(1917) Chevaux de frise « Chevaux de frise »
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(1917) Chevaux de frise « Chevaux de frise »

Chevaux de frise

Pendant le blanc et nocturne novembre
Alors que les arbres déchiquetés par l’artillerie
Vieillissaient encore sous la neige
Et semblaient à peine des chevaux de frise
Entourés de vagues de fils de fer
Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps
Un arbre fruitier sur lequel s’épanouissent
                        Les fleurs de l’amour
Pendant le blanc et nocturne novembre
Tandis que chantaient épouvantablement les obus
Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient
                        Leurs mortelles odeurs
Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine
La neige met de pâles fleurs sur les arbres
           Et toisonne d’hermine les chevaux de frise
                 Que l’on voit partout
                        Abandonnés et sinistres
                               Chevaux muets
           Non chevaux barbes mais barbelés
                 Et je les anime tout soudain
           En troupeau de jolis chevaux pies
Qui vont vers toi comme de blanches vagues
                        Sur la Méditerranée
                 Et t’apportent mon amour
Rose lys ô panthère ô colombes étoile bleue
                                     ô Madeleine
Je t’aime avec délices
Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches
Si je pense à ta bouche les roses m’apparaissent
Si je songe à tes seins le Paraclet descend
                 O double colombe de ta poitrine
Et vient délier ma langue de poète
                 Pour te redire je t’aime
Ton visage est un bouquet de fleurs
           Aujourd’hui je te vois non Panthère
                                   mais Toutefleur
Et je te respire ô ma Toutefleur
Tous les lys montent en toi comme des cantiques d’amour et d’allégresse
Et ces chants qui s’envolent vers toi
                               M’emportent à ton côté
                        Dans ton bel Orient où les lys
Se changent en palmiers qui de leurs belles mains
Me font signe de venir
La fusée s’épanouit fleur nocturne
                               Quand il fait noir
Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses
De larmes heureuses que la joie fait couler
                     Et je t’aime comme tu m’aimes
                                    Madeleine