(1904) Schinderhannes « Schinderhannes »
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(1904) Schinderhannes « Schinderhannes »

Schinderhannes

 

 

A Marius-Ary Leblond
Dans la forêt, avec sa bande
Chante Schinderhannes armé.
Le brigand près de sa brigande
Hennit d’amour au joli mai.
Benzel accroupi lit la bible
Sans voir que son chapeau pointu
A plume d’aigle est une cible.
Pour Jacob Born, le mal foutu.
Juliette Blæsius qui rote
Fait semblant d’avoir le hoquet.
Hannes pousse une fausse note
Quand Schulz vient portant un baquet.
Hannes crie en versant des larmes :
« Baquet plein de vin parfumé !
Viennent aujourd’hui les gendarmes,
Nous aurons bu le vin de mai !
Mes compagnons, ma chère troupe
D’ivrognes rauques, mes bandits
Voici notre divine soupe,
Le vin béni pour nous maudits.
Et toi, Julia, la mamselle,
Bois avec nous ce clair bouillon
D’herbes et de vin de Moselle…
Prosit, bandit en cotillon !… »
Juliette bientôt est saoule
Et veut Hannes qui ne veut pas :
« Pas d’amour maintenant, ma poule ;
Sers nous un bon petit repas.
Il faut ce soir que j’assassine
Ce riche juif, au bord du Rhin,
Au clair des torches de résine…
La fleur de mai, c’est le florin. »
On mange alors, toute la bande
Pète et rit pendant le dîner,
Puis s’attendrit à l’allemande
Avant d’aller assassiner.
Guillaume Apollinaire