Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
1
2
3
4

 

Philippe Quinault. Pausanias. Tragédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 26 sc. 292 répl. 4,3 l. 1 270 l. 1 270 l. 46 % 2 764 l. (100 %) 2,2 pers.
PAUSANIAS 18 sc. 102 répl. 4,4 l. 828 l. (66 %) 453 l. (36 %) 55 % 1 880 l. (69 %) 2,3 pers.
ARISTIDE 10 sc. 44 répl. 4,2 l. 431 l. (34 %) 185 l. (15 %) 43 % 1 023 l. (38 %) 2,4 pers.
CLEONICE 4 sc. 48 répl. 2,7 l. 330 l. (27 %) 129 l. (11 %) 39 % 661 l. (24 %) 2,0 pers.
DEMARATE 10 sc. 55 répl. 6,9 l. 569 l. (45 %) 381 l. (30 %) 67 % 1 299 l. (48 %) 2,3 pers.
SOPHANE 4 sc. 9 répl. 3,2 l. 116 l. (10 %) 29 l. (3 %) 25 % 296 l. (11 %) 2,6 pers.
EURIANAX 7 sc. 13 répl. 3,4 l. 267 l. (22 %) 45 l. (4 %) 17 % 758 l. (28 %) 2,8 pers.
STRATONE 1 sc. 9 répl. 2,3 l. 74 l. (6 %) 21 l. (2 %) 29 % 148 l. (6 %) 2,0 pers.
CHARILE 3 sc. 12 répl. 2,3 l. 149 l. (12 %) 27 l. (3 %) 19 % 298 l. (11 %) 2,0 pers.
Philippe Quinault. Pausanias. Tragédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
PAUSANIAS
ARISTIDE
120 l. (55 %) 32 répl. 3,7 l.
100 l. (46 %) 33 répl. 3,0 l.
6 sc. 219 l. (18 %) 2,3 pers.
PAUSANIAS
CLEONICE
123 l. (68 %) 28 répl. 4,4 l.
60 l. (33 %) 28 répl. 2,1 l.
2 sc. 182 l. (15 %) 2,0 pers.
PAUSANIAS
DEMARATE
107 l. (43 %) 26 répl. 4,1 l.
147 l. (58 %) 26 répl. 5,7 l.
5 sc. 254 l. (20 %) 2,6 pers.
PAUSANIAS
SOPHANE
3 l. (26 %) 3 répl. 1,0 l.
9 l. (75 %) 4 répl. 2,2 l.
2 sc. 12 l. (1 %) 3,5 pers.
PAUSANIAS
EURIANAX
102 l. (72 %) 13 répl. 7,8 l.
41 l. (29 %) 12 répl. 3,4 l.
6 sc. 142 l. (12 %) 2,6 pers.
ARISTIDE
DEMARATE
28 l. (34 %) 4 répl. 6,9 l.
54 l. (66 %) 5 répl. 10,8 l.
2 sc. 82 l. (7 %) 2,8 pers.
ARISTIDE
SOPHANE
55 l. (74 %) 5 répl. 10,9 l.
20 l. (27 %) 5 répl. 4,0 l.
2 sc. 75 l. (6 %) 2,0 pers.
ARISTIDE
EURIANAX
4 l. (45 %) 2 répl. 1,7 l.
5 l. (56 %) 1 répl. 4,2 l.
1 sc. 8 l. (1 %) 4,0 pers.
CLEONICE
DEMARATE
17 l. (22 %) 10 répl. 1,6 l.
59 l. (79 %) 10 répl. 5,8 l.
1 sc. 74 l. (6 %) 2,0 pers.
CLEONICE
STRATONE
54 l. (72 %) 10 répl. 5,3 l.
21 l. (29 %) 9 répl. 2,3 l.
1 sc. 74 l. (6 %) 2,0 pers.
DEMARATE
CHARILE
122 l. (82 %) 14 répl. 8,7 l.
28 l. (19 %) 12 répl. 2,3 l.
3 sc. 149 l. (12 %) 2,0 pers.

Pausanias. Tragédie

Philippe QuinaultGeorges ForestierMarie-Émilie PapetÉdition critique établie par Marie-Émilie Papet dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2003-2004)
Amélie Canu : Édition XML/TEI.
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne)http://bibdramatique.paris-sorbonne.fr/quinault_pausanias/teihtmltextepub
Pausanias. Tragédie. A PARIS, chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire Juré, au Palais, dans la Salle des Merciers, à la Justice. M. DC. LXIX. Avec Privilège du Roy.
Tragédie

Pausanias
Tragédie

A MONSEIGNEUR
MONSEIGNEUR
LE DUC
DE
MONTAUSIER,PAIR DE FRANCE, CHEVA
lier des Ordres du Roi, Gouver
neur & Lieutenant General
d’Angommois, Xaintonge, hau
te et basse Alsace, Commandant
pour sa Majesté en Normandie,
Gouverneur de MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN, &c.

MONSEIGNEUR,

Vous ne doutez pas qu’une Elevation aussi glorieuse que la vostre ne soit d’ordinaire exposée à des importunitez inévitables. C’est une necessité que vous enduriez les applaudissemens du Parnasse en suitte des complimens de la Cour, & tandis que la plupart de ceux qui se mêlent d’écrire s’empresse à vous fatiguer par de grands Ouvrages, je m’asseure que je vous ferai plaisir de vous en quitter pour une simple Epistre. J’essayerai (MONSEIGNEUR) en vous offrant cette Tragedie de vous épargner la mauvaise odeur d’encens trop commune dont on a coutume d’accompagner ces especes de dedicaces ; j’oserai toutefois vous dire que ce ne sera pas à dessein de m’accommoder à la répugnance naturelle que je sçais que vous avez pour les loüanges : ce n’est plus une délicatesse qui vous soit permise  ; & dans le Rang où vous estes, l’exacte Modestie si recommandable pour les autres hommes est une Vertu qui cesse d’estre à vostre usage. En effet (MONSEIGNEUR) aprés que le plus éclairé des Monarques vous a jugé digne d’être Depositaire de ce qu’il a de plus precieux, & que sa Sagesse n’a voulu confier qu’à vous ses plus cheres Esperances, il est de la reconnoissance que vous devez à l’honneur d’un si juste choix de ne pas empêcher que l’on publie les avantages qui vous l’ont fait meriter. Il faut que vous consideriez que ce n’est pas sur vous seul que reflechissent les Eloges que l’on vous adresse, & vous estes obligé de vous souvenir que vostre Gloire ne doit pas faire une des moindres parties de Celle du plus grand Roi du Monde. Mais à dire vrai (MONSEIGNEUR) une matière si noble perdroit trop de son excellence entre mes mains, & je me croirois en peril de la profaner si je me hazardois d’y toucher davantage ; je sens que ma foiblesse m’arreste, et je crains déja d’avoir abusé d’un temps qui n’est reservé qu’à des occupations de la derniere consequence, & dont le Gouvernement de trois ou quatre Provinces n’est que le soin le moins considerable. C’est ce qui me fait precipiter l’offre que je vous fais de Pausanias, en vous protestant que je suis avec autant de passion que de respect.

MONSEIGNEUR,

Votre tres-humble et tres-
obeïssant serviteur,

QUINAULT.

EXTRAIT DU PRIVILEGE
du Roy.

Par Grace & Privilege du Roy , donné à Paris
le vingt-deuxiéme jour de Janvier 1669. Si-
gné, par le Roy en son Conseil AUI DE. Il est per-
mis au Sieur QUINAULT , de faire imprimer une
piece de Theatre, par luy composée, intitulée
Pausanias, & deffenses sont faites à tous les Librai-
res, Imprimeurs & autres , de l’imprimer , ven-
dre ny debiter pendant sept ans sur peine de con-
fiscation des Exemplaires, de tous dépens, dom-
mages & interests , & de quinze cent livres d’a-
mende , comme il est plus au long porté par les-
dites Lettres de Privilege,
Et ledit Sieur Quinault à cédé le Privilège cy-
dessus à Guillaume de Luyne, Marchand Li-
braïre à Paris, suivant l’accord fait entr’eux.

Achevé d’imprimer le 14 FEVRIER 1669.

Registré sur le livre de la Communauté , le 24
Janvier 1669.

A. SOUBRON Syndic.

ACTEURS

  • PAUSANIAS,General des Grecs.
  • ARISTIDE,Chef des Atheniens.
  • CLEONICE,Prisonniére des Grecs.
  • DEMARATE,Princesse de Sparte.
  • SOPHANE, Confident d’Aristide.
  • EURIANAX,Confident de Pausanias.
  • STRATONE,Confidente de Cléonice.
  • CHARILE,Confidente de Demarate
La Scene est à Bizance.

ACTE I.

SCENE PREMIERE.

DEMARATE, CHARILE.

DEMARATE.

Il le faut avoüer, rien n’est plus éclattant [A ,1]
Que le supréme honneur du destin* qui m’attend.
L’hymen* m’offre un Epoux que l’Univers admire,
C’est par luy que des Grecs la liberté respire.
5 Nostre illustre Pays qui depuis si long-temps
A presque autant produit de Heros que d’enfans,
Sparte, jusques ici pour sa gloire* immortelle [p. 2]
N’a point fait naître encor de Roi si digne d’elle.
C’est sous ce General que l’on vient dans nos champs
10 D’immoler en un jour trois cens mille Persans,
Et que par un effort de valeur sans seconde
La Grece échappe au joug qui soûmet tout le Monde
De plus Pausanias n’est point de ces Guerriers
Dont la teste ait blanchi sous le faix des Lauriers,
15 Qui soit monté par l’âge à des grandeurs solides,
Et dont la Renommée ait attendu les rides.
Sur le front d’un Héros si fameux, si vaillant,
L’éclat* de la jeunesse est encor tout brillant.
Vainqueur qu’il est d’un Roi le plus grand de la Terre,
20 Il peut pretendre à vaincre ailleurs que dans la Guerre,
Et la Paix qu’à la Grece il asseure aujourd’hui
Peut reserver encor des conquestes pour lui.
Cependant sur le point du pompeux hymenée*
Qui doit à ce grand homme unir ma destinée*,
25 Puis-je oser découvrir à ton zele discret
L’invincible chagrin qui m’accable en secret.

CHARILE.

Vous du chagrin, Madame ? en est-il qui vous presse
Si prés du plus haut rang que puisse offrir la Grece,
Le vainqueur des Persans, le grand Pausanias,
30 Tout aimable qu’il est, ne vous plairoit-il pas ?
Quel charme y peut manquer* pour l’ame la plus vaine* ?

DEMARATE.

Il ne me plaist que trop, Charile, & c’est ma peine,
Si mon cœur simplement n’estoit qu’ambitieux [p. 3]
L’éclat* de son hymen* éblouïroit* mes yeux.
35 Mon orgueil trouveroit au seul nom de sa femme
Dequoi pouvoir remplir tous les vœux de mon ame.
J’examinerois peu s’il m’aimoit plus ou moins ;
Je ne prendrois pas garde aux tiedeurs de ses soins* ;
Et l’heur* d’atteindre au rang le plus beau de la Grece
40 Pourroit me consoler de perdre sa tendresse*.
Mais j’aime, & c’est mon mal ; le Ciel pour ce Héros
M’a fait un cœur sensible, & trop, pour mon repos,
Et depuis qu’à l’Amour* on se laisse surprendre*
Il en couste bien cher d’avoir un cœur trop tendre.

CHARILE.

45 Pausanias, Madame, encor jusqu’aujourd’hui
Vous a peu donné lieu de vous plaindre de lui,
Et vostre ame inquiete en doutant qu’il vous aime
Est trop ingenieuse à se troubler* soi-mesme.
Je ne sçaurois penser que vous en jugiez bien.

DEMARATE.

50 Tu peux croire qu’il m’aime, & je n’en croirois rien,
Non, non, s’il estoit vrai j’en serois trop certaine,
Je le souhaite assez pour le croire sans peine,
Et pour peu que son cœur pour moy pût s’émouvoir
Je serois la premiere à m’en apercevoir.
55 Depuis un mois entier que je suis à Bizance
J’observe en me voyant qu’il se fait violence,
Et que sous la couleur de ses soins* importans
Toûjours sur nostre hymen* il cherche à gagner temps.

CHARILE.

Son embarras* l’excuse, il est Chef d’une armée [p. 4]
60 Jalouse de son rang & de sa renommée ;
Et les Persans sur terre entierement deffaits,
Sont encor sur la mer aussi forts que jamais.
Le cœur d’un grand Guerrier peut aimer comme un autre ;
Mais sa façon d’aimer differe de la nostre ;
65 Ces Heros que la guerre occupe nuit & jour
Ont peu de temps de reste à donner à l’Amour*.

DEMARATE.

La valeur ne rend pas une ame moins sensible,
Et la Guerre & l’Amour* n’ont rien d’incompatible.
Quelqu’heure dérobée aux soins* de sa grandeur,
70 Un doux amusement d’une agreable ardeur,
Un peu d’amour* enfin aprés une victoire
Peut bien s’accommoder avec toute sa gloire*,
Et loin qu’il fust pour lui honteux de s’enflammer,
Pour comble de merite il lui manque* d’aimer.

CHARILE.

75 Croïez vous que son cœur soit toûjours insensible ?

DEMARATE.

Non, je croi qu’à l’Amour* il n’est rien d’impossible ;
Mais s’il te faut tout dire il pourroit s’enflamer,
Charile, & n’aimer pas ce qu’il devroit aimer.
Depuis que Cleonice est ici prisonniere,
80 Voi quels soins* il lui rend…

CHARILE.

C’est à vostre priere.
N’avez vous pas pour elle imploré son secours ?

DEMARATE.

Je ne l’ai pas prié de la voir tous les jours.

CHARILE.

Mais pouvez vous penser qu’il s’attache à lui plaire, [p. 5]
Lui qu’elle sçait autheur de la mort de son Père,
85 Lui contre qui la haine a sceu tant s’expliquer…

DEMARATE.

C’est peut-estre en effet ce qui le peut piquer ;
Et cette haine à vaincre avec toute sa force
N’est pour un cœur si fier qu’une trop douce amorce
Mais avant que je montre aucun ressentiment
90 Je veux sur ce soupçon m’éclaircir plainement.
J’en conçoi des moïens qui devront te surprendre*
Et dont malaisement on pourra se deffendre.
D’un art* si peu commun…

CHARILE.

Voicy Pausanias,

DEMARATE.

Ce n’est pas moi qu’il cherche, il ne m’apperçoit pas.

SCENE II.

PAUSANIAS, EURIANAX, DEMARATE, CHARILE.

PAUSANIAS.

95 Voir un autre à ma honte obtenir Cleonice,
Non, non, auparavant il faut que je périsse,
Puisqu’on veut tout tenter employons tout aussi, [p. 6]
Allons sçavoir…

EURIANAX.

Seigneur, Demarate est icy.

PAUSANIAS.

Madame, pardonnez au transport* qui m’anime*,
100 On n’en conceut jamais qui fut plus legitime.
Un jeune Athénien au mépris de mes droits
Veut de nos prisonniers me disputer le choix.
J’ay choisi Cleonice, & vous mesme, Madame,
A ce dessein* si juste avez porté mon ame,
105 Ce sont en sa faveur vos soins* officieux
Qui m’ont sur son merite ouvert d’abort les yeux,
Et qui pour adoucir sa fortune* cruelle,
M’ont en faisant un choix fait déclarer* pour elle ;
Cependant aujourd’huy pour me la disputer,
110 L’audacieux Cimon n’a pas craint d’éclatter.
Déja pour l’obtenir sa caballe est si forte,
Que peut estre à ma honte, il faudra qu’il l’emporte,
Et qu’il oste à mes vœux tout ce qu’auroit de doux
La gloire* d’un dessein* que j’avois fait pour vous.

DEMARATE.

115 N’écoutez point, Seigneur, d’interest que le vôtre,
C’est celui qui me touche au dessus de tout autre,
Et si j’ay sur ce choix pû vous solliciter
Je ne prevoyois pas qu’il vous dût tant couster :
Pour peu que votre gloire* en ce dessein* hazarde
120 Cleonice & son sort* n’ont rien que je regarde,
Je n’y prens plus de part, & vous devez penser
Qu’entre elle & vous mes vœux n’ont guere à balancer.

PAUSANIAS.

[p. 7]
Je ne puis plus quitter ce dessein* qu’avec honte,
Ce seroit de mon rang faire trop peu de conte,
125 Ce seroit exposer ma dignité, mes droits,
Et ma gloire* m’engage à soustenir mon choix.
Je sçais que le pouvoir que la Grece me donne
Attache obstinement l’envie à ma personne ;
Et qu’un si grand depost entre mes mains commis
130 De tous les mécontens me fait des ennemis.
Aristide, & Cimon Chefs des troupes d’Athene,
Aux Loix* d’un Roi de Sparte obeïssent à peine ;
Mon rang leur fait envie, & pour me l’arracher
A me nuire sans cesse on les voit s’attacher.
135 Déja l’un de ces Chefs par cette concurrence,
Veut en choquant* mon choix ébranler ma puissance ;
Il éprouve sa force, & ce qu’il entreprend,
N’est qu’un premier essai d’un attentat plus grand.
Ainsi, Madame, il faut mettre tout en usage,
140 Pour ne leur pas ceder ce premier avantage,
Et pour deffendre un rang qui me seroit osté
Au moindre abaissement de mon authorité.
Je dois mesme avoir soin* avant nostre hymenée*
D’affermir la grandeur qui vous est destinée*,
145 D’assurer pour vous mesme un solide pouvoir…

DEMARATE.

Je vous entens Seigneur, & je sçai mon devoir.
Je voi ce qui vous plaist, & je cherche à vous plaire.
Vous voulez que l’hymen* entre nous se differe ;
Sans chercher de raisons, sans m’expliquer pourquoi,
150 Vous le voulez, Seigneur, & c’est assez pour moi.
Si mesme vous craignez que Sparte ne s’offence [p. 8]
Du delay d’un hymen* qui fait son esperance,
Publiez que c’est moi qui seule ai differé,
Si mon aveu vous sert il vous est assuré.
155 Ne regardez que vous.

PAUSANIAS.

Ah ! c’en est trop, Madame,
Pour peu que ce delay puisse gesner* vostre ame,
A moins que sans regret vous n’en tombiez d’accord,
Si vous n’y consentez* sans peine & sans effort…

DEMARATE.

Ah ! Seigneur, j’y consens, cela vous doit suffire
160 Vostre hymen* seul n’est pas tout le bien où j’aspire,
Ce n’est pas malgré vous que j’y veux parvenir,
C’est peu que Sparte seule ait soin* de nous unir ;
Si l’amour* ne prend part à nostre destinée*,
Et ne se mesle un peu d’un si grand hymenée*.
165 Pour estre au point qui peut rendre mes vœux contens,
Vostre cœur a besoin encor de quelque temps :
Bien que l’ordre de Sparte ait à mon avantage
Enjoint expressément qu’un si grand cœur s’engage.
Je veux bien, sans jamais abuser de mes droits,
170 Aprés l’ordre de Sparte, attendre encor son choix,
Et pour mettre le comble à mon bon-heur extréme,
Luy donner le loisir de se donner luy mesme,
Aprés cela de peur de vous embarasser,
Seigneur je me retire, & vous laisse y penser.

SCENE III.

[p. 9]
PAUSANIAS, EURIANAX.

EURIANAX.

175 De si beaux sentimens où tant d’amour* s’exprime,
Meritent bien, Seigneur, tout au moins vostre estime,
Et ce soûpir paroist me dire en sa faveur,
Qu’un procédé si noble a touché vostre cœur.

PAUSANIAS.

J’estime Demarate ; & tout m’en sollicite,
180 Je connois son amour*, je vois tout son merite,
J’en sçai trop bien le prix, j’en admire l’éclat* ;
Mais j’ai beau l’admirer j’y suis toûjours ingrat,
Et mon cœur qui ne peut souffrir qu’on nous unisse,
Soûpire du regret de lui faire injustice.
185 Le choix de son hymen* que pour moi Sparte a fait
Loin d’attirer mes vœux les revolte en effet.
Aprés tant de travaux, tant d’efforts de courage*,
Aprés avoir sauvé tous les Grecs d’esclavage,
C’est trop que mon Païs malgré le nom de Roi,
190 M’oste la liberté de disposer de moi.
De plus…te le dirai-je ? ouï c’est trop m’en deffendre,
Nostre amitié m’en presse, il te faut tout aprendre,
Et comme ce secret doit éclatter dans peu,
Je ne t’en dois pas moins que le premier aveu.
195 Aprens Eurianax toute mon injustice, [p. 10]
J’aime ailleurs.

EURIANAX.

Vous Seigneur ?

PAUSANIAS.

Et j’aime Cleonice.

EURIANAX.

Cleonice, Seigneur, est aimable à vos yeux ?
Elle qui sort d’un sang à la Grece odieux ?
Qui sçait que vous avez par un devoir severe
200 Hai, poursuivi, pris, & condamné son Pere ?
Qui pour vanger sa mort avec des soins* pressans
A suivi le débris du party des Persans,
Et s’est si hautement promise pour Conqueste
A quiconque en ses mains remettroit vostre teste.
205 Enfin vous flattez vous qu’au mépris de son choix,
Sparte approuve des feux qui choqueront* ses Loix*,
Et que la Grece entiere encor mal affermie,
Souffre en son General l’amour* d’une ennemie.

PAUSANIAS.

Tout ce que tu peux voir je l’ay vû comme toy,
210 Je sçai qu’en ce dessein* tout s’arme contre moy,
Je sçai que mon amour* n’a d’espoir qu’aux miracles,
J’en connois les perils, j’en voi tous les obstacles ;
Mais les difficultez aux Amans ne sont rien,
Et c’est un nouveau charme aux cœurs comme le mien.
215 Aimer une ennemie & pretendre à lui plaire
Malgré toute la Grece, & le sang de son Pere,
C’est braver des dangers terribles & puissans ;
Mais l’audace en sied bien au vainqueur des Persans.
Tout couvert de l’éclat* d’une illustre victoire, [p. 11]
220 J’ay jusques dans l’amour* voulu chercher la gloire*.
J’aspire en Amant mesme, à vaincre avec honneur
Une conqueste aisée eust fait honte à mon cœur,
Puis qu’aimer est pour tous un tribut necessaire,
J’ose au moins dédaigner une amour* ordinaire,
225 Et n’ay pas crû qu’aimer avec un plein repos,
Sans peine, sans peril fut aimer en Heros.

EURIANAX.

Dans ce dessein* sur tout gardez vous d’Aristide,
S’il est des mécontens c’est luy seul qui les guide
Sous le grand nom de Juste il cache un cœur jaloux
230 Du pouvoir que les Grecs n’ont confié qu’à vous.

PAUSANIAS.

Je le sçay, mais passons, je le voy qui s’avance.

SCENE IV.

ARISTIDE, SOPHANE, PAUSANIASEURIANAX.

ARISTIDE.

De vos amis, Seigneur, fuyez vous la presence,
Vostre entretien pour eux est-il si peu permis…

PAUSANIAS.

Je ne fuys qu’Aristide, & connois mes amis,
235 J’évite un entretien qui pourroit le contraindre,
Et Juste comme il est il ne doit pas s’en plaindre.

ARISTIDE.

Quoy ne puis-je esperer, Seigneur d’estre éclairci [p. 12]
De ce qui vous oblige à me traitter ainsi ?
Ne m’apprendrez vous point par un aveu sincere
240 Quel crime ou quel malheur me force à vous déplaire ?
Expliquez moy du moins en quoi j’ai pû manquer*.

PAUSANIAS.

Puisque vous le voulez je vais donc m’expliquer.
L’art* de dissimuler ce qu’on reçoit d’outrages
N’est pas à mon avis fait pour les grands courages*,
245 Et je ne puis conter qu’entre mes ennemis,
Quiconque aspire au rang où la Grece m’a mis.

ARISTIDE.

Moy, Seigneur, que j’aspire à ce rang plein de gloire*,
M’avez vous pû connoistre, & l’avez vous pû croire ;
Et m’est-il échappé dans la moindre action
250 Rien qui m’ait convaincu d’aucune ambition ?

PAUSANIAS.

Vous vous déguisez bien sans doute, & je confesse
Qu’en vous l’ambition se cache avec adresse,
J’y fus trompé d’abord, mais j’ouvre enfin les yeux
Et la crains d’autant plus qu’elle se cache mieux,
255 J’aurois apprehendé* bien moins la force ouverte,
Que vos pieges secrets preparez pour ma perte :
Vos soins* à menager des Peuples inconstans,
Voste adresse à flatter l’aigreur des mécontens,
Vostre douceur maligne autant qu’ingénieuse
260 Pour rendre de mon rang la hauteur odieuse,
Vostre art* à colorer l’orgueil de vos desseins,
Si rien n’allarme en vous, c’est tout ce que j’y crains.

ARISTIDE.

[p. 13]
Je serai bien coupable en effet, si c’est crime
Seigneur, que d’adoucir ceux que l’aigreur anime*,
265 D’appaiser des mutins qui pourroient s’emporter,
D’empécher contre vous leur fureur d’éclatter.

PAUSANIAS.

Je connois vostre adresse à sçavoir vous deffendre,
Et je la connois trop pour m’y laisser surprendre* ;
Vous estes éloquent, Seigneur, je le sçai bien :
270 Et pour l’estre il suffit qu’on soit Athenien ;
L’art* des belles couleurs est l’estude d’Athenes ;
Mais pour nous nez à Sparte, & nourris dans les peines,
A qui l’on ne permet d’apprendre & d’acquérir
Que ce qu’il faut sçavoir pour vaincre ou pour mourrir,
275 Sans mélange aucun d’art*, instruits par la nature,
Nous suivons seulement la raison toute pure,
Et les belles couleurs dont vous vous déguisez,
Nous trouvent trop grossiers pour en estre abusez.
Du moins si vous vouliez cacher vostre artifice*
280 Vous ne me deviez pas disputer Cleonice :
Choquer* d’un General le choix jusqu’à ce point.

ARISTIDE.

De grace avec Cymon ne me confondez point,
Seigneur, c’est de lui seul que part cette injustice :
Lui seul…

PAUSANIAS.

Eh vous croïez que ce nom m’éblouïsse*,
285 Qu’il m’empéche de voir que c’est un voile adroit
Dont vous cachez la main qui m’attaque en secret,
De peur de démentir tout ce qu’à vostre gloire*
Le fameux nom de Juste a voulu faire croire :
Je sçai que cet ami vous doit tout ce qu’il est, [p. 14]
290 Qu’il n’agit que par vous, & que comme il vous plaist,
Que vous ne l’élevez qu’afin qu’il vous soûtienne,
Qu’il sauve vostre gloire* aux perils de la sienne,
Et que quand au besoin l’injustice vous sert,
Son nom seul s’en chargeant vous en mette à couvert.

ARISTIDE.

295 C’est un mal-heur pour moi de perdre vostre estime,
Seigneur, mais vos mépris n’auront rien qui m’anime* ;
Et quoi que le vangeance en fut en mon pouvoir,
Je ne m’en vangerai qu’en faisant mon devoir* ;
J’accuse mon Ami d’une injustice extrême,
300 Et me déclare* enfin pour vous contre lui-même.

PAUSANIAS.

Vous, Seigneur, vous pour moi, contre un Ami si cher ?

ARISTIDE.

Toûjours à son parti l’on m’a vû m’attacher,
Toûjours mon amitié fut pour lui tendre & pure,
Et si vous le voulez il est ma creature :
305 Mais quelque cher enfin qu’il me soit aujourd’hui
La justice est pour vous je ne suis plus pour lui.

PAUSANIAS.

Un sentiment si noble, une vertu* si pleine…

ARISTIDE.

Epargnez moi de grace une loüange vaine*,
La gloire* où je pretens touche peu d’autres cœurs,
310 Je la cherche en moi-mesme & n’en veux point d’ailleurs.
Assemblez le Conseil, demandez Cleonice,
J’irai donner l’exemple à vous rendre justice.

PAUSANIAS.

[p. 15]
Que ne vous dois-je pas Seigneur, & quel moïen…

ARISTIDE.

Je fais ce que je dois, vous ne me devez rien.

SCENE V.

ARISTIDE, SOPHANE.

SOPHANE.

315 Quoi Seigneur au mépris d’une amitié si tendre
Pausanias obtient tout ce qu’il peut pretendre ?
D’un ami tout à vous, l’interest sera vain ?

ARISTIDE.

J’en ai donné parole & rien n’est plus certain.

SOPHANE.

S’il est ainsi toûjours, si l’équité severe
320 Etouffe en vous ainsi l’amitié la plus chere,
Si vous n’osez jamais rien qui ne soit permis,
Que sert-il donc, Seigneur, d’estre de vos Amis ?

ARISTIDE.

Hé puis-je à mes Amis rendre un plus grand service,
Que de les empêcher de faire une injustice ;
325 Ce n’est pas qu’en effet à vous parler sans fard*
La Politique ici ne prenne un peu de part :
Vous sçavez mon dessein*, Sophane, & quelles peines
Je souffre à voir toûjours Sparte au dessus d’Athenes,
Et combien ardamment je cherche quelque jour [p. 16]
330 A mettre au premier rang ma Patrie à son tour.
Si j’obtiens par mes soins* que Sparte enfin nous laisse
Le droit de commander aux troupes de la Grece,
J’ai déclaré* déjà que sans songer à moi
J’en cedde à mon Ami le glorieux emploi :
335 Voila ce que pour lui mon amitié veut faire,
C’est pour mieux le servir que je lui suis contraire.
Son soin* pour Cleonice est un peu trop pressant,
Elle est belle, il est jeune, & l’Amour* est puissant,
Tout est perdu pour lui si cet amour* ne cesse ;
340 Cleonice est d’un sang odieux à la Grece,
Plein de rage de voir ses voisins florissans
Son Pere pour nous perdre appella les Persans,
Elle a trop herité des fureurs de son Pere,
Tout doit estre suspect de qui cherche à lui plaire.
345 J’etouffe en mon Ami de dangereux soûpirs,
Je consulte sa gloire* & non pas ses desirs,
Et pretens d’autant plus faire voir que je l’aime,
Que j’ose le servir en dépit* de lui même ;
Mais pour l’y preparer prenons soin* de le voir,
350 Et qu’il s’en plaigne ou non faisons nostre devoir.

Fin du premier Acte.

[B, 17]

ACTE II.

SCENE I.

CLEONICE, STRATONE.

CLEONICE.

Cesse de me flatter d’une attente importune,
Je connois mieux que toi toute mon infortune,
Le soin* de Demarate & son empressement*,
La part que l’on me donne en son appartement,
355 L’honneur qu’en ce Palais chacun cherche à me rendre,
Ne me font que trop voir de qui je dois dépendre ;
L’ennemi de mon Pere & l’autheur de sa mort,
Pausanias, sans doute, est maistre de mon sort*.

STRATONE.

Pausanias, Madame, a fait assez connoistre,
360 Que c’est pour l’adoucir qu’il veut s’en rendre maistre.
Parmi les prisonniers le choix qu’il fait de vous,
Ne vous doit de sa part rien marquer que de doux,
Et s’il vous a donné quelque lieu de vous plaindre. [p. 18]
Je croi que desormais vous devez n’en rien craindre.

CLEONICE.

365 N’en rien craindre Stratone ?

STRATONE.

En doutez vous ?

CLEONICE.

Helas !

STRATONE.

Quoi soûpirer, rougir, & ne répondre pas.

CLEONICE.

N’impute ce soûpir qu’à la perte d’un Pere.

STRATONE.

On peut en soûpirer, mais on n’en rougit guere,
Et plus je vous observe en ce trouble* pressant…

CLEONICE.

370 Ha de peur d’en trop voir ne m’observe pas tant.

STRATONE.

Je n’ai garde de prendre un soin* qui vous offence,
N’y d’entrer malgré vous dans vostre confidence.
Je n’examine plus ce qui peut vous troubler*.

CLEONICE.

Non, Stratone, avec toi c’est trop dissimuler,
375 C’est trop te déguiser la honte qui me presse,
Jusqu’au fond de mon cœur voi toute ma foiblesse,
Pour chercher du secours mon mal n’est que trop grand,
Et je n’en puis trouver qu’en te le découvrant.
Malgré tous mes efforts j’en sens la violence,
380 Au lieu de s’étouffer grossir par mon silence,
Et le trouble* où me jette un funeste* penchant,
Se prevaut de ma honte & croist en se cachant.
Aprens ce que j’ai peine à comprendre moi-même, [p. 19]
Tout mon ressentiment, dans sa chaleur extréme,
385 Tout l’effort, tout l’excez de la mortelle horreur*,
Qui pour Pausanias avoit saisi mon cœur,
L’ardeur de l’immoler au sang qui me fit naistre,
Tout mon soin* pour le perdre avant que le connoistre,
Par je ne sçai quel charme en mon cœur répandu,
390 Tout cela s’est éteint depuis que je l’ai vû,
Et d’un trouble* secret mon ame toute émeuë
Ne sçait ce que pour lui ma haine est devenuë ;
Je n’ose en cet estat trop bien m’éxaminer :
Ose achever toi mesme, ose tout deviner,
395 Et m’épargne du moins dans cet aveu funeste*
La honte, & l’embarras* d’en expliquer le reste.

STRATONE.

Qui croiroit qu’un grand cœur dans la haine affermi,
Eust à craindre d’aimer un mortel ennemi.
J’avouërai ma surprise & d’autant plus Madame,
400 Que rien n’est échappé du secret de vostre ame,
Et que vostre courroux en secret amorti,
Devant Pausanias ne s’est point dementi.

CLEONICE.

Ouï mon ressentiment au moins en apparence,
Garde avec soin* toûjours la mesme violence :
405 Mes yeux ne disent rien d’un changement si bas,
Si mon cœur est seduit ma raison ne l’est pas,
Et ma haine au dedans connoissant sa foiblesse,
Se retranche au dehors & s’y rend la maistresse.
Je crains Pausanias, j’essaïe à l’éviter,
410 Mais j’aime en le fuïant qu’il tâche à m’arrester ;
J’ai beau dés qu’il me parle avec soin* l’interrompre,
Ma colere s’oublie, & se laisse corrompre ;
J’ai beau vouloir fermer l’oreille à ses discours, [p. 20]
J’ai beau n’en rien entendre* il m’en souvient toûjours.

STRATONE.

415 Pour vous en consoler on voit dans ce qu’il ose
Qu’il n’est pas insensible au trouble* qu’il vous cause,
Que son cœur…

CLEONICE.

Que dis-tu ? dy plûtost dy moi bien
Qu’endurci dans la Guerre il n’est sensible à rien,
Dy que sa seule ardeur est toute pour la gloire*,
420 Dy qu’il ne peut m’aimer j’ai besoin de le croire,
Et mon mal n’est déja que trop à redouter,
Sans y rien joindre encor qui le puisse augmenter,
Dy qu’il donne les soins* qu’il s’attache à me rendre
A la part qu’en mon sort* Demarate veut prendre,
425 Et qu’au point comme il est de recevoir sa foi*,
Ce n’est qu’en sa faveur qu’il s’empresse pour moi.
Pein moi bien cet hymen* que leur Païs souhaite,
Cet hymen* dont je sens que mon coeur s’inquiete,
Cet hymen* qui peut seul raffermir mon devoir,
430 Et m’oster ma foiblesse en m’ostant tout espoir.

STRATONE.

L’ardeur que Demarate à vous servir emploïe,
Vaut bien que vous voïez son bon-heur avec joïe,
Elle est digne en effet d’un rang si glorieux,
Et Sparte pour son Roi ne pouvoit choisir mieux :
435 Il doit l’aimer sans peine & son merite extréme…

CLEONICE.

C’est assez qu’il l’épouse, il n’importe qu’il l’aime
C’en seroit trop, peut-estre, & pour me rendre à moi,
Sans que son cœur s’engage il suffit de sa foi*.
Je sens que jusques là j’aurai peine à détruire [p. 21]
440 Je ne sçai quel espoir qui cherche à me seduire,
Je le chasse, il revient, je l’étouffe, il renaist…
Mais Dieux !

STRATONE.

Vous vous troublez*,

CLEONICE.

Pausanias paroist.

SCENE II.

PAUSANIAS, CLEONICE, STATONE.

PAUSANIAS.

Quoi malgré tous mes soins* vostre invincible haine
Ne vous permet jamais de me voir qu’avec peine :
445 Quoi, Madame, à la fuite avoir toûjours recours ?

CLEONICE.

Je ne fuy pas trop bien, vous m’arrestez toûjours.

PAUSANIAS.

Ce que je vois dois dire est assez d’importance
Pour vous faire un moment endurer ma presence.
De tous nos prisonniers je n’ai choisi que vous,
450 Ce choix m’a vainement* suscité des jaloux ;
Malgré tout leur effort, malgré leur artifice*,
Mon choix est approuvé les Grecs me font justice.
Je suis maistre absolu de tout vostre destin*,
C’est à dire qu’ici vous estes libre enfin.

CLEONICE.

[B, 22]
455 Libre ! & par vous Seigneur !

PAUSANIAS.

Vostre ame s’en estonne*,
La liberté vous gesne* à voir qui vous la donne,
Et perdant par mes mains tous ses charmes pour vous,
Le seul droit de me fuir est ce qu’elle a de doux.
Mais malgré vostre haine & le soin* qui vous presse,
460 N’est-il rien qui vous puisse attacher à la Grece ?
Me fuirez vous si tost ?

CLEONICE.

Voïez ce que je doi :
Et vous mesme Seigneur, répondez vous pour moi.

PAUSANIAS.

D’avec ses ennemis sans peine on se separe ;
Mais connoissez mon cœur, il faut qu’il se declare,
465 Il est temps de l’ouvrir sans reserve, sans fard* :
Enfin en Roi de Sparte, & tout mistere à part.
Je vous aime Madame & ne puis m’en deffendre,
Un tel adveu sans doute a lieu de vous surprendre*,
Je ne fus pas d’abord moins que vous estonné*
470 Du desordre* où mon cœur se trouve abandonné.
J’eus peine ainsi que vous à le croire moi mesme,
Mais il n’est que trop vrai Madame je vous aime.
Né pour aimer la Guerre avant que de vous voir,
Rien que les seuls combats n’avoit pû m’émouvoir.
475 La gloire* m’animoit* & m’occupoit sans cesse,
Je ne traitois l’Amour* que d’un Dieu de foiblesse.
Des plus rares beautez j’avois bravé les coups,
Vostre haine pour moi m’asseuroit contre vous.
Ma liberté toûjours fortement affermie [p. 23]
480 Ne se deffioit pas des yeux d’une ennemie,
Et n’avoit pas prevû qu’il se pust faire un jour
Que jusques dans la haine on pûst trouver l’Amour* :
Cependant quelqu’effort qu’ait pû faire mon ame,
Tout haï que je suis je vous aime Madame.
485 Je ne vous dirai rien pour toucher vostre cœur
Du comble où ma fortune* a porté ma grandeur :
Je ne vous dirai rien du prix de ma victoire,
Je ne vous dirai rien de l’éclat* de ma gloire*,
Du rang de General, du nom pompeux de Roi,
490 Rien du pur sang des Dieux descendu jusqu’à moi,
Pour toucher un grand cœur l’amour* seul doit suffire,
Et je vous aime est tout ce que je veux vous dire.
Malgré le choix que Sparte a fait en ma faveur
Je sens ma main pour vous preste à suivre mon cœur.
495 Quoi qu’entre nous l’hymen* me coûte d’injustice,
Mon amour* vous en ose offrir le sacrifice ;
Et c’est après cet offre à vous à décider
Si toute vostre haine à ce prix peut ceder.
Prononcez librement vous n’avez rien à craindre,
500 J’ai voulu vous oster tout lieu de vous contraindre,
Et j’ai pris soin* exprés pour découvrir mon feu,
Que vostre liberté precedast mon aveu.
Commencez d’en user sans que rien vous estonne*,
J’en veux à vostre cœur, mais je veux qu’il se donne,
505 Et la moindre contrainte osteroit à mes yeux
Tout ce qu’un bien si cher a de plus precieux.
Au peril de vous perdre en faveur de quelqu’autre,
J’aime mieux hazarder mon bonheur que le vôtre
Et risquer d’un refus les mortels déplaisirs* : [p. 24]
510 Que ne vous devoir pas à vos propres desirs.
Parlez, declarez vous, mais au lieu de répondre
D’où vient que vous semblez vous troubler*, vous confondre,
Comment de vostre cœur expliquer l’embarras* ?

CLEONICE.

Excusez-le de grace & ne l’expliquez pas.

PAUSANIAS.

515 J’obeïrai, Madame, & de peur que ce trouble*
Par l’objet* qui l’excite* encor ne se redouble,
Pour ne vous pas surprendre* un choix precipité
Je veux bien vous laisser en pleine liberté,
Et vous donner le droit malgré le rang suprême,
520 De pouvoir tout ici jusques contre moi même.

SCENE III.

DEMARATE, PAUSANIAS, CLEONICE, CHARILE, STRATONE.

DEMARATE.

On vient de m’avertir que suivant nostre espoir
Le sort* de Cleonice est en vostre pouvoir ;
Mais Seigneur j’ose attendre une grace nouvelle,
Et viens vous demander la liberté pour elle.

PAUSANIAS.

[p. C, 25]
525 Son sort* merite bien que vous y preniez part.
Mais pour sa liberté vous venez un peu tard.
Ouï c’en est déja fait elle est libre Madame,
Mes soins* ont prevenu les vœux que fait vostre ame,
Et je tiens à bon-heur que le don que je faits
530 Aille mesme devant de vos plus doux souhaits.
Je vous prie à mon tour de prendre soin* du reste,
D’essayer d’adoucir une haine funeste*,
Et s’il se peut enfin d’obliger son courroux
A ne connoistre plus d’ennemis parmi nous.

SCENE IV.

DEMARATE, CLEONICE, CHARILESTRATONE.

DEMARATE.

535 Vostre ressentiment à quelque point qu’il monte,
Contre un tel ennemi peut bien ceder sans honte.
Tant de soins* genereux* seroient-ils impuissans ?
Le plus fameux des Grecs, le vainqueur des Persans :
Lui qui par tout triomphe avec si peu de peine,
540 Manqueroit*-t-il, Madame, à vaincre vostre haine ?
N’auriez-vous point pour lui des sentimens plus doux ?

CLEONICE.

Ha ! Madame, dequoi me sollicitez-vous ?
Sollicitez plûtost & pressez ma retraite, [p. 26]
Ici ma liberté n’est encor qu’imparfaite,
545 Et je ne puis jamais sans trouble* & sans effroi
En jouïr en des lieux si funestes* pour moi.

DEMARATE.

Quoi pour Pausanias tant de haine vous reste,
Qu’un azile en ces lieux vous semble si funeste* ?
Vostre ressentiment craint tant de se trahir ?

CLEONICE.

550 Si vous sçaviez combien j’ai droit de le haïr.

DEMARATE.

Je sçai qu’un Pere mort contre lui vous anime*,
Qu’il fait de vostre haine un devoir legitime,
Et que rien n’est si fort que des ressentimens
Fondez sur tant de droits & sur tant de sermens ;
555 Mais ayant fait pour vous tout ce que j’ai pû faire,
Enfin si dans ces lieux vous m’estiez necessaire…

CLEONICE.

Moi, Madame, en ces lieux necessaire pour vous,
Je faits de vous servir mes souhaits les plus doux :
Mais je suis mal-heureuse & le sort* d’ordinaire
560 A mes plus doux souhaits donne un succés* contraire.

DEMARATE.

Il faut vous dire tout, madame, & je veux bien
Commencer la premiere à ne déguiser rien.
Je m’y sens disposer par une forte estime,
Et sans qu’il soit besoin qu’un vain discours l’exprime,
565 Vous en avez assez dans les soins* que je prens,
De fidelles témoins & d’asseurez garans.
Sparte a plus fait pour moi que je n’eusse osé croire.
Trop heureuse en effet par son choix plein de gloire*.
Si j’avois accordé pour comble de bon-heur [p. 27]
570 Le choix de ma Patrie & celui de mon cœur ;
Mais engagée ailleurs je ne puis qu’avec peine
Rompre les nœuds charmans d’une premiere chaîne,
Et je paye à regret cet honneur mal-heureux
Du repos de ma vie & de mes plus doux vœux.
575 Pressée en cet estat de mortelles allarmes,
Si j’attens du secours ce n’est que de vos charmes,
Et je ne puis fonder que sur leur seul pouvoir
Mon unique ressource, & mon dernier espoir.
Le succés* y répond, j’observe à vostre veuë
580 Que de Pausanias la fierté* diminuë,
Et que si l’on peut vaincre un cœur si glorieux,
C’est un droit que le Ciel reserve pour vos yeux.
Je sçai qu’il faut du temps pour un si grand ouvrage,
Que ce n’est pas si tost qu’un cœur si fier s’engage,
585 Un cœur qui n’eut jamais que des soins* importans.

CLEONICE.

On change quelquefois beaucoup en peu de tems.

DEMARATE.

Que ne vous dois-je point, s’il est vrai qu’il vous aime ?
Je m’asseure déja qu’il vous l’a dit lui-même.
C’est beaucoup; mais peut estre est-ce un premier aveu
590 Dont vous croyez devoir vous deffier un peu.
On peut douter d’abord des douceurs qu’on écoute,

CLEONICE.

Il parle de maniere à laisser peu de doute.

DEMARATE.

O Dieux ! que vous flatez mon espoir le plus doux,
Il ne me reste plus qu’un scrupule pour vous :
595 Quoi que l’heur* d’estre aimée ait toûjours dequoi plaire, [p. 28]
Je sçai trop à quel point la gloire* vous est chere,
Et je crains de vous voir hautement dédaigner
Un amour* que l’hymen* ne peut accompagner.
Pausanias connoist à quoi Sparte l’engage.
600 Son cœur peut sans sa foi* vous tenir lieu d’outrage.
Ces deux dons separez n’ont rien que de honteux,
Et vous meritez bien de les avoir tous deux.

CLEONICE.

Je me plaindrois à tort de l’offre qu’il m’a faite,
Je n’ai que trop de lieu d’en estre satisfaite,
605 Et vous devez juger au trouble*où je me voi,
Qu’il ne m’a rien offert qui soit honteux pour moi.

DEMARATE.

Il ne manque* donc plus au bon-heur que j’espere,
Que vous faire oublier le sang de vostre Pere.
Ce sang de qui la voix doit sans cesse crier,
610 Ce sang qui vous anime*

CLEONICE.

Et comment l’oublier ?

DEMARATE.

Il est vrai que l’offence est presque irreparable,
Pausanias, sans doute, envers vous est coupable,
J’aurai peine en effet à le bien excuser ;
Mais ne seroit-il rien qui pûst vous appaiser ?
615 On peut excuser tout pour peu qu’on le desire.

CLEONICE.

Ne dites rien pour lui : Mais que pourriez vous dire ?

DEMARATE.

Qu’il tâche autant qu’il peut d’éteindre en vostre cœur
Ce qu’un devoir trop juste y doit former d’horreur*.
Que s’il prit tant de soins* pour perdre vostre Pere, [p. 29]
620 Il creut de son trepas l’exemple necessaire,
Qu’il ne peut rien de plus que ce qu’il fait pour vous,
Que s’il vous oste un Pere il vous offre un Epoux,

CLEONICE.

J’ai peur d’écouter trop, souffrez que je vous quitte.

DEMARATE.

Le soin* de l’excuser à ce point vous irrite ?

CLEONICE.

625 En me parlant pour lui si c’estoit m’irriter,
Je ne craindrois pas tant de vous trop écouter.

SCENE V.

DEMARATE, CHARILE.

DEMARATE.

Ai-je bien entendu, Charile, est-il possible ?
Pausanias enfin n’est donc plus insensible ?
Cette ame impenetrable aux ardeurs des Amans,
630 Laisse donc attendrir ses plus fiers sentimens ?
Le vainqueur des Persans ne peut plus se deffendre
Du tribut que l’Amour* tost ou tard se fait rendre ?
Ce grand cœur aime enfin comme les autres cœurs,
Et pour mon desespoir, Charile, il aime ailleurs.

CHARILE.

635 C’est dequoi s’estonner* : mais ma surprise extrême
Est de vous voir tourner vos soins* contre vous-même.
Aider à vous trahir, & renoncer d’abord [p. 30]
A vos droits les plus chers avec si peu d’effort.

DEMARATE.

Quoi tu peux t’estonner* qu’au mépris exposée
640 Je cache au moins ma honte aux yeux qui l’ont causée ?
Que j’oste à ma Rivale en cette occasion,
La douceur de jouïr de ma confusion ?
Et tâche d’empécher qu’un vain depit* n’acheve
De lui montrer le prix du bien qu’elle m’enleve.
645 N’attens pas d’un courage* aussi fier que le mien
De ces éclats* honteux qui ne produisent rien.
Laissons aux foibles cœurs, aux ames imbeciles*
Consommer leur colere en plaintes inutiles,
N’épuisons point la nostre en vains emportemens,
650 Laissons meurir l’aigreur de nos ressentimens,
Forçons nostre dépit* à quelqu’excez qu’il monte,
D’attendre à se montrer qu’il le puisse sans honte,
Et sans nous exposer par un éclat* trop prompt,
Tâchons que la vangeance éclatte avant l’affront.

CHARILE.

655 Contre Pausanias vous pourrez tout sans peine,
Il a de tous les Grecs ou l’envie ou la haine,
Et si pour vous vanger sa perte a des appas*

DEMARATE.

Vangeons nous, s’il se peut, & ne le perdons pas.
A quelqu’affront cruel que son mépris m’expose,
660 Je voudrois bien pouvoir n’en punir que la cause,
J’aime trop le coupable encor pour m’en vanger,
Je n’en veux qu’à l’objet* qui m’en fait outrager.
Voi de quel prix fatal* cette esclave trop vaine*
Recompense les soins* dont j’ai brisé sa chaine,
665 Comme il semble à travers tous mes déguisemens,
Qu’elle ait developpé mes secrets sentimens,
Comme elle a par degrez fait croistre mes surprises, [p. 31]
Sceut me percer le cœur à diverses reprises,
Et me faire avec soin* ressentir à longs traits
670 Toute l’indignité des maux qu’elle m’a faits.
Je n’imagine point une vangeance egale
A celle d’abaisser l’orgueil d’une Rivale,
De la rendre à son tour un objet de mépris,
Et de reprendre un cœur des mains qui nous l’ont pris.
675 Mais pour y réüssir mettons bien en usage
Ce qui peut le mieux vaincre un glorieux courage*.
Combattons ce grand cœur par generosité,
Engageons sa vertu*, ménageons sa fierté*,
Et contre son Amour* joignons pour ma deffence.
680 La Gloire*, le Devoir, & la Reconnoissance.
Si tout nous manque* enfin, je sçais où l’attaquer,
Et la vengeance au moins ne me sçauroit manquer*.

Fin du Second Acte.

[p. 32]

ACTE III.

SCENE PREMIERE

ARISTIDE, SOPHANE.

ARISTIDE.

D’un Ami mécontent évitons la presence,
N’allons point de sa peine aigrir la violence,
685 Ne nous exposons pas à souffrir aujourd’hui
Quelque reproche indigne & de nous & de lui.
Un Amant qui pert tout a peine à se deffendre,
De dire quelquefois plus qu’on ne doit entendre*,
Laissons-le librement en murmures secrets
690 Evaporer l’effort de ses premiers regrets.
Redoublons cependant les soins* sur qui je fonde
L’espoir de l’élever au premier rang du Monde,
Pour prix d’une Maitresse arrachée à ses vœux,
Faisons le commander à cent Peuples fameux.
695 Reparons dignement la perte qu’il regrette,
Et par de vrais effets d’une amitié parfaite,
Rendons avec usure à sa gloire* en ce jour
Tout ce que nous venons d’oster à son Amour*.

SOPHANE.

[p. 33]
On n’attend que vostre ordre & pour cette entreprise,
700 Seigneur, selon vos vœux tout est prest sans remise
Au camp, dans nos vaisseaux, partout, sans hesiter,
Contre Pausanias on brûle d’éclatter.
Il n’est que trop en butte à la commune haine,
Nos alliez sont las de son humeur hautaine,
705 En flattant les Esprits aigris par ses hauteurs,
Vostre douceur adroite a gagné tous les cœurs.
Chacun souffre à regret qu’un Peuple s’attribuë,
Sur tous les Peuples Grecs la puissance absoluë,
Et que Sparte jamais ne voulant rien ceder,
710 Perpetuë en ses Rois le droit de commander.

ARISTIDE.

Essayons s’il se peut, qu’en nous cedant l’Empire,
Contre son propre Roi Sparte mesme conspire,
Et que sans qu’à la Grece il en couste du sang,
Nostre chere Patrie arrive au premier rang.
715 Pausanias en offre une voye infaillible,
Son cœur pour Cleonice a paru trop sensible :
Il l’aime, & dans l’ardeur de son temperament
Sa flame ira bien-tost jusqu’à l’aveuglement.
Pour triompher d’une ame à la haine obstinée,
720 Il pourra tout tenter jusques à l’hymenée*,
Et Sparte qui pretend disposer de ses Rois,
Ne pourra rien souffrir au mépris de son choix.
Demarate offencée & justement aigrie
Tournera son Amour* en mortelle furie,
725 Et c’est un grand secours, & qu’on doit ménager,
Qu’une Amante outragée & qui peut se vanger.

SOPHANE.

Il n’est donc pas encore à propos qu’on éclatte,
Il est bon que d’abord Pausanias se flatte,
De crainte que trop tost effarouchant son cœur, [p. 34]
730 Le peril de ses feux n’en étouffe l’ardeur.

ARISTIDE.

C’est le connoistre mal d’en juger de la sorte,
Sa flame combatuë en deviendra plus forte ;
Plus nous exposerons d’obstacles à ses feux,
Et plus nous en rendrons l’effort impetueux.
735 Son Amour* languiroit* s’il estoit trop tranquile,
Son courage* trop fier n’aime rien de facile,
Et dans quelque dessein* qu’il puisse s’engager,
S’irrite par l’obstacle & croist par le danger.
Demarate sur tout prenant nostre querelle,
740 J’espere…

SOPHANE.

La voici, je vous laisse avec elle,
Et vais de mon costé diposer nos Amis
A tenter hautement ce qu’ils nous ont promis.

SCENE II.

DEMARATE, ARISTIDE.

DEMARATE.

Seigneur pour éviter le peril qui me presse,
C’est entre tous les Grecs à vous que je m’adresse,
745 Quoi que nez de Pays l’un de l’autre jaloux,
Quoi que nulle amitié n’ait pû naistre entre nous,
C’est sur vous toutefois qu’en un destin* funeste*,
J’ose encore fonder tout l’espoir qui me reste.
Vostre haute vertu* laisse peu soupçonner, [p. 35]
750 Qu’à vostre seul Pays vous puissiez la borner,
Et la justice en vous parfaite et sans seconde,
Est un bien que les Dieux vous font pour tout le Monde.

ARISTIDE.

Ordonnez, j’obeïs, proposez, j’y consens,
Le sexe & le merite ont des droits tous puissans.
755 J’ai déja ressenti ce qu’on vous fait d’injure,
J’en sçai l’indignité comme vous j’en murmure,
Je m’estonnois* d’abord de voir Pausanias
Differer entre vous un hymen* plein d’appas* ;
Mais ses empressemens, ses soins* pour Cleonice,
760 N’ont que trop découvert toute son injustice :
Chacun voit à regret à quel rebut honteux
Vous expose l’ardeur de ses indignes feux.
Sparte de cette injure avec vous offencée,
Seule à vous en vanger n’est pas interressée.
765 Les Grecs ne doivent plus connoistre un General,
Qui s’allie en un sang à leur repos fatal*,
Et dans cette odieuse & funeste* alliance,
Ce qu’il vous fait outrage est la commune offence
Contre lui hautement nous nous unirons tous…

DEMARATE.

770 Ah ! Seigneur, ce n’est point ce que je veux de vous.
Pausanias n’est point Amant de Cleonice,
C’est un bruit mal fondé qui lui fait injustice.
J’aurois tort de m’en plaindre & je dois avouër
Qu’on ne peut pas avoir plus lieu de s’en louër.
775 Si l’hymen* entre nous trop long-temps se differe,
C’est moi qui l’en conjure, il le veut pour me plaire,
Et si pour Cleonice il fait voir quelque ardeur, [p. 36]
Tous ses empressemens ne sont qu’en ma faveur.
J’ai souhaitté de lui ce qu’il ose pour elle,
780 Il s’empresseroit moins s’il m’estoit moins fidelle.
Sparte, ni tous les Grecs n’ont rien à redouter…

ARISTIDE.

Vous aimez, & l’amour* se plaist à se flatter,
Craignez d’en croire trop, gardez de vous méprendre.

DEMARATE.

Des yeux interessez* se laissent peu surprendre*.
785 Je répons de son cœur & sans trop me flatter
Quand j’en ose répondre on n’en doit pas douter.
Plust aux Dieux qu’à ma honte une heureuse Rivale,
M’ostast pour mon repos cette gloire* fatale*.
Et qu’un refus injuste & pour moi plein d’appas*,
790 Pûst d’un aveu honteux m’épargner l’embarras*.
L’époux qui m’est offert brille d’un grand merite,
Rien n’en tenit l’éclat*, pour lui tout sollicite
En sa propre personne autant que sa grandeur
N’a que trop dequoi plaire au plus superbe cœur,
795 Mais l’aveugle destin* qui dispose des ames,
M’avoit avant ce choix soûmise à d’autres flames,
Et du plus grand merite un cœur est peu frappé,
Quand une fois d’ailleurs il est preoccupé.
Quelqu’éclat* qu’ait pour moi l’hymen* où l’on m’engage,
800 Je n’en voi qu’en tremblant le funeste* avantage,
Et si Pausanias sçait qu’un autre a mes vœux,
Pour les tiranniser il est trop genereux*.
J’espere qu’à moi-mesme il voudra bien me rendre,
D’un Heros tel que lui, c’est ce que j’ose attendre ; [p. 37]
805 Et c’est enfin, Seigneur, pour l’y bien disposer,
Ce qu’aucun mieux que vous ne lui peut proposer.

ARISTIDE.

Je n’examine point si cette ardeur extrême,
Ou cherche à m’éblouïr*, ou vous seduit vous-mesme ;
Ou si vostre dépit* par un éclat* si prompt,
810 D’un refus asseuré veut prevenir l’affront.
Sans rien approfondir je ne veux voir, Madame,
Que ce que vous m’ouvrez du secret de vôtre ame,
Je croi ce qui vous plaist & veux de bonne foi*
Répondre aux sentimens que vous avez de moi :
815 Ne precipitez rien si vous m’en voulez croire,
Quel que soit vostre Amour* ménagez vostre gloire*.
Après tant de delais peut-estre encor un jour
Sauvera vostre gloire* ensemble & vostre Amour* :
Evitez, s’il se peut, les reproches de Sparte,
820 Et du moins attendez que Cleonice parte.
Pausanias pour elle un peu trop genereux*,
Pourroit bien entreprendre au delà de vos vœux.

DEMARATE.

Dites tout, ma priere en effet vous fait peine,
J’exige trop de vous, c’est un soin* qui vous gêne,
825 Vous cherchez doucement à vous en dispenser,
Et je veux bien Seigneur, vous en débarasser.
Je ferai cet aveu sans secours de personne,
L’ayant fait une fois il n’a rien qui m’estonne*.
Je veux tout déclarer* & j’irai de ce pas.

ARISTIDE.

830 Vous n’irez pas bien loin voici Pausanias.
[p. 38]

SCENE III.

PAUSANIAS, ARISTIDE, DEMARATE, EURIANAX.

PAUSANIAS.

A vostre tour, Seigneur, fuyez vous ma presence,
J’allois vous asseurer de ma reconnoissance.

ARISTIDE.

Vous me devez trop peu pour vous en souvenir ;
Mais Demarate cherche à vous entretenir,
835 Seigneur, & le secret qu’elle pretend vous dire
Doit fuir la multitude & veut qu’on se retire.

SCENE IV.

PAUSANIAS, DEMARATE, EURIANAX.

PAUSANIAS.

Quel est donc ce secret dont vous l’avez instruit,
Qui cherche tant l’éclat*, les témoins, & le bruit ?
M’en jugerez vous digne, & pourrai-je pretendre
840 Ensuitte d’Aristide à l’honneur de l’apprendre ?

DEMARATE.

[p. 39]
Aristide, Seigneur, ne l’a sçeu que pour vous ;
J’ai crû que de moi-mesme il vous seroit moins doux ;
Mais il répond si mal à ce que je desire,
Que j’ose me resoudre enfin à vous tout dire.
845 J’estime vostre hymen* autant que je le doi
L’honneur du choix de Sparte est précieux pour moi ;
C’est la plus haute gloire* où je pouvois atteindre.

PAUSANIAS.

Je vous entens Madame, & vous allez vous plaindre,
C’est un mauvais moyen que de fâcheux éclats*,
850 Que des plaintes…

DEMARATE.

Seigneur vous ne m’entendez pas,
A quelque excez d’honneur que vostre hymen* m’éleve,
Je ne viens pas ici pour presser qu’il s’acheve :
Loin d’avoir là-dessus rien à craindre de moi,
Je viens vous conjurer de degager ma foi*,
855 Et c’est là cet aveu que mon ame timide,
Est contrainte à vous faire au refus d’Aristide.

PAUSANIAS.

Vous m’en voyez surpris, c’est sans doute un aveu
Madame, où j’avouërai que je m’attendois peu ;
Mais pour me disposer à ce qui peut vous plaire,
860 Le secours d’Aristide estoit peu necessaire ;
Vous douteriez à tort de ma facilité,
C’est sans peine…

DEMARATE.

Ah ! Seigneur, je n’en ai pas douté.

PAUSANIAS.

Quoi que je perde en vous je n’ose pas m’en plaindre, [p. 40]
Je ne dois rien vouloir qui puisse vous contraindre,
865 Et j’aime mieux ceder mon bon-heur le plus doux,
Que d’oser en Tyran estre heureux malgré vous.
Il est aisé de voir au desordre* où vous estes
Que l’Amour* s’est mêlé du refus que vous faites,
Et si rien en secret n’occupoit vostre cœur,
870 Peut-estre mon hymen* vous feroit moins d’horreur*.
Quel que soit cet Amant il peut tout se permettre,
J’offre & je promets tout…

DEMARATE.

Gardez de trop promettre,
Seigneur, & de m’offrir en faveur de mes feux
Plus que vous ne croyez & plus que je ne veux.
875 Il n’est que trop vrai, j’aime, & d’une amour* trop tendre,
J’aime un ingrat enfin, s’il faut vous tout apprendre,
Un ingrat dont je prens contre moi l’interest
Tout insensible encore & tout ingrat qu’il est.

PAUSANIAS.

Peut-il estre un ingrat à ce point insensible ?

DEMARATE.

880 S’il en peut estre helas ! il n’est que trop possible,
Et pour estre en effet le plus grand des ingrats,
C’est peu d’estre insensible & de ne m’aimer pas :
Cet ingrat aime ailleurs sans songer que je l’aime.
Et pour tout dire enfin cet ingrat c’est vous même.

PAUSANIAS.

885 Moi, Madame ?

DEMARATE.

[p. D, 41]
Ouï, Seigneur, cessons de déguiser,
Vous aimez Cleonice & voulez l’épouser.
Ce feu qui me trahit menace vostre teste
De l’éclat* d’une affreuse & mortelle tempeste,
Nos voisins envieux, nos alliez jaloux,
890 Ne cherchent qu’un pretexte à s’unir contre vous :
Sparte mesme engagée au refus qui m’offence,
Croira de mon affront se devoir la vangeance,
Et si j’ose me plaindre & soustenir mes droits
J’armerai contre vous tous les Grecs à la fois :
895 Voilà pourquoi Seigneur lors que je vous refuse,
Mesme pour me trahir je vous preste une excuse,
Et pourquoi ce refus qui vous sert & me nuit,
Affecte tant l’eclat les témoins & le bruit.
Je ne puis me vanger quoi que trop offencée,
900 Vous estes en peril ma colere est passée,
Dés qu’un ingrat si cher a besoin de secours,
Le dépit* presse en vain l’amour* revient toûjours.
Que Sparte contre moi tonne, éclatte, foudroye,
A sa fureur pour vous je m’expose avec joye ;
905 N’ayant plus nul espoir qui flatte mon Amour*,
Il m’en coustrera peu m’en coustast-il le jour :
Vous me l’avez rendu trop peu digne d’envie,
Mes vœux en vous perdant content pour rien la vie :
Je ne regarde plus que vostre seul danger,
910 Je m’y livre aisément pour vous en dégager,
Et veux bien immolant tout mon bon-heur au vostre,
Perir pour vous sauver dûst-ce estre pour une autre.

PAUSANIAS.

Ah ! Madame, faut-il que vous trouviez si bien
Le secret d’estonner* un cœur comme le mien ?
915 Que ne vous armez vous d’un dépit* legitime, [p. 42]
Contre un ingrat seduit & charmé de son crime,
Et que ne cherchez vous à pouvoir m’en punir,
Plûtost qu’à me forcer d’en vouloir revenir ?
Je sens mes vœux confus & mon ame interdite* ;
920 Que vous m’embarassez avec tant de merite.
Que n’en avez vous moins en effet & pourquoi
Me montrez vous si bien mon devoir malgré moi ?
Vous faites un effort qui m’en prescrit un autre.
Ma generosité doit répondre à la vostre,
925 Et n’oseroit souffrir que par des soins* si doux,
Vous fassiez tant pour moi sans rien faire pour vous,
Il est juste à mon tour que mesme soin* m’anime*.
Et peut estre en effet l’Amour* qui fait mon crime
N’a pas de ma vertu* si bien sceu triompher
930 Qu’il ne m’en reste encor assez pour l’étouffer.
Je sens que vostre exemple à cet effort m’engage…

DEMARATE.

C’est sans doute un effort digne d’un grand courage*.
Rien n’est plus heroïque il le faut avoüer…

PAUSANIAS.

Ne vous pressez pas tant encor de m’en loüer,
935 L’effort est beau je sçai que la gloire* en est grande
Que ma vertu* le veut, que Sparte le demande,
Je sçai que je le dois, mais au trouble* où je suis,
Je ne sçai pas trop bien encor si je le puis.

DEMARATE.

Si d’un espoir trop doux j’ai flatté ma tendresse*,
940 Pardonnez moi Seigneur ce reste de foiblesse :
L’espoir renaist sans peine, il seduit aisément,
Et tout trompeur qu’il est il est toûjours charmant.
Je ne veux point vous faire aucune violence, [p. 43]
Et si vous en trouvez la moindre en ma presence,
945 Si l’effort de mes vœux aux vostres immolez
Vous touche en ma faveur plus que vous ne voulez,
Je vous laisse & renonce en ma tendresse* extrême,
A toucher vostre cœur en depit* de lui-même.
Allez Seigneur, sans voir ce que vous me coustez
950 Offrir ailleurs en paix ce cœur que vous m’ostez :
Oubliez, s’il se peut qu’à tort il m’abandonne,
Et qu’il m’estoit mieux deub peut-estre qu’à personne.
Si du plus tendre Amour* la plus fidelle ardeur
Pouvoit jamais suffire à mériter un cœur.

SCENE V.

EURIANAX, PAUSANIAS.

EURIANAX.

955 N’en est-ce point assez ? & seroit-il possible
Qu’à cet illustre effort vous fussiez insensible ?
Se pourroit-il Seigneur qu’il vous fust reproché
D’avoir vû tant d’Amours* sans en estre touché ?
Vous laisseriez vous vaincre en grandeur de courage* ?
960 Le trouble* où je vous voi paroist d’heureux presage :
L’Amour* & la Vertu*, la Gloire*, & le Devoir
Pour Demarate enfin semblent vous émouvoir.

PAUSANIAS.

[p. 44]
Sans doute, Eurianax, un si grand sacrifice,
Engage trop mon cœur à lui rendre justice.
965 Il le faut, tout le veut : Cleonice aussi bien
A trop d’horreur* pour moi pour en esperer rien :
Qu’elle parte à son gré, renonçons à sa veuë,
Et tandis que je sens ma vertu* revenuë,
Hastons nous d’éloigner ses dangereux attrais,
970 Allons lui dire adieu pour ne la voir jamais.

Fin du Troisième Acte.

[p. 45]

ACTE IV.

SCENE PREMIERE.

ARISTIDE, PAUSANIAS.

ARISTIDE.

Je détourne vos pas, je sçai où je m’expose ;
Mais l’interest public va devant toute chose,
Et c’est enfin Seigneur, à ne vous rien celer,
Au nom de tous les Grecs que je viens vous parler.

PAUSANIAS.

975 Avec beaucoup d’ardeur le bien public vous touche,
Et tous les Grecs souvent parlent par vostre bouche ?
Mais je veux bien Seigneur me taire là-dessus,
Pour prix des derniers soins* que vous m’avez rendus.

ARISTIDE.

Croyez qu’avec regret Seigneur…

PAUSANIAS.

Pour vostre gloire*
980 Sans rien examiner je consens à tout croire.
Je croirai s’il le faut que le superbe emploi, [p. 46]
De voir un General prendre de vous la loi*,
D’avoir au nom des Grecs des ordres à prescrire,
Au Chef dont vous devez reconnoistre* l’Empire,
985 Est un soin* qui n’a rien qui vous flatte en secret,
Et dont vous vous chargez toûjours avec regret ;
Quoi qu’il en soit enfin sçachons ce qu’on desire,
Et ce qu’au nom des Grecs vous avez à me dire.

ARISTIDE.

C’est un soin* important qu’ils soûhaitent de vous,
990 Pour vostre propre gloire* & pour le bien de tous.
Cleonice est toûjours à craindre avec justice.

PAUSANIAS.

Les Grecs se meslent-ils encor de Cleonice ?
Elle a la liberté j’en ai pû disposer.

ARISTIDE.

Oüy, mais les Grecs ont peur qu’elle en puisse abuser.
995 Ce que leur a cousté la haine de son Pere
En fait craindre en la fille un reste hereditaire ;
Suspecte parmi nous on veut qu’elle aille en paix,
Parmi nos ennemis jouïr de vos bien-faits,
Et que vous preniez soin*, Seigneur, qu’en diligence*
1000 Elle quitte la Grece, & dés demain Bisance.

PAUSANIAS.

L’ordre est pressant sans doute & surprenant pour moi.
Il se peut que les Grecs, ces Peuples sans effroi ;
Eux qui sous ma conduite avec tant d’asseurance,
Ont bravé des Persans l’effroyable puissance ;
1005 Eux de tant d’ennemis par tout victorieux,
Soyent capables de craindre une fille en ces lieux,
Mais une fille enfin qui n’a pour toutes armes,
Que ce que sa beauté lui peut donner de charmes.
Que d’innocens appas* qu’elle fait éclatter… [p. 47]

ARISTIDE.

1010 Eh c’est par là Seigneur qu’elle est à redouter.
La Beauté quelquefois forme de grands orages,
Et est souvent l’écueil des plus fermes courages*,
Des plus fiers ennemis tel a bravé l’effort,
Qui contre de beaux yeux n’est pas toûjours si fort.
1015 Quelque Heros qu’on soit on n’est pas insensible,
Et fust on mille fois à la Guerre invincible,
Mille fois intrepide & mille fois vainqueur,
L’Amour* trouve aisément le foible d’un grand cœur.

PAUSANIAS.

Si c’est en Cleonice un crime d’estre aimable,
1020 Pour qui trouvez vous tant sa beauté redoutable ?
Pour Cymon vostre Ami craignez-vous ses appas* ?

ARISTIDE.

Tout mon Ami qu’il est je n’en répondrois pas ;
Mais si je puis Seigneur oser ne vous rien feindre,
Vous mesme pourriez vous n’y trouver rien à craindre ?

PAUSANIAS.

1025 Un soin* si curieux doit me surprendre* fort.

ARISTIDE.

Je parle au nom des Grecs je vous l’ai dit d’abord.

PAUSANIAS.

Au nom des Grecs ou non, d’eux ou de vous n’importe,
La curiosité me paroist toûjours forte.
Que les Grecs sans pretendre à plus qu’il n’est permis,
1030 Me demandent raison de ce qu’ils m’ont commis,
Du soin* de soustenir leur Gloire* chancelante,
Du soin* de r’animer* leur Liberté mourante,
Du soin* de les tirer de cent perils pressans, [p. 48]
Du soin* de vaincre enfin trois cens mille Persans :
1035 C’est dequoi s’il le faut & sans peine & sans honte
Le General des Grecs est prest à rendre conte ;
Mais pour ce qui se passe en secret dans son cœur,
Quels que soient ses desirs, quelle qu’en soit l’ardeur,
Qu’il s’engage à son gré, qu’il haïsse, ou qu’il aime,
1040 Il n’en pretend devoir de conte qu’à lui mesme.

ARISTIDE.

Aucun des Grecs Seigneur n’a la temerité,
De vouloir de leur Chef choquer* la liberté ;
Mais si vous estes libre ils pretendent tous l’estre,
Et pour souffrir un Chef ne souffrent point de Maistre.
1045 Ils laissent vostre cœur à son gré soûpirer,
Contre un Objet suspect laissez-les s’asseurer :
S’ils craignent vous devez d’autant moins vous en plaindre,
Que ce n’est que pour vous qu’ils ont le plus à craindre :
Leur soin* part de leur zele, & vous doit estre doux,
1050 Ils ont peur d’avoir lieu d’oser rien contre vous,
De vous voir engager plus qu’ils ne voudroient croire,
De vous voir oublier peut-estre vostre gloire*,
Et pour leur General eux-mesme de se voir
Dans la necessité d’oublier leur devoir.

PAUSANIAS.

1055 Sçachez vous et les Grecs…

ARISTIDE.

Cessez de nous confondre,
Ce n’est qu’aux Grecs Seigneur que vous devez répondre.
Je vous parle pour eux. [E, 49]

PAUSANIAS.

Puisque vous le voulez
Je répons donc aux Grecs pour qui pour me parlez.
Leur zele va trop loin, ils ont sujet de croire
1060 Que je sçaurai sans eux avoir soin* de ma gloire* :
Qu’ils ne se mêlent pas d’en prendre aucun souci,
Et quant à leur devoir j’en aurai soin* aussi.
L’interest que j’y prens vaut bien que l’on s’y fie,
Je réponds d’empécher que personne l’oublie,
1065 Ou de sçavoir au moins par un prompt repentir
Y ramener quiconque oseroit en sortir.
Voila ce que de moi les Grecs doivent attendre,
Et ce que de ma part vous leur pouvez aprendre.

ARISTIDE.

Si mon avis Seigneur peut ici se mêler...

PAUSANIAS.

1070 Ce n’est qu’au nom des Grecs que vous devez parler,
Et n’ayant de leur part rien de plus à me dire,
Vous avez ma réponse & cela doit suffire.
Je n’écoute plus rien vos soins* sont superflus.

ARISTIDE.

Je voi pourquoi Seigneur vous ne m’écoutez plus
[p. 50]

SCENE II.

CLEONICE, PAUSANIAS.

CLEONICE.

1075 Aprés tant de bien-faits & pour faveur derniere,
Pourrai-je encor, Seigneur, vous faire une priere ?
Pourrai-je à mon devoir vous faire consentir* ?

PAUSANIAS.

Que ne pourrez vous point ?

CLEONICE.

Pourrai-je enfin partir ?

PAUSANIAS.

Vous mesme avec les Grecs aussi d’intelligence ?
1080 Et vous me condamnez comme eux à vostre absence !
Avec eux contre moi vous vous joignez si bien ?

CLEONICE.

Les Grecs font leur devoir je fais aussi le mien.

PAUSANIAS.

Quoi Madame, à partir vous estes déja preste ?
Et mon coeur ny ma main n’ont rien qui vous arreste ?
1085 A me fuir pour jamais vous trouvez tant d’appas* ?

CLEONICE.

Seigneur si vous m’aimez ne m’en détournez pas.

PAUSANIAS.

Si je vous aime ingrate ainsi pour me confondre, [p. 51]
Aux soins* de mon amour* vous voulez donc répondre ?
Vous voulez que toûjours nous soyons ennemis ?
1090 Hé bien vous estes libre & tout vous est permis.
Partez, mais pour le prix d’un amour* qui vous gêne*,
Laissez moi donc au moins un peu de vostre haine.

CLEONICE.

Hélas !

PAUSANIAS.

Vous soûpirez, me haïssez vous tant ?

CLEONICE.

On dit peu que l’on hait, Seigneur, en soûpirant.

PAUSANIAS.

1095 Puis-je demander pourquoi ce coeur soûpire ?

CLEONICE.

Ne me demandez rien j’aurois peur d’en trop dire.

PAUSANIAS.

Ah ! dites tout de grace, achevez cet aveu.

CLEONICE.

Ma honte & mon silence en disent-ils trop peu ?

PAUSANIAS.

Si vous ne partiez point j’oserois les entendre,
1100 Et si j’en croi vos yeux vostre coeur devient tendre,
Je ne rencontre plus de haine en vos regards :
Cependant vous partez.

CLEONICE.

Et c’est pourquoi je pars !
J’oublie en vous voyant avec trop peu de peine
Tout ce que je vous dois de colere & de haine.
1105 Prés de vous sur mon coeur j’ai trop peu de pouvoir [p. 52]
Et je tâche en fuyant de sauver mon devoir.
Laissez moi ménager quelque reste de gloire*,
Ma fuitte vous asseure assez de la victoire.
Le peril est trop grand & n’a que trop d’appas*,
1110 Epargnez ma foiblesse & n’en triomphez pas.

PAUSANIAS.

Laissez la triompher cette heureuse foiblesse.
De la severité du devoir qui vous presse.

CLEONICE.

Puis-je trahir le sang à qui je dois le jour ?
Qui pourroit m’excuser !

PAUSANIAS.

Que ne peut point l’Amour* ?

CLEONICE.

1115 Hé bien Seigneur, hé bien, contre un devoir severe,
Si l’Amour* sert d’excuse aux fautes qu’il fait faire
Il ne tiendra qu’à vous de m’en convaincre bien ;
Et sur vostre devoir je reglerai le mien.

PAUSANIAS.

Il ne tiendroit qu’à moi ?

CLEONICE.

Non, Seigneur, qu’à vous mesme
1120 Montrez moi ce que doit un grand coeur quand il aime :
Montrez moi le premier pour m’en faire une loi*
Mesme foiblesse en vous que vous voulez en moi,
Montrez moi quelque gloire* ici qui vous retienne
Par l’oubli de la vostre à negliger la mienne.
1125 J’en croirai vostre exemple & je trouverai doux
Que vous m’authorisiez à faillir aprés vous ;
Puisque la Grece en moi d’un fardeau se délivre, [p. 53]
J’oserai tout pour vous si vous osez me suivre.

PAUSANIAS.

Oublier mon devoir ?

CLEONICE.

Hé vous souhaittez bien
1130 Seigneur qu’en vous aimant j’oublie aussi le mien ?

PAUSANIAS.

Ma foi* s’est par serment engagée à la Grece.

CLEONICE.

J’ai fait serment aussi de vous haïr sans cesse.

PAUSANIAS.

Quoi trahir mon Païs pour vous trop obeïr ?

CLEONICE.

Le sang d’un Pere est-il plus facile à trahir ?

PAUSANIAS.

1135 D’un si coupable effort voyez pour moi la honte :

CLEONICE.

Et c’est dequoi, Seigneur, l’Amour* vous tiendra conte.
Un effort de vertu* n’est pas effort pour vous,
Vostre coeur y suivroit son penchant le plus doux.
L’ardeur est pour la Gloire* aux grands coeurs naturelle,
1140 Et l’Amour* ne doit rien de ce qu’on fait pour elle.

PAUSANIAS.

Considerez mon rang.

CLEONICE.

Regardez en ces lieux
Combien pour vous l’oster vous avez d’envieux ;
Vous estes en peril toûjours qu’on vous l’arrache,
Et de plus c’est un rang où ma haine s’attache :
1145 Il m’a cousté mon Pere & sur lui mon courrous,
Tombe exprés pour pouvoir se détourner de vous.
N’attendez pas ici que la Grece vous l’oste, [p. 54]
La Perse peut vous rendre une grandeur plus haute ;
Vous pouvez vous y faire un rang à vostre choix,
1150 Elle a mille Sujets plus grands que tous vos Rois ;
Cessez pour des ingrats de vaincre & de combatre,
Relevez le party que vous venez d’abatre :
Portez y la Victoire, & par vos seuls exploits,
Changez du Monde entier le sort* jusqu’à deux fois.
1155 Ce crime, au moins, s’il faut ainsi que l’on le nomme,
Est un illustre crime & digne d’un grand homme,
Est digne d’un Heros intrepide, fameux,
Et pour tout dire enfin, d’un Heros amoureux.

PAUSANIAS.

Vous me pouvez aimer, & vous voulez Cruelle
1160 Voir flétrir ma vertu* d’une tache eternelle ;
Vous m’aimez, & voulez pour prix de vostre coeur,
Que de tout l’Univers je merite l’horreur*.
Vous m’aimez, & l’Amour* dans vostre ame inhumaine,
Ne se peut empecher d’agir comme la haine ;
1165 Et dans les plus doux voeux* que pour moi vous formez,
C’est mesme en ennemie encor que vous m’aimez.
Allez Madame, en vain vous pressez ma foiblesse,
La Gloire* est de mon coeur la premiere maitresse,
L’Amour* a dû toûjours s’attendre à lui ceder,
1170 On devoit avec elle au moins s’accommoder.
Malgré de vos appas* la puissance infinie,
Je veux me revolter contre leur tirannie,
M’affranchir de leur charme, & pour m’en garentir
Allez Ingratte allez haster vous de partir.
1175 Sauvez moi de ces yeux dont la beauté funeste*, [p. 55]
Peut encore enchanter la vertu* qui me reste ;
De ces regards cruels que j’ai trouvez trop doux ;
Emportez s’il se peut ma foiblesse avec vous ;
Déracinez l’ardeur de ma fatale* flame ;
1180 Rompez, brisez mes fers, jusqu’au fond de mon ame.
Arrachez m’en les noeuds, deussiez vous en ce jour
M’arracher mille fois le coeur avec l’amour*.

CLEONICE.

Ce grand effort m’apprend celui que je dois faire ;
Vostre vertu* m’estoit un secours necessaire :
1185 Il faut la contenter & mon devoir aussi,
Il faut partir enfin.

PAUSANIAS.

Et vous partez ainsi ?

CLEONICE.

Il le faut bien, Seigneur, vous me chassez vous-mesme.

PAUSANIAS.

Moi, Madame ? Ah plûtost c’est vostre haine extréme !
C’est elle qui vous chasse avec un si grand soin*.

CLEONICE.

1190 Que n’est-il vrai Seigneur, je serois déja loin.

PAUSANIAS.

Mais qu’ai-je dit qui puisse à partir vous contraindre ?

CLEONICE.

Ce que vous m’avez dit me sert trop pour m’en plaindre.

PAUSANIAS.

Mais encor qu’ai-je dit qui vous presse à tel point ?

CLEONICE.

[p. 56]
L’oubliez vous si-tost ?

PAUSANIAS.

Ne l’oubliez vous point ?
1195 Quand vous ne pourriez mesme en perdre la memoire,
Quoi que j’aye pû dire avez vous pû m’en croire ?
Et ne pas pardonner dans mon coeur qui se rend,
A ce dernier éclat* d’un Devoir expirant.
C’en est fait, & je sens que l’ardeur qui m’emporte,
1200 Se relâchoit exprés pour revenir plus forte ;
Et que ce fier torrent qui devoit m’accabler,
N’interrompoit son cours que pour le redoubler.
Disposez de mon coeur, vous avez la puissance
D’y mettre à vostre gré le crime ou l’innocence.
1205 La colere des Grecs ny la foudre des Dieux,
Ne l’ébranlent pas tant qu’un regard de vos yeux ;
L’Amour* m’attache à vous, le noeud dont il me lie
Est plus fort mille fois que Grandeur ni Patrie :
Je trouverois sans vous la Grandeur sans appas*,
1210 Et n’ai point de Patrie où vous ne serez pas.
Mais ne puis-je obtenir que pour quitter la Grece
Vous attendiez au moins encor qu’on vous en presse.
Je m’exile avec vous, s’il le faut, sans effroi ;
Demeurez s’il se peut pour regner avec moi ;
1215 Laissez moi voir encor si la Grece propice,
Peut vouloir qu’avec vous son General s’unisse.
Resisteriez vous seule à nos communs souhaits ?

CLEONICE.

Ah la Grece Seigneur ne le voudra jamais !

PAUSANIAS.

Oserois-je esperer qu’il ne tient qu’à la Grece ?

CLEONICE.

[p. 57]
1220 Vostre exemple authorise & me rend ma foiblesse ;
Allez esperez tout vous m’aprenez trop bien,
Seigneur que quand on aime on ne refuse rien.

SCENE III.

PAUSANIAS, DEMARATE CHARILE.

DEMARATE.

Pardonnez moi le trouble* où vous met ma presence,
Seigneur, & m’accordez un moment d’audiance.

PAUSANIAS.

1225 Parlez je vous dois tant qu’il me seroit bien doux
De pouvoir à mon tour quelque chose pour vous.

DEMARATE.

Vostre interest Seigneur est le seul que j’embrasse,
Ne craignez de ma part rien qui vous embarasse :
Vous avez pour garans ma tendresse* & ma foi*,
1230 Qu’ayant à vous parlez ce n’est jamais pour moi ;
C’est pour vous, pour vos jours que mes soins* s’interessent*...

PAUSANIAS.

Mais sçavez vous, Madame, à qui vos soins* s’addressent ?
J’ai honte de surprendre* encore à vos bontez
Des sentiments si doux & si peu meritez :
1235 Et pour leur prix au moins je veux bien vous aprendre [p. 58]
Combien j’en suis indigne avant que rien entendre.
Apprenez que je suis en effet malgré moi,
Plus ingrat que jamais à ce que je vous doi ;
Qu’avec un seul regard presque sans resistance,
1240 L’Amour* a triomphé de ma reconnoïssance ;
Qu’enflamé, qu’enchaisné, que tout percé de coups,
Mon coeur n’a qu’un moment pû combatre pour vous ;
Que toute ma vertu* par la vostre excitée*,
S’est en vostre faveur vainement* revoltée ;
1245 Que mes efforts n’ont fait que resserrer mes noeuds ;
Qu’aprofondir ma playe & qu’irriter mes feux ;
Abandonnez des jours digne de vostre haine.

DEMARATE.

Je le voi bien Seigneur, tous mes soins* vous font peine,
Vostre propre salut pour qui j’ai tant d’effroi,
1250 Vous deviendroit à charge à le tenir de moi :
Il vous cousteroit trop au prix d’un grand service,
De me devoir vos jours & mesme Cleonice ?

PAUSANIAS.

Cleonice ? on voudroit l’oster à mon espoir ;
Puisqu’il vous plaist, Madame, il faut vous tout devoir.
1255 Parlez, par vos bontez, comblez mon injustice.

DEMARATE.

Hé vous ne m’écoutez qu’au nom de Cleonice!
Vous pouviez à ma honte insulter un peu moins,
Vous craignez de devoir vostre vie à mes soins* ?
Et rendant ma tendresse* à moi mesme fatale*,
1260 Vous n’aprehendez pas d’y devoir ma Rivale ?
N’importe, il faut Seigneur en sacrifiant tout, [p. 59]
Pour confondre un ingrat le servir jusqu’au bout.
Vostre Rival piqué de perdre ce qu’il aime,
A crû qu’en mesme estat je la seroi de mesme ;
1265 Que mon dépit* caché n’avoit pas moins d’ardeur,
Et s’est ouvert à moi pour découvrir mon coeur.
J’ai d’abord contre vous feint pour mieux vous deffendre,
D’embrasser le parti qu’il me pressoit de prendre.
J’ai juré vostre perte & promis d’éclater,
1270 Avec moi cette nuit il doit tout concerter :
Et dés que j’aurai sceu ce qu’il veut entreprendre,
Soyez seur qu’aussi-tost j’irai tout vous aprendre.

PAUSANIAS.

Dieux ! faut-il qu’un ingrat toûjours vous doive tant ?
Je vais faire garder Cleonice à l’instant.

DEMARATE.

1275 Quoi pour l’unique prix de ce dernier service,
Seigneur vous me quittez déja pour Cleonice ?

PAUSANIAS.

Vous qui sçavez aimer excusez un Amant,
Sa seureté m’engage à cet empressement*.

DEMARATE.

Il n’est rien qui vous presse encor pour sa deffence
1280 On ne doit pas d’abord tenter la violence :
Mais vostre empressement* doit estre à redouter,
Peut me rendre suspecte & tout precipiter :
Je ne répons de rien pour peu qu’on me soupçonne.

PAUSANIAS.

Mon sort* est entre vos mains & je vous l’abandonne.
1285 Cependant, puisqu’il faut qu’on ne soupçonne rien,
On peut se deffier d’un trop long entretien.

DEMARATE.

Cette precaution ne sçauroit estre vaine*, [p. 60]
Mais Seigneur, c’est un soin* que j’oubliois sans peine,
Vous n’y songez que trop.

PAUSANIAS.

Ah pour tant de bien-faits.
1290 Que ne puis-je...

DEMARATE.

Epargnez d’inutiles souhaits.
Ils redoublent ma honte & la gloire* d’une Autre,
Seigneur je suis mon sort*, allez, suivez le vostre :
Le vostre est d’estre ingrat, & le mien de sçavoir,
Et souffrir sans murmure & servir sans espoir.
1295 Il s’en va donc enfin.

SCENE IV.

DEMARATE, CHARILE.

CHARILE.

Il sort l’ame interdite*.
Il vous quitte confus.

DEMARATE.

Mais enfin il me quite.
Il ne me peut souffrir, & j’ai beau tout tenter,
Amour*, services, soins*, rien ne peut l’arrester.

CHARILE.

J’admire que vostre ame ait tant pû se contraindre.

DEMARATE.

[E, 61]
1300 Tu l’as vû, jusqu’ici, j’ai souffert sans me plaindre.
J’ai pris d’extrémes soins*, fait les derniers efforts
Pour retenir l’ardeur de mes jaloux transports* :
Mais crois-tu dans mon ame à force de contrainte,
Mes transports* étouffez, ma jalousie éteinte,
1305 Penses-tu qu’en effet sous ce calme apparent,
Dans le fonds de mon coeur l’orage soit moins grand.
J’ai crû par de grands soins* toucher un grand courage*,
Regagner, ramener doucement un volage,
Et donner à son coeur, & laisser à sa foi*
1310 Des moyens & du temps pour revenir à moi ;
Mais perdant tout espoir l’Amour* mesme déchaîne
Un dépit* trop contraint, qui m’échappe & m’entraine,
Un dépit* à son comble à la fin parvenu,
Furieux d’autant plus qu’il s’est plus retenu,
1315 Et pour mieux en un mot te le faire comprendre,
Un dépit* aussi fort que mon Amour* fut tendre.
De tant de soins* perdus j’ai du moins profité,
D’avoir mis ma vengeance en pleine seureté,
Sans crainte & sans soupçon de mon dépit* extréme,
1320 Ma victime à mes coups s’offrira d’elle-mesme,
Et fera de concert avecque ma fureur,
Pour m’aider à trouver le chemin de son coeur.

CHARILE.

Il mourra donc enfin l’ingrat qui vous offence ?

DEMARATE.

[p. 62]
Il mourra, ce seroit trop peu pour ma vengance.
1325 Il faut pour le punir au gré de mon transport*
Quelque genre de peine au dessus de la mort.
Dans un coeur trop charmé, tu viens de voir sans cesse,
Ce que peut de l’Amour* la derniere tendresse* ;
Dans un coeur outragé, vien Charile, vien voir
1330 Ce que peut à son tour l’Amour* au desespoir.

Fin du Quatriéme Acte.

[p. 63]

ACTE V.

SCENE PREMIERE

EURIANAX, PAUSANIAS.

EURIANAX.

Dans quel trouble* Seigneur vous voi-je ici paroistre ?
Ce grand courage* ainsi peut-il se reconnoistre* ?
Quoi le danger estonne* un coeur si glorieux ?

PAUSANIAS.

Quel danger ? que dis-tu ? parle, & t’explique mieux.

EURIANAX.

1335 Aprenez donc Seigneur qu’une Trouppe mutine,
Maistresse de la ville au Palais s’achemine,
Que dans la nuit tout cedde, & que vostre Rival
Mesme sans qu’il paroisse est nommé General :
Qu’il n’a qu’à se montrer pour recevoir l’Empire,
1340 Et qu’en ces lieux enfin contre vous tout conspire.

PAUSANIAS.

Les mutins font un Chef dont je prens peu d’effroi.
Aristide est ici le seul... Mais je le voi.
[p. 64]

SCENE II.

ARISTIDE, PAUSANIAS,SOPHANE, EURIANAX.

ARISTIDE.

Je me dérobe aux Grecs & viens ici moi-même
Deffendre en vous Seigneur l’honneur du Rang suprême,
1345 C’est en vain qu’à le perdre on peut se voir forcé,
Le caractere au moins n’en peut estre effacé.
Mon zele encor pour vous des factieux m’écarte.

PAUSANIAS.

D’un zele Athénien je juge en Roi de Sparte.
Je veux bien y répondre avec un libre aveu,
1350 Je l’estime beaucoup, & m’en deffie un peu.
Voyons où des mutins l’audace peut s’estendre.

ARISTIDE.

Souffrez qu’auparavant j’ose vous tout apprendre :
J’ai des Amis en foule à la porte arrestez,
Qui m’ont suivi sans bruit de differens costez :
1355 A vous garder ici mon ordre les engage.

PAUSANIAS.

Et tout cela par zele et pour mon avantage ?

ARISTIDE.

Si vous en jugez bien, vous n’en sçauriez douter.
Pour vous au moindre effort tout est à redouter.
Craignez tout des mutins...

PAUSANIAS.

[F, 65]
Quoi donc vous pouvez croire
1360 Que si je perds mon Rang je survive à ma Gloire* ?
Que je puisse ramper dans un destin* plus bas !
Qu’ai-je à craindre en tombant que de ne perir pas ?
Qu’un Peuple ingrat acheve & ma perte & son crime,
D’un Chef qui l’a sauvé qu’il fasse sa victime,
1365 Et m’oste enfin la vie avec ma Dignité,
Pour prix de mes travaux & de sa Liberté.

ARISTIDE.

Encore un coup, craignez une fureur extrême,
Et si vostre grand coeur ne craint rien pour vous mesme,
Songez contre quel sang les Grecs sont animez*,
1370 Et du moins craignez tout pour ce que vous aimez.

PAUSANIAS.

Ah que vous sçavez bien chercher avec adresse
Par où mon coeur peut craindre, & trouver sa foiblesse !
Que vostre ambition a de rafinement !
Et qu’elle se prevaut de mon égarement !

ARISTIDE.

1375 Je n’ai rien épargné, Seigneur, je le confesse,
Pour mettre en mon Païs l’Empire de la Grece.
J’en obtiens l’avantage, & sans en rien garder,
Je ne veux que l’honneur de le pouvoir ceder.
En faveur d’un Ami mon estime en dispose ;
1380 Voila l’ambition que mon coeur se propose,
C’est le but de mes voeux*, & des soins* que j’ai pris.

PAUSANIAS.

Sauvez moi ce que j’aime, il n’importe à quel prix.

ARISTIDE.

Fiez vous en à moi, vos feux n’ont rien à craindre, [p. 66]
La fureur des mutins par mes soins* peut s’esteindre ;
1385 Et pour vous rendre en paix Maistre de vostre espoir,
Je veux les renvoyer au camp dans leur devoir ;
Je vais y donner ordre avecque diligence.

PAUSANIAS.

Cependant Cleonice est elle en assurance ?

ARISTIDE.

Sophane ayez en soin*, pour la garder, prenez
1390 Tous les Amis qu’ici nous avons amenez.

PAUSANIAS.

De grace en ma faveur que vostre soin* redouble
Respectez son repos, empéchez qu’on le trouble* ;
De son appartement qu’on s’approche sans bruit,
Et qu’il n’arrive rien sans que j’en sois instruit.

SCENE III.

PAUSANIAS, EURIANAX.

PAUSANIAS.

1395 Je doute Eurianax, si mon amour* extrême
Doit pour la bien garder se fier qu’à moi même.
Tout me paroist suspect, mon coeur inquieté,
Ne la peut croire encor assez en seureté.
Cherchons nos vrais Amis. [p. 67]

EURIANAX.

Le peu qui vous en reste
1400 Garderoit mal un bien qui vous est si funeste*.
Un bien pour qui l’Amour* vous fait tout oublier,
C’est à vos ennemis qu’il faut vous en fier.
Vous l’avez aux dépens d’une grandeur trop haute
Pour craindre qu’Aristide endure qu’on vous l’oste :
1405 Et son zele avec joye à ce prix employé,
Pour servir mal vos feux en est trop bien payé.
Il vous en doit couster la grandeur souveraine,
Mesme à vostre Rival vous la cedez sans peine,
A l’ennemi mortel qui s’est crû tout permis...

PAUSANIAS.

1410 Laisse mourir ma haine avec mes ennemis.
Je cedde un bien sans peine à qui n’y peut pretendre.

EURIANAX.

Quoi donc vostre Rival...

PAUSANIAS.

Je te vais tout apprendre.
J’attendois Demarate, & devois cette nuit
Des plus secrets complots estre par elle instruit.
1415 Confus de tant d’efforts que l’Amour* lui fait faire,
Je me suis retiré plûtost qu’à l’ordinaire ;
Ordonnant que chez moi sans rien considerer,
Demarate en tout temps eust liberté d’entrer.
Déja las de veiller & fatigué d’attendre,
1420 Un sommeil inquiet m’estoit venu surprendre* :
Et des songes confus m’agittoient tour à tour,
Suivant tantost ma haine & tantost mon amour*.
Je me croyois au bord d’un affreux precipice,
Où mon Rival sembloit entrainer Cleonice ;
1425 Lors que saisi de crainte & d’horreur* travaillé, [p. 68]
La voix de Demarate enfin m’a réveillé.
Seigneur a t’elle dit, tremblante, hors d’haleine,
Et pour trop se presser s’exprimant avec peine,
Vengez vous d’un Rival, d’un perfide Ennemi,
1430 Le voici qui pretend vous surprendre* endormi ;
Sans suitte, & déguisé sur mes pas il s’avance,
Hastez vous. J’ai voulu le joindre en diligence* :
Mais je ne sçai comment me trouvant sans clarté,
Et marchant au hazard parmi l’obscurité,
1435 Mon Rival aveuglé de sa fureur extrême,
Au fer qui le cherchoit s’est presenté lui-même ;
Et tombant sans parler ny faire aucun effort,
Un premier coup fatal* a suffi pour sa mort :
Tant son ame estonnée* à la haste est partie,
1440 Au premier jour ouvert à sortir de la vie.
Demarate a couru chercher de la clarté,
Mais honteux d’un trepas qui m’a si peu cousté,
Et sentant dans mon coeur je ne sçai quel murmure,
Reprocher à mon bras cette vengeance obscure* :
1445 J’en ai fuy le spectacle & me suis retiré,
Jusqu’ici dans le trouble* où tu m’as rencontré.
Mais enfin, il est temps que mon coeur se dégage,
Des restes importuns d’une funeste* image.
Je ne veux plus songer qu’à la felicité
1450 Dont mes feux vont jouïr avec tranquilité,
Qu’à la douceur de vivre aimé de ce que j’aime,
Content, débarassé des soins* du Rang supréme,
Et de passer enfin au gré de mes desirs,
Du faiste des Grandeurs au comble des plaisirs.

EURIANAX.

1455 Quel changement Seigneur d’un coeur tel que le vostre,

PAUSANIAS.

[p. 69]
Un grand coeur quand il aime, aime encor plus qu’un autre ;
Et les mesmes ardeurs, les mesmes sentimens
Qui font les grands Heros font les tendres Amans.
N’attends pas de mon coeur de communes tendresses*,
1460 Ny rien que d’éclatant jusques dans mes foiblesses.
Mon courage* trop grand ne se peut dementir,
Mes fautes, mes erreurs, tout s’en doit ressentir,
Et j’oserai porter, quoi qu’on en puisse croire,
Mon Amour* aussi loin que j’ai porté ma Gloire*.

SCENE IV.

PAUSANIAS, ARISTIDE EURIANAX.

PAUSANIAS.

1465 He bien qu’avez vous fait ?

ARISTIDE.

Tout ce que j’ai promis.
Le tumulte est calmé, les mutins sont soûmis,
J’ai vû vostre Rival lui-mesme les conduire.

PAUSANIAS.

Mon Rival ?

ARISTIDE.

Il promet de ne jamais vous nuire.

PAUSANIAS.

[p. 70]
Hé mon Rival lui-mesme aussi vous a parlé ?

ARISTIDE.

1470 Oüy Seigneur, vostre Amour* ne sera plus troublé.
J’en ai pris sa parole, & s’il s’osoit dédire,
Je vous en suis garant, cela vous doit suffire :
Du trouble* où je vous voi vous devez revenir.

PAUSANIAS.

Je ne le puis cacher j’ai peine à le bannir.

SCENE V.

PAUSANIAS, ARISTIDE SOPHANE, EURIANAX.

PAUSANIAS.

1475 Mais Sophane en ces lieux, quel ordre vous rappelle ?
Vous quittez Cleonice.

SOPHANE.

Elle n’est pas chez elle,
Seigneur, & j’ai voulu la chercher vainement*.

PAUSANIAS.

Cleonice n’est pas dans son appartement ?
Et vous n’avez point sceu ce qu’elle est devenuë ?

SOPHANE.

1480 En habit déguisé pour passer inconnuë,
Quelques uns de vos Gens craignant les Factieux
L’ont mise en seureté chez Demarate...

PAUSANIAS.

[p. 71]
O Dieux !

SOPHANE.

J’ai cherché Demarate & je l’ai rencontrée,
Mais elle ne s’est point avec moi déclarée*.
1485 Elle mesme vous cherche avec empressement*,
Et ne veut s’expliquer qu’avec vous seulement.
Vous la voyez.

SCENE IV.

PAUSANIAS, DEMARATEARISTIDE, SOPHANE, EURIANAX.

PAUSANIAS.

Madame où donc est Cleonice ?

DEMARATE.

Il est juste, il est temps que je vous éclaircisse,
Je vous aimois Seigneur, & pour vous regagner,
1490 Je n’ai, vous le savez, voulu rien épargner...

PAUSANIAS.

Cleonice, il est vrai, m’a fait tout méconnoistre,
Je le sçai, mais enfin Madame, où peut-elle estre ?

DEMARATE.

Laissez moi m’expliquer pour vous bien faire voir...

PAUSANIAS.

De grace expliquez moi ce que je veux sçavoir,
1495 Tirez moi des horreurs* d’un embarras* funeste*,
Parlez de Cleonice & laissez tout le reste.

DEMARATE.

[p. 72]
Que vous pressez le coup qui vous doit accabler,
J’en tremble encor pour vous, commencez d’en trembler.
J’ai trompé Cleonice en lui faisant entendre*,
1500 Que contre elle les Grecs vouloient tout entreprendre,
Et qu’après tant de soins* qui vous prouvoient ma foi*,
Vostre amour* n’avoit pû la confier qu’à moi.

PAUSANIAS.

Et qu’en avez vous fait ?

DEMARATE.

Déguisée & sans suitte
Je l’ai secretement jusques chez vous conduite.

PAUSANIAS.

1505 Chez moi ?

DEMARATE.

Dans vostre Chambre enfin mesme en effet
Jusqu’en vos mains, voyez ce qu’elles en ont fait.

PAUSANIAS.

Qu’entens-je ?

DEMARATE.

Entendez tout il n’est plus temps de feindre,
Mon dépit* n’a pour vous que trop sceu se contraindre,
Il n’a laissé que trop éclatter mon amour*,
1510 Et c’est à ma vengeance à paroistre à son tour.
Durant vostre sommeil m’avançant la premiere,
J’ai pris l’occasion d’esteindre la lumiere.
Cleonice a sans peur suivi mes pas chez vous,
J’ai ménagé ce temps pour l’offrir à vos coups,
1515 Sous le nom de Rival par une erreur fatale*,
J’ai forcé vostre Amour* d’immoler ma Rivale :
Par l’excez de vos feux j’ai sceu vous éblouïr*, [G, 73]
Je me suis fait venger par qui m’a sceu trahir.
C’estoit peu pour me faire une vengeance pleine,
1520 D’armer contre vos jours la fureur ny la haine :
J’ai pris soit d’oser plus loin que vous oster le jour,
Et d’armer l’Amour* mesme enfin contre l’Amour*.

PAUSANIAS.

Ah Barbare !

DEMARATE.

Eclattez, suivez vostre colere,
Je me suis satisfaite & veux vous satisfaire ;
1525 J’ai mis vostre rigueur en droit de tout oser,
Ce dernier sacrifice a dû l’authoriser,
Il a rendu pour moi vostre horreur* legitime,
Vous nous deviez enfin cette grande victime,
Vous nous l’avez offerte, & je viens sans effroi,
1530 Vous offrir à mon tour celle que je vous doi.
Achevez, vangez vous, & vangez ma Rivale,
Que la mort rende au moins nostre fortune* égale,
Et que le mesme bras du mesme fer armé
Joigne un sang odieux à ce sang trop aimé.
1535 Vous dédaignez Seigneur de vous rendre justice,
Vous me refusez tout jusques à mon supplice ;
Mais au refus du bras qui me veut negliger,
Le fer qui m’a vangé au moins vous doit venger.
Elle fuit avec l’épée de Pausanias.

ARISTIDE.

O Dieux ! Courons...

EURIANAX arrestant Aristide.

Seigneur, Sophane l’a suivie,
1540 Prés d’elle il suffira pour asseurer sa vie.
De grace demeurons prés de Pausanias,
De ces premiers transports* ne l’abandonnons pas.
Fut-il vostre ennemi, fut-il cent fois coupable, [p. 74]
Voyez où l’a reduit son amour* déplorable.

ARISTIDE.

1545 Je plains l’estat funeste* où ses malheurs l’ont mis,
Et les infortunez sont toûjours mes Amis :
Un affreux desepoir dans ses regards éclatte,
Mais Sophane revient & quitte Demarate.

SCENE VII
ET DERNIERE.

SOPHANE, PAUSANIAS, ARISTIDEEURIANAX.

SOPHANE.

Avant qu’on l’ait pû joindre elle a fini son sort,
1550 Et prevenu nos soins* par une prompte mort.
D’un coup precipité mortellement frappée.

PAUSANIAS.

Donnez, rendez la moi cette fatale* épée,
Je ne suis donc plus libre ; & pour me voir souffrir,
On pretend m’oster tout jusqu’au droit de mourir.

ARISTIDE.

1555 Vivez Seigneur...

PAUSANIAS.

Cruel quoi toûjours me poursuivre ?
Que vous ai-je donc fait pour me forcer de vivre ?
Malgré nos differens & vostre inimitié, [p. 75]
Suis-je trop peu puni pour vous faire pitié ?
Considerez l’excez du mal-heur qui m’accable,
1560 Sur le point d’obtenir un Objet* adorable :
Un Objet par l’Amour* à la haine arraché,
Malgré le sang d’un Pere en ma faveur touché ;
Pour qui de mon devoir j’ai perdu la memoire,
Abandonné mon Rang, sacrifié ma Gloire* :
1565 Pour qui j’ai tout trahi, pour qui j’ai tout quitté ;
Enfin d’autant plus cher qu’il m’avoit plus cousté ;
Aprés tant de perils, tant de soins*, tant d’allarmes,
Prest à voir dans mes bras cet Objet* plein de charmes,
Par une aveugle erreur, par un coup inhumain,
1570 Je le perds, je l’immole, & de ma propre main.
Laissez mêler mon sang au sang de Cleonice,
Puisqu’il ne se peut plus que l’Amour* nous unisse ;
Ne nous separez pas par un dernier effort,
Et nous laissez au moins rejoindre par la mort.

EURIANAX.

1575 Vivez pour tous les Grecs.

PAUSANIAS.

Par un zele barbare,
Eurianax aussi contre moi se declare,
A l’horreur* de la vie il veut me condamner,
Lors que c’est mille fois pis que m’assassiner.
Croyez vous malgré moi me sauver de moi-même,
1580 Non en dépit* de vous je suivrai ce que j’aime,
Et pour nous reünir malgré tout vostre effort,
Tout desarmé qu’il est l’Amour* n’est que trop fort.
Deffens moi donc Amour* de leur pitié cruelle, [G, 76]
Aigri mon desespoir, rens ma douleur mortelle,
1585 Deffai moi d’une vie unie à tant d’horreurs*,
C’en est fait il m’exauce, & je sens que je meurs.

ARISTIDE.

Ses jours semblent finis, je n’ose en rien attendre ;
Mais ne negligeons rien des soins* qu’on lui peut rendre.

FIN.