Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Antoine d'Ourville. Jodelet astrologue. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 38 sc. 605 répl. 2,6 l. 1 562 l. 1 562 l. 31 % 5 195 l. (100 %) 3,3 pers.
TINDARE 10 sc. 51 répl. 2,3 l. 353 l. (23 %) 118 l. (8 %) 34 % 1 580 l. (31 %) 4,5 pers.
LILIANE 10 sc. 57 répl. 2,8 l. 537 l. (35 %) 157 l. (11 %) 30 % 2 298 l. (45 %) 4,3 pers.
NISE 11 sc. 57 répl. 2,8 l. 682 l. (44 %) 162 l. (11 %) 24 % 2 662 l. (52 %) 3,9 pers.
TIMANDRE 16 sc. 82 répl. 3,3 l. 774 l. (50 %) 274 l. (18 %) 36 % 3 346 l. (65 %) 4,3 pers.
JODELET 17 sc. 98 répl. 3,0 l. 897 l. (58 %) 293 l. (19 %) 33 % 3 635 l. (70 %) 4,1 pers.
ACASTE 10 sc. 40 répl. 2,4 l. 390 l. (25 %) 96 l. (7 %) 25 % 1 301 l. (26 %) 3,3 pers.
ARISTE 9 sc. 57 répl. 2,9 l. 437 l. (28 %) 165 l. (11 %) 38 % 1 840 l. (36 %) 4,2 pers.
JACINTE 8 sc. 80 répl. 1,9 l. 435 l. (28 %) 156 l. (10 %) 36 % 2 101 l. (41 %) 4,8 pers.
JULIE 5 sc. 19 répl. 1,1 l. 255 l. (17 %) 21 l. (2 %) 9 % 929 l. (18 %) 3,6 pers.
ARIMANT 6 sc. 50 répl. 1,7 l. 289 l. (19 %) 86 l. (6 %) 30 % 1 541 l. (30 %) 5,3 pers.
MORON 4 sc. 14 répl. 2,5 l. 146 l. (10 %) 35 l. (3 %) 25 % 1 030 l. (20 %) 7,1 pers.
Antoine d'Ourville. Jodelet astrologue. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
TINDARE
LILIANE
24 l. (46 %) 14 répl. 1,7 l.
28 l. (55 %) 13 répl. 2,1 l.
4 sc. 51 l. (4 %) 6,6 pers.
TINDARE
NISE
8 l. (33 %) 4 répl. 1,9 l.
16 l. (68 %) 3 répl. 5,3 l.
2 sc. 23 l. (2 %) 3,2 pers.
TINDARE
JODELET
1 l. (25 %) 1 répl. 0,8 l.
3 l. (75 %) 2 répl. 1,3 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 9,0 pers.
TINDARE
ARISTE
22 l. (57 %) 4 répl. 5,3 l.
17 l. (44 %) 4 répl. 4,1 l.
1 sc. 38 l. (3 %) 2,0 pers.
TINDARE
JACINTE
26 l. (53 %) 11 répl. 2,3 l.
24 l. (48 %) 11 répl. 2,1 l.
2 sc. 48 l. (4 %) 3,0 pers.
TINDARE
JULIE
10 l. (78 %) 4 répl. 2,3 l.
3 l. (23 %) 3 répl. 0,9 l.
1 sc. 12 l. (1 %) 3,0 pers.
TINDARE
ARIMANT
31 l. (50 %) 13 répl. 2,3 l.
31 l. (51 %) 13 répl. 2,3 l.
3 sc. 61 l. (4 %) 6,6 pers.
LILIANE
NISE
62 l. (56 %) 16 répl. 3,8 l.
50 l. (45 %) 14 répl. 3,5 l.
4 sc. 111 l. (8 %) 3,3 pers.
LILIANE
TIMANDRE
47 l. (41 %) 14 répl. 3,3 l.
68 l. (60 %) 14 répl. 4,8 l.
3 sc. 114 l. (8 %) 3,7 pers.
LILIANE
JODELET
4 l. (25 %) 5 répl. 0,6 l.
10 l. (76 %) 5 répl. 2,0 l.
2 sc. 13 l. (1 %) 5,7 pers.
LILIANE
ARISTE
1 l. (52 %) 1 répl. 0,8 l.
1 l. (49 %) 1 répl. 0,8 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 9,0 pers.
LILIANE
JACINTE
4 l. (66 %) 1 répl. 3,2 l.
2 l. (35 %) 2 répl. 0,8 l.
1 sc. 5 l. (1 %) 9,0 pers.
LILIANE
ARIMANT
14 l. (75 %) 6 répl. 2,2 l.
5 l. (26 %) 5 répl. 0,9 l.
3 sc. 18 l. (2 %) 7,6 pers.
NISE
TIMANDRE
10 l. (51 %) 4 répl. 2,5 l.
10 l. (50 %) 4 répl. 2,4 l.
2 sc. 20 l. (2 %) 3,9 pers.
NISE
JODELET
71 l. (57 %) 30 répl. 2,3 l.
54 l. (44 %) 27 répl. 2,0 l.
5 sc. 124 l. (8 %) 4,5 pers.
NISE
ARIMANT
17 l. (64 %) 6 répl. 2,8 l.
10 l. (37 %) 10 répl. 1,0 l.
3 sc. 27 l. (2 %) 6,4 pers.
TIMANDRE
JODELET
128 l. (65 %) 30 répl. 4,3 l.
71 l. (36 %) 20 répl. 3,5 l.
10 sc. 198 l. (13 %) 4,8 pers.
TIMANDRE
ACASTE
52 l. (56 %) 19 répl. 2,7 l.
42 l. (45 %) 18 répl. 2,3 l.
6 sc. 94 l. (6 %) 3,7 pers.
TIMANDRE
ARISTE
3 l. (34 %) 2 répl. 1,2 l.
5 l. (67 %) 2 répl. 2,4 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 4,0 pers.
TIMANDRE
JACINTE
9 l. (17 %) 9 répl. 1,0 l.
44 l. (84 %) 14 répl. 3,1 l.
2 sc. 53 l. (4 %) 4,7 pers.
TIMANDRE
ARIMANT
6 l. (59 %) 4 répl. 1,4 l.
4 l. (42 %) 3 répl. 1,3 l.
3 sc. 9 l. (1 %) 7,2 pers.
JODELET
ACASTE
28 l. (68 %) 5 répl. 5,6 l.
14 l. (33 %) 6 répl. 2,2 l.
4 sc. 41 l. (3 %) 3,5 pers.
JODELET
ARISTE
10 l. (39 %) 2 répl. 4,5 l.
15 l. (62 %) 3 répl. 4,8 l.
2 sc. 24 l. (2 %) 4,0 pers.
JODELET
JACINTE
33 l. (66 %) 15 répl. 2,2 l.
18 l. (35 %) 10 répl. 1,8 l.
3 sc. 51 l. (4 %) 6,6 pers.
JODELET
ARIMANT
47 l. (61 %) 15 répl. 3,1 l.
30 l. (40 %) 12 répl. 2,5 l.
3 sc. 77 l. (5 %) 6,2 pers.
JODELET
MORON
36 l. (59 %) 6 répl. 6,0 l.
26 l. (42 %) 7 répl. 3,6 l.
3 sc. 61 l. (4 %) 7,2 pers.
ACASTE
ARISTE
41 l. (49 %) 16 répl. 2,6 l.
44 l. (52 %) 16 répl. 2,7 l.
2 sc. 85 l. (6 %) 2,0 pers.
ARISTE 12 l. (100 %) 1 répl. 11,6 l. 1 sc. 12 l. (1 %) 1,0 pers.
ARISTE
JACINTE
68 l. (61 %) 26 répl. 2,6 l.
45 l. (40 %) 26 répl. 1,7 l.
3 sc. 112 l. (8 %) 5,7 pers.
ARISTE
ARIMANT
2 l. (45 %) 2 répl. 0,9 l.
3 l. (56 %) 2 répl. 1,1 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 9,0 pers.
ARISTE
MORON
4 l. (68 %) 2 répl. 2,0 l.
2 l. (33 %) 1 répl. 2,0 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 9,0 pers.
JACINTE
JULIE
19 l. (50 %) 14 répl. 1,3 l.
19 l. (51 %) 16 répl. 1,2 l.
5 sc. 37 l. (3 %) 3,6 pers.
JACINTE
ARIMANT
6 l. (81 %) 2 répl. 2,6 l.
2 l. (20 %) 2 répl. 0,6 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 9,0 pers.
JACINTE
MORON
2 l. (58 %) 1 répl. 1,7 l.
2 l. (43 %) 1 répl. 1,3 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 9,0 pers.
ARIMANT
MORON
4 l. (67 %) 3 répl. 1,3 l.
2 l. (34 %) 2 répl. 1,0 l.
2 sc. 6 l. (1 %) 8,7 pers.

Jodelet astrologue. Comédie

Antoine d'OurvillePauline BarraudGeorges ForestierÉdition critique établie par Pauline Barraud dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2006-2007)

Autres contributions

Amélie Canu : Édition XML/TEI.
Frédéric Glorieux : Informatique éditoriale.
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne)http://bibdramatique.paris-sorbonne.fr/ouville_jodelet-astrologue/teihtmltextepub
Jodelet astrologue, comédie, du Sieur d'Ourville, A PARIS, Chez CARDIN BESONGNE, au Palais, au Haut de la montée de la saincte Chapelle, aux Roses Vermeilles. M. DC. XXXXVI. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Comédie

JODELET ASTROLOGUE,
Comedie

A MESSIRE
NICOLAS
BOURDIN,
CHEVALIER, SEIGNEUR
DE VILLENNES.

MONSIEUR,

Comme entre plusieurs belles connoissances que vous avez, je sçay que vous vous divertissez particulierement à l’Astrologie, dont vous penetrez tous les secrets, j’ay creu que pour vous delasser l’esprit de vos penibles travaux et de vos occupations serieuses, vous n’auriez pas desagreable que je vous presentasse ce petit Ouvrage Comique de Monsieur d’Ouville qui m’est tombé entre les mains. Vous y verrez, MONSIEUR, les naïsvetez d’un faux Astrologue, dont l’ignorance vous plaira mieux quelquefois, que tous les beaux Livres qui vous ont rendu si fameux en cette science, et pourveu qu’il vous fasse rire apres le chagrin que vous aurez peu prendre en vostre estude, j’auray visé tout droit au but où je tends. Recevez-le donc s’il vous plaist, MONSIEUR, non comme un present qui soit digne de vous, mais comme une petite marque de la passion que j’ay de vous divertir, et de vous plaire, estant avec plus d’affection et de fidelité que personne du monde,

MONSIEUR,

Vostre tres-humble et tres-

obeissant serviteur,

C. B.

LES ACTEURS.

  • TINDARE,Cavalier* Parisien, Amoureux de Liliane.
  • LILIANE,Damoiselle Parisienne, amoureuse de Tindare.
  • NISE,Suivante de Liliane, amoureuse de Jodelet[.]
  • TIMANDRE,Cavalier* Parisien, amoureux de Liliane.
  • JODELET,valet de Timandre, amoureux de Nise.
  • ACASTE,Cavalier* Parisien, amy et Confident de Timandre.
  • ARISTE,Cavalier* Parisien, Amy et Confident de Tindare, et amoureux de Jacinte.
  • JACINTE,Damoiselle Parisienne[,] amoureuse de Tindare.
  • JULIE,Suivante de Jacinte.
  • ARIMANT,vieillard[,] pere de Liliane.
  • MORON,vieillard, Escuyer de Liliane.
La Scene est à Paris.
[p. 1, A]

ACTE I.

SCENE PREMIERE.

LILIANE, TINDARE, NISE.

LILIANE.

NE faites point, Tindare, ici plus long sejour,
De grace allez vous-en, vous voyez qu’il est jour,
Si par hazard quelqu’un vous voyoit dans la ruë,
Et qu’on vous sceust ici, Dieux je serois perduë* !

TINDARE.

5 Ayant devant mes yeux le Soleil que je voy, [p. 2]
Puis-je m’imaginer qu’il vient derriere moy ?
Madame, en m’absentant de l’Astre que j’adore,
Je suis bien esloigné de rencontrer l’Aurore.

LILIANE.

Gardez qu’on ne descouvre icy nostre secret.

TINDARE.

10 Enfin, je ne sçaurois vous quitter qu’à regret.

LILIANE.

Mais quoy vous me perdrez*.

TINDARE.

Eh de grace, Madame,
Pensez qu’en vous quittant j’abandonne mon ame,
Me voulez-vous, grands Dieux ! reduire au desespoir ?

LILIANE.

Tindare cette nuict vous me pourrez revoir,
15 Mais si vous faites cas de mon amour extresme,
Venez-y sans tesmoins.

TINDARE.

J’y viendray sans moy-mesme, [p. 3]
N’en doutez nullement, car l’heur* que je reçoy
Fait que dés à present je suis tout hors de moy.
Mais ne soyez point tant de vos faveurs avare.

LILIANE.

20 Sans perdre plus de temps retirez-vous, Tindare,
Sur tout souvenez-vous d’estre sage* et discret,
De m’aymer comme il faut, et garder le secret.

TINDARE.

Ah Dieux que dites-vous ? ne craignez rien, Madame,
Plustost que le secret on m’arrachera l’ame.

LILIANE.

25 Sus donc*, retirez-vous, allez Tindare, allez.

TINDARE.

Il faut bien s’en aller puis que vous le voulez.

SCENE II.

LILIANE, NISE.

LILIANE.

IL le faut advoüer, je suis bien malheureuse, [p. 4]
De nourrir dans mon sein cette flame* amoureuse,
Qui me consomme toute, et reduit à tel point,
30 Que mon plus grand espoir est de n’en avoir point.

NISE.

Dequoy vous plaignez-vous ? je ne sçay pas, Madame,
Qui vous peut exciter* tant de troubles dans l’ame ?
Vous aymez, on vous ayme, on brusle de vous voir,
Qui peut apres cela destruire vostre espoir ?
35 Qui se fascha* jamais de se voir trop aymee ?

LILIANE.

Cet amour apres tout ne peut estre blasmee :
Tu voids qu’on veut forcer mon inclination*,
Me livrant à l’objet* de mon adversion.

NISE.

Je vous ay dit cent fois que je ne puis comprendre
40 Le subjet pour lequel vous rebutez* Timandre. [p. 5]
Peut-on voir dans Paris un Cavalier* mieux fait* ?
Il a tres-bonne mine*, il est riche, et discret*.
Il vous ayme, ou plustost, Madame, il vous adore,
Il meurt d’amour pour vous ; mais ce qui plus encore
45 Vous devroit obliger à preferer à tous
Ce brave* Cavalier* pour estre vostre espoux,
Vostre pere y consent, et vous sçavez, Madame,
Qu’il est fort esloigné d’approuver vostre flame*,
Il ayme la richesse, et vous sçavez tres-bien
50 Si Tindare est galand* qu’il ne possede rien.

LILIANE.

Je sçay bien qu’il possede un merite* si rare*,
Qu’enfin je ne voy rien comparable à Tindare,
Timandre vient trop tard, car Tindare a mon cœur,
Qui se sent ravir d’aise au nom de ce vainqueur.

NISE.

55 Madame vous semblez, souffrez* que je le die,
En cette occasion*, Dame de Comedie,
Vous rebutez* le riche, et prenez l’indigent ?

LILIANE.

Dois-je pas preferer les vertus à l’argent ?

NISE.

Non, Madame, sçachez qu’en ce siecle où nous sommes,
60 On ne fait plus d’estat de la vertu des hommes ; [p. 6]
Et quand cela seroit, me pouvez-vous nier
Que toutes les vertus d’un parfait Cavalier*
Ne soient pas en Timandre ? En croyant le contraire,
Si vous desavoüez une chose si claire,
65 Je dy qu’on a raison de peindre Amour sans yeux.

LILIANE.

Ce que tu dis est vray, Nise, mais j’ayme mieux
Expirer mille fois, que paroistre volage.
Oüy, Nise, asseure-toy que j’ay trop de courage*,
Pour rejetter Tindare, il a receu de moy
70 Depuis six mois entiers des gages de ma foy*,
Tels que je ne sçaurois à present m’en desdire.

NISE.

Mais si c’est pour luy seul que vostre cœur souspire,
Pourquoy refusez-vous de le voir en plein jour ?
Et feignez-vous qu’il soit absent de cette Cour ?

LILIANE.

75 Nise, tu ne sçais pas, et c’est ce qui m’afflige,
Jusques où la rigueur de l’honneur nous oblige,
Ce poinct trop chatoüilleux pour peu devient suspect,
Et on n’y peut jamais estre trop circonspect,
Je ne le cele* point, Nise, je te confesse,
80 Que j’eu pour ce Tindare un excez de tendresse,
Si tost que je cognu que ce parfait Amant
Brusloit d’amour pour moy ; Mais admire comment [p. 7]
J’ay peu me retenir dans cet amour extresme,
N’ayant jamais voulu qu’il cognust que je l’ayme,
85 Que lors* qu’en s’absentant, Nise, il me fit sçavoir
Qu’il s’éloignoit de moy par un pur desespoir.
Je confesse qu’alors il me fut impossible
De nier qu’à ses vœux* je ne fusse sensible,
Qu’il possedoit mon cœur, il voulut demeurer,
90 Aussi-tost qu’il apprit qu’il pouvoit esperer,
Mais je luy prescrivi cette loy rigoureuse
Pour ne pas éventer cette flame* Amoureuse
Que je tenois secrette au profond de mon cœur,
Qu’il se tiendroit caché dans Paris en lieu seur,
95 Et qu’il feroit courir le bruit qu’en Italie
Il s’alloit divertir de sa melancolie.
Il est dedans Paris caché depuis six mois,
Et ce secret ici n’est sceu que de nous trois.

NISE.

Qui peut causer en vous cette cruelle envie ?

LILIANE.

100 L’honneur qui m’est plus cher mille fois que la vie,
Je crains plus que la mort qu’on sçache que mon cœur
Rebelle jusqu’icy recognoisse un vainqueur,
N’ayant jamais souffert* l’empire de personne.

NISE.

Il est certain, Madame, et chacun s’en estonne [p. 8]
105 Et depuis fort long-temps par tout où j’ay hanté
On fait baucoup de bruit de vostre cruauté,
Jusques-là qu’aujourd’huy je me suis laissé dire
Qu’un Poëte de ce temps en fait une Satyre.

LILIANE.

Ce bruit m’est favorable, eh ! sotte penses-tu
110 Qu’on ait droict de blâmer un excez de vertu,
Quand une fille passe et pour jeune et pour belle,
On ne l’offense point en la nommant cruelle ;
Enfin, je ne crains rien, et je ne doute point
Que Tindare ne soit discret au dernier poinct,
115 On ne m’a [pas] trompée, et je crains trop de l’estre,
Un amy peu discret, un valet lasche*, et traistre
Nous peut par un rapport* aysement ruiner,
Et l’honneur est apres trop fort à regagner,
Une langue peut tout quand elle veut mesdire,
120 A cent femmes d’honneur une langue peut nuire,
Et cent langues aussi ne sçauroient restablir,
Ce delicat honneur que l’on vient d’affoiblir.

NISE.

Ne craignez rien de moy sur ce sujet, Madame,
Quoy d’aller reveler les secrets de vostre Ame ?
125 Je souffrirois* plutost qu’on m’arrachast le cœur.
Mais c’est estre bigearre, et d’une estrange humeur*, [p. 9, B]
Pardonnez si je semble en cecy trop hardie,
Vous voulez imiter, souffrez* que je le die,
Vous voyant follement l’esprit embarassé,
130 L’humeur* des Chevaliers errans du temps passé.
Pourquoy vouloir paroistre et cruelle et severe*
Pour le soustien d’un bien qui n’est qu’imaginaire ?
D’un chimerique honneur, dont vous vantez le prix ?
Ce rigoureux tyran des credules esprits ?
135 Nul ne sçait vostre humeur* qui d’abord n’attribue
Tant de precaution et tant de retenuë,
A trop d’impertinence, et de simplicité,
Pardonnez si je parle avecque liberté.
Aymez comme on s’habille, assavoir à la mode,
140 Outre [qu’il] est utile, il est bien plus commode,
Sans vouloir en Amour introduire une loy
Nouvelle, et ridicule ?

LILIANE.

Impudente tay toy.
Mais quelqu’un entre icy.

NISE.

Madame, c’est Timandre.

SCENE III.

LILIANE, TIMANDRE, NISE, JODELET.

LILIANE.

QUe voy-je ? justes Dieux ! osez-vous entreprendre [p. 10]
145 De m’aborder* ainsi ? Timandre, resvez*-vous ?

TIMANDRE.

Madame, moderez ce violent courroux,
Faut-il que la colere à ce poinct vous transporte* ?
Qui vous peut obliger à traitter de la sorte
Celuy qui vous adore, en rebutant* l’Amour
150 Du plus parfait Amant qui respire le jour ?

LILIANE.

Timandre, c’est en vain, faisons donc je vous prie
Tresve de complimens*, et de cajolerie,
Je vous laisseray là si vous ne me quittez.

TIMANDRE.

Le charme est trop puissant qu’on void en vos beautez,
155 Comme le papillon tournoye, et bat de l’aisle
Tant qu’il se vient enfin brusler à la chandelle, [p. 11]
Mon amour aveuglé qui n’a point de pareil
Vient aussi se brusler aux rais de ce Soleil,
Et c’est de mes souhaits la plus haute fortune*.

LILIANE.

160 Je mesprise un amour alors qu’il m’importune,
Et si contre mon gré ce Dieu vous a surpris,
Ne vous plaignez, Monsieur, jamais de mes mespris.
Mais quand chasserez-vous cet amour de vostre ame ?

TIMANDRE.

Lors* que vous cesserez d’estre belle, Madame,
165 Et lors* que je seray sans oreille et sans yeux.

LILIANE.

Je ne puis revoquer la volonté des Cieux ;
Car despend-il de moy, Timandre d’estre belle ?
S’il est vray toutefois que je vous paroy telle ?

TIMANDRE.

Mais ne vous aimer point, est-il dans le pouvoir
170 De quiconque, Madame, a des yeux pour vous voir ?
Et par cette raison excusez je vous prie
Ces violents effets de mon effronterie.

LILIANE.

Sortez je vous supplie, [ou] vous courez danger [p. 12]
En passant plus avant de me desobliger* ;
175 C’est en effect avoir bien peu de complaisance,
Rien ne me déplaist tant que fait vostre presence,
En vain auprez de moy vous cherchez du credit,
Je ne vous puis souffrir*, cent fois je vous l’ay dit,
Et vous le dis encor.

TIMANDRE.

Ah ! Madame, de grace
180 Ayez pitié de moy.

LILIANE.

Je vous quitte la place,
C’est trop m’importuner, je vous laisse en ce lieu
En vous disant, Timandre, un eternel Adieu.
Vous prenez du plaisir à me mettre en colere.
Elle sort.

SCENE IV.

TIMANDRE, JODELET, NISE.

TIMANDRE.

QU’entens-je, justes Dieux ? je meurs, je desespere.

JODELET.

185 Quoy Monsieur, vous souffrez* que l’on vous traite ainsi ? [p. 13]
Si vous le voulez bien, je le veux bien aussi,
Comment ? j’endurerois d’une fille si vayne*
Tant d’apparens mespris ? Non, fust-elle une Reyne,
Et plus qu’une Deesse eust-elle des appas,
190 On ne me verroit point pour elle faire un pas.

TIMANDRE.

Fut-il jamais Amant [méprisé] de la sorte ?
Ah ! je voy que pour moy toute esperance est morte.

NISE.

J’ay pris vostre party, jusques à la fascher*,
Mais c’est en vain, Monsieur, que j’ay creu la toucher,
195 Plus je vous vantois brave*, et rempli de merite*,
Plus elle se monstroit orgueilleuse et depite.

TIMANDRE.

La cruelle me traitte avec trop de rigueur.
Mais, Nise, en sçais-tu point la cause ?

NISE.

Non, Monsieur.
Elle traite un chacun de mesme indifference,
200 Et ne donne à pas un plus qu’à vous d’esperance.

TIMANDRE.

Amour, sors de mon cœur, oüy je t’en veux bannir, [p. 14]
Cette estroite prison ne te peut contenir,
Tu ne sçaurois durer en si petit espace,
Ny conserver mes feux* avecque tant de glace.
205 Voyant tant de mespris, ingrate, je promets
De briser tes liens, et n’y rentrer jamais.
Je ne desire pas pourtant que Nise pense
Que ses soins* ont esté pour moy sans recompense,
Cette chaine est à toy.

NISE.

Je vois en verité
210 Que vous estes, Monsieur, en pleine liberté.
Mais en sortant des fers de celle qui vous brave*,
Vous m’enchainez, Monsieur, et me rendez esclave.
Mais quel service encor desirez-vous de moy ?

TIMANDRE.

Je te paye ici ceux que j’ay receus de toy,
215 Je ne te feray plus requeste ny priere,
Puis que j’ay recouvré* ma liberté premiere,
Puis qu’on rit de ma peine, et que je voy fort bien
Que mes plus grands efforts ne m’y servent de rien.
Vien, suy-moy, Jodelet, va, Nise, je te laisse,
220 Comme j’ay resolu de laisser ta Maistresse.

JODELET.

Laissez-moy, je vous prie, et nous dites Adieu, [p. 15]
Je pourray n’estre pas inutile en ce lieu.

SCENE V.

JODELET, NISE.

JODELET.

ET bien, Nise, feray-je ainsi que fait mon Maistre ?
Te quitteray-je aussi ?

NISE.

Serois-tu bien si traistre ?
225 T’obligeay-je à me faire un si perfide tour ?
Et ne te rens-je pas un reciproque Amour ?
Qui t’oblige à me faire ici cette bravade ?

JODELET.

Si mon Maistre est guery, pourrois-je estre malade ?
Je t’aymeray sans doute autant qu’il aymera,
230 Mais son Amour cessant la mienne cessera.
Je parle à cœur ouvert, car je hay l’imposture.

NISE.

Va, tu n’és qu’un ingrat, va, tu n’és qu’un parjure, [p. 16]
Je le merite bien, je ne m’en prens qu’à moy,
Je t’ay trop témoigné de constance et de foy*.
235 Mais dy-moy, suis-je cause icy que ma Maistresse
Fuit ton Maistre, et le traite avec tant de rudesse ?
Pourquoy dois-je patir pour la faute d’autruy ?
N’ay-je pas fait en vain ce que j’ay peu pour luy ?

JODELET.

Mais ne pourrois-tu point vaincre cet impossible ?
240 Et rendre ta Maistresse un peu plus accessible ?
Je croy certainement si tu le desirois
Que tu peux tout sur elle, et je t’adorerois.
Ou dy-moy le sujet qui la rend si severe*,
Il faut que cette humeur* cache quelque mystere
245 Que je ne comprens point, car tu sçais en effet
Que mon Maistre est galand*, aymable* et tres-bien fait*,
Liberal et discret*, autant qu’on le peut estre.

NISE.

Ce que tu dis est vray, je sçay bien que ton Maistre
Est brave* au dernier poinct, et croy que tous les jours
250 Je tiens à ma Maistresse un semblable discours ;
Mais loin de la flechir sa hayne devient pire,
Je n’ose plus parler, mais si je t’osois dire
Le sujet qui la porte à ne le pas aymer,
Tu n’aurois pas si fort subjet de la blasmer. [p. 17]
255 Mais quoy, c’est un secret de trop grande importance.

JODELET.

Je ne le sçauray point ?

NISE.

Non.

JODELET.

As-tu l’asseurance
De me parler ainsi ? tu m’aymes ?

NISE.

Oüy.

JODELET.

Tu ments.

NISE.

Veux-tu que je t’en fasse ici mille serments ?

JODELET.

A quoy bon si tu crains de me dire une chose ?

NISE.

260 Ne m’importune point.

JODELET.

Dy le moy donc. [p. 18]

NISE.

Je n’ose.
J’aymerois mieux mourir, car j’ay juré ma foy*
De n’en parler jamais.

JODELET.

Va, va, Nise, tay-toy,
Je la sçauray, je gage.

NISE.

Encor de quelle sorte ?

JODELET.

N’és-tu pas femme ?

NISE.

Non, je suis fille.

JODELET.

Qu’importe ?
265 Sers*-tu pas.

NISE.

Oüy je sers*, quoy qu’à mon grand regret.

JODELET.

Et tu pourrois, dy-moy, me celer* un secret ? [p. 19, C]

NISE.

Pour le sçavoir de moy, quel don me veux-tu faire ?

JODELET.

Mais que demandes-tu bien plutost pour te taire ?
Tu brusle de le dire, à ce que je puis voir,
270 Cent fois plus que je n’ay desir de le sçavoir.

NISE.

Puis que tu fais paroistre en avoir peu d’envie
Tu ne le sçauras point.

JODELET.

Je ne vis en ma vie
Tant aller ny venir, parle, depesche-toy,
Voudrois-tu bien ici te deffier de moy ?

NISE.

275 Ne t’estonne si j’ose en user de la sorte,
Car plus que tu ne crois cette chose m’importe,
Jure moy donc avant de n’en parler jamais,
Et je te le diray.

JODELET.

Va je te le promets. [p. 20]
Mais quel serment, dy-moy, veux-tu que je te fasse ?
280 Puissay-je maintenant tomber dans ta disgrace,
Et ne te voir jamais si l’on le sçait par moy.

NISE.

Va, je suis resoluë, et quasi* je te croy.

JODELET

Parle donc librement, et sans aucun scrupule.

NISE.

Tu dois doncques sçavoir.

JODELET.

Laisse ce preambule,

NISE.

285 Qu’un obstacle tres-grand, à ton Maistre fatal,
Empesche qu’on ne l’ayme.

JODELET.

Et bien quel ?

NISE.

Un Rival.
Qu’il ne s’estonne point de voir qu’on le méprise, [p. 21]
Depuis un an et plus, ma Maistresse est esprise
D’un jeune Cavalier*, galand*, sage*, et discret*,
290 Et cet Amour entr’eux est tellement secret,
Que nous trois seulement en avons cognoissance :
Depuis plus de six mois on le croit hors de France.
Mais afin que de tout tu sois bien adverty,
Il est en cette ville, et n’en est point sorty,
295 Caché chez un amy, sans que cet amy mesme
Ait peu sçavoir de luy quelle Maistresse il ayme.
Il vient parfois la nuict voir cet objet* aymé,
Car le reste du jour il demeure enfermé,
Et ma Maistresse alors me commande de mettre
300 Pour servir de signal, un linge à la fenestre.
Lors* je le fais entrer sans scandale et sans bruit
Par certain huis secret qui n’ouvre que de nuit ;
Car tout le long du jour, il est fermé de sorte
Qu’on ne sçauroit avoir soupçon de cette porte.
305 Une grille respond en bas dans le jardin,
Et se parlent par là du soir jusqu’au matin.
Voy que je t’ay tout dit sans nulle retenuë,
Garde-toy de causer, car je serois perduë*.

JODELET.

Non, non, tu ne m’as fait l’histoire qu’à demy,
310 Pourquoy me celes*-tu le nom de cet amy,
Et celui du Rival ?

NISE.

Ariste est, ce me semble, [p. 22]
Le nom de cet amy, mais croy moy que je tremble,
Lors* que je me resous à nommer ce rival ;
Car il m’en peut sans doute arriver un grand mal.
315 Va, Tindare est son nom ; mais adieu je te laisse,
Car j’entends qu’on m’appelle, et que c’est ma Maistresse,
Sors d’ici promptement, car il m’en faut aller,
Et garde bien qu’un tiers n’en entende parler.
Elle s’en va.

JODELET seul.

Adieu donc mon Soleil. Ah la triste nouvelle !
320 Quoy ? c’est là le sujet qui te rend si cruelle ?
Et c’est là cet honneur que tu vantois si fort
Perfide Liliane ? Ah Dieux mon Maistre est mort !
Cette estrange nouvelle est un coup de tonnerre
Qui le va roide mort faire tomber par terre.
325 Je brusle de le dire, et je ne sçay comment
J’ay tenu ce secret caché si longuement,
La langue d’un valet est pire qu’un trompette,
Voy que Nise a tenu la chose bien secrette,
On me le vient d’apprendre au marais, et demain
330 On le sçaura sans doute au fauxbourg S.Germain.

Fin du premier Acte.

ACTE II.

SCENE PREMIERE.

TIMANDRE, JODELET.

TIMANDRE.

QUOI ? ce que tu m’as dit est-il vray ? [p. 23]

JODELET.

Je le jure,
Vous voudrois-je, Monsieur, repaistre d’imposture ?
Nise m’a tout conté comme je vous l’ay dit.

TIMANDRE.

Ah Dieux ! par ce rapport* tu me rens interdit* ?
335 Quoy donc, tu viens icy par ce discours funeste
A mes maux joindre un mal plus cruel que la peste,
Ce vautour renaissant, cette jalouse humeur*
Qui de son fier venin m’empoisonne le cœur ?
Ah ! mon esprit se perd, et ma raison s’égare, [p. 24]
340 Je ne me plains pas tant qu’elle aime ce Tindare,
Comme je suis picqué d’apprendre que son cœur
Se sert dans les mespris d’une fausse pudeur,
D’un honneur chimerique ; Encor si la cruelle
Me bravoit* seulement pour estre indigne d’elle,
345 Sçachant ce qu’elle vaut, je pourrois l’endurer,
Et mesme sans m’en plaindre et sans en murmurer.
Mais aymer ce rival ? ah Dieu j’en desespere,
C’est par trop de mespris, je ne m’en sçaurois taire,
Ce seroit estre lasche*, et trop manquer de cœur*,
350 Vengeons-nous puissamment de ce sexe trompeur,
Mon dépit aujourd’huy paroistra legitime,
Si je vay de ce pas luy reprocher son crime.

JODELET.

Que dites-vous, Monsieur ? quel est vostre dessein ?
Ah ! mettez-moy plutost un poignard dans le sein,
355 Car des le mesme instant, Nise seroit chassee,
Voudriez-vous qu’elle fust si mal recompensee
Des offices* puissans qu’elle vous a rendus ?
Que sa peine et ses soins* fussent ainsi perdus* ?
Et voulez-vous aussi me ruiner moy-mesme
360 Me rendant ennemy d’une fille qui m’ayme ?

TIMANDRE.

Excuse, Jodelet, ce violent courroux,
Puis-je estre retenu lors* que je suis jaloux,
Non, j’ayme mieux ici, de peur de te desplaire, [p. 25, D]
Devorer mon dépit, et vaincre ma colere,
365 Je la voy sur la porte, allons tost l’aborder*.

JODELET.

Vous ne pourrez, Monsieur, jamais vous en garder,
Je vous cognoy trop bien.

SCENE II.

TIMANDRE, LILIANE, JODELET, NISE.

TIMANDRE.

JE ne viens plus, Madame,
Pour vous exagerer tous ces souspirs de flame*,
Ces vœux* et ces respects qui vous sont odieux,
370 Mais pour mortifier ce cœur ambitieux,
Abbaisser cet orgueil qui vous rend ainsi vaine*,
Qui vous porte à ma honte à trancher* de la Reyne,
Je ry de vos faveurs, et je vous fais sçavoir
Si j’ay dit que sur moy vous avez du pouvoir,
375 Je m’en dédy tout haut, et puisque ma presence,
Comme je le sçay bien, vous choque et vous offence,
Je viens pour me vanger, vous declarer ici
Que vous ne me causez ny peine ny souci*, [p. 26]
Et que comme le corps n’abandonne point l’ame,
380 Malgré vous jour et nuict je vous suivray, Madame,
Voila le seul sujet qui m’emmeyne, et je puis
Vous dire franchement qu’en l’estat où je suis
Ma satisfaction est dans vostre colere.

LILIANE.

Timandre, je devrois vous quitter et me taire,
385 Vous trouvez, dites-vous, du bien dans mes rigueurs ?
S’il est vray, je vous veux accabler de faveurs,
Si mes plus grands mépris vous sont considerables,
Et si vous estimez mes dédains agreables,
Je suspendray ma haine, et jusques à tel poinct
390 Que je vous aimeray pour ne vous aimer point.
Car je mourray plutost, Timandre, que de faire
Quelque chose qui soit capable de vous plaire.

TIMANDRE.

Vous pensez me prescrire une severe loy,
Mais avant que partir, de grace escoutez-moy.
395 Je me mocque, Madame, et ce discours m’offence,
Je hais une vertu qui n’est qu’en apparence.

LILIANE.

Je tiens* tous les mortels trop indignes de moy,
Un Dieu mesme auroit peine à me donner la loy,
Oüy, quand bien vous seriez l’Astre qui nous esclaire,
400 Vous ne pourriez m’aimer, et ne me pas déplaire. [p. 27]

TIMANDRE.

Il est vray, vostre honneur n’eut jamais de pareil,
On ne vous peut blasmer, qu’en effect le Soleil
Ait en vous jusqu’icy fait voir foiblesse aucune,
Mais vous ne direz pas le mesme de la Lune,
405 Alors qu’entre une et deux.

LILIANE.

Que dict cet effronté ?

TIMANDRE.

Je trace cet Eloge à vostre chasteté ;
Et fais paroistre ici beaucoup de patience,
Mais je seray contraint de rompre le silence[.]
Si vous avez le don d’exceller en beauté,
410 Vous témoignez ici bien plus de vanité,
Ne me contraignez pas, Madame, de vous faire
Un discours là dessus qui vous pourroit déplaire.

LILIANE.

Vous ne pouvez rien dire avec vostre courroux,
Qui me puisse déplaire en ce poinct plus que vous.

TIMANDRE.

415 Quand je vous auray dit tout ce que j’ay dans l’ame,
Je plairay moins encor[ ;] eh de grace, Madame,
Escoutez-moy de jour, puis que vous escoutez [p. 28]
Mon rival chaque nuit.

JODELET.

Ah vous vous emportez !

LILIANE.

Tresve de ce discours, Monsieur, je vous supplie,
420 Ce procedé vers moy tient trop de la folie,
Et [je ne]cele* point, que j’abhorre les fous.

TIMANDRE.

Je veux pourtant avoir cette faveur de vous,
Non pas avec dessein de vous prier de mettre
La nuit un linge blanc pour marque à la fenestre.
425 Qu’une grille responde en bas dans le jardin,
Par où nous discourions du soir jusqu’au matin :
Ny que j’entre de peur que vous soyez blasmée
Par une porte ouverte, et qui semble fermée,
Par où vous recevez la nuit ce languissant
430 Caché dedans Paris, et que l’on croit absent,
Que Nise fait venir toutes les nuits, de sorte
Qu’il entre en seureté par cette fausse porte.
N’en sçay-je pas assez ?

LILIANE.

Vous le sçavez si bien
Qu’on peut dire en ce poinct que vous n’ignorez rien.
435 Vous avez sans mentir la memoire excellente. [p. 29]

TIMANDRE.

Je croy qu’elle vous est en ce poinct déplaisante,
C’est pour vous advertir à n’estre plus d’humeur*
De tant exagerer chez vous un faux honneur,
Ne tranchez* point vers moy tant de l’honneste femme,
440 Puis que je vous cognoy : Non, vos mespris, Madame,
Ne me déplairoient point, s’ils avoient seulement
En cette occasion* l’honneur pour fondement.
Avec un tel defaut, vous estes trop hautaine,
Soyez d’oresnavant plus modeste et moins vaine*,
445 Ne me dédaignez point, car chacun vaut son prix,
Et tenez* pour certain que c’est de vos mespris
Que ce discours provient, non de ma jalousie ;
Et que plus que la mort je hay l’hypocrisie,
Et toute vanité, car la vertu toujours
450 Se fait voir aux effects, et non pas au discours.
Pardonnez ce transport*, Madame, et vous souvienne
Qu’une langue en est cause, et ce n’est pas la mienne.

LILIANE.

Qu’entends-je justes Dieux ?

JODELET.

Qu’avez-vous fait Monsieur ?

TIMANDRE.

Je ne sçay mon Amy. [p. 30]

NISE bas.

Grands Dieux je meurs de peur !
455 Qu’en cette occasion*, Madame ne m’accuse.

TIMANDRE.

N’allez point inventer quelque nouvelle excuse,
Ce que je dis est vray, j’en suis bien asseuré.

LILIANE à Nise.

Tu m’as trahie infame*, ah ! j’en eusse juré.

NISE.

Cela n’est point, Madame, et je vous le proteste.

LILIANE.

460 Des valets langagers sont pires que la peste,
Dieux à qui me fiois-je ?

JODELET à Timandre.

Ah vous avez grand tort !

LILIANE à Nise.

Sans doute tu seras la cause de ma mort.

JODELET à Timandre.

Cette fille en patit, voyez que l’on l’accuse. [p. 31]
Ah Dieux qu’avez-vous dit !

TIMANDRE à Jodelet.

Invente quelque ruse,
465 Pour nous tirer tous deux de ce dedale ici.

JODELET.

S’il ne tient qu’à mentir, laissez-m’en le souci*,
Demeurerois-je court en si belle matiere ?
Non, non, ne craignez point, je ne tarderay guere.

NISE.

Escoutez-moy, Madame.

LILIANE.

Ah ! perfide tay toy.

NISE.

470 Si quelqu’un vous a fait ce faux rapport* de moy
Sans doute il a menty, car jamais en ma vie,
Et me croyez, madame, il ne m’en prist envie.

JODELET à Timandre.

J’ay conceu dans moy-mesme un tour assez plaisant.

TIMANDRE à Jodelet.

Je t’ay tousjours cognu l’esprit assez present, [p. 32]
475 Va, va, je t’ayderay.

JODELET.

Quand on me devroit pendre,
Je le diray, Monsieur, je ne m’en puis defendre.
Je ne sçaurois souffrir* que l’on blasme en effect
Cette servante ici d’un rapport* que j’ay fait.
Madame, vous taxez à tort son innocence,
480 Je me sens obligé mesme en [ma] conscience
De reveler ici le tout de poinct en poinct.
Que gagnez-vous, Monsieur, je ne me tairay point[.]
Madame, il me fait signe ici que je me taise,
Mais je n’en feray rien, luy plaise ou luy déplaise,
485 Je vous conteray tout.

TIMANDRE.

Mais voyez ce maraut*,
Qu’est-ce qu’il va conter ?

JODELET.

Ne parlez point si haut,
Ferois-je pas , Madame, une grande injustice ?
Car si j’ay fait le mal, faut-il qu’elle en patisse ?
Que sert en ce sujet de faire tant le fin ?
490 Sçachez donc que je suis Astrologue* et Devin.
Je voy bien en effect que mon Maistre s’en fasche*, [p. 33, E]
Pour cause il ne veut pas que personne le sçache,
Mais en ce fameux art, sans rien dissimuler,
Il n’est homme icy bas qui me puisse égaler,
495 Je sçay ce qui se fait au fond de l’Allemagne,
En Flandre, en Italie, en Hongrie, en Espagne,
Je sçay des ennemis les secrets plus cachez,
Et comme l’A, b, c, je cognoy vos pechez,
Je fourny tous les jours cent nouvelles secrettes
500 Au maistre du Bureau pour remplir ses Gazettes,
Et pour avoir sur luy quelques hauts ascendants,
Je luy dy les tenir de mes correspondants.

TIMANDRE.

Que dit cet insensé ?

JODELET.

Je dy ce qui vous fasche*,
Mais entre vous et moy, serois-je pas bien lasche*
505 Et bien dénaturé de souffrir* aujourd’huy
Que l’innocent patist pour la faute d’autruy ?
Pour vous desabuser, sçachez doncques, Madame,
Que sçachant comme vous les secrets de vostre ame,
Voyant que vous traittiez mon Maistre avec rigueur,
510 Je luy fis hier au soir voir à nud vostre cœur ;
Je luy fis voir à clair par un rare* artifice
Le sujet qui vous fait mépriser son service*,
Je luy fis contempler dans un certain miroir [p. 34]
Tout ce qu’il vient ici de vous ramentevoir.
515 La grille, le jardin, le linge, la fenestre,
Et le galand* aussi qu’il peut alors cognoistre,
Devisant avec vous, sans qu’il peust toutefois
Entendre ses discours, ny discerner sa voix.

TIMANDRE.

Puis que cet impudent a commencé, Madame,
520 A descouvrir ici les secrets de mon ame,
Je veux tout advoüer, et vous veux dire aussi
Le sujet qui m’oblige à le cacher ainsi.
Vous avez dans Paris autrefois veu paroistre
Un qui dans ce mestier estoit l’unique maistre,
525 Qu’on appelloit Cesar, en cet art si fameux
Qu’ainsi que dans un Livre il lisoit dans les Cieux.
Aussi ces feux brillans sont une tablature
Capable de servir aux doctes d’escriture,
Pour cognoistre par là le soir et le matin,
530 Quel doit estre leur bon ou leur mauvais destin.
Il sçavoit quand la nuict tendoit ses noires voilles,
Juger de l’advenir par le cours des estoilles,
Et sans luy voir en rien l’esprit embarassé,
Ainsi que l’advenir, il sçavoit le passé.
535 Il sçavoit la vertu des pierres, et des plantes,
Et par l’oblique cours des estoiles errantes,
Joint aux Astres brillants cloüez au Firmament, [p. 35]
Faisoit de nos destins un certain jugement.
Ce prodige estonnoit* une simple cervelle,
540 Estimant que la cause en fust surnaturelle,
Ce qui faisoit qu’aucuns l’estimoient un pipeur,
Les uns Magicien, les autres enchanteur,
Et cette opinion passoit pour si certaine
Que ces credules sots l’ont souvent mis en peine,
545 Et mesme la pluspart de ce peuple grossier
Soustenoit qu’il avoit un esprit familier.
Mais moy qui ne croy pas de leger aux merveilles,
Qui déments en ce poinct mes yeux et mes oreilles,
J’ay creu, sondant avant dans ces secrets cachez
550 Qu’à la seule science ils estoient attachez.
Il croyoit que m’estant amy si fort intime,
S’il m’eust teu quelque chose eust esté faire un crime,
Ce qui peut l’obliger lors* à me faire part
De tout ce qu’il avoit de plus rare* en son art.
555 Mais craignant que cet art n’engendrast des scrupules
Capables d’ébranler les esprits trop credules,
Qui pourroient de moy faire un mauvais jugement.
Pour me mettre à l’abry de cet evenement,
Et tirer quant-et-quant profit de sa science,
560 Je fy que mon valet en eust la cognoissance,
Il y prist tant de peine, et l’instruisit si bien
Qu’en peu moins de trois mois, il n’ignoroit plus rien,
Et de luy-mesme apres s’est rendu si capable
Qu’en ce rare* sçavoir il est incomparable.
565 Mais comme en ce bel art on le vit exceller, [p. 36]
Des jaloux envieux en voulurent parler,
Qui ne cognoissans pas la noble Astrologie*,
Luy voulurent donner le surnom de Magie.
Il s’en lava pourtant, mais en quelque façon
570 Redoutant le scandale, et qu’on en eust soubçon,
J’ay voulu qu’il cachast cette rare* science,
Luy commandant sur tout de garder le silence,
Et se monstrer muet, redoutant le danger
A qui sur ce sujet viendroit l’interroger.
575 Moy voyant à ce poinct ma gloire traversee,
Et ma fidelle amour si mal recompensee,
Et me voyant de vous jusques icy traitté
Avec trop de mespris et trop d’indignité,
Je ne vous cele* point que j’ay voulu cognoistre
580 Ce qui vous obligeoit à me faire paroistre
Ces evidents effects de vostre adversion,
Et pourquoy vous braviez* ainsi ma passion.
Et par le seul moyen de ce maraut* infame*,
Qui vous a revelé les secrets de mon ame,
585 J’ay veu le linge blanc, la grille, le jardin,
La porte, la fenestre, et cognu qu’à la fin
Tout tendoit à ma perte, ah Dieux je perds courage !
Suffit, je ne puis pas en dire davantage.
Si j’ay paru, Madame, en ce poinct peu discret
590 De vous avoir ici revelé ce secret,
Qui comme vous sçavez m’est de telle importance,
C’est que j’ay desiré vous oster la croyance,
Que vous avez conceuë, et que c’est sans raison [p. 37]
Qu’ici vous accusez Nise de trahison.

JODELET.

595 Ce qu’il vous dit est vray, Madame, je vous jure,
Et je ne serois pas en si pauvre posture
Si je n’avois cognu dans l’arrest du destin,
Que je m’en doy trouver bien-heureux à la fin.
Et qu’en servant* ainsi, je cours fortune* d’estre
600 Avant qu’il soit long-temps plus riche que mon maistre.

LILIANE.

Que deviendray-je, ô Dieux ! je suis tout hors de moy.

NISE.

Aurez-vous desormais des doutes de ma foy*.
Pourrez-vous m’accuser que je vous ay venduë ?

JODELET bas à Timandre.

La fourbe* est excellente, et quasi* je l’ay creuë,
605 Tant vous l’avez, Monsieur, sceu peindre adroitement.

LILIANE.

Vostre discours, Monsieur, m’estonne* extremement.
Mais je n’ay point, je croy, de sujet de me plaindre,
Car vous cognoissant bien je ne doy jamais craindre
Qu’un brave* Cavalier*, si noble et si discret*
610 Pour me perdre* d’honneur revele mon secret.
Vous le devez au sexe, et j’aurois tort de croire [p. 38]
Que vous vous voulussiez opposer à ma gloire,
Puis que vostre valet a cet art merveilleux,
De pouvoir penetrer jusques dedans les Cieux,
615 Puis qu’il cognoist l’Amour où mon Astre m’incline,
Qu’il m’est force d’aller où le Ciel me destine,
En voyant vostre flame*, et vos desseins trahis[,]
Accusez-en, Monsieur, l’Astre à qui j’obeïs[.]
En tout autre dessein le Ciel vous soit propice,
620 Voyez où je pourray vous rendre du service.

TIMANDRE.

Si le Ciel vous defend de me rien accorder,
Aurois-je bien le front de vous rien demander ?
Adieu, sur ce discours je vous quitte, Madame,
Mais sur tout n’ayez pas aucun soupçon en l’ame,
625 Que jamais pour mourir j’évente ce secret.
Reposez-vous sur moy.

LILIANE.

Je vous tiens* trop discret.

SCENE III.

LILIANE, NISE.

LILIANE.

NIse, fut-il jamais fille plus malheureuse ? [p. 39]
Regarde où me reduit cette flame* amoureuse ?
Quel fruit j’ay recueilly de ma precaution ?
630 Si le destin ainsi trahit ma passion ?
Quoy les plus grands secrets qui soient en la nature,
Veulent rendre eternels les tourmens que j’endure ?
Et mon sort rigoureux approuvant leur dessein
Se resout à me mettre un poignard dans le sein ?

NISE.

635 Non, non, n’ayez Madame, aucune deffiance,
Que Timandre jamais à ce poinct vous offence,
Il est noble, et remply de generosité.

LILIANE.

Ah Dieux ! c’est un Amant que j’ay trop rebuté*,
Il voudra se vanger, et me perdre* sans doute.

NISE.

640 Non, ne le craignez point. [p. 40]

LILIANE.

C’est ce que je redoute,
Tout m’est indifferent, et la vie et la mort,
Ainsi je me remets aux volontez du sort.

SCENE IV.

TIMANDRE, JODELET.

TIMANDRE.

HElas ! j’estois perdu* sans toy, je le confesse,
Je ne sçaurois assez admirer ton adresse,
645 C’est trop peu te payer que d’un remerciement,
Pour un service tel reçoy ce diamant.

JODELET.

Je vous baise les mains*, mais aussi je proteste
Que vous avez, Monsieur, bien achevé le reste,
Vous avez si bien feint, que peu s’en est fallu
650 Tant vous estes adroit, que je ne l’aye creu.
Mais encor dites moy, comme avez-vous peu faire [p. 41, F]
D’avoir si promptement trouvé cette chimere ?

TIMANDRE.

Croy que toute la ruse, et la subtilité
Gist au mensonge adroit, et si bien inventé,
655 Qu’il ne s’esloigne point du tout du vray-semblable.

JODELET.

Pour avoir fait passer ce cas pour veritable
Vous m’advoüerez, Monsieur, que nous ne tenions rien
Rencontrant un esprit plus subtil que le sien.

TIMANDRE.

Je voy venir Acaste, il est amy d’Ariste,
660 Et mon grand confident.

SCENE V.

ACASTE, TIMANDRE, JODELET.

ACASTE.

QUi vous rend ainsi triste?

TIMANDRE.

Me le demandez-vous en l’estat où je suis ? [p. 42]
Ne sçavez-vous pas bien d’où naissent mes ennuis* ?
Et de quelle façon me traitte ma cruelle ?
Encore qu’à present la cause en soit nouvelle.

ACASTE.

665 Ne la sçauray-je point ?

TIMANDRE.

Je vous la dirois bien.
Mais j’ay fait un serment.

ACASTE.

Vous ne me direz rien ?
Me traittez-vous ainsi ? ce procedé m’offence.

TIMANDRE.

Quoy que la chose soit de tres-grande importance,
Je n’ay, vous le sçavez, rien de caché pour vous,
670 Je vous le diray donc, mais, Acaste entre nous.

ACASTE.

Cette precaution, Timandre, est inutile.

TIMANDRE.

Que diriez-vous, amy, si dedans cette ville
Tindare, dont j’estois à grand peine jaloux [p. 43]
Depuis six mois entiers estoit caché chez vous ?
675 Chez Ariste j’entens, car sçachant qu’il vous aime,
Je le tiens* justement estre un autre vous-mesme.
Vous sçavez que Tindare a fait courir le bruit
Qu’il est en Italie : Or sçachez que la nuit
Il s’en va deguisé parler à ma Maitresse,
680 Qui pour luy meurt d’amour, et qui fait la Lucrece.
Vous en serez surpris, sans doute comme moy.

ACASTE.

Amy que dites-vous ? à peine je vous croy.
Ariste vient ici qui me le pourra dire.
Je vay luy demander.

TIMANDRE.

Adieu, je me retire,
685 Nous nous verrons tantost*.

SCENE VI.

ACASTE, ARISTE.

ACASTE.

AMy je vous cherchois. [p. 44]

ARISTE.

Qu’avez-vous à me dire ?

ACASTE.

Ariste je voudrois
Sçavoir s’il est certain, car la chose m’importe,
Que depuis quelque mois Tindare soit de sorte
Refugié chez vous, et si secrettement
690 Qu’il ne sort du logis que de nuict seulement,
Pour voir et pour parler à certaine Maistresse
Qu’on nomme Liliane.

ARISTE bas.

Ah Dieux ! par quelle adresse[,]
Par quel moyen je viens à sçavoir aujourd’huy
Ce que je n’ay jamais peu descouvrir par luy.
695 Encor que l’on m’ait fait une defense expresse [p. 45]
De tenir ce secret, amy je vous confesse,
Car ne vous celant* rien, je fay ce que je doy[,]
Qu’il est depuis six mois entiers caché chez moy.
Il ne sort que de nuit, et c’est une folie
700 De croire, comme on dit, qu’il soit en Italie,
Mais si je vous le dy gardez bien d’en parler,
C’est un secret qu’on m’a conjuré de celer*.

ACASTE.

Je n’en parleray pas, n’en soyez point en peine.
Il s’en va.

ARISTE seul.

S’il aime Liliane, ah ma peur est bien vaine
705 De croire que l’objet* qui cause mon soucy*
Soit la cause et l’objet* de ses peines aussi.
Je n’ay point témoigné ma passion extresme
Ny mes transports* d’amour à la beauté que j’ayme, [p. 46]
Croyant que mon amy pour qui j’ay du respect,
710 Bruslast aussi d’amour pour ce charmant objet*.
Mais à ce que je voy je ne m’en doy point feindre,
Ayant plus de sujet d’esperer que de craindre.
Ah ma chere Jacinte, et quand viendra le jour
Que tu m’obligeras* d’un reciproque amour ?
715 Grands Dieux, lors* que j’avois une ferme esperance
Que mon amy partoit, et que par son absence
J’aurois lieu de servir* cette rare* beauté
Et de me declarer en pleine liberté,
En feignant estre absent de la beauté que j’ayme
720 Je le tiens dans Paris, et dans mon logis mesme.
Mais allons la trouver, le Ciel m’inspirera,
Et je me resoudray sur ce qu’elle dira.

Fin du second Acte.

ACTE III.

SCENE PREMIERE.

ARISTE, JACINTE, JULIE.

ARISTE.

JE ne sçay si venant de la part de Tindare [p. 47]
J’auray droict d’aborder* une beauté si rare*,
725 Madame, puis-je entrer avecque liberté ?

JACINTE.

Vous avez de vous-mesme entiere authorité,
Monsieur, mais dites-moy quelles bonnes nouvelles
Avez-vous de sa part ?

ARISTE.

Madame elles sont telles
Que vous les souhaittez, il se porte fort bien,
730 Mais par cet ordinaire il ne vous mande* rien
Qu’un mot de compliment* seulement dans ma lettre. [p. 48]

JACINTE.

Juste Ciel, comment donc m’oseray-je promettre
Qu’il m’aime comme il dit ? car ayant de l’amour
Pourroit-il demeurer sans m’escrire un seul jour ?
735 Qu’en dites-vous Ariste ? Ah folles que nous sommes
De nous fier si fort aux paroles des hommes.
Il est mesme parti le cruel de ce lieu
Sans m’estre venu voir, et sans me dire adieu.
Pardonnez mon transport*, je ne sçaurois moins faire,
740 Et ce n’est qu’à vos yeux qu’éclatte ma colere.

ARISTE.

Vostre plainte est tres-juste, et je dois en effect
Accuser mon amy du tort qu’il vous a fait,
S’il n’estoit pas si loing, Madame, je vous jure
Que j’irois à son cœur reprocher cette injure.
745 Est-il possible, ô Dieux ! qu’il ait si peu d’amour
Pour le plus rare* objet* qui respire le jour ?
Vous meritez sans doute une autre recompense.
Je prens congé de vous, mais durant [mon] absence
Croyez que dessus moy vous avez tout pouvoir.

JACINTE.

750 Faites-moy la faveur de me venir revoir,
Le plus que vous pourrez, Ariste, je vous prie,
Afin de divertir un peu ma resverie,
Pour discourir nous deux souvent de ce cruel. [p. 49, G]

ARISTE seul.

Je n’y manqueray pas, Madame. Juste Ciel
755 Amour que pretends-tu ? d’où te vient ce caprice ?
Pourquoy me fais-tu faire une telle injustice ?
Tindare mon amy, quoy qu’on le tienne* absent,
Est ici dans Paris : et quoy ton cœur consent
A le desobliger* ; lasche*, perfide, traistre,
760 Comment devant Tindare oseras-tu paroistre ?
Mais Jacinte est trop belle, et je ne sçaurois pas
Vivre et n’adorer point tant de charmans appas.
Amy pardonne-moy, ne trouve point estrange
Si j’adore ses yeux puis que tu cours au change*.
765 Mais j’apperçois Acaste, allons, sortons d’ici,
Son abord ne feroit qu’augmenter mon souci*.

SCENE II.

TIMANDRE, ACASTE, JODELET.

TIMANDRE.

AInsi que je le dy la chose s’est passee,
Jamais fille ne fut si fort embarassee ;
Je sçavois ce secret, et n’avois pas dessein
770 Qu’elle le sceust de moy, mais ce cœur trop hautain [p. 50]
M’a traitté de mespris avec tant d’arrogance
Que je n’ay peu du tout souffrir* son impudence,
L’ingrate m’a contraint exprez pour la fascher*,
De publier son crime, et le luy reprocher.
775 Je m’en suis repenty d’abord, je le confesse,
Mais Jodelet alors avec ce tour d’adresse,
Comme je vous ay dit, a le tout reparé,
Mais si subtilement, que vous eussiez juré
La chose veritable, enfin dans sa croyance
780 Il est le plus sçavant Astrologue* de France.

ACASTE.

Ce conte sans mentir est subtil et plaisant.

TIMANDRE.

Ce n’est pas tout, Acaste, il nous faut à present
Publier en tous lieux cette estrange nouvelle,
Et la mettre par là s’il se peut en cervelle,
785 Soustenant hautement qu’il est vray devant tous,
Car l’apprenant ainsi par d’autres que par nous,
Elle croira bien mieux la chose veritable,
Et Nise en ce faisant ne sera plus coupable.

ACASTE.

Il ne faut que nous deux, car moy la publiant
790 Comme je pretens faire, et vous en l’advoüant,
Qui pourra par apres soustenir le contraire ?
Laissez-moy comme il faut ménager cette affaire. [p. 51]

JODELET.

Et moy, me croyez-vous l’esprit si peu rusé
Que chacun n’y soit pas par moy-mesme abusé* ?
795 Je ne parleray point qu’aussi-tost je ne face
En fronçant le sourci quelque estrange grimace,
Je tourneray les yeux quelquefois de travers,
Je sçauray composer mille gestes divers,
Comme un Poëte qui prend des vers à la pipee.
800 Quelle cervelle apres n’y seroit attrapee ?
Je diray, si quelqu’un vient vanter mon sçavoir,
C’est icy quelque fat qui me vient decevoir*,
Quoy ? vous pensez Messieurs, qu’aysement on m’abuse* ?
Je n’eus pour me guider jamais verve ny muse,
805 Je ne suis point Docteur, je cognoy seulement
Quelques signes cachez qui sont au Firmament.
Mais ceux que je feray feront assez cognoistre
Qu’en ce rare* mestier je veux passer pour Maistre.
Mais que feray-je apres ? sur un si faux bruit,
810 Pour sçavoir son destin le monde me poursuit,
Sur ce qu’on m’enquerra que pourray-je respondre ?
Le moindre suffira, Messieurs, pour me confondre,
Mesme les ignorants en seront estonnez*,
Et chacun me verroit avec un pied de nez.
815 Si l’on me fait parler, je ne pourray rien dire,
Vous sçavez bien, Messieurs, qu’à peine puis-je lire ?

ACASTE.

Fay tout ainsi qu’ils font pour acquerir renom, [p. 52]
Il ne faut qu’un oüy, quelquefois et qu’un non
Pour dupper l’ignorant sur ce qu’il vous confesse :
820 Mais il le faut conduire avecque telle adresse,
N’affirmant jamais rien, qu’on t’estime sçavant,
Ceux qui parlent beaucoup rencontrent* bien souvent.
Les faiseurs d’Almanachs, les Devins, les Bohemes,
Je mets tout en un rang, et tous les sçavans mesmes,
825 Nul d’eux quoy qu’on les croye habiles en leur art
Ne rencontrent* jamais si ce n’est par hazard.

TIMANDRE.

Ariste vient ici.

ACASTE.

Retirons-nous, Timandre,
Il cherche le filet, sans doute il vient s’y prendre,
Il ne nous a point veus, duppe le.

TIMANDRE.

Je le veux.

ACASTE.

830 Adieu.

SCENE III.

ARISTE seul.

FUt-il jamais homme plus malheureux ? [p. 53]
Je suis le confident et l’amy de Tindare,
Il m’ayme, je le sçay, mais d’une amitié rare*,
Il m’est amy, je suis neantmoins son rival ;
O Dieux ! est-il destin à mon destin esgal ?
835 Quel bien dans mon amour me pourrois-je promettre ?
J’apporte de Tindare à Jacinte une lettre,
Il la date de Rome, et l’escrit de chez moy ;
Grands Dieux à mon amy c’est bien manquer de foy* !
Quoy ? je m’ose addresser à la beauté qu’il ayme,
840 Connoissant[ ]que l’amour de Jacinte est extresme ?
Allons chez elle, oyons ce qu’elle nous dira,
Et peut-estre qu’alors le Ciel m’inspirera,
Il me faut declarer à la beauté que j’ayme,
C’est Acaste, je croy, sans doute c’est luy-mesme.

SCENE IV.

ACASTE, ARISTE.

ACASTE.

845 LE voici, mais feignons de ne l’avoir point veu, [p. 54]
Commençons nostre fourbe* ; Ah grands Dieux qui l’eust creu !
Comment peut un mortel de si basse naissance
Posseder comme il fait une telle science ?

ARISTE.

Que faites-vous Acaste ? où s’adressent vos pas ?
850 Quoy ? je suis prés de vous, et ne me voyez pas ?

ACASTE.

J’ay les sens tout confus, Ariste, je le jure,
Ce que je viens de voir me semble une imposture,
Je suis tout estonné*, vous le serez aussi.

ARISTE.

Dites moy ce que c’est ?

ACASTE.

Sommes-nous seuls icy ?

ARISTE.

855 Oüy parlez librement.

ACASTE.

Vous cognoissez Timandre ?

ARISTE.

Oüy, fort bien, achevez.

ACASTE.

Cela vous va surprendre
Ainsi comme il m’a fait. Il a certain valet
Que vous cognoissez bien, appellé Jodelet.
Ah ! quel rare* homme c’est !

ARISTE.

Comment ?

ACASTE.

C’est un prodige.

ARISTE.

860 Un prodige ? Comment ?

ACASTE.

Un miracle, vous dis-je ?

ARISTE.

Cet homme si mal fait* ? que je voy si souvent ? [p. 56]

ACASTE.

C’est de tous les mortels l’homme le plus sçavant,
Comme son Alphabeth il sçait l’Astrologie*,
Et je ne pense pas qu’il n’use de Magie.
865 Il le faut croire ainsi, car sans estre sorcier,
Et sans avoir sur luy quelque esprit familier
Il ne sçauroit jamais par aucune science
Faire ce qu’il a fait tantost* en ma presence.
Vous seriez estonné* de tout ce qu’il a fait,
870 Il a devant mes yeux fait parler un portraict.
Je suis tout hors de moy d’avoir veu ces merveilles
Qui bien plus que mes yeux ont trompé mes aureilles.
Il m’a rendu l’esprit si fort embarassé
Alors qu’il m’a conté tout ce qui s’est passé
875 Depuis que je suis nay, jusqu’aux moindres pensees
Que j’en suis tout confus, si comme les passees
Il cognoist comme il dit les choses [à venir],
Je doy cherir mon sort, ouy je le doy benir,
Car jamais sous le Ciel ne se vi[t] heur* semblable
880 A l’heur* qu’il me promet.

ARISTE.

Est-il bien veritable ?

ACASTE.

Il n’est rien de plus vray ; Mais le cognoissez-vous ? [p. 57, H]

ARISTE.

Pour moy je le prenois pour le Maistre des fous,
J’ay parlé seulement une fois à son Maistre,
Que je n’ay pas l’honneur autrement de cognoistre.
885 Mais je remarqué lors* que ce valet icy
Grimassoit en resvant*, et fronçoit le sourcy,
Comme s’il eust tramé quelque grande entreprise,
Mais je l’attribuois purement à sottise,
Et n’en pouvois pas faire un autre jugement.

ACASTE.

890 Sa fureur le tenoit pour lors* asseurement.
Il ne faut pas toujours juger sur l’apparence.

ARISTE.

Donnez-moy, cher amy, l’heur* de sa cognoissance,
Vous m’obligerez* fort.

ACASTE.

Oüy, quand vous le voudrez
Je vous y meneray, certes vous cognoistrez
895 Un excellent esprit, et le plus sçavant homme
Que l’on sçauroit trouver d’icy jusques à Rome.
Que dis-je jusqu’à Rome ? ah dessous le Soleil
Je croy qu’on auroit[ ]peine à trouver son pareil. [p. 58]
Vous verrez sans mentir des choses admirables,
900 Que vous ne tiendrez* pas vous mesme veritables.

ARISTE.

Seroit-il bien sorcier ?

ACASTE.

Il n’en faut point douter,
Il faudroit trop de temps, je ne puis tout raconter.

ARISTE.

J’ay quelque affaire icy. Voudriez-vous m’attendre
Chez vous ?

ACASTE.

Ne manquez pas, Ariste, à vous y rendre,
905 J’iray droict de ce pas. Il en tient tout de bon*.
Il sort.

ARISTE seul.

La surprise est estrange, Ah Dieux le croiroit-on !
S’il ne m’abuse* pas, luy-mesme il s’abuse*,
Me dire qu’un valet qui me semble une buze,
Soit un tel personnage ? un prodige en sçavoir ?
910 Un tresor de tel prix ? allons il le faut voir ;
Mais n’apperçoy-je pas Jacinte sur sa porte ?
Dieux de quelle façon cet amour me transporte*,
Portons-luy cette lettre, allons nous declarer,
Sçachons s’il faut mourir, ou s’il faut esperer. [p. 59]

SCENE V.

JULIE, JACINTE, ARISTE.

JULIE.

915 LE disois-je pas bien ? c’est Ariste, Madame.

JACINTE.

Ariste, justes Dieux ! quel trouble j’ay dans l’ame.
Ariste, qu’avez-vous ?

ARISTE.

Rasseurez vostre esprit,
Je viens de recevoir maintenant cet escrit,
Madame le voila.

JACINTE.

De la part de Tindare ?

ARISTE.

920 De qui doncques, Madame ?

JACINTE.

Ah mon esprit s’égare ! [p. 60]
Je suis si hors de moy, j’ay les sens si confus
Qu’en l’estat où je suis je ne me cognoy plus.
Mais encor dites moy d’où m’escrit-il Ariste ?

ARISTE.

Il vous escrit de Rome.

JACINTE.

Ah ce discours m’attriste,
925 Veut-il toute sa vie estre esloigné de moy ?

ARISTE.

Il vous contentera là dessus que je croy.

JACINTE.

Voyons ce qu’il m’escrit.

ARISTE bas durant qu’elle lit.

Il faut prendre courage,
Je ne doy point sans doute attendre davantage,
Mais que peut, justes Dieux ! contenir cet escrit ?
930 Je voy qu’en le lisant Jacinte s’attendrit,
Je suis mort autant vaut*, je perds toute esperance,
De m’aller descouvrir, grands Dieux quelle apparence ?
Elle témoigne trop l’amour qu’elle a pour luy.

JACINTE.

Je ne verray jamais de fin à mon ennuy*, [p. 61]
935 Laissons, ne lisons pas cet escrit davantage,
Si j’ay beaucoup d’amour, j’ay bien peu de courage
D’adorer cet ingrat en voyant ses mespris.

ARISTE bas.

Courage, tout va bien, reprenons nos esprits.

JACINTE.

Ah ! je meurs de douleur.

ARISTE bas.

Que ma raison est vaine*.

JACINTE.

940 Cette absence me met, Ariste, en telle peine,
Tant j’ayme cet ingrat, que je ne pense pas
Dans ces pressans ennuis* éviter le trespas,
J’ay peur que tout au moins ma raison ne s’emporte.

ARISTE bas.

N’en parlons plus, ô Dieux ! mon esperance est morte.

JACINTE.

945 Ariste, pleust à Dieu que je peusse un moment
Parler à cet ingrat, ou le voir seulement.
Mais cela ne se peut. [p. 62]

ARISTE.

Si vous voulez, Madame,
Je puis bien en ce poinct soulager vostre flame*,
Il m’est facile assez de vous le faire voir.

JACINTE.

950 Vous mocquez-vous, Ariste, auriez-vous ce pouvoir [ ?]
Si vous faites cela vous me donnez la vie.

ARISTE.

Laissez moy contenter vostre amoureuse envie.

JACINTE.

Il est donc dans Paris ? ah ! douceur de mon sort.

ARISTE bas.

Ah Dieux ! en ce faisant je procure ma mort.
955 Reparons cette faute, usons d’une industrie*.

JACINTE.

Parlez-moy franchement Ariste, je vous prie.

ARISTE bas.

Il faut pour contenter mon desir et le sien
Me servir en ce cas de ce Magicien[.]
Ouy Jodelet le peut, sa science est certaine,
960 Et par un tel moyen je la veux mettre en peine. [p. 63]
Haut.
Madame, je cognois un homme qui peut tout,
Qui de tous vos desseins pourra venir à bout,
Et vous fera venir aujourd’huy sans obstacle
Tindare d’Italie en ce lieu par miracle.

JACINTE.

965 Ariste, resvez*-vous ?

ARISTE.

Non, je ne resve* point.

JACINTE.

Quoy ? je serois heureuse ? et jusques à ce poinct ?
Je pourrois voir ici ce cher Amant que j’ayme ?

ARISTE.

Non[ ]Tindare en effect, mais un autre luy-mesme,
Un esprit fantastique, un corps formé dans l’air,
970 Que vous verrez, Madame, et luy pourrez parler,
Au mesme estat qu’il est à present dedans Rome.

JACINTE.

Un esprit peut dans l’air prendre forme d’un homme ?
Qui ne sera pas luy, mais qui le paroistra ?

ARISTE.

Ouy dans le mesme estat que pour lors* il sera,
975 Mais aurez-vous, Madame, assez de hardiesse [p. 64]
Pour luy pouvoir parler ? je crains vostre foiblesse,
Et que vous n’osiez pas ce que vous souhaittez.

JACINTE.

Ariste, c’en est trop, vous me persecutez,
Faites-moy seulement le bien que je le voye,
980 Vous comblerez mes sens de trop d’heur* et de joye,
Ne me retardez point cette felicité.

ARISTE bas.

Je pretens l’abuser* avec la verité.
Cognoissez vous Timandre, un homme d’importance ?
Qui se tient ici prez ?

JACINTE.

J’ay peu de cognoissance
985 Avec luy, l’est-ce donc ?

ARISTE.

Non, mais un sien valet
Qui le suit quelquefois, qu’on nomme Jodelet.
Madame croyez-moy qu’il n’est en cette ville
Ny dans le monde entier, un qui soit plus habile.
Il surprendra sans doute à l’abord tous vos sens.
990 Il fait parler les morts, revenir les absents.

JACINTE.

Comment ce nazillard ? cette triste figure ? [p. 65, I]

ARISTE.

Luy-mesme, mais sçachez qu’en toute la Nature
Il n’est point de mortel qui l’égale en sçavoir.

JACINTE.

Dieux ! que me dites-vous ?

ARISTE.

Il faudroit pour le voir
995 Et pour le gouverner s’addresser à son Maistre.
Je n’ay pas à present l’honneur de le cognoistre,
Ny de l’avoir hanté, toutefois aujourd’huy
Un amy m’a promis de me mener chez luy.

JACINTE.

Pour jouyr d’un tel bien j’ay trop d’impatience.

ARISTE.

1000 Mais dites-moy, Madame, aurez-vous l’asseurance
De voir un tel fantosme ? aurez-vous point de peur ?

JACINTE.

Avecque tant d’amour, manquerois-je de cœur* ?

ARISTE.

Adieu, je voudrois bien vous rendre ce service* . [p. 66]
Ariste sort.

JACINTE.

Je sçauray reconnoistre un si parfait office*,
1005 N’en doutes point, Ariste, ou je puisse perir.
Monte là-haut, Julie, et va-t’en me querir
Et ma coiffe et mon masque.

JULIE.

Ah ! que voulez-vous faire ?

JACINTE.

Je veux tout sur le champ terminer cette affaire,
Va donc, depesche-toy.

JULIE.

Vous avez l’esprit prompt,
1010 Comment sans le connoistre aurez-vous bien le front
De l’aller requerir ? craignez-vous point le blasme ?

JACINTE.

Un Cavalier* peut-il refuser une femme ?

JULIE.

Considerez-le mieux.

JACINTE.

Je l’ay consideré, [p. 67]
C’est trop peu pour un bien que j’ay tant desiré.

SCENE VI.

ACASTE, JODELET, TIMANDRE.

ACASTE.

1015 JOdelet en tout lieu ta science est connuë,
Chacun te montre au doigt à present dans la ruë,
Et tous en admirant ton unique sçavoir
Chacun brusle à l’envi du desir de te voir.
Je n’ay jamais tant eu de plaisir en ma vie,
1020 J’ay sur le champ esté pour voir la Comedie,
Et comme j’ay voulu d’abord parler de toy
J’ay veu qu’on le sçavoit autant ou mieux que moy.
Et plusieurs raffinans dessus mon industrie*,
Faisoient passer pour vraye entr’eux ma menterie.
1025 Et l’un d’eux attestant de ses yeux avoir veu
Des prodiges de toy, peu s’en faut, je l’ay creu.
Et j’aurois à present bien de la peine à faire
Que pas un d’eux voulust soustenir le contraire.

TIMANDRE.

Il ne faut pas avoir grande subtilité [p. 68]
1030 Pour faire authoriser un mensonge inventé,
Le peuple adjouste foy* bien plutost à des fables,
Qu’aux choses qui par tout passent pour veritables.

JODELET.

Et moy, quoy que je sois un parfait ignorant,
Si je passe par tout aujourd’huy pour sçavant,
1035 Quand je seray cognu pour qui je suis peut-estre,
Je me repentiray de m’estre fait cognoistre,
Je passeray pourtant pour tel, puis qu’il vous plaist.

TIMANDRE.

On frappe, Jodelet, va, regarde qui c’est.
Qui dans ce passe-temps peut s’empescher de rire ?

JODELET.

1040 Une Dame, Monsieur, masquée, et qui desire
Vous dire icy deux mots.

TIMANDRE.

Qu’elle entre promptement.
Qui sera-t’elle, ô Dieux ?

SCENE VII.

JACINTE, JULIE, TIMANDRE, ACASTE, JODELET.

JACINTE.

J’Entre bien librement. [p. 69]
Faites-moy, s’il vous plaist, la faveur de m’apprendre
Lequel c’est de vous deux qui s’appelle Timandre.

TIMANDRE.

1045 Chacun m’appelle ainsi, Madame, mais pourquoy
Auriez-vous le dessein de vous servir de moy ?
Serois-je assez heureux ? commandez je vous prie.

JACINTE.

J’use avec vous, Monsieur, de trop d’effronterie,
Que je parle à vous seul, avec vostre valet.

TIMANDRE.

1050 Madame, je le veux, approche, Jodelet,
Acaste, obligez*-moy, retirez-vous de grace.

ACASTE.

Il n’est rien, cher amy, que pour vous je ne fasse ; [p. 70]
Cachons-nous, escoutons quel est leur entretien.

TIMANDRE.

Madame, seyez-vous, et ne redoutez rien.

JACINTE se descouvrant.

1055 Je vous obeïray, Monsieur.

TIMANDRE.

C’estoit dommage
De nous vouloir cacher un si parfait visage,
Quoy que ces brillans yeux, ces beaux astres d’Amour
Descouvroient trop l’esclat qui nous donne le jour.

JACINTE.

Vueillez donc secourir une femme affligee,
1060 Qui par vous seulement peut estre soulagee,
J’aurois tort de vouloir vous cacher qui je suis,
Ny le sujet aussi qui cache mes ennuis*,
Puis que par le moyen d’une science extréme
Rien ne vous est caché. Je diray donc que j’aime,
1065 Le dis-je sans rougir ? ouy, l’aymable* vainqueur
Qui d’un trait de ses yeux m’a desrobé le cœur,
Possede tant d’appas et de si puissans charmes
Que pour m’en garantir j’ay de trop foibles armes.
Depuis six [mois] entiers il est absent d’icy, [p. 71]
1070 Et c’est le seul sujet qui cause mon souci*.
Le desplaisir que j’ay de cette longue absence
Tient mon cœur amoureux en trop d’impatience.
Je brusle de le voir, ne vous estonnez point
De me voir à present reduite en un tel point,
1075 Vous ayant dit mon mal, et confessé que j’ayme,
Ma passion me doit porter jusqu’à l’extréme.
Je viens de recevoir cette lettre de luy,
Et c’est ce qui m’afflige et cause mon ennuy*,
Puis que par cet escrit je n’ay nulle esperance
1080 De revoir que bien tard ce mien Amant en France.
Vous avez un valet qui par son grand sçavoir,
A ce que l’on m’a dit, me le peut faire voir :
De là despend, Monsieur, le bonheur de ma vie,
Il peut en un [clin] d’œil revenir d’Italie,
1085 Si vostre valet veut. Vueillez donc m’accorder
La faveur, s’il vous plaist, de le luy commander,
Vous estes Cavalier*, vous recevriez du blasme 
Si vous vous resolviez d’esconduire une femme :
Vous estes genereux, faites donc qu’aujourd’huy
1090 Je puisse par son art soulager mon ennuy*.

TIMANDRE bas.

A-t’on jamais parlé d’aventure semblable ?
Dissimulons pourtant. Il n’est pas raisonnable,
Madame, de vouloir en cette occasion*
Vous tromper en flatant vostre inclination*.
1095 Mon valet, je l’advouë, entend l’Astrologie*, [p. 72]
Mais ce que vous voulez dépend de la Magie.
Qui vous met en l’esprit de telles visions ?
Il faut pour ce sujet commander aux Demons.
Vous imaginez-vous, grands Dieux quelle folie !
1100 Qu’on le puisse à l’instant r’appeller d’Italie ?
Et le faire apporter par l’air dedans ces lieux,
Pour avoir seulement cognoissance des Cieux ?
D’où sçavez-vous, Madame, et qui vous a fait croire
Que mon valet s’entend à la science noire ?
1105 Quiconque l’auroit fait, ou pensé seulement
Meriteroit en France, un rude chastiment.

JODELET.

Non, je ne suis pas tel.

JACINTE.

Vous pouvez sans scrupule
Vous descouvrir à moy, je ne suis point credule
A tel poinct qu’aysement on m’ait peu decevoir* ;
1110 Je sçay jusqu’où s’estend son merveilleux sçavoir,
Sa science est, Monsieur, miraculeuse et rare*.

TIMANDRE.

Le nom de vostre Amant.

JACINTE.

Il s’appelle Tindare,
Depuis six mois entiers il est absent d’ici. [p. 73, K]

TIMANDRE bas à Jodelet.

Jodelet, que t’en semble ? escoutes-tu ceci ?

JODELET bas.

1115 Fort bien.

JACINTE.

Je garderay le secret quoy que femme.

TIMANDRE.

Jodelet, en ce poinct il faut servir Madame,
Elle est femme d’honneur, va ne redoute rien.
Escoute un mot icy.
Il luy parle à l’oreille.

JODELET.

Je vous entends fort bien,
Il vous faut obeyr, mon Maistre le commande,
1120 Mais pour dire le vray, Madame, j’apprehende,
Et j’en ay du subjet, qu’on m’aille descouvrir.

JACINTE.

Ne crains point, mon amy, j’aymerois mieux mourir.

JODELET.

Il vous faut donc servir, Madame, tout que vaille.
Vostre Amant n’est-il pas d’une assez belle taille ?
1125 Avec de grands cheveux frisez, haut en couleur, [p. 73]
Sur tout propre en habits, discret*, et peu parleur,
D’une façon modeste, et qui demeure à Rome
Depuis six mois entiers !

JULIE.

Ah ! le merveilleux homme !
Est-il possible, ô Dieux ! qu’il ait un tel esprit ?
1130 Je suis tout hors de moy, qui luy peut avoir dit ?

JACINTE.

Le sçavois-je pas bien ! c’est un homme admirable,
Ce que vous dites-là n’est que trop veritable,
C’est le mesme en effet.

JODELET.

Madame, jurez-moy
Qu’en cette affaire ici vous me tiendrez la foy*
1135 Que vous me promettez, ce faisant je m’oblige
De vous le faire voir.

JACINTE.

Quand ?

JODELET.

Aujourd’huy, vous dis-je.

JACINTE.

Ouy, je te le promets. [p. 75]

JODELET.

N’aurez-vous point de peur ?
Luy pourrez-vous parler ?

JACINTE.

Va, va, j’ay trop de cœur*,
Que j’ay, si je le voy, de choses à luy dire.

JODELET.

1140 Madame, tout à l’heure il vous luy faut escrire.
Je vay querir dequoy.
Il sort.

JACINTE. à Timandre.

Dieux ! que vous estes heureux
De posseder chez vous cet homme merveilleux ?
Quel espoir il me donne, ah ! j’ay l’ame ravie.

TIMANDRE.

Il peut facilement contenter vostre envie.

JODELET avec plume et papier.

1145 Escrivez à present.

JACINTE.

Qu’escriray-je ? [p. 76]

JODELET.

Escrivez
Ce que je dicteray. Cher Tindare, approuvez.
Jacinte escrit.
Non, effacez ce mot, et mettez, Cher Tindare,
Je vous attends chez moy tantost*, et me prepare
A vous bien recevoir. Croyez que je sçay bien
1150 Où vous estes, venez, et ne redoutez rien.
Mettez-y vostre nom. Allez, laissez-moy faire,
Je sçay bien comme il faut mesnager cette affaire :
Vous le verrez tantost* chez vous asseurément.

JACINTE.

Dieux ! je seray ravie en cet heureux moment.
1155 Je vous baise les mains*, Monsieur, je vous rens grace.

TIMANDRE.

Je suis content pourveu que je vous satisface.

JACINTE à Jodelet.

Va, je reconnoistray le bien que tu me fais.

JODELET.

Vous servant, mes desirs sont assez satisfais.

SCENE VIII.

TIMANDRE, ACASTE, JODELET.

TIMANDRE.

AVez-vous jamais veu de plus plaisante histoire ? [p. 77]

ACASTE.

1160 Je la voy de mes yeux, et j’ay peine à la croire,
J’en ay pensé mourir de rire.

TIMANDRE.

Avez-vous veu
Que tout ce qu’il a dit l’innocente l’a creu.

ACASTE.

Vous rencontrez des gens de legere croyance.

TIMANDRE.

Qui pourroit en douter avec cette apparence ?
1165 Que pretens-tu de faire à present, Jodelet ?

JODELET.

Il faut faire couler finement ce poulet
Dans le logis d’Ariste. [p. 78]

ACASTE.

Et puis.

JODELET.

Laissez-moy faire,
Tindare la lira, qui voyant son affaire
Destruite, et son secret tout à fait descouvert
1170 Viendra trouver Jacinte.

ACASTE.

Enfin à quoy te sert
Ta belle invention, crois-tu, quoy qu’on te dies,
Que ce nœud soit pareil à ceux des Comedies
Où tousjours tout succede ainsi qu’on l’a tracé ?
Quand bien il se verroit l’esprit embarassé
1175 Ira-t’il chez Jacinte ? en voudrois-tu respondre ?
S’il n’y va point, il peut tous tes desseins confondre.

JODELET.

Nous ne manquerons point d’excuses en ce cas
Quand chez elle aujourd’huy Tindare n’iroit pas.

TIMANDRE.

Si tous ne sont duppez, nous en dupperons une,
1180 Et laissons faire apres le reste à la fortune*.

Fin du troisiesme Acte.

ACTE IIII.

SCENE PREMIERE.

ARISTE, TINDARE.

ARISTE.

ELLE demeura triste, et l’esprit interdit* [p. 79]
Quand elle eut achevé de lire vostre escrit,
Et j’ay connu par là sa passion extréme,
Et qu’elle vous cherit à l’esgal d’elle-mesme,
1185 Vous devriez la traitter avec moins de rigueur.

TINDARE.

Pour parler franchement j’ayme ailleurs, et mon cœur
Brusle pour un objet* si parfait et si rare*,
Qu’en vain Jacinte aspire à posseder Tindare.
Ceci soit entre nous, je me sens enflamé
1190 D’un objet* que j’adore, et dont je suis aimé :
Je n’aime, cher Ami, Jacinte que par feinte,
Et pour couvrir le feu* dont mon ame est atteinte.

ARISTE.

Vous vous consoleriez, à ce que je puis voir, [p. 80]
Si quelqu’autre que vous tomboit sous son pouvoir.

TINDARE.

1195 Si vous parlez pour vous, sans que je m’en offense,
Vous en avez, [Ariste], une entiere licence.

ARISTE.

J’useray de bon cœur de cette liberté,
Mais contentez encor ma curiosité.
Qui peut tenir vostre ame en telle inquietude ?
1200 Et quel est le sujet de cette solitude ?
Qui ceans* vous retient si long-temps enfermé ?
Car si vous aimés bien, si vous estes aimé,
Qui vous peut obliger à cette procedure ?
Si vous me la cachez, vous me faites injure,
1205 Doit-on ainsi traitter un Amy si parfait ?

TINDARE.

Si je pouvois, Ami, vous seriez satisfait.
Si j’osois à quelqu’un descouvrir cette histoire,
Ce seroit à vous seul, vous le pouvez bien croire,
Mais soyez asseuré que je ne le puis pas.

ARISTE.

1210 Ce secret est tres-grand pour en faire un tel cas.
Adieu je ne veux point en dire davantage : [p. 81, L]
Voyez si vous devez me le taire. Je gage,
Encor que vous fassiez le sage* et le discret*,
Que fort peu dans Paris ignorent ce secret.
1215 Mais je vous veux laisser dans vostre solitude.
Il sort.

TINDARE seul.

Dieux, ce discours me met en telle inquietude !
Que je ne sçaurois bien rasseurer mon esprit :
Mais quoy ? ne voy-je pas à mes pieds un escrit ?
Dieux ! il s’adresse à moy, voyons-[le].
Il lit.
Cher Tindare,
1220 Je vous attens chez moy tantost*, et me prepare
A vous bien recevoir : croyez que je sçay bien
Où vous estes, venez, et ne redoutez rien.
Jacinte on m’a trahi, grands Dieux ! que doy-je faire ?
Ariste a descouvert sans doute le mystere,
1225 Que dira Liliane ? Ah ! je perds en ce jour
Tout ce que j’esperois d’un si parfait amour.
Allons-y toutefois, et trouvons quelque ruse
Qui dans l’occasion* non seulement l’abuse*,
Mais qui luy donne encor des preuves de ma foy*.

SCENE II.

TINDARE, NISE.

TINDARE.

1230 QUe veut dire cela ? comment ? Nise chez moy ? [p. 82]
Ah ! je suis descouvert, ma perte est trop certaine.
Nise, que me veux-tu ? dy.

NISE.

Vous tirer de peine,
Le Ciel met aujourd’huy vos desseins à l’envers,
Par un certain malheur vous estes descouvers :
1235 Mais par un cas estrange, et difficile à croire,
Ma Maistresse tantost* vous en fera l’histoire :
Tindare, allez-la voir, mais allez en plein jour,
Et cachez neantmoins à chacun vostre Amour ;
Chassez aussi de vous toute melancolie,
1240 Et feignez d’arriver sur le champ d‘Italie,
Sçachez que ma Maistresse a son oncle à Thurin,
Le frere de son pere, appellé Palmerin.
Pour avoir le moyen de salüer son pere,
Dites-luy qu’à Thurin vous avez veu son frere,
1245 Qu’en passant il vous a chez luy fort regalé, [p. 83]
Mais que par les chemins ayant esté volé,
On vous a pris sa lettre avec vostre equipage.
Je ne sçaurois, Monsieur, demeurer davantage,
Madame vous attend. Adieu, feignez si bien
1250 Que de cette autre fourbe* on ne descouvre rien.

TINDARE.

Escoute encor un mot.

NISE.

Je ne sçaurois, Tindare,
Adieu.

TINDARE.

Cet avanture est sans mentir fort rare*,
Allons trouver Jacinte, et dans ce mesme jour
Cachons bien nostre feinte ainsi que nostre amour.

SCENE III.

JULIE, JACINTE.

JULIE.

1255 MAis, Madame, en effet vostre raison s’esgare,
Vous imaginez-vous aujourd’huy que Tindare
Puisse venir ceans* ainsi qu’on vous a dit ? [p. 84]
N’avez-vous pas receu de sa part un escrit
Par où vous voyez bien qu’il est en Italie ?

JACINTE.

1260 A-t’on jamais parlé d’une telle folie ?
Quoy ! par ton ignorance, imbecille, crois-tu
Borner la suffisance et la rare* vertu
De ce divin Esprit tout confit en science ?
Est-il rien qui ne soit soubmis à sa puissance ?

JULIE.

1265 Mais quel fruict, dites-moy, pourrez-vous recevoir
D’un fantosme trompeur ?

JACINTE.

Le plaisir de le voir.

JULIE.

Ce ne sera pas luy.

JACINTE.

Mais il sera, Julie,
Tout tel que de present il est en Italie.

JULIE.

Mais enfin, n’aurez-vous nulle apprehension
1270 De voir devant vos yeux l’estrange vision
D’un corps qui paroistra seulement par magie* ? [p. 85]

JACINTE.

Quoy ! d’un homme que j’ayme à l’esgal de ma vie ?
Non, non, j’ay trop de cœur*.

JULIE.

Mais moy, je n’en ay pas.

JACINTE.

Va promptement ouvrir, quelqu’un frappe là-bas.

JULIE.

1275 Bien, Madame, j’y cours.

JACINTE seule.

Que je suis malheureuse,
O Dieux, que ne fait point une femme amoureuse ?
Quel obstacle s’oppose à son contentement ?

SCENE IV.

JULIE, JACINTE, TINDARE.

JULIE espouventée.

IL n’est rien de plus vray que cet enchantement. [p. 86]
Je suis morte autant vaut* : c’est Tindare, Madame.

JACINTE.

1280 Que dis-tu ?

JULIE.

C’est luy-mesme.

JACINTE.

Ah ! justes dieux ? je pasme,
Je confesse mon foible, helas ! je n’en puis plus,
Le courage me manque, et mes sens sont confus.
J’ay desiré vous voir, et non pas vous parler.

TINDARE.

Il n’est plus temps de feindre et de dissimuler,
1285 Madame, permettez qu’ici je vous embrasse.

JACINTE troublée.

Que vois-je ? justes Dieux ! retirez-vous de grace ?
Sortez d’icy, Tindare, et ne m’approchez pas. [p. 87]

TINDARE.

Quoy vous me rejettez quand je vous tens les bras ?
Madame, pouvez-vous me traitter de la sorte ?

JACINTE.

1290 A l’ayde, mes Amis, sauvez-moy, je suis morte,
La force me defaut, et je tremble de peur.

TINDARE.

Est-ce de la façon qu’on me reçoit, mon cœur ?
Apres avoir souffert* une si longue absence ?
De mes travaux passez est-ce la recompense ?
1295 Quand je viens pour jouyr du bonheur de vous voir ?

JACINTE.

Je l’avoüe, il n’est pas, Tindare, en mon pouvoir,
Suffit, je vous ay veu, sortez d’ici, de grace.

TINDARE.

Qu’entens-je ? qu’est-ce-cy, cette peur m’embarasse,
Si pour m’estre absenté vous doutez de ma foy*,
1300 Je vous satisferay, Madame, escoutez-moy.

JACINTE.

Non, je n’escoute point, ah ! grands Dieux ! quel martire ?

TINDARE.

Pour un certain sujet que je m’en vay vous dire. [p. 88]

JACINTE.

Je le sçay bien ; quel trouble agite mon esprit ?

TINDARE.

Je suis ici venu, mandé* par vostre escrit.

JULIE.

1305 Ah ! qui si tost a peû luy porter cette lettre ?
Il faut bien qu’un Demon.

TINDARE.

Me voulez-vous permettre
De me justifier, Madame, là-dessus ?

JACINTE.

Ouy, je vous ay mandé* : mais las ! je n’en puis plus,
Je ne sçaurois parler, ma surprise est extréme,
1310 Enfin, ce que j’ay faict monstre que je vous aime,
Tindare, c’est assez, pour Dieu retirez-vous.

TINDARE.

Qu’est-ce-cy donc ? Madame, est-ce peur, ou courrous ?
Escoutez mes raisons, oyez-moy, je vous prie.

JACINTE.

Ma curiosité me coustera la vie, [p. 89, M]
1315 Je meurs, je n’en puis plus, j’ay le sang tout glacé.

TINDARE.

Quoy que vous ayez sceu tout ce qui s’est passé,
Vous m’excuserez bien.

JACINTE.

Tay-toy, je te supplie,
Fantosme, promptement retourne en Italie,
Ou je te quitte-là.

TINDARE.

Madame, escoutez-moy.

JACINTE.

1320 Dieux ! qui peut appaiser le trouble où je me voy ?
J’en souffre trop, va-t’en, je te ferme la porte.
Elle luy ferme la porte au nez.

TINDARE.

Escoute-moy, Julie.

JULIE.

A ce coup je suis morte ?
Que doy-je devenir ? sans doute il me tuëra. [p. 90]

TINDARE.

Dy moy pour quel sujet.

JULIE.

Madame le dira.
Elle luy ferme la porte au nez.

TINDARE seul.

1325 Que voy-je ? et que faut-il qu’à present je devienne ?
Quelle peine jamais fut pareille à la mienne ?
De qui me doy-je pleindre en cette occasion* ?
Et qui peut m’asseurer en ma confusion ?
Un Amy me trahit, il aime l’infidelle,
1330 Mais c’est un beau moyen pour me deffaire d’elle.
Allons voir Liliane, et benissons le jour
Qui me deffait ainsi d’un si fascheux* amour[.]
Mais je la voy qui sort du logis, ce me semble,
Je suis si hors de moy qu’à son abord je tremble.

SCENE V.

TINDARE, LILIANE, NISE.

TINDARE.

1335 MAdame, quel succez decevant* mon espoir [p. 91]
Me donne en liberté le bonheur de vous voir ?

LILIANE.

Tindare, vous sçavez l’estrange stratageme,
Qui m’a mise aujourd’huy dans une peine extréme,
Par lequel on a peu descouvrir nostre amour.

TINDARE.

1340 Madame, quel qu’il soit, j’en beny l’heureux jour :
Mais puis que je joüis d’une faveur si grande,
Faites-m’en encor une, ouy, je vous la demande,
D’elle despend mon heur* et ma felicité.

LILIANE.

Vous pouvez commander de pleine authorité.

TINDARE.

1345 Si j’avois ce ruban, j’aurois quelque asseurance [p. 92]
Estant verd, qu’il pourroit flater mon esperance,
Faites-moy la faveur de m’accorder ce bien.

LILIANE.

C’est peu, puis que desja vous possedez le mien :
Non pas le ruban seul, de plus, je vous presente
1350 Ce cœur de diamans.

TINDARE.

Non, non, je me contente
Du ruban seulement.

LILIANE.

Non, vous seriez fasché*
Puis que ce cœur se trouve au ruban attaché
Avecque tant de nœuds, que je prisse la peine
De l’en oster, et puis, c’est chose tres-certaine
1355 Que le mien le surpasse encor en fermeté !

TINDARE.

Peut-on rien adjouster à ma felicité ?
Bien, je l’accepte donc, mais avecque promesse.

LILIANE.

Tout beau, mon pere vient. Taschez avec adresse
De bien dissimuler. [p. 93]

TINDARE.

N’en ayez pas de peur.

SCENE VI.

ARIMANT, TINDARE, LILIANE, NISE.

ARIMANT.

1360 QUel est ce Cavalier* ?

TINDARE.

Pardonnez-moy, Monsieur,
Si n’ayant pas l’honneur de vostre connoissance
J’ose vous aborder* avec tant de licence.
Je reviens d’Italie, et passant par Thurin
J’ay receu tant d’honneur du Seigneur Palmerin
1365 Que je suis obligé* pour tant de bons offices*
De vous venir offrir mes vœux* et mes services,
Et vous en rendre grace. Il vous avoit escrit,
Mais par certain malheur j’ay perdu cet escrit
Dont je viens m’excuser. [p. 94]

ARIMANT.

Il n’est point necessaire ;
1370 Je me resjoüy fort d’apprendre que mon frere
Ait eu l’honneur d’avoir receu dans sa maison
Un homme tel que vous, et c’est bien la raison
Qu’en faisant comme luy, je vous offre la mienne,
Disposez-en, Monsieur, ainsi que de la sienne,
1375 Vous aurez en ce lieu la mesme authorité.

TINDARE.

Vous m’honorez par trop. Vous, parfaite beauté !

ARIMANT.

Ma fille, il parle à vous.

TINDARE.

Disposez d’une vie
Qui par tant de raisons est vostre ; et je vous prie,
Sçachant ce que je suis, et ce que je vous doy,
1380 D’user du plein pouvoir que vous avez sur moy.
Vous sçavez bien qu’ici je ne feins point, Madame,
Que je vous ouvre à nud les secrets de mon ame ?

ARIMANT.

Ma fille, respondez, [p. 95]

LILIANE.

Je reçoy trop d’honneur
De vos civilitez, et croyez-moy, Monsieur,
1385 Que si vous m’honorez de quelque bienveillance
Je suis trop obligee* à la reconnoissance,
Pour ne vous pas priser ainsi que je le doy,
Disposez donc, Monsieur, du logis et de moy,
Vous estes Maistre icy, comme le veut mon pere,
1390 Et croyez, s’il luy plaist, qu’il ne me peut déplaire.
Venez-nous voir souvent, quoy que l’on ferme à tous
Cette porte, Monsieur, elle s’ouvre pour vous.

ARIMANT.

Elle respond fort bien.

NISE.

O Dieux ! qu’elle est rusee ?
Elle parle sans feinte, ou je suis abusee*.

TINDARE.

1395 Vous me faites tous deux rougir de tant d’honneur,

ARIMANT.

Adieu, Monsieur.
Tindare s’en va.
Rentrons, nous serons mieux là-haut que dans la ruë. [p. 96]

NISE bas.

J’aperçoy Jodelet, sans doute qu’il m’a veuë,
Je veux l’attendre ici, je meurs pour luy parler,
1400 Et mesme tout de bon* je le veux quereller.

SCENE VII.

NISE, JODELET.

NISE.

QUoy ! l’on ne te void plus ?

JODELET.

Tu sçais bien que mon Maistre
En ce logis ici n’oseroit plus paroistre.

NISE.

Mais pour toy, qui te fait ainsi m’abandonner ?

JODELET.

Je ne puis pas, pour estre habile à deviner[,]
1405 Il faut passer les jours et les nuicts à l’estude. [p. 97, N]

NISE.

Tu me sembles avoir fort peu d’inquietude,
Tu n’en es point maigri, je te trouve en bon point.

JODELET.

Quand l’exercice plaist, on n’en emmaigrit point :
Mais laissons ce discours. Que dis-tu de l’adresse
1410 Dont j’ay tantost* usé pour tromper ta Maistresse ?

NISE.

Est-ce-là le secret que tu m’avois promis ?
Est-ce-là comme il faut obliger* ses amis ?
Va, tu n’és qu’un ingrat, qu’un perfide, qu’un traitre,
Falloit-il reveler ce secret à ton Maistre ?

JODELET.

1415 Pouvois-je luy celer* ? tout bien consideré ?
Mais que t’importe-t’il si je l’ay reparé ?
Mais, Nise, asseurément je pariëray ta perte
Si nostre fourbe* un jour peut estre descouverte.
Pour donc continuer la ruse, averty-moy
1420 De tout ce qui se passe, et qui se fait chez toy ;
Ayant de tes secrets l’entiere connoissance,
Je ferois à chacun admirer ma science :
Autrement ta Maistresse auroit juste raison
De t’accuser d’avoir usé de trahison.
1425 Et tu pourrois apres tomber en sa disgrace. [p. 98]

NISE.

Bien, je veux t’avertir de tout ce qui se passe.
Sçache que ce galand*, cet Amant incognu,
Feignant de son voyage estre nouveau venu,
Est arrivé ceans*, a salüé mon Maistre,
1430 Feignant qu’il luy portoit de Thurin une lettre
D’un sien frere qu’il a, pour pouvoir librement
Quand il voudra, venir au logis d’Arimant.
Le bon homme l’a creu, Liliane ravie
D’un certain ruban verd dont il avoit envie,
1435 Où pend un cœur orné de diamans, en fait
Present à son Amant, dont il est satisfait,
En peu de mots voila ce que je te puis dire.

JODELET.

J’en suis ravi de joye.

NISE.

Adieu, je me retire,
Mon Maistre vient ici.

JODELET.

Dy moy, que gagnes-tu ?
1440 Faisons semblant de rien, puis qu’il m’a desja veu.

SCENE VIII.

ARIMANT, NISE, JODELET ;

ARIMANT.

QUel est cet homme ici ? [p. 99]

NISE bas.

Mentons avec adresse.
Par l’ordre que tantost* m’a donné ma Maistresse,
Je l’ay mandé*, Monsieur.

ARIMANT.

Pour quel sujet, dy moy ?

NISE.

Pour m’informer de luy. Mais à ce que je voy,
1445 Vous ignorez, Monsieur, son extresme science,
C’est le plus grand Esprit qui se retrouve en France,
Les plus sçavans Docteurs en sont tous estonnez*,
Il les rend tous confus avec un pied de nez.
Il predit l’avenir, il connoist toutes choses,
1450 Et mesme est tres-sçavant dans les Metamorphoses.
Ma Maistresse sçachant qu’il vous plaist aujourd’huy [p. 100]
La ranger sous l’Hymen*, veut s’informer de luy
Si l’ascendant fatal sous lequel elle est née
Luy promet un heureux ou fascheux* Hymenée*.
1455 C’est ce qui l’embarasse, et la met en soucy*,
Et c’est dequoy, Monsieur, nous discourions ici.

ARIMANT.

Quels contes fabuleux ? dy-moy, quelles chimeres
Me viens-tu raconter ?

NISE.

Ce sont choses si claires
Que personne n’en doute.

JODELET.

Ah ! ne la croyez pas ?
1460 Elle vous fait de moy, Monsieur, par trop de cas,
Je ne suis point sçavant, et toutefois j’avoüe,
Sans desirer pourtant qu’en ce poinct on me louë,
Qu’amateur de Vertu, j’ay dés mes jeunes ans
Pour connoistre les Cieux employé quelque temps,
1465 Sçachant que les effets despendent de leurs causes,
J’ay voulu penetrer dans les Metempsicoses.

ARIMANT.

Cet homme est tres-sçavant, et je connoy fort bien,
Puis qu’il se vante peu, qu’il doit n’ignorer rien.
Que respond-il, encor, touchant le mariage [p. 101]
1470 De ma fille ?

NISE.

Monsieur, de bon cœur j’en enrage.
Il dit que ma Maistresse.

ARIMANT.

Acheve, je le veux.

NISE.

Doit-espouser un homme assez necessiteux.

ARIMANT.

Crois-tu qu’un Astrologue*, ô simple Creature !
Puisse prescrire ainsi des loix à la Nature ?
1475 Tu crois ce qu’il te dit ?

NISE.

J’ay sujet d’avoir peur.

JODELET.

C’est ce que maintenant je luy disois, Monsieur,
La Science est douteuse, et tousjours l’homme sage
L’emporte sur les Cieux.

ARIMANT.

Ah ! le grand personnage ? [p. 102]

NISE.

Je le cognoy fort bien, il ne mentit jamais.

ARIMANT.

1480 Sors d’ici promptement, et nous laisses en paix.
Nise sort.
Pour toy, mon amy, croy, quoy qu’ignorant, et rude,
Que je ne laisse point d’aimer les gens d’estude,
Et j’ay dans mon jeune âge esté si curieux
Que j’ay voulu sçavoir la science des Cieux.
1485 Maistre Imbert de Billy, docte en ce haut mistere,
M’a donné dans cet art desja quelque lumiere,
Je voudrois avec toy repasser mes leçons.

JODELET.

On en discourt, Monsieur, mais de plusieurs façons.
bas.
Ah ! je suis attrapé, me voila pris au piege.

ARIMANT.

1490 Pour m’y rendre sçavant, mon amy, que feray-je ?
Dy moy, je t’en seray grandement obligé*.

JODELET.

Monsieur, en ceci l’ordre est grandement changé, [p. 103]
On use d’un autre art et d’une autre methode,
Il faut estre à present Astrologue* à la mode.

ARIMANT.

1495 Encore, que dis-tu de tous ces Animaux
Qu’on nous peint dans le Ciel ? ces hydres, ces taureaux,
Ces affreux scorpions, la chaude canicule,
Qui jusqu’aux intestins nous eschauffe et nous brusle,
Le lyon rugissant, l’ourse de Caliston.

JODELET.

1500 On les nomme à present bien d’une autre façon.
Pour vous rendre sçavant dedans l’Astrologie*,
Il vous faut commencer par la Mitologie.
Cette science est rare*, et faut plus d’une fois
Pour s’y rendre congru, suer dans le harnois.
1505 L’estoile qui paroist à nos yeux la premiere
Dessus nostre horizon, s’appelle pouciniere,
De mine* mordicante, et d’un aspect hagard,
Excusez-moy, Monsieur, ce sont termes de l’art.
Mais pour cette heure ici, cela vous doit suffire,
1510 Car je serois trop long si je voulois tout dire.

ARIMANT.

Je te supplie, Amy, vien-t’en souvent me voir, [p. 104]
Car j’admire en effet ton unique sçavoir.

Fin du quatriesme Acte.

ACTE V.

SCENE PREMIERE

TIMANDRE, ACASTE.

TIMANDRE.

JE n’en puis plus, Acaste, et je perds patience. [p. 105, O]

ACASTE.

Quoy ! si j’ay publié par tout cette science
1515 Vous l’avez ordonné[.]

TIMANDRE.

Je ne le puis nier,
Mais je ne voulois pas qu’on le tint pour sorcier.

ACASTE.

Le bruit s’acroit toûjours, mais qu’avés-vous à craindre ?
Vous n’avez en ceci nul sujet de vous plaindre,
Si de ce grand sçavoir chacun est satisfait[.] [p. 106]
1520 De plus, voyez-vous pas vous mesme qu’en effet
Vous demeurez vangé par cette estrange adresse,
Et de vostre Rival, et de vostre Maistresse ?
Mais dites en quel poinct, Timandre, est vostre amour ?

TIMANDRE.

D’un tel mal je gueris aisement en un jour,
1525 Pour cet ingrat objet* je n’ay ny feu* ny flame*,
Et je n’ay maintenant d’autre desir en l’ame
Que de troubler la joye et les contentemens
De ces deux criminels et perfides Amans :
Car si tost que je voy qu’une Dame que j’aime
1530 Me traitte de mespris, je la traitte de mesme,
De sorte que je tiens* Liliane en ce jour
Indigne de ma haine, et plus de mon amour.

ACASTE.

Timandre, s’il est vray, dites-moy, je vous prie,
Le subjet qui vous pût porter à l’industrie*
1535 Que vous m’avez contée ?

TIMANDRE.

He ! ne falloit-il pas
Pour luy sauver l’honneur, sortir de l’embaras
Où ma langue avoit mis cette pauvre servante
Et faire croire à tous qu’elle estoit innocente ?

ACASTE.

Ah ! sans mentir, j’ay creu qu’en cette occasion* [p. 107]
1540 Vous n’aviez d’autre objet* ny d’autre intention
Qu’un dessein d’empescher ce fascheux* mariage.

TIMANDRE.

Non, non, j’ay peu d’amour et beaucoup de courage*,
Tout au contraire, Ami, croyez que je feray,
Pour haster leur Hymen*, tout ce que je pourray.

ACASTE.

1545 Pour quel sujet, encor ?

TIMANDRE.

C’est chose qui m’importe.
Mais j’entens, que je croy, quelqu’un à cette porte,
Sans doute elle est ouverte, on monte, que je croy.

SCENE II.

TIMANDRE, JACINTE, ACASTE,JULIE, JODELET.

TIMANDRE.

AH ! Madame, est-ce vous ? [p. 108]

JACINTE.

Ouy, Timandre, c’est moy,
Je vous dy librement, Monsieur, que je souhaitte
1550 Parler à Jodelet.

TIMANDRE.

Estes-vous satisfaite,
Madame, de son art ?

JACINTE.

J’ay sujet aujourd’huy
De me pleindre, Monsieur, et de vous et de luy.

TIMANDRE.

De vous pleindre, Madame ? [p. 109]

JACINTE.

Ouy, faites-le paroistre.

TIMANDRE.

Il n’est pas au logis.
Jodelet vient.

JACINTE.

Ah ! le voici, le traistre ?

TIMANDRE.

1555 Madame vient ici pour se pleindre de toy.

JODELET.

Pour se pleindre ?

JACINTE.

Ouy, me pleindre.

JODELET.

Eh ! Madame, pourquoy ?

JACINTE.

Vien ça, si tu sçavois que l’Amant que j’adore
Estoit dedans Paris, si tu sçavois encore
Qu’il n’en est point parti, lasche* di-moy, pourquoy [p. 110]
1560 Ne me détrompois-tu ?

JODELET.

Le sçavois-je bien, moy ?
Si je vous ay promis de vous monstrer l’image
De vostre cher Amant ? fais-je pas davantage,
Madame, en vous monstrant le vray corps animé
Que vous n’attendiez pas de ce visage aimé ?
1565 Voulez-vous un effet de ma rare* science
Plus grand, que sans avoir aucune connoissance
Qu’il fust dedans Paris, ( car qui l’eust peu sçavoir ?)
J’ay fait que vostre escrit tombast en son pouvoir.

JACINTE.

Ce discours en effet n’a point de repartie,
1570 Puis[que] donc que de tout je suis bien advertie
Que je n’ay nul sujet de me mettre en courroux,
Gueri la passion de mon esprit jaloux.
Tindare est à Paris, où l’on m’a dit qu’il aime
La fille d’Arimant à l’égal de luy-mesme,
1575 Que cet objet* divin l’a tellement charmé,
Que s’il l’aime, il en est esgalement aimé.
Chasse-là de son cœur, et me mets en sa place,
Fay que Tindare soit pour elle tout de glace,
Qu’il m’aime comme il l’aime, et selon mes souhais
1580 Fay tant, car tu le peux, qu’il n’y pense jamais.

JODELET.

Celuy qui vous a fait ce discours-là, Madame, [p. 111]
L’a fait pour exciter* ces troubles en vostre ame.
Il n’est rien de plus faux, Madame, croyez-moy,
Que Tindare jamais ne vous manqua de foy*.
1585 Et c’est un imposteur qui vous dit autre chose,
S’il est dedans Paris, vous en estes la cause,
Si durant ces six mois il s’est caché de vous,
C’est parce, croyez-moy, qu’il en estoit jaloux :
Retirez-vous, Madame, et vivez satisfaite,
1590 Que la constance est ferme, et son amour parfaite,
Et tant plus il vous fait paroistre ses mespris,
C’est lors* qu’il est de vous plus ardemment espris.

JACINTE.

Justes Dieux, ce plaisir surpasse mon attente,
Je n’esperois pas tant. Ah ! que je suis contente !
1595 Allons, Julie, allons.
Elles s’en vont.

TIMANDRE.

Mais quel est ton dessein ?

JODELET.

Ne vous tourmentez point, je ne fais rien en vain,
Ma response ambiguë est semblable à l’Oracle,
Elle reüssira peut-estre par miracle,
Acaste m’a-t’il pas donné cette leçon ? [p. 112]

ACASTE.

1600 Il faut tromper Ariste en la mesme façon,
Il s’avance vers nous, et meurt pour vous connoistre,
Il luy faut, Jodelet, joüer d’un tour de Maistre.

SCENE III.

ARISTE, ACASTE, TIMANDRE,JODELET.

ARISTE.

MEssieurs, je suis ravi de vous trouver tous deux,
Le Ciel me favorise, et je suis trop heureux,
1605 Je souhaittois fort l’heur* de vostre connoissance.

TIMANDRE.

Je voudrois vous servir de toute ma puissance.

ARISTE.

Encor que j’eusse peu par Amis aisément
Me faire presenter, j’ay voulu librement
Me confier à vous des secrets de mon ame. [p. 113, P]
1610 Sçachez donc que j’ay veu par malheur une Dame,
Elle gagna mon cœur, mais je ne devois pas,
Sans doute, me laisser vaincre par ses appas.
C’est estre criminel, car Tindare qu’elle aime
Est mon Amy parfait, est un autre moy-mesme :
1615 Mais il ne l’aime point, je voudrois de bon cœur
Me voir de ses beautez l’unique possesseur.
Mon Amy le permet, si j’ay l’heur* que je puisse
Acquerir son amour par quelque bon service*.
Mais je crains de parler, tant j’ay l’esprit confus,
1620 Car bien plus que la mort j’apprehende un refus.
Commandez, s’il vous plaist, à Jodelet qu’il face
En sorte par son art qu’elle me satisface,
Qu’il luy face oublier le rival qui la fuit,
Et se laisse gagner par celuy qui la suit.

JODELET.

1625 Sçait-elle vostre amour ?

ARISTE.

Je n’oserois luy dire.

JODELET.

Donnez-moy vostre main, regardez-moy sans rire,
Haussez les yeux vers moy, froncez-moy le sourci,
Rabaissez-les un peu. Tout va bien jusqu’ici :
Tournez-les de costé, j’ay tres-bonne esperance [p. 114]
1630 Que vous en obtiendrez bien-tost la joüissance.
Quand vous en recevrez d’abord quelque mespris
Ne vous rebutez* point, r’asseurez vos esprits,
Ne vous laissez pas vaincre à ce premier caprice,
Continuez tousjours à luy rendre service*,
1635 Et soyez asseuré, car je vous le promets,
Que vous serez bien-tost au bout de vos souhaits.

ARISTE.

Je feray mon effort pour vaincre un impossible,
Si Jacinte doit estre à mes douleurs sensible,
Je vous baise les mains*, et prens congé de vous.
Il sort.

TIMANDRE.

1640 Je suis ravi de voir à la fin tant de fous,
Fut-il jamais au monde une telle ignorance ?

ACASTE.

Mais que pretens[-]tu faire avec cette esperance
Dont tu repais en vain cet amoureux transi ?

JODELET.

Je pretens le tromper, et peut-estre qu’aussi
1645 Luy rendant tous les jours nombre de bons offices*,
Il pourra la flechir à force de services*,
Et s’imaginera l’obtenir par mon art.

ACASTE.

Ce n’est pas mal pensé, mais que veut ce Vieillard ? [p. 115]

SCENE IV.

JODELET, ARIMANT, TIMANDRE,ACASTE.

JODELET.

AH Dieux ! c’est Arimant, il me pourroit confondre,
1650 Il vient m’interroger, je ne pourrois respondre,
Je ne l’attendray point, je ne suis pas si sot.

ARIMANT le retenant.

Jodelet, escoutez, je veux vous dire un mot.

JODELET.

Une autrefois, Monsieur, j’ay maintenant affaire,
Et je ne vous puis pas à present satisfaire.

ARIMANT.

1655 Je n’ay qu’un mot à dire, estes-vous si pressé ?

JODELET.

Je me trouve à present l’esprit embarassé. [p. 116]

ARIMANT.

Messieurs, obligez-le de m’escouter de grace[!]

TIMANDRE.

Escoute, Jodelet.

JODELET.

Que veut-on que je face ?

ARIMANT.

Je le diray devant ces Messieurs que voici,
1660 D’un larcin qu’on m’a fait, je suis en grand souci*,
Je viens pour en avoir de vous la connoissance.

JODELET.

Sans doute il connoistra d’abord mon ignorance,
Il faut tout avoüer, aussi bien je suis pris.

TIMANDRE.

Responds-luy, Jodelet, r’asseure tes esprits.

JODELET.

1665 Que voulez-vous, Monsieur, ici que je responde,
Je vay tout confesser, Arimant, dans le monde
Il ne se trouve point d’ignorant comme moy. [p. 117]
Ne me pressez donc point, je vous jure ma foy*
Que je n’y cognoy rien.

ARIMANT.

J’ay trop de connoissance
1670 De ce que vous sçavez. Puis cette deffiance,
Ce mespris de vous mesme, et cette humilité
M’en font voir plus à clair encor la verité.

JODELET.

Je vous le dis encor, je n’y sçay rien je jure,
Pourquoy vous le nierois-je ?

ARIMANT.

Ah ! l’estrange imposture ?
1675 Ce joyau, c’est un cœur orné de diamans
Qu’on a pris à ma fille.

JODELET bas.

En quels ravissemens
Me trouvé-je, grands Dieux ! sus* faisons bonne mine*.

ARIMANT bas.

Il réve* là-dessus, sans doute il s’examine.

JODELET.

Est-il bonheur au mien qui se puisse esgaler ? [p. 118]
1680 Je disirois, Monsieur, ici dissimuler,
Pour ne vous annoncer rien qui vous peust déplaire,
Mais si vous le voulez il vous faut satisfaire,
Vous avez un peu trop de curiosité,
Mais je vay franchement dire la verité.

ARIMANT.

1685 Vous m’obligerez* fort, dites, je vous supplie.

JODELET.

Un certain Cavalier* qui revient d’Italie,
Vous l’avez veu chez vous, Monsieur, tantost* a pris
Ce cœur de diamans qui sans doute est de pris,
Ainsi vous pouvez bien recouvrer* vostre perte,
1690 N’estoit-il pas pendant d’une ceinture verte ?
Si je n’ay contenté si tost vostre desir,
Je ne luy voulois pas rendre ce desplaisir,
Sçachant que c’est un homme assez considerable.

ARIMANT.

Qui pourroit avoir creu ce Cavalier* capable
1695 D’une si detestable et si lasche* action ?
Mais pourray-je sans honte et sans confusion
La luy redemander ? Il me faut par adresse, [p. 119]
Sans l’accuser de rien, et sans qu’il le confesse,
La r’avoir si je puis. Dure necessité.
1700 Pardonnez, s’il vous plaist, à ma temerité,
Messieurs. Vous Jodelet, pour ce parfaict office*
Voyez où je pourray vous rendre du service.

JODELET.

Je vous suis serviteur, ces complimens* sont vains.

TIMANDRE.

Vous pouvez tout ceans*, je vous baise les mains*.

ARIMANT.

1705 De grace obligez*-moy, Messieurs, je meurs d’envie
De boire avecque vous, partant je vous convie,
Mais sans ceremonie, à souper pour ce soir.

TIMANDRE.

Puis que vous le voulez, bien, nous vous irons voir.
Arimant s’en va.
Commens as-tu si tost peu controuver ce songe ?

ARISTE.

1710 Sans doute il est plaisant.

JODELET.

Ce n’est point un mensonge,
Ce que je viens de dire est une verité, [p. 120]
N’en doutez nullement, Nise m’a tout conté.

TIMANDRE.

Mais que veut ce Vieillard ?

JODELET.

C’est à moy qu’il s’adresse,
Il me cherche, Monsieur.

TIMANDRE.

Demeure, je te laisse.
1715 Retirons-nous, Acaste, et les laissons ici.

SCENE V.

MORON, JODELET.

MORON.

AMy, pour te trouver j’estois fort en soucy*,
J’ay bien besoin de toy pour un certain affaire,
En trois mots je te veux conter tout ce mistere.
J’ay servi*, tu le sçais, depuis mes jeunes ans, [p. 121, Q]
1720 Avecque quelque espargne ; Or durant tout ce temps
J’ay faict un petit fond avec un grand mesnage,
Pour vivre accomodé le reste de mon aage,
Je voudrois à present me retirer chez moy.
Je suis de loing d’ici Jodelet, c’est pourquoy
1725 Ayant de ton sçavoir parfaite connoissance,
Pour dessus les chemins espargner la despense,
Et de peur des voleurs, tu peux en un moment
Me conduire chez moy par un enchantement,
Provence est mon pais, fay moy donc je te prie,
1730 Porter en un instant dans ma chere patrie,
C’est ce que maintenant je desire de toy.

JODELET.

Peux-tu pas disposer absolument de moy ?
Botte-toy promptement, et mets, s’il est possible,
(Car en allant par l’air, il faict un froid horrible)
1735 Un habit bien doublé. Puis va m’attendre ainsi
Dans ton jardin. Apres, laisse-m’en le souci*.

MORON.

Je vay me preparer, songe à moy je te prie.
Je te reverray donc, ô ma chere patrie ?

JODELET.

Bon, bon, dans mes filets, je tiens le renard pris.

SCENE VI.

TINDARE, ARIMANT.

TINDARE.

1740 JE puis en liberté contenter mes esprits, [p. 122]
Et sans scrupule aucun pouvant me satisfaire,
Allons voir la beauté que mon ame revere.

ARIMANT.

Je vous cherche par tout depuis une heure ou deux.

TINDARE.

Si c’est pour vous servir je me tiens* trop heureux.

ARIMANT bas.

1745 Voyez qu’il est courtois, grands Dieux ! est-il croyable
Que d’un crime si noir cet homme soit capable ?
Cet homme si bien fait*. Je desirois vous voir[.]
Ne vous estonnez* point, s’il vous plaist, pour r’avoir
Un joyau qu’à ma fille, on a surpris n’aguere,
1750 Je sçay que vous l’avez. Voyez comme il s’altere,
Rendez-le moy de grace. [p. 123]

TINDARE bas.

Ah ! que je suis surpris ?

ARIMANT.

Cela ne vous doit point alterer les esprits.

TINDARE.

Qu’entens-je ? justes Dieux ! que je suis miserable ?

ARIMANT.

Je ne vous tiens*, Monsieur, aucunement coupable,
1755 Je me plains de la main de qui vous la tenez.

TINDARE troublé.

Monsieur, ici, vers vous.

ARIMANT.

Quoy ! vous vous estonnez* ?
Je ne cognoy que trop, Monsieur, vostre innocence,
C’est la personne ici seulement qui m’offence
De qui vous la tenez : Dieux ! je l’excuse ainsi.

TINDARE.

1760 Il faut que vous soyez sur ce poinct esclairci.
Blasmez-moy seulement, je suis le seul coupable. [p. 124]

ARIMANT bas.

Voyez comme il s’accuse.

TINDARE luy rendant le joyau.

Il est tres-veritable,
Je ne le puis nier, mais la necessité
M’a contraint d’en venir à cette extremité,
1765 Je l’ay moy-mesme osté, Monsieur, à Liliane.

ARIMANT.

Quand je veux l’excuser, luy-mesme il se condamne.
La conscience, ô Dieux ! est un trop fort tesmoin,
Ne vous excusez pas, il n’en est point besoin.
Brisons-là, je sçay bien comme tout va, vous dis-je[.]
1770 Mais la necessité bien souvent nous oblige
A faire encore pis.

TINDARE.

Monsieur, si vous sçavez
Comme tout s’est passé, s’il vous plaist, approuvez
L’action que j’ay faite, authorisez mon crime,
Ouy, vous pouvez Monsieur, le rendre legitime,
1775 Je n’ay pas grands moyens, mais j’ay beaucoup d’honneur,
Et de naissance aussi : Permettez-moy Monsieur,
D’avoir l’honneur d’entrer dedans vostre famille,
Faites-moy, s’il vous plaist, espouser vostre fille.

ARIMANT.

Cet homme est fol sans doute, il a perdu le sens. [p. 125]
1780 Monsieur, une autrefois prenez mieux vostre temps,
Vous me demandez donc ma fille en mariage ?
Vous révez*, que je croy, mais estes-vous bien sage ?
Adieu, ne craignez rien, je suis assez discret
Pour sçavoir comme il faut vous cacher ce secret.
Il s’en va.

SCENE VII.

TINDARE, JACINTE, JULIE.

TINDARE seul.

1785 QUelle confusion à la mienne est pareille ?
Qu’entens-je ? justes Dieux ! est-il vray que je [veille] ?
Je me mesprens, ou bien Arimant se mesprend,
D’un abisme profond je r’entre en un plus grand ?
Quel malheur ? juste Ciel ! s’oppose à ma fortune* ?
1790 Mais pour comble d’ennuis* je voy cette importune ?

JACINTE.

Vous estes à Paris, et sans me venir voir,
Je pensois bien sur vous avoir plus de pouvoir[.]
Quoy vous estes muet ? ah Dieux ! est-il possible [p. 126]
Bruslant d’amour pour moy, qu’il feigne estre insensible ?
1795 Si je sçay vostre cœur et vos pensers aussi,
Qui vous peut obliger à me traitter ainsi ?
Pourquoy jusqu’à ce poinct voulez-vous vous contraindre ?

TINDARE.

Escoutez-moy, Madame, il n’est plus temps de feindre,
Quand vous m’avez mandé*, vous m’avez en couroux
1800 Fermé la porte au nez, et chassé de chez vous.
Apres ce traittement, ne trouvez point estrange
Si je vous abandonne, et si je cours au change*,
Tindare a trop de cœur* pour souffrir* ces mespris
Un plus parfait objet* occupe mes esprits.
1805 Adieu donc, pour jamais je vous quitte, Madame.

JACINTE.

Voyez qu’il est adroit à déguiser sa flame*.

JULIE.

Il ne déguise rien, Madame, que je croy.

JACINTE.

Avec tous ces mespris il meurt d’amour pour moy.

JULIE.

Mais vous trompez-vous point, Madame, la premiere ?

JACINTE.

1810 Ne le cognois-tu point ? cette feinte est grossiere, [p. 127]
Il faut bien qu’il soit vray, Jodelet me l’a dit.

JULIE.

En ce poinct il perdra sans doute son credit.

SCENE VIII.

MORON, JODELET.

MORON.

ADieu Paris, Adieu, je veux perdre la vie
Si de te voir jamais il me reprend envie,
1815 Ah ! quel plaisir j’auray de cheminer ainsi,
Qui le croiroit ? ce soir je partiray d’ici,
Et demain au matin, quel plaisir quand j’y pense ?
Je me verray par l’air arriver en Provence ?
Jodelet tarde bien, le voici, que je croy.

JODELET.

1820 As-tu ce qu’il te faut ? [p. 128]

MORON.

Je porte tout sur moy.

JODELET.

Il faut presentement te bander le visage,
Tu n’as, je le sçay bien, point manque de courage,
Mais il faudra passer par tant de regions,
Voir au Ciel des taureaux, des tigres, des lions,
1825 Des Hidres, des serpens, des monstres effroyables,
Et tu te donnerois de peur, à tous les diables.
Tu voleras par l’air durant toute la nuit,
Quand tu commenceras d’entendre quelque bruit
Quelques confuses voix et quelque tintamarre
1830 Ne t’en estonne* point, Moron, je te declare
Que tu seras alors bien proche de chez toy,
Lors* on te desliera. Vien ça doncques, suy-moy,
Entrons dans le jardin, là ta monture est preste.

MORON.

Mais ne me baille pas quelque meschante beste.
Il luy bande le visage, et luy oste son argent, et s’en va.

SCENE IX.

LILIANE, NISE, TINDARE.

LILIANE.

1835 MOn pere, dites-vous, vous a redemandé [p. 129, R]
Ce cœur de diamans ?

TINDARE.

Je me suis hazardé
Pour vous justifier de me rendre coupable.

LILIANE.

Je suis cause de tout, que je suis miserable ?
J’ay feint que ce joyau m’avoit esté volé,
1840 Un certain Astrologue* a le tout revelé,
Qui s’est monstré tousjours à nos amours contraire,
Mais croy-moy, cher Amant qu’en despit de mon pere,
Malgré le Ciel, la Terre, et tous les Elemens
Liguez pour s’opposer à mes contentemens,
1845 Malgré l’Astrologie*, et quoy qu’il en advienne, [p. 130]
Il n’est rien qui me puisse empescher d’estre tienne,
Je t’en donne parole, et pour gage, ma foy*.

TINDARE.

Est-il homme ici bas plus glorieux que moy ?
Madame, permettez pour la faveur insigne
1850 Que je reçois de vous, dont je me sens indigne,
Que je puisse baiser la trace de vos pas.

NISE.

Ah Dieux ! tout est perdu*, vostre pere est là-bas
Dans le jardin, Madame, il vient avec Timandre.

LILIANE.

Que feray-je, grands Dieux ! quel parti doy-je prendre ?
1855 Taschez par ce coin-là d’entrer dans le jardin,
Tindare, et vous cachez derriere ce jasmin.

SCENE X.

TIMANDRE, LILIANE, NISE, JODELET,ARIMANT, MORON derriere.

TIMANDRE.

DIeux, que de ce jardin la veuë est agreable ? [p. 131]
Que tout est propre ici ?

ARIMANT.

Que l’on dresse la table,
Nise, et que l’on nous serve à souper promptement.
Nise sort.

MORON derriere.

1860 Dieux ! je vole par l’air assez legerement,
Je suis desja bien loin de Paris, ce me semble,
Je crois ouïr des gens qui discourent ensemble.

TIMANDRE à Liliane.

Madame, tenez*-moy pour vostre serviteur.

LILIANE.

Je suis vostre servante. [p. 132]

ARIMANT.

Est-ce pas là ce cœur
1865 Que vous aviez perdu ?

LILIANE.

Monsieur, je vous rends grace.

SCENE XI et derniere.

JACINTE, ARISTE, TIMANDRE,LILIANE, JULIE, NISE, JODELET,MORON, ARIMANT, TINDARE.

JACINTE.

NOn, non, Ariste, il faut que je me satisface,
Il me faut esclaicir de cette verité.

ARISTE.

Madame, il est ainsi que je vous l’ay conté.

ARIMANT.

Que veut dire Madame ? [p. 133]

JACINTE.

Arimant, je vous prie
1870 Excusez cet effet de mon effronterie,
Pour dire en peu de mots le trouble où je me voy,
J’ayme, et je suis trahie, on me manque de foy*,
Liliane cherit un homme que j’adore,
Elle me l’a volé : je vous di plus encore
1875 Qu’on le face chercher, il est caché ceans*.

ARIMANT.

Un homme ici caché ?

LILIANE.

Dieux ! qu’est-ce que j’entens ?

MORON derriere.

J’entens, je croy, du bruit, et quelques voix confuses,
Que Jodelet m’a dit.

JACINTE.

Ne cherchez point d’excuses.

ARIMANT à Liliane.

Comment ? tu ne dis mot, meschante, as-tu le front, [p. 134]
1880 De m’oser regarder apres un tel affront ?
Quel homme est-ce ? respons, infame*, je te jure
Que je me vengeray.

LILIANE.

Dieux ! l’estrange imposture ?

ARIMANT.

Que l’on cherche par tout, et qu’on ne laisse rien.

ARISTE.

Laissez faire, Monsieur, je le trouveray bien.

LILIANE bas.

1885 Je suis perduë*, ô Dieux !

JODELET.

Ah ! Monsieur, je vous jure.

JACINTE l’interrompant.

Ce qu’il veut dire ici n’est rien qu’une imposture,
Ce n’est qu’un affronteur qui ne faict que mentir.

MORON derriere.

Dieux ! qui de ce danger me pourra garantir ?
Je suis prez de chez moy, je me le persuade [p. 135]
1890 Par ce bruict que j’entens.

ARISTE descouvrant Moron.

Sur cette palissade
J’aperçoy, ce me semble, un homme garoté.

ARIMANT.

Que veut dire cela ? grands Dieux ! suis-je enchanté ?
Est-ce ici le Palais, ou d’Armide, ou d’Urgande ?

MORON derriere.

Quels bruits entens-je ici ? grands Dieux que j’aprehende ?
1895 Suis-je hors de danger, respons-moy, Jodelet.

TIMANDRE.

C’est quelque plaisant tour qu’aura fait mon valet.
Sus donc* que promptement ce pauvre homme on deslie.
Ariste le deslie.

ARIMANT.

A-t’on jamais parlé de pareille folie ?
Est-ce là cet Amant qui se tenoit caché ?

ARISTE.

1900 Avec tous mes efforts j’y suis bien empesché.

MORON deslié.

[p. 136]
Je suis en mon païs, quelle resjouïssance ?
Il faut baiser la terre où j’ay pris ma naissance.

ARIMANT.

N’est-ce pas là Moron ? Dieux ! qu’est-ce que je voy ?

MORON.

Estes-vous en Provence aussi bien comme moy,
1905 Monsieur ? Dieux ! je reçoy une joye infinie
De rencontrer chez moy si bonne compagnie ?

JODELET bas à Moron.

Pour n’avoir pas bien fait tout ce que je t’ay dit,
Le charme t’a manqué.

MORON.

Que je suis interdit* ?

ARIMANT à Jacinte.

Cherchons cet affronteur, Madame, je vous prie.

TINDARE se monstrant.

1910 Pardonnez, Arimant, à mon effronterie,
C’est moy, ne cherchez pas davantage, Monsieur. [p. 137, S]

ARIMANT.

Quoy ! l’Amant de ma fille est doncques ce voleur ?

JACINTE.

Arimant, révez*-vous ?

LILIANE.

Que dites-vous, mon pere ?

JODELET.

Messieurs, je puis moy seul desbroüiller cette affaire,
1915 Arimant sur ce poinct vous serez esclairci.
Depuis un an et plus, Tindare que voici
Adore Liliane, et Liliane l’aime,
Ce n’est point un larron, car vostre fille mesme
Avoit de ce joyau faict don à son Amant.

ARIMANT.

1920 Ma fille, est-il bien vray ?

LILIANE.

Confessons franchement
La chose comme elle est, Ouy, Monsieur, je declare
Que Tindare est à moy, que je suis à Tindare,
Et si vous ne voulez approuver nostre amour, [p. 138]
Privez-nous sur le champ de la clarté du jour.

ARIMANT à Timandre.

1925 En cette extremité, Monsieur, que doy-je faire ?

[TIMANDRE.]

Puis qu’ils s’aiment si fort, il les faut satisfaire,
Approuvez leurs amours et secondez leurs vœux*.

ARIMANT.

Bien, pour l’amour de vous, Timandre, je le veux[.]
Ouy, Tindare, à ce coup je desire me rendre,
1930 Je vous donne ma fille et vous reçois pour gendre.

TINDARE.

Quel homme sous le Ciel est plus heureux que moy ?
Je suis ravi, Monsieur, de l’heur* que je reçoy.

LILIANE.

Vous me mettez, mon pere, au comble de ma gloire.

ARISTE à Jacinte.

N’avez-vous point sujet à present de me croire ?
1935 Madame obligez*-moy, puis qu’en cet heureux jour
Je ne rencontre plus d’obstacle à mon amour,
Confirmez, s’il vous plaist, la parole donnee,
D’estre jointe avec moy sous les loix d’hymenee*.

JACINTE.

Ariste, je le veux , vous l’avez merité, [p. 139]
1940 Je doy recompenser vostre fidelité.

LILIANE.

Tu pensois, Jodelet, avoir cet avantage
De rompre par ton art nostre heureux mariage,
Mais ne l’ayant pas fait, tu vois bien, en un mot,
Que ta science est fausse, et que tu n’és qu’un sot.

JACINTE.

1945 Ne m’avois-tu pas dit que Tindare de flame*,
Quoy qu’il me rebutast*, m’adoroit en son ame ?
S’il en espouse une autre, on voit bien, en un mot,
Que ta science est fausse, et que tu n’és qu’un sot.

ARISTE.

N’avois-tu pas cognu par ton art grand et rare*,
1950 Que Jacinte m’aimoit, et n’aimoit plus Tindare ?
Le contraire paroist, et tu vois, en un mot,
Que ta science est fausse, et que tu n’és qu’un sot.

MORON.

M’avois-tu pas promis qu’avecque ta science
Tu me ferois par l’air enlever à Provence ?
1955 Si je suis dans Paris, tu vois bien, en un mot,
Que ta science est fausse, et que tu n’és qu’un sot.

JODELET.

Nise, va confirmer tout ce que je vay dire. [p. 140]
Je vous ay tous fourbez, cela vous doit suffire,
Arimant, et croyez que l’on me doit loüer
1960 Pour ce que maintenant je vay vous avoüer.
Sans de l’Astrologie* avoir la connoissance
J’ay passé pour devin dedans vostre croyance,
Et par un artifice estrange et non commun,
N’ay-je pas satisfait aux desirs d’un chacun ?
1965 Nise m’a descouvert l’amour de sa Maistresse[,]
Que mon Maistre adoroit, admirez mon adresse,
Et jusques à quel poinct, vous les braves* esprits,
Arimant, ce joyau que l’on vous avoit pris,
Vous l’ay-je pas fait rendre ? Et respondez, Ariste,
1970 N’estes-vous pas content si tout vostre heur* consiste
A posseder Jacinte ? Et vous, Jacinte, aussi
J’ay tiré vostre esprit de peine et de souci* ?
Sans doute vous devez estre fort satisfaite,
Vous ayant aujourd’huy fait voir l’amour parfaite
1975 Qu’Ariste avoit pour vous, et l’infidelité
De Tindare qui meurt pour cette autre beauté ?
Toy, Moron, t’ay-je pas par cette belle feinte,
Comme tu desirois, delivré de la crainte
D’estre par les chemins pillé par les voleurs ?
1980 Tu n’es plus en estat d’avoir telles frayeurs[,]
Avec toy les voleurs auroient peu de resource. [p. 141]

MORON.

Ah ! Messieurs ? Jodelet m’a desrobé ma bourse.

TIMANDRE.

Tout s’est fait par mon ordre, et pour nous resjouïr.
Vous, Tindare, croyez que vous pouvez joüir
1985 Des plaisirs infinis où le Ciel vous convie
Sans qu’à vostre bonheur je porte nulle envie.
Et pour toy, Jodelet, rens l’argent à Moron.

JODELET.

Je le veux, mais que Nise obtienne son pardon,
Et qu’il vous plaise aussi me la donner pour femme,
1990 Pour elle dés long-temps mon cœur n’est que de flame*.

LILIANE.

Si mon pere y consent, Jodelet, je le veux.

ARIMANT.

Ouy, je suis tres-content de seconder leurs vœux*.

NISE.

J’ay tout ce que je veux.

JODELET.

Moy ce que je desire.

TINDARE.

Moy, le parfait objet* pour qui mon cœur souspire. [p. 142]

JODELET.

1995 Et moy content aussi, je vous dis, en un mot,
Que je ne suis devin, Astrologue*, ny sot.

Fin de la Comedie de Jodelet Astrologue.