Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
1
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3
4
5
6

 

Racine Jean. Les Plaideurs. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 26 sc. 584 répl. 1,2 l. 718 l. 718 l. 32 % 2 258 l. (100 %) 3,1 pers.
DANDIN 9 sc. 89 répl. 1,2 l. 310 l. (44 %) 106 l. (15 %) 35 % 1 336 l. (60 %) 4,3 pers.
LÉANDRE 16 sc. 100 répl. 1,3 l. 447 l. (63 %) 131 l. (19 %) 30 % 1 685 l. (75 %) 3,8 pers.
CHICANNEAU 12 sc. 126 répl. 1,2 l. 355 l. (50 %) 149 l. (21 %) 42 % 1 031 l. (46 %) 3,0 pers.
ISABELLE 4 sc. 36 répl. 0,7 l. 114 l. (16 %) 27 l. (4 %) 24 % 397 l. (18 %) 3,5 pers.
LA COMTESSE 6 sc. 60 répl. 0,8 l. 143 l. (20 %) 47 l. (7 %) 33 % 426 l. (19 %) 3,0 pers.
PETIT-JEAN 11 sc. 62 répl. 1,6 l. 318 l. (45 %) 99 l. (14 %) 32 % 1 189 l. (53 %) 3,7 pers.
L’INTIMÉ 14 sc. 98 répl. 1,6 l. 478 l. (67 %) 156 l. (22 %) 33 % 1 546 l. (69 %) 3,6 pers.
LE SOUFFLEUR 2 sc. 13 répl. 0,2 l. 161 l. (23 %) 3 l. (1 %) 2 % 729 l. (33 %) 4,7 pers.
Racine Jean. Les Plaideurs. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
DANDIN
LÉANDRE
84 l. (61 %) 60 répl. 1,4 l.
55 l. (40 %) 42 répl. 1,3 l.
7 sc. 138 l. (20 %) 4,4 pers.
DANDIN
CHICANNEAU
25 l. (60 %) 27 répl. 0,9 l.
17 l. (41 %) 30 répl. 0,6 l.
3 sc. 41 l. (6 %) 4,5 pers.
DANDIN
ISABELLE
13 l. (78 %) 11 répl. 1,2 l.
4 l. (23 %) 7 répl. 0,5 l.
1 sc. 16 l. (3 %) 4,0 pers.
DANDIN
LA COMTESSE
3 l. (37 %) 6 répl. 0,4 l.
5 l. (64 %) 8 répl. 0,6 l.
2 sc. 7 l. (2 %) 5,1 pers.
DANDIN
PETIT-JEAN
52 l. (61 %) 35 répl. 1,5 l.
34 l. (40 %) 34 répl. 1,0 l.
6 sc. 85 l. (12 %) 4,5 pers.
DANDIN
L’INTIMÉ
33 l. (34 %) 31 répl. 1,1 l.
65 l. (67 %) 36 répl. 1,8 l.
4 sc. 97 l. (14 %) 4,6 pers.
DANDIN
LE SOUFFLEUR
5 l. (64 %) 8 répl. 0,6 l.
3 l. (37 %) 12 répl. 0,2 l.
1 sc. 8 l. (2 %) 5,0 pers.
LÉANDRE 5 l. (100 %) 1 répl. 4,6 l. 1 sc. 5 l. (1 %) 1,0 pers.
LÉANDRE
CHICANNEAU
46 l. (62 %) 32 répl. 1,4 l.
29 l. (39 %) 27 répl. 1,0 l.
6 sc. 73 l. (11 %) 4,0 pers.
LÉANDRE
ISABELLE
12 l. (81 %) 10 répl. 1,2 l.
3 l. (20 %) 5 répl. 0,6 l.
1 sc. 15 l. (3 %) 4,0 pers.
LÉANDRE
LA COMTESSE
7 l. (45 %) 11 répl. 0,6 l.
9 l. (56 %) 7 répl. 1,2 l.
3 sc. 15 l. (3 %) 4,4 pers.
LÉANDRE
PETIT-JEAN
40 l. (55 %) 32 répl. 1,2 l.
33 l. (46 %) 27 répl. 1,2 l.
6 sc. 72 l. (11 %) 4,5 pers.
LÉANDRE
L’INTIMÉ
58 l. (38 %) 48 répl. 1,2 l.
97 l. (63 %) 44 répl. 2,2 l.
8 sc. 154 l. (22 %) 4,1 pers.
LÉANDRE
LE SOUFFLEUR
21 l. (96 %) 7 répl. 2,9 l.
1 l. (5 %) 2 répl. 0,4 l.
2 sc. 21 l. (3 %) 4,7 pers.
CHICANNEAU
ISABELLE
13 l. (49 %) 9 répl. 1,3 l.
13 l. (52 %) 16 répl. 0,8 l.
3 sc. 25 l. (4 %) 3,8 pers.
CHICANNEAU
LA COMTESSE
59 l. (62 %) 54 répl. 1,1 l.
38 l. (39 %) 52 répl. 0,7 l.
5 sc. 96 l. (14 %) 3,0 pers.
CHICANNEAU
PETIT-JEAN
28 l. (76 %) 24 répl. 1,2 l.
10 l. (25 %) 17 répl. 0,5 l.
3 sc. 37 l. (6 %) 3,8 pers.
CHICANNEAU
L’INTIMÉ
53 l. (58 %) 42 répl. 1,3 l.
39 l. (43 %) 31 répl. 1,3 l.
5 sc. 92 l. (13 %) 3,0 pers.
CHICANNEAU
LE SOUFFLEUR
8 l. (98 %) 2 répl. 3,7 l.
1 l. (3 %) 1 répl. 0,2 l.
1 sc. 8 l. (2 %) 3,0 pers.
ISABELLE
L’INTIMÉ
23 l. (67 %) 29 répl. 0,8 l.
12 l. (34 %) 18 répl. 0,7 l.
3 sc. 35 l. (5 %) 3,2 pers.
LA COMTESSE
PETIT-JEAN
6 l. (57 %) 10 répl. 0,6 l.
5 l. (44 %) 9 répl. 0,5 l.
2 sc. 11 l. (2 %) 4,9 pers.
LA COMTESSE
L’INTIMÉ
3 l. (79 %) 3 répl. 0,7 l.
1 l. (22 %) 1 répl. 0,6 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 4,0 pers.
PETIT-JEAN 40 l. (100 %) 1 répl. 39,6 l. 1 sc. 40 l. (6 %) 1,0 pers.
PETIT-JEAN
L’INTIMÉ
25 l. (53 %) 15 répl. 1,6 l.
22 l. (48 %) 14 répl. 1,6 l.
5 sc. 46 l. (7 %) 4,8 pers.
PETIT-JEAN
LE SOUFFLEUR
3 l. (53 %) 10 répl. 0,2 l.
3 l. (48 %) 11 répl. 0,2 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 5,0 pers.

Les Plaideurs

, comédie.

Racine JeanThéâtre Classique

publié par Paul FIEVRE, Mai 2002, revu avril 2014, revu septembre 2015

Comédiemoeurs françaisesTrois actesvers1661-1670750-1000http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k701689Aristophane, Les GuêpesMénandrePlauteTérenceComédie
LES PLAIDEURS
COMÉDIE

M. DC. LXIX. AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

Extrait du Privilège du Roi.

Par grâce et privilège du Roi, donné à Paris le 5ème jour de décembre 1668. Signé, par le Roi en son conseil, COUPEAU, et scellé en cire, une : il est permis à Claude Barbin Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre et débiter, une comédie intitulée Les Plaideurs, durant le temps de cinq années, à commencer du jour qu’elle sera achevée d’imprimer la première fois : Et défenses sont faites à tous les libraires ou imprimeurs, et autres personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre et débiter ladite Comédie, sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine aux contrevenants de trois mille livres d’amende, confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous dépens dommages et intérêts, ainsi que plus au long il est porté par le dit privilège.

Registré sur le livre de la communauté des libraires et Imprimeurs, suivant l’arrêt de la cour de Parlement. Signé, A. SOUBRON, Syndic.

Ledit Barbin a associé audit Privilège Gabriel Quinet, aussi Marchand Libraire, pour en jouir ensemblement, suivant l’accord fait entre eux.

À PARIS, Chez CLAUDE BARBIN, au Palais, sur le Second Perron de la Sainte-Chapelle.

AU LECTEUR.

Quand je lus les Guêpes d’Aristophane, je ne songeais guère que j’en dusse faire les Plaideurs. J’avoue qu’elles me divertirent beaucoup, et que j’y trouvai quantité de plaisanteries qui me tentèrent d’en faire part au public ; mais c’était en les mettant dans la bouche des Italiens, à qui je les avais destinées, comme une chose qui leur appartenait de plein droit. Le juge qui saute par les fenêtres, le chien criminel et les larmes de sa famille me semblaient autant d’incidents dignes de la gravité de Scaramouche. Le départ de cet acteur interrompit mon dessein, et fit naître l’envie à quelques-uns de mes amis de voir sur notre théâtre un échantillon d’Aristophane. Je ne me rendis pas à la première proposition qu’ils m’en firent. Je leur dis que quelque esprit que je trouvasse dans cet auteur, mon inclination ne me porterait pas à le prendre pour modèle si j’avais à faire une comédie, et que j’aimerais beaucoup mieux imiter la régularité de Ménandre et de Térence, que la liberté de Plaute et d’Aristophane. On me répondit que ce n’était pas une comédie qu’on me demandait, et qu’on voulait seulement voir si les bons mots d’Aristophane auraient quelque grâce dans notre langue. Ainsi, moitié en m’encourageant, moitié en mettant eux-mêmes la main à l’oeuvre, mes amis me firent commencer une pièce qui ne tarda guère à être achevée.

Cependant la plupart du monde ne se soucie point de l’intention ni de la diligence des auteurs. On examina d’abord mon amusement comme on aurait fait une tragédie. Ceux mêmes qui s’y étaient le plus divertis eurent peur de n’avoir pas ri dans les règles et trouvèrent mauvais que je n’eusse pas songé plus sérieusement à les faire rire. Quelques autres s’imaginèrent qu’il était bienséant à eux de s’y ennuyer et que les matières de palais ne pouvaient pas être un sujet de divertissement pour les gens de cour. La pièce fut bientôt jouée à Versailles. On ne fit point de scrupule de s’y réjouir ; et ceux qui avaient cru se déshonorer de rire à Paris furent peut-être obligés de rire à Versailles pour se faire honneur.

Ils auraient tort, à la vérité, s’ils me reprochaient d’avoir fatigué leurs oreilles de trop de chicane. C’est une langue qui m’est plus étrangère qu’à personne, et je n’en ai employé que quelques mots barbares que je puis avoir appris dans le cours d’un procès que ni mes juges ni moi n’avons jamais bien entendu.

Si j’appréhende quelque chose, c’est que des personnes un peu sérieuses ne traitent de badineries le procès du chien et les extravagances du juge. Mais enfin je traduis Aristophane, et l’on doit se souvenir qu’il avait affaire à des spectateurs assez difficiles. Les Athéniens savaient apparemment ce que c’était que le sel attique ; et ils étaient bien sûrs, quand ils avaient ri d’une chose, qu’ils n’avaient pas ri d’une sottise.

Pour moi, je trouve qu’Aristophane a eu raison de pousser les choses au-delà du vraisemblable. Les juges de l’Aréopage n’auraient pas peut-être trouvé bon qu’il eût marqué au naturel leur avidité de gagner, les bons tours de leurs secrétaires et les forfanteries de leurs avocats. Il était à propos d’outrer un peu les personnages pour les empêcher de se reconnaître. Le public ne laissait pas de discerner le vrai au travers du ridicule ; et je m’assure qu’il vaut mieux avoir occupé l’impertinente éloquence de deux orateurs autour d’un chien accusé, que si l’on avait mis sur la sellette un véritable criminel et qu’on eût intéressé les spectateurs à la vie d’un homme.

Quoi qu’il en soit, je puis dire que notre siècle n’a pas été de plus mauvaise humeur que le sien, et que si le but de ma comédie était de faire rire, jamais comédie n’a mieux attrapé son but. Ce n’est pas que j’attende un grand honneur d’avoir assez longtemps réjoui le monde ; mais je me sais quelque gré de l’avoir fait sans qu’il m’en ait coûté une seule de ces sales équivoques et de ces malhonnêtes plaisanteries qui coûtent maintenant si peu à la plupart de nos écrivains, et qui font retomber le théâtre dans la turpitude d’où quelques auteurs plus modestes l’avaient tiré.

ACTEURS

  • DANDIN, juge.
  • LÉANDRE, fils de Dandin.
  • CHICANNEAU, bourgeois.
  • ISABELLE, fille de Chicanneau.
  • LA COMTESSE.
  • PETIT-JEAN, portier.
  • L’INTIMÉ, secrétaire.
  • LE SOUFFLEUR.
La scène est dans une ville de Basse-Normandie.

ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE.

PETIT-JEAN, traînant un gros sac de procès.

Ma foi, sur l’avenir, bien fou qui se fiera.
Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Un juge, l’an passé, me prit à son service,
Il m’avait fait venir d’Amiens pour être Suisse.
5 Tous ces Normands voulaient se divertir de nous,
On apprend à hurler, dit l’autre, avec les loups.
Tout Picard que j’étais, j’étais un bon apôtre,
Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre.
Tous les plus gros monsieurs me parlaient chapeau bas.
10 Monsieur de Petit-Jean, ah, gros comme le bras,
Mais sans argent, l’honneur n’est qu’une maladie ;
Ma foi j’étais un franc portier de comédie,
On avait beau heurter et m’ôter son chapeau,
On n’entrait point chez nous sans graisser le marteau.
15 Point d’argent, point de suisse, et ma porte était close.
Il est vrai qu’à Monsieur j’en rendais quelque chose.
Nous comptions quelquefois. On me donnait le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin,
Mais je n’y perdais rien. Enfin vaille que vaille,
20 J’aurais sur le marché fort bien fourni la paille.
C’est dommage. Il avait le coeur trop au métier,
Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier,
Et bien souvent tout seul, si l’on l’eût voulu croire,
Il y serait couché sans manger et sans boire.
25 Je lui disais parfois : « Monsieur Perrin Dandin,
Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin.
Qui veut voyager loin, ménage sa monture ;
Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. »
Il n’en a tenu compte. Il a si bien veillé,
30 Et si bien fait, qu’on dit que son timbre est brouillé.
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres
Où je ne comprends rien. Il veut bon gré, mal gré,
Ne se coucher qu’en robe, et qu’en bonnet carré.
35 Il fit couper la tête à son coq de colère,
Pour l’avoir éveillé plus tard qu’à l’ordinaire :
Il disait qu’un plaideur, dont l’affaire allait mal,
Avait graissé la patte à ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
40 Son fils ne souffre plus qu’on lui parle d’affaire,
Il nous le fait garder, jour et nuit, et de près.
Autrement serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s’échapper de nous, Dieu sait s’il est allègre.
Pour moi, je ne dors plus. Aussi je deviens maigre,
45 C’est pitié. Je m’étends, et ne fais que bâiller.
Mais veille qui voudra, voici mon oreiller,
Ma foi, pour cette nuit, il faut que je m’en donne,
Pour dormir dans la rue on n’offense personne.
Dormons.

SCÈNE II. L’Intimé, Petit-Jean.

L’INTIMÉ.

Ay, Petit-Jean, Petit-Jean.

PETIT-JEAN.

L’Intimé.
50 Il a déjà bien peur de me voir enrhumé.

L’INTIMÉ.

Que diable ! Si matin que fais-tu dans la rue ?

PETIT-JEAN.

Est-ce qu’il faut toujours faire le pied de grue,
Garder toujours un homme, et l’entendre crier ?
Quelle gueule ! Pour moi, je crois qu’il est sorcier.

L’INTIMÉ.

55 Bon.

PETIT-JEAN.

Je lui disais donc en me grattant la tête,
Que je voulais dormir. Présente ta requête
Comme tu veux dormir, m’a-t-il dit gravement.
Je dors en te contant la chose seulement.
Bonsoir.

L’INTIMÉ.

Comment bonsoir ? Que le diable m’emporte
60 Si... Mais j’entends du bruit au dessus de la porte.

SCÈNE III. Dandin, L’intimé, Petit-Jean.

DANDIN, à la fenêtre.

Petit-Jean. L’Intimé.

L’INTIMÉ, à Petit-Jean.

Paix.

DANDIN.

Je suis seul ici.
Voilà mes guichetiers en défaut, Dieu merci.
Si je leur donne temps, ils pourront comparaître.
Çà, pour nous élargir, sautons par la fenêtre.
65 Hors de cour.

L’INTIMÉ.

Comme il saute.

PETIT-JEAN.

Ho, Monsieur, je vous tiens.

DANDIN.

Au voleur, au voleur.

PETIT-JEAN.

Ho, nous vous tenons bien.

L’INTIMÉ.

Vous avez beau crier.

DANDIN.

Main-forte. L’on me tue.

SCÈNE IV. Léandre, Dandin, L’Intimé, Petit-Jean.

LÉANDRE.

Vite, un flambeau. J’entends mon père dans la rue.
Mon père, si matin qui vous fait déloger ?
70 Où courez-vous, la nuit ?

DANDIN.

Je veux aller juger.

LÉANDRE.

Et qui juger ? Tout dort.

PETIT-JEAN.

Ma foi, je ne dors guère.

LÉANDRE.

Que de sacs ! Il en a jusques aux jarretières.

DANDIN.

Je ne veux de trois mois rentrer dans la maison.
De sacs et de procès j’ai fait provision.

LÉANDRE.

75 Et qui vous nourrira ?

DANDIN.

Le buvetier, je pense.

LÉANDRE.

Mais où dormirez-vous, mon père ?

DANDIN.

À l’audience.

LÉANDRE.

Non, mon père, il vaut mieux que vous ne sortiez pas.
Dormez chez vous. Chez vous faites tous vos repas.
Souffrez que la raison enfin vous persuade ;
80 Et pour votre santé...

DANDIN.

Je veux être malade.

LÉANDRE.

Vous ne l’êtes que trop. Donnez-vous du repos.
Vous n’avez tantôt plus que la peau sur les os.

DANDIN.

Du repos ? Ah, sur toi tu veux régler ton père.
Crois-tu qu’un juge n’ait qu’à faire bonne chère,
85 Qu’à battre le pavé comme un tas de galants,
Courir le bal la nuit, et le jour les brelans ?
L’argent ne nous vient pas si vite que l’on pense.
Chacun de tes rubans me coûte une sentence.
Ma robe vous fait honte. Un fils de juge ! Ah, fi.
90 Tu fais le gentilhomme. Hé, Dandin, mon ami,
Regarde dans ma chambre, et dans ma garde-robe,
Les portraits des Dandins. Tous ont porté la robe,
Et c’est le bon parti. Compare prix pour prix
Les étrennes d’un juge, à celles d’un Marquis ;
95 Attends que nous soyons à la fin de décembre.
Qu’est-ce qu’un gentilhomme ? Un pilier d’antichambre.
Combien en as-tu vu, je dis des plus huppés,
À souffler dans leurs doigts dans ma cour occupés,
La manteau sur le nez, ou la main dans la poche,
100 Enfin, pour se chauffer, venir tourner ma broche.
Voilà comme on les traite. Hé, mon pauvre garçon,
De ta défunte mère est-ce là la leçon ?
La pauvre Babonnette ! Hélas, lorsque j’y pense,
Elle ne manquait pas une seule audience,
105 Jamais, au grand jamais, elle ne me quitta,
Et Dieu sait bien souvent ce qu’elle en rapporta ;
Elle eût du buvetier emporté les serviettes,
Plutôt que de rentrer au logis les mains nettes.
Et voilà comme on fait les bonnes maisons. Va,
110 Tu ne seras qu’un sot.

LÉANDRE.

Vous vous morfondez là,
Mon père. Petit-Jean, ramenez votre maître,
Couchez-le dans son lit, fermez porte, fenêtre,
Qu’on barricade tout, afin qu’il ait plus chaud.

PETIT-JEAN.

Faites donc mettre au moins des garde-fous là-haut.

DANDIN.

115 Quoi ! L’on me mènera coucher sans autre forme ?
Obtenez un arrêt comme il faut que je dorme.

LÉANDRE.

Hé, par provision, mon père, couchez-vous.

DANDIN.

J’irai, mais je m’en vais vous faire enrager tous.
Je ne dormirai point.

LÉANDRE.

Hé bien, à la bonne heure.
120 Qu’on ne le quitte pas. Toi, l’Intimé, demeure.

SCÈNE V. Léandre, L’Intimé.

LÉANDRE.

Je veux t’entretenir un moment sans témoin.

L’INTIMÉ.

Quoi, vous faut-il garder ?

LÉANDRE.

J’en aurais bon besoin.
J’ai ma folie, hélas, aussi bien que mon père.

L’INTIMÉ.

Ho ! Vous voulez juger ?

LÉANDRE.

Laissons là le mystère.
125 Tu connais ce logis.

L’INTIMÉ.

Je vous entends enfin ;
Diantre, l’amour vous tient au coeur de bon matin.
Vous me voulez parler sans doute d’Isabelle.
Je vous l’ai dit cent fois, elle est sage, elle est belle ;
Mais vous devez songer que Monsieur Chicanneau,
130 De son bien, en procès consume le plus beau.
À qui n’en veut-il point ? Je crois qu’à l’audience
Il fera, s’il ne meurt, venir toute la France.
Tout auprès de son juge il s’est venu loger.
L’un veut plaider toujours, l’autre toujours juger ;
135 Et c’est un grand hasard s’il conclut votre affaire,
Sans plaider le curé, le gendre, et le notaire.

LÉANDRE.

Je le sais comme toi. Mais malgré tout cela,
Je meurs pour Isabelle.

L’INTIMÉ.

Hé bien, épousez-la.
Vous n’avez qu’à parler, c’est une affaire prête.

LÉANDRE.

140 Hé, cela ne va pas si vite que ta tête.
Son père est un sauvage, à qui je ferais peur.
À moins que d’être huissier, sergent, ou procureur,
On ne voit point sa fille. Et la pauvre Isabelle,
Invisible et dolente, est en prison chez elle,
145 Elle voit dissiper sa jeunesse en regrets,
Mon amour en fumée, et son bien en procès.
Il la ruinera, si l’on le laisse faire.
Ne connaîtrais-tu point quelque honnête faussaire,
Qui servît ses amis, en le payant s’entend,
150 Quelque sergent zélé ?

L’INTIMÉ.

Bon, l’on en trouve tant.

LÉANDRE.

Mais encor.

L’INTIMÉ.

Ah, Monsieur, si feu mon pauvre père
Était encor vivant, c’était bien votre affaire.
Il gagnait en un jour plus qu’un autre en six mois,
Ses rides sur son front gravaient tous ses exploits.
155 Il vous eût arrêté le carrosse d’un Prince.
Il vous l’eût pris lui-même ; et si dans la province
Il se donnait en tout vingt coups de nerfs de boeuf,
Mon père pour sa part en emboursait dix-neuf.
Mais de quoi s’agit-il ? Suis-je pas fils de maître ?
160 Je vous servirai.

LÉANDRE.

Toi ?

L’INTIMÉ.

Mieux qu’un sergent peut-être.

LÉANDRE.

Tu porterais au père un faux exploit ?

L’INTIMÉ.

Quoi donc ?

LÉANDRE.

Tu rendrais à la fille un billet ?

L’INTIMÉ.

Pourquoi non ?
Je suis des deux métiers.

LÉANDRE.

Viens, je l’entends qui crie,
Allons à ce dessein rêver ailleurs.

SCÈNE VI. Chicanneau, Petit-Jean.

CHICANNEAU, allant et revenant.

La Brie !
165 Qu’on garde la maison, je reviendrai bientôt.
Qu’on ne laisse monter aucune âme là-haut,
Fais porter cette lettre à la poste du Maine.
Prends-moi dans mon clapier trois lapins de garenne,
Et chez mon procureur porte-les ce matin.
170 Si son clerc vient céans, fais lui goûter mon vin.
Ah ! Donne-lui ce sac qui pend à ma fenêtre.
Est-ce tout ? Il viendra me demander, peut-être,
Un grand homme sec, là, qui me sert de témoin,
Et qui jure pour moi lorsque j’en ai besoin.
175 Qu’il m’attende. Je crains que mon juge ne sorte,
Quatre heures vont sonner. Mais frappons à sa porte.

PETIT-JEAN, entr’ouvrant la porte.

Qui va là ?

CHICANNEAU.

Peut-on voir Monsieur ?

PETIT-JEAN, refermant la porte.

Non.

CHICANNEAU.

Pourrait-on
Dire un mot à Monsieur son secrétaire ?

PETIT-JEAN.

Non.

CHICANNEAU.

Et Monsieur son portier ?

PETIT-JEAN.

C’est moi-même.

CHICANNEAU.

De grâce,
180 Buvez à ma santé, Monsieur.

PETIT-JEAN.

Grand bien vous fasse.
Mais revenez demain.

CHICANNEAU.

Hé ! Rendez donc l’argent.
Le monde est devenu, sans mentir, bien méchant.
J’ai vu que les procès ne donnaient point de peine,
Six écus en gagnaient une demi-douzaine.
185 Mais aujourd’hui, je crois que tout mon bien entier
Ne me suffirait pas pour gagner un portier.
Mais j’aperçois venir madame la Comtesse
De Pimbesche. Elle vient pour affaire qui presse.

SCÈNE VII. Chicanneau, La Comtesse.

CHICANNEAU.

Madame, on n’entre plus.

LA COMTESSE.

Hé bien, l’ai-je pas dit.
190 Sans mentir, mes valets me font perdre l’esprit.
Pour les faire lever, c’est en vain que je gronde,
Il faut que tous les jours j’éveille tout mon monde.

CHICANNEAU.

Il faut absolument qu’il se fasse celer.

LA COMTESSE.

Pour moi, depuis deux jours, je ne lui puis parler.

CHICANNEAU.

195 Ma partie est puissante, et j’ai lieu de tout craindre.

LA COMTESSE.

Après ce qu’on m’a fait, il ne faut plus se plaindre.

CHICANNEAU.

Si pourtant j’ai bon droit.

LA COMTESSE.

Ah, Monsieur, quel arrêt !

CHICANNEAU.

Je m’en rapporte à vous. Écoutez, s’il vous plaît.

LA COMTESSE.

Il faut que vous sachiez, Monsieur, la perfidie.

CHICANNEAU.

200 Ce n’est rien dans le fond.

LA COMTESSE.

Monsieur, que je vous die...

CHICANNEAU.

Voici le fait. Depuis quinze ou vingt ans en çà,
Au travers d’un mien pré, certain ânon passa,
S’y vautra, non sans faire un notable dommage
Dont, je formai ma plainte au juge du village.
205 Je fais saisir l’ânon. Un expert est nommé.
À deux bottes de foin le dégât estimé :
Enfin au bout d’un an sentence par laquelle
Nous sommes renvoyés hors de cour. J’en appelle.
Pendant qu’à l’audience on poursuit un arrêt,
210 Remarquez bien ceci, Madame, s’il vous plaît,
Notre ami Drolichon, qui n’est pas une bête,
Obtient pour quelque argent, un arrêt sur requête,
Et je gagne ma cause. À cela que fait-on ?
Mon chicaneur s’oppose à l’exécution.
215 Autre incident. Tandis qu’au procès on travaille,
Ma partie en mon pré laisse aller sa volaille,
Ordonné qu’il sera fait rapport à la Cour
Du foin que peut manger une poule en un jour.
Le tout joint au procès enfin, et toute chose
220 Demeurant en état, on appointe la cause.
Le cinquième ou sixième avril cinquante-six,
J’écris sur nouveaux frais. Je produis, je fournis
De dits, de contredits, enquêtes, compulsoires,
Rapports d’experts, transports, trois interlocutoires,
225 Griefs et faits nouveaux, baux, et procès verbaux.
J’obtiens lettres royaux, et je m’inscris en faux.
Quatorze appointements, trente exploits, six instances,
Six-vingt productions, vingt arrêts de défenses,
Arrêt enfin. Je perds ma cause avec dépens,
230 Estimés environ cinq à six mille francs.
Est-ce là faire droit ? Est-ce là comme on juge ?
Après quinze ou vingt ans ? Il me reste un refuge,
La requête civile est ouverte pour moi,
Je ne suis pas rendu. Mais vous, comme je vois,
235 Vous plaidez.

LA COMTESSE.

Plût à Dieu.

CHICANNEAU.

J’y brûlerai mes livres.

LA COMTESSE.

Je...

CHICANNEAU.

Deux bottes de foin cinq à six mille livres !

LA COMTESSE.

Monsieur, tous mes procès allaient être finis.
Il ne m’en restait plus que quatre ou cinq petits.
L’un contre mon mari, l’autre contre mon père,
240 Et contre mes enfants. Ah, Monsieur, la misère !
Je ne sais quel biais ils ont imaginé,
Ni tout ce qu’ils ont fait. Mais on leur a donné
Un arrêt, par lequel moi vêtue et nourrie,
On me défend, Monsieur, de plaider de ma vie.

CHICANNEAU.

245 De plaider !

LA COMTESSE.

De plaider.

CHICANNEAU.

Certes, le trait est noir,
J’en suis surpris.

LA COMTESSE.

Monsieur, j’en suis au désespoir.

CHICANNEAU.

Comment ! Lier les mains aux gens de votre sorte ?
Mais cette pension, Madame, est-elle forte ?

LA COMTESSE.

Je n’en vivrais, Monsieur, que trop honnêtement.
250 Mais vivre sans plaider, est-ce contentement ?

CHICANNEAU.

Des chicaneurs viendront nous manger jusqu’à l’âme,
Et nous ne dirons mot ? Mais s’il vous plaît, Madame,
Depuis quand plaidez-vous ?

LA COMTESSE.

Il ne m’en souvient pas,
Depuis trente ans au plus.

CHICANNEAU.

Ce n’est pas trop.

LA COMTESSE.

255 Hélas !

CHICANNEAU.

Et quel âge avez-vous ? Vous avez bon visage.

LA COMTESSE.

Hé, quelque soixante ans.

CHICANNEAU.

Comment ! C’est le bel âge
Pour plaider.

LA COMTESSE.

Laissez faire, ils ne sont pas au bout.
J’y vendrai ma chemise, et je veux rien, ou tout.

CHICANNEAU.

Madame, écoutez-moi. Voici ce qu’il faut faire.

LA COMTESSE.

260 Oui Monsieur, je vous crois comme mon propre père.

CHICANNEAU.

J’irais trouver mon juge.

LA COMTESSE.

Oh, oui, Monsieur, j’irai.

CHICANNEAU.

Me jeter à ses pieds.

LA COMTESSE.

Oui, je m’y jetterai.
Je l’ai bien résolu.

CHICANNEAU.

Mais daignez donc m’entendre.

LA COMTESSE.

Oui, vous prenez la chose, ainsi qu’il la faut prendre.

CHICANNEAU.

265 Avez-vous dit, Madame ?

LA COMTESSE.

Oui, Monsieur.

CHICANNEAU.

J’irais donc
Trouver mon juge.

LA COMTESSE.

Hélas, que ce Monsieur est bon !

CHICANNEAU.

Si vous parlez toujours, il faut que je me taise.

LA COMTESSE.

Ah que vous m’obligez ! je ne me sens pas d’aise.

CHICANNEAU.

J’irais trouver mon juge, et lui dirais...

LA COMTESSE.

Oui.

CHICANNEAU.

Vois.
270 Et lui dirais, Monsieur...

LA COMTESSE.

Oui, Monsieur.

CHICANNEAU.

Liez-moi...

LA COMTESSE.

Monsieur, je ne veux point être liée.

CHICANNEAU.

À l’autre !

LA COMTESSE.

Je ne la serai point.

CHICANNEAU.

Quelle humeur est la vôtre !

LA COMTESSE.

Non.

CHICANNEAU.

Vous ne savez pas, Madame, où je viendrai.

LA COMTESSE.

Je plaiderai, Monsieur, ou bien je ne pourrai.

CHICANNEAU.

275 Mais...

LA COMTESSE.

Mais je ne veux point, Monsieur que l’on me lie.

CHICANNEAU.

Enfin quand une femme en tête a sa folie...

LA COMTESSE.

Fou, vous-même.

CHICANNEAU.

Madame !

LA COMTESSE.

Et pourquoi me lier ?

CHICANNEAU.

Madame...

LA COMTESSE.

Voyez-vous, il se rend familier.

CHICANNEAU.

Mais, Madame...

LA COMTESSE.

Un crasseux qui n’a que sa chicane,
280 Veut donner des avis.

CHICANNEAU.

Madame !

LA COMTESSE.

Avec son âne !

CHICANNEAU.

Vous me poussez.

LA COMTESSE.

Bonhomme, allez garder vos foins.

CHICANNEAU.

Vous m’excédez.

LA COMTESSE.

Le sot !

CHICANNEAU.

Que n’ai-je des témoins !

SCÈNE VIII. Petit-Jean, La Comtesse, Chicanneau.

PETIT-JEAN.

Voyez le beau sabbat qu’ils font à notre porte.
Messieurs, allez plus loin tempêter de la sorte.

CHICANNEAU.

285 Monsieur, soyez témoin...

LA COMTESSE.

Que monsieur est un sot.

CHICANNEAU.

Monsieur, vous l’entendez, retenez bien ce mot.

PETIT-JEAN.

Ah, vous ne deviez pas lâcher cette parole.

LA COMTESSE.

Vraiment c’est bien à lui de me traiter de folle.

PETIT-JEAN.

Folle ? Vous avez tort. Pourquoi l’injurier ?

CHICANNEAU.

290 On la conseille.

PETIT-JEAN.

Oh.

LA COMTESSE.

Oui, de me faire lier.

PETIT-JEAN.

Oh, Monsieur.

CHICANNEAU.

Jusqu’au bout que ne m’écoute-t-elle ?

PETIT-JEAN.

Oh, Madame.

LA COMTESSE.

Qui moi, souffrir qu’on me querelle ?

CHICANNEAU.

Une crieuse !

PETIT-JEAN.

Hé paix.

LA COMTESSE.

Un chicaneur.

PETIT-JEAN.

Holà !

CHICANNEAU.

Qui n’ose plus plaider !

LA COMTESSE.

Que t’importe cela ?
295 Qu’est-ce qui t’en revient, faussaire abominable ?
Brouillon, voleur.

CHICANNEAU.

Et bon, et bon, de par le diable,
Un sergent, un sergent !

LA COMTESSE.

Un huissier, un huissier !

PETIT-JEAN.

Ma foi, juge, et plaideurs, il faudrait tout lier.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE. Léandre, L’Intimé.

L’INTIMÉ.

Monsieur encore un coup, je ne puis pas tout faire,
300 Puisque je fais l’huissier, faites le commissaire,
En robe sur mes pas il ne faut que venir,
Vous aurez tout moyen de vous entretenir.
Changez en cheveux noirs votre perruque blonde.
Ces plaideurs songent-ils que vous soyez au monde ?
305 Hé ! Lorsqu’à votre père ils vont faire leur cour,
À peine seulement savez-vous s’il est jour.
Mais n’admirez-vous pas cette bonne Comtesse
Qu’avec tant de bonheur la fortune m’adresse,
Qui dès qu’elle me voit donnant dans le panneau,
310 Me charge d’un exploit pour Monsieur Chicanneau,
Et le fait assigner pour certaine parole,
Disant qu’il la voudrait faire passer pour folle,
Je dis folle à lier, et pour d’autres excès
Et blasphèmes, toujours l’ornement des procès ?
315 Mais vous ne dites rien de tout mon équipage ?
Ai-je bien d’un sergent le port et le visage ?

LÉANDRE.

Ah fort bien.

L’INTIMÉ.

Je ne sais. Mais je me sens enfin
L’âme et le dos six fois plus durs que ce matin.
Quoi qu’il en soit, voici l’exploit, et votre lettre.
320 Isabelle l’aura, j’ose vous le promettre.
Mais pour faire signer le contrat que voici,
Il faut que sur mes pas vous vous rendiez ici.
Vous feindrez d’informer sur toute cette affaire,
Et vous ferez l’amour en présence du père.

LÉANDRE.

325 Mais ne va pas donner l’exploit pour le billet.

L’INTIMÉ.

Le père aura l’exploit, la fille le poulet.
Rentrez.

SCÈNE II. L’Intimé, Isabelle.

ISABELLE.

Qui frappe ?

L’INTIMÉ.

Ami. C’est la voix d’Isabelle.

ISABELLE.

Demandez-vous quelqu’un, Monsieur ?

L’INTIMÉ.

Mademoiselle,
C’est un petit exploit, que j’ose vous prier
330 De m’accorder l’honneur de vous signifier.

ISABELLE.

Monsieur, excusez-moi, je n’y puis rien comprendre.
Mon père va venir, qui pourra vous entendre.

L’INTIMÉ.

Il n’est donc pas ici, Mademoiselle ?

ISABELLE.

Non.

L’INTIMÉ.

L’exploit, Mademoiselle, est mis sous votre nom.

ISABELLE.

335 Monsieur, vous me prenez pour une autre sans doute ;
Sans avoir de procès, je sais ce qu’il en coûte ;
Et si l’on n’aimait pas à plaider plus que moi,
Vos pareils pourraient bien chercher un autre emploi.
Adieu.

L’INTIMÉ.

Mais permettez...

ISABELLE.

Je ne veux rien permettre.

L’INTIMÉ.

340 Ce n’est pas un exploit.

ISABELLE.

Chanson.

L’INTIMÉ.

C’est une lettre.

ISABELLE.

Encor moins.

L’INTIMÉ.

Mais lisez.

ISABELLE.

Vous ne m’y tenez pas.

L’INTIMÉ.

C’est de Monsieur...

ISABELLE.

Adieu.

L’INTIMÉ.

Léandre.

ISABELLE.

Parlez bas.
C’est de Monsieur ?

L’INTIMÉ.

Que diable, on a bien de la peine
À se faire écouter, je suis tout hors d’haleine.

ISABELLE.

345 Ah, l’Intimé, pardonne à mes sens étonnés.
Donne.

L’INTIMÉ.

Vous me deviez fermer la porte au nez.

ISABELLE.

Et qui t’aurait connu déguisé de la sorte ?
Mais donne.

L’INTIMÉ.

Aux gens de bien ouvre-t-on votre porte ?

ISABELLE.

Hé, donne donc !

L’INTIMÉ.

La peste...

ISABELLE.

Oh, ne donnez donc pas.
350 Avec votre billet, retournez sur vos pas.

L’INTIMÉ.

Tenez. Une autre fois ne soyez pas si prompte.

SCÈNE III. Chicanneau, Isabelle, L’Intimé.

CHICANNEAU.

Oui ? Je suis donc un sot, un voleur, à son compte ?
Un sergent s’est chargé de la remercier,
Et je lui vais servir un plat de mon métier.
355 Je serais bien fâché que ce fût à refaire,
Ni qu’elle m’envoyât assigner la première.
Mais un homme ici parle à ma fille. Comment ?
Elle lit un billet ? Ah, c’est de quelque amant !
Approchons.

ISABELLE.

Tout de bon, ton maître est-il sincère ?
360 Le croirai-je ?

L’INTIMÉ.

Il ne dort non plus que votre père,
Il se tourmente. Il vous...
Apercevant Chicanneau.
fera voir aujourd’hui
Que l’on ne gagne rien à plaider contre lui.

ISABELLE.

C’est mon père. Vraiment, vous leur pouvez apprendre,
Que si l’on nous poursuit, nous saurons nous défendre.
365 Tenez, voilà le cas qu’on fait de votre exploit.

CHICANNEAU.

Comment ! C’est un exploit que ma fille lisait ?
Ah, tu seras un jour l’honneur de ta famille.
Tu défendras ton bien. Viens, mon sang, viens, ma fille.
Va, je t’achèterai "Le Praticien Français".
370 Mais, diantre, il ne faut pas déchirer les exploits.

ISABELLE.

Au moins dites-leur bien que je ne les crains guère,
Ils me feront plaisir, je les mets à pis faire.

CHICANNEAU.

Hé ! Ne te fâche point.

ISABELLE.

Adieu, Monsieur.

SCÈNE IV. Chicanneau, L’Intimé.

L’INTIMÉ.

Or ça,
Verbalisons.

CHICANNEAU.

Monsieur, de grâce, excusez-la.
375 Elle n’est pas instruite. Et puis, si bon vous semble,
En voici les morceaux que je vais mettre ensemble.

L’INTIMÉ.

Non.

CHICANNEAU.

Je le lirai bien.

L’INTIMÉ.

Je ne suis pas méchant,
J’en ai sur moi copie.

CHICANNEAU.

Ah ! Le trait est touchant.
Mais je ne sais pourquoi, plus je vous envisage,
380 Et moins je me remets, Monsieur, votre visage.
Je connais force huissiers.

L’INTIMÉ.

Informez-vous de moi,
Je m’acquitte assez bien de mon petit emploi.

CHICANNEAU.

Soit. Pour qui venez-vous ?

L’INTIMÉ.

Pour une brave dame,
Monsieur, qui vous honore, et de toute son âme
385 Voudrait que vous vinssiez à ma sommation
Lui faire un petit mot de réparation.

CHICANNEAU.

De réparation ? Je n’ai blessé personne.

L’INTIMÉ.

Je le crois, vous avez, Monsieur, l’âme trop bonne.

CHICANNEAU.

Que demandez-vous donc ?

L’INTIMÉ.

Elle voudrait, Monsieur,
390 Que devant des témoins vous lui fissiez l’honneur
De l’avouer pour sage, et point extravagante.

CHICANNEAU.

Parbleu, c’est ma Comtesse.

L’INTIMÉ.

Elle est votre servante.

CHICANNEAU.

Je suis son serviteur.

L’INTIMÉ.

Vous êtes obligeant,
Monsieur.

CHICANNEAU.

Oui, vous pouvez l’assurer qu’un sergent
395 Lui doit porter pour moi tout ce qu’elle demande.
Hé quoi donc ? Les battus, ma foi, paieront l’amende.
Voyons ce qu’elle chante. Hon... « Sixième janvier.
Pour avoir faussement dit, qu’il fallait lier,
Étant à ce porté par esprit de chicane,
400 Haute et puissante dame Yolande Cudasne,
Comtesse de Pimbesche, Orbesche, et caetera.
Il soit dit que sur l’heure il se transportera
Au logis de la dame, et là d’une voix claire,
Devant quatre témoins assistés d’un notaire, »
405 Zeste ! « ledit Hiérome avouera hautement
Qu’il la tient pour sensée, et de bon jugement.
Le Bon. » C’est donc le nom de votre Seigneurie ?

L’INTIMÉ.

Pour vous servir. Il faut payer d’effronterie.

CHICANNEAU.

Le Bon ? Jamais exploit ne fut signé le Bon.
410 Monsieur le Bon.

L’INTIMÉ.

Monsieur.

CHICANNEAU.

Vous êtes un fripon.

L’INTIMÉ.

Monsieur, pardonnez-moi, je suis fort honnête homme.

CHICANNEAU.

Mais fripon le plus franc qui soit de Caen à Rome.

L’INTIMÉ.

Monsieur, je ne suis pas pour vous désavouer.
Vous aurez la bonté de me le bien payer.

CHICANNEAU.

415 Moi payer ? En soufflets.

L’INTIMÉ.

Vous êtes trop honnête.
Vous me le paierez bien.

CHICANNEAU.

Oh, tu me romps la tête,
Tiens, voilà ton paiement.

L’INTIMÉ.

Un soufflet ! Écrivons.
« Lequel Hiérome après plusieurs rébellions,
Aurait atteint, frappé moi sergent, à la joue,
420 Et fait tomber d’un coup, mon chapeau dans la boue. »

CHICANNEAU.

Ajoute cela.

L’INTIMÉ.

Bon, c’est de l’argent comptant,
J’en avais bien besoin. « Et de ce non content,
Aurait avec le pied réitéré. » Courage .
« Outre plus, le susdit serait venu de rage,
425 Pour lacérer ledit présent procès-verbal. »
Allons, mon cher Monsieur, cela ne va pas mal.
Ne vous relâchez point.

CHICANNEAU.

Coquin.

L’INTIMÉ.

Ne vous déplaise,
Quelques coups de bâton, et je suis à mon aise.

CHICANNEAU.

Oui-dà. Je verrai bien s’il est sergent.

L’INTIMÉ, en posture d’écrire.

Tôt donc,
430 Frappez. J’ai quatre enfants à nourrir.

CHICANNEAU.

Ah, pardon.
Monsieur, pour un sergent je ne pouvais vous prendre,
Mais le plus habile homme enfin peut se méprendre.
Je saurai réparer ce soupçon outrageant.
Oui, vous êtes sergent, Monsieur, et très sergent.
435 Touchez là. Vos pareils sont gens que je révère,
Et j’ai toujours été nourri par feu mon père,
Dans le crainte de Dieu, Monsieur, et des sergents.

L’INTIMÉ.

Non, à si bon marché l’on ne bat point les gens.

CHICANNEAU.

Monsieur, point de procès !

L’INTIMÉ.

Serviteur. Contumace,
440 Bâton levé, soufflet, coup de pied. Ah !

CHICANNEAU.

De grâce,
Rendez-les moi plutôt.

L’INTIMÉ.

Suffit qu’ils soient reçus,
Je ne les voudrais pas donner pour mille écus.

SCÈNE V. Léandre, Chicanneau, L’Intimé.

L’INTIMÉ.

Voici fort à propos Monsieur le Commissaire.
Monsieur, votre présence est ici nécessaire.
445 Tel que vous me voyez, Monsieur ici présent
M’a d’un fort grand soufflet fait un petit présent.

LÉANDRE.

À vous, Monsieur ?

L’INTIMÉ.

À moi, parlant à ma personne.
« Item », un coup de pied ; plus, les noms qu’il me donne.

LÉANDRE.

Avez-vous des témoins ?

L’INTIMÉ.

Monsieur, tâtez plutôt,
450 Le soufflet sur ma joue est encore tout chaud.

LÉANDRE.

Pris en flagrant délit. Affaire criminelle.

CHICANNEAU.

Foin de moi !

L’INTIMÉ.

Plus, sa fille, au moins soi-disant telle,
A mis un mien papier en morceaux, protestant
Qu’on lui ferait plaisir, et que d’un oeil content,
455 Elle nous défiait.

LÉANDRE.

Faites venir la fille.
L’esprit de contumace est dans cette famille.

CHICANNEAU.

Il faut absolument qu’on m’ait ensorcelé.
Si j’en connais pas un, je veux être étranglé.

LÉANDRE.

Comment, battre un huissier ? Mais voici la rebelle.

SCÈNE VI. Léandre, Isabelle, Chicanneau, L’Intimé.

L’INTIMÉ, à Isabelle.

460 Vous le reconnaissez.

LÉANDRE.

Hé bien, Mademoiselle,
C’est donc vous qui tantôt braviez notre officier,
Et qui si hautement osez nous défier ?
Votre nom ?

ISABELLE.

Isabelle.

LÉANDRE, à l’Intimé.

Écrivez. Et votre âge ?

ISABELLE.

Dix-huit ans.

CHICANNEAU.

Elle en a quelque peu davantage,
465 Mais n’importe.

LÉANDRE.

Êtes-vous en pouvoir de mari ?

ISABELLE.

Non, Monsieur.

LÉANDRE.

Vous riez ? Écrivez qu’elle a ri.

CHICANNEAU.

Monsieur, ne parlons point de maris à des filles ;
Voyez-vous, ce sont là des secrets de familles.

LÉANDRE.

Mettez qu’il interrompt.

CHICANNEAU.

Hé je n’y pensais pas,
470 Prends bien garde, ma fille, à ce que tu diras.

LÉANDRE.

Là, ne vous troublez point. Répondez à votre aise,
On ne veut pas rien faire ici qui vous déplaise.
N’avez-vous pas reçu de l’huissier que voilà
Certain papier tantôt ?

ISABELLE.

Oui, Monsieur.

CHICANNEAU.

Bon cela.

LÉANDRE.

475 Avez-vous déchiré ce papier sans le lire ?

ISABELLE.

Monsieur, je l’ai lu.

CHICANNEAU.

Bon.

LÉANDRE.

Continuez d’écrire.
Et pourquoi l’avez-vous déchiré ?

ISABELLE.

J’avais peur
Que mon père ne prît l’affaire trop à coeur,
Et qu’il ne s’échauffât le sang à sa lecture.

CHICANNEAU.

480 Et tu fuis les procès ? C’est méchanceté pure.

LÉANDRE.

Vous ne l’avez donc pas déchiré par dépit,
Ou par mépris de ceux qui vous l’avaient écrit ?

ISABELLE.

Monsieur, je n’ai pour eux ni mépris, ni colère.

LÉANDRE.

Écrivez.

CHICANNEAU.

Je vous dis qu’elle tient de son père
485 Elle répond fort bien.

LÉANDRE.

Vous montrez cependant
Pour tous les gens de robe un mépris évident.

ISABELLE.

Une robe toujours m’avait choqué la vue ;
Mais cette aversion à présent diminue.

CHICANNEAU.

La pauvre enfant ! Va, va, je te marierai bien,
490 Dès que je le pourrai, s’il ne m’en coûte rien.

LÉANDRE.

À la justice donc vous voulez satisfaire ?

ISABELLE.

Monsieur, je ferai tout, pour ne vous pas déplaire.

L’INTIMÉ.

Monsieur, faites signer.

LÉANDRE.

Dans les occasions
Soutiendrez-vous aux moins vos dépositions ?

ISABELLE.

495 Monsieur, assurez-vous qu’Isabelle est constante.

LÉANDRE.

Signez. Cela va bien, la justice est contente.
Ça, ne signez-vous pas, Monsieur ?

CHICANNEAU.

Oui-dà, gaiement,
À tout ce qu’elle a dit, je signe aveuglément.

LÉANDRE, à Isabelle.

Tout va bien. À mes voeux le succès est conforme,
500 Il signe un bon contrat écrit en bonne forme,
Et sera condamné tantôt sur son écrit.

CHICANNEAU.

Que lui dit-il ? Il est charmé de son esprit.

LÉANDRE.

Adieu. Soyez toujours aussi sage que belle,
Tout ira bien. Huissier, ramenez-la chez elle.
505 Et vous, Monsieur, marchez.

CHICANNEAU.

Où Monsieur ?

LÉANDRE.

Suivez-moi.

CHICANNEAU.

Où donc ?

LÉANDRE.

Vous le saurez. Marchez, de par le roi.

CHICANNEAU.

Comment ?

SCÈNE VII. Petit-Jean, Léandre, Chicanneau.

PETIT-JEAN.

Holà, quelqu’un n’a-t-il point vu mon maître ?
Quel chemin a-t-il pris, la porte ou la fenêtre ?

LÉANDRE.

À l’autre !

PETIT-JEAN.

Je ne sais qu’est devenu son fils.
510 Et pour le père, il est où le diable l’a mis.
Il me redemandait sans cesse ses épices,
Et j’ai tout bonnement couru dans les offices
Chercher la boîte au poivre. Et lui pendant cela
Est disparu.

SCÈNE VIII. Dandin, Léandre, Chicanneau, L’Intimé, Petit-Jean.

DANDIN.

Paix, paix, que l’on se taise là.

LÉANDRE.

515 Hé grand Dieu.

PETIT-JEAN.

Le voilà, ma foi, dans les gouttières.

DANDIN.

Quelles gens êtes-vous ? Quelles sont vos affaires ?
Qui sont ces gens en robe ? Êtes-vous avocats ?
Çà, parlez.

PETIT-JEAN.

Vous verrez qu’il va juger les chats.

DANDIN.

Avez-vous eu le soin de voir mon secrétaire ?
520 Allez-lui demander si je sais votre affaire ?

LÉANDRE.

Il faut bien que je l’aille arracher de ces lieux.
Sur votre prisonnier, huissier, ayez les yeux.

PETIT-JEAN.

Ho, ho, Monsieur.

LÉANDRE.

Tais-toi sur les yeux de ta tête ;
Et suis-moi.

SCÈNE IX. Dandin, Chicanneau, La Comtesse, L’Intimé.

DANDIN.

Dépêchez. Donnez votre requête.

CHICANNEAU.

525 Monsieur, sans votre aveu, l’on me fait prisonnier.

LA COMTESSE.

Hé mon Dieu, j’aperçois Monsieur dans son grenier.
Que fait-il là ?

L’INTIMÉ.

Madame, il y donne audience,
Le champ vous est ouvert.

CHICANNEAU.

On me fait violence,
Monsieur, on m’injurie, et je venais ici
530 Me plaindre à vous.

LA COMTESSE.

Monsieur, je viens me plaindre aussi.

CHICANNEAU, LA COMTESSE.

Vous voyez devant vous mon adverse partie.

L’INTIMÉ.

Parbleu, je me veux mettre aussi de la partie.

CHICANNEAU, LA COMTESSE et L’INTIMÉ.

Monsieur je viens ici pour un petit exploit.

CHICANNEAU.

Hé, Messieurs, tour à tour, exposons notre droit.

LA COMTESSE.

535 Son droit ? Tout ce qu’il dit sont autant d’impostures.

DANDIN.

Qu’est-ce qu’on vous a fait ?

CHICANNEAU, L’INTIMÉ et LA COMTESSE.

On m’a dit des injures.

L’INTIMÉ, continuant.

Outre un soufflet, Monsieur, que j’ai reçu plus qu’eux.

CHICANNEAU.

Monsieur, je suis cousin de l’un de vos neveux.

LA COMTESSE.

Monsieur, père Cordon vous dira mon affaire.

L’INTIMÉ.

540 Monsieur, je suis bâtard de votre apothicaire.

DANDIN.

Vos qualités ?

LA COMTESSE.

Je suis Comtesse.

L’INTIMÉ.

Huissier.

CHICANNEAU.

Bourgeois.
Messieurs...

DANDIN.

Parlez toujours, je vous entends tous trois.

CHICANNEAU.

Monsieur...

L’INTIMÉ.

Bon, le voilà qui fausse compagnie.

LA COMTESSE.

Hélas !

CHICANNEAU.

Hé quoi ! Déjà l’audience est finie ;
545 Je n’ai pas eu le temps de lui dire deux mots.

SCÈNE X. Chicanneau, Léandre sans robe, etc.

LÉANDRE.

Messieurs voulez-vous bien nous laisser en repos ?

CHICANNEAU.

Monsieur, peut-on entrer ?

LÉANDRE.

Non, Monsieur, ou je meure.

CHICANNEAU.

Hé pourquoi ? J’aurai fait en une petite heure,
En deux heures, au plus.

LÉANDRE.

On n’entre point, Monsieur.

LA COMTESSE.

550 C’est bien fait, de fermer la porte à ce crieur.
Mais moi...

LÉANDRE.

L’on n’entre point, Madame, je vous jure.

LA COMTESSE.

Ho, Monsieur, j’entrerai.

LÉANDRE.

Peut-être.

LA COMTESSE.

J’en suis sûre.

LÉANDRE.

Par la fenêtre donc.

LA COMTESSE.

Par la porte.

LÉANDRE.

Il faut voir.

CHICANNEAU.

Quand je devrais ici demeurer jusqu’au soir.

SCÈNE XI. Petit-Jean, Léandre, Chicanneau, etc.

PETIT-JEAN, à Léandre.

555 On ne l’entendra pas, quelque chose qu’il fasse.
Parbleu, je l’ai fourré dans notre salle basse,
Tout auprès de la cave.

LÉANDRE.

En un mot, comme en cent,
On ne voit point mon père.

CHICANNEAU.

Hé bien donc. Si pourtant
Sur toute cette affaire il faut que je le voie.
Dandin paraît par le soupirail.
560 Mais que vois-je ? Ah, c’est lui que le ciel nous renvoie.

LÉANDRE.

Quoi par le soupirail ?

PETIT-JEAN.

Il a le diable au corps.

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

L’impertinent, sans lui j’étais dehors.

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

Retirez-vous, vous êtes une bête.

CHICANNEAU.

Monsieur, voulez-vous bien...

DANDIN.

Vous me rompez la tête.

CHICANNEAU.

565 Monsieur, j’ai commandé...

DANDIN.

Taisez-vous, vous dit-on.

CHICANNEAU.

Que l’on portât chez vous...

DANDIN.

Qu’on le mène en prison.

CHICANNEAU.

Certain quartaut de vin.

DANDIN.

Hé je n’en ai que faire.

CHICANNEAU.

C’est de très bon muscat.

DANDIN.

Redites votre affaire.

LÉANDRE, à l’Intimé.

Il faut les entourer ici de tous côtés.

LA COMTESSE.

570 Monsieur, il vous va dire autant de faussetés.

CHICANNEAU.

Monsieur, je vous dis vrai.

DANDIN.

Mon Dieu, laissez-la dire.

LA COMTESSE.

Monsieur, écoutez-moi.

DANDIN.

Souffrez que je respire.

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

Vous m’étranglez.

LA COMTESSE.

Tournez les yeux vers moi.

DANDIN.

Elle m’étrangle. Ay. ay.

CHICANNEAU.

Vous m’entraînez, ma foi.
575 Prenez garde, je tombe.

PETIT-JEAN.

Ils sont sur ma parole,
L’un et l’autre encavés.

LÉANDRE.

Vite, que l’on y vole,
Courez à leur secours. Mais au moins je prétends
Que Monsieur Chicanneau, puisqu’il est là-dedans,
N’en sorte d’aujourd’hui. L’Intimé, prends-y garde.

L’INTIMÉ.

580 Gardez le soupirail.

LÉANDRE.

Va vite, je le garde.

SCÈNE XII. La Comtesse, Léandre.

LA COMTESSE.

Misérable ! Il s’en va lui prévenir l’esprit.
Par le soupirail.
Monsieur, ne croyez rien de tout ce qu’il vous dit.
Il n’a point de témoins. C’est un menteur.

LÉANDRE.

Madame,
Que leur contez-vous là ? Peut-être ils rendent l’âme.

LA COMTESSE.

585 Il lui fera, Monsieur, croire ce qu’il voudra.
Souffrez que j’entre.

LÉANDRE.

Oh non, personne n’entrera.

LA COMTESSE.

Je le vois bien, Monsieur, le vin muscat opère
Aussi bien sur le fils que sur l’esprit du père.
Patience. Je vais protester comme il faut,
590 Contre Monsieur le juge, et contre le quartaut.

LÉANDRE.

Allez donc, et cessez de nous rompre la tête.
Que de fous ! Je ne fus jamais à telle fête.

SCÈNE XIII. Dandin, L’Intimé, Léandre.

L’INTIMÉ.

Monsieur, où courez-vous ? C’est vous mettre en danger,
Et vous boitez tout bas.

DANDIN.

Je veux aller juger.

LÉANDRE.

595 Comment, mon père, allons, permettez qu’on vous panse.
Vite, un chirurgien.

DANDIN.

Qu’il vienne à l’audience.

LÉANDRE.

Hé, mon père, arrêtez...

DANDIN.

Ho ! Je vois ce que c’est,
Tu prétends faire ici de moi ce qui te plaît.
Tu ne gardes pour moi respect ni complaisance.
600 Je ne puis prononcer une seule sentence.
Achève, prends ce sac, prends vite.

LÉANDRE.

Hé doucement,
Mon père. Il faut trouver quelque accommodement.
Si pour vous, sans juger, la vie est un supplice,
Si vous êtes pressé de rendre la justice,
605 Il ne faut point sortir pour cela de chez vous,
Exercez le talent, et jugez parmi nous.

DANDIN.

Ne raillons point ici de la magistrature.
Vois-tu. Je ne veux point être un juge en peinture.

LÉANDRE.

Vous serez, au contraire un juge sans appel,
610 Et juge du civil comme du criminel.
Vous pourrez tous les jours tenir deux audiences,
Tout vous sera chez vous matière de sentences.
Un valet manque-t-il de rendre un verre net ?
Condamnez-le à l’amende, ou s’il le casse, au fouet.

DANDIN.

615 C’est quelque chose. Encor passe quand on raisonne.
Et mes vacations, qui les paiera ? Personne.

LÉANDRE.

Leurs gages vous tiendront lieu de nantissement.

DANDIN.

Il parle, ce me semble, assez pertinemment.

LÉANDRE.

Contre un de vos voisins...

SCÈNE XIV. Dandin, Léandre, L’Intimé, Petit-Jean.

PETIT-JEAN.

Arrête, arrête, attrape.

LÉANDRE.

620 Ah, C’est mon prisonnier sans doute qui s’échappe.

L’INTIMÉ.

Non, non, ne craignez rien.

PETIT-JEAN.

Tout est perdu... Citron...
Votre chien... vient là-bas de manger un chapon,
Rien n’est sûr devant lui. Ce qu’il trouve, il l’emporte.

LÉANDRE.

Bon, voilà pour mon père une cause. Main forte.
625 Qu’on se mette après lui. Courez tous.

DANDIN.

Point de bruit,
Tout doux. Un amené sans scandale suffit.

LÉANDRE.

Çà, mon père, il faut faire un exemple authentique.
Jugez sévèrement ce voleur domestique.

DANDIN.

Mais je veux faire au moins la chose avec éclat ;
630 Il faut de part et d’autre avoir un avocat.
Nous n’en avons pas un.

LÉANDRE.

Hé bien, il en faut faire,
Voilà votre portier, et votre secrétaire,
Vous en ferez, je crois, d’excellents avocats,
Ils sont fort ignorants.

L’INTIMÉ.

Non pas, Monsieur, non pas.
635 J’endormirai Monsieur tout aussi bien qu’un autre.

PETIT-JEAN.

Pour moi, je ne sais rien, n’attendez rien du nôtre.

LÉANDRE.

C’est ta première cause, et l’on te la fera.

PETIT-JEAN.

Mais je ne sais pas lire.

LÉANDRE.

Hé l’on te soufflera.

PETIT-JEAN.

Je vous entends. Oui, mais d’une première cause,
640 Monsieur, à l’avocat revient-il quelque chose ?

LÉANDRE.

Ah fi. Garde toi bien d’en vouloir rien toucher.
C’est la cause d’honneur, on l’achète bien cher,
On ferme des billets par toute le famille ;
Et le petit garçon, et la petite fille,
645 Oncle, tante, cousins, tout vient, jusqu’au chat
Dormir au plaidoyer de Monsieur l’avocat.

DANDIN.

Allons nous préparer. Çà, Messieurs point d’intrigue.
Fermons l’oeil aux présents, et l’oreille à la brigue.
Vous, Maître Petit-Jean, serez le demandeur.
650 Vous, Maître l’Intimé, soyez le défendeur.

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE. Chicanneau, Léandre, Le Souffleur.

CHICANNEAU.

Oui, Monsieur, c’est ainsi qu’il ont conduit l’affaire.
L’huissier m’est inconnu, comme le commissaire.
Je ne mens pas d’un mot.

LÉANDRE.

Oui, je crois tout cela;
Mais si vous m’en croyez, vous les laisserez là.
655 En vain vous prétendez les pousser l’un et l’autre,
Vous troublerez bien moins leur repos que le vôtre.
Les trois quarts de vos biens sont déjà dépensés
À faire enfler des sacs l’un sur l’autre entassés,
Et dans une poursuite à vous-même funeste,
660 Vous en voulez encore absorber tout le reste.
Ne vaudrait-il pas mieux, sans soucis, sans chagrins
Et de vos revenus régalant vos voisins,
Vivre en père jaloux du bine de sa famille,
Pour en laisser un jour le fonds à votre fille ;
665 Que de nourrir un tas d’officiers afamés,
Qui moissonnent les champs que vous avez semés
Dont la main toujours pleine, et toujours indigente
S’engraisse impunément de vos chapons de rente
Le beau plaisir d’aller tout mourant de sommeil,
670 À la porte d’un juge, attendre son réveil,
Et d’essuyer le vent qui vous souffle vos oreilles,
Tandis que Monsieur dort, et cuve vos bouteilles
Ou bien si vous entrés, de passer tout un jour
À conter, en grondant, les carreaux de la cour !
675 Hé, Monsieur, croyez-moi, quittez cette misère.

CHICANNEAU.

Vraiment, vous me donnez un conseil salutaire,
Et devant qu’il soit peu, je veux en profiter.
Mais je vous prie au moins de bien solliciter.
Puisque Monsieur Dandin va donner audience,
680 Je vais faire venir ma fille en diligence.
On peut l’interroger, elle est de bonne foi,
Et même elle saura mieux répondre que moi.

LÉANDRE.

Allez et revenez, l’on vous fera justice.

LE SOUFFLEUR.

Quel homme !

SCÈNE II. Léandre, Le Souffleur.

LÉANDRE.

Je me sers d’un étrange artifice.
685 Mais mon père est un homme à se désespérer,
Et d’une cause en l’air il le faut bien leurrer.
D’ailleurs j’ai mon dessein, et je veux qu’il condamne
Ce fou qui réduit tout au pied de la chicane.
Mais voici tous nos gens qui marchent sur nos pas.

SCÈNE III. Dandin, Léandre, L’Intimé, Petit-Jean, Le Souffleur

DANDIN.

690 Çà, qu’êtes-vous ici ?

LÉANDRE.

Ce sont les avocats.

DANDIN.

Vous ?

LE SOUFFLEUR.

Je viens secourir leur mémoire troublée.

DANDIN.

Je vous entends. Et vous ?

LÉANDRE.

Moi ? Je suis l’assemblée.

DANDIN.

Commencez donc.

LE SOUFFLEUR.

Messieurs.

PETIT-JEAN.

Ho prenez le plus bas,
Si vous soufflez si haut, l’on ne m’entendra pas.
695 Messieurs...

DANDIN.

Couvrez-vous.

PETIT-JEAN.

Ô ! Mes...

DANDIN.

Couvrez-vous, vous dis-je.

PETIT-JEAN.

Oh, Monsieur ? Je sais bien à quoi l’honneur m’oblige.

DANDIN.

Ne te couvre donc pas.

PETIT-JEAN, se couvrant.

Messieurs... Vous doucement ;
Ce que je sais le mieux, c’est mon commencement.
Messieurs, quand je regarde avec exactitude,
700 L’inconstance du monde, et sa vicissitude ;
Lorsque je vois parmi tant d’hommes différents,
Pas une étoile fixe, et tant d’astres errants ;
Quand je vois les Césars, quand je vois leur fortune,
Quand je vois le soleil, et quand je vois la lune ;
Babyloniens.
705 Quand je vois les États des Babiboniens
Persans. Macédoniens.
Transférés des Serpans, aux Nacédoniens ;
Romains. Despotique.
Quand je vois les Lorrains de l’état dépotique
Démocratique.
Passer au Démocrite, et puis au monarchique ;
Démocratique.
Quand je vois le Japon...

L’INTIMÉ.

Quand aura-t-il tout vu ?

PETIT-JEAN.

710 Oh, pourquoi celui-là m’a-t-il interrompu ?
Je ne dirai plus rien.

DANDIN.

Avocat incommode,
Que ne lui laissez-vous finir sa période ?
Je suais sang et eau pour voir si du Japon
Il viendrait à bon port au fait de son chapon,
715 Et vous l’interrompez par un discours frivole.
Parlez donc, avocat.

PETIT-JEAN.

J’ai perdu la parole.

LÉANDRE.

Achève, Petit-Jean, c’est fort bien débuté.
Mais que font là tes bras pendants à ton côté ?
Te voilà sur tes pieds droit comme une statue,
720 Dégourdis-toi. Courage ; allons, qu’on s’évertue.

PETIT-JEAN, remuant les bras.

Quand... je vois... Quand... je vois...

LÉANDRE.

Dis donc ce que tu vois.

PETIT-JEAN.

Oh dame, on ne court pas deux lièvres à la fois.

LE SOUFFLEUR.

On lit...

PETIT-JEAN.

On lit...

LE SOUFFLEUR.

Dans la...

PETIT-JEAN.

Dans la...

LE SOUFFLEUR.

Métamorphose.

PETIT-JEAN.

Comment ?

LE SOUFFLEUR.

Que la métem...

PETIT-JEAN.

Que la métem...

LE SOUFFLEUR.

Psycose.

PETIT-JEAN.

725 Psycose.

LE SOUFFLEUR.

Hé le cheval !

PETIT-JEAN.

Et le cheval.

LE SOUFFLEUR.

Encor !

PETIT-JEAN.

Encor !

LE SOUFFLEUR.

Le chien !

PETIT-JEAN.

Le chien.

LE SOUFFLEUR.

Le butor !

PETIT-JEAN.

Le butor.

LE SOUFFLEUR.

Peste de l’avocat !

PETIT-JEAN.

Ah peste de toi-même !
Voyez cet autre avec sa face de carême.
Va-t’en au diable.

DANDIN.

Et vous venez au fait. Un mot
730 Du fait.

PETIT-JEAN.

Eh faut-il tant tourner autour du pot ?
Il me font dire aussi des mots longs d’une toise,
De grands mots qui tiendraient d’ici jusqu’à Pontoise.
Pour moi, je ne sais point tant faire de façon,
Pour dire qu’un mâtin vient de prendre un chapon.
735 Tant y a qu’il n’est rien que votre chien ne prenne !
Qu’il a mangé là-bas un bon chapon du Maine ;
Que la première fois que je l’y trouverai,
Son procès est tout fait, et je l’assommerai.

LÉANDRE.

Belle conclusion, et digne de l’exorde !

PETIT-JEAN.

740 On l’entend bien toujours. Qui voudra mordre, y morde.

DANDIN.

Appelez les témoins.

LÉANDRE.

C’est bien dit, s’il le peut.
Les témoins sont fort chers, et n’en a pas qui veut.

PETIT-JEAN.

Nous en avons pourtant, et qui sont sans reproche.

DANDIN.

Faites-les donc venir.

PETIT-JEAN.

Je les ai dans ma poche.
745 Tenez, voilà la tête, et les pieds du chapon.
Voyez-les, et jugez.

L’INTIMÉ.

Je les récuse.

DANDIN.

Bon !
Pourquoi les récuser ?

L’INTIMÉ.

Monsieur, ils sont du Maine.

DANDIN.

Il est vrai que du Mans il en vient par douzaine.

L’INTIMÉ.

Messieurs...

DANDIN.

Serez-vous long, avocat ? Dites-moi.

L’INTIMÉ.

750 Je ne réponds de rien.

DANDIN.

Il est de bonne foi.

L’INTIMÉ, d’un ton finissant en fausset.

Messieurs. Tout ce qui peut étonner un coupable,
Tout ce que les mortels ont de plus redoutable,
Semble s’être assemblé contre nous par hasard,
Je veux dire la brigue, et l’éloquence. Car
755 D’un côté le crédit du défunt m’épouvante,
Et de l’autre côté l’éloquence éclatante
De Maître Petit-Jean m’éblouit.

DANDIN.

Avocat,
De votre ton vous-mêmes adoucissez l’éclat.

L’INTIMÉ.

Oui-dà, j’en ai plusieurs.
Du beau ton
Mais quelque défiance
760 Que nous doive donner la susdite éloquence,
Et le susdit crédit : ce néanmoins, Messieurs,
L’ancre de vos bontés nous rassure d’ailleurs.
Devant le grand Dandin l’innocence est hardie,
Oui, devant ce Caton de Basse-Normandie,
765 Ce soleil d’équité qui n’est jamais terni,
Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni.

DANDIN.

Vraiment il plaide bien.

L’INTIMÉ.

Sans craindre aucune chose,
Je prends donc la parole, et je viens à ma cause.
Aristote, primo, peri Politicon...
770 Dit fort bien...

DANDIN.

Avocat, il s’agit d’un chapon,
Et non point d’Aristote, et de sa Politique.

L’INTIMÉ.

Oui, mais l’autorité du Péripatétique
Prouverait que le bien et le mal...

DANDIN.

Je prétends
Qu’Aristote n’a point d’autorité céans.
775 Au fait.

L’INTIMÉ.

Pausanias, en ses Corinthiaques...

DANDIN.

Au fait.

L’INTIMÉ.

Rebuffe...

DANDIN.

Au fait ! Vous dis-je.

L’INTIMÉ.

Le grand Jacques...

DANDIN.

Au fait, au fait, au fait !

L’INTIMÉ.

Armen[o] Pul in Prompt...

DANDIN.

Ho ! Je te vais juger.

L’INTIMÉ.

Ho ! Vous êtes si prompt.
Voici le fait.
Vite.
Un chien vient dans une cuisine,
780 Il y trouve un chapon, lequel a bonne mine.
Or celui pour lequel je parle est affamé.
Celui contre lequel je parle autem plumé.
Et celui pour lequel je suis, prend en cachette
Celui contre lequel je parle. L’on décrète.
785 On le prend. Avocat pour et contre appelé.
Jour pris. Je dois parler, je parle, j’ai parlé.

DANDIN.

Ta, ta, ta, ta. Voilà bien instruire une affaire.
Il dit fort posément ce dont on n’a que faire,
Et court le grand galop quand il est à son fait.

L’INTIMÉ.

790 Mais le premier, Monsieur, c’est le beau.

DANDIN.

C’est le laid.
A-t-on jamais plaidé d’une telle méthode ?
Mais qu’en dit l’assemblée ?

LÉANDRE.

Il est fort à la mode.

L’INTIMÉ, d’un ton véhément.

Qu’arrive-t-il, Messieurs ? On vient. Comment vient-on ?
On poursuit ma partie. On force une maison.
795 Quelle maison ? Maison de notre propre juge.
On brise le cellier qui nous sert de refuge.
De vol, de brigandage, on nous déclare auteurs.
On nous traîne, on nous livre à nos accusateurs.
À Maître Petit-Jean, Messieurs. Je vous atteste :
800 Qui ne sait que la loi Si quis canis, Digeste,
De vi, paragrapho, Messieurs, Caponibus,
Est manifestement contraire à cet abus ?
Et quand il serait vrai que Citron ma partie
Aurait mangé, Messieurs, le tout, ou bien partie
805 Dudit chapon, qu’on mette en compensation
Ce que nous avons fait avant cette action.
Quand ma partie a-t-elle été réprimandée ?
Par qui votre maison a-t-elle été gardée ?
Quand avons-nous manqué d’aboyer au larron ?
810 Témoin trois procureurs dont icelui Citron
A déchiré la robe. On en verra les pièces.
Pour nous justifier, voulez-vous d’autres pièces ?

PETIT-JEAN.

Maître Adam...

L’INTIMÉ.

Laissez-nous.

PETIT-JEAN.

L’Intimé...

L’INTIMÉ.

Laissez-nous.

PETIT-JEAN.

S’enroue.

L’INTIMÉ.

Hé laissez-nous. Euh, Euh.

DANDIN.

Reposez-vous.
815 Et concluez.

L’INTIMÉ, d’un ton pesant.

Puis donc, qu’on nous, permet, de prendre,
Haleine, et que l’on nous, défend, de nous, étendre,
Je vais, sans rien omettre, et sans prévariquer,
Compendieusement énoncer, expliquer,
Exposer à vos yeux, l’idée universelle
820 De ma cause, et des faits, renfermez, en icelle.

DANDIN.

Il aurait plutôt fait de dire tout vingt fois,
Que de l’abréger une. Homme, ou qui que tu sois,
Diable, conclus, ou bien que le Ciel te confonde.

L’INTIMÉ.

Je finis.

DANDIN.

Ah !

L’INTIMÉ.

Avant la naissance du monde...

DANDIN, bâillant.

825 Avocat, ah, Passons au déluge.

L’INTIMÉ.

Avant donc,
La naissance du monde, et sa création.
Le monde, l’univers, tout, la Nature entière
Était ensevelie au fond de la matière.
Les éléments, le feu, l’air, et la terre, et l’eau,
830 Enfoncés, entassés, ne faisaient qu’un monceau,
Une confusion, une masse sans forme,
Un désordre, un chaos, une cohue énorme.
Unus erat toto naturæ vultus in orbe
Quem Græci dixere chaos, rudis indigestaque moles...

LÉANDRE.

835 Quelle chute ! Mon père ?

PETIT-JEAN.

Ay, Monsieur ! Comme il dort.

LÉANDRE.

Mon père, éveillez-vous.

PETIT-JEAN.

Monsieur, êtes-vous mort ?

LÉANDRE.

Mon père.

DANDIN.

Hé bien, hé bien. Quoi ! Qu’est-ce ? Ah ! Ah quel homme !
Certes, je n’ai jamais dormi d’un si bon somme.

LÉANDRE.

Mon père, il faut juger.

DANDIN.

Aux galères.

LÉANDRE.

Un chien
840 Aux galères !

DANDIN.

Ma foi, je n’y conçois plus rien.
De monde, de chaos, j’ai la tête troublée.
Hé concluez.

L’INTIMÉ, lui présentant de petits chiens.

Venez, famille désolée.
Venez, pauvres enfants, qu’on veut rendre orphelins,
Venez faire parler vos esprits enfantins.
845 Oui, Messieurs, vous voyez ici notre misère.
Nous sommes orphelins. Rendez-nous notre père,
Notre père par qui nous fûmes engendrés,
Notre père qui nous...

DANDIN.

Tirez, tirez, tirez.

L’INTIMÉ.

Notre père, Messieurs...

DANDIN.

Tirez donc. Quels vacarmes !
850 Ils ont pissé partout.

L’INTIMÉ.

Monsieur, voyez nos larmes.

DANDIN.

Ouf. Je me sens déjà pris de compassion.
Ce que c’est qu’à propos toucher la passion !
Je suis bien empêché. La vérité me presse.
Le crime est avéré, lui-même il le confesse.
855 Mais s’il est condamné, l’embarras est égal,
Voilà bien des enfants réduits à l’hôpital.
Mais je suis occupé, je ne veux voir personne.

SCÈNE DERNIÈRE. Chicanneau, Isabelle, etc.

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

Oui, pour vous seuls l’audience se donne.
Adieu. Mais, s’il vous plaît, quel est cet enfant-là ?

CHICANNEAU.

860 C’est ma fille, Monsieur.

DANDIN.

Hé tôt, rappelez-la.

ISABELLE.

Vous êtes occupé.

DANDIN.

Moi ? Je n’ai point d’affaire.
Que ne me disiez-vous que vous étiez son père ?

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

Elle sait mieux votre affaire que vous.
Dites. Qu’elle est jolie, et qu’elle a les yeux doux !
865 Ce n’est pas tout, ma fille, il faut de la sagesse.
Je suis tout réjoui de voir cette jeunesse.
Savez-vous que j’étais un compère autrefois ?
On a parlé de nous.

ISABELLE.

Ah, Monsieur, je vous crois.

DANDIN.

Dis-nous, à qui veux-tu faire perdre la cause ?

ISABELLE.

870 À personne.

DANDIN.

Pour toi je ferai toute chose.
Parle donc.

ISABELLE.

Je vous ai trop d’obligation.

DANDIN.

N’avez-vous jamais vu donner la question ?

ISABELLE.

Non, et ne le verrai, que je crois, de ma vie.

DANDIN.

Venez, je vous en veux faire passer l’envie.

ISABELLE.

875 Hé Monsieur, peut-on voir souffrir des malheureux ?

DANDIN.

Bon, cela fait toujours passer une heure, ou deux.

CHICANNEAU.

Monsieur, je viens ici pour vous dire...

LÉANDRE.

Mon père,
Je vous vais en deux mots dire toute l’affaire.
C’est pour un mariage, et vous saurez d’abord
880 Qu’il ne tient plus qu’à vous, et que tout est d’accord.
Le fille le veut bien. Son amant le respire ;
Ce que la fille veut, le père le désire.
C’est à vous de juger.

DANDIN, se rasseyant.

Mariez, au plus tôt.
Dès demain, si l’on veut ; aujourd’hui, s’il le faut.

LÉANDRE.

885 Mademoiselle, allons, voilà votre beau-père,
Saluez-le.

CHICANNEAU.

Comment ?

DANDIN.

Quel est donc ce mystère ?

LÉANDRE.

Ce que vous avez dit, se fait de point en point.

DANDIN.

Puisque je l’ai jugé, je n’en reviendrai point.

CHICANNEAU.

Mais on ne donne pas une fille sans elle.

LÉANDRE.

890 Sans doute, et j’en croirai la charmante Isabelle.

CHICANNEAU.

Es-tu muette ? Allons. C’est à toi de parler.
Parle.

ISABELLE.

Je n’ose pas, mon père, en appeler.

CHICANNEAU.

Mais j’en appelle moi.

LÉANDRE.

Voyez cette écriture,
Vous n’en appellerez pas de votre signature.

CHICANNEAU.

895 Plaît-il ?

DANDIN.

C’est un contrat en fort bonne façon.

CHICANNEAU.

Je vois qu’on m’a surpris, mais j’en aurai raison.
De plus de vingt procès ceci sera la source.
On a la fille, soit. On n’aura pas la bourse.

LÉANDRE.

Hé, Monsieur, qui vous dit qu’on vous demande rien ?
900 Laissez-nous votre fille, et gardez votre bien.

CHICANNEAU.

Ah !

LÉANDRE.

Mon père, êtes-vous content de l’audience ?

DANDIN.

Oui-dà, que les procès viennent en abondance,
Et je passe avec vous le reste de mes jours.
Mais que les avocats soient désormais plus courts.
905 Et notre criminel ?

LÉANDRE.

Ne parlons que de joie ;
Grâce, grâce, mon père.

DANDIN.

Hé bien, qu’on le renvoie.
C’est en votre faveur, ma bru, ce que j’en fais.
Allons nous délasser à voir d’autres procès.