(1909) [« Un soir de demi-brume, à Londres »] « [« Un soir de demi-brume, à Londres »] »
/ 345
(1909) [« Un soir de demi-brume, à Londres »] « [« Un soir de demi-brume, à Londres »] »

[« Un soir de demi-brume, à Londres »]

Un soir de demi-brume, à Londres,
Un voyou, qui ressemblait à
Mon amour, vint à ma rencontre,
Et le regard qu’il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte.
Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait, mains dans les poches ;
Nous semblions, entre les maisons,
Onde ouverte de la mer rouge,
Lui, les Hébreux, moi, Pharaon.
Que tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimée !
Je suis le souverain d’Egypte,
Sa sœur-épouse, son armée,
Si tu n’es pas l’amour unique !
Au tournant d’une rue brûlant
De tous les feux de ses façades,
Plaies du brouillard sanguinolent
Où se lamentaient les façades,
Une femme lui ressemblant
— C’était son regard d’inhumaine,
La cicatrice à son cou nu, —
Sortit saoule d’une taverne
Au moment où je reconnus
La fausseté de l’amour même…
Lorsqu’il fut de retour enfin
Dans sa patrie, le sage Ulysse,
Son vieux chien de lui se souvint ;
Près d’un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu’il revînt.
L’époux royal de Sacontale,
Las de vaincre, se réjouit
Lorsqu’il la retrouva plus pâle,
D’attente et d’amour yeux pâlis,
Caressant sa gazelle mâle.
J’ai pensé à ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux,
Heurtant leurs ombres infidèles,
Me rendirent si malheureux.
Regrets sur quoi l’enfer se fonde,
Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes vœux !
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts ; des pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre.
J’ai hiverné dans mon passé.
Revienne le soleil de Pâques
Pour chauffer un cœur plus glacé
Que les quarante de Sébaste
Moins que ma vie, martyrisés…
Mon beau navire, ô ma mémoire,
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire ?
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir ?…
Adieu, faux amour confondu
Avec la femme qui s’éloigne,
Avec celle que j’ai perdue
L’année dernière, en Allemagne
Et que je ne reverrai plus !
Voie lactée, ô sœur lumineuse,
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses,
Nageurs morts, suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses ?
Je me souviens d’une autre année,
C’était l’aube d’un jour d’avril.
J’ai chanté ma joie bien-aimée,
Chanté l’amour à voix virile
Au moment d’amour de l’année :