ARISTIDE, PAUSANIAS.
ARISTIDE.
Je détourne vos pas, je sçai où je m’expose ;
Mais l’interest public va devant toute chose,
Et c’est enfin Seigneur, à ne vous rien celer,
Au nom de tous les Grecs que je viens vous parler.
PAUSANIAS.
975 Avec beaucoup d’ardeur le bien public vous touche,
Et tous les Grecs souvent parlent par vostre bouche ?
Mais je veux bien Seigneur me taire là-dessus,
Pour prix des derniers
soins* que vous m’avez rendus.
ARISTIDE.
Croyez qu’avec regret Seigneur…
PAUSANIAS.
Croyez qu’avec regret Seigneur…Pour vostre
gloire* 980 Sans rien examiner je consens à tout croire.
Je croirai s’il le faut que le superbe emploi,
[p. 46]
De voir un General prendre de vous la
loi*,
D’avoir au nom des Grecs des ordres à prescrire,
985 Est un
soin* qui n’a rien qui vous flatte en secret,
Et dont vous vous chargez toûjours avec regret ;
Quoi qu’il en soit enfin sçachons ce qu’on desire,
Et ce qu’au nom des Grecs vous avez à me dire.
ARISTIDE.
C’est un
soin* important qu’ils soûhaitent de vous,
990 Pour vostre propre
gloire* & pour le bien de tous.
Cleonice est toûjours à craindre avec justice.
PAUSANIAS.
Les Grecs se meslent-ils encor de Cleonice ?
Elle a la liberté j’en ai pû disposer.
ARISTIDE.
Oüy, mais les Grecs ont peur qu’elle en puisse abuser.
995 Ce que leur a cousté la haine de son Pere
En fait craindre en la fille un reste hereditaire ;
Suspecte parmi nous on veut qu’elle aille en paix,
Parmi nos ennemis jouïr de vos bien-faits,
1000 Elle quitte la Grece, & dés demain Bisance.
PAUSANIAS.
L’ordre est pressant sans doute & surprenant pour moi.
Il se peut que les Grecs, ces Peuples sans effroi ;
Eux qui sous ma conduite avec tant d’asseurance,
Ont bravé des Persans l’effroyable puissance ;
1005 Eux de tant d’ennemis par tout victorieux,
Soyent capables de craindre une fille en ces lieux,
Mais une fille enfin qui n’a pour toutes armes,
Que ce que sa beauté lui peut donner de charmes.
ARISTIDE.
1010 Eh c’est par là Seigneur qu’elle est à redouter.
La Beauté quelquefois forme de grands orages,
Et est souvent l’écueil des plus fermes
courages*,
Des plus fiers ennemis tel a bravé l’effort,
Qui contre de beaux yeux n’est pas toûjours si fort.
1015 Quelque Heros qu’on soit on n’est pas insensible,
Et fust on mille fois à la Guerre invincible,
Mille fois intrepide & mille fois vainqueur,
L’
Amour* trouve aisément le foible d’un grand cœur.
PAUSANIAS.
Si c’est en Cleonice un crime d’estre aimable,
1020 Pour qui trouvez vous tant sa beauté redoutable ?
Pour Cymon vostre Ami craignez-vous ses
appas* ?
ARISTIDE.
Tout mon Ami qu’il est je n’en répondrois pas ;
Mais si je puis Seigneur oser ne vous rien feindre,
Vous mesme pourriez vous n’y trouver rien à craindre ?
ARISTIDE.
Je parle au nom des Grecs je vous l’ai dit d’abord.
PAUSANIAS.
Au nom des Grecs ou non, d’eux ou de vous n’importe,
La curiosité me paroist toûjours forte.
Que les Grecs sans pretendre à plus qu’il n’est permis,
1030 Me demandent raison de ce qu’ils m’ont commis,
Du
soin* de vaincre enfin trois cens mille Persans :
1035 C’est dequoi s’il le faut & sans peine & sans honte
Le General des Grecs est prest à rendre conte ;
Mais pour ce qui se passe en secret dans son cœur,
Quels que soient ses desirs, quelle qu’en soit l’ardeur,
Qu’il s’engage à son gré, qu’il haïsse, ou qu’il aime,
1040 Il n’en pretend devoir de conte qu’à lui mesme.
ARISTIDE.
Aucun des Grecs Seigneur n’a la temerité,
De vouloir de leur Chef
choquer* la liberté ;
Mais si vous estes libre ils pretendent tous l’estre,
Et pour souffrir un Chef ne souffrent point de Maistre.
1045 Ils laissent vostre cœur à son gré soûpirer,
Contre un Objet suspect laissez-les s’asseurer :
S’ils craignent vous devez d’autant moins vous en plaindre,
Que ce n’est que pour vous qu’ils ont le plus à craindre :
Leur
soin* part de leur zele, & vous doit estre doux,
1050 Ils ont peur d’avoir lieu d’oser rien contre vous,
De vous voir engager plus qu’ils ne voudroient croire,
De vous voir oublier peut-estre vostre
gloire*,
Et pour leur General eux-mesme de se voir
Dans la necessité d’oublier leur devoir.
PAUSANIAS.
1055 Sçachez vous et les Grecs…
ARISTIDE.
Sçachez vous et les Grecs…Cessez de nous confondre,
Ce n’est qu’aux Grecs Seigneur que vous devez répondre.
PAUSANIAS.
Je vous parle pour eux. Puisque vous le voulez
Je répons donc aux Grecs pour qui pour me parlez.
Leur zele va trop loin, ils ont sujet de croire
Qu’ils ne se mêlent pas d’en prendre aucun souci,
Et quant à leur devoir j’en aurai
soin* aussi.
L’interest que j’y prens vaut bien que l’on s’y fie,
Je réponds d’empécher que personne l’oublie,
1065 Ou de sçavoir au moins par un prompt repentir
Y ramener quiconque oseroit en sortir.
Voila ce que de moi les Grecs doivent attendre,
Et ce que de ma part vous leur pouvez aprendre.
ARISTIDE.
Si mon avis Seigneur peut ici se mêler...
PAUSANIAS.
1070 Ce n’est qu’au nom des Grecs que vous devez parler,
Et n’ayant de leur part rien de plus à me dire,
Vous avez ma réponse & cela doit suffire.
Je n’écoute plus rien vos
soins* sont superflus.
ARISTIDE.
Je voi pourquoi Seigneur vous ne m’écoutez plus
CLEONICE, PAUSANIAS.
CLEONICE.
1075 Aprés tant de bien-faits & pour faveur derniere,
Pourrai-je encor, Seigneur, vous faire une priere ?
PAUSANIAS.
Que ne pourrez vous point ?
CLEONICE.
Que ne pourrez vous point ?Pourrai-je enfin partir ?
PAUSANIAS.
Vous mesme avec les Grecs aussi d’intelligence ?
1080 Et vous me condamnez comme eux à vostre absence !
Avec eux contre moi vous vous joignez si bien ?
CLEONICE.
Les Grecs font leur devoir je fais aussi le mien.
PAUSANIAS.
Quoi Madame, à partir vous estes déja preste ?
Et mon coeur ny ma main n’ont rien qui vous arreste ?
1085 A me fuir pour jamais vous trouvez tant d’
appas* ?
CLEONICE.
Seigneur si vous m’aimez ne m’en détournez pas.
PAUSANIAS.
Si je vous aime ingrate ainsi pour me confondre,
[p. 51]
Vous voulez que toûjours nous soyons ennemis ?
1090 Hé bien vous estes libre & tout vous est permis.
Laissez moi donc au moins un peu de vostre haine.
PAUSANIAS.
Hélas !Vous soûpirez, me haïssez vous tant ?
CLEONICE.
On dit peu que l’on hait, Seigneur, en soûpirant.
PAUSANIAS.
1095 Puis-je demander pourquoi ce coeur soûpire ?
CLEONICE.
Ne me demandez rien j’aurois peur d’en trop dire.
PAUSANIAS.
Ah ! dites tout de grace, achevez cet aveu.
CLEONICE.
Ma honte & mon silence en disent-ils trop peu ?
PAUSANIAS.
Si vous ne partiez point j’oserois les entendre,
1100 Et si j’en croi vos yeux vostre coeur devient tendre,
Je ne rencontre plus de haine en vos regards :
Cependant vous partez.
CLEONICE.
Cependant vous partez.Et c’est pourquoi je pars !
J’oublie en vous voyant avec trop peu de peine
Tout ce que je vous dois de colere & de haine.
1105 Prés de vous sur mon coeur j’ai trop peu de pouvoir
[p. 52]
Et je tâche en fuyant de sauver mon devoir.
Laissez moi ménager quelque reste de
gloire*,
Ma fuitte vous asseure assez de la victoire.
Le peril est trop grand & n’a que trop d’
appas*,
1110 Epargnez ma foiblesse & n’en triomphez pas.
PAUSANIAS.
Laissez la triompher cette heureuse foiblesse.
De la severité du devoir qui vous presse.
CLEONICE.
Puis-je trahir le sang à qui je dois le jour ?
Qui pourroit m’excuser !
PAUSANIAS.
Qui pourroit m’excuser !Que ne peut point l’
Amour* ?
CLEONICE.
1115 Hé bien Seigneur, hé bien, contre un devoir severe,
Si l’
Amour* sert d’excuse aux fautes qu’il fait faire
Il ne tiendra qu’à vous de m’en convaincre bien ;
Et sur vostre devoir je reglerai le mien.
PAUSANIAS.
Il ne tiendroit qu’à moi ?
CLEONICE.
Il ne tiendroit qu’à moi ?Non, Seigneur, qu’à vous mesme
1120 Montrez moi ce que doit un grand coeur quand il aime :
Montrez moi le premier pour m’en faire une
loi*Mesme foiblesse en vous que vous voulez en moi,
Montrez moi quelque
gloire* ici qui vous retienne
Par l’oubli de la vostre à negliger la mienne.
1125 J’en croirai vostre exemple & je trouverai doux
Que vous m’authorisiez à faillir aprés vous ;
Puisque la Grece en moi d’un fardeau se délivre,
[p. 53]
J’oserai tout pour vous si vous osez me suivre.
PAUSANIAS.
Oublier mon devoir ?
CLEONICE.
Oublier mon devoir ?Hé vous souhaittez bien
1130 Seigneur qu’en vous aimant j’oublie aussi le mien ?
PAUSANIAS.
Ma
foi* s’est par serment engagée à la Grece.
CLEONICE.
J’ai fait serment aussi de vous haïr sans cesse.
PAUSANIAS.
Quoi trahir mon Païs pour vous trop obeïr ?
CLEONICE.
Le sang d’un Pere est-il plus facile à trahir ?
PAUSANIAS.
1135 D’un si coupable effort voyez pour moi la honte :
CLEONICE.
Et c’est dequoi, Seigneur, l’
Amour* vous tiendra conte.
Un effort de
vertu* n’est pas effort pour vous,
Vostre coeur y suivroit son penchant le plus doux.
L’ardeur est pour la
Gloire* aux grands coeurs naturelle,
1140 Et l’
Amour* ne doit rien de ce qu’on fait pour elle.
PAUSANIAS.
Considerez mon rang.
CLEONICE.
Considerez mon rang.Regardez en ces lieux
Combien pour vous l’oster vous avez d’envieux ;
Vous estes en peril toûjours qu’on vous l’arrache,
Et de plus c’est un rang où ma haine s’attache :
1145 Il m’a cousté mon Pere & sur lui mon courrous,
Tombe exprés pour pouvoir se détourner de vous.
N’attendez pas ici que la Grece vous l’oste,
[p. 54]
La Perse peut vous rendre une grandeur plus haute ;
Vous pouvez vous y faire un rang à vostre choix,
1150 Elle a mille Sujets plus grands que tous vos Rois ;
Cessez pour des ingrats de vaincre & de combatre,
Relevez le party que vous venez d’abatre :
Portez y la Victoire, & par vos seuls exploits,
Changez du Monde entier le
sort* jusqu’à deux fois.
1155 Ce crime, au moins, s’il faut ainsi que l’on le nomme,
Est un illustre crime & digne d’un grand homme,
Est digne d’un Heros intrepide, fameux,
Et pour tout dire enfin, d’un Heros amoureux.
PAUSANIAS.
Vous me pouvez aimer, & vous voulez Cruelle
1160 Voir flétrir ma
vertu* d’une tache eternelle ;
Vous m’aimez, & voulez pour prix de vostre coeur,
Que de tout l’Univers je merite l’
horreur*.
Vous m’aimez, & l’
Amour* dans vostre ame inhumaine,
Ne se peut empecher d’agir comme la haine ;
1165 Et dans les plus doux
voeux* que pour moi vous formez,
C’est mesme en ennemie encor que vous m’aimez.
Allez Madame, en vain vous pressez ma foiblesse,
La
Gloire* est de mon coeur la premiere maitresse,
L’
Amour* a dû toûjours s’attendre à lui ceder,
1170 On devoit avec elle au moins s’accommoder.
Malgré de vos
appas* la puissance infinie,
Je veux me revolter contre leur tirannie,
M’affranchir de leur charme, & pour m’en garentir
Allez Ingratte allez haster vous de partir.
Peut encore enchanter la
vertu* qui me reste ;
De ces regards cruels que j’ai trouvez trop doux ;
Emportez s’il se peut ma foiblesse avec vous ;
Déracinez l’ardeur de ma
fatale* flame ;
1180 Rompez, brisez mes fers, jusqu’au fond de mon ame.
Arrachez m’en les noeuds, deussiez vous en ce jour
M’arracher mille fois le coeur avec l’
amour*.
CLEONICE.
Ce grand effort m’apprend celui que je dois faire ;
Vostre
vertu* m’estoit un secours necessaire :
1185 Il faut la contenter & mon devoir aussi,
Il faut partir enfin.
PAUSANIAS.
Il faut partir enfin.Et vous partez ainsi ?
CLEONICE.
Il le faut bien, Seigneur, vous me chassez vous-mesme.
PAUSANIAS.
Moi, Madame ? Ah plûtost c’est vostre haine extréme !
C’est elle qui vous chasse avec un si grand
soin*.
CLEONICE.
1190 Que n’est-il vrai Seigneur, je serois déja loin.
PAUSANIAS.
Mais qu’ai-je dit qui puisse à partir vous contraindre ?
CLEONICE.
Ce que vous m’avez dit me sert trop pour m’en plaindre.
PAUSANIAS.
Mais encor qu’ai-je dit qui vous presse à tel point ?
CLEONICE.
[p. 56]L’oubliez vous si-tost ?
PAUSANIAS.
L’oubliez vous si-tost ? Ne l’oubliez vous point ?
1195 Quand vous ne pourriez mesme en perdre la memoire,
Quoi que j’aye pû dire avez vous pû m’en croire ?
Et ne pas pardonner dans mon coeur qui se rend,
A ce dernier
éclat* d’un Devoir expirant.
C’en est fait, & je sens que l’ardeur qui m’emporte,
1200 Se relâchoit exprés pour revenir plus forte ;
Et que ce fier torrent qui devoit m’accabler,
N’interrompoit son cours que pour le redoubler.
Disposez de mon coeur, vous avez la puissance
D’y mettre à vostre gré le crime ou l’innocence.
1205 La colere des Grecs ny la foudre des Dieux,
Ne l’ébranlent pas tant qu’un regard de vos yeux ;
L’
Amour* m’attache à vous, le noeud dont il me lie
Est plus fort mille fois que Grandeur ni Patrie :
Je trouverois sans vous la Grandeur sans
appas*,
1210 Et n’ai point de Patrie où vous ne serez pas.
Mais ne puis-je obtenir que pour quitter la Grece
Vous attendiez au moins encor qu’on vous en presse.
Je m’exile avec vous, s’il le faut, sans effroi ;
Demeurez s’il se peut pour regner avec moi ;
1215 Laissez moi voir encor si la Grece propice,
Peut vouloir qu’avec vous son General s’unisse.
Resisteriez vous seule à nos communs souhaits ?
CLEONICE.
Ah la Grece Seigneur ne le voudra jamais !
PAUSANIAS.
Oserois-je esperer qu’il ne tient qu’à la Grece ?
CLEONICE.
[p. 57]1220 Vostre exemple authorise & me rend ma foiblesse ;
Allez esperez tout vous m’aprenez trop bien,
Seigneur que quand on aime on ne refuse rien.
PAUSANIAS, DEMARATE CHARILE.
DEMARATE.
Pardonnez moi le
trouble* où vous met ma presence,
Seigneur, & m’accordez un moment d’audiance.
PAUSANIAS.
1225 Parlez je vous dois tant qu’il me seroit bien doux
De pouvoir à mon tour quelque chose pour vous.
DEMARATE.
Vostre interest Seigneur est le seul que j’embrasse,
Ne craignez de ma part rien qui vous embarasse :
1230 Qu’ayant à vous parlez ce n’est jamais pour moi ;
PAUSANIAS.
Mais sçavez vous, Madame, à qui vos
soins* s’addressent ?
Des sentiments si doux & si peu meritez :
1235 Et pour leur prix au moins je veux bien vous aprendre
[p. 58]
Combien j’en suis indigne avant que rien entendre.
Apprenez que je suis en effet malgré moi,
Plus ingrat que jamais à ce que je vous doi ;
Qu’avec un seul regard presque sans resistance,
1240 L’
Amour* a triomphé de ma reconnoïssance ;
Qu’enflamé, qu’enchaisné, que tout percé de coups,
Mon coeur n’a qu’un moment pû combatre pour vous ;
1245 Que mes efforts n’ont fait que resserrer mes noeuds ;
Qu’aprofondir ma playe & qu’irriter mes feux ;
Abandonnez des jours digne de vostre haine.
DEMARATE.
Je le voi bien Seigneur, tous mes
soins* vous font peine,
Vostre propre salut pour qui j’ai tant d’effroi,
1250 Vous deviendroit à charge à le tenir de moi :
Il vous cousteroit trop au prix d’un grand service,
De me devoir vos jours & mesme Cleonice ?
PAUSANIAS.
Cleonice ? on voudroit l’oster à mon espoir ;
Puisqu’il vous plaist, Madame, il faut vous tout devoir.
1255 Parlez, par vos bontez, comblez mon injustice.
DEMARATE.
Hé vous ne m’écoutez qu’au nom de Cleonice!
Vous pouviez à ma honte insulter un peu moins,
Vous craignez de devoir vostre vie à mes
soins* ?
1260 Vous n’aprehendez pas d’y devoir ma Rivale ?
N’importe, il faut Seigneur en sacrifiant tout,
[p. 59]
Pour confondre un ingrat le servir jusqu’au bout.
Vostre Rival piqué de perdre ce qu’il aime,
A crû qu’en mesme estat je la seroi de mesme ;
1265 Que mon
dépit* caché n’avoit pas moins d’ardeur,
Et s’est ouvert à moi pour découvrir mon coeur.
J’ai d’abord contre vous feint pour mieux vous deffendre,
D’embrasser le parti qu’il me pressoit de prendre.
J’ai juré vostre perte & promis d’éclater,
1270 Avec moi cette nuit il doit tout concerter :
Et dés que j’aurai sceu ce qu’il veut entreprendre,
Soyez seur qu’aussi-tost j’irai tout vous aprendre.
PAUSANIAS.
Dieux ! faut-il qu’un ingrat toûjours vous doive tant ?
Je vais faire garder Cleonice à l’instant.
DEMARATE.
1275 Quoi pour l’unique prix de ce dernier service,
Seigneur vous me quittez déja pour Cleonice ?
PAUSANIAS.
Vous qui sçavez aimer excusez un Amant,
DEMARATE.
Il n’est rien qui vous presse encor pour sa deffence
1280 On ne doit pas d’abord tenter la violence :
Peut me rendre suspecte & tout precipiter :
Je ne répons de rien pour peu qu’on me soupçonne.
PAUSANIAS.
Mon
sort* est entre vos mains & je vous l’abandonne.
1285 Cependant, puisqu’il faut qu’on ne soupçonne rien,
On peut se deffier d’un trop long entretien.
DEMARATE.
Mais Seigneur, c’est un
soin* que j’oubliois sans peine,
Vous n’y songez que trop.
PAUSANIAS.
Vous n’y songez que trop.Ah pour tant de bien-faits.
1290 Que ne puis-je...
DEMARATE.
Que ne puis-je...Epargnez d’inutiles souhaits.
Ils redoublent ma honte & la
gloire* d’une Autre,
Seigneur je suis mon
sort*, allez, suivez le vostre :
Le vostre est d’estre ingrat, & le mien de sçavoir,
Et souffrir sans murmure & servir sans espoir.
1295 Il s’en va donc enfin.