretens* ravoir…
1200 Quelqu’un vient écoutons sans qu’on nous puisse voir.

SCENE VII.

LEANDRE, CLIMENNE, BEATRIX.

LEANDRE

Faut-il nous separer ? que cet ordre est severe.

BEATRIX

J’en demeure d’acort cela ne vous plaist guerre,
Pour quitter ce qu’on ayme il n’est jamais trop tart,
Cependant il est temps de faire bande à part.

LEANDRE

1205 Je vois bien qu’il me faut esloigner de Climenne, [p. 72]
Mais souffre* en la quittant que je flate* ma peine,
Laisse agir mon respect & ma flame en ce lieu,
Jusqu’au dernier moment de ce funeste adieu :
Le mortel déplaisir où cet adieu me plonge,
1210 Me fait envisager mon bon-heur comme un songe,
Un demy jour a veu sa naissance & sa fin,
Madame, & cet effet de mon mauvais destin :
Me fait apprehender de me voir plus à plaindre,
Qu’un brutal dont l’ardeur s’éforce à vous contraindre,
1215 Et que je percerois plûtost de mille coups,
Que de souffrir* jamais qu’il devient vostre espoux.

LE BEAUCERON. bas

Ah ! le facheux* rival.

CLIMENNE

Cette plainte m’offence,
Et mon amour vous doit tenir lieu d’asseurance ;
Ce cousin de nos coups n’a pû se garentir,
1220 Loin de s’en allarmer* il faut s’en divertir,
Flater* en le joüant nostre ardeur mutuelle,
Luy faire chaque jour quelque piece nouvelle,
C’est un Provincial épais* materiel*,
Qui duppe au dernier point se croit spirituel*.
1225 De tous autres enfin son humeur* le discerne,
Et [de] pareils lourdeaux meritent qu’on les berne.

LE BEAUCERON. bas

C’est encor trop d’honneur, où m’estois-je fouré ?

BEATRIX

Si j’y puis quelque chose il doit estre asseuré ;
Que nous le bernerons de la bonne maniere,
1230 Et qu’à m’en divertir je seray la premiere.

LE BEAUCERON. bas

Je me le tiens pour dit :

LEANDRE

Et le Basque je croy, [p. 73, N]
Ne negligera pas ses soins* non plus que moy,
De ce que nous ferons vous serez advertie.

LE BEAUCERON. bas

Vous faites pour le coup fort mal vostre partie*.

CLIMENNE

1235 Je connois vostre amour vous connoissez le mien,
Il faut que nostre adieu borne nostre entretien* :
C’est perdre en vains discours les momens qui se passent,
Separons nous, la nuit & mon devoir vous chassent

LEANDRE

Quand nous reverrons-nous ?

CLIMENNE

Demain.

LEANDRE

Où ?

CLIMENNE

Dans ce lieu.

BEATRIX

1240 Vous le sçaurez du Basque.

LEANDRE

Adieu Madame.

CLIMENNE

Adieu.

SCENE VIII.

LE BEAUCERON. seul

J’en tiens, ils ont assez agité la matiere, [p. 74]
Je suis pris pour un sot* de plus d’une maniere,
Je suis suffisamment esclaircy de leurs feux,
Et je seray cocu des demain si je veux :
1245 Je n’ay qu’à l’espouser c’est une affaire faite,
Cecy ne va pas mal, ah ! petite coquette*,
Vous me donnez d’advance & ce cœur empaumé*,
Coupe le nœud d’Hymen avant qu’il soit formé :
Sans craindre ny prevoir ma juste reprimande,
1250 Vous laissez fourager* le pré que je marchande ;
Et me croyez d’humeur* à vous donner la main,
Quand pour moy vostre honneur* n’aura que du reguain,
Et mon amour pour vous tiendroit encor pied-ferme ;
Allez de la vertu vous n’estes qu’un faux germe,
1255 Vous n’estes de l’honneur* qu’un indigne avorton :
Et vous n’en connoissez tout au plus que [le] nom,
Leur adresse & leurs soins* ont enyvré le Suisse,
Mais en voulant me nuire ils m’ont rendu service,
Leandre sans cela n’eust pu se rendre icy,
1260 Et mon cœur de leurs feux n’eust pû s’estre éclaircy ;
C’est dans cette maison le seul qui m’est fidelle,
De l’ingenuité c’est un parfait modelle ;
Et pour ce Suisse enfin ma bonté se resout,
Mais quelqu’un vient encor écoutons jusqu’au bout.

SCENE IX.

BEATRIX, LE BEAUCERON.caché

BEATRIX

1265 Basque. [p. 75]

LE BEAUCERON

C’est Beatrix elle appelle le Basque,
Examinons-le avant que de lever le masque.

SCENE X.

LE BEAUCERON, BEATRIX,
LE BASQUE.

LE BASQUE. faisant des faux pas comme un homme qui a bû & tenant une lanterne

Que veux-tu.

BEATRIX

Pour dormir prens tu pas bien ton temps ?
Nostre bouru dans peu doit se rendre ceans*,
Il est dans ce moment prest à rentrer peut-estre.

LE BASQUE

1270 Qu’importe.

LE BEAUCERON

C’est le Suisse, ouy luy-mesme ! ah le traistre. [p. 76]

LE BASQUE

Par ma foy finissant tantost nostre entretien*,
J’ay bû neuf ou dix coups qui m’ont fait bien du bien.

LE BEAUCERON

Il parle bon François, ah ! ah Canton de Berne,
Vous estes du complot aussi quand on me berne.

LE BASQUE

1275 Qu’on vend dans ce quartier d’admirable sirot,

BEATRIX. jettant sa lanterne à bas

Mais veux-tu me brider le nez de ton falot.

LE BASQUE

A trais frequens & longs j’ay vuidé trois bouteilles,
Qui m’ont mort-bleu qui m’ont fait dormir à merveilles.

BEATRIX

Et si pendant ce temps le cousin fust venu,
1280 Ou qu’il fut mesme entré sans que tu l’eusses veu.
C’est une occasion qui pourroit s’estre offerte,
Et quelqu’un auroit pû laisser la porte ouverte.

LE BASQUE

Ouy-da* comme tu dis cela se pouvoit bien.
Ta raison est fort bonne & mesme… Il n’en est rien.
1285 Laissons-là le passé dis moy donc.

BEATRIX

Qu’est-ce ?

LE BASQUE

Escoute.

BEATRIX

Te voilà beau* garçon.

LE BASQUE

N’est-il pas vray.

BEATRIX

Sans doute. [p. 77]

LE BEAUCERON

Que le cocquin est fou.

LE BASQUE

Faut-il encor long-temps,
Faire soir & matin sentinelle ceans*.

BEATRIX

Cela pourra cesser si le Ciel nous exauce.

LE BASQUE

1290 Ah ! le vilain Monsieur, que ce Monsieur de Beauce.
Je me tromperois fort s’il n’estoit pas cornart.

LE BEAUCERON. bas

Vous en aurez menty Suisse de Vaugirart.

BEATRIX

C’est assez raisonner ne bois de la soirée,
Et tasche à ratraper ta raison égarée.
1295 Si le Beauceron vient ne luy dis que deux mots,
Il vaut mieux en moins dire & parler à propos ;
Jusques à son retour prens bien garde à la porte.
Adieu.

LE BASQUE

Quoy tu voudrois me quitter de la sorte ?

BEATRIX

Tes discours à present n’auront jamais de fin.

LE BASQUE

1300 Encor un petit mot :

BEATRIX

Ah ! que tu sens le vin.

LE BASQUE

Que j’ayme à t’embrasser.

BEATRIX

Que je hais un yvrongne. [p. 78]

LE BASQUE. la voulant embrasser

Beatrix.

BEATRIX. se retirant, rentre

Laisse-moy.

LE BASQUE. tombe

Peste de la carogne*.
A l’entendre on croirait ma foy que je suis sou,
Je l’aimerois encor je serois un grand fou ;
1305 Tu me quittes je vais te rendre la pareille,
Et ne veux desormais aymer que ma bouteille :
Mais en nous retirant gardons de* nous heurter.

SCENE DERNIERE.

LE BEAUCERON. seul

Tous sont d’inteligence* & je n’en puis douter,
A traficquer d’amour chacun icy s’exerce,
1310 Par de differens soins* on fait mesme commerce* :
J’allois en l’épousant me coëffer comme il faut,
Ah mon honneur* je pense alloit faire un beau saut ;
Et vous Suisse à deux mains moule de plus d’un masque,
Vous estes un fripon Monsieur l’Abbé le Basque :
1315 Qui diable eust jamais pu le voyant si naïf,
Douter que ce maraut* fut un Suisse effectif :
Ou croire que Climenne auroit eu l’artifice*, [p. 79]
D’introduire un valet de son galant* pour Suisse ;
Et moy qui m’y fiois j’ettois en bonne main,
1320 Ah ! je vais…Non mettons la partie à demain :
Il est tart je pretens* en évitant sa veuë* ;
Laisser jusqu’à ce temps rassoir ma bille émeuë* : 
Et pour passer en paix le reste de la nuit,
Je vais me retirer dans ma chambre sans bruit.

ACTE V.

SCENE PREMIERE.

BEATRIX, LE BASQUE.

BEATRIX

1325 Quoy, tu voudrois encor soûtenir le contraire ? [p. 80]
L’effronterie est grande & je ne puis m’en taire.

LE BASQUE

Ouy, je te le soûtiens, il a couché dehors, [p. 81, O]
Il n’est point revenu, j’en respons corps pour corps.

BEATRIX

Quoy nostre Beauceron est dehors ?

LE BASQUE

Ouy, luy-mesme.

BEATRIX

1330 Il n’est point rentré?

LE BASQUE

Non.

BEATRIX

L’impudence est extréme.

LE BASQUE

Je gage contre toy que depuis hier au soir…

BEATRIX

L’obstiné ! je te dis que je le viens de voir :
Qu’il est dans le jardin tout seul qui se promene,
Et qu’il m’a demandé ce que faisoit Climenne.

LE BASQUE

1335 Aujourd’huy ?

BEATRIX

Ouy, depuis un cart-d’heure de temps.

LE BASQUE

Tu l’as veu si tu veux ; mais il n’est pas ceans*,
Car icy depuis hier il n’est entré personne,
Quoy que cette raison peut seule estre fort bonne :
J’adjouste pour parler cathegoriquement,
1340 Que je n’ay pas quitté la porte d’un moment,
Que j’en ay toûjours eu la clef dedans ma poche,
Qu’on ne peut justement m’en faire de reproche,
Que ce fou que tu viens dis tu de rencontrer,
Ne s’est pas seulement presenté pour entrer,
1345 Que tu m’en fais icy des plaintes inutiles, [p. 82]
Et que s’il est entré c’est par dessus les tuilles,
Tu peux dire à present tout ce que tu voudras.

BEATRIX. le menant par le bras vers le jardin

Toûjours mesme chanson ? ma foy tu le verras,
Ce n’est que par tes yeux que je veux te confondre :
1350 Le voicy qu’en dis tu.

SCENE II.

LE BEAUCERON, BEATRIX
LE BASQUE.

LE BASQUE. le voyant

Je n’ay rien à respondre ;
Je voy qu’il est entré, mais je ne sçay par où,
Sans doute ce sera pendant que j’estois sou.

LE BEAUCERON

Allez voir si Climenne à present est visible,
Et luy dites en cas qu’elle soit accessible :
1355 Que je veux luy parler, & voudrois bien sçavoir,
S’il faut que je l’attende, ou si je l’iray voir ;
Le Suisse y voulant aller.
Je parle à Beatrix laissez-la faire Suisse.

SCENE III.

LE BEAUCERON, LE BASQUE.

LE BASQUE

Chi ly veut moy tout jour rendre à vou bon service. [p. 83]

LE BEAUCERON

Eh je m’en doute bien, ah ! l’effronté cocquin !

LE BASQUE

1360 Chil tir quen tiri point sty lotry que timain.
Tout que vous ly tir moy je lafre fait tout comme ;

LE BEAUCERON

Vous estes je le sçais un fort joly jeune-homme.

LE BASQUE

Lentry point dy Monser mon foy dans sty maison,
Chil servir pien mon Maistre.

LE BEAUCERON

Ouy, vous avez raison,
1365 Fort bien, fut-il jamais une telle insolence !

LE BASQUE

Chil servir tout jour vou di mesme.

LE BEAUCERON

Je le pense,
Il n’est pas mal-aisé je vous croy sans prier.

LE BASQUE

Chy li fair moy…

LE BEAUCERON

Mort-bleu c’en est trop endurer,
S’il ne se taist…

LE BASQUE

Chil feut fair moy vou souvenance. [p. 84]

LE BEAUCERON. luy donnant un soufflet

1370 Tiens de tant de babil voilà la recompense ?
à part.
C’est sur mes vingt Louys* toûjours en rabatant.

LE BASQUE

O Monser.

LE BEAUCERON

Qu’on se taise ou j’en [re]donne autant,
Mais je vois avancer Beatrix & Climenne.

SCENE IV.

LE BEAUCERON, CLIMENNE,
LE BASQUE, BEATRIX.

LE BEAUCERON

Je ne pretendois pas vous donner tant de peine* :
1375 Mais puis que vous voilà, donnez nous deux fauteüils,
au Suisse.
Montrez-nous les talons.
à Beatrix ;
Et vous laissez-nous seuls.

SCENE V.

LE BEAUCERON, CLIMENNE
LE BEAUCERON.

LE BEAUCERON

Approchez-vous Climenne, & prenez vostre place, [p. 85, P]
Je pretens* vous parler, & vous voir face à face,
De ce que je diray tâchez à profiter.

CLIMENNE

1380 Parlez, vous me voyez preste à vous écouter.

LE BEAUCERON

Je ne sçay si mon air* mon humeur* ou ma mine*,
Vous forcent à vouloir n’estre que ma cousine ;
Ou si nature enfin ne m’a pas honoré,
De prendre pour me faire un moule à vostre gré ;
1385 Si trop laid à vos yeux, ou trop vieux quoy que riche,
De tendresse* pour nous vostre cœur est né chiche,
Ny mesme si j’en dois estre bien-aise* ou non.

CLIMENNE

Vous sçavez…

LE BEAUCERON

Taupe à tout, mais vous trouverez bon,
Sans m’échaufer le sang, que plus franc que les autres,
1390 Après mes veritez je vous dise les vostres ;
Et que dans ce discours me servant de ce droit,
Nous nous voyions tous deux par nostre bel endroit ;
Estant vostre cousin, & presque à vous, je pense [p. 86]
Pouvoir faire avec vous entiere confidence ;
1395 Et puis qu’enfin je puis ne vous déguiser rien,
Vous estes une gueuse, & vous le sçavez bien,
Quoy que dedans mon lit je veüille vous admettre,
Vous n’avez pas vallant l’habit qu’on vous voit mettre,
Et vous estes enfin mal-gré vostre cocquet,
1400 Aussi pauvre en bon sens comme riche en cacquet ;
Vostre pere eust du bien, mais enfin vostre mere ;
Pour payer ses galans* ne se l’épargna guere,
Car vous n’ignorez pas qu’elle écoutoit* un peu,
Et que sur ce chapitre elle a joüé beau jeu ;
1405 Que cent fois sur ce point il eut bruit* avec elle,
Qu’avant que de mourir il en avoit dans l’aîle,
Et que ce cher cousin plein d’un juste soupçon,
Doutoit que vous fussiez mesme de sa façon.
Que plusieurs soûtenoient, & donnoient mesme preuve,
1410 Qu’encore qu’il fust mort elle n’estoit pas veuve :
Que l’amour seul avoit l’un & l’autre enroolé,
Et que jamais l’Hymen ne s’en estoit mélé.
Je pourrois croire enfin qu’un cœur pour nous de glace,
A l’exemple d’autruy pourroit chasser de race,
1415 Ou craindre avec raison que l’on ne le surprit* :
Ce scrupule pouvoit m’embarrasser l’esprit,
Cependant, éblouy* d’une lumiere fauce,
Mon cœur pour se donner vient du fond de la Beauce ;
J’abandonne pour vous sans me faire prier,
1420 Le soin de mes dindons, & de mon colombier :
Pour me donner à vous, je renonce à l’hommage,
Qu’un Paysan naïf me rend dans mon village ;
Le desir de vous voir, sacrifie à l’amour,
Mes vaches, mes moutons, toute ma basse-cour,
1425 Chery dans le païs, respecté comme un Prince, [p. 87]
Et plus noble dix fois qu’aucun de la Province,
Riche, propre*, galand*, bien-fait, adroit-à-tout ;
À me voir vostre époux ma bonté se resout ;
En vain pour l’empescher quelqu’un veut s’entremettre,
1430 Rien ne peut m’ébranler, & ma flame vient mettre,
D’un noble Beauceron le cœur à vos genoux,
C’estoit beaucoup pour moy, ce n’estoit rien pour vous :
Vous sçavez bien de plus nostre chere cousine,
Que depuis quatre mois la noblesse voisine,
1435 M’a mille fois parlé d’une rare beauté,
Au diable l’un que j’ay seulement écouté ;
Ce n’estoit rien encor, je sçavois par avance,
Qu’à toute heure aux galands* vous donniez audience ;
Qu’avec eux vous estiez toûjours je ne sçais où,
1440 Que tantost à Boulogne, & tantost à saint Clou :
Ou pour courir ailleurs vous estiez preste & prompte,
Que vous en receviez des presens à bon compte,
Qu’un certain Chevalier vous fit long-temps la cour,
Qu’il vous rendoit visite au moins trois fois par jour :
1445 Qu’aprés vous aviez fait une nouvelle intrigue*,
Avec un Financier moins puissant que prodigue,
A force de Louys* dans vostre cœur placé,
Qui depuis…Mais enfin laissons-là le passé ;
C’estoient d’honnestes* gens, ils estoient pleins de flâme,
1450 Le Financier est mort, Dieu veüille avoir son ame.
Quoy que tant de raisons deussent me rebuter,
Je me flattois* toûjours de vous decocqueter :
De rendre vostre humeur* à mon humeur* conforme,
D’introduire chez-vous doucement la reforme,
1455 Pour en venir à bout je n’ay rien negligé,
En argus prés de vous je me suis erigé,
Pour vous plaire, & pouvoir vous détacher du reste, [p. 88]
J’ay fait de la dépense & je me suis fait leste*.
J’ay voulu vous donner un espoux sans défaut,
1460 Acheter vostre cœur dix fois plus qu’il ne vaut :
Vous rendre de mes soins* le témoin oculaire,
Voilà ce que j’ay fait, en voicy le salaire ;
Esperant sous l’Hymen vous aymer but à but*,
Vous m’avez pretendu donner un substitut :
1465 Mittonner* un galand*, qui rendit par sa ligue,
Nostre Hymen compatible avec un peu d’intrigue* ;
Et dont l’ardeur enfin secondant vos desirs,
Peut doubler vostre espoux ainsi que vos plaisirs.
Ma presence troublant vostre galanterie*,
1470 Vous avez de concert* fait une lotterie,
Afin que vostre cœur pour l’amant adoucy,
Peût avoir un pretexte à l’introduire icy.
Puis poussant contre moy plus avant l’artifice*,
D’un Basque son valet, vous avez fait un Suisse,
1475 Vos pieges dans lesquels je suis presque tombé,
L’ont mis de Basque en Suisse, & de Suisse en Abbé ;
Et vous avez enfin employant toutes choses,
Comme les Dieux deffunts fait des Metamorphoses.
Par ce cuistre* aposté* me prenant pour un sot,
1480 Vous m’avez fait courir aprés l’ombre d’un lot,
Cependant que tous deux ayans l’amour pour guide,
Riez de ma sottise & preniez le solide :
Vous m’avez de concert* avec cet imposteur,
Escroqué vingt Louys* qui me tiennent au cœur :
1485 Par un fourbe qui n’a que vos feux pour resource,
Vous avez fait porter cette botte à ma bource,
Et m’avez fait enfin sans mesme balancer*,
Payer le violon qui vous faisoit dancer.
A-t-on jamais parlé de trahisons si noires !
1490 Parlez & dites-moy si j’ay de bons memoires,
Et si je puis de vous m’estre informé sans fruit. [p. 89]

CLIMENNE

Je ne sçais qui vous peut avoir si bien instruit :
Mais vous deviez enfin donner moins de creance*,
Aux bruits que contre moy seme la médisance ;
1495 Et faire en ma faveur ce que j’ay fait pour vous,
Sur tout si vous songez à vous voir mon époux :
Quand de vos ennemis la langue médisante,
M’a dit que vous estiez le fils d’une servante,
Que vostre pere avoit depuis plus de quinze ans :
1500 Que vous en aviez dix pour le moins dans le temps,
Qu’avec elle il voulut contracter mariage,
Je ne vous en ay pas méprisé davantage.
De ces traits, quoy que vrais je vous défendois bien,
Et je disois par tout que je n’en croyois rien ;
1505 Je pouvois esperer de vous la mesme chose,
Vous ne l’avez pas fait, mon mal-heur en est cause ;
Passons au grand effort que vous faites pour moy,
Vostre cœur dites-vous me destinant sa foy*,
Esblouy* de l’éclat d’une lumiere fauce,
1510 Pour se rendre à Paris vient du fond de la Beauce :
Abandonne pour moy sans se faire prier,
Le soin de ses dindons & de son colombier,
Certes l’effort est grand, & je suis une beste,
Je me devois aller jetter à vostre teste :
1515 Chercher à travers champs un époux au hazart,
Deterrer dans la Beauce un singe campagnart ;
Et prendre pour épous errante à l’adventure,
Quelque brute qui n’eust d’homme que la figure*.
J’en conviens, mais enfin les filles à Paris
1520 Ne sont pas à ce point avides de maris ;
Je viens à ces grands biens que sans cesse on me vante,
Les quinze mille francs que vous avez de rente,
Sont-ils en font* de terre, on sçait tout vostre bien, [p. 90]
Pour six ou sept d’accort, pour quinze il n’en est rien ;
1525 Les huit ou neuf de plus ne sont qu’une chimere,
Que pour vous faire honneur vostre esprit vous rend chere :
Car comme sur ce point mille gens nous ont dit :
Enquoy consistent-ils ? parlez ?

LE BEAUCERON

En fonds* d’esprit,
Le voilà le tresor portatif que personne
1530 Ne vous sçauroit oster, que le Ciel seul nous donne :
Qu’on doit plus que ses biens priser* avec raison ;
Et qu’on peut…

CLIMENNE

En ce cas vostre conte est fort bon ;
Vous vous plaigniez dequoy j’ay souffert compagnie* :
Sans la societé dequoy nous sert la vie ?
1535 Ce plaisir innocent m’a toûjours semblé doux ;
Mais personne n’en a si mal jugé que vous ;
Nostre sexe à mon sens deviendroit fort à plaindre,
S’il falloit qu’un critique eust droit de nous contraindre ;
Et qu’un nombre de sots dont il est en tout temps,
1540 Nous privast du plaisir de voir d’honnestes* gens ;
Ce seroit approuvant cette belle maxime,
De l’orgeüil des censeurs se faire la victime ;
Faire avec son repos* un divorce ennuyeux,
Et se sacrifier à la peur qu’on a d’eux.
1545 Aussi malgré l’effort qu’a fait la médisance,
Ses traits n’ont eu sur vous qu’une foible puissance ;
Et n’ont pû jusqu’icy dégageant vostre foy*,
Vous oster le desir de vous donner à moy ;
Ce sont là tous vos soins* ; à l’égard du salaire,
1550 Qu’ils ont eu, je pretens* aussi vous satisfaire.
Tandis que vostre amour cherche à se signaler, [p. 91]
Leandre, car c’est luy dont vous voulez parler,
Avec moy de concert*, employe l’artifice*,
Pour me voir, je l’écoute à vostre prejudice,
1555 S’estonne-t-on aprés les soins* qu’il m’a rendus,
S’il le mérite mieux que je l’estime plus,
Il est respectueux, vous estes brusque & sombre,
Leandre a du bon sens, vous n’en avez que l’ombre ;
Il est discret soûmis, vous estes fier chocquant*,
1560 Il sent* son noble, & vous vostre homme de neant :
On le prend aux habits dont il pare sa taille,
Pour un homme du temps, vous pour une anticaille,
S’il n’a pas tant de bien ce n’est pas un défaut ;
Qui détruise…

LE BEAUCERON. se levant

En voilà tout autant qu’il en faut,
1565 Treve de paralelle, ainsi nostre cousine
Vous aymeriez donc mieux vostre idole* blondine ?

CLIMENNE

Il est vray je l’écoute, & j’approuve son feu,
Je l’ayme, & je veux bien vous en faire l’aveu.

LE BEAUCERON

Je vais puis qu’à ce point sa flame vous est chere,
1570 En dire sur le champ deux mots à vostre mere,
Luy conter vos amours, luy vanter vostre choix,
Et j’espere devant* qu’il soit trois fois les Rois :
Qu’il en sera parlé, donnez vous patience.

SCENE VI.

CLIMENNE. seule

On va tout exiger de mon obeyssance, [p. 92]
1575 Et l’on va me forcer…Ah Beatrix sçais-tu ?….

SCENE VII.

BEATRIX, CLIMENNE.

BEATRIX

Je sçay tout comme vous car j’ay tout entendu.

CLIMENNE

Enfin mon mal-heur veut que je perde Leandre,
Au nom de mon époux il ne peut plus pretendre :
Ma mere, & ce cousin, qui me veut malgré moy,
1580 Par de nouveaux sermens vont engager ma foy*,
Il y court, & tu viens d’entendre sa menace.

BEATRIX

Je me mocquerois bien d’eux deux en vostre place :
Ouy, je me lasserois d’avoir les bras liez,
Une fois c’est pour vous que vous vous mariez,
1585 Vostre mere le veut, on me la baille belle, [p. 93, Q]
S’il est tant à son gré que ne l’espouse-t-elle.

CLIMENNE

Mais pour t’en dispenser qu’est-ce que tu ferois.

BEATRIX

En quatre mots voilà ce que je luy dirois,
Qu’on me laisse en repos*, je n’ayme que Leandre,
1590 Je hais le Beauceron, qu’il s’aille faire pendre.

SCENE VIII.

CLIMENNE, BEATRIX
LE BASQUE.

LE BASQUE

Mon Maistre…

CLIMENNE

Que veut-il ?

LE BASQUE

Me fait vous demander,
S’il peut vous venir voir.

CLIMENNE

Dis luy qu’il peut entrer.

SCENE IX.

CLIMENNE, BEATRIX.

CLIMENNE

En vain j’empescherois son amour de parestre, [p. 94]
C’est la derniere fois qu’il me verra peut estre ;
1595 Le plus severe honneur* peut permettre en ce jour,
De donner ce dernier moment à nostre amour.

SCENE X.

LEANDRE, CLIMENNE, LE BASQUE
BEATRIX.

CLIMENNE

Rien ne peut plus flater* ma flame ny la vostre,
Leandre, pour espoux on m’en destine un autre :
Ce cousin pretent* l’estre ; il sçait tout aujourd’huy,
1600 Ce que nous avons fait pour nous & contre luy,
Ce sont des trahisons qu’il nomme sans exemples,
Aprés m’en avoir fait des reproches fort amples,
Et m’avoir de vos feux fait faire un libre aveu,
Il est rentré disant que devant* qu’il soit peu,
1605 Il en sera parlé, qu’il alloit voir ma mere, [p. 95]
Vous sçavez ce qu’il faut helas ! que j’en espere.

LEANDRE

Quel revers si soudain que je n’ay pu prevoir,
Peut en si peu de temps destruire tant d’espoir ?
Mon mal-heur à mes feux incessamment s’oppose.

LE BASQUE

1610 J’ay bien veu des tantost* qu’il sçavoit quelque chose.
Et j’en aurois jurez.

LEANDRE

Par qui l’as tu donc sceu ?

LE BASQUE

Par un fort grand soufflet Monsieur que j’ay receu,
J’ay bien veu qu’il cherchoit à me faire querelle.

LEANDRE

Si pour vous à ce point vostre mere est cruelle,
1615 Et s’obstine à vouloir vous donner cet espoux,
Que ferez-vous Madame, helas vous tairez-vous ?

CLIMENNE

Vous sçavez à quel point ma mere est absoluë*,
Il faudra l’espouser si la chose est concluë.

LEANDRE

Quoy jusqu’à cet effort vostre cœur peut aller ?
1620 On ose vous contraindre & vous n’osez parler ?
Madame, & tout l’espoir qui flatoit* ma constance,
Doit se voir aujourd’huy détruit par ce silence ?
Ah ! puique vostre amour est si foible pour moy,
Faites ce Campagnart* Maistre de vostre foy*,
1625 Du nom de vostre espoux favorisez un autre,
Mon amour aussi bien est trop grand pour le vostre.
Adieu vous me voyez pour la derniere fois,
Obeyssez Madame, & faites vostre choix.

SCENE XI.

LE BEAUCERON, LEANDRE
LE BASQUE, BEATRIX
CLIMENNE.

LE BEAUCERON. en habit de Campagne

Leandre, revenez, parlons de vostre flame, [p. 96]
à Climenne.
1630 Vous aymez ce Monsieur, vous vous aymez Madame,
Il vous ayme beaucoup, vous en estes chery,
Si le cœur vous en dit vous serez son mary ;
Sa mere ayant appris vostre ardeur mutuelle,
Veut bien que vous soyez l’espoux de cette belle ;
1635 Et pour moy qui m’estois chargé de ce soucy*,
De peur d’estre cocu je le veux bien aussi.
Je ne me picque* pas d’estre à ce point commode,
Pour Monsieur qui pretent* toûjours estre à la mode,
Il peut tenter fortune, & je le tiens bien fin,
1640 S’il s’en sauve.

LEANDRE

Je crains peu ce danger,

LE BEAUCERON

Enfin,
Quoy que vous en disiez elle en est la Maistresse.

LEANDRE

Quel bon-heur* aujourd’huy vous rend à ma tendresse* ? [R, 97]
Mais enfin quel motif vous fait changer d’habits.

LE BEAUCERON

C’est Monsieur que je vais partir pour mon pays ;
1645 J’ay conceu pour Paris une haine mortelle,
Et mon front vient icy de l’eschapper trop belle,
Je fuis ce maudit lieu de cocquettes* farcy,
Et ne suis plus si sot que de rester icy :
Les filles à Paris sont pour nous trop sçavantes*,
1650 Il faut des gens galans*, pour des filles* galantes*,
Et je m’en tiens au nœud de consanguinité ;
Je vais dire au pays comme l’on m’a traité ;
Et je me trompe fort quoy qu’il sente de flame,
Si jamais Beauceron vient icy prendre femme.

CHAMPAGNE

1655 Vostre cheval Monsieur, & vostre postillon,
Sont là bas.

LE BEAUCERON

Serviteur.

LEANDRE

Comment c’est tout de bon* ?
Quoy vous ne verriez pas ce qu’amour nous destine ?

LE BEAUCERON

Non je vous en repons* ; jusqu’au revoir cousine.

SCENE DERNIERE.

LEANDRE, CLIMENNE, LE BASQUE
BEATRIX.

LEANDRE. aprés avoir ry

Allons voir vostre mere. [p. 98]

CLIMENNE

Et le reste du jour,
1660 Puis qu’elle veut enfin approuver nostre amour,
Nous pourrons, empeschant que le peuple ne crie,
Par divertissement tirer la Lotterie.

LEANDRE

Et quand de nostre amour l’Hymen sera le prix,
Il faudra marier le Basque & Beatrix.