Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
1
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3
4
5

 

Scarron Paul. L’Héritier ridicule. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 24 sc. 585 répl. 2,2 l. 1 267 l. 1 267 l. 31 % 4 219 l. (100 %) 3,3 pers.
DON DIÈGUE de Mendoce 16 sc. 141 répl. 1,8 l. 884 l. (70 %) 249 l. (20 %) 29 % 3 349 l. (80 %) 3,8 pers.
FILIPIN 10 sc. 119 répl. 2,9 l. 614 l. (49 %) 347 l. (28 %) 57 % 2 418 l. (58 %) 3,9 pers.
ROQUESPINE 6 sc. 18 répl. 1,9 l. 314 l. (25 %) 35 l. (3 %) 12 % 1 055 l. (26 %) 3,4 pers.
CARMAGNOLLE 1 sc. 18 répl. 0,2 l. 166 l. (14 %) 4 l. (1 %) 3 % 828 l. (20 %) 5,0 pers.
DON JUAN BRACAMONT 5 sc. 28 répl. 2,9 l. 329 l. (26 %) 81 l. (7 %) 25 % 1 303 l. (31 %) 4,0 pers.
LÉONOR DE GUSMAN 10 sc. 89 répl. 2,8 l. 597 l. (48 %) 250 l. (20 %) 42 % 1 923 l. (46 %) 3,2 pers.
HÉLÈNE DE TORRES 12 sc. 119 répl. 1,3 l. 627 l. (50 %) 154 l. (13 %) 25 % 2 449 l. (59 %) 3,9 pers.
BÉATRIX 5 sc. 30 répl. 3,3 l. 440 l. (35 %) 98 l. (8 %) 23 % 878 l. (21 %) 2,9 pers.
PAQUETTE 7 sc. 23 répl. 2,1 l. 463 l. (37 %) 48 l. (4 %) 11 % 1 663 l. (40 %) 4,3 pers.
MUSICIENS 0 sc. 0 répl. 0 85 l. (7 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Scarron Paul. L’Héritier ridicule. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
DON DIÈGUE de Mendoce
FILIPIN
85 l. (33 %) 67 répl. 1,3 l.
175 l. (68 %) 73 répl. 2,4 l.
7 sc. 259 l. (21 %) 4,3 pers.
DON DIÈGUE de Mendoce
ROQUESPINE
81 l. (70 %) 47 répl. 1,7 l.
35 l. (31 %) 17 répl. 2,0 l.
6 sc. 115 l. (10 %) 3,4 pers.
DON DIÈGUE de Mendoce
CARMAGNOLLE
3 l. (34 %) 3 répl. 0,7 l.
5 l. (67 %) 17 répl. 0,2 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 5,0 pers.
DON DIÈGUE de Mendoce
DON JUAN BRACAMONT
52 l. (44 %) 23 répl. 2,2 l.
66 l. (57 %) 21 répl. 3,1 l.
4 sc. 116 l. (10 %) 4,2 pers.
DON DIÈGUE de Mendoce
LÉONOR DE GUSMAN
104 l. (54 %) 49 répl. 2,1 l.
91 l. (47 %) 39 répl. 2,3 l.
6 sc. 194 l. (16 %) 3,9 pers.
DON DIÈGUE de Mendoce
HÉLÈNE DE TORRES
82 l. (62 %) 49 répl. 1,7 l.
51 l. (39 %) 40 répl. 1,3 l.
7 sc. 132 l. (11 %) 4,4 pers.
DON DIÈGUE de Mendoce
BÉATRIX
16 l. (88 %) 9 répl. 1,7 l.
3 l. (13 %) 3 répl. 0,8 l.
2 sc. 18 l. (2 %) 4,5 pers.
DON DIÈGUE de Mendoce
PAQUETTE
2 l. (16 %) 2 répl. 0,6 l.
7 l. (85 %) 4 répl. 1,6 l.
2 sc. 8 l. (1 %) 3,9 pers.
FILIPIN
ROQUESPINE
85 l. (94 %) 36 répl. 2,4 l.
6 l. (7 %) 9 répl. 0,6 l.
3 sc. 90 l. (8 %) 3,5 pers.
FILIPIN
CARMAGNOLLE
130 l. (97 %) 34 répl. 3,8 l.
5 l. (4 %) 18 répl. 0,2 l.
1 sc. 134 l. (11 %) 5,0 pers.
FILIPIN
DON JUAN BRACAMONT
14 l. (34 %) 6 répl. 2,2 l.
27 l. (67 %) 7 répl. 3,8 l.
1 sc. 40 l. (4 %) 4,0 pers.
FILIPIN
LÉONOR DE GUSMAN
21 l. (66 %) 14 répl. 1,4 l.
11 l. (35 %) 8 répl. 1,3 l.
2 sc. 31 l. (3 %) 4,8 pers.
FILIPIN
HÉLÈNE DE TORRES
144 l. (76 %) 30 répl. 4,8 l.
48 l. (25 %) 55 répl. 0,9 l.
4 sc. 191 l. (16 %) 4,6 pers.
FILIPIN
BÉATRIX
36 l. (66 %) 11 répl. 3,2 l.
19 l. (35 %) 11 répl. 1,7 l.
2 sc. 54 l. (5 %) 2,6 pers.
FILIPIN
PAQUETTE
52 l. (64 %) 21 répl. 2,5 l.
31 l. (37 %) 13 répl. 2,3 l.
4 sc. 82 l. (7 %) 4,2 pers.
CARMAGNOLLE
HÉLÈNE DE TORRES
1 l. (4 %) 1 répl. 0,4 l.
10 l. (97 %) 13 répl. 0,7 l.
1 sc. 10 l. (1 %) 5,0 pers.
DON JUAN BRACAMONT
LÉONOR DE GUSMAN
46 l. (51 %) 17 répl. 2,7 l.
46 l. (50 %) 14 répl. 3,2 l.
3 sc. 91 l. (8 %) 4,1 pers.
DON JUAN BRACAMONT
HÉLÈNE DE TORRES
25 l. (48 %) 11 répl. 2,2 l.
27 l. (53 %) 9 répl. 3,0 l.
3 sc. 51 l. (5 %) 3,9 pers.
LÉONOR DE GUSMAN
HÉLÈNE DE TORRES
108 l. (58 %) 44 répl. 2,4 l.
81 l. (43 %) 52 répl. 1,5 l.
5 sc. 187 l. (15 %) 3,9 pers.
LÉONOR DE GUSMAN
BÉATRIX
105 l. (57 %) 37 répl. 2,8 l.
82 l. (44 %) 20 répl. 4,1 l.
4 sc. 186 l. (15 %) 3,1 pers.
HÉLÈNE DE TORRES
BÉATRIX
18 l. (86 %) 16 répl. 1,1 l.
4 l. (15 %) 6 répl. 0,5 l.
1 sc. 21 l. (2 %) 5,0 pers.
HÉLÈNE DE TORRES
PAQUETTE
27 l. (46 %) 27 répl. 1,0 l.
31 l. (55 %) 16 répl. 1,9 l.
5 sc. 57 l. (5 %) 4,5 pers.

L’Héritier ridicule

ou la dame intéressée

Scarron PaulThéâtre Classique

publié par Paul FIEVRE, octobre 2010

Comédiemoeurs espagnolesCinq actesvers1641-16501500-1750http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k717535Comédie
L’HÉRITIER RIDICULE OU LA DAME INTÉRESSÉE.
COMÉDIE
DÉDIÉE AU PRINCE D’ORANGE.

M DC L. AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

par Monsieur SCARRON

EXTRAIT DU PRIVILÈGE DU ROI.

Par grâce et Privilège du Roi donné à Paris le 10. jour de novembre 1649. Signé, Par le Roi en son Conseil, Le Brun. Il est permis à Toussaint Quinet Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre et distribuer une pièce de Théâtre intitulée, L’Héritier Ridicule, Comédie du Sieur Scarron, pendant le temps de cinq ans entiers et accomplis. Et défenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires et autres, de contrefaire ledit Livre, ni le vendre ou exposer en vente d’autre impression que de celle qu’il a fait faire, à peine de trois mil livres d’amende, et de tous dépens dommages et intérêts, ainsi qu’il est plus amplement porté pas lesdites Lettres, qui sont en vertu du présent Extrait tenues pour bien et dûment signifiées, à ce qu’aucun n’en prétende cause d’ignorance.

Achevé d’imprimer pour la première fois le 4. Mai 1650. Les exemplaires ont été fournis.
À PARIS, Chez TOUSSAINT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aides.
À TRÈS HAUT, TRÈS PUISSANT, et très excellent Prince Guillaume par la grâce de Dieu Prince d’Orange, Comte de Nassau, Catzelleboge, Vianden, Dietz, Lingen, Moers, Buren, Leerdam, Marquis de Vere et Flissingue, Seigneur, et Baron de Breda, de la ville de Grave, et le Pays de Cuyck, Diers Grimbergen, Herstal, Crannendoncq, Warneston, Arlay, Nozeroy, S Vit, Daesburge, Polanen, Willemstat, Niervaert, Iselstein, S. Maerztendijck, Gertruydenberghe, Chasteau-Regnard, de la haute et basse Swaluwen, Maestruyck, etc. Vicomte héréditaire d’Anvers et Besançon, Maréchal héréditaire d’Hollande, Gouverneur de Gueldre, Hollande, Zélande, Werstfrise, Utrecht, Ouerijssel, Groninghe, Ommelanden, Drenthe, etc. Capitaine général et Amiral des Provinces Unies des Pays-Bas, etc.

Monseigneur.

Je suis en peine de ma Muse dépaysée, elle est assez hardie dans Paris, et sur son fumier, c’est-à-dire dans ma chambre, mais en Hollande, et devant V. A. je tremble pour elle, et je me la représente toute décontenancée, qui fait la sotte, et pleure sous son masque, parce que trop de monde la regarde ; c’est à vous, MONSEIGNEUR, à la rassurer par ce bon accueil que vous ne refusez jamais à personne, autrement elle ne fera que bégayer en disant à V.A. que voici l’entreprise de la plus grande importance que j’ai jamais faite, et que je suis bien en peine moi-même de savoir, qui m’en a donné la hardiesse. J’en conçus le dessein, il y a cinq ou six ans que j’appris que V.A. avait jeté les yeux sur quelques-uns de mes ouvrages, et j’ai été autant de temps à délibérer, si je lui en dédierais quelqu’un. Enfin je me suis hasardé de lui faire une Comédie, ayant su que la Comédie la divertissait quelquefois ; je puis être blâmé d’avoir trop entrepris ou approuvé d’avoir diverti durant quelques heures, un des plus considérables Princes de l’Europe. L’un et l’autre succès prépare bien de la besogne à la Muse Burlesque, ou pour demander pardon d’avoir importuné, ou pour remercier d’avoir été charitablement soufferte. Si elle en sort à son honneur, et sans confusion, elle n’en demeurera pas là, et elle fera voir qu’une diseuse de sornettes peut traiter comiquement un sujet héroïque sans le profaner. Elle sait aussi bien que tout le reste du monde, que vos belles actions égalent celles de vos illustres pères, que vous avez pardessus eux, ce que vous êtes encore capable de faire, et que la Paix dont jouit la Hollande, apprend à toute l’Europe combien vous êtes redoutable ennemi, puisque le plus puissant de ses Monarques, et qui commande à la nation la plus adroite à faire des conquêtes, a douté du succès d’une guerre, dont vous auriez eu la conduite. Ce sont des vérités qui ne peuvent être disputées de personne, et pour lesquelles, le Proverbe qui dit, qu’elles font des ennemis, n’a jamais été fait. Ma Muse ne craindra donc point de vous dire les vôtres, puisqu’elles sont de cette nature-là, et qu’il n’est pas défendu de dire vrai en riant. Il est vrai qu’étant une Badaude de Paris, et ne sortant point de la chambre d’un malade, elle ne sait guère bien son monde, et que parlant avec trop de chaleur, elle pourra faire souffrir votre modestie : mais, MONSEIGNEUR, il n’y a rien de moins possible aux Héros, qui vous ressemblent que de s’empêcher d’être loués ; et cela est si vrai qu’à l’heure que j’écris, je n’ai jamais été en plus belle humeur de louer un grand Prince, et V. A. n’a jamais été en plus grand péril d’être importunée d’une longue Épître ; mais je n’abuserai pas plus longtemps de sa bonté. Je n’ai plus qu’une vérité à lui dire, dont la connaissance lui doit être indifférente : mais pour laquelle je souffrirais le martyre. C’est, Monseigneur, que je suis de toute mon âme,

De Votre Altesse

Le très humble, très obéissant et très obligé serviteur,

SCARRON.

ACTEURS.

  • DON DIÈGUE de Mendoce.
  • FILIPIN, ou DON PEDRO de Buffalos, Laquais de Don Diègue.
  • ROQUESPINE, Écuyer de Don Diègue.
  • CARMAGNOLLE, Valet de Don Pedro de Buffalos.
  • DON JUAN BRACAMONT.
  • LÉONOR DE GUSMAN.
  • HÉLÈNE DE TORRES.
  • BÉATRIX, Servante de Léonor.
  • PAQUETTE, Servante d’Hélène.
  • MUSICIENS.
La Scène est à Madrid.

ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE. Léonor, Béatrix.

BÉATRIX.

Madame, c’est courir beaucoup, et ne rien prendre,
Pour moi, je n’en puis plus, je commence à me rendre,
Si vous vouliez un peu regagner la maison,
Vous ne feriez pas mal.

LÉONOR.

Béatrix a raison
5 De se lasser enfin de prendre tant de peine ;
Mais elle ne sait pas le sujet qui me mène.

BÉATRIX.

Vous ne le savez pas aussi.

LÉONOR.

Je le sais bien ;
Mais trop pour mon repos.

BÉATRIX.

Trop aussi pour le mien,
Moi qui croyais marcher des mieux pour une fille,
10 Qui l’aurais disputé contre un porte-mandille :
Je confesse pourtant que vous allez du pied
Comme moi, pour le moins, voire mieux de moitié ;
Pour moi je ne vais plus quasi que d’une fesse ;
Car vous ne parlez point, et vous rêver sans cesse.
15 Madame, encore un coup, je ne puis tant aller,
Si je n’ai quelquefois le plaisir de parler :
Mais pourvu que je parle, et que l’on me réponde
J’irai sans me lasser jusques au bout du monde.

LÉONOR.

Oui, Béatrix, un peu de conversation,
20 J’y consens, et t’écoute avec attention.

BÉATRIX.

Discourons donc un peu, mais qu’il ne vous déplaise
Du sujet qui vous fait sans carrosse et sans chaise,
Sans Écuyer, sans gens, sans suite, sinon moi,
Courir le long du jour sur le pavé du Roi.
25 Je ne m’ingère point de condamner la chose
Devant que la savoir : mais l’effet qu’elle cause
Ma lassitude à part, je ne le puis louer :
Car ma chère maîtresse, il vous faut avouer
Que depuis quatre jours que vous courez la rue,
30 Et faites malgré moi de la Dame inconnue,
Si c’est avec dessein qu’il a mal réussi,
Et si c’est sans dessein que les fous font ainsi,
Vous ne savez pas bien ma foi ce que vous faites,
Que dira-t-on de vous, si l’on sait qui vous êtes ?
35 Vous qui dites toujours, mon Dieu que dira-t-on ?
Vous qui dites toujours, le trouvera-t-on bon ?
Qui de tout et partout faites la scrupuleuse,
Ne redoutez-vous point qu’on vous nomme coureuse,
Car ce nom-là vous est (sauf votre honneur) bien dû,
40 Si vous courrez ainsi toujours à corps perdu :
Et ne songez-vous point aux langues de vipère,
Qui tondent sur un oeuf, qui de tout font mystère ;
Les uns diront du moins que vous perdez le sens,
Les autres plus, selon qu’ils seront médisants :
45 Moi, qui chéris l’honneur autant, et plus qu’un autre,
Que fera-t-on au mien, si l’on s’attaque au vôtre,
Puisque l’on dit toujours, tel maître, tel valet ?

LÉONOR.

Je n’attendais pas tant de ton esprit follet,
Mais puisque je te trouve aujourd’hui si morale :
50 Je te veux croire aussi d’une âme assez loyale,
Pour apprendre de moi le sujet important,
Qui me fait tant courir, et qui te lasse tant ;
Écoute donc.

BÉATRIX.

Vraiment, Madame, si j’écoute,
Je choisirais plutôt de ne voir jamais goutte,
55 Que de n’écouter pas un important secret :
C’est mon plus grand plaisir, mais j’ai l’esprit discret.

LÉONOR.

Sache donc, Béatrix, que j’aime.

BÉATRIX.

Est-il possible ?
Je vous en aime mieux, il faut être sensible,
Pour moi, je vous croyais plus dure qu’un Rocher :
60 Mais puisque je connais que l’on vous peut toucher,
Si pour vous y servir, il ne faut que ma vie,
Madame, assurez-vous que vous serez servie.

LÉONOR.

Mais je suis, Béatrix, malheureuse à tel point,
Que j’aime un Cavalier.

BÉATRIX.

Qui ne vous aime point.

LÉONOR.

65 Non, mais qui ne sait pas, que pour lui je soupire.

BÉATRIX.

Le malheur n’est pas grand, il ne faut que lui dire.

LÉONOR.

Et comment Béatris ?

BÉATRIX.

C’est moi qui lui dira,
Reposez-vous sur moi, Dieu nous assistera,
Quand c’est à bonne fin, l’oeuvre n’est pas mauvaise.
70 Ha ! Vraiment, il vaut mieux aimer chaud comme braise,
Que haïr son prochain, et lui faire le froid,
Madame, il faut aimer ce qu’aimable l’on croit,
Et ne prétendre pas aussi pour être aimable,
Qu’on ait droit de laisser périr un misérable,
75 Quand votre Amant serait plus fier qu’un Narcissus,
J’en viendrais bien à bout, j’en aurais le dessus :
Et si je ne tiens pas la chose difficile,
Comment trouverait-il qui vous vaille en la ville ?
Nommez-le seulement, je vous le rends rendu,
80 Et quand pour son mérite il ferait l’entendu,
(Car je ne doute point qu’il n’en n’ait plus qu’un autre,
Puisqu’il a le pouvoir d’assujettir le vôtre).
Nous avons pour gagner les superbes Amants
Des secrets aussi forts que des enchantements :
85 Mais pour vous, que le ciel a faite toute belle,
Vous n’avez qu’à jouer un peu de la prunelle ;
Vous n’avez qu’à lui faire une fois les yeux doux,
Vous le verrez bientôt embrasser vos genoux.
Belle, riche d’esprit, noble, avec tous ces charmes,
90 Vous avez des désirs qui vous coûtent des larmes ;
C’est à vous bien plutôt à donner des désirs,
Qui causent de l’extase, ou bien des déplaisirs :
Selon que vous serez en humeur de bien faire,
Il sera trop heureux, Madame, de vous plaire.

LÉONOR.

95 Ho, ho, la Béatrix, qui t’en a tant appris ?
Je ne connaissais pas ton mérite et ton pris,
Je ne pensais avoir qu’une simple servante,
Et tu t’es découverte une fille savante.

BÉATRIX.

Je puis parler d’amour, puisque j’en ai tâté,
100 Et vous y puis servir puisque j’en ai traité :
Mais depuis un certain, qui mourut à la guerre,
Je ne prends plus plaisir aux choses de la terre :
Que maudit soit le jour que premier je le vis,
Si mon cruel destin ne me l’avait ravi,
105 Je ne me verrais pas une simple soubrette :
Mais Dieu l’a bien voulu, sa volonté soit faite ;
Parlons de votre affaire, et me contez un peu
Comment, quand, et par qui votre coeur a pris feu.

LÉONOR.

Ce fut un peu devant que nous fussions ensemble ;
110 Dieux ! À ce souvenir, je frissonne, et je tremble,
Un jour qu’il fit fort beau, j’allai me promener
Aux champs, où j’avais fait apprêter le dîner,
J’avais pris avec moi, quatre de mes amies,
Après dîner étant toutes cinq endormies,
115 En attendant le frais, laissant passer le chaud,
Un effroyable bruit me réveille en sursaut,
Je me lève, et ne vois dans la chambre paraître
Qu’une épaisse fumée, à travers la fenêtre,
Je vois le Ciel en feu, qui me remplit d’effroi :
120 Je tombe évanouie, et si fort hors de moi,
Que qui m’eût vue alors, m’eût cru aisément morte,
Le feu gagnait déjà l’escalier, et la porte,
Ces Dames, qui m’avaient laissée en ce danger,
(La peur les avait bien empêché d’y songer)
125 Versaient assez de pleurs, faisaient assez de plaintes,
Et je jurerais bien qu’elles n’étaient pas feintes,
Offraient assez d’argent, mais à me secourir,
Chacun faisait le sourd, de crainte de mourir,
Alors qu’un Cavalier conduit par mon bon Ange,
130 Arrive, est informé de ce malheur étrange,
Ces Dames en pleurant, lui content mon malheur,
Et lui, fut-il jamais de pareille valeur !
Fut-il jamais vertu comparable à la sienne ?
Met sa vie en hasard pour secourir la mienne,
135 Saute sans hésiter, de son carrosse en bas,
Passe au travers du feu qui ne l’épargne pas,
Monte vite en la chambre, ou plutôt il y vole,
Cette belle action dehors passe pour folle,
On le plaint, on le croit aussi perdu que moi,
140 Lorsqu’on le voit sortir, me traînant après soi,
Le poil brûlé, le teint tout noirci de fumée,
Il ne s’en alla point tant qu’il me vit pâmée ;
Mais sitôt qu’il me vit reprendre mes esprits,
Sans que son action reçût le moindre prix,
145 Je confesse en cela que l’on fit une faute,
Et par là j’ai bien vu qu’il a l’âme bien haute,
Sans se faire de fête, ou se faire valoir,
Sans qu’il me soit depuis seulement venu voir,
Il s’éloigna de nous, ce bel Ange visible,
150 Juge si j’en reçus un déplaisir sensible,
Alors qu’on m’eût appris ce que je lui devais,
C’est ce qui m’a réduite au point où tu me vois,
C’est ce qui m’a depuis fait verser tant de larmes,
Et donné sur mon coeur tant de force à ses charmes,
155 Que rien ne me paraît aimable comme il est,
Après lui dans la Cour personne ne me plaît,
Soit qu’il soit trop aimable, ou moi trop susceptible
D’un amour, qu’à chasser j’ai fait tout mon possible,
Car je l’ai vu depuis, cet aimable vainqueur ;
160 Mais je ne l’ai pu voir qu’aux dépens de mon coeur,
Mais je ne l’ai pu voir sans en être amoureuse,
Et de plus, Béatrix, jalouse, et furieuse ;
Ne désapprouve point ces mouvements jaloux
Je l’ai vu depuis peu dans l’Église à genoux,
165 Discourant en secret avec une inconnue,
Que mon Page suivit jusques dans cette rue,
Et c’est pourquoi j’y viens depuis deux ou trois jours,
Et ce qui m’y fait faire avec toi tant de tours,
Mais j’aperçois venir le plus fâcheux des hommes,
170 Je suis au désespoir, s’il connaît qui nous sommes,
C’est un homme choquant, un homme sans raison.

BÉATRIX.

Entrons sans marchander dedans cette maison,
J’en vois sortir, me semble, une femme assez belle.

LÉONOR.

Mon Dieu ! Sans la connaître.

BÉATRIX.

Et vous mangera-t-elle ?
175 Allez, allez, Madame, et parlez hardiment,
Il ne vous en saurait coûter qu’un compliment.

SCÈNE II. Léonor, Hélène, Béatrix.

LÉONOR.

Madame, n’ayant pas l’honneur de vous connaître
Vous n’approuverez pas ma liberté, peut-être,
Mais vous ne pouvez pas avoir tant de beauté
180 Que vous n’ayez beaucoup de générosité :
Ce Cavalier qui vient me poursuit, il m’importe
D’éviter son abord, je crois qu’à votre porte
Je rencontre à propos un lieu de sûreté,
Où je ne craindrai point son importunité.

HÉLÈNE.

185 À votre seul abord, sans voir votre visage,
Je vous accorderais encore d’avantage,
Approchez-vous, Madame, et ne redoutez rien.

SCÈNE III. Don Juan, Léonor, Hélène, Béatrix.

DON JUAN.

En vain vous vous cachez, je vous reconnais bien,
Pourquoi me fuyez-vous, ingrate Léonore ?
190 Ah ! C’est trop maltraiter celui qui vous adore,
Et qui pourtant est prêt de se mettre à genoux
S’il a pu vous déplaire en courant après vous.

LÉONOR.

Oui ! Seigneur Don Juan, c’est moi, je le confesse ;
Quel plaisir prenez-vous à me fâcher sans cesse ?
195 Pensez-vous emporter par obstination :
Ce qu’on ne peut gagner que par affection,
Mon humeur, dites-vous est une chose étrange,
Quand Dieu vous aurait fait aussi parfait qu’un Ange,
Quand il vous aurait fait un objet plein d’appas,
200 Avecque tout cela vous ne me plairiez pas ;
De cette aversion, vous demandez la cause,
C’est vous seul qui pouvez en savoir quelque chose,
Puisque cette cause est, ainsi que je le crois,
Et selon l’apparence, en vous plutôt qu’en moi,
205 Pour donner de l’amour, le secret est de plaire,
Vous ne me plaisez pas, que pensez-vous donc faire ?
Vous m’offrez votre coeur en échange du mien,
Pourquoi changer mon coeur, si je m’en trouve bien,
Et quand je voudrais bien le changer pour un autre,
210 Êtes-vous assuré que je prisse le vôtre ?
Parce que vous m’aimez, vous dois-je aimer aussi.
Est-ce bien raisonner que de conclure ainsi ?
Vous m’aimez, dites-vous, car je suis bien aimable,
Si vous ne m’êtes pas en cela comparable,
215 Si vous n’êtes aimable autant que je le suis ;
C’est me demander trop, et plus que je ne puis,
Et c’est sur ce sujet tout ce que je puis dire.

HÉLÈNE.

Je ne vois pas pour vous grande matière à rire :
Mais bien à composer de pitoyables Vers
220 Contre la dureté de ce sexe pervers,
Contre les cruautés de ces méchantes femmes,
Qu’on devrait assommer à grands coups d’épigrammes.

DON JUAN.

Ah ! Madame, c’est trop avoir de cruauté,
Railler un malheureux, c’est une lâcheté ;
225 Mais de ce procédé, quoiqu’il soit bien étrange,
Si vous me procurez un regard de mon Ange,
Je vous promets, Madame, et je vous le tiendrai,
Que comme d’un bienfait je m’en ressouviendrai.

LÉONOR.

Et mon Dieu, Don Juan, lorsque vous m’aurez vue,
230 Quel plaisir pensez-vous recevoir de ma vue,
Je vous regarderai comme un persécuteur.

DON JUAN.

Est-ce persécuter que de donner son coeur ?

LÉONOR.

Entendrai-je toujours dire la même chose ?

HÉLÈNE.

Encore que je sois suspecte en cette cause,
235 Sachez mon Cavalier, qu’aimer sans agrément
C’est dépenser son bien très inutilement,
C’est n’être pas trop bien avec sa destinée,
Et dès ce monde ici vivre en âme damnée,
Ce qui de vous étant de près considéré,
240 Laissez Madame en paix, et me sachez bon gré,
De vous avoir donné cet avis salutaire.

DON JUAN.

Je veux suivre un avis au vôtre tout contraire,
Et que je plaise, ou non, servir jusqu’à la mort
Cette ingrate beauté, de qui dépend mon sort,
245 Le temps pourra changer son humeur de tigresse.

LÉONOR.

N’espérez rien du temps qu’une triste vieillesse
La chute des cheveux, et la perte des dents,
Et parce qu’avec vous je passe mal le temps,
Et que Madame en est sans doute importunée,
250 Allez pester plus loin contre la destinée.

DON JUAN.

Madame, l’attendrai plutôt jusqu’à demain,
Que je n’aie l’honneur de vous donner la main
Jusqu’à votre demeure.

LÉONOR.

Et moi pour m’en défendre
J’espère vous lasser en vous faisant attendre.

HÉLÈNE.

255 Vous voulez donc, Monsieur, assiéger ma maison ?

DON JUAN.

Vous êtes contre moi, Madame.

HÉLÈNE.

Avec raison.
Vit-on jamais user de telle violence ?
Si quelqu’un m’avait fait une pareille offense ;
Mais je vois Don Diègue, il vient tout à propos.

LÉONOR, tout bas.

260 Ha Béatris ! C’est lui qui trouble mon repos,

HÉLÈNE.

Vous ne voulez donc pas laisser en paix Madame ?

DON JUAN.

Vous voulez donc qu’un corps s’éloigne de son âme.

HÉLÈNE.

Je ne puis plus souffrir tant d’incivilité,
Don Diègue, de grâce, ayez la charité
265 De vouloir délivrer une Dame assiégée,
À quoi je suis aussi par honneur engagée.

SCÈNE IV. Don Diègue, Hélène, Don Juan, Léonor, Béatrix.

DON DIÈGUE.

Et Madame qui donc vous fait la guerre ainsi ?

HÉLÈNE.

C’est Monsieur.

DON DIÈGUE.

Don Juan, puis-je croire ceci ?

HÉLÈNE.

J’étais dessus ma porte, une Dame inconnue,
270 Avecque sa Suivante à la hâte est venue,
Se sauver près de moi pour éviter l’abord
De Monsieur que voilà, qui la courait bien fort,
Il l’aime, à ce qu’il dit, elle ne l’aime guères,
Elle lui vient de dire en paroles bien claires,
275 Lui, sans se rebuter de sa sévérité,
La veut accompagner contre sa volonté.
Son importunité m’a semblé bien étrange ;
Et c’est peu respecter ce qu’il nomme son Ange,
Je l’ai voulu prier, je n’ai rien obtenu,
280 C’est où nous en étions quand vous êtes venu.

DON DIÈGUE.

Ah ! Seigneur Don Juan, nous devons tout aux Dames,
Les hommes ne sont nés que pour servir aux femmes.

DON JUAN.

Ce que vous dites là, qui le sait mieux que moi :
Mais lorsque j’ai pensé faire ce que je dois,
285 Lui présenter la main pour la mener chez elle,
Elle m’a refusé, l’ingrate, la cruelle,
Elle a fait l’inconnue, et m’a caché ses yeux,
Après deux ans entiers que je brûle pour eux,
À la fin la fureur suivra la patience.

DON DIÈGUE.

290 Prétendez-vous vous faire aimer par violence ?
L’amour se doit gagner, et ne se peut ravir,
Si vous le trouvez bon, je m’offre à vous servir,
Demain si vous voulez, je lui rendrai visite.

DON JUAN.

Je suis au désespoir.

DON DIÈGUE.

Un homme de mérite
295 Doit espérer toujours.

DON JUAN.

Ah ! L’ingrate beauté
A trop peu de justice, et trop de cruauté,
J’ai juré de la voir, je ne puis sans offense...

DON DIÈGUE.

Don Juan, en amour le voeu d’obéissance,
Va devant tes serments. Allons.

DON JUAN.

Je le veux bien,
300 Vous promettez beaucoup, mais je n’espère rien.

SCÈNE V. Hélène, Léonor, Béatrix.

HÉLÈNE.

Il s’en va bien fâché, le pauvre misérable,
Vous ne me tiendrez pas une rigueur semblable,
Je verrai ces beaux yeux qui lui font tant de mal,
Et votre amant s’en va devenir mon rival

LÉONOR.

305 Me montrer, ce n’est pas le moyen de vous plaire,
Mais vous obéissant, je ne saurais mal faire.

HÉLÈNE.

Ha ! Vraiment je l’excuse au lieu de le blâmer,
Il ne vous a pu voir, et s’empêcher d’aimer,
Ou trouvez le moyen de vous rendre invisible,
310 Ou laissez-vous aimer.

LÉONOR.

Madame, est-il possible ?
Lorsque vous me raillez assez visiblement,
Que vous gagniez pourtant mon coeur absolument ?
Vous m’avez fait, Madame, un plaisir, dont j’espère
Me revancher bientôt, et Monsieur votre frère,
315 En éloignant de moi cet Empereur des Fous,
S’est acquis dessus moi ce qu’il peut dessus vous.

HÉLÈNE.

Don Diègue est de soi si fort considérable,
Que si j’avais pour frère un Cavalier semblable,
Quand cela m’ôterait la plupart de mon bien
320 J’y gagnerais beaucoup.

LÉONOR.

Il ne vous est donc rien ?

HÉLÈNE.

Non, mais il tâche assez de m’être quelque chose.

LÉONOR.

Sa qualité peut-être inégale est la cause,
Qu’il aura de la peine à parvenir si haut.

HÉLÈNE.

Dans sa condition il est bien sans défaut,
325 On n’en saurait non plus trouver en sa personne ;
Mais ce n’est pas pour rien aujourd’hui qu’on se donne,
Don Diègue est fort pauvre, étant ce que je suis,
Je veux vivre en la Cour, sans bien je ne le puis :
Mon bien est médiocre, et j’aime la dépense.

LÉONOR, tout bas.

330 Ma crainte, et mes soupçons font place à l’espérance.

HÉLÈNE.

Que dites-vous ?

LÉONOR.

Je dis qu’en épousant un gueux,
Quelque bien que l’on ait, d’un pauvre on en fait deux.

HÉLÈNE.

Don Diègue est aimable, et son nom est Mendoce,
Mais cela ne fait pas bien rouler un carrosse,
335 Un oncle, à ce qu’il dit, Gouverneur au Pérou,
Lui garde bien du bien : mais il n’est pas venu,
Je n’aime pas le bien qui n’est qu’en espérance,
Je l’amuse pourtant de quelque complaisance,
Qui ne me coûte guère, et ne m’engage à rien,
340 N’en ai-je pas sujet ?

LÉONOR.

Ha ! Que vous faites bien,
Et que l’on voit souvent des filles abusées,
Pour n’être pas ainsi que vous bien avisées ;
Mais le plaisir que j’ai de vous entretenir,
Dont je veux conserver toujours le souvenir,
345 Et que je dois sans doute à ma bonne fortune,
M’empêche de songer que je vous importune,
Je prends congé de vous.

HÉLÈNE.

Faites-moi donc savoir
Le nom de la Beauté que j’ai l’honneur de voir,
Et dont la connaissance est pour me rendre vaine,
350 Je vous veux aller voir.

LÉONOR.

Je n’en vaux pas la peine,
Pour vous obéir donc, mon surnom est Gusman,
Mon nom est Léonor, et je loge à Saint-Jean.

HÉLÈNE.

Et moi pour vous le rendre en la même monnaie,
Hélène de Torrès.

LÉONOR.

Ce m’est beaucoup de joie,
355 De connaître une Dame en qui la qualité
Aussi bien que l’esprit égale la beauté,
Je reviendrai bientôt chez vous vous rendre grâce
De votre bon secours.

HÉLÈNE.

Devant que le jour passe
Je vous visiterai, Paquette !

SCÈNE VI. Paquette, Hélène.

PAQUETTE.

Qui va là ?

HÉLÈNE.

360 Maraude, osez-vous bien me répondre cela ?
Don Diègue a-t-il lu ma lettre ?

PAQUETTE.

Oui, Madame.

HÉLÈNE.

Et que vous a-t-il dit ?

PAQUETTE.

Il vous nomme son âme,
Son Ange, son Soleil, son Inclination,
Et cent autres beaux mots d’édification,
365 Qui m’ont bien fait pleurer, car je suis un peu tendre,
Sans doute je serais personne aisée à prendre,
Et qui me parlerait d’une mourante voix,
Aurait mon coeur, mon âme, et plus si je l’avais,
Quand je vois Don Diègue auprès de vous en larmes,
370 Vous dire cent beaux mots qui sont autant de charmes,
Et que je considère aussi d’autre côté
Hélène de Torrès, dont il est écouté,
Qui ne s’en émeut point, au lieu de satisfaire
Aux obligations.

HÉLÈNE.

Je vous ferai bien taire,
375 Cette coquine-là se mêle de prêcher,
Allez dire à quelqu’un qu’on cherche le cocher.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE. Don Diègue, Roquespine.

DON DIÈGUE.

Ha ! Je n’ai jamais vu d’homme plus obstiné
En son logis pourtant enfin je l’ai mené,
Il revenait toujours à la Dame inconnue,
380 Qu’il avait rencontrée au milieu de la rue,
Et n’avait pas voulu lui montrer ses beaux yeux,
Qu’il appelait ses Rois, ses Soleils, et ses Dieux,
Il a fait cent serments qui ne sont pas vulgaires,
Il a pris le bon Dieu de toutes les manières,
385 Disant que la beauté, qui le méprise tant,
Devait considérer un homme si constant.
Il m’a fait le récit de toutes ses prouesses,
Et le dénombrement de toutes ses Maîtresses.
Et cela pour monter, y joignant les combats
390 À cent contes pour rire, et tout cela fort bas,
Quoique nous fussions seuls ; il m’a fait voir en prose
Deux discours sur l’État, du ton de Bellerose,
M’a récité des Vers, enfin il a tant fait,
Que de son sot esprit assez mal satisfait,
395 Et pour dire le vrai de sa personne entière,
Je l’ai laissé pestant contre la Dame fière
Que je dois visiter pour lui dire qu’elle a
Grand tort de le traiter de cette façon-là,
Et de plus il m’a fait, bon gré, mal gré, promettre
400 De joindre à ma visite une efficace lettre,
Pour rendre cet esprit de Tigre un peu plus doux.

ROSQUEPINE.

Vous devriez bien plutôt, Monsieur, songer à vous,
Et sans vous tourmenter pour le repos d’un autre
Travailler tout de bon pour établir le vôtre,
405 Hélène de Torrès, vous mène par le bec,
Met votre coeur en cendre, et votre bourse à sec,
Lorsque vous lui parlez de conclure l’affaire,
La matoise qu’elle est adroitement diffère,
Et jure son grand Dieu, vous faisant les yeux doux,
410 Que si vous l’aimez bien, elle est folle de vous ;
Mais que plusieurs raisons qu’elle ne peut apprendre
Malgré tout son amour, la font encore attendre,
Et moi qui vois bien clair, Monsieur je vous apprends
Que le bien de votre oncle est tout ce qu’elle attend,
415 Non que vous déplaisiez à cette dame chiche,
Mais elle aime le bien, et vous n’êtes pas riche.

DON DIÈGUE.

Je serai riche un jour quand mon oncle mourra,
Mon Dieu quand mourra-t-il ?

ROSQUEPINE.

Le plus tard qu’il pourra,
Mais je veux qu’il soit mort, vous savez qu’un naufrage
420 Peut vous faire déchoir de cet ample héritage,
Et la Flotte qui vient que l’Hollandais attend,
Et que le plus souvent vous savez bien qu’il prend,
Si Dieu veut qu’elle prenne Amsterdam pour Séville,
Vous passerez fort mal le temps en cette ville ;
425 Et je veux qu’on me pende en cas que cela soit,
Si chez elle jamais l’ingrate vous reçoit,
Toute la subsistance est, peu s’en faut, tarie,
Vous sollicitez mal votre Commanderie,
Très inutilement vous tirez comme on dit,
430 De la poudre aux moineaux, et donnez à crédit
Votre temps, dont jamais on ne vous tiendra compte.
Vous en crevez de rire, et moi j’en meurs de honte.

DON DIÈGUE.

Es-tu mon Pédagogue ou bien mon Gouverneur ?

ROSQUEPINE.

Je suis votre Écuyer, de plus, homme d’honneur.

SCÈNE II. Filipin, Don Diègue, Roquespine.

FILIPIN, entre en chantant.

435 Que la Tour de Valladolid tombe sur toi,
Qu’elle tombe, et te tue, que m’importe à moi ?

DON DIÈGUE.

Ho, ho, c’est Filipin, hé bien quelles nouvelles ?

FILIPIN.

Desquelles voulez-vous, dites-le-moi, desquelles,
Car j’en ai pour pleurer, et pour ne pleurer pas,
440 J’apporte de l’argent, et j’annonce un trépas.

DON DIÈGUE.

Dis-nous donc ce que c’est.

FILIPIN.

Je veux qu’on le devine
Ou je ne dirai rien.

DON DIÈGUE.

Ce laquais a la mine
De se faire un peu battre.

FILIPIN.

Et devant que parler,
Je veux savoir où peut ma récompense aller,
445 Et si je veux de plus outre ma récompense,
Que votre Seigneurie augmente ma dépense.

DON DIÈGUE.

Hé bien cela vaut fait, dis donc succinctement.

FILIPIN.

Ce n’est pas là mon compte, il faut absolument
Que je parle beaucoup, ou bien que je me taise.

DON DIÈGUE.

450 Parle ton saoul.

FILIPIN.

De plus je demande ma chaise.

DON DIÈGUE.

Prends en une.

FILIPIN.

Et de plus quand j’aurai commencé,
Si quelqu’un m’interrompt, je veux être offensé,
Et qu’on ait là-dessus à me bien satisfaire.

DON DIÈGUE.

Et qui t’interrompra ?

FILIPIN.

Ce vieil gobbe clystère,
455 Cet écuyer que Dieu confonde, et qui se rit
De tout ce que je dis, et fait du bon esprit.

DON DIÈGUE.

Je te réponds de tout, commence donc ?

FILIPIN.

À d’autres,
Vous transgressez déjà les conditions nôtres,
Ne vous ai-je pas dit ? Et vous le savez bien,
460 Que vous devinassiez, et vous n’en faites rien.

DON DIÈGUE.

Et si je devinais qu’aurais-tu plus à dire ?
Sais-tu bien, gros faquin, que je suis las de rire,
Et si tu fais le sot, qu’à grands coups de bâton...

FILIPIN.

Ho, ho, je vous croyais aussi doux qu’un mouton.
465 Et que Diable vous sert d’avoir lu la Morale ?
Vous vous fâchez pour rien, et vous devenez pâle ;
Et bien n’en parlons plus, je parle, écoutez-moi.

DON DIÈGUE.

Je ne t’écoute point, je le saurai sans toi.

FILIPIN.

Vous ne m’écoutez point ? De grâce à la pareille,
470 Monsieur, accordez-moi l’honneur de votre oreille.

DON DIÈGUE.

Je veux faire à mon tour quelques conditions.

FILIPIN.

Faites, je passe tout, hors les contusions,
Qui diable vous a dit que c’était là mon tendre ?
Je ne veux point parler, alors qu’on veut m’entendre ;
475 Quand on ne le veut plus, j’enrage de parler :
Et maintenant, Monsieur, je ne le puis celer :
Si vous me défendez de dire mes nouvelles,
Vous perdez le Phénix des serviteurs fidèles ;
Les discours retenus me pourront suffoquer,
480 Et d’une mort si sotte on se pourra moquer.

DON DIÈGUE.

N’y retourne donc plus, parle je te fais grâce.

FILIPIN.

Voulez-vous un discours avec une préface,
Et tous les ornements que j’y pourrai donner ?

DON DIÈGUE.

Dépêche en peu de mots, et sans tant badiner.

FILIPIN.

485 Certes il est bien vrai que jamais la fortune...

DON DIÈGUE.

Ce beau commencement dès l’abord m’importune.

FILIPIN.

Je vais changer de style, outre la pension,
Monsieur, je vous apporte une succession.

DON DIÈGUE.

Mon cher oncle est donc mort.

FILIPIN.

Et pour de longues années,
490 Que de femmes partout vous vont être données !
Le franc homme d’honneur que vous avez perdu
Le grand bien qu’il vous laisse à Séville rendu !
En est bon témoignage, ô la belle monnaie
Que de gros patacons son commis vous envoie !
495 En argent monnayé, diamants, et lingots,
Cent mille beaux écus, trente jeunes magots,
Autant de perroquets, de Cachou plein deux caisses,
Bref trois vaisseaux chargés de toutes les richesses
Que possédait votre oncle ! Hélas, encore un coup,
500 En gagnant tant de bien, que vous perdez beaucoup !
Mais si vous commandiez qu’on me donnât à boire,
Pour m’ôter, si l’on peut, sa mort de ma mémoire,
Tandis que vous lirez ce que l’on vous écrit,
J’irais me délasser, et le corps, et l’esprit,
505 J’ai bien peur de trouver tout froid dans la cuisine.

DON DIÈGUE.

Va le faire manger ; et reviens, Roquespine.

ROSQUEPINE.

Le voilà qui revient.

FILIPIN.

Monsieur sortant d’ici,
Une Dame voilée, et sa servante aussi,
Qui ne m’a pas paru non plus qu’elle pourrie,
510 Attend pour vous parler en cette Galerie.

DON DIÈGUE.

Dis-lui qu’elle entre.

FILIPIN.

Entrez, Madame, au nez caché
Don Diègue est tout seul, et n’est pas empêché.

SCÈNE III. Léonor, Béatrix voilées, Don Diègue, Filipin.

LÉONOR.

C’est comme je le veux.

DON DIÈGUE.

Elle a fort bonne mine.

FILIPIN.

La putain de servante a guigné Roquespine.

LÉONOR.

515 Monsieur pour un sujet que vous allez savoir,
Faites sortir vos gens.

DON DIÈGUE.

Vous vous ferez donc voir.

LÉONOR.

Vous n’en serez pas mieux lorsque vous m’aurez vue.

FILIPIN.

La Dame qui se cache, est ou vielle, ou barbue.

DON DIÈGUE.

Pour être ainsi, Madame a trop bonne façon,
520 Mais alors qu’on se cache, on donne du soupçon.

FILIPIN.

Et vous, qui paraissez être la Damoiselle
De cette Demoiselle, ou vous n’êtes pas belle,
Ou j’ose bien gager que vous ne valez rien,
Puisque vous vous cachez aux yeux des gens de bien.

BÉATRIX.

525 Et vous, plaisant, ou Fou de Monsieur votre Maître,
Muletier ou laquais, car tout cela peut être,
Je gage bien plutôt que vous ne valez rien,
Puisque vous tourmentez ainsi les gens de bien

FILIPIN.

Il n’a pas mal parlé, ce visage de crêpe,
530 Ô beauté, qui m’avez piqué comme une guêpe !
Daignez me recevoir pour votre humble frelon,
Quoique laquais, je suis favori d’Apollon.

LÉONOR.

Sortons, sortons d’ici, Don Diègue et sa suite
Devaient mieux recevoir ma première visite.

DON DIÈGUE.

535 Ha ! Madame, arrêtez, Don Diègue fera
(N’en doutez nullement) tout ce qu’il vous plaira.

LÉONOR.

Commandez donc Monsieur encore un coup qu’ils sortent,
Et vous saurez de moi des choses qui vous importent.

FILIPIN.

Adieu belle inconnue !

BÉATRIX.

Adieu vilain connu.

FILIPIN.

540 Adieu vieille suivante ?

BÉATRIX.

Adieu laquais chenu.

SCÈNE IV. Léonor, Don Diègue.

LÉONOR.

Sans employer le temps en discours inutiles,
Et sans vous accabler de paroles civiles
De la part d’une Dame à qui vous êtes cher,
Je suis ici venue exprès pour vous chercher ;
545 Et pour savoir de vous si vous êtes à prendre,
Ou si vous êtes pris. Veuillez donc me l’apprendre,
Cette Dame a dessein de vous bien marier,
En cas que vous soyez un homme à vous lier ;
Elle sait votre nom, connaît votre mérite,
550 Et c’est pour cela seul que je vous rends visite.

DON DIÈGUE.

Je ne vous dirai rien si vous ne promettez
De lever votre voile, et montrer vos beautés.

LÉONOR.

S’il ne tient qu’à cela, vous verrez mon visage,
Encore qu’à le cacher, j’aie un grand avantage,
555 Dites-moi cependant si vous aimez ou non.

DON DIÈGUE.

Volontiers.

LÉONOR.

Vous aimez.

DON DIÈGUE.

Oui j’aime.

LÉONOR.

Tout de bon.

DON DIÈGUE.

Tout ce qu’on peut aimer.

LÉONOR.

Et vous aimez.

DON DIÈGUE.

Hélène;

LÉONOR.

Hélène De Torrès.

DON DIÈGUE.

C’est elle qui m’enchaîne.

LÉONOR.

Et qui se meurt d’amour pour vous.

DON DIÈGUE.

Qui m’aime bien.

LÉONOR.

560 Vous le croyez.

DON DIÈGUE.

Sans doute.

LÉONOR.

Et moi je n’en crois rien.

DON DIÈGUE.

Vous ne le croyez pas ?

LÉONOR.

Je la sais de sa bouche,
Que le bien de votre oncle, et non pas vous, la touche,
Et que s’il vous manquait cette succession,
Vous n’auriez jamais part en son affection.

DON DIÈGUE.

565 Femme qui n’êtes pas sans doute son amie,
Qui tâchez d’ébranler ma fortune affermie,
En venant m’avertir que l’on ne m’aime pas,
Sachez que vous perdez votre temps, et vos pas.
Hélène de Torrès m’aime, je le veux croire,
570 Plutôt que les avis d’une Donzelle noire,
Dont peut-être l’esprit que l’on ne saurait voir,
À son voile est pareil, c’est-à-dire bien noir.

LÉONOR.

Ne jugez plus de moi par ma noire figure,
Mon visage n’est pas de si mauvaise augure.
575 Regardez-moi, Monsieur, s’il vous reste des yeux,
Pour d’autres que pour ceux dont vous faites des Dieux.

DON DIÈGUE.

Ô qu’il est difficile, après vous avoir vue,
De se gardez des maux qui suivent votre vue,
Et si j’avais encor un coeur à saccager,
580 Madame, qu’avec vous je serais en danger !
Mais, Madame, il me vient, vous ayant regardée
De votre beau visage une confuse idée,
Il faut bien qu’autrefois il m’ait été connu.

LÉONOR.

Encore est-ce beaucoup de s’être souvenu
585 D’un visage commun et fait comme le nôtre,
Tandis qu’absolument possédé par un autre,
On ne vit que pour elle, et l’on songe fort peu
À voir par charité ceux qu’on sauve du feu ;
Car de civilité l’on n’en espère aucune
590 De qui méprise tout, fors sa bonne fortune.

DON DIÈGUE.

Femme qui n’êtes pas sans doute son amie,
Qui tâchez d’ébranler ma fortune affermie,
Oui, Madame, il est vrai : contre vous j’ai péché,
Vous me l’avez chez moi justement reproché,
595 En ne vous voyant point, j’en ai fait pénitence,
Et j’en ai tout de bon beaucoup de repentance.

LÉONOR.

En ne me voyant point vous n’avez point souffert :
Ce que l’on aime point, sans regret on le perd,
Si vous avez de moi la mémoire perdue,
600 Puisqu’à notre mérite elle n’était point due ;
Me dire qu’en cela vous avez bien péché,
C’est rire à mes dépens, et même à bon marché,
Vous adorez des yeux qui vous gardent des nôtres :
Mais Seigneur Don Diègue, ouvrez un peu les vôtres.
605 Ne faites pas de moi ce mauvais jugement,
De croire qu’à dessein de tromper seulement,
Je vienne ici chez vous, vous avertir qu’Hélène
Amuse votre amour d’une espérance vaine :
D’elle même je sais que son affection
610 Suit seulement l’espoir d’une succession,
Que la succession ou tardive ou manquée,
Rendra de tous vos soins l’espérance moquée,
Et que ce dessein seul fait qu’elle vous reçoit ;
Ne doutez nullement que tout cela ne soit.
615 À moi-même, tantôt elle a fait confidence
De cette trahison qu’elle nomme prudence,
Je suis la Dame même à qui Don Juan
Plus funeste pour moi que n’est un chat-huant,
A causé le bonheur de se voir dégagée
620 Par vous, lorsqu’il m’avait chez Hélène assiégée.
Vous m’obligeâtes moins en me sauvant du feu,
Peut-être cet avis vous importune un peu,
Ne vous en prenez point à moi, qui vous le donne,
Je ne fais qu’obéir à certaine personne,
625 Dame de grand mérite, et qui vous aime assez
Pour souhaiter ailleurs vos feux récompensés,
Sans votre engagement vous auriez avec elle,
Ce que vous n’aurez point avec votre infidèle
Elle a six mille écus de rente : en qualité,
630 Elle surpasse Hélène, et peut-être en beauté :
Ne considère en vous que votre seul mérite
Et là-dessus, Monsieur, je finis ma visite.

DON DIÈGUE.

Et ne saurais-je point sa demeure et son nom.

LÉONOR.

Sans le bien mériter, je pense bien que non.

DON DIÈGUE.

635 J’irai chez vous l’apprendre.

LÉONOR.

Et que dirait Hélène ?
Non, non, n’y venez pas, je n’en vaux pas la peine.

SCÈNE V. Don Diègue, Roquespine, Filipin.

DON DIÈGUE.

Roquespine, laquais, quelqu’un venez à moi,
L’aventure est plaisante, et rare sur ma foi.
Savez-vous ce qu’a fait cette Dame voilée ?

ROSQUEPINE.

640 Non je sais seulement qu’elle s’en est allée.

DON DIÈGUE.

Elle a fait ses efforts pour me persuader
Qu’Hélène me trahit, que je m’en dois garder,
Et que si je veux rompre avec cette infidèle
Une autre se présente, et plus riche, et plus belle.

ROSQUEPINE.

645 Il n’est rien de plus vrai, je l’ai su depuis peu.

DON DIÈGUE.

C’est elle qu’une fois je garantis du feu.

ROSQUEPINE.

La peste qu’elle est belle !

FILIPIN.

Et jeune.

ROSQUEPINE.

Et de plus, riche.

FILIPIN.

C’est dommage qu’un champ si beau demeure en friche.

DON DIÈGUE.

Elle parlait pour elle, ou je me trompe fort.

FILIPIN.

650 Et prenez-la-moi donc, ou vous avez grand tort,
Prenez-la-moi, vous dis-je, et me laisser la peine,
De découvrir au vrai l’intention d’Hélène.

DON DIÈGUE.

Et comment ferais-tu ?

FILIPIN.

Feignez tout attristé
Que votre oncle vous a tout net déshérité,
655 Que ma mère est sa soeur, mariée en Galice,
Et que par mon bonheur, ou par mon artifice
Lui faisant cent rapports que vous ne valez rien,
Le bonhomme en mourant m’a laissé tout son bien.
Vous savez qu’à la cour on ne me connaît guère,
660 Que je parle un langage étonnant le vulgaire ;
Et qu’ayant autrefois appris quelque latin,
Je sais, quoique laquais, dire sort, et destin ;
Parler Phoebus, écrire, en vers ainsi qu’en prose,
Appliquer bien ou mal une métamorphose,
665 Si malgré mon langage et mine de pédant
Votre Hélène reçoit le nouveau prétendant,
Pour l’espoir des grands biens dont il fera fanfare,
Plantez pour reverdir cette maîtresse avare ;
Prenez-moi bien et beau Madame Léonor,
670 Et ce sera changer votre argent faux en or.

DON DIÈGUE.

Bien je veux essayer avec ton stratagème
De savoir s’il est vrai que c’est mon bien qu’on aime.

FILIPIN.

Il faut battre le fer cependant qu’il est chaud,
L’héritier Ridicule agira comme il faut.

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE. Hélène, Don Diègue.

HÉLÈNE.

675 Mon Dieu ! Ne jurez point, ou véritable ou feinte,
Une noire tristesse en votre face est peinte.

DON DIÈGUE.

Étant auprès de vous, pourrais-je m’attrister ?

HÉLÈNE.

Contre la vérité voulez-vous contester ?
Mais ne saurais-je point le sujet qui vous fâche ?

DON DIÈGUE.

680 Ce qu’on ne peut celer, il faut bien qu’on le sache.

HÉLÈNE.

La flotte a-t-elle fait naufrage ?

DON DIÈGUE.

Elle est au port
Heureusement conduite, et si mon oncle est mort.

HÉLÈNE.

Qu’est-ce qui vous met en peine ?

DON DIÈGUE.

En cette lettre
Vous verrez un malheur capable de m’y mettre.
LETTRE.

MONSIEUR, etc.

Votre oncle Don Pelage a cassé en mourant le Testament qu’il avait fait en votre faveur, et a fait votre Cousin Don Pedro de Buffalos son héritier universel : Il ne vous laisse que trois cents Ducats de rente durant votre vie : j’ai fait ce que j’ai pu pour vous servir, je n’ai pu rien obtenir du vieillard, auprès de qui on vous a rendu sans doute de très mauvais offices : j’en suis au désespoir, et suis,

MONSIEUR, Votre très humble, et très obéissant serviteur George Rinaldi.

HÉLÈNE.

685 Vous avez grand sujet de n’être pas content,
Et trop de coeur pour vous affliger tant ;
Une âme généreuse, et qui n’est pas commune,
Est au-dessus des biens que donne la fortune.

DON DIÈGUE.

Pourvu qu’Hélène m’aime, et me veuille du bien,
690 Les malheurs les plus grands me touchent moins que rien,
Sa main mise en la mienne, ainsi que je l’espère ;
Car il n’est plus saison que sa bonté diffère
De m’accorder bientôt ce sensible bonheur,
Dont le retardement blesserait votre honneur :
695 Sa main, dis-je, donnée, et la mienne reçue,
Feront qu’en ses desseins la Fortune déçue
Me laissera jouir de ce bonheur parfait,
Sans me plus tourmenter, comme elle a toujours fait.
Ne différez donc plus ce bien incomparable,
700 Faites un homme heureux d’un homme misérable :
Achevez ma fortune en public dès demain,
Et recevant mon coeur, donnez-moi votre main.

HÉLÈNE.

Vous pressez un peu trop ce qu’on peut toujours faire,
Vouloir être mon Maître, est-ce vouloir me plaire ?
705 Vous m’aimez Don Diègue, au moins, ce dites-vous,
J’aime bien Don Diègue, et craint fort un époux :
Vous n’avez point de bien, j’aime fort la dépense,
Jugez par ce discours de tout ce que je pense.

DON DIÈGUE.

Vous refusez un bien si longtemps attendu ?

HÉLÈNE.

710 Osez-vous vous en plaindre, et vous était-il dû ?

DON DIÈGUE.

Ô que vous cachiez bien votre âme intéressée !

HÉLÈNE.

Ô qu’en vous épousant je serais insensée !

DON DIÈGUE.

Je ne le pouvais croire alors qu’on me l’apprit
Que vous aimiez le bien.

HÉLÈNE.

C’est avoir de l’esprit.

DON DIÈGUE.

715 Vous en avez beaucoup, mais bien plus d’avarice.
Ô que mon beau cousin frais venu de Galice
Serait bien votre fait, tout mal bâti qu’il est !

HÉLÈNE.

Vous pensez-vous railler ? S’il est riche, il me plaît.

DON DIÈGUE.

Et ne craignez-vous point de passer pour infâme ?

HÉLÈNE.

720 Non, mais je crains bien fort de me voir votre femme.

DON DIÈGUE.

Je me verrais venger par vous-même, de vous,
Si mon sot de Cousin devenait votre époux.

HÉLÈNE.

S’il n’est pas comme vous accablé de misère,
Et non pas comme vous d’une âme peu sincère,
725 Je ne le cèle point, je l’aimerai bien mieux
Qu’un incivil, un brave, un pauvre, un glorieux.

SCÈNE II. Paquette, Don Diègue, Hélène.

PAQUETTE.

Madame un Cavalier, ou qui paraît de l’être,
Suivi d’un Écuyer bien mieux fait que son Maître,
Demande à vous parler, j’ai retenu son nom :
730 Pedro de Buffalos, il se donne du Don,
Je croirais pourtant bien en voyant sa personne,
Que ce Don a besoin que quelque autre lui donne.

DON DIÈGUE.

C’est mon Cousin lui-même.

HÉLÈNE.

Hé bien je le veux voir,
Qu’on le fasse monter, je le veux recevoir,
735 Pour vous faire dépit, en homme de mérite.

DON DIÈGUE.

Dieu veuille que l’amour succède à la visite !

HÉLÈNE.

Ô l’étrange figure !

SCÈNE III. Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Carmagnolle, Don Diègue, Hélène, Paquette.

FILIPIN.

Ha, pardon bel objet !
Je pensais bien encore faire un plus long trajet ;
J’ai traversé déjà deux salles et deux chambres.
740 Ce logis, Dieu me sauve, a quantité de membres :
Que dites-vous de moi, d’oser sans parasol
Visiter un soleil, c’est un acte de fol ?
Mais dans l’occasion je vais tête première :
Quitte pour me saucer un peu dans la Rivière :
745 En quittant vos beaux yeux, qui sont miroirs ardents.
Holà, je suis tout seul, Carmagnolle, mes gens,
Carmagnolle !

CARMAGNOLLE.

Monsieur.

FILIPIN.

Tiens-moi bien, je palpite !
Ô dangereuse vue ! Ô fatale visite !
Cousin où prends-tu donc l’aquiline valeur,
750 Qui fait que sans ciller, sans changer de couleur,
Sans baisser seulement à demi la paupière,
Tu la guignes en aigle, une journée entière ?
Hélas ! Je ne la vois que depuis un moment,
Et je me sens déjà tout je ne sais comment :
755 Mais elle ne dit mot, me semble, cette belle,
J’aime les gens d’esprit, dis, Cousin, en a-t-elle ?

DON DIÈGUE.

Et du plus raffiné.

FILIPIN.

Je lui rendrai des soins.

HÉLÈNE.

Si je ne vous dis mot, je n’en pense pas moins.

FILIPIN.

Je ne prends pas aussi plaisir qu’on m’interrompe ;
760 Vous m’aimez n’est-ce pas ?

DON DIÈGUE.

Oui, si je ne me trompe.

HÉLÈNE.

Qui ne vous aimerait ?

FILIPIN.

Bon, elle le prend bien :
Ha, petite civette ! Ha chatte ! Ha petit chien !
Petit chien, ce mot-là pour femme est ridicule.
Ha, pardon ! Je voulais vous nommer canicule ;
765 Mais vous avez bon sens, et vous savez fort bien
Qu’on nomme également femelle et mâle un chien.
Ha, vous m’assassinez de certaines oeillades,
Qui ravissent les gens en les faisant malades.
Vos yeux m’ont inspiré de certains sentiments,
770 Qui sont fort opposés aux saints commandements.
Madame fermez-les, fermez-les ces paupières,
Ces assassins qui font enfler les cimetières.
Mais ne les fermez point, brûlez, je le veux bien,
Brûlez mon pauvre coeur, je n’y prétends plus rien :
775 Vous me gâtez l’esprit, ou la peste me tue,
Et ma pauvre raison de désirs combattue
M’oblige à vous parler en termes ambigus.
Ha, si j’avais cent yeux comme défunt Argus,
Ou si j’étais aveugle ainsi que Tirésie,
780 Ou si vous aviez pris assez de malvoisie,
Et mangé tant de pain, que Cérès et Bacchus
Vous pussent rendre enfin prenable par blocus,
Ou si je savais bien ce que je vous veux dire,
Ou si j’avais pouvoir de m’empêcher de rire,
785 Comme vous que je vois vos deux lèvres manger,
Tant vous avez eu peur de me désobliger !
Mais riez, bel objet, riez si bon vous semble,
Et pour vous enhardir, rions, ma belle, ensemble.
Ça je vais commencer, rions à l’unissons :
790 Mon Dieu que vous riez de mauvaise façon !
Hi, hi, hi, hi, hi, hi ; vous riez en guenuche,
Adorable beauté qui m’allez rendre cruche :
Je dis vos vérités, c’est mon plus grand regret.
Si je vous aimais moins, je serais plus discret :
795 Mais vous venez encor, assassinante oeillade,
Malgré mes beaux discours sur moi battre l’estrade !
Hé, trêve de matras, ils sont hors de saison,
Et parmi les chrétiens c’est une trahison.
Je vous le maintiendrai, merveille des merveilles !
800 Tout à l’heure en champ clos avec armes pareilles :
Mais vous délibérez, et tant délibérer
Sur un semblable cas, c’est me désespérer.
Hé bien, ma belle, hé bien suis-je en amour novice ?
C’est le style d’amour dont on use en Galice.
805 S’il n’est pas à la mode, il le faudra changer ;
Pour vous je ferai tout, jusqu’à me fustiger.

HÉLÈNE.

Je ne veux pas de vous une si rude épreuve.

FILIPIN.

Si vous me promettiez de n’être jamais veuve,
Quoique j’aie un regard de Caton le Censeur,
810 Nous autres Buffalos, savons tous un coup sûr
Pour faire des enfants, et la générative
Dedans nous, fait la nique à la végétative :
Étant génératif plus que végétatif,
Il ne tiendra qu’à vous qu’un noeud copulatif,
815 En langage moins fin que l’on nomme hyménée,
Ne nous soigne tous deux, et dès cette journée.

HÉLÈNE.

Connaissons-nous devant, et ne nous pressons point.

FILIPIN.

Carmagnolle !

CARMAGNOLLE.

Monsieur.

FILIPIN.

Dégrafe mon pourpoint,
L’amour qui dans mon coeur chante ville gagnée
820 Excite en mon jabot exhalaison ignée.

HÉLÈNE.

Vraiment, mon Cavalier, ce terme de jabot
Est un terme fort bas, et qui sent le sabot.

FILIPIN.

Un homme comme moi peut le mettre en usage :
Cousin, approuves-tu ce subit mariage ?
825 Dis, puis-je mieux choisir ? Peut-elle choisir mieux ?

DON DIÈGUE.

Vous montrez en cela que vous avez bons yeux :
Je prends congé de vous, Madame.

FILIPIN.

Et je demeure
Auprès de ce bel Ange.

DON DIÈGUE tout bas à Carmagnolle.

Elle est prise, ou je meure.

FILIPIN.

Carmagnolle !

CARMAGNOLLE.

Monsieur.

FILIPIN.

Qu’on me donne un fauteuil,
830 D’où je puisse aisément faire la guerre à l’oeil
Sur ces tétons de lait, amoureuses collines ;
Ces deux mondes jumeaux, ces boules assassines,
Carmagnolle !

CARMAGNOLLE.

Monsieur.

FILIPIN.

Mon rabat est-il bien ?

CARMAGNOLLE.

Il est bien.

FILIPIN.

Et le reste ?

CARMAGNOLLE.

Il ne vous manque rien.

FILIPIN.

835 Carmagnolle.

CARMAGNOLLE.

Monsieur.

FILIPIN.

J’en tiens, j’en ai dans l’âme.
Carmagnolle.

CARMAGNOLLE.

Monsieur.

FILIPIN.

Ne dis plus rien. Madame,
Que dites-vous de moi ?

HÉLÈNE.

Je dis que vous valez
Tout ce qu’on peut valoir.

FILIPIN.

Ha ! Vous me cajolez,
Et moi je dis de vous que déjà j’extravague ;
840 Enfin que ma raison auprès de vous naufrague.

HÉLÈNE.

Ce terme est fort nouveau.

FILIPIN.

Je parle élégamment,
Et non pas mon Cousin qui parle bassement ;
Écoutez, écoutez, je vais dire, merveilles,
Vous ravissez mes yeux, défendez vos oreilles,
845 Si le style est trop haut, je l’accommoderai
À votre connaissance, et l’humaniserai.

HÉLÈNE.

Vous me ferez plaisir, pourvu que je l’entende.

FILIPIN.

Moitié Zone Torride, et moitié Groenlande,
Qui Torride brûlez, Groenlande glacez,
850 Trêve de glace et de feu, c’est assez, c’est assez,
De vos regards doubles les forces agissantes
Font sur mon pauvre coeur impressions puissantes :
Mitigez-les, Madame, ou s’en faudra bien peu,
Si vous continuez, que je ne crie au feu.
855 Me voilà tantôt cuit, quoique aussi dur que roche,
En donnant seulement encor un tour de broche :
Et bien vous en riez ?

HÉLÈNE.

Tout autant que je puis.

FILIPIN.

Je divertis toujours les maisons où je suis,
Cependant qu’en rêvant mon esprit se repose
860 Carmagnolle !

CARMAGNOLLE.

Monsieur.

FILIPIN.

Raconte quelque chose
À Madame, fais-lui quelques contes plaisants,
Tels que tu m’en faisais durant mes jeunes ans :
Tu me dis quelquefois mille coyonneries,
Qui font crever de rire : et dans tes railleries
865 Tu réussis assez ; mais trêve du prochain,
Dis-lui que Don Diègue est pour mourir de faim.
Et qu’il a seulement pour sa mère, ma tante,
Pour ses soeurs et pour lui, trois cents Ducats de rente,
Qu’il ne peut disposer de ces trois cents Ducats,
870 Mais du seul usufruit, ce qui n’est pas grand cas ;
Qu’il a perdu ce bien pour mainte et mainte faute,
Qu’il pensait tout avoir, et contait sans son hôte,
Que pour avoir été par trop Vénérien,
Joueur, filou, hargneux ; en un mot un Vaurien.
875 Mon Oncle Don Pelage, ayant appris ces choses,
L’a frustré de son bien pour ces trop justes causes,
Que ce qu’il m’a laissé vaut en argent comptant
Trois cent mille Ducats.

CARMAGNOLLE.

Et les meubles autant.

HÉLÈNE.

Vraiment, mon Cavalier, vous êtes donc bien riche ?

FILIPIN.

880 Oui, ma belle, et sachez si vous n’êtes pas chiche
De ce que je ne veux recevoir que de vous,
Que tous mes biens seront en commun entre nous.

HÉLÈNE.

Refuser un bonheur alors qu’il se présente,
C’est n’avoir point d’esprit.

FILIPIN.

Ce discours me contente,
885 J’ai de plus un procès aussi clair que le jour,
Qui sera terminé bientôt en cette Cour,
Dont j’attends force bien, c’est une bonne affaire ;
Écoutez, et voyez si la chose est bien claire.
Mon grand-père, l’honneur de tous les Buffalos
890 Vendit certaine terre au Seigneur d’Avalos.
À quelque temps de là cette terre vendue
Deux cent mille écus, dont la somme était due
À mon oncle, de qui les enfants héritiers
S’opposant au décret seulement pour un tiers.
895 Ma tante mariée avec un Aquavive
Obtint contre l’arrêt sentence informative :
Par retrait lignager forme opposition,
Et reprend tout le bien ; mais par intrusion
La chose n’étant pas encore homologuée,
900 Je dis que la cutume est fort mal alléguée,
Et que j’y dois rentrer. J’ai su d’un Avocat
Que le procès pourtant était fort délicat ;
Mais j’ai de bons amis, et je sais la chicane,
Trouvez-vous cette affaire obscure ou diaphane ?

HÉLÈNE.

905 Je ne l’entends pas bien.

FILIPIN.

En bonne vérité
J’y trouve comme vous beaucoup d’obscurité,
Par mon Solliciteur je vous la ferai dire,
Carmagnolle !

CARMAGNOLLE.

Monsieur.

FILIPIN.

Approche, sais-tu lire ?

CARMAGNOLLE.

Oui, Monsieur.

FILIPIN.

Tu sais combien j’ai de magots ?

CARMAGNOLLE.

910 Trente.

FILIPIN.

Et de perroquets.

CARMAGNOLLE.

Autant.

FILIPIN.

Et de lingots ?

CARMAGNOLLE.

Je n’en sais pas le nombre.

FILIPIN.

Et l’escarboucle fine.

CARMAGNOLLE.

C’est un riche trésor, une pierre divine.

FILIPIN.

Mon Oncle la trouva chez Attabalippa,
Elle était à Ganac fils de Gainaccappa,
915 Qui se fit baptiser, et fut appelé George.
Foin, ces noms Indiens me font mal à la gorge ;
J’ai de fort beaux rubis dont je fais fort grand cas.

CARMAGNOLLE.

Et deux cents diamants.

FILIPIN.

Je ne m’en souviens pas.

CARMAGNOLLE.

Ni moi de ces rubis.

FILIPIN.

Ce chien de Carmagnolle
920 Se fâche bien souvent pour la moindre parole :
Mais je vais recevoir quatorze mille écus.
Adieu beaux yeux brillants, dont les miens sont vaincus,
Ne vous ennuyez point, belle en charmes fertile,
Que nous aurons d’enfants si vous n’êtes stérile !
925 En cas, cela s’entend, que je sois votre époux.

HÉLÈNE.

Cela pourrait bien être.

FILIPIN.

Il ne tiendra qu’à vous.

PAQUETTE.

Quoi vous voulez, Madame, après un Don Diègue
Choisir un Campagnard, et de plus, un Gallégue ?

HÉLÈNE.

Quand il est question d’établir mon repos
930 M’irai-je embarrasser d’un gueux mal à propos ?

PAQUETTE.

Un mari jeune et beau, vaut bien la bonne chère :
Le plaisir vaut l’argent, j’ai ouï dire à ma mère :
Lorsqu’à mes grandes soeurs elle faisait leçon,
Qu’il faut choisir toujours jeune chair, vieux poisson :
935 Dieu veuille avoir son âme, elle en savait bien d’autres.
Je me souviens qu’un jour disant ses patenôtres,
Elle vint à parler du plaisir de la chair,
Où repentir, dit-on, suis toujours le pécher.

HÉLÈNE.

Hé bien, que diras-tu ? Ne te veux-tu pas taire ?

PAQUETTE.

940 Alors que j’ai raison, j’ai bien peine à le faire :
Madame, encore un mot, puis après je me tais.

HÉLÈNE.

Dis en trois si tu veux, et puis me laisse en paix.

PAQUETTE.

J’accepte le parti ; savez-vous bien, Madame,
Que ce nouveau galant sentait l’ail, sur mon âme ?

HÉLÈNE.

945 Opulent comme il est, moi n’ayant point de bien,
Il est bien mieux mon fait, que quelque bon à rien :
Je l’aurai dans six mois, de bien fou, fait bien sage,
Et changerai bientôt sa mine et son langage.

PAQUETTE.

Et moi devant six mois je lui ferais porter...

HÉLÈNE.

950 Si je prends un bâton, je t’irai bien frotter.

ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE. Don Diègue, Léonor.

DON DIÈGUE.

La chose s’est passée ainsi que je le dis,

LÉONOR.

Vraiment elle est plaisante, et le tour bien hardi.
Je voudrais qu’autrement elle se fût passée,
Et je sais ce que peut une femme offensée.

DON DIÈGUE.

955 Offensée ou contente, et moi je sais fort bien
Que n’étant plus qu’à vous, elle ne tient plus rien.

LÉONOR.

Je n’ai pas jusqu’ici grand sujet de le croire.

DON DIÈGUE.

Et moi j’en ai beaucoup de perdre la mémoire
D’une avare beauté, qui se moque de moi,
960 Et de vous consacrer mon amour et ma foi.

LÉONOR.

Le temps découvrira la vérité des choses.

DON DIÈGUE.

Je vous aime, et la hais pour de trop justes causes,
Pour avoir à chercher l’assistance du temps.
Si je fus remarquable entre les plus constants
965 Pour les soins assidus d’un immuable zèle,
Que ferai-je pour vous, ayant tant fait pour elle ?
Que ne ferai-je point, de vous favorisé,
Si j’ai tant fait pour elle, en étant abusé ?
Mes services rendus, dont maintenant j’ai honte,
970 Selon toute équité doivent entrer en compte
Chez l’ingrate, j’ai fait mon approbation,
J’aurai de vous le prix de mon affection :
Ne différez donc point.

BÉATRIX.

Votre Madame Hélène
Demande à voir Madame.

DON DIÈGUE.

Et sa fièvre quartaine,
975 Et que vient-elle faire ?

LÉONOR.

Elle vient vous chercher.

DON DIÈGUE.

Je ne le pense pas.

LÉONOR.

Allez tôt vous cacher
Dedans mon cabinet.

DON DIÈGUE.

Que je la donne au diantre,
Et du bon de mon coeur.

LÉONOR.

Cachez-vous donc, elle entre.

SCÈNE II. Hélène, Léonor, Paquette.

HÉLÈNE.

Vous voyez comme quoi je cultive avec soin
980 L’honneur de vous connaître ?

LÉONOR.

Il n’était pas besoin
Pour si peu de sujet de peindre tant de peine :
Mais les civilités de la charmante Hélène
Sont toutes dans l’excès, et c’est me reprocher
Que m’ayant obligée, il fallait rechercher
985 Dès aujourd’hui l’honneur de la voir la première :
Accordez un pardon à mon humble prière,
Vous verrez par les soins que je veux prendre exprès
Qu’il est bon de faillir, pour faire mieux après ;
Votre bonté pourtant en m’obligeant m’afflige.

HÉLÈNE.

990 Quand on vous fait plaisir, soi-même l’on s’oblige,
Pour le peu que j’ai fait tant de remerciement
Me fait voir ma faiblesse assez adroitement :
Mais si je l’avais pu, j’aurais fait davantage.

LÉONOR.

L’interprétation sensiblement m’outrage,
995 Je ne conteste pas avec vous de l’esprit :
La conversation de l’autre jour m’apprit
Combien vous en avez, et que jointe à vos charmes
Personne contre vous n’a d’assez fortes armes.

BÉATRIX.

Madame.

LÉONOR, elle parle à l’oreille.

Approchez-vous ; est-il déjà là-bas ?

BÉATRIX.

1000 Oui, Madame.

LÉONOR.

À l’instant je reviens sur mes pas,
Vous me pardonnez bien une faute si grande,
C’est un Oncle Tuteur qui là-bas me demande.

HÉLÈNE.

Nous ne sommes ici que pour vous obéir.

LÉONOR.

Pour cet acte incivil, vous me devriez haïr :
1005 Mais vous excuserez, comme vous êtes bonne,
Une nécessité.

HÉLÈNE.

L’excellente personne
Que cette Léonor.

PAQUETTE.

Chacun en dit du bien.

HÉLÈNE.

Sa chambre est magnifique.

PAQUETTE.

Elle n’épargne rien
Pour être bien meublée.

HÉLÈNE.

Approche-toi, Paquette,
1010 L’agréable tapis pour être de moquette,
Ce cabinet est riche, et plein de bons tableaux.

PAQUETTE.

Je ne sais s’ils sont bons, mais je les trouve beaux.

HÉLÈNE.

N’y vois-je pas quelqu’un ? Quel homme pourrait-ce être ?

PAQUETTE.

C’est un que vous devez, me semble, bien connaître.

HÉLÈNE.

1015 Mendoce ?

PAQUETTE.

C’est lui-même.

HÉLÈNE.

Ha, le traître, c’est lui.
Qui l’aurait jamais dit ?

PAQUETTE.

En sortant aujourd’hui
Il paraissait fâché, vous en savez la cause.

LÉONOR.

Je reviens, mon tuteur ne voulait pas grand-chose :
Vous avez mal passé le temps.

HÉLÈNE.

Vous vous trompez,
1020 Les sens ne sont ici que trop bien occupés ;
Ce cabinet est plein de peintures fort belles,
Qui divertissent bien.

LÉONOR.

J’en ai de telles quelles.

HÉLÈNE.

Sont-elles d’Italie ? Et sont-ce originaux ?
Vous avez un portrait pourtant pue je tiens faux,
1025 Qui fut longtemps à moi, mais je m’en suis défaite :
Comment avez-vous fait cette mauvaise emplette ?

LÉONOR.

Vous y connaissez-vous ?

HÉLÈNE.

Je m’y connais fort bien.

LÉONOR.

Ne vous y trompez plus, vous n’y connaissez rien,
Le portrait est de prix, et vaut bien qu’on le garde,
1030 Une âme généreuse à la bonté regarde,
Ne fut-il que passable, étant sans intérêt,
Je l’aimerai toujours à cause qu’il me plaît :
Aimer pour le profit, c’est être mercenaire.

HÉLÈNE.

Courir sur le marché d’un autre, est-ce bien faire ?

LÉONOR.

1035 Courir après l’argent, ce n’est pas faire mieux.

HÉLÈNE.

C’est avoir le goût bon.

LÉONOR.

Et de fort mauvais yeux
De mépriser la forme, et choisir la matière.

HÉLÈNE.

Votre portrait en l’un et l’autre ne vaut guère.

LÉONOR.

Peut-être en avez-vous tâté, car autrement
1040 Vous ne parleriez pas de lui si hardiment.

HÉLÈNE.

Je ne tâte jamais d’une chose mauvaise.

LÉONOR.

Vous êtes délicate, et moi je sui bien aise
Aux dépens de mon goût de croire en tout honneur
Qui dans la vertu seule établit le bonheur.

HÉLÈNE.

1045 Vous êtes bien parfaite.

LÉONOR.

Et point du tout avare.

HÉLÈNE.

C’est trop voir pour un coup une dame si rare.
Paquette, suivez-moi.

LÉONOR.

Je vous visiterai.

HÉLÈNE.

Vous pouvez mieux passer le temps.

LÉONOR.

Je vous croirai.
Madame encore un mot.

HÉLÈNE.

Parlez vite, j’ai hâte.

LÉONOR.

1050 Un portrait de Province en peu de temps se gâte,
La plupart en sont faux : sans les bien éplucher,
N’en acquérez jamais.

HÉLÈNE.

Et vous sans le cacher
Ne retenez jamais ce qu’il faut que l’on cache.

LÉONOR.

Votre face est en feu, quelque chose vous fâche.

HÉLÈNE.

1055 Je rougis, mais de vous.

LÉONOR.

De moi ? Je le veux bien ;
Et moi je ris de vous, pour ne vous devoir rien.

BÉATRIX.

Ha, Madame, elle enrage.

LÉONOR.

Et moi je suis ravie,
Je ne passai jamais mieux le temps de ma vie ;
Mais Don Diègue a tort, il se devait cacher.

BÉATRIX.

1060 L’aventure est pour rire, et non pour se fâcher.

LÉONOR.

Don Diègue !

DON DIÈGUE.

Madame.

BÉATRIX.

Elle s’en est allée,
Madame l’a, me semble, assez mal consolée
De vous avoir perdu.

DON DIÈGUE.

Comment ?

BÉATRIX.

On vous a vu.

DON DIÈGUE.

Ha ! Madame, pardon, surpris au dépourvu,
1065 Si jamais je le fus, sans songer à la porte,
J’ai gagné votre Alcôve.

LÉONOR.

Il n’importe, il n’importe ;
Je m’en vais vous conter tout ce qu’elle m’a dit :
Mais je n’ai rien voulu prendre d’elle à crédit,
Je l’ai bientôt payée en la même monnaie.
1070 Ô le fâcheux objet que le malheur m’envoie !
Elle s’enfuit dans son Cabinet.
Adieu je me retire.

SCÈNE III. Don Juan, Don Diègue, Léonor.

DON JUAN.

Hé, de grâce, arrêtez ;
J’ai donc toujours pour moi des incivilités,
Et je verrai toujours favoriser les autres ?
Mais il m’importe peu, je ne suis plus des vôtres,
1075 Vous ne me verrez plus embrasser vos genoux.

DON DIÈGUE.

J’étais ici venu pour lui parler de vous :
Mais j’ai perdu ma peine, elle est toujours la même,
Et pour vous sa rigueur, je l’avoue, est extrême.

DON JUAN.

Il m’est indifférent qu’elle soit douce ou non,
1080 J’en veux tout oublier, et, si je puis, le nom,
Et c’est là le sujet, qui chez elle m’amène :
J’ai dessein de servir cette Madame Hélène,
Que vous connaissez tant, et qui la retira
Chez elle, quand l’ingrate enfin me déclara
1085 Qu’elle ne m’aimait point : depuis cette journée
J’ai résolu d’aimer quelque Dame bien née,
Et qui reconnaîtra la constance, et la foi
D’un homme de mérite, enfin fait comme moi.

DON DIÈGUE.

Je trouve en ce dessein quelque obstacle, me semble,
1090 Un Don Pedre la sert, ils sont fort bien ensemble,
Don Pedre est mon cousin, des champs tout frais venu.

DON JUAN.

Ce que vous voulez dire à moi-même est connu :
Mais ce Don Pedre-là n’est qu’une grosse bête.

DON DIÈGUE.

Il est vrai, mais je sais qu’elle l’a dans la tête,
1095 À cause qu’il est riche, elle aime plus le bien
Que vertu ni noblesse.

DON JUAN.

Et moi je n’en crois rien.
Ce Don Pedre tantôt lui donne sérénade,
L’homme que vous voyez, lui dresse une embuscade.
Où je ferai savoir à ce gros paysan,
1100 Combien pèsent les coups que donne un courtisan :
Nous verrons à ce soir lequel a belle amie.

DON DIÈGUE.

Vous irez éveiller une Dame endormie,
Faire aboyer des chiens, émouvoir le Bourgeois,
Faire pleuvoir sur vous des pierres, et du bois.
1105 Laissez-là ce Don Pedre, et par mon entremise,
Hélène vous sera demain peut-être acquise.
Si vous me promettez d’agir d’autre façon :
Ce Campagnard Don Pedre, est un mauvais garçon,
Et bien qu’il soit d’esprit, et de corps ridicule,
1110 Il passe en son pays pour un brave, un Hercule.

DON JUAN.

Bien s’il est Hercule, et moi j’en serai deux,
Démordre d’un dessein, quand il est hasardeux,
Je ne le fis jamais, vous perdez votre peine,
Il laissera la vie, ou bien l’amour d’Hélène.

DON DIÈGUE.

1115 Don Juan, croyez-moi, le cas est bien douteux ;
Faites plus sagement, attendez le boiteux :
Sur le moindre incident, on rompt un mariage.

DON JUAN.

Et durant ce temps-là, que fera mon courage ?

DON DIÈGUE.

Je vous en avertis, mon cousin se bat bien ?

DON JUAN.

1120 Et moi, me bats-je mal ?

DON DIÈGUE.

Vous n’y gagnerez rien.

DON JUAN.

Y gagner de l’honneur avec une Maîtresse,
N’est-ce pas bien gagner ? Adieu le temps me presse,
Je m’en vais de ce pas m’assurer de mes gens.

DON DIÈGUE.

Je t’étrillerai bien tantôt, malgré tes dents,

LÉONOR sort de son Cabinet.

1125 Avez-vous entendu ce qu’il m’est venu dire ?

DON JUAN.

Oui j’ai tout entendu.

DON DIÈGUE.

Je crois que le bon Sire
Avait pris de son vin : il me fâcherait fort,
Comme il sera tantôt sans doute le plus fort,
S’il battait mon laquais : j’y donnerai bon ordre,
1130 Et j’empêcherai bien ce gros mâtin de mordre.
Il les fera beau voir, mon valet est poltron,
L’autre ne l’est pas moins, pour être fanfaron !
Bon, voilà Roquespine, il vient à la bonne heure.
Va quérir une épée, et choisis la meilleure.
1135 Prends ma jaque de maille, et ma rondelle aussi,
Et reviens vitement me retrouver ici.

ROSQUEPINE.

Suis-je de la partie ?

DON DIÈGUE.

Et pourquoi non ? Apporte
Ce qu’il faut pour nous battre, et de bonne sorte.

ROSQUEPINE.

Vous me verrez ici dans un petit moment.

LÉONOR.

1140 M’aimez-vous, Don Diègue ?

DON DIÈGUE.

Oui, très assurément.

LÉONOR.

Ne vous parjurez point, je crois bien le contraire.
Puisque vous m’aimez bien, comment pouvez-vous faire
De semblables desseins, encore devant moi ?

DON DIÈGUE.

Je fais voir mon amour, faisant ce que je dois,
1145 C’est vous mériter peu que d’être sans courage.

LÉONOR.

Ô l’étrange discours à quoi l’amour m’engage !
Je rougis, ha ! Mon Dieu, ne me regardez point :
J’aime bien Don Diègue, et je l’aime à tel point,
Que pour le conserver, je ne veux plus rien dire,
1150 Je n’en ai que trop dit : adieu, je me retire.

DON DIÈGUE.

Ha ! Madame, achevez le discours commencé :
Il était obligeant, mais vous l’avez laissé.
Puisqu’en si peu de temps vous changez ma fortune ;
C’est après avoir plu, signe que j’importune :
1155 Je ne le cèle point, d’un tel mal combattu
Mon coeur désespéré manquera de vertu.
Je redoute bien moins une âme de Tigresse,
Que l’inégalité d’une belle Maîtresse.
De ce charmant discours, qui vous a détourné ?
1160 Il promettait beaucoup, mais il n’a rien donné.

LÉONOR.

S’il a promis beaucoup, je tiendrai sa promesse,
Si j’avais moins d’amour j’aurais moins de faiblesse :
Puisque votre courage étonne mon amour,
Ne se hasarder point, c’est bien faire sa cour.

DON DIÈGUE.

1165 Si ce grand Fanfaron par malheur allait battre
Mon laquais, il faudrait l’assommer ou combattre ;
Je hasarde bien moins, empêchant son dessein.

LÉONOR.

On ne conserve pas un jugement bien sain,
Quand on a de l’amour ; mais souvent le courage
1170 L’emporte dessus lui, sans être le plus sage.

DON DIÈGUE.

Je crains trop de mourir, puisque je vous suis cher :
Si je fais jamais rien qui vous puisse fâcher,
Ne me souffrez jamais : mais voici Roquespine.

LÉONOR.

Ha, tout cet attirail de guerre m’assassine !
1175 Ce que vous m’avez dit, ne me peut rassurer,
Adieu, cruel, adieu, je me vais retirer !

DON DIÈGUE.

Madame, encore un mot.

LÉONOR.

Non, méchant, je vous laisse,
Je ne saurais vous voir sans mourir de tristesse.
Elle s’en va.

SCÈNE IV. Don Diègue, Roquespine.

DON DIÈGUE.

Ils s’arment en marchant.
Quelle heure est-il ?

ROSQUEPINE.

Il est bien tard.

DON DIÈGUE.

Dépêchons-nous,
1180 Que j’aurai du plaisir à voir battre ces fous !

ROSQUEPINE.

Je sais fort bien que l’un, n’est pas homme à se battre.

DON DIÈGUE.

L’autre ne se fait pas non plus tenir à quatre.

ROSQUEPINE.

Je vois venir quelqu’un.

DON DIÈGUE.

Tout beau, c’est Don Juan,
Don Juan se cache.
Où diable ira nicher ce brave chat-huant,
1185 Et comment est-il seul ?

ROSQUEPINE.

C’est qu’il ne veut rien faire
Au salut de son corps qui puisse être contraire,
Il ne veut être ici que paisible auditeur.

DON DIÈGUE.

Il paraissait tantôt l’Ange exterminateur,
Chut, j’entends la musique, entrons en cette porte,
Ils se cachent.
1190 Filipin s’est armé d’une plaisante sorte.

SCÈNE V. Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Don Diègue, Roquespine, Don Juan, Les Musiciens.

FILIPIN.

Posons auprès de nous Rondache et Morion,
Afin de les trouver en toute occasion :
Nous commençons trop tôt, l’heure est, me semble, indue,
J’ai peur que la musique étant trop entendue,
1195 Il ne tombe sur nous quelque défluxion,
Ou se fasse sur nous quelque profusion.
Je me sens dedans moi quelque esprit prophétique,
Qui m’effraye et me dit, Malheur sur ta Musique !
Les gens de ce quartier ne sont pas endormis,
1200 Et tu pourrais trouver ici des ennemis :
Mais au nom de Dieu soit, commençons.

DON DIÈGUE.

Roquespine,
Ils s’en vont bien crier, au meurtre, on m’assassine !
Va charger Filipin, quand ils auront fini.
Je vais à Don Juan rendre le teint terni,
1205 Et peut-être donner à son dos platassades.

ROSQUEPINE.

J’en prétends faire autant aux donne sérénades.

FILIPIN.

Commençons.

DON DIÈGUE.

Taisons-nous, ils s’en vont commencer.
SÉRÉNADE.
Beauté qui m’assassinez,
Et dont l’oeil dessus mon coeur s’acharne,
1210 Ta lucarne
Me devrait montrer ton nez ;
Hélas ! Je suis pour lui,
Jour et nuit dans l’ennui :
Belle aurore
1215 Je t’adore,
Je t’honore,
Exhibe-toi,
Ou bien c’est fait de moi.
Pour détourner ce méchef,
1220 Montre-toi, vénérable Comète,
En cornette,
Ou bien prends ton couvre-chef,
Si ton temporiser
Me fait agoniser,
1225 Je trépigne,
Je rechigne,
Je t’échigne,
Et dès demain
Tu sentiras ma main.
1230 Foi de parfait quinola
Notre main n’est pas si téméraire,
Que de faire
À ton nez, cet affront-là,
Non, non, je m’en dédis,
1235 Je suis ton Amadis,
Ma levrette,
Ma civette,
Ma friquette,
Sois douce ou non,
1240 Je trouverai tout bon.

FILIPIN.

Êtes-vous là, charmante étoile poussinière,
Plus fraîche mille fois que la fleur matinière ?
Êtes-vous en cornette, ou bien escoffion,
Avez-vous entendu votre brave Amphion ?

DON JUAN.

1245 Je ne puis plus souffrir.
Don Diègue va charger Don Juan, et se retire en son poste.

DON DIÈGUE.

Demeure, ou je t’assomme.

FILIPIN.

Hélas ! J’entends du bruit, et si je vois un homme.
Roquespine va charger Filipin, et se retire en son poste.

ROSQUEPINE.

Rends l’épée.

FILIPIN.

Et le casque, et la rondelle aussi.
Mes compagnons sont prêts d’en user tout ainsi :
Mais il s’enfuit, courage, il me le faut poursuivre,
1250 Pour faire le vaillant.

DON JUAN.

Le bon Dieu me délivre,
D’un dangereux pendard, mais, hélas ! Le voilà.

FILIPIN.

Ha ! C’est de moi qu’il parle, alors qu’il s’en alla,
Je devais ne bouger, comme un homme bien sage.
Si j’étais confessé...

DON JUAN.

J’ai trop cru mon courage.

DON DIÈGUE.

1255 Les voilà dos à dos, ils ne se feront rien.

ROSQUEPINE.

Pour faire un homicide, ils sont trop gens de bien.

FILIPIN.

Hélas, je suis gâté !

DON JUAN.

Malheureuse embuscade !

FILIPIN.

Si jamais à putain, je donne sérénade...
L’épée de Don Juan se choque avec celle de Don Pedro de Buffalos.

DON JUAN.

Je demande la vie.

FILIPIN.

Et moi certes aussi,
1260 L’ami, fais rien, fais rien.

DON DIÈGUE.

Cavaliers, qu’est-ce ci,
Vous vous entr’assommer ?

FILIPIN.

Hélas ! Tout au contraire,
Nous nous entre sauvons.

DON DIÈGUE.

Vous ne pouviez mieux faire.

FILIPIN.

Mon cousin, est-ce vous ?

DON DIÈGUE.

Moi-même.

FILIPIN.

Un assassin
A bien pensé gâter votre brave Cousin ;
1265 Mais certes la valeur qui toujours m’accompagne,
À pied comme à cheval, jour et nuit en campagne,
Comme dedans la rue, a fait doubler le pas
À ce larron d’honneur que je ne connais pas :
Ha ! Si je puis voir clair en cette action noire...

DON JUAN.

1270 Je vais vous révéler le secret de l’histoire.
Certain Duc est l’auteur de ce noir attentat,
Pour certaines raisons, et d’amour, et d’État.
Ce bon Duc, qui n’a pas l’âme des plus guerrières,
Qui me craint, et me hait, et que je n’aime guères,
1275 Comme je m’amusais après certain concert,
A pensé pour le coup, que j’étais pris sans vert.
Il s’est jeté sur moi, suivi de trois ou quatre,
Mais je n’ai pas laissé toutefois de les battre,
À l’aide de Monsieur, et sans être blessé :
1280 Et c’est de la façon que le tout s’est passé.

FILIPIN.

Et c’est de la façon que l’on ment par la gorge.

DON DIÈGUE.

C’est être aussi vaillant, que le Cid, que Saint George.

DON JUAN.

Il prend à part Don Diègue.
Vous êtes mon ami, je suis homme d’honneur ;
Je vous avais parlé tantôt avec chaleur,
1285 Mais j’ai songé depuis que la plus douce voie
Est toujours la meilleure, et c’est avecque joie
Que renonçant pour vous à mon ressentiment,
Suivant votre conseil, j’agirai doucement :
Mais vous devez aussi tenir votre promesse,
1290 Et voir sans y manquer dès demain ma maîtresse :
Vous savez mon mérite, et vous savez mon bien,
Et comme en l’épousant, mon bonheur est le sien,
Que tout le monde m’aime, ou me craint, ou m’estime :
Et qu’étant Espagnol, je suis fils légitime
1295 De cette valeur rare, et de tant de vertus,
Dont toujours les Héros ont été revêtus.
Je vous en dirais plus. Mais vous savez le reste,
Et que tout mon défaut est d’être trop modeste,
Adieu, je vais chercher encore à dégainer ;
1300 Car je n’ai fait, me semble, ici que badiner,
Et si je n’ai fourni matière à funéraille,
Tant que dure la nuit, je ne dors rien qui vaille.
Il s’en va.

FILIPIN.

Et moi si l’on pouvait ne point funérailler,
Je ne ferais, ma foi, jamais que batailler ;
1305 Mais parce que combat engendre funéraille,
Alors que je combats, je ne fais rien qui vaille.

DON DIÈGUE.

Fera-t-il ce qu’il dit ?

ROSQUEPINE.

Il ne le fera point,
Le Sire a trop grand soin du moule du pourpoint.

DON DIÈGUE.

Ô ! Que j’étais tenté par quelque estafilade
1310 De punir son orgueil, et sa fanfaronnade !

FILIPIN.

C’est le plus grand poltron qui...

DON DIÈGUE.

L’est-il plus que toi ?

FILIPIN.

Plus que mille fois.

DON DIÈGUE.

Sans jurer, je le crois.
Or ça, parlons un peu de notre Dame Hélène.

FILIPIN.

Nous épousons demain.

DON DIÈGUE.

Demain ?

FILIPIN.

Chose certaine,
1315 Nous avons dès tantôt ordonné des habits,
Des esclaves ; carrosse.

DON DIÈGUE.

Ha ! Ce que tu me dis,
Ne peut s’imaginer.

FILIPIN.

Vous le pouvez bien croire.

DON DIÈGUE.

Allons, chemin faisant, tu m’apprendras l’histoire.

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE. Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Paquette.

FILIPIN.

Où diable est donc Madame ?

PAQUETTE.

Elle viendra bientôt.

FILIPIN.

1320 Ma Paquette !

PAQUETTE.

Monsieur.

FILIPIN.

Le dirai-je tout haut ?

PAQUETTE.

Puisque nous sommes seuls, vous le pouvez bien dire.

FILIPIN.

Ma Paquette, sais-tu que j’aime bien à rire ?
Ta maîtresse me rend l’esprit tout sérieux,
Pour te dire le vrai, je t’aimerais bien mieux.

PAQUETTE.

1325 Vous vous pensez moquer parmi des Damoiselles,
Telles que je puis être, on en voit d’aussi belles
Que ces Dames de prix, en qui souvent, dit-on,
Blanc, perles, coques d’oeuf, lard et pieds de mouton,
Baume, lait virginal, et cent mille autres drogues
1330 De têtes sans cheveux aussi rases que gogues,
Font des miroirs d’amour, de qui les faux appas
Étalent des beautés qu’ils ne possèdent pas.
On les peut appeler visages de moquette.
Un tiers de leur personne est dessous la toilette ;
1335 L’autre dans les patins, le pire est dans le lit :
Ainsi le bien d’autrui tout seul les embellit,
Ce qu’ils peuvent tirer de leur propre domaine,
C’est chair molle, gousset aigre, mauvaise haleine.
Et pour leurs beaux cheveux si ravissants à voir,
1340 Ils ont pris leur racine en un autre terroir.
Ils sont le plus souvent des plantes transplantées,
Qu’on applique avec art sur têtes édentées.

FILIPIN.

Paquette, ma Paquette, où prends-tu tant d’esprit ?
Aimes-tu quelque auteur, lorsque ton oeil me prit,
1345 Je te soupçonnais bien d’avoir l’esprit alerte,
Mais de l’avoir si bon, Ha ! C’est trop pour ma perte,
Je veux rompre aujourd’hui bien plutôt que demain,
Avecques ta Maîtresse, et te donner la main ;
Mais la voici venir.

SCÈNE II. Hélène, Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Paquette.

HÉLÈNE.

Je vous ai fait attendre,
1350 Vous me le pardonnez, j’avais visite à rendre
À certaine Duchesse, à qui je dois beaucoup.

FILIPIN.

Ma belle Tramontane, hé bien, est-ce à ce coup,
Que l’hymen ayant joint Don Pedre, et Dame Hélène,
De leur congrès fécond viendra la digne graine !
1355 Laquelle pullulant en ce puissant État,
Soumettra tout le monde à notre Potentat.

HÉLÈNE.

Puisque votre vertu m’a tout à fait acquise,
Ma volonté doit être à la vôtre soumise.

FILIPIN.

Je n’ai présentement que dix mille Ducats,
1360 Un faquin de facteur, dont j’ai fait quelque cas,
Et que pour sa paresse, il faut casser au gage,
Me fait de jour en jour attendre, dont j’enrage :
M’écrit, qu’à la monnaie, on agit lentement,
À cause que l’on sert le Roi premièrement,
1365 Et que son Commissaire enlève de Séville
Autant de Patagons qu’on fait en cette ville.

HÉLÈNE.

Cette guerre de Flandre enlève tout l’argent.

FILIPIN.

Il me promet pourtant d’être plus diligent,
Et d’envoyer bientôt une notable somme.
1370 Vous pouvez cependant ravir d’aise un pauvre homme
Qui ne vit depuis peu que d’expectation,
Comme les sots de Juifs font après leur Sion :
Hélas ! Dans peu de jours, je vais mourir par braise !
Au lieu qu’un prompt Hymen me fera mourir d’aise.
1375 Quatre ou cinq mille écus en velours et tabis,
Suffiront, ce me semble, à faire des habits,
Le carrosse, le train, et tout notre équipage,
Se feront à loisir après le mariage ;
Lorsque j’aurai reçu la somme que j’attends,
1380 Et quelques diamants : au reste je prétends
Que les couleurs seront, selon ma fantaisie,
Et que l’étoffe aussi sera de moi choisie.

HÉLÈNE.

Avecque vous, Monsieur, je renonce à mon choix.

FILIPIN.

Vous aurez douze habits, c’est-à-dire un par mois,
1385 Que l’orangé pastel est couleur agréable !

HÉLÈNE.

On ne s’habille plus d’une couleur semblable.

FILIPIN.

Et zinzolin, Madame.

HÉLÈNE.

Il n’est plus de saison.

FILIPIN.

J’aime cette couleur qu’on dit, merde d’oison :
Elle réjouit l’oeil.

HÉLÈNE.

Ce n’est donc qu’en Galice.

FILIPIN.

1390 Une robe de peau, couleur de pain d’épice ;
Qu’un drap marbré bien chaud, doublerait pour l’hiver,
Avec trois passepoils, jaune, minime, et vert,
Qui feraient ce qu’on dit, Pistache ou bien Pistage,
Serait le vêtement le plus riche d’Espagne.

HÉLÈNE.

1395 Envoyez-moi l’argent, tout sera bien choisi.

FILIPIN.

On me fait un pourpoint de velours cramoisi,
Dont les chausses seront de satin tristamie.

PAQUETTE.

Don Diègue est là-bas.

FILIPIN.

La fortune ennemie
Assez mal à propos m’envoie un importun.

HÉLÈNE.

1400 Ne le verrez-vous point ?

FILIPIN.

Ce me serait tout un,
S’il ne m’avait point fait une supercherie
Sous mon nom. Il m’escroque une commanderie,
Et retient mes papiers après cet acte noir.
Vous me pardonnerez si je ne le puis voir,
1405 Il nous faudra sans doute enfin tirer la lame.

HÉLÈNE.

Entrez dans mon Alcôve.

FILIPIN.

Et de bon coeur, mon âme,
Quand il sera sorti, faites-le moi savoir,
Coupez court avec lui.

HÉLÈNE.

J’y ferai mon pouvoir.

SCÈNE III. Don Diègue, Hélène.

DON DIÈGUE.

Madame, ce n’est pas l’amour qui me ramène :
1410 Je perdrais près de vous, et mon repos, et ma peine,
Je viens vous proposer un homme pour époux
Que vous confesserez être digne de vous,
Don Juan Bracamont.

HÉLÈNE.

Brisons-là, je vous prie.

DON DIÈGUE.

Depuis quand faites-vous si fort la rencherie ?
1415 Il est riche, Madame.

HÉLÈNE.

Étant de votre main,
Il me serait suspect.

DON DIÈGUE.

C’est mon Cousin germain,
Qui règne en votre coeur comme un clou chasse l’autre.

HÉLÈNE.

C’est ce que vous voudrez.

DON DIÈGUE.

Il y va trop du vôtre,
De prendre un campagnard tout opulent qu’il est.

HÉLÈNE.

1420 Tant moins vous l’estimer, d’autant plus il me plaît.

DON DIÈGUE.

Vous l’aimez donc, Madame ?

HÉLÈNE.

Et de plus, je l’épouse.

DON DIÈGUE.

Que le Ciel me faisant d’une humeur peu jalouse,
M’a fait un riche don, quoiqu’il m’ait fait sans bien !

HÉLÈNE.

Auprès de Léonor, il ne vous manque rien.

DON DIÈGUE.

1425 Il est vrai ; mais pourtant, je crains qu’elle n’apprenne
Que je suis venu voir la nompareille Hélène.

HÉLÈNE.

Le péril n’est pas grand pour vous.

DON DIÈGUE.

Il le serait,
Si j’étais assez riche.

HÉLÈNE.

On vous enlèverait,
Si Dieu vous avait fait ce que vous pensez être.

DON DIÈGUE.

1430 Il m’a fait trop de grâce, en me faisant connaître
Que pour vous être cher, il faut n’être pas gueux.

HÉLÈNE.

Vous diriez bien plus vrai, si vous disiez, fâcheux.

DON DIÈGUE.

Je me vois sur le point de l’être davantage.

HÉLÈNE.

Et comment ferez-vous ?

DON DIÈGUE.

Rompant un mariage.

HÉLÈNE.

1435 Le mien ?

DON DIÈGUE.

Le vôtre même.

HÉLÈNE.

Et quelle autorité
Prétendez-vous sur moi ?

DON DIÈGUE.

C’est par sincérité
Que je veux empêcher l’inégal Hyménée,
Qui joindrait à ce fat une Dame bien née.
Don Buffalos n’est pas tout ce que vous pensez,
1440 Vous le croyez bien riche, il ne l’est pas assez.

HÉLÈNE.

Que vous avez en vain la tête embarrassée !

DON DIÈGUE.

Pour vous perdre d’honneur vous êtes bien pressée.

HÉLÈNE.

Je pourrais aisément me passer de vos soins.

DON DIÈGUE.

Je n’en aurais pas tant, si je vous aimais moins.

HÉLÈNE.

1445 Et moi, pour vous montrer combien je vous redoute,
Dans une heure au plus tard, je l’épouse.

DON DIÈGUE.

Sans doute ?

HÉLÈNE.

Il n’est rien de plus sûr, et je fais plus encor,
Nous aurons pour témoins, et vous et Léonor,
Il m’est indifférent de quel sens on explique
1450 Une bonne action que je rendrai publique.

DON DIÈGUE.

Elle le sera trop, mais pour la détourner
Je saurai malgré vous le remède donner.

HÉLÈNE.

Joignez à Léonor toute la terre ensemble,
J’aurai votre Cousin.

DON DIÈGUE.

Dites, si bon vous semble,
1455 Je vais chez Léonor, pour l’amener ici.

HÉLÈNE.

Vous enragerez bien tantôt.

DON DIÈGUE.

Et vous aussi.

FILIPIN.

Il sort de l’Alcôve.
Ha le mauvais parent ! Madame, je vous jure,
Si je n’ai eu peur de vous faire une injure,
Que j’aurais fait sur lui notable irruption :
1460 Mais j’en retrouverai bientôt l’occasion.
Au prix de moi, Madame, un lion n’est qu’un ase,
Quand je suis en colère, une antipéristase
Me trouble le dedans, la consanguinité
Fait la guerre en mon âme, à sa méchanceté.
1465 Si je mangeais son coeur, je mordrais en la grappe.
Madame, tenez-moi, de peur que je m’échappe.
Ne me retenir point, c’est me faire enrager,
Que sait-on ? Je ferai bien mieux de ne bouger.
Si je l’allais trouver, et qu’il fît résistance,
1470 Le malheureux mourrait sans nulle repentance.
Comme mes premiers coups ne sont pas jeux d’enfants ;
Mais de ces orbes coups à tuer éléphants.
J’ai pourtant grand sujet de me mettre en colère,
C’est une passion qui grandement m’altère.
1475 Qu’on me presse en un verre, un, deux ou trois limons,
J’aime la limonade, elle est bonne aux poumons.
Ma chère âme !

HÉLÈNE.

Monsieur.

FILIPIN.

Nous allons faire noce.

PAQUETTE.

Don Juan Bracamont, Don Diègue, Mendoce,
Amènent avec eux Madame Léonor.

FILIPIN.

1480 N’ont-ils point amené quelques autres encor ?

PAQUETTE.

Je ne le pense pas.

FILIPIN.

Bien, que mon cousin monte,
Copulativement je m’en vais à sa honte
Me joindre aux yeux de tous au trésor de beauté
Qu’il ne méritait point, et que j’ai mérité.
1485 Paquette, approchez-vous, est-il prêt le Notaire ?

PAQUETTE.

Oui Monsieur.

FILIPIN.

Achevons vitement cette affaire,
Je suis grand amateur de la conclusion,
Et naturellement j’appète l’union.

SCÈNE IV. Léonor, Hélène, Don Diègue, Don Juan, Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Paquette.

LÉONOR.

Je viens me conjouir avec la belle Hélène.

HÉLÈNE.

1490 Ignorant le sujet, qui chez moi vous amène,
Si c’est pour m’obliger, ou pour vous divertir,
Je ne sais comment je vous dois répartir,
De quelle façon donc voulez-vous que j’en use ?

FILIPIN.

Qui rit à mes dépens, je soutiens qu’il s’abuse,
1495 Quatre cent mille fois, quelque chose de plus.

LÉONOR.

Les éclaircissements sont ici superflus.
Nous ne venons ici qu’à dessein de vous plaire,
Et de vous obliger.

FILIPIN.

Vous ne pouvez mieux faire.

HÉLÈNE.

Je n’attendais pas moins de vous, mais pour Monsieur ?

LÉONOR.

1500 Vous le connaissez mieux que moi, c’est un rieur,
Qui dit d’une façon, et qui pense de l’autre.

DON DIÈGUE.

Madame, vous savez que je fus toujours vôtre.
Attribuez, de grâce, au sensible regret
De vous avoir perdue, un discours indiscret,
1505 Dont je viens à vos yeux me châtier moi-même,
En laissant voir aux miens ravir celle que j’aime :
Car ce n’est rien qu’un rapt que l’Hymen inégal
De vous, et d’un laquais, qui panse mon cheval.

FILIPIN.

Ha ! Ne blasphémons point.

HÉLÈNE.

Vous êtes fou, Mendoce.

DON DIÈGUE.

1510 Vous êtes folle, Hélène, avecque votre noce.

HÉLÈNE.

Don Pedre, endurez-vous ?

FILIPIN.

Je suis un autre fou.
Qui le nie, a menti par sa gorge, ou son cou.

HÉLÈNE.

Vous n’êtes qu’un laquais ?

FILIPIN.

Fort à votre service.

HÉLÈNE.

Quoi, me jouer ainsi ?

DON DIÈGUE.

C’est vous faire justice.

HÉLÈNE.

1515 Ha ! Qui me vengera, peut espérer de moi
Ce que je puis donner.

FILIPIN.

Ce ne sera pas moi.

HÉLÈNE, à Don Diègue.

Indigne de ton ordre, et du nom que tu portes,
Qui me vient outrager en tant, et tant de sortes.
Tu prétends te jouer avec impunité
1520 D’une femme d’honneur, et de ma qualité ?

DON DIÈGUE.

Aboyer votre saoul, vous ne me pouvez mordre :
Vous vous êtes causé vous-même ce désordre ;
Vous m’avez abusé par un déguisement.
Celui de mon laquais entrepris justement,
1525 Au lieu de vous fâcher, doit plutôt vous instruire,
Qu’il ne faut pas choisir tout ce qu’on voit reluire.
Sachez-moi donc bon gré d’un tour qui vous apprend
Qu’à tout esprit qui fourbe, à la fin on le rend :
Vous m’avez amusé de vos belles paroles,
1530 Vous ne considériez en moi que les pistoles,
La pauvreté pour moi vous donna du mépris.
Parce que tous les chats durant la nuit sont gris,
À notre Filipin vous vous êtes soumise,
Vous m’avez pris pour dupe, un laquais vous a prise.
1535 Le tour était bien lâche, et je vous l’ai rendu :
Mais gagner un laquais, ce n’est pas tout perdu.

HÉLÈNE.

Ha ! Je me vengerai d’une pièce si rude.

DON DIÈGUE.

La vengeance n’est pas l’action d’une prude.

HÉLÈNE.

Ha ! Seigneur Don Juan, de grâce, vengez-moi :
1540 C’est le prix où je mets mon amour, et ma foi.

DON JUAN.

Qui moi, vous épouser ? Vous, une intéressée
Que Mendoce a servie, et puis après laissée :
Parce qu’elle l’aimait seulement pour le bien,
Qu’un laquais a férue, et prise en moins de rien.
1545 Puis pour son pis-aller qui m’a pris, moi la crème,
De la Cour de Madrid, moi que tout le monde aime !
Madame, je serais le plus sot des humains,
Je ne veux point de vous, et vous baise les mains.

DON DIÈGUE.

Qui moi, vous épouser ? Vous une intéressée,
1550 Chez qui le profit seul règne dans la pensée.
Qui m’avez préféré mon laquais travesti,
Parce que vous croyiez prendre un meilleur parti !
Ha ! Ne vous flattez plus d’une fausse espérance :
Je n’aurai plus pour vous que de l’indifférence.
1555 Madame, je serais le plus sot des humains,
Je ne veux point de vous, et vous baise les mains.

FILIPIN.

Qui moi, vous épouser ? Vous une intéressée,
Que mon Maître a servie, et puis après laissée ;
Et qui me donneriez bientôt du pied au cul,
1560 Lorsque vous me verriez être sans un quart d’écu !
Nous autres Filipins avons trop de courage,
Guérissez votre esprit, oubliez mon visage.
Madame, je serais le plus sot des humains,
Je ne veux point de vous, et vous baise les mains.

HÉLÈNE.

Elle est dans une chaise, un mouchoir devant les yeux, qui pleure.
1565 Je ne manquerai pas de parents en Espagne.

LÉONOR.

Que vous avais-je dit des tableaux de campagne ?
Ne savais-je pas bien qu’ils étaient souvent faux ?
Et ne connais-je pas mieux que vous les Tableaux ?

HÉLÈNE.

Ha ! C’est trop endurer, qu’on me mène en ma chambre.

FILIPIN.

1570 Qui vous appliquerait de l’or sur chaque membre,
C’est un grand lénitif, et que vous aimez fort.

DON DIÈGUE.

Taisez-vous, Filipin.

HÉLÈNE.

Ma vengeance ou ma mort,
Me mettront en repos, devant que le jour passe.
Elle s’en va.

DON DIÈGUE.

En attendant l’effet de si grande menace,
1575 Madame, d’un seul mot vous pouvez bien casser
Le rigoureux Arrêt qu’on vient de prononcer.

LÉONOR.

Si votre droit est bon, je vous ferai justice,
Surtout, n’usez jamais envers moi d’artifice :
Ne sollicitez point d’autres juges que moi,
1580 Et je me souviendrai de ce que je vous dois.

DON DIÈGUE.

Mon sort dépend de vous.

LÉONOR.

N’en soyez point en peine ;
Mais nous incommodons votre adorable Hélène.
Allons dans mon logis, et là je vous dirai
Ce que je crois de vous, et ce que j’en ferai.

SCÈNE V. Béatrix, Filipin.

BÉATRIX.

1585 Filipin.

FILIPIN.

Béatrix.

BÉATRIX.

Mon tout.

FILIPIN.

Mon coeur.

BÉATRIX.

Mon âme,
Si tu voulais.

FILIPIN.

Et quoi ?

BÉATRIX.

Prendre.

FILIPIN.

Parle.

BÉATRIX.

Une femme.

FILIPIN.

La prendre ? À quel dessein ?

BÉATRIX.

Pour épouse.

FILIPIN.

Ha ! Ma foi.
Le conseil est fort bon, la connais-je ?

BÉATRIX.

C’est moi.

FILIPIN.

Vade, Vade, retro Satanas, qui me tente !
1590 Mon front ne fut jamais une table d’attente ;
Et ne portera point le mystérieux bois
Que personne ne voit, et qu’on croit toutefois.
Je ne veux point avoir un timbre de pécore,
Je ne veux point de toi, redoutable Pandore !
1595 Moi, te prendre, ha ! Vraiment, c’est moi qui serais pris,
Et pour qui me prends-tu, maudite Béatris ?
Tu me crois aussi sot que Mendoce mon Maître.
Moi j’aurais des enfants, et leur mère à repaître !
Si je suis sans enfants, on dira c’est un sot,
1600 Et si j’en fais enfin, ou quelque autre, un marmot.
J’aurai neuf mois durant une femme ventrue,
Je l’entendrai hurler comme un pourceau qu’on tue.
Quand elle mettra bas cet enfant tout mouillé,
Non sans avoir longtemps en son ventre souillé,
1605 Une sotte dira, c’est le portrait du père ;
Un autre, il a les yeux, et le nez de la mère :
Puis il faudra baiser un fils, qui sentira
Le ventre de sa mère, et ce ventre puera.
Il me faudra souffrir une sotte nourrice,
1610 Un enfant qui toujours, ou crie, ou tète, ou pisse,
Me relever la nuit, pour le faire bercer,
Et cela tous les ans, c’est à recommencer.
Avoir tous les matins à prier, quelle peine !
De me voir bientôt veuf par une mort soudaine.
1615 Au lieu qu’ayant l’esprit content et satisfait,
Le front comme d’abord le bon Dieu me l’a fait :
Je vais, je viens, je dors, je ris, je bois, je mange,
Je fais ce que je veux, sans qu’on le trouve étrange ;
La chose est arrêtée, il n’y faut plus penser,
1620 Si mes yeux t’ont fait mal, va te faire panser.

BÉATRIX.

Il s’en veut aller, elle le retient.
Arrête, Filipin, que je te désabuse,
Moi, t’épouser, crois-tu que je sois assez buse
Pour mettre à mes côtés un pareil Damoiseau ?
Voyez le beau mari, voyez le bel oiseau,
1625 Moi, qui suis de galants jour et nuit recherchée
De Bourgeois, Courtisans, Prélats, et gens d’épée,
Qui depuis quelques jours sans quelques ennemis,
Aurais eu pour époux un opulent commis ;
Qui viens de refuser le clerc ou secrétaire
1630 D’un riche président : gros vilain, va te faire
Cent fois plus honnête homme, et lors j’aviserai,
Par pitié seulement, si je t’épouserai.
J’ai reçu depuis peu deux gros poulets d’un Comte,
Un Duc me couche en joue, et j’en fais peu de compte.
1635 Un jeune abbé, qui n’est ni prêtre ni demi,
S’offre de m’épouser, ou d’être mon ami :
Il me fit l’autre jour don d’une porcelaine,
Et je t’épouserais ? C’est ta fièvre quartaine.

FILIPIN.

Arrête, Béatrix, elle s’en va, ma foi,
1640 Je devais bien aussi faire du quant à moi,
M’a-t-elle ainsi quitté par dépit ou par ruse ?
Foin, j’enrage d’avoir tout ce qu’on me refuse,
Mon Dieu, que l’on est sot, alors que l’on est beau !
Il faut que là-dessus je lui fasse un Rondeau.