(1911) Salomé « Salomé »
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(1911) Salomé « Salomé »

Salomé

Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste,
Sire, je danserais mieux que les séraphins.
Ma mère, dites-moi, pourquoi vous êtes triste,
En robe de comtesse à côté du Dauphin ?
Mon cœur battait, battait très fort à sa parole,
Quand je dansais dans le fenouil, en écoutant.
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton
Mais pour qui voulez-vous qu’à présent je la brode ?
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain ;
Et tous les lys, quand vos soldats, ô roi Hérode,
L’emmenèrent, se sont flétris dans mon jardin.
Venez tous avec moi, là-bas, sous les quinconces.
Ne pleure pas, ô joli fou du roi ;
Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse.
N’y touchez pas ; son front, ma mère, est déjà froid.
Sire, marchez devant ; tarabans, marchez derrière.
Nous creuserons un trou et l’y enterrerons.
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu ma jarretière ;
                           Le roi, sa tabatière ;
                           L’infante, son rosaire ;
                           Le curé, son bréviaire.
Guillaume Apollinaire.