Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Scarron Paul. Les Boutades du Capitan Matamore. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 30 sc. 252 répl. 5,1 l. 1 290 l. 1 290 l. 54 % 2 416 l. (100 %) 1,9 pers.
MATAMORE 28 sc. 90 répl. 11,6 l. 1 148 l. (90 %) 1 043 l. (81 %) 91 % 1 181 l. (49 %) 1,1 pers.
LECAPITAINE 2 sc. 24 répl. 3,3 l. 1 290 l. (100 %) 78 l. (7 %) 7 % 1 236 l. (52 %) 5,5 pers.
ISABELLE 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
ALISON 2 sc. 16 répl. 1,7 l. 224 l. (18 %) 27 l. (3 %) 13 % 1 236 l. (52 %) 5,5 pers.
PHILIPIN 1 sc. 8 répl. 4,1 l. 141 l. (11 %) 33 l. (3 %) 24 % 989 l. (41 %) 7,0 pers.
BEAU-CHÂTEAU 1 sc. 12 répl. 1,8 l. 141 l. (11 %) 22 l. (2 %) 16 % 989 l. (41 %) 7,0 pers.
BEAU-LIEU 1 sc. 9 répl. 1,5 l. 141 l. (11 %) 13 l. (2 %) 10 % 989 l. (41 %) 7,0 pers.
BONNIFACE 2 sc. 69 répl. 0,6 l. 256 l. (20 %) 38 l. (3 %) 15 % 1 218 l. (51 %) 4,8 pers.
ANGELIQUE 2 sc. 24 répl. 1,4 l. 1 290 l. (100 %) 35 l. (3 %) 3 % 1 236 l. (52 %) 5,5 pers.
Scarron Paul. Les Boutades du Capitan Matamore. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
MATAMORE 952 l. (100 %) 27 répl. 35,2 l. 27 sc. 952 l. (74 %) 1,0 pers.
MATAMORE
BONNIFACE
92 l. (80 %) 63 répl. 1,5 l.
24 l. (21 %) 63 répl. 0,4 l.
1 sc. 115 l. (9 %) 2,0 pers.
LECAPITAINE
ALISON
38 l. (70 %) 12 répl. 3,1 l.
17 l. (31 %) 11 répl. 1,5 l.
2 sc. 54 l. (5 %) 5,5 pers.
LECAPITAINE
BEAU-CHÂTEAU
10 l. (83 %) 3 répl. 3,2 l.
3 l. (18 %) 3 répl. 0,7 l.
1 sc. 12 l. (1 %) 7,0 pers.
LECAPITAINE
BEAU-LIEU
5 l. (65 %) 3 répl. 1,4 l.
3 l. (36 %) 2 répl. 1,2 l.
1 sc. 7 l. (1 %) 7,0 pers.
LECAPITAINE
BONNIFACE
22 l. (74 %) 4 répl. 5,3 l.
8 l. (27 %) 4 répl. 1,9 l.
1 sc. 29 l. (3 %) 7,0 pers.
LECAPITAINE
ANGELIQUE
43 l. (59 %) 14 répl. 3,1 l.
32 l. (42 %) 20 répl. 1,6 l.
2 sc. 74 l. (6 %) 5,5 pers.
ALISON
PHILIPIN
13 l. (69 %) 6 répl. 2,0 l.
6 l. (32 %) 4 répl. 1,4 l.
1 sc. 18 l. (2 %) 7,0 pers.
ALISON
BEAU-CHÂTEAU
12 l. (76 %) 5 répl. 2,2 l.
4 l. (25 %) 1 répl. 3,6 l.
1 sc. 15 l. (2 %) 7,0 pers.
ALISON
ANGELIQUE
16 l. (35 %) 10 répl. 1,5 l.
30 l. (66 %) 18 répl. 1,7 l.
1 sc. 45 l. (4 %) 3,0 pers.
PHILIPIN
BEAU-CHÂTEAU
34 l. (61 %) 8 répl. 4,1 l.
22 l. (40 %) 12 répl. 1,8 l.
1 sc. 55 l. (5 %) 7,0 pers.
PHILIPIN
BEAU-LIEU
28 l. (68 %) 4 répl. 6,9 l.
14 l. (33 %) 9 répl. 1,5 l.
1 sc. 41 l. (4 %) 7,0 pers.
BEAU-CHÂTEAU
BEAU-LIEU
11 l. (53 %) 5 répl. 2,0 l.
10 l. (48 %) 5 répl. 1,9 l.
1 sc. 19 l. (2 %) 7,0 pers.
BEAU-CHÂTEAU
ANGELIQUE
2 l. (50 %) 2 répl. 0,9 l.
2 l. (51 %) 2 répl. 0,9 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 7,0 pers.
BEAU-LIEU
ANGELIQUE
2 l. (67 %) 2 répl. 0,9 l.
1 l. (34 %) 1 répl. 0,9 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 7,0 pers.

Les Boutades du Capitan Matamore

et ses comédies

Scarron PaulThéâtre Classique

publié par Paul FIEVRE août 2010

Comédiemoeurs françaisesDeux actesvers1641-16502000-2250http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70409mComédie
LES BOUTADES DU CAPITAN MATAMORE ET SES COMÉDIES.

M DC XXXXVII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

Par Monsieur SCARRON.

EXTRAIT DU PRIVILÈGE DU ROI.

Par grâce et Privilège du Roi, donné à Paris le vingt-cinquième jour d’Avril 1645. Signé par le Roi en son Conseil le Brun. Il est permis à Toussaint Quinet Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer une Comédie intitulée, Le Jodelet, ou le Maître-Valet, et ce durant le temps et espace de cinq ans à compter du jour que ledit Livre sera achevé d’imprimer, et défenses à tous autres d’en vendre ni distribuer d’autre Impression que de celle qu’aura fait ou fait faire ledit Quinet, à peine de trois mil livres d’amende, ainsi qu’il est plus amplement porté dans les lettres ci-dessus datées.

Les Exemplaires ont été fournis.

Achevé d’imprimer pour la seconde fois, le 10. Mai 1648.
À PARIS, Chez Antoine de Sommaville, au Palais, dans la Galerie des Merciers, à l’Écu de France.

ACTEURS.

  • MATAMORE.
  • ISABELLE.
  • ALISON.
  • PHILIPIN.
  • BEAU-CHÂTEAU.
  • BEAU-LIEU.
  • BONNIFACE.

ACTE I

PREMIÈRE PARTIE. STANCES.

MATAMORE.

Un jour je m’en souviens, les Dieux à leur malheur
Choquèrent ma valeur,
Ce céleste troupeau, cette engeance suprême,
Ces Divins avortons voulaient me maltraiter,
5 Je surmontai l’effort de leur audace extrême,
Et les mis en état de ne me plus heurter,
Je les frottai si bien, que la plupart encore
Sont bossus et mal faits des coups de Matamore.
Le grand Hercule en fut le premier assaillant,
10 Comme le plus vaillant,
À l’abord il est vrai j’eus du désavantage,
De ses coups il me fit le visage tout bleu :
Mais la fureur m’ayant plongé dedans la rage,
Tout mon corps échauffé se convertit en feu.
15 De sorte qu’à mes feux sa force fut soumise,
Et je le fis brûler dans sa propre chemise.
Après ce grand combat le Ciel vint à son tour,
Pour me priver du jour :
Mais dès qu’il aperçut cette face guerrière,
20 Plus effroyable à voir que le moine bourru,
Il se mit à courir d’une telle manière,
Que depuis ce moment il a toujours couru :
Et cette peur encor si vivement le presse,
Qu’on le voit fuir de crainte et tournoyer sans cesse.
25 Ce cornard de Vulcain, cet infâme maraud
Vint encore à l’assaut,
Ce Forgeron pensait me priver de lumière,
Et me précipiter d’un seul coup au tombeau
Sans que j’y prisse garde, il venait par derrière
30 Pour me casser la tête avecque son marteau :
Mais l’esquivai le coup, et puis pour ma revanche,
Je le pris par le corps, et lui casser la hanche.
L’Amour voulut aussi par un excès d’orgueil
M’envoyer au cercueil.
35 Ce souverain des coeurs qui triomphe des âmes,
À me faire périr déploya ses efforts,
Il lança contre moi tous ses traits pleins de flammes,
Pour m’envoyer brûlant au royaume des morts :
Mais d’une âme tranquille et nullement émue,
40 D’une fourche d’acier je lui crevai la vue.
Jupiter me voyant toujours victorieux,
En devint furieux ;
Il vint pour me heurter, moi je courus de même :
Mais pensant l’outrager, je lui fis un grand bien.
45 En ce temps il souffrait une douleur extrême,
Ne pouvant accoucher du divin Bromien,
Mais lui fendant la cuisse : ô l’étrange merveille !
Je le fis accoucher du Dieu de la bouteille.
La Mort ensuite vint pour m’ôter la vigueur,
50 Et me crever le coeur :
Mais, ventre, j’écorchai cette engeance cruelle,
J’arrachai ses poumons, ses tripes, ses boyaux,
Son diaphragme, ses nerfs, ses cheveux, sa cervelle,
Ses veines, ses sourcils, ses lèvres, ses naseaux,
55 Ses membranes, son fiel, sa rate, ses viscères,
Sa langue, son larynx, ses fibres, ses artères.
Ses maudits ligaments, son coeur pernicieux,
Ses oreilles, ses yeux,
Son foie et ses tendons, ses reins, ses ventricules,
60 Ses glandes, son nombril, ses organes vitaux,
Ses muscles, ses boudins, sa chair, ses pannicules :
Bref, je ne lui laissai parbleu que les os,
Et je la mis enfin en si pauvre posture,
Que je la fis alors comme on nous la figure.

STANCES DE MATAMORE en Gueux.

MATAMORE.

65 Je suis l’effroi des Capitans,
Et la terreur des indomptables.
Mes bras nerveux et redoutables
Sont plus forts que ceux des tyrans :
Mais ventrebleu, quelle disgrâce,
70 La gueuserie me pourchasse.
Parbleu le Destin a grand tort,
Ce maraud qui me porte envie,
M’oblige à demander ma vie,
Moi qui donne toujours la mort.
75 Cet infâme et cruel Destin,
Ce souverain des noires parques
Me donne d’infaillibles marques,
Qu’il est quelque fils de putain :
Car depuis l’heure que les choses
80 De leurs Chaos furent écloses,
Il n’a rien fait qui ne soit mal ;
Il a mis Mercure à la bière,
César dans le cimetière,
Et Matamore à l’hôpital.
85 Ah, sort par trop injurieux,
Peux-tu bien avoir le courage
De déplier toute ta rage
Sur un sujet si glorieux !
Un Capitan si plein de gloire,
90 Plus vaillant qu’on ne saurait croire,
Qui massacre de ses accents
Digne de régir la Guinée,
Est réduit par la Destinée
De tendre la main aux passants.
95 Astres malins et dangereux,
Qui sans raison m’êtes contraires ;
Ne provoquez pas mes colères,
Je vous ferais tous malheureux,
La faim que j’ai, fait que j’enrage,
100 Faites qu’un repas me soulage,
Sinon pour me désaffamer,
Malgré votre faible tonnerre
Je mangerai toute la terre,
Et je boirai toute mer.
105 Mon boyau crie incessamment
Après cette faim qui me tue,
Ma constance en est abattue,
Et j’en perds le raisonnement.
Il faudra dans ma peine extrême
110 Que je me dérobe à moi-même
Si je veux bien me soulager,
Ou que dans l’excès de ma rage
Pour me venger de cet outrage
Je me prépare à la manger.

BOUTADE DE MATAMORE à son Valet.

MATAMORE.

115 Je t’apprends que la mort est toujours avec moi,
Que j’ai pour compagnons le carnage et l’effroi,
Et que de quelque part que je tourne la vue,
Je charme, j’éblouis, j’épouvante et je tue.
Si d’un de mes regards je donne le trépas,
120 Les lieux par où je vais, tremblent dessous mes pas.
On dirait que les vents enclos dans leurs entrailles,
Pour en sortir plutôt, s’y livrent des batailles,
Ou pour mieux en parler qu’un soudain mouvement
Aille de l’Univers saper le fondement.
125 Aussi Pluton qui craint que par mon assistance,
Jusques dans ses cachots le Soleil ne s’avance,
Délivre qui me plaît de ses horribles fers,
Sans qu’il me soit besoin de descendre aux Enfers.
Alors que je me trouve au milieu des alarmes
130 Je pourfends d’un seul coup casques, chevaux, gens d’armes,
Je renverse à la fois des bataillons entiers,
Sans être secondé, j’enlève de quartiers.
Que te dirai-je plus d’une seule menace
Des superbes Géants à mes pieds je terrasse,
135 Et fais fuir devant moi les Rois et les Césars
Aussi facilement que leurs moindres soldats.
Quand je suis obligé d’assiéger une ville,
Le canon me tient lieu d’une chose inutile ;
J’estime les travaux ridicules et vains,
140 Car pour y faire brèche il suffit de mes mains,
Avec elles j’abats tours, boulevards, murailles,
Fausses brayes, remparts, escarpes, flancs, tenailles,
Demi-lunes, dehors, cavaliers, terre-pleins,
Courtines, bastions, parapets, ravelins,
145 Et quelques grands efforts que la Garnison fasse,
Je gagne le dessus, j’entre dedans la place.
Pour exterminer tout je ne veux qu’un moment,
Et de chaque logis je fais un monument.
Quand je suis irrité, les plus hautes montagnes
150 S’abaissent aussitôt à l’égal des campagnes.
La Nature en conçoit une extrême terreur,
La Lune et le Soleil en pâlissent d’horreur,
Le sang fait inonder les plus basses rivières,
Les champs sont convertis en d’affreux cimetières ;
155 Je change en des déserts les Palais habités,
Et plus bas que l’Enfer j’abîme des Cités ;
Pour ouvrir un passage à la mer Atlantique,
Je divisai jadis l’Europe de l’Afrique,
Contre mille Titans j’ai défendu les Dieux ;
160 Atlas étant lassé j’ai soutenu les Cieux ;
Et lorsque je perdrai la célèbre lumière,
Ce tout retournera dans sa masse première :
Car c’est moi qui conduis les merveilleux ressorts,
Par qui sont remués les membres de ce corps.
165 J’empêche que le feu ne brûle les nuages,
Je contiens l’Océan dans ses moites rivages,
Je balance la terre et ne lui permets pas
Ni de monter plus haut, ni de tomber plus bas.
Mais c’est mal à propos que je crains que la parque
170 Ait jamais le dessein de me mettre en sa barque,
Mes volontés lui sont une éternelle loi,
C’est de moi seulement qu’elle tient son emploi,
Et je fais dévaler plus d’esprits sous la terre,
Que la contagion, la famine et la guerre.

AUTRE BOUTADE.

MATAMORE.

175 Je suis le fléau des Pervers,
Et le foudre de la Vaillance
De qui la fatale influence
Dispense les pris et les fers :
C’est moi que tout chacun adore
180 Depuis les climats de l’Aurore.
Jusqu’aux lieux où s’éteint l’Astre qui fait les jours,
Bref, c’est moi qui suis l’effroyable,
Le dompteur, comme l’indomptable,
Moi qui fus et qui suis, et qui serai toujours.

STANCES DES BOUTADES DE MATAMORE.

MATAMORE.

185 Tout palpite par où je passe,
Tout tremblote dessous mes pas,
Tout court de vitesse au trépas,
Et tout crève quand je menace.
Les Dieux endurent mille maux,
190 Ils trépassent comme marauds.
En regardant ma contenance,
Et si l’Amour d’entre les Dieux
Ne peut mourir en ma présence,
C’est à cause qu’il n’a point d’yeux.
195 L’action la plus orageuse,
J’effort le plus audacieux,
Et le coup le plus furieux
Dépend de cette main nerveuse.
Tout se rend docile à mes voeux,
200 J’accomplis tout ce que je veux,
Je fais le calme et la tempête ;
Et parmi l’horreur des hasards
Quand je viens à couvrir ma tête,
Je mets à l’ombre le Dieu Mars.
205 Mes gestes brûlent les campagnes,
Mes soupirs suffoquent le vent ;
Quand je chemine arrogamment
L’on voit les plus hautes montagnes
Dévaler aux lieux les plus creux,
210 Afin de rendre hommage aux feux
Que font mes démarches terribles ;
Et celles qui ne le font pas
Je les perce comme des cribles,
Et les avale à mes repas.
215 Les fleuves arrêtent leurs courses
Quand je les regarde courir,
D’un seul maintien je fais mourir
Les dromadaires et les ourses ;
Toute la furie et l’horreur
220 Que je possède en ma fureur
Ne saurait pas être conçue ;
Et si je voulais enflammer
Un seul des regards de ma vue
Je mettrais le feu dans la mer.
225 Les Déités sont offensées
En me faisant voir aux mortels,
Elles m’élèvent des autels
Dedans le fonds de leurs pensées ;
Les Astres me rendent honneur,
230 Les Éléments me font faveur ;
Bref, tout ce que le Ciel enserre,
Redoute mes efforts divers,
Et si je crachais sur la terre,
Je noierais tout l’Univers.
235 Chacun me doit des avantages
Selon son ordre et son pouvoir,
Tous les hommes font leur devoir,
Quand ils me rendent des hommages :
La terre me doit de ses fruits,
240 La guerre des feux et des bruits,
Le Printemps des lys et des roses,
La mer me doit des Alcyons,
Et les Dieux comme toutes choses
Me doivent des soumissions.
245 Que si le Destin s’abandonne
De me vouloir faire la loi,
Je lui montrerai comme quoi
Je peux châtier sa personne :
Car en bravant tous ses efforts,
250 Je mettrai son horrible corps
En butte devant le tonnerre,
Et prenant le monde au collet,
Je ferai de toute la terre
Une balle d’arc à jalet.

ÉLÉGIE SÉRIEUSE de Matamore à sa Maîtresse.

MATAMORE.

255 Quand mon âme en serait à jamais désolée,
Je ne saurais celer que j’aime Amarillée ;
Son esprit admirable, et qui n’ignore rien,
Peut savoir aisément le désordre du mien.
Mes respects, mon silence, et ma flamme si pure,
260 Sont des indices clairs du tourment que j’endure :
Et combien que l’Amour ait mon coeur embrasé,
Il est chaste et divin puisqu’elle l’a causé.
Mais ce n’est pas assez qu’elle sache ma flamme,
L’empire qu’à présent elle a dessus mon âme,
265 Force ma volonté de dire hautement,
Que mon coeur la respecte et l’aime infiniment,
Que mon affection est sans tache et sans crime,
Que le feu dont je brûle, est un feu légitime,
Et que les chastes voeux que j’offre à ses autels,
270 Ne sont point animés de transports criminels.
Dès le premier moment que je vis cette aimable,
Je sentis en moi-même un trouble inconcevable :
Son geste me charma, son visage me prit,
Et sa rare vertu captiva mon esprit ;
275 Je devins tout ému, mon âme fut surprise,
Tant de divinités m’ôtèrent la franchise.
Je fus frappé d’un mal sans espoir d’en guérir,
Et fus contraint d’aimer ce qui me fit mourir :
Mon âme me quitta dedans cette aventure,
280 Dedans le même instant je changeai de nature,
Je suis si peu, celui que j’étais paravant,
Que je ne me saurais connaître maintenant,
J’ai bien la même taille, et le même visage,
Mais je n’ai pas les sens ni le même courage,
285 Je n’ai ni les pensers, ni les mêmes souhaits,
Enfin je suis celui que je ne fus jamais.
Mon corps n’est animé que par des traits de flamme,
Qui le font subsister au défaut de mon âme,
Et ces traits merveilleux sont des traits que l’Amour
290 Par les yeux m’élança, pour me rendre le jour ;
Il eut pitié de voir mon âme ainsi ravie,
Il voulut par ses yeux me redonner la vie.
Ainsi par un effet qui ne peut s’exprimer,
Ce qui me fit mourir, servit pour m’animer.
295 Depuis les souvenirs de ses aimables charmes,
M’ont agité les sens, m’ont fait verser des larmes,
M’ont privé de plaisir, m’ont ôté le repos,
M’ont fait en un moment jeter mille sanglots,
Et n’ai jamais osé, ni n’oserais encore
300 Dire à ce bel objet le mal de Matamore.
Quand je pense aux grandeurs de ces perfections,
Je me laisse emporter aux admirations ;
Mon jugement s’égare, et mon âme est confuse,
Voyant sur le Parnasse une nouvelle Muse,
305 Qui par un art nouveau, d’un nouvel Apollon
Fait sortir de Pégase un nouvel Hélicon :
Les Muses ne sont plus ni charmantes, ni belles,
Son mérite ternit l’éclat des neufs Pucelles ;
Leur vieux maître a cédé sa place à son savoir,
310 Et s’est soumis lui-même aux lois de son pouvoir :
Si bien que cette belle étouffera la gloire
Et l’estime, et l’honneur des Filles de Mémoire.
Elle va dominer en ce céleste lieu
Sur ce sacré troupeau comme faisait leur Dieu,
315 Et l’on n’y verra plus de Victime immolée
Que la divinité de mon Amarillée.
Ô Déesse adorable et Reine des vertus !
Vous de qui le mérite a mes sens confondus,
Je veux tout le premier vous faire un sacrifice,
320 Vous présenter mon coeur, vous offrir mon service,
Vous immoler mon âme, et m’estimer heureux
De me sacrifier aux moindres de vos voeux.

ENTRÉE DE MATAMORE en Fou, qui se croit Jupiter.

MATAMORE.

L’entrée est tirée d’Ovide.
Je suis le seul Auteur de toute la Nature,
Les Dieux sont mes sujets, l’Homme ma Créature,
325 L’Enfer est mon esclave, et les esprits damnés,
Aux tourments éternels sont par moi condamnés :
Je suis le seul principe, et le moteur des causes,
C’est par moi seulement qu’agit l’ordre des choses :
J’ai tiré du néant tout ce vaste Univers,
330 Dans leurs centres j’ai mis l’air, la terre et les mers,
J’ai fait voir aux mortels la céleste lumière,
Et sans moi tout serait en sa masse première.
De ce chaos confus le mélange odieux
Arrêterait encor le mouvement des cieux,
335 La flamme avec les eaux ferait aussi la guerre,
Les airs ne seraient pas d’accord avec la terre,
Et la nuit et le jour pêle-mêle assemblés,
Comme les Éléments seraient encore troublés,
Les Saisons en désordre iraient à l’aventure,
340 Le Printemps n’aurait point de fleurs ni de verdure,
Cérès dedans l’Été n’aurait point de moissons,
L’Automne point de fruits, l’Hiver point de glaçons ;
Les ans, les mois, les jours, les heures, les minutes
N’auraient jamais sans moi terminé leurs disputes.
345 Pour donner à ce Tout un éternel repos,
D’un clin d’oeil à l’instant je rompis le Chaos ;
Je fis placer le feu quand il fut manifeste
Dans le cercle dernier de la voûte céleste ;
L’air presque aussi subtil que le chaud élément,
350 Se mit un peu plus bas par mon commandement :
Sous l’air je mis la terre, et l’entourai de l’onde,
Pour affermir plus fort les fondements du Monde :
Les Éléments étant en bon ordre rangés,
Et selon leur nature en leurs centres logés,
355 Je fis en même temps la terre toute ronde,
Et son égalité n’a rien qui la seconde ;
Par elle je donnai l’éternel mouvement
À l’immobile corps de ce lourd élément,
Et malgré les rigueurs des vents et des orages,
360 La mer ne peut sortir de ses moites rivages :
J’ai seulement tiré des sources de ces eaux,
Pour faire serpenter la terre de ruisseaux ;
De ces ruisseaux j’en fis les fleuves, les rivières,
Qui tombent en grondant dans leurs sources premières.
365 Après l’heureux succès de ce grand changement,
Pour donner à la terre un superbe ornement,
Je séparai les bois d’avecque les campagnes,
Puis en divers climats j’élevai des montagnes ;
Je fis naître partout des plantes et des fleurs,
370 Que la Nature peint de diverses couleurs ;
Je montai les rochers jusqu’auprès du tonnerre,
Je mis leurs fondements au centre de la terre :
Enfin pour achever ce labeur glorieux,
Je voulus séparer en cinq Zones les Cieux,
375 Et diviser en cinq ces épaisses matières
De la masse qui fait le grand centre des Sphères,
Des cinq Zones je mis la Torride au milieu ;
Le milieu de la terre est posé sous ce lieu ;
Le Soleil par un chaud qui n’est pas concevable,
380 Rend dedans ce milieu la terre inhabitable.
Les deux Zones qui sont aux deux extrémités,
De ce Globe d’azur où règnent les clartés,
Répandent sous ces lieux une extrême froidure,
Et la neige en tous temps y blanchit la Nature.
385 La froideur qui détruit l’ardeur de son amour,
Fait qu’à peine toujours l’homme y reçoit le jour.
Les deux autres qui sont plus près de la lumière,
Sans froid et sans chaleur achève leur carrière ;
Ces contraires toujours sont unis sous ces lieux,
390 Où l’on respire à l’aise un air délicieux.
Sitôt que j’eus rangé les Zones en leurs places,
Entourer les Cieux, et pour suivre leurs traces,
Dans cette région où j’ai posé les airs,
Des vapeurs d’ici bas j’y formai les éclairs,
395 Les nues, les brouillards et la grêle, et la foudre :
Pour faire de l’impie une masse de poudre.
Les vents avec les airs furent aussi placés,
Par mon ordre en ces lieux ils furent ramassés ;
Et de peur que les vents en se faisant la guerre,
400 Ne fissent joindre encor la flamme avec la terre,
Que leurs divisions en troublant leur repos,
Ne remissent le tout en son premier chaos,
J’envoyai le plus chaud du côté de l’Aurore,
Où le grand oeil du Monde est adoré du More,
405 Et malgré sa fureur je retins ce mutin,
Où le Père du jour se lève le matin.
J’arrêtai du second la course vagabonde,
Aux lieux où le Soleil se va plonger dans l’onde :
Vers le Septentrion je mis les Aquilons,
410 Qui glacent les pays des barbares Gélons ;
Et cet humide vent qui grossit les nuages,
Qui les réduit en eaux pour faire les orages,
S’empara du Midi par mes commandements,
Je mis le Ciel plus haut que tous les éléments ;
415 Ce corps qui fut formé sans mélange de boues,
Tournoie incessamment sur de puissantes roues ;
Les Pôles l’appuyant ne lui permettent pas
De s’élever plus haut, ni descendre plus bas ;
Sur sa face mes mains posèrent les étoiles,
420 Qui brillent dans la nuit malgré ses sombres voiles.
Enfin pour achever tous ces divins travaux,
Pour chaque région je fis des animaux.
Je mis dedans le Ciel les Dieux avec les Astres,
Qui font par l’Astrologue annoncer les désastres ;
425 Je fis battre les airs par le vol des oiseaux,
Et nager les poissons dans l’abîme des eaux,
D’autres bêtes encor la terre fut couverte,
Pour leur faire habiter cette masse déserte,
Après je créai l’homme et l’en fis gouverneur,
430 Afin de le combler de gloire et de bonheur ;
Sue le portrait des Dieux je formai sa figure,
Je lui donnai pouvoir sur chaque Créature ;
Je le fis Souverain de ces terrestres lieux,
Par mon commandement il contemple les Cieux,
435 Et regardant sans cesse une telle merveille,
Sa joie est infinie, et n’a point de pareille.

AUTRE ENTRÉE DE MATAMORE.

MATAMORE.

Par le seul bruit de mes combats,
Tout est vaincu, tout est à bas,
La terre et les rochers en sont réduits en poudre,
440 L’Enfer en tremble encor d’effroi,
Et ce Dieu qui lance la foudre
N’a jamais redouté d’autre foudre que moi.
Oui ce grand Roi des immortels,
Qui fait encenser ses Autels,
445 Est contraint de me rendre un éternel hommage ;
Hercule et Mars ces grands Guerriers,
Doivent céder à mon courage
Tout ce qu’ils ont acquis de gloire et de lauriers.
Tout au seul bruit de ma valeur
450 Pâlit et change de couleur,
Et la mer n’a jamais dans toute sa colère
Fait trembloter tant de Nochers,
Comme le vent de mon derrière
A brisé de Châteaux, de Forts et de rochers.
455 Mes bras de leurs moindres efforts,
Font choir dans l’Enfer plus de morts,
Que Cérès en Été n’a de javelles blondes,
Et d’un clin d’oeil en un moment,
Je puis détruire plus de monde,
460 Que le monde n’a vu de feux au Firmament.
Bref, tous les habitants des Cieux,
Ceux qui respirent en ces lieux,
Ceux qui volent en l’air, ceux qui nagent en l’onde,
Sont tous rangés dessous mes lois ;
465 Je suis maître de tout le monde,
Et le Roi souverain de tous les autres Rois.
Mais un Enfant audacieux,
Un petit Dieu qui n’a point d’yeux
Triomphe sans combat de mon humeur guerrière,
470 Il a d’un coup de son brandon
Mis tant de feux à mon derrière,
Que l’on l’entend péter comme un coup de canon.
Mon coeur en est tout enflammé,
J’en ai le corps tout consumé,
475 Déjà tous mes boyaux en sont réduits en cendre,
Et je crains par ces feux divers
Si le culier vint à se fendre,
Qu’un vent de mon ponant ne brûle l’Univers.
Allons donc trouver ce Docteur,
480 Ce vieux Singe, ce Radoteur,
S’il ne vient à mes yeux accorder angélique,
Quand il serait plus fort que Mars,
Je percerais à coups de pique
Malgré tous ses efforts, sa fille en toutes parts.
485 Je suis proche de la maison
De ce vieux Reître sans raison,
Oui voilà le logis de ma belle inhumaine :
Mais, ô Dieux ! N’en approche pas :
Car le seul vent de ton haleine,
490 Sans doute jetterait tout l’édifice à bas.

STANCES DE MATAMORE.

MATAMORE.

Hé bien, Messieurs, depuis longtemps
Vous n’avez point vu ce visage :
Mais prenez garde, pauvres gens
De le voir à votre dommage :
495 Car si d’aventure l’horreur
Met la flamme en mes yeux, m’agite et me travaille,
Et que je vous élance un regard de fureur,
Je vous brûlerai comme paille.
Mon oeil de l’élément du feu
500 Est l’ascendant et l’influence,
Et sans se peiner que fort peu
Il le maintient en sa puissance :
Il ne subsiste maintenant
Que par l’ardent brasier dont ma vue est remplie,
505 Et l’élément du feu périrait à l’instant,
Si mes yeux n’avaient plus de vie.
Un jour en cherchant les combats
Au bout de cent belles campagnes,
Je rencontrai dessous mes pas
510 D’âpres et rudes montagnes,
Que fis-je en cette extrémité ?
Je changeai par mes yeux ces montagnes en plaines,
Et d’un regard de feu qu’à l’instant je jetai,
J’en brûlai quatorze douzaines.
515 Me promenant près de la mer,
D’un rayon brûlant de ma vue
Je fis tous ces flots enflammer,
Et rendis Thétis toute émue.
Jetant qui çà qui là mes yeux,
520 Neptune, les Tritons et toutes les Naïades ;
Bref, sans exception tous les liquides Dieux,
Furent grillés de mes oeillades.
Hier d’un trait de feu de mon oeil,
Qui pénétra toute la terre,
525 Je mis au règne du cercueil
Une étrange et cruelle guerre :
Car ce trait d’oeil si furieux,
De qui les facultés font des coups effroyables,
Saccagea, dévora tous ces nocturnes lieux,
530 Et brûla quasi tous les Diables.
Mais, ventre, quel bouleversement,
Mes yeux quasi sur toutes choses
Agissent monstrueusement,
Et font mille métamorphoses :
535 Mais dessus les corps féminins
Toutes leurs facultés ont perdu leur science,
Et mes regards leur sont si sots et si badins,
Que toutes fuient ma présence.

STANCES DE MATAMORE.

MATAMORE.

Hé bien, que dites-vous de cet oeil sourcilleux ?
540 Ne suis-je pas merveilleux,
Bien composé, bien fait, bien beau, bien estimable,
Bien touillant, bien gentil, bien poupin, bien charmant,
Bien rude, bien cruel, bien fort, bien assommant,
Bien meurtrier, bien sanguin, et bien épouvantable ?
545 Ô quand je fais agir mes yeux, ou mes revers,
Tout tombe, tout s’abat, tout penche à sa ruine :
Et si je n’arrêtais l’ardeur qui me domine,
Je vous avalerais ainsi que des pois verts.
Un jour dans un esquif navigant sur la mer,
550 Neptune voulut m’abîmer :
Mais en le regardant j’anéantis ses rages,
Je l’effrayai si bien des traits de mes flambeaux,
Que du haut et du bas il vomissait des eaux,
Qui dedans peu de temps couvrirent les rivages.
555 Enfin la peur qu’il eut de mon oeil enflammé,
Lâchant tous ses conduits, lui fit enfler son onde,
Et de telle façon qu’il noya tout le monde,
Et fit ce grand déluge où tout fut abîmé.
Une autre fois aussi le Ciel me fit savoir,
560 Que dans deux jours il voulait choir
Dessus tous les humains, afin de les détruire ;
Je lui dit, cher ami, ne sois pas si maraud,
Mais parbieu mon courroux n’émeut pas ce rustaud,
Au contraire je vis qu’il n’en faisait que rire,
565 Connaissant donc par là qu’il voulait regimber,
Je dressai seulement mes plumes de la sorte,
À l’instant il s’émeut, la frayeur le transporte, *
Et la peur qu’il en eut, fit qu’il n’osa tomber.
Lorsque les animaux s’amusaient à parler,
570 Le Dieu Phébus voulut brûler
Tous les peuples d’Afrique et consommer leurs terres,
Et ces peuples encor en sont noirs comme il faut ;
Moi pour l’en empêcher je m’élevai fort haut,
Mais si haut que j’étais au-dessus des tonnerres.
575 Étant donc là puissant à punir son orgueil,
Je lui crevai l’oeil gauche avecque ma rapière :
Si bien que du depuis ce Dieu de la lumière,
Ce beau Soleil est borgne, et n’a plus rien qu’un oeil.
Enfin mes actions, mes regards, ou ma voix,
580 Font que tout plie sous mes lois ;
Étant donc satisfait du renom de mes armes,
Je ne veux désormais songer qu’aux passe-temps,
Je ne veux plus remplir les villes ni les champs
De désolations, de plaintes, ni de larmes :
585 Ô ! Je ne serai plus brutal ni furieux,
La terreur m’abandonne et l’effroi se retire,
Et rien que le penser de chanter et de rire
N’occupe les esprits de ce prodigieux.

STANCES DE MATAMORE.

MATAMORE.

Ah ! Ventre, que je suis joyeux !
590 De voir de si divins visages,
Tant de beautés charment mes yeux,
Et me font haïr les ravages :
Ce prompt et subit changement,
Est bien digne d’étonnement ;
595 Je n’ai jamais aimé que choses meurtrières,
Que le désordre et la rumeur :
Toutefois, cher ami, tant de belles lumières,
Changent ma sanguinaire humeur.
Vit-on jamais rien de si beau ?
600 Tant de doux Astres joints ensemble,
Font par un effet tout nouveau,
Que je palpite et que je tremble.
Devant le plus fier ennemi,
Matamore n’a point frémi,
605 Et devant des objets dont l’âme est toute bonne,
Et qui n’ont rien que des douceurs,
Je perds l’esprit, le sens, la force m’abandonne,
Et parbieu quasi je me meurs.
Ah ! Ventre, je veux désormais,
610 Quitter le bruit et les querelles,
Et je proteste que jamais
Je n’aimerai que les femelles.
Je trouve des félicités
À soupirer pour les beautés ;
615 Ô Dieux ! Si dans ces maux on trouve de la joie
Et beaucoup de contentement,
En quel aise faut-il qu’un amoureux se noie
Lorsqu’il a du soulagement.

ENTRÉE DE MATAMORE parlant à son Valet.

MATAMORE.

Je te le dis encor, je suis l’honneur du monde,
620 Le Soleil qui voit tout en cette masse ronde,
Peut bien dire au mépris des hommes et des Dieux,
Que je suis l’ornement de la terre et des Cieux :
Mais, ventre, je vois bien que ton âme est déçue,
Par la débilité de ta mauvaise vue.
625 Petit rat de montagne assoupi du sommeil,
Aigle bâtard, tes yeux s’aveuglent au Soleil,
Tu n’as pu concevoir les merveilles étranges,
Qui me dressent un trône au-dessus des louanges ;
Et par qui tout le monde est contraint d’avouer,
630 Qu’il n’appartient qu’à moi de me savoir louer.
Achille eut un Homère, Énée eut un Virgile,
Auguste eut un Ovide, et moi j’en ai cent mille :
Mais par tant de hauts faits mon nom s’est élevé,
Que de quatre mille ans ils n’auront achevé.
635 Toutefois cependant qu’ils tracent mon Histoire,
Je travaille moi-même au récit de ma gloire,
Et par le moindre effet que j’en vais décrivant,
Je serai la terreur du siècle survivant.
Le Ciel parlant de moi s’explique en des Oracles,
640 La terre et tout son peuple admire mes miracles.
J’ai vu des Quinze-Vingts qui ne me voyaient point,
Exalter ma beauté jusques au dernier point :
Et tel était le son de leurs justes louanges.
Cet homme est aussi beau que deux millions d’Anges.
645 D’autres sourds et muets ont dit fort hautement,
N’avoir jamais oui d’Orateur plus charmant,
Et qu’il faut s’assurer que la même Éloquence
A pris de moi la grâce et la vive élégance.
D’autres que le Soleil n’a point encore vus,
650 Disent que je suis fils de la belle Vénus,
Que Mars m’engendra d’elle, et que ce Dieu des armes
Sachant quel je serais aux martiaux alarmes,
Redouta ma naissance, et voulut qu’en ses flancs
La mère des beautés me portât deux mille ans :
655 Mais je me suis vengé d’une telle aventure,
Bien que pour me détruire il forçât la Nature :
Par mes propres efforts je me fis mettre au jour,
Et lors pour me venger de ce malheureux tour,
J’étranglai Mars, Vénus et Cupidon mon Frère.
660 Cette belle action ne te saurait déplaire,
Puisque dans ma beauté, mes bras et mes regards,
Tu vois encor l’Amour, Vénus et le Dieu Mars.

ENTRÉE DE MATAMORE. STANCES.

MATAMORE.

Dieux ! Que je suis épouvantable,
Que mon aspect est dangereux !
665 Ah ! Que ceux-là sont bien heureux,
Qui sont amis du Redoutable !
Ce qu’on se peut imaginer,
Qui soit capable d’étonner,
N’est rien au pris d’un de mes gestes :
670 Je suis plus craint dans l’Univers,
Que toutes les choses funestes
Ne le sont pas dans les enfers.
Esprits lutins, ombres, démons
Qui tourmentez les Créatures :
675 Diables damnés, dont les figures
Donnent de la peur aux poltrons,
Rendez-vous palpables aux mains
Du plus terrible des humains,
Venez à moi, troupes maudites :
680 Mais, ventrebleu, vous n’osez pas,
Vos puissances sont trop petites,
Et votre courage est trop bas.
Que je suis bien incomparable !
Je possède Mars et l’Amour ;
685 Ces Déités font leur séjour
En ce microcosme adorable ;
L’un de ces Dieux violemment
Me porte à l’assassinement,
Et l’autre en brûlant les plus belles
690 Du feu de son brasier ardent,
Fait que les pauvres Damoiselles
Trépassent en me regardant.
Les Déesses toutes perdues
De l’amour qu’elles ont pour moi,
695 Ont tant de peine sous ma loi,
Qu’elles voudraient être pendues,
Parbleu vous diriez quelquefois,
Qu’elles vont rendre les abois,
En me voulant montrer leurs braises :
700 Mais je leur use de rigueurs,
Car je trouve toutes mes aises
Dedans les ruisseaux de leurs pleurs.
Pauvres femmes que l’on adore,
Que vous êtes à déplorer,
705 Que vous sert-il de soupirer
Pour les vertus de Matamore ?
Vous n’aurez point d’allégement,
Je ne me plais incessamment
Qu’à distribuer des supplices
710 Et si l’on n’avait qu’aux travaux
Des extases et des délices,
Je ne ferais jamais de maux.
Toutes les horreurs de Bellone,
Les soins, les troubles, les malheurs,
715 Et les plus terribles douleurs
Ne sont que les biens que je donne ;
Aussi tout frémit à me voir,
Tout tremble dessous mon pouvoir,
Et tous ceux qui ne soupirent
720 En voyant mon regard altier :
Mes rudes mains vous les déchirent,
Comme des feuilles de papier.

ENTRÉE DE MATAMORE en Trucheur, et parlant au Peuple.

MATAMORE.

Hé bien, chers auditeurs, que vous êtes surpris
De voir ce merveilleux dedans un tel débris !
725 Vous croyez me voyant dans un tel équipage,
Que je sois sans vigueur, sans force et sans courage,
Sachez que j’ai toujours cette même valeur,
Qui fit craindre les Dieux, qui dompta le malheur ;
Matamore est toujours l’inhumain, l’indomptable,
730 L’horrible, l’étonnant, le fort, le redoutable,
Le phénix des vaillants dont la maudite humeur,
Et la brutalité n’aime que la rumeur.
L’assommeur de géants, le destructeur des hommes,
La terreur et la mort de ce siècle où nous sommes.
735 Tout est sous mon pouvoir, l’on ne le peut nier,
L’Enfer me sert de cave, et le Ciel de grenier,
Ma chambre est l’Univers, et mon flambeau la lune,
Je ne m’ajuste pas à la façon commune,
La terre c’est mon lit, l’herbe mon matelas,
740 Les rochers mes chevets, et les feuilles mes draps,
Les rideaux de mon lit sont les voiles nocturnes,
Que la nuit fait sortir de ces demeures brunes ;
Le Ciel de ce beau lit est ce Globe azuré,
Que nous voyons le soir de tant d’astres paré ;
745 Les piliers de ce lit sont les Pôles du monde,
Et mon pot à pisser les abîmes de l’onde ;
Quand je me vais coucher, le triste chat-huant,
L’orfraie et le hibou d’un ton assoupissant,
D’un air tel que celui qu’on chante aux cimetières,
750 Ferment aimablement mes funestes paupières,
Et me laissant ravir aux douceurs du sommeil,
Je dors incessamment jusques à mon réveil.
La rosée au matin me lave le visage,
Mille petits oiseaux assemblant leur ramage,
755 D’un concert merveilleux et tout à fait charmant,
Gazouillent à l’envi pour mon contentement :
Pour montrer à quel point le firmament m’honore,
Je suis tout le premier que regarde l’aurore,
Et le premier rayon de la clarté des Cieux,
760 Fait le premier honneur à ce prodigieux :
Mon baignoir est le vase où Neptune préside,
Mon étuve est l’enclos de la Zone torride ;
Vous croyez que je sois sans aucuns serviteurs,
Mais j’en ai pour moi seul plus que douze Empereurs ;
765 J’en ai des quantités que l’on ne saurait dire,
Mais, ventre, quand mon train commence de me nuire,
Je le vais retranchant d’une étrange façon,
Car en me dépouillant contre quelque buisson,
Doucement et sans bruit ne faisant que m’ébattre,
770 Je le vais retranchant deux à deux, quatre à quatre.
Ah, ventre, un estafier me picote la peau,
Je le sens, je le tiens, ô petit vermisseau,
Vous me sucez le sang, vous l’osez entreprendre ?
Parbleu vous en mourez, rien ne vous peut défendre,
775 Vous serez de mes pieds écrasé tout soudain :
Mais l’appétit me vient, allons chercher du pain,
Depuis sept ou huit jours aliment ni substance,
Par mon large gosier n’est entré dans ma panse ;
Aussi tous mes boyaux se fâchent contre moi,
780 Allons-en demander à celui que je vois,
Je le volerais bien sans qu’il s’en pût défendre,
Mais j’aime mieux trucher que de me faire pendre.

ENTRÉE DE MATAMORE. STANCES.

MATAMORE.

Lorsque par divertissement
J’entrepris de faire la guerre
785 Pour subjuguer toute la terre
Et tout le liquide élément,
Je fis Pallas mon estafière,
La Fortune ma chambrière,
Le Sort Laquais de mes vassaux ;
790 Je m’assujettis la Victoire,
Et les neufs Filles de Mémoire,
Servirent de litière à tous mes grands chevaux.
Lors je domptai branlant le doigt
D’une façon toute héroïque
795 L’Europe, l’Asie et l’Afrique
Avec les Îles qu’on y voit.
Phébus de sa grosse prunelle
Voyant une action si belle,
À l’heure même se résout
800 D’achever promptement sa ronde
Pour aller dire à l’autre monde
Qu’en remuant le doigt, je triomphais de tout.
Les Antipodes pleins d’effroi,
Au seul récit de ces nouvelles
805 Enrageaient de n’avoir point d’ailes
Pour se venir soumettre à moi :
Ils craignirent tant ma vaillance,
Que n’ayant pas la patience
Que le Soleil revint ici,
810 Ils donnèrent charge à l’Aurore
De voir de leur part Matamore,
Et de me conjurer de les prendre à merci.
Je pris plaisir à voir la peur
De ces marauds de l’autre monde,
815 Leur soumission si profonde
Me mit la piété dans le coeur,
J’épargne ces pauvres canailles
De pleurs, de sang, de funérailles :
Mais pourtant à condition,
820 Que pour montrer le grand courage
Qu’ils avaient de me rendre hommage,
Ils me viennent ici baiser le croupion.
En attendant ces malotrus,
Je vais visiter une aimable,
825 Dont le maintien émerveillable
Me rend amoureux et confus,
Je lui vais parler sans demeure
L’entretenir tout à cette heure,
Je vais parbleu la suborner,
830 La cajoler et la séduire
Par le charme de mon bien dire,
Afin de m’efforcer de l’enjobeliner.

ODE DE MATAMORE.

MATAMORE.

Oui, je m’en souviens, que depuis quelque temps
Pour rendre absolument tous mes désirs contents,
835 J’ai mis dessus le gril de même que des huîtres
Les détestables coeurs de quatorze bélîtres,
J’ajustai cent coquins, comme on fait des anchois,
Je fis bouillir des sots ainsi qu’on fait des pois,
Je fis des cervelas de tous les frénétiques,
840 Puis je mis à la broche onze cent Républiques ;
Je fis un hochepot de dix mille goujats,
Je fis un consommé de quinze boulevards ;
Je fis un court bouillon d’une terre affligée
Puis je fis un pâté d’une ville assiégée,
845 Je fis un saupiquet de plusieurs forcenés.
Je fricassai moi seul la plupart des damnés,
Je pris les volontés des cervelles malfaites,
Et je les embrochai comme des alouettes ;
Je mis tout l’Océan dedans un pot de fer,
850 Puis je mis le grand pot sur le brasier d’Enfer ;
Je mis dedans le pot en guise de volaille,
L’épouvantable bruit d’une horrible bataille ;
J’y mis pour le salé tous les charivaris,
J’y mis pour du mouton, les Filous de Paris,
855 Pour des jarrets de veau, les fureurs de Bellone,
Et pour du boeuf tremblant, la tour de Babylone :
Enfin pour achever j’y mis tous les malheurs,
Et tous les hurlements en guise de choux-fleurs.
Quand j’eus fait ce potage aimable et magnifique,
860 Soudain je fis encor une excellente bisque,
J’y mis premièrement en guise de bouillon,
L’humide radical du corps d’un bataillon ;
Pour bien l’assaisonner en guise de morille,
J’y mis abondamment des langues de chenille ;
865 J’y mis pour champignons des yeux de basilic,
Pour muscade et pour sel vingt quintaux d’arsenic ;
J’y mis force clochers ainsi que des asperges,
Et pour des artichauts, j’y mis trente ramberges ;
Pour des cardes j’y mis la tresse d’Alecton,
870 Les larmes de Vénus pour du jus de mouton ;
Pour des mirabolans j’y mis un grand gavache,
Et les rognons d’Hercule en guise de pistache :
Lorsque j’eus achevé ce superbe festin,
J’envoyai promptement mon valet le Destin,
875 Pour aller supplier Pluton et Proserpine,
De venir m’assister à manger ma cuisine :
Mais voyant qu’ils faisaient un peu trop les glorieux,
Parbleu je leur jetai tout mon festin aux yeux ;
De là je suis venu pour faire encor la guerre,
880 Et comme auparavant troubler toute la terre :
Mais premier que d’aller visiter les combats,
Je vais me marier à d’aimables appas.

STANCES DE MATAMORE.

MATAMORE.

Qui saurait dire le courage,
Dont je me trouve revêtu ?
885 Pour bien parler de ma vertu,
L’on n’a point d’assez beau langage.
J’ai tant avalé d’espadons,
De flèches, d’arcs et de guidons,
De couleuvrines et bombardes,
890 Que si, parbleu, je vomissais,
Je vomirais des hallebardes,
Des morions et des pavois.
L’on ne saurait jamais comprendre
Le nombre infini des humains
895 Que j’ai par l’effort de mes mains
Écartelés et mis en cendre.
Su de ceux que j’ai massacrés
Dans les rues et dans les prés,
J’avais un seul poil de leurs têtes,
900 J’en ferais fort facilement
Des montagnes de qui les crêtes
Traverseraient le firmament.
J’appréhende un jour que ma gloire
Ne soit cause de mon malheur,
905 Et que par ma rare valeur,
Elle n’éteigne la mémoire :
Pour être par trop foudroyant,
Trop martial et trop vaillant,
Mes vertus seront étouffées ;
910 Et par un malheureux Destin
La pesanteur de mes trophées
M’écrasera quelque matin.
Mais, Dieux, le fils de Cythérée
Par sa frauduleuse douceur,
915 Me force à quitter la noirceur
De mon humeur désespérée ;
Ce petit maudit Guéridon,
Ce détestable Cupidon
Me fait tomber dedans sa trappe
920 Pour me plonger dans les regrets :
Mais par la mort, si je l’attrape
Je lui couperais les jarrets.

ÉLÉGIE SÉRIEUSE DE MATAMORE.

MATAMORE.

Enfin quand ce discours me coûterait la vie,
Il est temps de parler, je vous aime Livie,
925 Vous voyez bien qu’Amour a causé mon ennui,
Puisque vous n’êtes pas aveugle comme lui ;
Vos beaux yeux sont si clairs et si remplis de flamme,
Qu’ils ne peuvent douter de celle de mon âme ;
Ils connaissent le feu dont je suis consommé,
930 Il est pur et divin puisqu’ils l’ont allumé.
Le voeu que l’on vous offre, est toujours légitime,
On n’a pour vos appas que des désirs sans crime,
Et mêmes les esprits esclaves de leurs sens,
Pour un si chaste objet deviennent innocents.
935 Prenez pitié du mal que vos yeux ont fait naître,
C’est l’augmenter beaucoup que de le méconnaître ;
Vous yeux qui m’ont donné de si doux entretiens,
Peuvent-ils ignorer le langage des miens ?
S’ils vous ont mal conté le tourment qui me touche,
940 Après qu’ils ont parlé, laissez parler ma bouche,
Elle va découvrir les langages d’un coeur,
Qui tout prêt de mourir adore son vainqueur.
Au temps que je vous vis une flamme cruelle,
Ne brûlait plus mon coeur, j’oubliais Isabelle.
945 Mon esprit dégagé d’une telle prison,
Ayant perdu l’espoir, recouvrait la raison.
Et comme un Matelot assis sur le rivage,
Je regardais la mer où j’avais fait naufrage :
Mais sitôt que vos yeux éclairèrent les miens,
950 Je me vis arrêté par de puissants liens.
Mon coeur en fut ému, mon âme en fut surprise,
Et tous deux à l’instant présagèrent leur prise ;
Ma liberté céda, je n’eus plus de pouvoir,
Et fus contraint d’aimer, ayant osé vous voir.
955 Car quelque fermeté que l’esprit se propose,
Vous voir et vous aimer n’est qu’une même chose ;
Et bien que vos rigueurs promettent le trépas,
Ceux que vous captivez, ne les redoutent pas.
On ne peut résister à l’effort de vos charmes,
960 La franchise contre eux n’a que de faibles armes,
Un glaçon près de vous se verrait enflammer,
Enfin vous pouvez tout, et ne pouvez aimer.
Celui dont la puissance est au-dessus du foudre,
Qui forma l’Univers et le peut mettre en poudre ;
965 Ce Dieu qui régit tout, et qui fait que l’aimant,
Par des secrets cachés attire son amant,
Parmi tous les trésors que sa main libérale,
Pour prouver sa grandeur incessamment étale.
Quoi que l’on veuille dire à la gloire des Cieux,
970 N’a rien fait voir encor de si beau que vos yeux.
Cet ordre merveilleux qu’on voit en la Nature,
Ce bel émail des champs, cette vive peinture,
La mer, les éléments, le change des saisons,
La course du Soleil par ses douze maisons,
975 Le tonnerre grondant qui brise tous obstacles,
Les feux du firmament, et tant d’autres miracles,
Ne prouvent pas si bien une Divinité,
Aux esprits de ce temps, comme votre beauté.
Et les plus libertins voyant votre visage,
980 Jugent qu’il faut un Dieu pour faire un tel ouvrage,
Mais tout cet ornement doit céder aux vertus,
Qui rendent sous vos pieds les vices abattus ;
Votre esprit adorable, à qui le sait connaître,
N’en peut trouver aucun dont il ne soit le maître ;
985 Et qui possède un coeur, en saurait mal user,
S’il savait le dessein de vous le refuser.
Je vous aime Livie, et mon amour extrême,
Afin de s’exprimer, a recours à vous-même.
Considérez-vous bien, et ce que vous pouvez,
990 Et puis juger d’un coeur quand vous les captivez ;
Je vous aime Livie, et jamais autre flamme,
Que celle de vos yeux me brûlera mon âme ;
Méprisez-moi toujours, vivez dans un orgueil,
Dont l’excès inhumain me conduise au cercueil ;
995 Moquez-vous en tous lieux de ma persévérance,
Perdez votre douceur, ôtez-moi l’espérance ;
Fuyez-moi, cachez-vous, augmentez mon tourment,
Et ne m’honorez pas d’un regard seulement,
Rien ne peut empêcher que mon âme asservie,
1000 N’aime jusqu’au trépas les beautés de Livie.
Quoi qu’il puisse avenir, je la veux adorer,
Ce que ma bouche a dit, mon coeur le veut jurer ;
Et si, comme l’on dit, notre âme est immortelle,
L’oubli n’éteindra pas une flamme si belle,
1005 La parque qui peut tout en coupant aux Enfers,
La trame de mes jours, ne rompra point mes fers.
Après ces vérités n’êtes-vous point sensible,
Trouverai-je toujours votre coeur inflexible ?
Oui, je sens que le mal dont le mien est touché,
1010 Vous déplaît beaucoup plus que s’il était caché.
Pleurez, pleurez mes yeux, servez-vous de vos armes,
Ma bouche a mal parlé, faites parler vos larmes,
Mais, hélas ! Le discours a de faibles appas,
L’ingrate le méprise, ou bien ne l’entend pas ;
1015 Il vous faut donc fermer, l’excès de mon martyre,
Sera cru, si la mort n’empêche de le dire ;
Ma plainte est inutile, et vos pleurs superflus,
On verra mon amour, quand vous ne verrez plus.

ÉPITAPHE DE MATAMORE.

MATAMORE.

À genoux, ou n’arrête pas,
1020 Ici gît le grand Matamore,
La mort qui fut de ses soldats,
Prend au collet qui ne l’adore.
Aussitôt qu’il fut abattu,
La majesté de la Vertu
1025 L’affubla d’une robe noire ;
Mars traita le Sort en faquin,
Et lui rompant son casaquin,
Lui brisa toute la mâchoire.
Aussitôt qu’il fut enfermé,
1030 Et que sa tombe fut couverte,
Trois Dieux qui l’ont toujours aimé,
Vengèrent puissamment sa perte.
Phébus sur le dos de Pluton,
Des rudes noeuds d’un gros bâton,
1035 Imprima vivement les marques,
Vénus avecque son patin,
Souffleta Monsieur le Destin,
Et Minerve berna les parques.
Mais lorsqu’aux infernaux palus
1040 Il eut traversé l’onde noire,
Les vêtements furent rompus
Aux neufs fille de la Mémoire ;
La Vertu n’eut ni feu, ni lieu,
Autre part que dans l’hôtel-Dieu ;
1045 La raison devint insensée,
Le mérite fut bâtonné,
Et l’honneur fut couronné
D’un bassin de chaise percée.
Dès lors que ce Capitan
1050 Fut dans la demeure infernale,
Il arracha l’oeil à Satan,
Et l’avala comme une balle ;
Tous les diables épouvantés,
De peur d’en être maltraités,
1055 Tâchaient d’éviter son atteinte,
De manière que tout plia,
L’épouvante s’humilia,
Et la terreur mourut de crainte.
Sa présence dans les Enfers,
1060 Pleine de rage et de colère,
Mit d’abord tout à l’envers,
Et donna la fièvre à Cerbère,
Le dominateur de ces lieux
Fut pris par son bras furieux,
1065 Et l’étouffa dedans ses flammes,
Si bien que dedans ce débris,
Il se fît Prince des esprits,
Et le Roi de toutes les Âmes.
Ainsi par le cruel effort
1070 De son extrême violence,
Il s’est fait Souverain du Sort
Et du royaume du silence :
Il fait gémir dessous ses mains
Les fatalités des humains ;
1075 Elles pleurent comme Niobe,
Et Lachese, Atrope et Cloton,
Minos, Radamante et Pluton
Sont ses valets de garde-robe.

STANCES DE MATAMORE.

MATAMORE.

Je confesse bien que la vie
1080 Des guerriers qui sont aux tombeaux ;
Laissent des exemples si beaux
Qu’ils peuvent donner de l’envie.
On en aime le souvenir
Et l’on ne se saurait tenir
1085 De parler de leur mémoire :
Qui vivraient une infinité,
Dans l’éternité de la gloire,
Si je n’avais jamais été.
Je suis plus rude qu’un tonnerre,
1090 Beaucoup plus fort que les destins,
Plus dangereux que des lutins,
Et plus à craindre que la guerre.
Ceux qui me viennent ravauder,
Je leur arrache sans tarder,
1095 Peaux, nerfs, poumons, cervelles, tripe ;
Nez, langues, yeux, coeur et boyaux :
Et puis à l’instant je les grippe,
Et les croque comme noyaux.
D’un petit trait de ma vaillance,
1100 J’ai cent fois dompté le malheur :
Mais si j’ai bien de la valeur,
J’ai bien aussi de la science.
Je parle fort élégamment
De la Terre, du Firmament,
1105 Et des neufs filles du Parnasse,
Je suis plus sage que Solon,
Et lorsque je frotte ma face,
Je torche le nez d’Apollon.
Je suis l’effroi des redoutables,
1110 Je ne respire que le sang,
L’honneur, les qualités, le rang,
Ne me sont point considérables.
Toujours partout la mort me suit,
Aussi tout s’esquive, et me fuit :
1115 Rien ne m’ose faire la guerre,
Et le Ciel tout tremblant d’effroi,
Ne s’éloigne point de la terre,
Que pour la peur qu’il a de moi.
Toutes choses hideuses, hâves,
1120 Laides, horribles, sans beautés,
Et qui n’ont que des cruautés,
Sont mes valets et mes esclaves.
L’effroi me sert de cuisinier,
Et la rage de palefrenier,
1125 La mort me sert lorsque j’étrangle :
Et le diable que j’ai vaincu,
De coups d’éperon et de sangle,
Ne me sert qu’à torcher le cul.
Rien n’est égal à mes ravages,
1130 Mes cruautés n’ont point de bout :
J’assujettis et dompte tout,
Hormis les Laquais et les Pages.
Parbleu mes sens découragés,
À l’aspect de ces enragés,
1135 Font que quasi toujours je tremble :
Je n’ai ni force ni vertu,
Aussi quand je les vois ensemble,
Je fuis de peur d’être battu.

QUATRAINS DE MATAMORE.

MATAMORE.

Dieux ! Qu’on serait bien étonnant,
1140 Si l’on mettait dedans un livre,
La terrible façon de vivre,
Que je pratique maintenant !
À mon lever pour mes bouillons,
Je prends neuf quintaux de fumée,
1145 Douze barils de renommée,
Et trois tonneaux de postillons.
Puis pour remplir mes intestins,
Comme des huîtres à l’escale,
J’avale vingt Prévôts de salle,
1150 Et cent mille petits lutins.
L’un de ces jours, sans dire mot,
Je mangerai cent hallebardes,
Et tout le Régiment des Gardes
Me servira de hochepot.
1155 Quand je dîne tant soit peu tard,
Et que l’appétit me domine,
J’engoule un fut de couleuvrine,
Comme un petit morceau de lard.
Alors que j’ai quasi dîner,
1160 J’avale en guise de fromage,
Toute l’écume de la rage,
Et la cervelle d’un damné.
Toujours dans mes collations,
Je demande pour mes salades,
1165 Quarante, ou cinquante grenades,
Et dix, ou douze bastions.
Pour faire qu’après mes repas,
Mes humeurs se trouvent contentes,
Je dévore quelques courantes,
1170 Et quinze, ou vingt bons entrechats.
Pour mes soupers je fais chercher,
La cervelle des crocodiles :
Les coeurs des plus fameuses villes,
Et les entrailles d’un rocher.
1175 Le soir premier que fermer l’oeil,
J’avale force jeux de paume,
Puis je gruge quelque Royaume,
Pour me provoquer au sommeil.
Bref je pense qu’un jour ma faim,
1180 Qui n’aura jamais de seconde,
Me fera manger tout le monde,
Comme un petit morceau de pain.
Dieux ! Que je suis à redouter,
Ma rage tous les jours s’empire,
1185 À moins que de perdre un Empire,
L’on ne m’oserait irriter.
Je détruis tout des rudes traits
De mon oeillade martiale,
Et si la Lune est toujours pâle
1190 C’est de la peur que je lui fais.
J’ai d’un seul coup d’estramaçon,
Livrant aux Enfers une guerre,
Fendu la mer avec la terre,
Pour couper le nez à Pluton.
1195 À l’heure même les damnés,
Firent révolte en cet Empire,
Et leur prétexte fut de dire
Que leur Roi n’avait point de nez.
Aussitôt que je fus là-bas,
1200 Je trouvai des plaisirs sensibles,
Car c’est dedans les lieux horribles
Où se rencontrent des appas.
J’aime ce qui fait effrayer,
Je trouve l’Enfer agréable,
1205 C’est le jeu de paume admirable,
Où je vais souvent m’égayer.
Les balles de quoi je me sers,
Dans ces demeures effroyables,
Ne sont que les têtes des diables,
1210 Que je massacre d’un revers.
Mes admirables raquetons,
Ne sont que des gris et des flammes,
Sur lesquels on rôtit les âmes,
Des gavaches et des poltrons.
1215 Tous les barreaux de ces manoirs,
Sont les cordons de mes raquettes,
Les grandes queues des Comètes,
Sont les manches de mes battoirs.
La jouant avec des lutins,
1220 Et poussant toujours de furie,
Des coups dedans la galerie,
J’éborgnai tous les diablotins.
Étrange et furieux effet
De mon naturel effroyable !
1225 Les autres méchants font le diable,
Et Matamore le défait.
Mais je ne veux plus m’efforcer
À faire de si grands ravages,
Je veux aimer les beaux visages
1230 Et drôlement les caresser.
Je vais sans cesse soupirer,
Devant les féminines faces,
Pour posséder leurs bonnes grâces,
Et les contraindre à m’adorer.

SCÈNE DE MATAMORE et de Bonniface Pédant.

MATAMORE, commence parlant au Peuple.

1235 Ne trouvez pas mauvais visages magnifiques,
Si je ne parle plus qu’en beaux vers héroïques.
Puisque enfin les vers sont le langage des Dieux,
Moi qui suis tout Divin, je veux parler comme eux.
Comme ce grand Moteur qui lance le tonnerre,
1240 Est Roi de tous les Dieux, je suis Dieu de la Terre.
Nul mortel ne saurait, sans choquer la raison,
Avecques ma valeur faire comparaison.
Qu’on cherche avecques soin, tous les plus braves hommes,
Tant des Siècles passés, que du Siècle où nous sommes.
1245 Tous les plus grands esprits et les plus grands guerriers,
Qui par de grands travaux ont acquis des lauriers.
Et si l’esprit humain en un seul les assemble,
On trouvera pour lors celui qui me ressemble.
Mon esprit admirable est au-delà des sens,
1250 Et ce seul bras fait honte, aux bras des plus puissants !
Je frappe les projets des orgueilleux Monarques,
Je suis le nourricier, le giboyeur des Parques.
Tout ce grand Univers que je remplis d’effroi,
Subsiste par ma force et n’agit que par moi.
1255 Je respire les vents, qui ronflent sur la terre,
Ma salive est la pluie, et ma voix le tonnerre.
Je suis le Roi du monde et le visible Atlas,
Qui peut tout soutenir par l’effort de ses bras.
Mon trône c’est la terre, et ce qui l’environne,
1260 Les Astres sont ma suite, et le Ciel ma Couronne.
Mon sceptre le voici, ce fardeau précieux,
Tourne à mon gré la Terre, et la Mer, et les Cieux.
Mais tout ce grand pouvoir ne me saurait défendre,
D’un petit avorton qui me réduit en cendre.
1265 Ô Dieux en le disant ! Quels feux ai-je sentis,
Je fume, je suis chaud, je rougis, je rôtis :
Je grille, je rissole ? Ah je suis cuit, je brûle,
N’aurais-je point mangé la chemise d’Hercule ?
Holà hauts estafiers, apportez promptement
1270 Pour éteindre mon feu, le liquide élément.
Mais l’eau m’est inutile au feu qui me dévore,
Afin de l’apaiser, allons voir mon Aurore.
Un seul de ses regards alentira mes feux,
Et me pourra donner la gloire que je veux.
1275 Holà.

BONNIFACE.

Qui frappe-là ?

MATAMORE.

Qui ventre ? L’effroyable,
C’est l’enfant du Déluge, et le cousin du diable.

BONNIFACE.

Que voulez-vous ?

MATAMORE.

Comment, vous ne frémissez pas ?,
Voyant l’horrible port de ce grand Fier-à-bras ?

BONNIFACE.

Frémir en vous voyant, j’aurais peu de courage !

MATAMORE.

1280 Ah viens nez d’esturgeon, tête bleu, ce visage
Est plus à redouter que le foudre des Cieux :
Je me moque du Sort, et je nargue les Dieux.
Tout succombe à l’effort de ce bras redoutable,
Je suis plus que la mort, aux mortels redoutable,
1285 Il n’est point de Guerriers, d’Empereurs, ni de Roi.
Qui puisse justement se comparer à moi.
Auprès de mes regards, et de ma contenance,
Les plus déterminés perdent leur assurance.
En ma comparaison, ce sont poltrons parfaits,
1290 Et tous les Amadis ne sont que des baudets.

BONNIFACE.

Vous de qui les habits sont chamarrés d’oreilles,
Crieur de mort aux rats, saccageur de bouteilles.
Avaleur de pois gris, écraseur d’escargots
Dont le dos est si propre à porter des fagots.
1295 Vous qui ne voudriez pas, vous égaler un homme
De l’Histoire de Grèce, où de celle de Rome.
Je gage d’en nommer, en présence de tous,
Deux mille plus vaillants, et plus sages que vous.

MATAMORE.

Qui sont-ils ?

BONNIFACE.

Attendez je vais quérir le livre.

MATAMORE.

1300 Ha ventrebleu ! Je crois que ce bonhomme est ivre :
Il a perdu l’esprit, son jugement se perd,
Le voici qui revient : hé bien vieux ladre vert,
Vous avez donc bientôt trouvé votre science ?

BONNIFACE.

Oui, voici mon Plutarque.

MATAMORE.

Ah ventre !

BONNIFACE.

Patience.

MATAMORE.

1305 Nomme, nomme-les-moi, ces illustres Héros,
Et je te ferai voir qu’ils avaient des défauts.
Des imperfections, des vices en grand nombre,
Et que je suis un corps dont ils n’étaient que l’ombre.

BONNIFACE.

Vous vous moquez, allez vous êtes insensé :
1310 Thésée.

MATAMORE.

Ah tête-bleu, qu’il a bien commencé
Thésée malheureux, ce rapineur d’élite,
Que tu crois si parfait, et rempli de mérite,
Ne fut qu’un vagabond, un batteur de pavé.

BONNIFACE.

Romule.

MATAMORE.

Un fils de louve, un pauvre enfant trouvé.

BONNIFACE.

1315 Licurgue.

MATAMORE.

Fabriqua de la fausse monnaie.

BONNIFACE.

Numa.

MATAMORE.

Prenait avis d’une fille de joie.

BONNIFACE.

Solon.

MATAMORE.

Sa marchandise offusqua son renom.

BONNIFACE.

Publicolle.

MATAMORE.

En un jour abolit sa maison.

BONNIFACE.

Thémistocles.

MATAMORE.

À son dam aima trop son Image.

BONNIFACE.

1320 Camille.

MATAMORE.

À ses soldats ravissait le pillage.

BONNIFACE.

Périclès.

MATAMORE.

Son gros chef s’est toujours fait moquer.

BONNIFACE.

Fabie.

MATAMORE.

Était trop doux et trop long à choquer.

BONNIFACE.

Alcibiade.

MATAMORE.

Un prodigue orné de menterie.

BONNIFACE.

Coriolan.

MATAMORE.

Sa mère apaisa sa furie.

BONNIFACE.

1325 Paul-Émile.

MATAMORE.

Un maraud, un gouverneur d’enfants.

BONNIFACE.

Timoléon.

MATAMORE.

Ce fou courut vingt ans les champs.

BONNIFACE.

Pélopidas.

MATAMORE.

Sa mort l’accuse d’imprudence.

BONNIFACE.

Marcellus.

MATAMORE.

Manqua d’heur comme d’expérience.

BONNIFACE.

Aristides.

MATAMORE.

Ce fat ne fut trouvé qu’un gueux.

BONNIFACE.

1330 Marc Caton.

MATAMORE.

Ce rousseau faisait trop le hargneux.

BONNIFACE.

Philopemen.

MATAMORE.

Périt par son humeur hautaine.

BONNIFACE.

Quintus.

MATAMORE.

Fit une tache à la Grandeur Romaine.

BONNIFACE.

Pyrrhus.

MATAMORE.

Un coup de pierre abattit ce guerrier.

BONNIFACE.

Caïus.

MATAMORE.

Fit la grenouille au milieu d’un bourbier.

BONNIFACE.

1335 Lisander.

MATAMORE.

Ce trompeur périt par tromperie.

BONNIFACE.

Silla.

MATAMORE.

Fut plein de rage et de forcenerie.

BONNIFACE.

Simon.

MATAMORE.

À ses plaisirs fut trop adonné.

BONNIFACE.

Lucule.

MATAMORE.

Des Soldats se vit abandonné.

BONNIFACE.

Nicé.

MATAMORE.

Ce Capitaine avait le coeur de tremble.

BONNIFACE.

1340 Crassus.

MATAMORE.

Était avare, et poltron tout ensemble.

BONNIFACE.

Sertorius.

MATAMORE.

Ce borgne a passé pour sorcier.

BONNIFACE.

Euménès.

MATAMORE.

Était fils d’un noble carrossier

BONNIFACE.

Agésilas.

MATAMORE.

Fort bien avec sa jambe courte.

BONNIFACE.

Pompée.

MATAMORE.

Il perdit coeur après une déroute.

BONNIFACE.

1345 Alexandre.

MATAMORE.

Alexandre, il aimait trop le vin.

BONNIFACE.

Jules.

MATAMORE.

Il fut vaillant, mais non pas assez fin.

BONNIFACE.

Phocion.

MATAMORE.

Cet oiseau se laissa mettre en cage.

BONNIFACE.

Caton.

MATAMORE.

Se fit mourir à force de courage.

BONNIFACE.

Cléoménes, Agis.

MATAMORE.

Ils n’ont rien fait de beau.

BONNIFACE.

1350 Les Gracques.

MATAMORE.

Ces mutins avaient trop de cerveau.

BONNIFACE.

Démosthènes.

MATAMORE.

Mourut en suçant une plume.

BONNIFACE.

Cicéron.

MATAMORE.

Se parait de la peau d’un volume.

BONNIFACE.

Démétrie.

MATAMORE.

Un gourmand, de vices revêtu.

BONNIFACE.

Antoine.

MATAMORE.

En Cléopâtre étouffa sa vertu.

BONNIFACE.

1355 Artaxerce.

MATAMORE.

Un inceste, un fratricide infâme.

BONNIFACE.

Dion.

MATAMORE.

De son vivant on lui gardait sa femme.

BONNIFACE.

Brute.

MATAMORE.

Fut un perfide, et l’horreur des humains.

BONNIFACE.

Aratus.

MATAMORE.

Mit sa garde en de mauvaises mains.

BONNIFACE.

Galba.

MATAMORE.

Monta bien haut, lorsqu’il fallait descendre.

BONNIFACE.

1360 Othon.

MATAMORE.

Cet Empereur ne valait pas le pendre.

BONNIFACE.

Annibal.

MATAMORE.

Négligea l’excès de son bonheur.

BONNIFACE.

Scipion.

MATAMORE.

De Guerrier devint un laboureur.

BONNIFACE.

Épaminondas.

MATAMORE.

Pauvre, et de naissance oblique.

BONNIFACE.

Philippe.

MATAMORE.

Un tracasseur de Liberté publique.

BONNIFACE.

1365 Denis.

MATAMORE.

Faisait sa barbe avec des tisons.

BONNIFACE.

César Auguste.

MATAMORE.

Ah ventre, arrête là tes noms !
Ne te travaille plus, finis cette remarque,
Je sais que tu m’allais encor nommer Plutarque.
Miltiades, Sénèque avec Pausanias :
1370 Trasibule, Conon, Datames, Cabrias.
Amilcar, Thimothée, Iphicrates, tant d’autres,
Dont les rares exploits n’égalent point les nôtres.
Mais sais-tu vieux surgeon de malédictions,
Pour terminer le cours de ces narrations,
1375 Si tu n’accordes point ta fille à mes prières,
Je m’en vais de ce pas t’arracher les paupières,
Te percer l’estomac, te déchirer le flanc,
Et faire de ton corps un déluge de sang.

BONNIFACE.

Et toi, si tu ne prends la fuite à mes prières,
1380 Je te vais de ce pas donner les étrivières.
De mille coup de fouets te déchirer le flanc,
Et faire de ton corps un déluge de sang.

MATAMORE.

Ah ventre !

BONNIFACE.

Ah par la mort, il faut que je te tue !
Comme le drôle fuit : je l’ai perdu de vue.
1385 Et ce vaillant guerrier si redouté de Mars,
Ne peut souffrir sans peur, un seul de mes regards.

STANCES DE MATAMORE.

MATAMORE.

Je l’avoue, il est vrai, perpétuellement
Je suis dans une humeur de rage et de furie,
Je songe incessamment à quelque diablerie,
1390 Pourfendre un escadron, ou rompre un régiment.
Dans les viles mes coups de revers et de taille
Font quelques balafres :
Mais dans une bataille,
Je fauche les soldats, comme on fauche les prés.
1395 L’un de ces mois passés, malgré tout mon pouvoir,
Ces faibles Déités qui donnent la Lumière,
Retenaient dans ce Ciel la clarté prisonnière,
Pour priver l’Univers du bonheur de me voir.
Fâché de la noirceur de cette nuit si brune,
1400 Sans prendre autre conseil
J’allai fouetter la Lune,
Chiquenauder l’Aurore, et berner le Soleil.
Hier au matin piqué de mon ambition,
Je fus dans les Enfers pour y faire ravage,
1405 À l’abord, de mes yeux j’assassinai la rage,
Je remplis tout de meurtre et de confusion.
Toutefois à la fin, d’une façon divine
J’adoucis mes regards,
Et baisant Proserpine
1410 Je fis le Roi des Morts, le Prince des Cornards.
Un jour, mille marauds qui me voulaient frotter.
Résolurent ensemble à m’user de surprise,
Moi rempli de fureur sachant leur entreprise,
Je les trouvai bientôt, afin de les heurter.
1415 Mais, ventre, j’abordai ces malheureux pagnotes,
D’une telle vigueur
Que le vent de mes bottes
Leur brisa la cervelle, et leur creva le coeur.
Je me souviens qu’un jour, tous les Dieux de là-haut,
1420 Me traitèrent le corps de discours, de paroles,
De chimères, de vents, d’idées, d’hyperboles,
Mais quoi, je n’en fus point satisfait comme il faut.
Et craignant justement de devenir malade,
D’un semblable festin,
1425 Je fis une grillade
Des oreilles du Sort et du nez du Destin.
Aujourd’hui des Laquais me trouvant à l’écart,
M’ont donné quantité de bonnes bastonnades,
Mais cet affront m’a mis en de telles boutades,
1430 Que j’en ai dévoré les murs d’un boulevard.
Enfin tout boursouflé, de dépit, de rancune,
De rage, et de fureur
J’ai roué la Fortune,
Écorché le Hasard, et pendu le Malheur.

AUTRE DIXAIN DE MATAMORE.

MATAMORE.

1435 Je suis exempt de passion,
Pour les trésors, et les richesses,
Le seul objet de mes prouesses,
Satisfait mon ambition.
Rompre tous les jours des murailles,
1440 Donner et gagner des batailles,
Faire des montagnes de Corps,
Être toujours dans la Victoire :
Et ne manquer jamais de Gloire,
N’est-ce pas avoir des trésors ?

STANCES DE MATAMORE.

MATAMORE.

1445 Hé bien vous voilà trop payés,
De votre injuste impatience,
Vous jouissez de ma présence,
Je souffre que vous me voyez.
Ce grand Démon de Matamore,
1450 Vous veut du bien, et vous honore :
Tenez-vous-en tout assurés,
Je vous chéris jusqu’à l’extrême,
Et pour montrer que je vous aime,
Je vous assommerai, si vous le désirez.
1455 Vous savez bien, comme je crois,
Ce que Pythagore propose,
Concernant la Métempsychose,
Et tous les points de cette Loi.
Aujourd’hui chacun s’imagine,
1460 Que cette créance est badine :
Mais quant à moi, j’en fais du cas,
Je sais que Mars avait mon Âme,
Et cette Âme toute de flamme,
Animait autrefois le Démon des Combats.
1465 Pour vous montrer qu’assurément,
C’est une chose véritable,
Que l’Âme de ce redoutable,
Est celle qui va m’animant :
Après que la Parque meurtrière,
1470 Eût ôté Mars de la Lumière,
Sa belle Âme anima Ninus :
Et quand ce premier Roi du Monde,
Fut plongé dans la Nuit profonde,
Elle entra dans Arbacte, et d’Arbacte en Cyrus.
1475 De Cyrus dans un Léopard,
D’un Léopard, dedans Hercule,
D’Hercule elle entra dans Romule,
De Romule, dedans César :
De César, dedans un Vipère,
1480 D’un Vipère, dedans Tibère,
De Tibère dans un Héron :
Quand ce Héron n’eut plus de vie,
Cette Âme brûlante d’envie
D’animer un cruel, entra dedans Néron.
1485 De Néron, dedans un Merlan,
D’un Merlan, dans une Grenouille,
D’une Grenouille en la Gargouille,
De la Gargouille en Tamerlan :
De Tamerlan, dans une Anguille,
1490 D’une Anguille, en un Crocodile.
D’un crocodile, dans l’Effroi :
De l’Effroi, dans un Dromadaire,
Puis d’une sorte extraordinaire,
Elle est venue enfin, parbleu, jusques à moi.
1495 Il est bien vrai, que comparant
Mars avec ma grande prouesse,
Je le trouve, je le confesse,
De moi-même fort différent.
Ce n’est pas que dessus la Terre,
1500 Mars n’ait fait quelque exploit de Guerre,
Digne d’être exalté fort haut :
Mars fut la merveille du Monde,
Sa Vaillance fut sans seconde,
Mais ventre, auprès de moi, ce n’était qu’un maraud.
1505 Je suis au monde sans pareil,
Digne quasi que l’on m’adore,
La Terre n’a qu’un Matamore,
Comme le Ciel n’a qu’un Soleil.
Mais le Soleil, comme il me semble,
1510 N’a rien encore qui me ressemble,
Car le Soleil fait son effort
De donner sans cesse la vie,
Et moi contraire à son envie,
Je donne incessamment la mort.

AUTRE STANCE DE MATAMORE.

MATAMORE.

1515 Enfin les beautés de la Terre,
Rendent honneur à mes beaux yeux,
Leur naturel si glorieux
Fléchit aux traits que je desserre.
Je tiens ces humaines beautés,
1520 J’ai dessous mes autorités,
Les coeurs des claires et des brunes,
Et si mes regards doux et beaux
N’empêchaient par pitié la mort de quelques-unes,
On les verrait crever et mourir par monceaux.
1525 Tout fléchit sous ma destinée,
Et les traits d’Amour et de Mars,
Font tant de Morts par mes regards,
Que la Parque en est étonnée.
Un jour pour troubler mon repos,
1530 Fortune me tourna le dos,
Mais, ventrebleu, par mes adresses,
Cette inconstante comme vent :
Reçut un coup de pied si rude dans les fesses,
Qu’elle n’ose plus tourner que le devant.
1535 Si ma face est blême et périe,
N’en recevez pas moins d’effroi,
À cause du sang que je bois
J’ai toujours la dysenterie.
Je mange en grillade les coeurs,
1540 Des Reines que dans mes fureurs
Mes caresses ont étouffées,
Si bien que ces coeurs si Royaux :
Qui me devraient servir à faire des trophées
Ne me servent sinon qu’à remplir mes boyaux.
1545 Toute la Terre fait hommage,
À mes hautes perfections,
Les vapeurs de ses passions,
En couvrent le Ciel de nuages,
Le Soleil même en me voyant,
1550 Va presque toujours larmoyant :
L’Air pour moi se distille en larmes,
Et Thétis à force d’aimer,
Gémissant sous les maux que lui causent mes charmes,
Des pleurs qu’elle répand, fait l’ambre de la Mer.
1555 De vrai, quelles âmes de roche,
Si peu sensibles aux appas,
Ne souffrirait mille trépas
Pour les regards que je décoche ?
Si toutes ces Dames osaient,
1560 Dieux ! Comme elles soupireraient,
Oeilladant un si beau visage :
L’eau qui tomberaient de leurs yeux,
Vous mouilleraient, parbleu, mille fois davantage,
Que ne ferait l’Orage, et la Pluie des Cieux.
1565 Il ne faut donc pas que je craigne,
Ni que je pense nullement,
Que le solide jugement
De ma maîtresse me dédaigne.
Mais je n’oserais l’aller voir,
1570 Ainsi que le veut mon devoir :
J’appréhende les étrivières,
Je redoute que son époux,
Sachant que je retiens ses beautés prisonnières,
Ne me brise les os de mille horribles coups.

STANCES DE MATAMORE à son Valet.

MATAMORE.

1575 Ah, ventre, que je suis joyeux !
De voir de si divins visages,
Tant de beautés charment mes yeux,
Et me font haïr les ravages,
Ce prompt et subit changement
1580 Est bien digne d’étonnement,
Je n’ai jamais aimé que les choses meurtrières :
Que le désordre et la rumeur,
Toutefois, cher ami, tant de belles lumières,
Changent ma sanguinaire humeur.
1585 Vit-on jamais rien de si beau,
Tant de doux Astres joints ensemble
Font par un effet tout nouveau
Que je palpite et que je tremble.
Devant le plus fier ennemi,
1590 Matamore n’a point frémi,
Et devant des objets dont l’Âme est toute bonne,
Et qui n’ont rien que des douceurs :
Je pers le sens, l’esprit, la force m’abandonne.
Et parbleu, quasi je me meurs.
1595 Ah ventre, je veux désormais,
Quitter le bruit et les querelles,
Et je proteste que jamais,
Je n’aimerai que les femelles.
Je trouve des félicités
1600 À soupirer pour les beautés,
Ô Dieux ! Si dans les maux on trouve de la joie,
Et des plaisirs en quantité :
En quel aise faut-il qu’un amoureux se noie,
Lorsqu’il embrasse sa beauté ?

AUTRE STANCE DE MATAMORE.

MATAMORE.

1605 Hé bien, il y a fort longtemps
Que vous n’avez vu ce visage,
Mais prenez garde, pauvres gens,
De le voir à votre dommage.
Ce front où loge la terreur,
1610 Et ces yeux redoutés à l’égal du Tonnerre ;
Sans dessein, à l’instant d’un regard de fureur,
Peuvent brûler toute la Terre.
Mon oeil, à l’Élément du Feu,
Est l’ascendant et l’influence :
1615 Et sans se peiner que fort peu,
Il le maintient en sa puissance.
Il ne subsiste maintenant,
Que par l’ardent brasier dont ma vue est remplie.
Et l’Élément du Feu périrait à l’instant,
1620 Si mes yeux n’avaient plus de vie.
Un jour en cherchant les combats,
Au bout de cent belles Campagnes :
Je rencontrai dessous mes pas,
D’âpres et de rudes Montagnes.
1625 Que fis-je en cette extrémité,
Je changeai par mes yeux, les montagnes en plaines,
Et d’un regard de Feu, qu’à l’instant je jetai,
J’en brûlai cent mille douzaines.
Me promenant près de la Mer,
1630 D’un rayon brûlant de ma vue,
Je fis tous les flots enflammer,
Et rendis Thétis toute émue.
Jetant, qui çà, qui là, mes yeux,
Neptune, les Tritons, et toutes les Naïades,
1635 Bref, sans exception, tous les liquides Dieux,
Furent griller de mes oeillades.
Hier d’un trait de feu de mon oeil,
Qui pénétra toute la Terre,
Je mis au règne du dercueil,
1640 Une étrange et cruelle guerre
Car ce trait d’oeil si furieux,
De qui les facultés font des coups effroyables,
En cendre réduisit tous les nocturnes Lieux.
Et brûla tous les mille diables.
1645 Mais, ventre, quel boulversement !
Mes yeux quasi sur toutes choses
Agissent monstrueusement,
Et font mille Métamorphoses.
Mais dessus les corps féminins,
1650 Toutes leurs facultés ont perdu leur science :
Et mes regards leur sont si sots et si badins,
Que toutes fuient ma présence.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE. ABRÉGÉ DE COMÉDIE RIDICULE DE MATAMORE EN VERS BURLESQUES, et sur une même Rime.

LE CAPITAINE.

Oui, c’est trop frénétiquement,
Fuir abominablement :
1655 Tout ce qui spécifiquement,
Nous ravit coutumièrement,
Je veux ressentir en aimant,
Le plaisir que charnellement :
L’on savoure parfaitement,
1660 Dans l’aimable entrelacement
Que l’on fait corporellement.
Ô je me rends absolument !
J’ai de l’amour infiniment
Pour un bel oeil qui puissamment
1665 Me trouble impérieusement.
Il demeure en ce logement,
Je m’en vais sans dilayement
Lui dire sans familièrement
Mais fort affectueusement
1670 Que je l’aime incroyablement.
Marchons-y délicatement,
Holà, sortez hâtivement,
Sinon, parbleu, robustement
J’écraserai le bâtiment.

ANGÉLIQUE.

1675 Hé, qui frappe si rudement ?

LE CAPITAINE.

C’est un faiseur d’égorgement,
Ô Dieux ! Le beau commencement,
Voilà celle que chastement,
J’estime vertueusement.
1680 Beau Soleil qui divinement,
Me subjuguez occultement,
Beauté de qui l’agréement
M’a comme imperceptiblement
Assassiné l’entendement.
1685 Dorlotez favorablement
Celui qui veut incessamment
Vous rendre hommage constamment.
Recevez agréablement
Mon coeur, mon âme et mon serment,
1690 Et jurez réciproquement
De m’aimer furieusement
Jusqu’à votre trépassement.

ANGÉLIQUE.

J’estime votre compliment,
Mais, Monsieur, véritablement
1695 Vous me voulez trop promptement,
Jeter dans un engagement,
Duquel on ne peut aisément
Se défaire qu’au monument.
Ce front, ces yeux, ce mouvement,
1700 Ce ventre et cet accoutrement
Me captivent superbement.
Mais de crainte d’achoppement
Je veux tout faire mûrement :
Attendez un peu seulement :

LE CAPITAINE.

1705 Vous en allez-vous ?

ANGÉLIQUE.

Non vraiment,
Je retourne subitement.
Chère Alison.

ALISON.

Quoi ?

ANGÉLIQUE.

Prestement.

ALISON.

Que voulez-vous ?

ANGÉLIQUE.

Viens vitement.

ALISON.

Hé bien.

ANGÉLIQUE.

Que tu vas lentement !

ALISON.

1710 Hé qui pourrait plus diablement
Vous aborder diligemment,
Qu’avez-vous donc ?

ANGÉLIQUE.

Tout bellement,
Écoute un mot secrètement.
1715 Regarde un peu ce garnement,
Vois comme sérieusement,
Il se promène gravement.
Il va majestueusement
Il se moque Royalement,
1720 Il vient Seigneurialement,
Et ses yeux meurtrièrement
Donnant de l’épouvantement,
Me charment insensiblement.

ALISON.

Ah, quelle trogne de gourmand,
1725 Je crois, qu’indubitablement
Il mangerait un Régiment
De même qu’un grain de froment.

ANGÉLIQUE.

Tu parle irrégulièrement,
Il m’a miraculeusement
1730 Soumise à son commandement.

LE CAPITAINE.

Ventre, elle en tient, mais fermement,
Je le connais évidemment.

ANGÉLIQUE.

Je lui vais dire ingénument
Que je l’aime violemment.

ALISON.

1735 Arrêtez-vous, effrénément
Vous en aller absurdement
Prostituer enragement,
À celui qui bizarrement
N’a pour tout divertissement
1740 Qu’à faire du saccagement.
Je le connais parfaitement,
C’est un assommeur de jument,
Qui met sempiternellement
Quelques puces au monument,

LE CAPITAINE.

1745 Ô vieille garce d’Allemand !
Dis, parle à moi sincèrement,
Déclare-moi naïvement,
Ce qui t’oblige insolemment
De troubler mon contentement.

ANGÉLIQUE.

1750 Pardonnez-lui, soyez clément.

LE CAPITAINE.

Si j’entrais plus profondément,
Dans le séjour du troublement,
Le feu de mes yeux brusquement,
Par un étrange embrasement
1755 La brûlerait en un moment.

ALISON.

Voilà mentir impudemment,
Ô qu’il abuse excellemment
De tous ceux qui crédulement
Croient à son cajolement !
1760 J’enrage de forcènement,
D’ouïr mentir si puamment,
Ô détestable parement
De gibet. Quel aveuglement
Te fait si désordonnément
1765 Parler hyperboliquement,
Ô qu’il est sot certainement !

LE CAPITAINE.

Ah, ventrebleu, ce grognement
Me tarabuste tellement,
Que si présomptueusement
1770 Tu n’apportes du changement
À ce fâcheux rechignement,
Je te mettrai bourellement
Dedans l’anéantissement.

ANGÉLIQUE.

Je crois avec étonnement
1775 Que quelque horrible enchantement,
Me contraint incivilement
À parler impertinemment :
Va-t’en, mais bien agilement.

ALISON.

Vous me frappez injustement,
1780 Je vous le dis succinctement.

ANGÉLIQUE.

Et je te dis prolixement
Que tu t’en aille habilement

ALISON.

Ô j’aurai du ressentiment !
De ce que si cruellement
1785 Vous me battez iniquement.

ANGÉLIQUE.

Fuis donc ?

ALISON.

Hé bien.

ANGÉLIQUE.

Indignement,
Oser licencieusement
Donner du mécontentement
À cet aimable : ô galamment
1790 Je te forcerai dextrement
De te comporter droitement.

LE CAPITAINE.

Mon coeur, faites modestement
Apportez du tempérament
À ce fâcheux déportement
1795 Il vous faut coléreusement
Crier épouvantablement.

ANGÉLIQUE.

Quoi ? Monsieur, si visiblement
Vous offenser déplaisamment :
Comme irrespectueusement
1800 Elle m’a détestablement
Mise trop indiscrètement
Dedans un tel criaillement.
Je sais que généreusement
Quand bien elle eût en vous blâmant
1805 Fait encore plus pirement,
Qu’à cause de l’habillement
Et de son sexe assurément
Vous eussiez glorieusement
Supporté son jargonnement.

LE CAPITAINE.

1810 Vous parlez prophétiquement,
Mais, changeons de raisonnement.
Quand voulez-vous que sûrement
Je vienne ici joyeusement
Pour matrimonialement
1815 Nous assembler allègrement ?

ANGÉLIQUE.

Pour ce point-là modestement
Il faudrait sans délayement
Aller parler éloquemment
À celui qu’équitablement
1820 J’estime émerveillablement.

LE CAPITAINE.

À votre père ?

ANGÉLIQUE.

Justement.

LE CAPITAINE.

Bien, attendez patiemment ;
Je reviendrai soudainement,
Pour lui parler facondement,
1825 Et pour presser l’avancement
De notre bel accouplement.

ANGÉLIQUE.

Que j’en suis aise. Adieu, charmant.

LE CAPITAINE.

Adieu sujet de mon tourment.
Que je ferai friponnement
1830 Un grotesque frétillement,
Quand par un doux embrassement
Nous nous baiserons vivement.

SCÈNE II. Beau-Château, Beaulieu, Philistin, Alison, Bonniface.

PHILIPIN.

Finissez donc résolument
Ce frénétique brouillement,
1835 Allez-vous en fort gentiment
L’entretenir accortement,
Tous deux incomparablement,
Vous l’aimez excessivement ;
Mais je vous conjure instamment
1840 De vouloir pacifiquement
Vous accorder gaillardement.

BEAU-CHÂTEAU.

Je le veux, l’accommodement
N’est pas trop mal adroitement
Formé pour notre appointement,
1845 Pourvu que préalablement
Il proteste inviolablement
De s’arrêter au jugement
Qu’elle fera : car autrement
Nous nous frotterions vaillamment.

PHILIPIN.

1850 C’est parler équitablement,
Répondez-lui donc franchement.
Voulez-vous pas tout chaudement
Donner votre consentement,
Pour faire que paisiblement
1855 Vous viviez fraternellement.

BEAU-LIEU.

Je ne l’entends pas clairement,
Et je ne l’ai qu’obscurément
Compris intérieurement,
Redis-le donc nettement
1860 Et plus intelligiblement.

PHILIPIN.

C’est qu’il faut nécessairement
Que tous deux unanimement,
Vous vous en alliez proprement
Voir le visage qu’ardemment
1865 Vous chérissez également.
Vous lui direz élégamment
De vous ôter bénignement
D’un bruit, duquel sinistrement
Ne peut sortir apertement
1870 Sinon qu’un embarrassement,
Qui, peut-être, mortellement
Vous priverait de sentiment.
Que pour finir brièvement,
À qui tumultueusement
1875 Vous force ambitieusement
À vous quereller follement :
Qu’elle choisisse joliment
Celui qui plus poupinement
Lui touche l’âme doucement.

BEAU-LIEU.

1880 Ô que je ferais sciemment :
Un effroyable manquement
Si je voulais obstinément
M’opposer à ce règlement,
Allons donc tout recentement,
1885 La voir en son appartement.

BEAU-CHÂTEAU.

Mais Alison chagrinement
Nous aborde fâcheusement.

PHILIPIN.

Qu’as-tu, tu vas si tristement
Qu’on juge indubitablement,
1890 Que quelque étrange changement
Te persécute horriblement.

ALISON.

Ô je suis dévergondement
Dans un cruel pétillement,
Et je voudrais éperdument
1895 Que l’on me pendît faussement,
Ou, que l’on m’allât abîmant
Jusqu’au fond du Firmament.

PHILIPIN.

Quel étrange dévoiement
Te fait démoniaquement
1900 Soupirer si péniblement ?

ALISON.

Quoi, donc acariâtrement
Vous désirez maussadement
L’aimer inviolablement,
Mais nous saurons pertinemment
1905 Boucher assez subtilement
La porte à cet amusement.

BEAU-CHÂTEAU.

Ô bons Dieux ! Quel frissonnement
Me saisit inopinément.

BEAU-LIEU.

Ces mots inconcevablement
1910 Me tourmentent amèrement.

BEAU-CHÂTEAU.

Sans nous tenir perplexement
Dans un si grand effrayement.
Chère Alison, dis-moi nuement,
Et sans aucun déguisement
1915 À qui veut désespérément
Se marier si bassement,
Celle qui si felonnement
Nous assujettit roquement.

ALISON.

À qui, bons Dieux ! Vous le nommant,
1920 Ce serait un rengrégement
De ce mal, qu’insensiblement
Vous ressentez grièvement.

BEAU-CHÂTEAU.

Rage, fureur, trépignement
Troublez-moi frénétiquement,
1925 Afin que volontairement
Je presse mon enterrement.

BEAU-LIEU.

Démons qui belliqueusement
Rompez le col ravissamment
À celui-là qui lâchement
1930 Se donne à vous prodiguement.
Troublez-moi désordonnément ;
Afin que précipitamment
Je m’assomme inhumainement.

BEAU-CHÂTEAU.

Non, sans nous aller si crûment
1935 Faire mourir déplaisamment,
Faut assassiner nuitamment
Le traître qui témérairement
Nous vient malicieusement
Ôter notre soulagement.

PHILIPIN.

1940 Tout beau, Messieurs, malaisément,
Vous ne sauriez facilement
Sortir que fort honteusement
De ce que déterminément
Vous résolvez brutalement.
1945 Ce coup indubitablement
Vous ferait pendre bravement,
Et puis celui que cautement
Vous voulez frauduleusement
Priver de vie et mouvement,
1950 Est redouté terriblement.
Les muets admirablement
En parlent éternellement.
Mais pour mettre un empêchement
À son dessein vigilamment,
1955 Et délibérativement
Allez-vous-en aimablement
Parler au père hardiment,
Plaignez-vous à lui sagement,
Et pleurez exorbitamment
1960 En lui disant qu’ingratement
Sa fille impitoyablement
Vous fait un cruel traitement.
Le voici sans retardement,
Allez-vous-en discrètement
1965 Le saluer honnêtement.

BEAU-CHÂTEAU.

Ha, Monsieur, que commodément
Vous venez opportunément,
Tous deux épris étroitement
De rechercher pudiquement
1970 Votre fille très humblement,
Nous vous prions verbalement
De faire qu’exorablement
Elle accepte amoureusement
L’un, ou l’autre, pour son amant.

BONNIFACE.

1975 Ah, foi d’homme, révéremment
Vous venez gracieusement
Me mettre en un ravissement
Que j’aime merveilleusement.
Oui, je vous promets sainement
1980 De m’employer activement
Pour votre seul contentement :
Ma fille, mon ébattement,
Mon coeur, mon tout que tendrement
Je conserve si chèrement,
1985 Si tu veux être richement
Mariée discrètement,
Prends l’un de ces deux gaiement,
Tous deux trépassent en t’aimant.

BEAU-LIEU.

Beauté que journalièrement
1990 J’affectionne vainement !

ANGÉLIQUE.

Lourdaud, que nompareillement
Je fuis inexprimablement.

BEAU-CHÂTEAU.

Belle Nymphe loyalement
Je vous estime extrêmement.

ANGÉLIQUE.

1995 Beau maraud naturellement
Je vous déteste étrangement.

BEAU-LIEU.

Ô Tigresse, impiteusement
Vous m’assassinez méchamment.

ANGÉLIQUE.

Ô baudet bestialement
2000 Vous m’importunez grandement !

BEAU-CHÂTEAU.

Mon petit coeur sévèrement
Vous me traitez indignement.

ANGÉLIQUE.

Mon petit veau malignement,
Vous me parlez vilainement.

BONNIFACE.

2005 Traitez-les plus civilement,
Qui vous fait dédaigneusement,
Rejeter orgueilleusement
Leurs services que noblement
Ils vous offrent mignardement ?

LE CAPITAINE.

2010 Oui, chair bleu, valeureusement
Je fais continuellement
Quelque étrange remuement,
Je tue désespérément
Tous les coquins qui traîtrement
2015 Ne font rien courageusement
En doutez-vous aucunement ?

BONNIFACE.

Quel est celui qui fièrement
Parle si fanfaronnement ?

ALISON.

Ô c’est celui qu’imprudemment
2020 Votre fille aime ignoramment !

LE CAPITAINE.

Venez ici, vieil excrément,
Si vous voulez coquinement
Me refuser barbarement
Un bien qui me va consommant,
2025 Je vous tuerai, mais drôlement.
Ah que je hais l’abaissement,
Où me plonge débordement
Mon amoureux forcènement,
Ventre, si martialement
2030 Il me fallut robustement
Forcer quelque retranchement,
Briser un mur de diamant,
Anéantir un Élément,
Couvrir la Terre d’ossement,
2035 Manger les tripes d’un Flamand,
Ou bien prodigieusement
Faire quelque fracassement.
Je le ferais plus librement
Que de venir poltronnement
2040 Vous supplier niaisement
De me donner présentement
Un trésor qu’hasardeusement
Pour un charnel goupillement,
Vous avez fait pour l’ornement
2045 Du Ciel, et pour furtivement
Tenir perpétuellement
Mon âme audacieusement
Dans un fâcheux accrochement.

BONNIFACE.

Comment donc, extravagamment
2050 Me demander arrogamment
Avec mort et reniement
Ce que j’estime uniquement !
Retirez-vous diligemment.

LE CAPITAINE.

Ah, ventre, malheureusement
2055 Vous me choquez bien lourdement,
Parbleu, je vais sauvagement
Vous crevez misérablement.

BONNIFACE.

Hé mes gendres, virilement
Venez à moi légèrement.

LE CAPITAINE.

2060 Tes gendres, Dieux, exactement
Tu les as choisis savamment :
Ces mugueteaux. Hé bien, comment
Pouvez-vous sans frémissement
Me regarder effrontément.
2065 Les aimez-vous, là hautement
Parlez et sans déguisement.

ANGÉLIQUE.

Non, mon coeur.

LE CAPITAINE.

Quoi donc sottement,
Et sans ratiocinement.
Vous voulez tyranniquement
2070 La violenter aigrement.
Par la tête, exemplairement
Je vais impétueusement
Vous assommer fort plaisamment.

BEAU-CHÂTEAU.

Ah, Monsieur, pitoyablement
2075 Pardonnez-nous humainement.

LE CAPITAINE.

Ah, Pagnotes, rustiquement
Vous venez clandestinement
Marcher pusillanimement !
Dessus mes pas, ah vertement
2080 Je châtierai pertinemment.

BEAU-LIEU.

Nous ignorions l’engagement
Où vous plongeait gloutonnement
Cet amoureux élancement.

LE CAPITAINE.

Vous l’ignoriez grossièrement,
2085 Vous rechercher sordidement
Une excuse pour finement
Vous esquiver impunément.

Tous deux.

Beau-Lieu, et Beau Château.
Pardonnez-nous courtoisement,

LE CAPITAINE.

2090 Non, non, pour votre châtiment
Tous deux alternativement,
Abordez-moi cagnardement
Et me baiser le fondement,
Sinon religieusement,
2095 Et fort dévotieusement
Réclamez le Ciel saintement
Et faites votre testament.

BEAU-CHÂTEAU.

Ah, monsieur, un amendement
À ce fâcheux commandement !

LE CAPITAINE.

2100 Levez-vous.

BEAU-LIEU.

Ah quel tremblement !

BEAU-CHÂTEAU.

Je me meurs.

LE CAPITAINE.

Favorablement.
Je vous pardonne entièrement
Allez au diable ensemblement,
À cette heure l’opposement
2105 Que vous mettiez ineptement
À votre désir véhément
Ne peut qu’insupportablement
Y mettre de l’empêchement.

BONNIFACE.

Non, je veux, débonnairement
2110 Vous donner mon consentement,
Allez, jouissez pleinement
Du bien, que légitimement
Vous aimez passionnément.

LE CAPITAINE.

Beauté que je vais estimant
2115 C’est à ce coup qu’heureusement
Nous jouirons mignonnement
Du bien qu’opiniâtrement
Nous recherchions soigneusement.

ANGÉLIQUE.

Allons donc honorablement
2120 Nous baiser vigoureusement.

LE CAPITAINE.

Allons mon coeur, loustiquement
Nous caresser grotesquement,
Allons-nous en turbulement
Nous embrasser bouffonnement,
2125 Pour faire ridiculement
Par un divin chatouillement
Un amoureux culbutement.

PHILIPIN.

Hé bien.

ALISON.

Je ne sais bonnement,
Si c’est en veillant, en dormant
2130 Que je vois cet événement.

PHILIPIN.

Va, ne te fâche nullement,
Et pour mettre un achèvement
À ce qui se termine en ment,
Allons-nous en semblablement
2135 Nous marier pareillement.

ALISON.

Je le veux bien résolument,
Allons-nous en tout froidement
Nous unir conjugalement,
Et sans tarder plus longuement
2140 Baisons-nous amiablement.