Chapitre IV.
Des Livres nécessaires pour l’étude de
l’Histoire.
Avant que de parcourir les différentes parties du
globe dans des Cartes particuliéres, il faut s’en former une idée en
grand dans une Carte générale. Il en est de même de l’étude de
l’Histoire, bien plus importante que l’autre, puisque c’est l’école de
l’humanité & un cours de morale en action. Vous devez faire précéder
la lecture des Histoires particuliéres de celle de l’Histoire
universelle.
Les Anciens comme les Modernes ont eu des Ecrivains qui ont traité
l’histoire de toutes les nations de l’univers. Tel étoit parmi les Grecs
Diodore de Sicile, qui florissoit du tems de Jules-César & d’Auguste. Sa Bibliothèque historique renferme en effet les annales
de presque tous les peuples du monde, Egyptiens, Assyriens,
Medes, Perses, Grecs & Romains, Carthaginois,
&c. En un mot, chaque nation se trouvoit dans son recueil, dont nous
n’avons que quinze livres avec quelques fragmens ; il s’en est perdu
vingt-cinq. Cette histoire lui coûta trente ans d’un travail opiniâtre,
comme il le marque lui-même dans son préambule. Il ne faut pas y
chercher les graces du style, sa diction est simple sans toutefois être
basse. Quant au fond, on se plaint qu’il n’est pas toujours exact &
impartial. L’Abbé Terrasson nous a donné une
traductiona fidéle de son ouvrage. Quoiqu’il n’épargne pas les
éloges à son auteur dans la préface, on prétend qu’il n’entreprit cette
traduction que pour prouver combien les admirateurs des Anciens sont
aveugles. Ce n’est pas plaider de trop bonne foi la cause des Modernes,
dit M. d’Alembert, que de croire leur assurer la
supériorité en les opposant à Diodore de Sicile,
historien crédule, écrivain du second ordre, & que d’ailleurs une
traduction peut encore défigurer.
Trogue Pompée avoit, à l’imitation
de Diodore de Sicile, donné une
histoire universelle en latin. Justin l’abrégea. On
l’accuse d’avoir occasionné par sa miniature la perte d’un excellent
original ; car on ne connoît que le nom de Trogue
Pompée, qui vivoit dans le beau siécle d’Auguste. Quoi qu’il en soit, le style de Justin est net, intelligible & agréable. On y rencontre de
tems en tems de belles pensées, de solides réfléxions, & des
descriptions fort vives. A l’exception d’un fort petit nombre de mots ou
de locutions, la latinité y est assez pure, & il y a beaucoup
d’apparence qu’il employa ordinairement les propres termes & les
phrases mêmes de Trogue.
Les siécles d’ignorance produisirent une foule de compilations qu’on
honora du titre d’Histoire universelle. Aucune ne mérite d’être citée.
Dès qu’un Moine s’ennuyoit dans sa cellule, il entreprenoit la Gazette
de son tems, & pour que le volume fùt plus gros il remontoit
toujours à Adam ou au déluge. Vincent de Beauvais, de
l’Ordre des Freres Prêcheurs, publia vers le milieu du XIIIme. siécle un
Miroir historial qu’il auroit pu intituler le Miroir des mensonges. Cette
prétendue histoire s’étend depuis la création du monde jusqu’à l’an
1253. Cet ouvrage est aussi défectueux par les fables dont il est
rempli, par le défaut de critique, par le mauvais choix des matériaux,
que dégoutant par la bassesse & l’incorrection du style.
Quand l’aurore du bon goût commença à éclairer l’Europe, il y eut des
auteurs plus dignes de tracer le tableau des révolutions du monde. Le
Jésuite Turselin écrivit une histoire en latin
élégant, & son ouvrage qui a été traduit en françois en quatre vol.
in-12., pourroit avoir son utilité ; mais il
respire les préjugés d’un Ultra-montain & les opinions dangereuses
d’un Jésuite.
La premiere production françoise de ce genre qui dut être lue par les
gens de goût, fut le Discours sur l’Histoire
universelle
b
de l’éloquent Bossuet. Il sçut appliquer l’art
oratoire à un genre qui sembloit l’exclure. On y voit l’art des plus
grands Orateurs & le coloris des plus grands peintres. Tout y est
ramené à la Religion. Il
nous montre le monde
sortant des mains de Dieu par un effet de sa Toute-puissance ; l’homme
né pour être juste & heureux, frappé de malédiction ; son Libérateur
promis & annoncé dans tous les siécles aux Patriarches & aux
Prophêtes ; sa venue dans ce monde au tems marqué ; sa Religion prêchée
& reçue dans tout l’univers ; les Empires qui s’élévent & qui
tombent successivement. Ce spectacle que l’éloquence donnoit en même
tems à la Religion & à la Philosophie, n’a pas plu à des historiens
modernes ; ils ont traité Bossuet d’éloquent déclamateur qui peut éblouir un jeune Prince, mais qui
contente bien peu les sçavans. Ils lui ont reproché de Sacrifier tout à l’illustre peuple Juif. Ce n’étoit
pas là, dit-on, l’esprit d’une histoire universelle ;
mais c’étoit du moins l’esprit que devoit avoir un Prélat chrétien, qui
travailloit à l’instruction d’un Prince chrétien, (le grand
Dauphin.)
Bossuet a eu des continuateurs qui ne sont
malheureusement pas entrés dans ses vues, mais qui ont écrit avec un
agrément infini. Le premier qui se présente est Mr. de Voltaire. Son
Essai sur
l’Histoire générale, & sur les mœurs & l’esprit des nations
depuis Charlemagne jusqu’à nos jours, commence précisément où
finit le discours de l’Evêque de Meaux. Ces tableaux offrent les
couleurs les plus brillantes ; mais il en résulte souvent des portraits
d’imagination. Le Christianisme n’y est pas traité avec beaucoup de
ménagement ; le fatalisme y triomphe. On y voit, dit un auteur, une
liste magnifique de tous les scélérats, qui ont vêcu dans la prospérité
& qui sont morts tranquilles. On leur oppose une foule de bons Rois
& de gens de bien, qui ont péri d’infortune & de misére. Le but
de Mr. de V. étoit de faire connoître les mœurs des
hommes & les révolutions de l’esprit humain ; mais ce but, si bien
rempli dans certains chapitres, est manqué dans d’autres. Cet ouvrage
qui n’étoit d’abord qu’une brochure, & qui a été porté ensuite à
huit vol. in-8°., n’est qu’une premiere ébauche à
certains égards ; c’est à d’autres un tableau fini ; & on pourroit
le dire de tout l’ouvrage, s’il avoit été fondu d’un seul jet &
qu’il n’eût pas été fait de piéces rapportées.
Le Tableau de l’Histoire
moderne, Paris 1766. trois vol. in-12., par
le Chevalier de Mehegan, est une autre suite du
discours sur l’Histoire universelle de Bossuet. Il y a
des descriptions de main de maître ; mais son style a un peu l’air
enflé, ses numérations sont trop fréquentes, sa diction est trop
symétrique. On ne peut nier cependant que cet ouvrage ne vienne d’un
homme de beaucoup d’esprit & d’un écrivain très-élégant.
Ce n’est pas là précisément le caractère de l’Histoire
universelle sacrée & prophane, depuis le commencement du monde
jusqu’à nos jours, par Dom Calmet. Mais si
cet ouvrage n’est pas écrit d’une maniere brillante, ce n’est pas non
plus un squelette d’histoire, dépouillé des circonstances essentielles,
qui rendent un ouvrage agréable & utile. “Qu’on prenne la
peine, dit l’auteur, de comparer cette histoire toute prolixe
qu’elle paroît, avec les histoires des Hébreux, des Egyptiens, des
Grecs, des Romains, des François, des Allemands, des Espagnols, des
Anglois, des Danois, des Polonois, des Hongrois, dont je donne le
précis ; qu’on la
compare à la grandeur des
volumes qui composent l’Histoire Ecclésiastique & Monastique,
des Conciles, des vies des hommes illustres ; ne conviendra-t’on pas
que la mienne sera très-courte, & que c’est rendre un très-grand
service au public, que de réduire en un seul corps de dix ou douze
* volumes ce qu’à peine pourroit-on trouver
ramassé en deux cens volumes ? Un particulier ayant ce seul corps de
mon Histoire universelle, pourra se passer de toutes les autres
histoires dont je viens de parler. Or on doit compter pour beaucoup
de diminuer le travail de la lecture, & d’abréger le tems qu’il
faut employer à l’étude de tant d’ouvrages si longs, si chers, si
rares, & de les donner en racourci à une infinité de lecteurs,
qui n’ont ni le tems, ni le moyen de se fournir de ces
livres.”
L’auteur a tenu parole. Il seroit à souhaiter
seulement qu’il eût puisé plus souvent dans les sources, au lieu de se
borner quelquefois à abréger les
historiens
modernes ; & que son ouvrage fût imprimé avec plus de soin. Dom Calmet avoue que son correcteur n’entendoit que
l’Allemand. On a dit qu’il n’en étoit que plus propre à
corriger l’ouvrage d’un Compilateur ; mais c’est une mauvaise
plaisanterie qui ne doit pas diminuer l’estime qu’on doit avoir pour
l’ouvrage de ce sçavant Bénédictin qui écrit avec beaucoup d’exactitude,
de netteté & de simplicité.
L’Histoire universelle, sacrée & profane, à l’usage
des Dames de France, par M. Hardion, est moins étendue
que celle de Dom Calmet ; & elle est plus agréable
à lire. A des faits bien discutés & arrangés avec art, il a su
joindre la pureté & l’élégance du style. Il n’a point négligé les
ornemens dont sa matiere étoit susceptible ; mais il ne les a pas
recherchés avec trop de soin. L’auteur avoit beaucoup de discernement
pour la critique, & de goût pour la littérature. Il est dommage
qu’il n’ait pas fini ce bon ouvrage. Son continuateur a de quoi nous
consoler, c’est M. Linguet
*
jeune Ecrivain qui a reçu de la nature le
talent de l’éloquence : talent qu’il a transporté par-tout jusques dans
l’histoire. S’il écrit avec moins de simplicité que son premier modèle,
il a plus de chaleur & de coloris.
Ces qualités manquent totalement à l’Histoire
universelle, composée par une société d’Anglois. Il y a dans ce
livre des matériaux excellens, des recherches profondes &
curieuses ; mais l’érudition n’est pas toujours amenée par le sujet ;
elle n’est pas ornée non plus de l’élégance du style & de la
politesse du discours. Cependant comme il y a beaucoup de choses qui ne
se trouvent point ailleurs, ce livre mérite une place dans les
Bibliothèques. Nous avons actuellement 32. volumes in-4°. de la traduction françoise imprimés à Amsterdam.
On ne sauroit aussi en refuser une à l’Introduction à
l’Histoire générale de Puffendorf, revue
& corrigée par M. de Grace, Paris 1753. 8. vol.
in-4°. Ce livre est très-propre à faire connoître
les intérêts des Princes, & il peut être considéré comme une
excellente notice de la politique & du gouvernement de tous les
peuples.
Quand on a les livres que nous venons de citer
dans son cabinet, on peut se passer des abrégés de Chevreau, de Dupin, de Vallemont, &c. &c. La plûpart de ces auteurs ont
manqué leur objet, en voulant trop embrasser, & ils ont passé trop
légérement sur des faits dignes de l’attention de la postérité.
On a dit que l’histoire de chaque nation commençoit
par des fables, cela est vrai, sur-tout, de l’Histoire ancienne. Les
contes des oreilles de Smerdis, du cheval de Darius, tant d’oracles menteurs, tant de fausses
prédictions, tant de miracles qui choquent le sens commun, ont fait
appeller Hérodote le pere du mensonge, ainsi que de
l’histoire.
Cet Ecrivain fut placé par les Grecs à la tête de leurs Historiens, &
c’est par lui que vous devez commencer vos lectures. Son ouvrage s’étend
depuis Cyrus, premier Roi de Perse,
jusqu’à la bataille de Mycale sous le regne de Xerxès. Il en fit une lecture publique dans une
Assemblée de toute la Grèce aux Jeux Olympiques. Les Grecs touchés de la
douceur & de la facilité de son style, donnerent le nom des neuf
Muses aux neuf livres de son histoire. Les Grecs & les Perses ne
sont pas son unique objet ; il fait connoître tout ce qu’on sçavoit
alors des Egyptiens ; c’est-à-dire, beaucoup de fables puériles, dont
quelques-unes en imposent à l’imagination. Hérodote
étoit d’Halicarnasse ; il voyagea pour s’instruire, & à son retour,
il rendit des services importans à sa patrie. Elle fut ingrate, &
l’envie le fit exiler à Thurium, ville de la grande Grèce, où il termina
ses jours, quatre siécles avant J. C. Son histoire a été assez mal
traduite en françois par du Ryer.
Après lui vint Thucydide, né à Athènes sous la soixante
& seiziéme Olympiade. Etant encore fort jeune, il assista aux Jeux
Olympiques, où Hérodote. fit lecture de son histoire.
Il y prit tant de plaisir, qu’il en versa des larmes. Un goût si vif
annonçoit ce qu’il devoit-être un jour. Il
entreprit d’écrire l’histoire de la guerre du Péloponnèse. Il
recueillit de toutes parts de Mémoires, & en acheta à grands fraix ;
enfin son histoire fut conduite jusqu’à la 20me. année de la guerre. Théopompe & Xenophon la
continuerent pour les six autres années qui restoient. Cet Ecrivain est
plein de feu & d’énergie. Il y a plusieurs modernes qui lui donnent
la prééminence sur Hérodote pour le mérite de la
composition. D’Ablancourt l’a traduit en françois.
Le célébre Xenophon marcha sur les traces de ces deux
grands Historiens, & les égala. A son génie pour les lettres, il
joignit la qualité de bon Capitaine. Il servit Cyrus
le jeune dans son expédition pour détrôner Artaxerxès
son frere : mais cet ambitieux échoua, & perdit la vie dans le
moment décisif. Dix mille Grecs, qui s’étoient attachés à sa fortune,
retournerent dans leur patrie, à travers mille dangers de toute espèce :
Xenophon les commanda vers la fin de cette célébre
retraite, dont il a fait l’histoire. On lui suscita quelques chagrins à
son retour ; ce qui ne l’empêcha pas de servir ensuite chez
différens peuples. A la fin, il se retira dans une
campagne aux environs de Lide, où il se livra à de profondes études.
Nous avons d’abord de lui la Cyropedie, qui est
l’histoire du fondateur de Perse ; il composa ensuite celle du jeune Cyrus & de sa fameuse entreprise. Enfin il
travailla à l’Histoire grecque, qu’il reprit au tems où Thucydide l’avoit laissée ; elle contient à peu près 48. ans,
depuis le retour d’Alcibiade dans la Grèce jusqu’à la
bataille de Mantinée. Xenophon donna aussi plusieurs
autres ouvrages sur des sujets historiques. Ciceron
disoit qu’il lui sembloit que les Muses eussent parlé par sa bouche.
C’est un écrivain presque inimitable pour la douce simplicité de sa
diction, & Quintilien lui applique ce qu’on disoit
de Péricles que la Déesse de la
persuasion résidoit sur ses lévres. La version françoise que
d’Ablancourt a donné de son histoire, est la moins
mauvaise que nous ayions.
Polybe tient un rang distingué parmi ces bons
Ecrivains. Il apprit l’art de la guerre sous le fameux Philopemen, & l’art de la politique sous son pere, qui
gouverna la République des
Achéens avec
beaucoup de gloire. Son histoire qui comprenoit tout ce qui s’étoit
passé de plus considérable depuis le commencement des guerres puniques
jusqu’à la fin de celle de Macédoine, a été écrite à Rome, mais en grec.
Elle avoit 40. Livres, dont il ne nous reste que les cinq premiers
entiers. Nous avons obligation au Pape Nicolas V. de
la premiere publication de cet ouvrage, traduit en françois par Dom Tuillier, Bénédictin, & par le célébre
Chevalier Folard, en 6. vol. in-4°.
1727. C’est de Polybe que l’on tient cette maxime
célébre, que la vérité est à l’histoire, ce que les yeux sont aux
animaux, que comme ceux-ci ne sont d’aucun usage dès qu’on leur a crevé
les yeux ; de même l’histoire sans la vérité, n’est qu’une narration
amusante & infructueuse.
Les vies des hommes illustres Grecs & Romains de Plutarque sont encore plus lues que l’histoire de Polybe. Il étoit natif de Cheronée dans la Béotie, pays fort
stérile en esprit. Après avoir demeuré assez long-tems à Rome, il se
retira dans sa patrie, où il exerça diverses Charges, Ses écrits
renferment des faits curieux & des
maximes utiles. Dans ses vies des hommes illustres, il ne flatte point
ceux qui n’ont pas mérité de l’être ; il juge les hommes sur les choses
& non pas sur les apparences, sur les faits & non pas sur le
bruit public. Il donne des éloges aux actions qui en méritent, & il
flétrit sans acception de personne le vice & le crime. Il peint
l’homme au naturel, & jamais moraliste ne l’a mieux saisi. Il écrit
avec force, mais sans ornement : de fréquentes comparaisons, mais
quelquefois tirées de trop loin, animent ses peintures ; tout est clair
& développé avec netteté, mais quelquefois avec trop d’étendue. Il
n’est pas toujours heureux dans le choix des circonstances, ni dans
celui des réfléxions. Il ramasse beaucoup de minuties qui pouvoient être
intéressantes dans le tems, & des bons mots qui ne renferment pas
toujours beaucoup de sel. Dacier a traduit les vies de
Plutarque en 8. vol. in-4°.
(Paris 1721.) avec plus de fidélité que d’agrément.
Arrien de Nicomédie, contemporain de Plutarque, fut son rival dans les sept livres qu’il écrivit
sur les
expéditions d’Alexandre, histoire d’autant plus estimable qu’elle part de la
main d’un Ecrivain qui étoit en même tems homme de guerre & bon
politique. Quinte-Curce qui traita le même sujet en
latin, est plus Rhéteur. Celui-ci a été traduit par Vaugelas.
Tous les historiens dont nous venons de parler, ont écrit en grec. C’est
d’après eux que M. Rollin a composé son Histoire ancienne des Egyptiens, des Carthaginois, des Assyriens,
des Babyloniens, des Médes, des Perses, des Macédoniens & des
Grecs. Cet ouvrage a eu beaucoup de succès parce que c’est la
premiere compilation de ce genre qui ait paru dans notre langue. A
mesure que le public s’est refroidi, on y a désiré un peu plus de cette
sage critique qui discute, qui examine, qui distingue le faux du vrai,
l’incroyable du vraisemblable. Son style est coulant, harmonieux ; mais
est-il toujours pur ? On y trouve quelquefois des fautes de langage, des
expressions on peu trop familieres, des circonlocutions languissantes
qui se ressentent de la précipitation avec laquelle ce professeur
écrivoit.
D’ailleurs, comme il étoit moins
occupé à se faire une réputation d’habile écrivain que de citoyen utile,
il profitoit volontiers du travail de ses prédécesseurs ; & par
cette raison, son style est encore souvent inégal. Il devoit, selon son
projet, se borner à six ou sept volumes ; & il a poussé son ouvrage
jusqu’à treize. L’auteur ne vouloit rien perdre de ses collections,
& il fait entrer dans son livre tout ce qu’il sçait, sans oublier le
Mandement de Monseigneur le Recteur au sujet de la
rétribution que l’Université a sur les postes. Ce qui doit lui faire
pardonner ses défauts, est son amour pour la vertu & son respect
pour la Religion qui animoient son cœur & sa plume. Il n’y a point
d’histoire où il y ait autant de réfléxions que dans la sienne ; mais sa
morale est un peu longue & quelquefois verbeuse. C’est, dit-on,
qu’il travailloit pour des enfans ; cette raison, loin de le justifier,
le condamneroit, si l’on n’étoit disposé à lui pardonner tout en faveur
de la pureté de ses intentions. Rien ne rebute plus les jeunes gens que
la morale présentée de front. Il faut les mener à la vertu avec plus
d’adresse ;
& ils n’aiment guéres les
livres qui les ennuyent pour les rendre sages. Des maximes courtes,
sentencieuses, enchassées habilement dans les faits, auroient laissé
dans leur esprit des traces plus profondes que des longs de Nicole ou de Duguet.
M. l’Abbé Tailhié, disciple de Rollin, a donné un abrêgé de son Histoire
ancienne en cinq vol. in-12. qu’on lit
beaucoup en Province ; mais on préfére à Paris l’Abrégé
chronologique de la même histoire par M. Lacombe, en un seul vol. in-8°. Ce dernier
ouvrage n’embrasse pas un trop grand nombre d’objets, & ne passe pas
trop légérement sur les choses dignes d’attention ; il est bien fait,
ainsi que les autres ouvrages du même auteur.
M. Lacombe a beaucoup profité de l’Histoire des Empires & des Républiques depuis le déluge jusqu’à
J. C., en douze vol. in-12. par M. l’Abbé Guyon : ouvrage plus méthodique, plus exact, plus
concis, & en même tems plus plein que l’histoire ancienne de Rollin ; mais dont le style est moins doux, moins
élégant & moins arrondi. A cela près, il mérite la préférence, &
il l’auroit eue dans son tems, si Mr.
Rollin n’avoit gagné par ses nombreux, partisans &
par ses liaisons avec un certain parti les trompettes de la Renommée.
L’histoire de M. Guyon fut négligée, quoiqu’elle ne
méritât point de l’être ; mais aujourd’hui on lui rend justice.
Quand vous aurez lu tous ces auteurs, vous pourrez vous dispenser de lire
ceux qui ont traité en particulier l’histoire de chaque Prince. Vous ne
devez pourtant pas négliger quelques morceaux bien traités tels que
l’Histoire de Cyrus le jeune & de la retraite des
dix mille, avec un discours sur l’Histoire grecque, par M.
l’Abbé Pagi 1736. in-12.
L’histoire de Philippe de Macédoine, par M. l’Abbé Seran de la Tour 1740. in-12.
L’histoire de Philippe & d’Alexandre le Grand, Rois de
Macédoine, par M. de Bury 1760. in-4°.
L’histoire de Pyrrhus, Roi d’Epire, par M. Jourdan, 1749, deux volumes in-12.
L’histoire d’Epaminondas pour servir de suite aux hommes
illustres de Plutarque, par l’Abbé Seran de
la Tour, in-12. Paris 1730. C’est ce que l’Abbé
de la Tour, homme de
mérite, a fait de mieux, suivant l’Abbé Lenglet du Fresnoi.
L’histoire de Philippe, Roi de Macédoine & pere
d’Alexandre le Grand, par M. Olivier de
l’Académie des Belles-Lettres de Marseille, Paris 1740. deux vol. Nul
Ecrivain n’a si bien développé l’histoire du siécle de Philippe, les intérêts des peuples de la Grèce, leurs mœurs
& leurs coutumes ; mais son histoire manque d’art. Les digressions
sont trop fréquentes & quelquefois ennuyeuses. Le style n’est
nullement historique. Il est en général sec, décousu & sur le ton de
dissertation ; mais il y a des morceaux pleins de chaleur & des
tours originaux.
L’histoire des Amazones, par l’Abbé Guyon, deux vol. in-12. Paris 1741. : livre
exact & savant sur une matiere singuliere.
L’Histoire chez les Romains, ne fut d’abord autre
chose que de simples annales. Le Souverain Pontife pour conserver la
mémoire des faits, rédigeoit dans des tables tout ce qui se passoit
chaque année de plus éclatant, & il les exposoit dans sa maison,
afin que le peuple eût la liberté de les consulter. Cet usage aussi
ancien que Rome même, dura jusqu’au Pontificat de Publius-Mucius, & l’on appella ces tables les grandes
annales. Malgré ces sages précautions, l’histoire reçut un grand échec,
lors de l’embrasement de Rome par les Gaulois, l’an 366. de sa
fondation. Les annales des Pontifes périrent dans cette triste
conjoncture ; & cette perte a obligé quelques savans de tenir pour
suspect tout ce qui se trouve antérieur à cette datte.
Il paroît évident que les historiens ont entouré de fables le berceau de
Rome. On commence par nous dire, dit un homme d’esprit, que Romulus
ayant rassemblé 3300. bandits, bâtir le bourg
de Rome de mille pas en quarré. Or mille pas en quarré suffiroient à
peine pour deux Métairies ; comment 3300. hommes auroient-ils pu habiter
ce bourg ?
Quels étoient les prétendus Rois de ce ramas de quelques brigands ?
N’étoient-ils pas visiblement des chefs de voleurs, qui partageoient un
gouvernement tumultueux avec une petite horde féroce &
indisciplinée ?
Ne doit-on pas quand on compile l’Histoire ancienne, faire sentir
l’énorme différence de ces capitaines de bandits avec de véritables Rois
d’une nation puissante ? Il est avéré, par l’aveu des Ecrivains romains,
que pendant près de 400. ans, l’Etat Romain n’eut pas plus de dix lieues
en longueur & autant en largeur. L’Etat de Genes est beaucoup plus
considérable aujourd’hui que la République romaine ne l’étoit alors.
Ce ne fut que l’an 360. que Veies fut prise, après une espêce de siége
& de blocus, qui avoit duré dix années. Veies étoit auprès de
l’endroit où est aujourd’hui Civitavechia, à cinq ou six lieues de
Rome ; & le terrein
autour de Rome,
capitale de l’Europe, a toujours été si stérile, que le peuple voulut
quitter sa patrie pour aller s’établir à Veies.
Aucune de ces guerres jusqu’à celle de Pyrrhus, ne
mériteroit de place dans l’histoire, si elles n’avoient été le prélude
de ses grandes conquêtes. Tous ces événemens jusqu’au tems de Pyrrhus sont pour la plûpart si petits & si
obscurs, qu’il fallut les relever par des prodiges incroyables, ou par
des faits destitués de vraisemblance, depuis l’aventure de la Louve qui
nourrit Romulus & Remus, &
depuis celle de Lucréce, de Clélie,
de Curtius, jusqu’à la prétendue lettre du médecin de
Pyrrhus, qui proposa, dit-on, aux Romains
d’empoisonner son maître, moyennant une récompense proportionnée à ce
service.
Quoi qu’il en soit, ce furent des Poëtes qui furent les premiers
historiens romains. Nævius donna un Poëme sur la
premiere guerre punique, & Ennius versifia les
annales de Rome. Mais comme les ouvrages de ces Ecrivains n’existent
plus, il faut vous parler du premier qui travaille dans
ce genre avec un succès marqué. C’est Salluste ; il écrivoit comme il pensoit, avec force. Il est
plein de métaphores vives & hardies ; ses descriptions, ses
harangues & ses portraits sont d’un grand maître. On trouve dans
tout ce qu’il écrit un air grand, un esprit juste, un sens admirable. Il
a l’air trop chagrin contre sa patrie & trop mauvaise opinion des
hommes ; son style est peut-être plus dur que fort, & sa briéveté
lui ôte un peu de sa clarté. On l’a comparé à ces fleuves qui ayant leur
lit plus serré que les autres, ont aussi leurs eaux plus profondes &
portent des fardeaux plus pesants. Outre les guerres de Catilina & de Jugurtha que nous avons,
Salluste avoit fait une histoire générale des
événemens d’un certain nombre d’années, dont il nous reste entr’autres
fragmens plusieurs discours pleins d’une éloquence forte. Le P. Doteville de l’Oratoire, & M. Bautzée ont traduit cet historien en françois, & le public
se partage entre leurs versions.
César, grand capitaine & grand cet littérateur,
d’un génie aussi élevé que d’un courage ardent, a laissé des
célébres par la pureté du style, par la
sagesse de la narration, par la justesse des idées. Si ce grand homme
avoit écrit un peu moins séchement, il seroit un modèle parfait pour
l’histoire ; mais ses ne sont qu’un journal bien fait. D’Ablancourt les a traduits aveo négligence, & on
desire depuis long-tems une version plus pure & plus fidéle.
Les Antiquités Romaines de Denis
d’Halicarnasse ne sont pas des recherches
pédantesques à la maniere des compilateurs. C’est à la lettre une
histoire romaine qu’il commence ab ovo trojano, &
qu’il termine à la premiere guerre punique inclusivement. De vingt
livres dont elle étoit composée, il n’en reste que les onze premiers,
traduits par le P. le Jai Jésuite. On y trouve
beaucoup de recherches, de jugement & de logique. D’ailleurs sa
politique est comme ses harangues ennuyeuse, sa narration traînante.
Appien écrivit l’Histoire Romaine en plusieurs livres.
Nous n’avons aujourd’hui que les guerres d’Afrique, de Syrie, des
Parthes, de Mithridate,
d’Espagne, d’Annibal,
quelque chose sur celle d’Illyrie, cinq livres sur les guerres civiles
& quelques fragmens. Cet auteur paroît s’attacher principalement à
la vérité de l’histoire. On remarque qu’il copie quelquefois ses
prédécesseurs.
Dion Cassius fut aimé & honoré de plusieurs
Empereurs, dont l’estime étoit assez peu de chose, si l’on en excepte
Pertinax & Alexandre. Il
composa une histoire romaine en huit décades ; mais ce qui nous en reste
est peu considérable. Son style est noble & conforme à ses sujets.
Photius assure qu’il a imité Thucydide, mais qu’il est bien plus clair.
Ces trois derniers historiens ont écrit en grec, & aucun d’eux ne
peut être comparé à l’histoire romaine de Tite-Live
écrite en latin. Cet Ecrivain a l’imagination belle, l’expression noble,
une éloquence admirable. Il n’y a proprement que lui, parmi les
historiens qui ayent éminemment l’art d’exciter les passions & de
remuer les ressorts du cœur les plus cachés. Quintilien égale sans balancer Tite-Live à
Hérodote pour le style & le mérite de la
narration. Il écrivoit
admirablement sans
contredit, mais sa crédulité révolte ; il recueille tous les petits
prodiges, les petits présages, les petites miséres de la superstition
payenne. Nous en avons une assez foible traduction en dix vol. in-12., par Guerin, professeur de
l’Université de Paris.
On en trouve plusieurs morceaux mieux traduits dans l’Histoire Romaine, depuis la fondation de Rome jusqu’à la bataille
d’Actium, par M. Rollin, in-4°. huit vol.
Paris 1752. & continuée par Crevier son disciple.
Cette production de la vieillesse de Rollin, est un
ouvrage assez défectueux. Il y a des répétitions sans nombre ; une
morale longue & souvent puérile, & un défaut de philosophie qui
n’est pas excusable dans le siécle où nous vivons. Il étoit pardonnable
aux historiens romains d’illustrer les premiers tems de la République
par des fables ; mais il n’est plus permis de les transcrire que pour
les réfuter. Tout ce qui est contre la vraisemblance doit au moins
inspirer des doutes, & l’impossible ne doit jamais être écrit. Le
principal de l’histoire de Rollin est le zéle décidé
pour
les bonnes mœurs qui caractérise tous
ses écrits. Il connoissoit d’ailleurs l’antiquité en homme de goût ;
mais que pouvoit-on attendre d’un homme qui écrivoit vîte à l’âge de
80. ans ?
L’Histoire Romaine depuis la fondation de Rome jusqu’à
l’année 705. par les P. P. Catrou & Rouillé, Jésuites, en 20. vol. in-4°. & in-12. est faite avec plus
d’exactitude que celle de Rollin ; mais les auteurs ne
savent pas narrer. Ils chargent leur style d’ornemens peu convenables à
l’histoire, & cette profusion de fleurs déplacées allonge le récit
sans l’embellir. Leurs harangues sont longues & leur éloquence n’est
ni celle de Tacite, ni celle de Salluste ; c’est celle d’un homme de Collège. Ils cherchent
les phrases, & les phrases doivent se présenter d’elles-mêmes à un
historien digne de ce nom.
L’Abbé Tailhié a profité de ce qu’il y avoit de
meilleur dans Rollin & dans Catrou & en a composé son Histoire Romaine
avec des réfléxions critiques, politiques & morales, en
4. vol. in-12.
M. Macquer a consulté les mêmes historiens dans ses Annales Romaines,
ou Abrégé chronologique de l’Histoire Romaine, depuis la
fondation de Rome jusqu’aux Empereurs, in-8°. : livre très-bien
fait, où l’on trouve une narration courte, rapide, dégagée de détails
minutieux, pleine de traits mémorables, enchaînés avec méthode &
semée des meilleures réfléxions que St. Evremond,
Montesquieu & l’Abbé Mabli ont fait sur
les progrès & la décadence de Rome.
Qui ne connoît l’Histoire des révolutions de la République
romaine, par l’Abbé de Vertot ? C’est une des
productions de notre langue qui en a le plus répandu la gloire. Il a le
style rapide, pur, élégant & naturel. Personne n’attache plus que
lui & ne donne plus de chaleur à sa narration. On est fâché, dit M.
Linguet, de lui voir finir son livre à
l’anéantissement de la République, & le terminer par l’éloge d’un
usurpateur. Il a sçu renfermer en trois vol. la grandeur de Rome. On
voudroit qu’il n’en eût pas employé sept à développer la petitesse de
Malthe. On aimeroit mieux avoir de sa main l’histoire des Empereurs que
celle des grands maîtres. On désireroit qu’après avoir suivi dans la
capitale du monde l’établissement & la
destruction de la liberté, il y eût aussi fait voir les gradations de la
servitude, & qu’au spectacle magnifique, mais peu utile, d’un peuple
fier, jaloux de son indépendance & toujours porté à en abuser, il
eût fait succéder le spectacle plus instructif & plus attendrissant
de ce même peuple accablé par le despotisme, & flétri par
l’esclavage.
Il y a des vues & du style dans l’Histoire raisonnée des
premiers siécles de Rome, depuis sa fondation jusqu’à la
République, par M. Palissot de Montenoy, in-12. : mais on ne peut faire le même éloge de
l’Histoire Romaine de Laurent
Echard ; ce qui regarde la République est fort court, peu
exact, & assez négligemment écrit.
Nous n’avons pas parlé de deux historiens originaux qui n’ont fait que
des abrégés, Patercule & Florus.
Le premier écrit d’une maniere élégante & ingénieuse, le second est
encore plus fleuri que lui. On peut dire même qu’il l’est trop ; car
l’histoire ne doit pas être écrite comme un roman.
Après avoir parcouru les histoires générales, il ne faut pas négliger les
morceaux particuliers. De ce nombre sont
l’histoire de Scipion l’Afriquain, pour servir de suite
aux hommes illustres de Plutarque, avec les observations de M. le
Chevalier de Folard, sur la bataille de Zama, in-12. 1738.
L’histoire des deux Triumvirats depuis la mort de Catilina,
jusqu’à celle d’Antoine, par Citri de la Guette, in-12. trois vol. 1741., dont le dernier
renferme l’histoire d’Auguste par Larrei. Ce recueil est digne d’être mis à la suite des
Révolutions de l’Abbé de Vertot.
L’histoire de la vie de Jules-César, par M. de Bury, in-12. 1758.
L’histoire de la vie de Ciceron, tirée de ses écrits &
des monumens de son siécle, avec les preuves & des
éclaircissemens, composée par l’Abbé Prevot sur
l’ouvrage anglois de M. Midleton 1743, 5. vol. in-12. Cette traduction fut faite à la hâte ; le style en est
un peu négligé ; mais il a cette abondance & cette élégance qui est
le caractère propre des écrits de l’auteur. Il renferme d’ailleurs
d’excellentes choses. On n’y désireroit que plus de précision & de
méthode.
L’histoire des Vestales, avec un traité
du luxe des Dames romaines, par M. l’Abbé
Nadal, in-12., Paris 1725. : ouvrage délicat &
curieux.
L’excellent traité de M. de Montesquieu sur la Cause de la grandeur de la décadence des Romains,
Paris 1734., in-12. L’illustre auteur ne s’appesantit
point sur les détails, & ne saisit que les branches fécondes de son
sujet. Il a su renfermer en très-peu d’espace un grand nombre d’objets
distinctement apperçus & rapidement présentés sans fatigue pour le
lecteur. En laissant beaucoup voir, il laisse encore plus penser, &
il auroit pu intituler son livre, Histoire Romaine à
l’usage des hommes d’Etat & des Philosophes. C’est le
jugement qu’en porte M. d’Alembert.
M. l’Abbé de Mabli, auteur d’Observations très-judicieuses sur les Grecs,
a donné aussi des Observations sur les Romains. Les
unes & les autres sont profondément pensées, bien liées, remplies de
vues & de conjectures heureuses.
LE spectacle de la premiere République de l’Univers,
changée par un usurpateur en une Monarchie immense, & par ses
successeurs en une tyrannie cruelle, ne mérite pas moins votre
attention, que l’histoire de Rome naissante & de Rome conquérante.
Il faut d’abord que vous recouriez aux originaux. Les annales de Tacite sont le premier ouvrage qui se présente à moi.
Il y avoit décrit les regnes de Tibere, de Caligula, de Claude & de Néron. Nous avons encore l’histoire de Tibere & de Néron, quelque chose sur Claude ; mais le reste n’est plus. L’Empereur Tacite se faisoit honneur de descendre de cet homme
célébre. Il ordonna que ses ouvrages fussent répandus dans toutes les
Bibliothèques, & qu’on en fît tous les ans dix copies aux fraix du
public, pour les mieux conserver dans toute leur intégrité. Toutes ces
précautions n’ont pas empêché qu’il
ne s’en
soit perdu une grande partie. Tacite se piquoit
d’avoir écrit avec bonne foi, & de n’avoir eu en vue que de dire la
vérité. Il creuse avec une rare sagacité jusqu’au fond du cœur humain ;
il saisit les moindres nuances des passions, les petits ressorts des
grands desseins, le manége sourd des Cours, & le véritable objet de
leurs démarches. Aussi a-t’il été appelé le Bréviaire des
Politiques. Jamais historien ne pensa si profondément ; mais
peut-être qu’à force de vouloir expliquer tout, son imagination lui a
fait quelquefois faire des systêmes. Il ne se défie point assez d’une
certaine aigreur pardonnable en quelque sorte à ceux qui ayant long-tems
vêcu dans le monde, en viennent enfin à se persuader qu’ils n’y ont vu
que des vertus feintes, ou des vices déguisés. Cette disposition lui
étoit habituelle. Elle perce à chaque instant dans son histoire. Elle
n’en diminue pas l’agrément ; mais elle est propre à faire naître les
soupçons de ceux qui s’en apperçoivent. Peut-être même étoit-elle chez
lui le fruit du caractère, autant que de la réfléxion. On apperçoit,
sans peine, que son style étoit
naturellement
amer. Il avoit dans l’esprit plus de force que de légéreté. Son
tempérament le rendoit plus propre à donner un coloris vigoureux à la
satyre, qu’à se perdre dans les fadeurs du Panégyrique. Or la
constitution physique d’un homme entre pour beaucoup dans sa façon de
voir & de présenter les choses. On lui reproche encore d’être obscur
& enveloppé. Il vouloit être concis & dire beaucoup en peu de
mots. Il a parfaitement réussi à cet égard ; sa phrase est une sentence
continuelle qui renferme un grand sens. En un mot, il fait penser, &
lors même qu’on ne l’entend guéres, les efforts qu’on fait pour
l’entendre ne sont pas inutiles. Nous avons une très-bonne traduction
complette de Tacite, revue, corrigée & enrichie de
supplémens qui en remplissent les lacunes, par Mr. l’Abbé Brotier, in-4°. quatre vol. 1771.
Dion & Suetone qui ont écrit sur
les premiers Empereurs, n’ont pas marché sur les traces de Tacite. L’un, dit M. Lenglet, est un rhéteur
babillard plûtôt qu’un écrivain raisonnable. Il ne manque aucune
occasion de
placer dans son histoire des
discours qui, sans donner une idée bien favorable de son éloquence, en
font naître une très-désavantageuse de son jugement. Loin de mériter la
confiance de ses lecteurs, il ne peut leur inspirer que du dégoût. Ce
jugement est sévere, & on peut le tempérer par ce que nous avons dit
sur Dion dans le paragraphe précédent.
Suetone, s’occupe à ramasser des anecdotes bien plus
qu’à les choisir. Il les raconte avec un style aussi lâche qu’indécent.
Il les entasse sans examen & sans distinction. Il ne fait pas plus
usage de la chronologie que de la critique. Il a des tableaux libertins,
qui doivent dégoûter les honnêtes gens. Il pouvoit peindre les vices
& la débauche des Empereurs avec plus de pudeur & de décence.
Quelques personnes le regardent comme très-véridique, mais toutes les
horreurs qu’il raconte ne sont guéres croyables, quoiqu’elles puissent
être vraies.
Hérodien, historien grec, nous a transmis en huit
livres tout ce qui s’est passé depuis la mort de Marc-Aurele jusqu’à Gordien III. Il y a fort
peu d’écrivains à qui cet auteur doive
céder
pour la pureté du style, & pour l’arrangement des faits. L’Abbé Mongault a traduit son histoire en françois avec
autant de fidélité que d’élégance.
Les historiens qui vinrent après n’ont pas le même mérite. Zosime Procope, Agathias, auteurs grecs, se sentent de la
décadence que le goût avoit éprouvé dans leur siécle. Le premier est
plein d’aigreur, le second est exact dans ce qui regarde les guerres de
Belisaire, mais il paroît aussi satyrique dans ses
anecdotes qu’il a été lâche flatteur dans sa grande histoire. Le
troisiéme n’est guéres qu’un compilateur.
Venons aux modernes. Vous ne pourrez vous dispenser de parcourir le
savant ouvrage de M. de Tillemont, intitulé : Histoire des Empereurs & des autres Princes qui ont
regné durant les six premiers siécles de l’Eglise, des persécutions
qu’ils ont faites aux Chrétiens, de leurs guerres contre les Juifs,
des Ecrivains prophanes & des personnes les plus illustres de
leur tems, justifiée par les citations des auteurs originaux, avec
des notes pour éclaircir les principales difficultés de
l’histoire, en 6. vol. in-4°. Cet ouvrage va
jusques vers le milieu du VIme. siécle.
L’auteur, non moins éclairé dans le discernement des sources, qu’exact à
les faire connoître, cite ses garans avec l’exactitude la plus
scrupuleuse. Les notes dont il accompagne la narration, décélent un
critique habile ; mais elles interrompent le récit & elles rendent
ce livre meilleur à consulter qu’à lire.
L’histoire des Empereurs Romains, depuis Auguste jusqu’à
Constantin, par M. Crevier, en douze volumes,
a été presqu’entiérement puisée dans M. de Tillemont ;
mais le récit n’en est point interrompu par des discussions critiques
& chronologiques. Mêmes vues d’utilité & de religion dans M. Rollin & dans M. Crevier ;
solide instruction dans l’un & dans l’autre. Mais celui-ci n’est pas
si agréable à lire, pas si heureux dans le choix de ses détails, pas si
intéressant dans la façon de les présenter, pas si plein, &
cependant plus chargé dans sa narration.
L’agrément qui manque à M. Crevier, on le trouvera
certainement dans l’histoire des révolutions de l’Empire
Romain, pour servir de suite à celle
des
révolutions de la République, par M. Linguet,
Avocat au Parlement, deux vol. in-12. L’auteur écrit
certainement de génie ; il a de la force & de la chaleur ; il n’a pu
manquer de plaire aux spéculatifs. C’est une suite de faits choisis,
mais mêlés de réfléxions, tantôt de la plus grande justesse, tantôt un
peu hazardées, & d’inductions quelquefois arbitraires. Son ouvrage
prend trop souvent l’air de dissertation, parcequ’il contredit à tout
moment Tacite & Suetone.
Peut-être que cet ingénieux & éloquent auteur auroit mieux fait de
rejetter ces discussions à la fin du livre, & d’écrire &
raconter les faits avec rapidité.
C’est le parti qu’a pris M. le Beau dans son Histoire du Bas Empire en commençant à Constantin. Cet
ouvrage forme un tableau bien dessiné ; un ensemble où tout est lié,
fondu ; son style a de la chaleur & de l’élévation, & on voit un
homme qui n’a rien oublié pour trouver la vérité. Comme ce religieux
Ecrivain est favorable au Christianisme, l’auteur du Dictionnaire philosophique n’a pas manqué de traiter son
histoire de déclamation ; mais souhaitons qu’on nous
en donne souvent de semblables.
On n’a pas plus épargné l’histoire de l’Empereur
Julien, in-12. par M. l’Abbé de la Bleterie, à
laquelle il faut joindre la Vie de l’Empereur Jovien, avec
la traduction de quelques ouvrages de l’Empereur Julien, en
2. vol. in-12. par le même. Ces deux histoires sont
écrires avec exactitude & avec sagesse. L’auteur tient un milieu
entre le fanatisme qui avoit dégradé Julien au-dessous
de l’homme & l’enthousiasme qui en avoit voulu faire un Dieu.
Vous pouvez mettre aussi au rang des ouvrages bien faits l’histoire de l’Empereur Théodose le Grand, par M. Fléchier, in-4°. qui la composa pour l’instruction du grand
Dauphin. Ce livre est écrit avec une sorte d’éloquence, & on y
releve les grandes qualités de Théodose, sans
cependant pallier ses défauts.
Il faut ajouter à ces livres quelques ouvrages propres à faire connoître
la décadence de l’Empire Romain. Vous pouvez mettre à la tête, l’Histoire de la ville de Constantinople depuis le regne de
l’ancien Justin (en 518, ou plûtôt depuis Honorius &
Arcadius en
395. & 407.) jusqu’à la destruction de cet Empire par les Turcs (en 1453.)
traduite par M. Cousin, Président de la Cour des
Monnoies, in-4°. Paris 1672. huit vol. : collection
importante qui renferme tous les auteurs originaux qui ont traité
l’histoire byzantine.
Au défaut du recueil précédent, on peut se contenter de la continuation
de l’Histoire Romaine de Laurent Echard,
jusqu’à la prise de Constantinople. Qu’on ne s’imagine pas que
ce soit ici une traduction ; c’est un ouvrage qui est sorti de la plume
de l’Abbé Guyon, & comme il est fait avec méthode
& avec exactitude, il a été réimprimé en province avec l’Histoire d’Echard en 12. vol. in-12.
Il y a encore un excellent morceau d’histoire que je vous conseillerois
de lire s’il étoit mieux écrit. C’est l’Histoire de
Constantinople sous les Empereurs françois, par Geoffroy de
Villehardouin & Philippe de Mourkes, avec une histoire de Constantinople depuis le XIIIme. siécle
jusqu’à la prise de cette ville par les Turcs, par M. du Cange, in-fol. Paris de l’Imprimerie royale 1657.
Je terminerai cette liste par l’Histoire des révolutions de Constantinople, 1750. trois vol.
in-12. M. de Burigni, auteur de
cet ouvrage, l’a travaillé avec soin. Les divers morceaux de l’histoire
Byzantine ne forment pas un tout complet, & les auteurs en sont ou
flatteurs ou passionnés. On a réuni les faits dans cette histoire, &
on les a dépouillés de tout ce que la passion ou l’ignorance y avoient
mêlé.
IL est des savans bizarres qui s’épuisent en
recherches sur des nations inconnues, & qui négligent l’histoire de
leur propre patrie. Gardez-vous bien de leur ressembler. La premiere
étude d’un homme du monde doit être l’histoire de son pays ; mais pour
la faire avec succès, il ne faut pas embrasser trop d’objets ni
s’appesantir sur trop de livres. Je ne vous parlerai donc que de nos
principaux historiens. J’omettrai d’abord tous les anciens ; ils sont
barbares pour la plûpart, & je crois qu’on ne
se soucie pas plus de les connoître que de les lire.
Ils étoient bons pour leur tems, mais ils ne valent plus rien du tout
pour le nôtre.
Scipion Dupleix donna une Histoire
générale de France depuis Pharamond jusqu’en 1646. Paris 1648,
1650, 1654, 1663. six vol. in-fol. Quoique cet auteur
écrive languissamment & d’une maniere diffuse, cependant son ouvrage
a été autrefois lu & est encore recherché par quelques curieux. Il
n’est pas même tout-à-fait à négliger, tant pour ses Mémoires sur l’histoire des Gaules, que sur l’histoire de Henri IV. Il avoit été à portée d’avoir des
mémoires exacts sur ce Prince. Il est quelquefois satyrique ; mais la
satyre est, aux yeux de certaines gens, le sel de l’histoire.
Mezerai écrivit après Dupleix une
grande histoire de France en trois vol. in-fol. qu’on
ne lit plus, quoiqu’il y ait des choses recherchées, & un abrégé en
cinq vol. in-12. qui est entre les mains de tout le
monde. Cet écrivain n’étoit pas assez instruit, & ne vouloit pas se
donner la peine de s’instruire. Il avouoit bonnement qu’il écrivoit
d’après ceux qui avoient
compilé avant lui,
mais il aimoit la vérité & la disoit avec une énergie qui lui sur
quelquefois funeste. Il manquoit de noblesse, de correction, de décence
même dans son style ; mais il l’avoit énergique & vif. On le lit,
& on le critique.
Le P. Daniel qui nous a donné aussi une grande Histoire
de France & un abrégé, a le style net & naturel ; la narration
extrêmement dépouillée & liée. Ses réfléxions sont pensées, mais
communes ; & il paroît infiniment mieux instruit des affaires
militaires, où un homme de son état se trompe presque toujours, que de
celles du cabinet. C’est proprement l’histoire des guerres de France
qu’il nous a données & non pas celle de la nation. On le loue
d’avoir débrouillé les deux premieres races de nos Rois, & on le
blâme d’avoir montré de la partialité sur la fin de la troisiéme. En
général, sa narration manque de chaleur, son style, de couleur & de
force. Il n’est ni assez profond, ni assez hardi. Qu’il se trompe sur
quelques noms, sur la position de quelques villes, qu’il prenne l’entrée
de quelques groupes dans une ville ouverte pour
un siége ; ces légeres fautes ne sont presque rien,
parce qu’il importe peu à la postérité, dit M. de V.
qu’on ait eu tort ou raison dans de petits faits qui sont perdus pour
elle. Mais on ne peut souffrir les déguisemens avec lesquels il raconte
les batailles importantes. Au reste, il en est du P. Daniel comme de Mezerai ; son abrégé est
plus estimé que sa grande histoire, & il faut choisir les dernieres
éditions de l’une & de l’autre, revues, corrigées & augmentées
par le Pere Griffet
* son confrere.
Limiers a fait une suite de Mezerai
qu’on pourroit aussi consulter pour supplé r à l’ouvrage de Daniel. Ce sont deux vol. in-4°. de
supplément, l’un pour l’histoire de Louis XIII. &
l’autre pour celle de Louis XIV. Mais il est bon
d’avertir que cette continuation, faite par un écrivain sans force &
sans élégance, est assez peu de chose.
L’abbé le Gendre, quoiqu’inférieur pour la diction à
Daniel, attache davantage dans son histoire de France
jusqu’à la mort de
Louis XIII., à Paris 1718. en trois vol. in-fol. & en huit vol. in-12.
“C’est un des abrégés les plus exacts de notre histoire (dit
l’auteur du Nouveau Dictionnaire historique,) il
est écrit d’un style simple & un peu lâche. Les premiers volumes
parurent en 1700. & ne furent pas beaucoup recherchés. Ce fut
moins la faute de l’auteur que du sujet. Quand on auroit la plume
& la liberté du Président de Thou, il seroit
difficile de rendre les premiers siécles de notre Monarchie
intéressans.”
C’est pourtant ce qu’a tâché de faire l’Abbé Velli dans
son Histoire de France depuis l’établissement de la
Monarchie jusqu’au regne de Louis XIV. Il prétend que la
plûpart de nos historiens n’ont donné que l’histoire de nos Rois &
non celle de la nation. C’est principalement cette derniere qu’il s’est
proposé de joindre aux annales des Princes qui ont regné. Il s’est
appliqué sur-tout à remarquer les commencemens de certains usages, les
principes de nos libertés, les vraies sources & les divers fondemens
de notre droit public ; l’origine des
grandes
dignités ; l’institution des Parlemens ; l’établissement des
Universités ; la fondation des Ordres Religieux ou Militaires ; enfin
tout ce que les arts & les sciences nous fournissent de découvertes
utiles à la société. L’auteur a rempli son plan. C’étoit un homme qui
consultoit les sources & qui citoit exactement ses autorités. Son
style est sage & naturel, & ne manque pas d’une certaine
chaleur. La mort l’ayant surpris lorsqu’il travailloit au huitiéme
volume de cet ouvrage, M. Villaret, Secrétaire de la
Pairie, se chargea de le continuer, & il le fit avec succès ; mais
comme il s’abandonnoit quelquefois à sa verve & qu’il aimoit les
réfléxions, il auroit allongé considérablement cet ouvrage, s’il avoit
eu le tems de le finir. Il travailloit au regne de Louis XI. lorsqu’il mourut M. Garnier,
Professeur d’Histoire au Collège Royal, est le second continuateur de
cette histoire funeste à ses auteurs, & nous souhaitons qu’il puisse
la conduire jusqu’à nos jours. Il est moins brillant que M. Villaret ; mais il est aussi moins verbeux, & il paroît
avoir mieux saisi le plan de l’Abbé Velli. Il en est
actuellement au vingt-deuxiéme vol.
Pour se rappeller les faits des grandes
histoires, il est nécessaire de lire des abrégés. On n’en sauroit
choisir de meilleur que l’Abrégé chronologique de
l’Histoire de France, par M. le Président Henault, si souvent réimprimé, & dont la derniere édition
est en trois vol. in-8°. Le lecteur y voit d’un seul
coup d’œil, combien dans chaque siécle l’Europe a eu de Souverains,
combien sous chaque regne la France a eu de grands hommes. Nos Rois,
leurs Epouses, leurs Enfans ; les Ministres, les Magistrats, les
Guerriers ; les traités de paix, les négociations, les ambassades, les
déclarations de guerre, les siéges, les batailles ; tout se trouve ici
rassemblé dans le plus petit espace, sans embarras, sans confusion, avec
plus d’ordre même, plus de netteté, plus de méthode que dans nos grandes
histoires. Mais ce qui fait le plus grand mérite de ce livre & la
principale gloire de l’auteur, ce sont des portraits, des réfléxions,
des remarques distribuées avec art pour servir d’ornement à cet abrégé,
& en dérober la sécheresse. C’est là comme l’ame qui donne la vie à
un corps sec & aride par
lui-même ; &
voilà proprement l’ouvrage de l’esprit de M. le Président Hénault.
L’ordre chronologique qui isole les objets, empêche aussi de lire cet
ouvrage de suite ; mais si vous vouliez un livre où les matieres fussent
plus liées, vous pourriez lire les Elémens de l’histoire de
France depuis Clovis jusqu’à Louis XV. par M. l’Abbé Millot, en 2. vol. in-12. Paris
1758. “Nos meilleurs historiens modernes, dit l’auteur dans sa
préface, m’ont fourni les faits, & me serviront de garans. Mon
travail s’est borné au choix des matériaux, à la disposition, au
style. Si j’emprunte quelques pensées remarquables d’un auteur, je
me fais un devoir de le citer. Toute autre citation seroit inutile
dans un livre élémentaire. N’écrivant que pour les personnes qui ont
besoin de connoissances utiles, sans pouvoir en acquérir de
profondes, je supprime quantité d’événemens étrangers à mon objet,
pour m’attacher aux choses les plus curieuses & les plus
instructives ; j’évite scrupuleusement de surcharger la mémoire de
dattes, de noms propres, de détails toujours
fatigans lorsqu’ils ne sont pas nécessaires. Une
anecdote, un trait qui caractérise les mœurs est préférable au récit
d’expéditions militaires, dont il ne résulte aucun changement
politique. A mesure que le cahos de l’antiquité se débrouille, la
narration prend du corps & de l’étendue. Les deux derniers
regnes fournissent plus de matiere que les deux premieres
races.”
Cet abrégé a été réimprimé en 1770. en trois vol.
avec des augmentations considérables.
APrès qu’on a parcouru les histoires générales &
les abrégés de ces histoires, il faut entrer dans quelques détails &
lire pour cela des livres particuliers. Je citerai les principaux sans
m’astreindre à mettre des liaisons à des matieres si disparates.
Histoire des Celtes & particuliérement des Gaulois &
des Germains, depuis le tems fabuleux, jusqu’à la prise de Rome par
les Gaulois, par M.
Simon Pelouttier, in-12. 1740. : ouvrage plein de recherches
profondes, & un des meilleurs qu’on puisse lire sur une matiere qui
demandoit une érudition peu commune. Il a été réimprimé en 1770. à Paris
en 3. vol.
Traité de la Religion des anciens Gaulois, in-4°. deux
vol., par Dom Martin, Bénédictin de St. Maur. Ce livre, plein de remarques curieuses &
intéressantes, roule sur un sujet qui n’avoit été traité que fort
imparfaitement ; il n’a pas cependant été recherché autant qu’il
méritoit de l’être. Dom Martin, homme très-savant, bon
écrivain, mais caustique, s’étoit fait des ennemis par ses sorties
violentes contre les Jansénistes & par la liberté qu’il prenoit de
critiquer les meilleurs auteurs. Mais ces querelles personnelles ne
doivent pas fermer les yeux sur le mérite du livre & de l’auteur,
l’un des ornemens d’une illustre Congrégation.
Histoire critique de l’établissement de la Monarchie
Françoise dans les Gaules, par M. l’Abbé Dubos, de l’Académie françoise, 1743. deux vol. in-4°. & quatre vol. in-12. Cet ouvrage
a séduit beaucoup de gens, dit le
Président
de Montesquieu, parce qu’il est écrit avec beaucoup
d’art ; parce qu’on y suppose éternellement ce qui est en question ;
parce que plus on y manque de preuves, plus on y multiplie les
probabilités. Le lecteur oublie qu’il a douté, pour commencer à croire.
Mais quand on examine bien, on trouve un colosse immense qui a des pieds
d’argile, & c’est parce que les pieds sont d’argile, que le colosse
est immense. Si le systême de l’Abbé Dubos avoit eu de
bons fondemens, il n’auroit pas été obligé de faire tant de volumes pour
le prouver. Son opinion est que les peuples des Gaules ont appellé les
Francs pour les gouverner. Quoique ce livre renferme des idées fausses,
il prévient en faveur de l’étendue & des connoissances de son
auteur, qu’on ne peut qu’estimer beaucoup, même en rejettant son
systême.
Monumens de la Monarchie Françoise, par le Pere Dom Bernard de Montfaucon, Religieux
Bénédictin de la Congrégation de St. Maur, in-fol.
Paris 1729. cinq vol. Cet ouvrage amuse l’imagination du lecteur par un
grand nombre de planches qui représentent
les
mœurs des François & leurs différens usages dans tous les tems ;
mais les explications ne sont pas aussi piquantes que les figures. Tout
y est simple, tout y est uni ; mais cette simplicité est relevée par
beaucoup d’érudition & de clarté. On peut joindre à ce livre les Mœurs & coutumes des François dans les différens tems
de la Monarchie, par l’Abbé le Gendre, in-12.
Paris 1712. petit livre assez curieux, & qui se trouve réimprimé à
la tête de l’Histoire de France du même auteur. M. Poullin de Lumina, vient d’en donner
un sous le même titre & à peu-près sur les mêmes objets en deux vol.
in-12.
Histoire de l’ancien Gouvernement de la France, avec
quatorze Lettres sur les Parlemens ou Etats-Généraux, par le
Comte de Boulainvilliers, in-12. la Haye 1727. On
sçait que l’auteur ne pensoit pas toujours comme les autres ; mais comme
il étoit savant, il y a toujours à profiter avec lui.
Venons à présent aux histoires particuliéres. Nous commencerons par un
morceau d’histoire curieux & assez bien écrit. C’est l’Héritiere de Guienne, au histoire d’Eleonore, fille de
Guillaume, dernier Duc de Guienne, femme de
Louis VIII., Roi de France, par M. de Larrey,
in-8°. Rotterdam 1691.
A peine notre langue fut débrouillée que des personnes de la Cour se
chargerent d’écrire. Jean Site de Joinville publia l’histoire de St. Louis
avec une fidélité admirable, & avec une simplicité qui s’attire la
créance. Il est vrai que cet auteur est aujourd’hui peu intelligible à
cause des changemens arrivés à notre langue & à nos usages. Mais la
Chaise a fait entrer ce que Joinville raconte de plus curieux dans son histoire de St. Louis, Roi de France, in-4°. 2. vol. 1688.
lâchement écrite, mais estimée pour les recherches.
On trouvera plus d’agrément dans l’Histoire de France, sous
les regnes de St. Louis, de Philippe de Valois, du Roi Jean, de
Charles V. & de Charles VI., par M. l’Abbé de Choisi, in-12. 4. vol. 1750. Ces histoires imprimées
séparément ont été réunies pour la commodité du lecteur. Ceux dont
l’imagination flegmatique a besoin d’être échauffée par un écrivain,
liront avec plaisir ces cinq morceaux dont la narration est aisée &
le style vif & léger.
On ne peut pas donner le même éloge à l’histoire du démêlé entre le Pape Boniface VIII. &
Philippe le Bel, par Adrien Baillet, in-12.
Paris 1717. Cet auteur glace l’esprit par la froideur de son style, mais
il orne la mémoire de faits curieux & bien discutés. Le savant Dupuy avoit donné un ouvrage sur la même matiere dont
le style est encore plus ennuyeux.
Baudot de Julli a traité d’une
maniere étendue & avec netteté le regne de plusieurs de nos Rois.
Nous avons de lui l’histoire de la vie & du regne de
Philippe Auguste, Roi de France, Paris 1702. 2. vol. ; celle de
Charles VI. 1753. trois vol. in-12. ; celle de Charles VII. deux vol. in-12. ; celle de Louis XI. 6. vol.
in-12.
Ce dernier ouvrage, quoique publié après l’histoire de
Louis XI. de M. Duclos, en trois vol. in-12. ne l’a point fait oublier. Celle-ci est
très-intéressante par le choix des faits, par les réfléxions courtes,
vives & ingénieuses dont elle est semée, & par la narration qui
est serrée, nette & précise.
Nous avons sur le même Prince les Mémoires de Philippe de
Comines, dont
la meilleure édition
est celle de l’Abbé Lenglet en 4. vol. in-4°. Cet historien, dit Juste Lypse,
instruit par le manîment des affaires & doué d’un bon sens naturel,
voit tout, pénétre tout ; découvre le fonds des conseils, & sur cela
donne de bonnes instructions. “Vous trouverez en mon Philippe de Comines, dit Montagne, avec ce beau naturel qui lui est propre, le
langage doux & agréable d’une naïve simplicité, une narration
pure, & en laquelle la bonne foi de l’auteur reluit évidemment,
exempte de vanité parlant de soi, & d’affection & d’envie
parlant d’autrui.”
L’histoire de Louis XII. par M. l’Abbé Tailhié 1755. 3. vol. in-12. est exacte,
mais l’auteur a peu de ce coloris lumineux qui fait l’agrément de
l’ouvrage suivant.
Histoire de François Ier., Roi de France, dit le grand Roi
& le pere des Lettres, par M. Gaillard,
de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres. L’auteur a partagé
toute la matiere de son ouvrage en plusieurs branches historiques.
L’Histoire Ecclésiastique, l’Histoire civile, l’Histoire
politique & militaire, l’Histoire des lettres
& des Arts, au lieu d’être confondues & mêlées ensemble, font
autant de parties distinctes, & la plus considérable portion de
l’ouvrage entier. C’est l’Histoire civile, politique & militaire que
contiennent les 4. premiers volumes. L’Histoire ecclésiastique, celle
des guerres, & les anecdotes, c’est-à-dire, l’histoire des femmes,
des maîtresses & de la vie privée de François Ier., forment les quatre derniers vol. de ce bon ouvrage.
Les faits y sont suffisamment approfondis & bien présentés ; le
style en est pur & élégant. Enfin nous y avons trouvé tout
l’intérêt, toute la chaleur qu’on pouvoit attendre & du sujet &
de l’écrivain.
Pour ce qui s’est passé en France depuis ce regne mémorable jusqu’en
1608., vous avez l’histoire de l’illustre Président de Thou, écrite par l’auteur en beau latin, & traduite en
françois en seize vol. in-4°. 1734. Des négociations
importantes, différens voyages en Italie, en Flandre & en Allemagne,
une étude sérieuse des intérêts des Princes, des mœurs, des coutumes, de
la géographie des pays
qu’il parcourut,
disposerent M. de Thou à écrire cette belle histoire.
L’historien a également bien parlé dans son ouvrage de la politique, de
la guerre & des lettres. Les intérêts de tous les peuples de
l’Europe y sont développés avec beaucoup d’impartialité &
d’intelligence. Il entre quelquefois dans de trop grands détails ; la
beauté de son style empêche presque qu’on ne s’apperçoive de ce défaut.
Le jugement domine dans cette histoire, ainsi que l’indulgence pour tous
les errans. Un des plus grands défauts qu’on lui ait reproché, est
d’avoir latinisé les noms propres d’une maniere qui les rend quelquefois
inintelligibles.
L’histoire des guerres civiles de France, par Davila, traduite du latin en françois par l’Abbé Mallet en 3. vol. in-4°. seroit
encore plus recherchée si son auteur donnoit moins de louanges à son
héroïne Cathérine de Médicis, &
qu’il s’abstînt de pénétrer trop avant dans l’esprit des Princes. Davila sçait attacher ses lecteurs par la maniere de
circonstancier les faits par la justesse de ses réfléxions, & par
l’art qu’il a de donner à son discours un
fil
& un enchaînement naturel. Comme cet historien étoit étranger, il
n’est pas étonnant qu’il ait quelquefois défiguré les noms propres des
villes & des hommes.
L’Esprit de la Ligue, par M. Anquetil
1767. trois vol. in-12. peut servir de supplément à
l’histoire des guerres civiles de Davila.
Le regne d’Henri IV. a trouvé plusieurs historiens. Hardouin de Perefixe, Archevêque de
Paris, publia une histoire de ce Prince, plusieurs fois réimprimée en un
vol. in-12. La derniere & la meilleure édition est
celle de Paris 1749. Cette histoire n’est qu’un abrégé ; mais elle fait
très-bien connoître Henri IV. On crut que Mezeray y avoit eu part ; mais cet historien n’avoit point ce
style touchant qui fait aimer le Prince dont il écrit la vie. L’histoire
du même Monarque par M. de Buri en quatre vol. in-12. & en un vol. in-4°.,
quoique plus étendue que celle de Perefixe, ne l’a
point fait oublier.
Louis XIII. a eu aussi ses historiens. Celui qui a
compilé le plus longuement sur ce Prince, est le Vassor dont l’histoire est en vingt vol. in-12. Il y a
dans cette compilation
mille choses qu’on ne trouveroit pas ailleurs ; mais ce livre n’est pas
moins méprisable par les anecdotes satyriques qu’il contient, que par le
motif qui les a fait écrire. L’auteur étoit un apostat qui avoit quitté
la France, & il ne perd aucune occasion de rendre sa patrie & sa
religion odieuses.
L’histoire de Louis XIII. par le Pere Griffet, est préférable pour l’exactitude & l’arrangement
des faits.
M. de Buri, historien de Henri IV.
l’a été aussi de Louis XIII. ; mais on lui reproche de
ne pas choisir ses détails avec goût, d’omettre des faits essentiels,
& de n’être pas toujours exact dans ceux qu’il raconte.
On a fait à peu près le même reproche à Larrey, la Martiniere & Reboulet qui nous
ont donné de longues histoires de Louis XIV. Celle du
dernier en trois vol. in-4°. & en neuf vol. in-12., est la plus estimée. Les faits y sont exposés
avec assez d’exactitude & de vérité, mais quelquefois avec trop de
sécheresse. En beaucoup d’endroits elle ressemble à une Gazette.
L’auteur éloigné de la capitale, avoit composé sur des mémoires
fautifs. On a fait depuis lui des découvertes
dont il n’a pas pu profiter, & cette histoire, telle qu’elle est,
auroit besoin d’être refondue pour les faits, & retouchée pour le
style quelquefois lâche, souvent négligé.
En attendant qu’on écrive une histoire de Louis XIV.
digne de ce Prince, nous avons ce que M. de V. a fait
en ce genre. Son travail a été beaucoup loué & beaucoup critiqué. La
distribution en chapitres a paru d’une petite maniere. Tous les détails
principaux, habilement fondus dans la premiere narration, en eussent
fait un monument bien autrement digne d’un grand maître que ce recueil
d’articles séparés sur les arts, sur les sciences, sur les affaires
ecclésiastiques, &c. &c. Le style de M. de V.
étoit propre à ce genre, & il éclate avec tous ses charmes dans
plusieurs morceaux ; mais dans d’autres, il paroît au-dessous de
lui-même. “Le morceau tant annoncé des arts & des sciences,
n’est point ce que j’attendois, dit M. Clément, de
ses recherches. Celui des Ecrivains a modéré l’opinion qu’il m’avoit
donnée de son impartialité, quand il ne
s’agissoit que de Rois, de peuples & de gouvernement.
L’article de Rousseau fait pitié. Dans le chapitre
du Calvinisme, il a voulu jouer le Montesquieu, en
donnant un principe général aux dernieres guerres de religion. Il a,
dit-il, long-tems cherché ce principe ; s’il eût ouvert le fameux
livre de l’Avis aux Réfugiés, il l’y auroit trouvé
tout de suite ; s’il eût cherché un peu plus long-tems, il auroit vu
qu’il n’avoit rien trouvé. En revanche c’est la chose du monde la
plus agréable que son Chapitre du Jansénisme. Imaginez-vous les
Lettres Provinciales à deux tranchans ; une plaisanterie distribuée
à droite & à gauche avec une légéreté, une finesse, une naïveté
charmante.”
Reste à savoir si c’est là le ton de l’histoire,
& si la vérité n’y est point blessée en plusieurs points. Mr. de V. au lieu d’approfondir son sujet, semble avoir fait
son capital d’embellir les ornemens postiches qu’il y ajoute. Pourquoi,
a-t’on dit, voler dans un successivement en Allemagne, en
Espagne, en Hollnde, en Suede, en Angleterre pour nous raconter
quelques traits qui n’ont qu’un rapport
éloigné au sujet principal. On présente à mes yeux avec une rapidité
incroyable une suite de faits importans que je voudrois connoître à
fonds, & l’on ne me dit qu’un mot de chacun ; on écrit pour
m’instruire, & l’on ne m’apprend que très-peu de chose. C’est une
foule d’éclairs qui m’éblouissent & qui me laissent dans les
ténébres. M. de V. dit quelque part que son objet n’a
pas été la vérité des détails. Après un aveu si naïf, on n’est plus
surpris de trouver si peu de vérité dans son livre ;
mais on l’est d’y trouver en certains endroits tant de détails. Ce ne sont point les mémoires qui ont manqué à
l’historien, ni l’art de les employer ; car il y a plusieurs chapitres
qui sont des chefs-d’œuvre d’élégance ; c’est l’esprit de discussion,
c’est la patience nécessaire dans un travail si pénible.
Son Siécle de Louis XV. a été encore plus critiqué que
celui de Louis XIV. Celui-ci brilloit au moins par les
graces, l’énergie, la noblesse & la précision du style ; mais
l’autre n’a pas cet avantage. On n’y trouve point cette variété de
tableaux, cette finesse
de caractères, cette
abondance de réfléxions, cet heureux choix de matieres qui distinguent
le grand historien. On y entre dans un détail ennuyeux de quantité de
minuties, & on raconte les grands événemens avec un ton
d’indifférence philosophique qui leur fait perdre tout leur éclat. On
trouve pourtant dans quelques endroits de ce livre, de la vivacité, de
l’agrément, & cette liberté hardie qui lui a procuré tant de
lecteurs & fait tant d’ennemis.
L’histoire du Parlement de Paris par le même auteur,
offre les mêmes défauts & de plus grands encore. Il y regne un ton
d’indécence & de plaisanterie bien opposé à la gravité de
l’histoire. D’ailleurs le fond est tout entier dans l’histoire générale, dans le Siécle de
Louis XIV. & de Louis XV. C’est un double
emploi qu’un homme jaloux de sa gloire & de sa réputation, ne
devroit jamais se permettre. Il faut croire que cette production est un
brouillon dérobé à l’auteur ; & on peut la regarder comme un recueil
de mémoires informes qui lui ont été enlevés, & qu’il ne destinoit
point à voir le jour. M. de V. a désavoué cet
ouvrage comme un énorme fatras de dates,
auquel il n’a pu ni voulu travailler.
Reprenons à présent la partie des Mémoires particuliers sur chaque
Prince. Ceux de du Bellai imprimés à Paris en 1570.
in-8°. nous donnent tout le regne de François I. Cet auteur, quoique véridique, est presque
toujours monté sur le ton de Panégyriste ; cependant il y avoit dans François I. à louer & à blâmer. Il faut chercher
des correctifs dans d’autres historiens & prendre un juste milieu
pour trouver la vérité.
L’Histoire de Pierre Terrail, dit le Chevalier Bayard,
par M. Guyard de Berville 1760. in-12. peut être lue avec fruit, parce que le héros de
cette histoire fut un des hommes illustres du regne de François I. Le même auteur nous a donné la Vie du
Connétable du Guesclin, en 2. vol. in-12.
Pour les regnes suivans on ne peut se dispenser de lire les Mémoires dont
nous allons donner le titre d’après l’Abbé Lenglet du
Fresnoi.
Mémoires de François de Boivin, Baron de Villars, sur les
guerres d’Italie, depuis 1550. jusqu’en 1559.
in-8°.
Paris 1630. :
ouvrage estimé pour les anecdotes curieuses qu’il renferme, & qu’il
ne faut pas négliger quand on veut connoître l’histoire de ce tems-là.
François de Rabutin a raconté
des événemens arrivés à peu près vers le même tems dans ses sur les dernieres guerres de la Gaule Belgique,
depuis 1551. jusqu’en 1562. in-8°. Paris 1574. bonne édition d’un livre estimé & peu
commun.
Consultez ensuite les de l’Etat, de la Religion
& de la République sous Henri II., François II. &
Charles IX. en sept livres in-8°. & in-12. 1565. Ces mémoires commencent en 1556. &
finissent en 1561. Ils sont du Président de la Place,
qui fut tué à la St. Barthelemi, Magistrat intégre,
vertueux, instruit & digne d’un meilleur sort.
Les Mémoires de Condé, ou recueil des piéces pour servir à
l’Histoire de France, sous les regnes de François II., &
Charles IX., nouvelle édition in-4°. Londres
(Paris) 1743. six volumes in-4°. : ouvrage
curieux & instructif, & qui est dans les Bibliothèques où l’on
rassemble les morceaux recherchés.
Mémoires de Michel. de Castelnau,
avec les remarques de M. le Laboureur, depuis l’an 1559. jusqu’en 1570. in-fol. Bruxelles
1731. trois vol. Castelnau étoit un homme d’Etat
distingué, dont on lit les mémoires avec beaucoup d’utilité. On connoît
le mérite de l’éditeur.
Les de Blaise de Montluc, sur les guerres
d’Italie, depuis 1521. jusqu’en 1572. in-fol. & in-8°. Bordeaux 1592. : mémoires curieux
& utiles d’un habile Officier. On les a réimprimés à Paris, il y a
quelques années, en 4. vol. in-12.
Les Mémoires de l’état de la France sous Charles IX. depuis
l’Edit de pacification en 1570. jusqu’au regne
d’Henri III. in-8°. Middelbourg 1578. trois vol. Cet ouvrage,
connu sous le nom de Mémoires de Charles IX., renferme
des piéces essentielles qu’il ne faut pas laisser échapper, & des
détails qui intéressent la curiosité.
Journal du Roi Henri III., avec des remarques & un
recueil de piéces les plus curieuses & les plus rares de son
regne, in-8°. la Haye 1744., 5. vol. Ce livre assez connu,
s’annonce par lui-même. Il tient tout ce que le titre promet.
Mémoires du Duc de Bouillon,
depuis l’an 1560. jusques en 1586. in-12., Paris 1666. : ouvrage peu commun.
Mémoires de M. le Duc de Nevers, par M. de Gomberville, in-fol. Paris 1665. deux vol. Cet ouvrage, dont
le style vaux mieux que celui des précédens, est encore très-estimé pour
les faits. L’éditeur écrivoit bien pour son tems.
Recueil de choses mémorables arrivées sous la Ligue,
depuis 1585. jusqu’en 1598. in-8°. Genève 1590. &c. six vol. ; c’est ce qu’on appelle
les Mémoires de la Ligue : mémoires très-curieux &
très-intéressans sur un des plus malheureux tems de la Monarchie.
Satyre Ménipée de la vertu du Catholicon d’Espagne, ou la
tenue des Etats de Paris en 1593. in-8°.
Ratisbonne ou Bruxelles 1716. C’est la bonne édition de ce recueil
publié par M. Godefroy de Lille. On y trouve des
plaisanteries & de la gaieté, & ces badinages satyriques ne
servirent pas peu à ramener plusieurs ligueurs.
Journal du regne d’Henri IV. avec des remarques historiques
& politiques, par M. C. B. in-8°. la Haye
(Paris)
1741. quatre volumes : b n édition ;
mais dans laquelle on n’a pas en soin de distinguer ce qu’on avoit
ajouté aux mémoires de l’Estoile, auteur de ce Journal
intéressant & véridique.
Chronologie novennaire, ou histoire de la guerre sous le
regne d’Henri IV. depuis 1589. jusqu’en 1598.
in-8°. Paris 1608. Ce bon ouvrage, du Docteur Caiet, avoit été précédé par la Chronologie septenaire depuis 1598. jusqu’en
1604. C’est ce qu’on a de plus exact & de plus curieux sur ces tems
mêmorables.
Mémoires de M. de Villeroi, Secrétaire d’Etat, in-8°.
Paris 1624., 4. vol. in-12. 1665. très-bons.
Mémoires des sages & royales économies d’Etat,
domestiques, politiques & militaires, par Maximilien de Béthune
Duc de Sully, in-fol. à Amsterdam, deux vol. gros caractère
& la suite in-fol. Paris 1662. deux vol. bons,
mais ennuyeux avant que l’Abbé de l’Ecluse les eût mis
en françois élégant. Son édition est en huit volumes in-12.
Mémoires des grands Capitaines françois, par M. de Bourdeilles, sieur de Brantome,
& autres ouvrages, in-12.
la Haye 1741. quinze volumes. Cet auteur qui avoit le
génie de la Cour, s’est plus à peindre les hommes avec ces traits qui
attachent l’esprit & remuent le cœur. Il assaisonne les faits les
plus curieux du sel de son style qui n’étoit fait que pour lui seul.
Comme il avoit participé aux désordres qui regnoient alors parmi les
courtisans, il faut être en garde contre certaines licences, ausquelles
son imagination se livre trop aisément.
Mémoires de du Plessis Mornai, dépuis 1572. jusqu’en 1623. in-4°. la Forest 1625. deux vol. & Amsterdam 1651. & 1652.
deux vol. Ces mémoires d’un Protestant sont beaucoup moins emportés que
l’histoire universelle de d’Aubigné, depuis 1550.
jusqu’en 1601. in-fol., Maillé
1616. trois vol. in-fol. Amsterdam 1626. Le Parlement
de Paris fit brûler cette derniere histoire comme une production où les
Rois, les Reines, les Princes & les Princesses étoient non-seulement
peu ménagés, mais quelquefois outragés. Henri III. y
joue un rôle qui inspire le mépris & l’horreur. Les affaires
militaires sont contées avec assez d’exactitude ; mais celles de la
Religion se ressentent de l’enthousiasme de
l’auteur dont le style est violent & gigantesque.
Mémoires de la Régence de Marie de Médicis, in-12.
Paris 1666. Ces mémoires, qui sont du Maréchal d’Estrées mort en 1670., sont très-bons pour l’histoire de ce
tems.
Histoire de la mere & du fils, par François de
Mezerai, in-4°. & in-12. Amsterdam 1730. deux vol. Cet
ouvrage, très-mal écrit, renferme pourtant des choses dignes d’être
lues.
Mémoires du Maréchal de Bassompierre, contenant l’histoire
de sa vie & des remarques sur la Cour de France, in-12.
quatre vol. 1723. Nous avons encore de lui une rélation assez
intéressante de ses ambassades, & des remarques sur l’histoire de
Louis XIII. composée par du Pleix. Son style est fort mauvais, quoique l’auteur passât
pour avoir beaucoup d’esprit ; mais ses mémoires sont instructifs pour
les courtisans & les philosophes. Ils doivent les désabuser de
l’ambition en faisant connoître tout ce qu’il y a à souffrir auprès des
Grands.
Mémoires & Lettres de Henri de Rohan sur la guerre de la
Valteline,
publiés par M. de
Zurlauben, in-12. 3. vol. 1758. : mémoires importans pour cette
partie de l’histoire. Ils sont propres d’ailleurs à former de bons
militaires. Nous avons encore de ce héros son Parfait
Capitaine. Il y fait voir que la Tactique des anciens peut
fournir beaucoup de lumieres pour la Tactique des modernes.
Anecdotes du Ministère du Cardinal de Richelieu & du
regne de Louis XIII. par M. de V. in-12.
Amsterd. Rouen 1707. deux volumes. Ces mémoires sont tirés du Mercure de Vittorio Siri, qui a été traduit en partie
par M. Requier, en 1755. en 3. vol. in-4°. Les faits rapportés par cet historien sont appuyés sur
les instructions secrettes de plusieurs Ministres & de plusieurs
Princes ; mais il faut beaucoup se méfier de la maniere dont l’auteur
les rend. Il étoit payé pour écrire & il aimoit beaucoup mieux
l’argent que la vérité.
Mémoires du Cardinal de Retz, de M. Joly & de Madame la
Duchesse de Nemours sous le regne de Louis XIV., in-12. sept
vol. Amsterdam 1738. Le Cardinal de Retz composa les
mémoires que nous avons de lui dans sa
retraite de Commerci. Il avoit eu la foiblesse d’y parler de ses
aventures galantes. Quelque Religieuse à qui il confia son Manuscrit
original, retrancha, en le copiant, tous les traits qui déshonoroient
les mœurs de ce Cardinal, & c’est sur une de ces copies que fut
faite la premiere édition des mémoires où l’on trouve en effet plusieurs
lacunes. Ces mémoires sont écrits avec un air libre, une impétuosité de
génie, & une inégalité qui sont l’image du caractère & de la
conduite de ce fameux intrigant. Ceux de Joly qu’on y
a joint sont aux mémoires du Cardinal, dit M. de V. ce
qu’est le domestique au maître ; mais il y a des particularités
curieuses, ainsi que dans ceux de la Duchesse de Nemours.
Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, en huit vol.
in-12., écrits avec une élégante simplicité, mais
trop remplis de minuties & de bagatelles.
Mémoires de la minorité de Louis XIV. par M. le Duc de
la Rochefoucauld, in-12. deux vol. 1754. Ces mémoires
sont écrits avec l’énergie de Tacite. C’est du moins
ce que disent ceux qui pensent qu’ils sont du Duc de la Rochefoucauld.
Mémoires de Lainet, deux
volumes in-12. Ils roulent sur la guerre civile de la
fronde. Tous les mémoires de ce tems sont éclaircis & justifiés les
uns par les autres. Ils mettent la vérité de l’histoire dans le plus
grand jour. Ceux de Lainet renferment plusieurs
anecdotes très-remarquables.
Mémoires pour servir à l’histoire de Louis XIII. & à la
régence d’Anne d’Autriche, par Madame de Motteville, in-12. Amsterdam 1723. six volumes. On y trouve
beaucoup de petits faits, avec un grand air de sincérité. Ils sont
écrits avec noblesse.
Une partie des ouvrages précédens roulant sur les guerres de la fronde,
nous croyons devoir placer ici ce qui regarde Condé
& Turene qui y jouerent un rôle. Nous avons
l’histoire élégante du premier en 4. vol. in-12. par
M. Desormeaux, & une du second, dans laquelle il y
a de l’ordre & de la précision, par Ramsai in-4°.
Venons à présent aux Mémoires publiés sur l’histoire du dernier
regne.
Mémoires & Réfléxions sur le regne de Louis XIV.
par M. de la Fare, in-12. 1740. Ces mémoires lus avec
avidité lorsqu’ils parurent, sont écrits
avec
beaucoup de liberté, mais cette liberté va quelquefois jusqu’à la
satyre.
Mémoires de l’Abbé de Choisi, un vol. in-12. On y trouve des choses vraies, quelques-unes de
fausses, & beaucoup de hazardées ; ils sont écrits dans un style
trop familier. Il y avoit fait entrer les Mémoires de la
Comtesse de Barres, qu’on a imprimés séparément. Cette
prétendue Comtesse étoit lui-même. Il s’habilla & vêcut en femme
plusieurs années. Il acheta, sous le nom de la Comtesse de
Barres, une terre auprès de Tours. Ces mémoires racontent avec
une naïveté piquante comment il eut impunément des maîtresses sous ce
déguisement, mais il n’est pas vrai qu’il travaillât alors à son
histoire de l’Eglise.
Mémoires de M. de Torci pour servir à l’histoire des
négociations depuis le traité de Risvvick, jusqu’à la paix
d’Utrecht, in-12. trois vol. 1756. Ces mémoires renferment des
détails qui ne conviennent qu’à ceux qui veulent s’instruire à fond. Ils
sont écrits plus purement que tous les mémoires de ses prédécesseurs. On
y reconnoît le goût de la Cour de Louis XIV. ; mais
leur plus grand prix est dans la
sincérité de l’auteur, un des plus honnêtes hommes de la Cour, & qui
sçut unir à l’esprit d’un politique l’intégrité d’un homme de bien.
Mémoires de Bussy Rabutin réimprimés en 1769. en deux
vol. in-12., purement écrits, mais moins intéressans
que ceux de Gourville que nous avons aussi en deux
vol. in-12. Il y a dans ceux-ci des anecdotes
singulieres.
Mémoires du Maréchal de Villars, imprimés en Hollande
en trois vol. in-12. Le premier est de lui ; mais les
deux autres sont d’une main étrangere & lui sont par conséquent
infiniment inférieurs. Le récit de ce qu’il fit contre les fanatiques
des Cevennes est digne d’être lu. Il imita alors Fabius par sa prudente lenteur, comme il égala ensuite
l’activité de Scipion.
Mémoires de la Régence, sous la minorité de Louis XV.
in-12. trois vol. 1742. Ces mémoires ne sont pas fort exacts ; mais ils
peuvent servir pour les faits publics sur lesquels les historiens se
trompent rarement.
Mémoires du Comte de Forbin 1730. deux vol. in-12., rédigés par Reboulet,
curieux & écrits avec facilité,
mais dans
quelques endroits ils sont plus amusans que sincéres.
Mémoires de M. du Gay-trouin, Lieutenant-général des Armées
navales de Louis XIV. in-12. 1740. Cet ouvrage a été beaucoup
lu & l’est encore par ceux qui aiment le détail des combats &
des expéditions maritimes.
Mémoires de Madame de Staal, 3. vol. in-12. On y trouve des particularités curieuses sur la
Régence, & nous avons peu d’ouvrages écrits avec autant d’agrément
& de finesse. On prétend qu’elle n’a pas dit tout ce qui regardoit
les passions de son cœur. Elle disoit elle-même qu’elle ne s’étoit
peinte qu’en buste.
Mémoires pour servir à l’histoire de Mme. de Maintenon,
& à celle du siécle passé, par M. de la Baumelle, nouvelle
édition, augmentée de remarques critiques de M. de V., & d’un
recueil de Lettres de cette Dame, in-12. quinze vol. 1757.
1758. Il y a eu peu de livres aussi lus & aussi critiqués. La
liberté que s’est permise l’auteur de tout écrire, contribua au succès
de cet ouvrage autant que son style saillant & énergique. Il y a
sans doute des choses hazardées ; mais il y en a
aussi de très-vraies & de très-curieuses. Les
Lettres qu’on a jointes aux mémoires renferment beaucoup de
particularités ; mais les connoissances qu’on peut puiser dans ce
recueil sont trop achetées par la quantité de lettres inutiles qu’on y
trouve.
Nous ne sçaurions mieux finir ce Chapitre qu’en faisant connoître une
collection importante pour quiconque veut travailler à notre histoire.
C’est le Recueil des Historiens des Gaules & de la
France. André du Chesne fut chargé en 1618.
par le Ministère de France de rassembler les originaux des Historiens
contemporains de nos Rois, depuis l’origine de la Monarchie. Il publia
en 1636. les deux premiers volumes de cette collection. Après la mort de
ce savant qui fut écrasé par une voiture en 1640. François
du Chesne, son fils, publia en 1641. les tomes III. & IV.
que son pere avoit déjà fait imprimer en partie, & donna en 1649. le
cinquiéme. Ce projet, long-tems interrompu, fut repris en 1676. par un
Ministre que son zéle pour les lettres a immortalisé. M. Colbert fit acheter de François du Chesne les mémoires que son pere & lui avoient
ramassés ;
mais sa mort laissa ce dessein
sans exécution. M. de Louvois en fut à son tour
occupé, & le Pere Mabillon fut désigné pour ce
travail, qui pourtant resta sans effet jusqu’à la régence.
Enfin en 1717. M. le Duc d’Orléans, Régent du Royaume,
en ayant commis le soin à M. Daguesseau, ce grand
Magistrat choisit deux Bénédictins de la Congrégation de St. Maur, Dom Bouquet & Dom Maure d’Antine pour les charger du même travail. Ils
commencerent sur un nouveau plan. Mr. le Régent nomma Antoine Urbain Couttelier pour imprimer leur ouvrage ; mais ce
dernier étant mort avant que d’avoir pu le commencer, & sa veuve
n’ayant pas voulu l’entreprendre, l’exécution en fut confiée, par M. Daguesseau, au sieur Martin, Mariette,
Coignard & Guetin. En 1738. les Libraires
associés présenterent au Roi le premier volume des Historiens de
France ; en 1739. le second ; en 1741. les troisiéme & quatriéme
tome ; le cinquiéme, le sixiéme & septiéme en 1749. ; en 1752. le
huitiéme ; en 1757. le neuviéme ; le dixiéme, en 1758. Enfin le onziéme
en 1767. Celui-ci s’étend depuis l’an 1031.
jusqu’à l’an 1060. Les rédacteurs actuels de cette importante
collection sont Dom Jacques Precieux & Dom Germain Poirier. On ne sauroit posséder à fond
l’Histoire de France, si l’on ne fait une étude solide & approfondie
de ce recueil dont le douziéme vol. occupe actuellement les
continuateurs.
Un travail qui ne fait pas moins d’honneur à la patrie que celui des
Bénédictins est l’Histoire des Hommes illustres de la
France, dont nous avons actuellement vingt-six volumes. Du Castre d’Auvigni, qui a commencé cet ouvrage, ne
vouloit qu’être éloquent. Il peint à grands traits tous les personnages
qu’il présente. L’abbé Peran, qui l’a continué,
beaucoup plus simple dans sa marche, s’est attaché principalement à
enrichir sa matiere, & ses vies sont pleines de recherches. Celle de
Gaspard de Coligni est, entre
autres, un des meilleurs morceaux d’histoire que nous connoissons. M.
Turpin, leur successeur, n’a pris la maniere
d’aucun d’eux ; il suit l’impulsion de son génie. Cet écrivain, rempli
de chaleur, peint tout, orne tout, & répand les fleurs en
abondance.
Il est essentiel lorsqu’on veut lire quelque
histoire que ce soit d’avoir une idée générale des mœurs, des usages
& des coutumes de la nation qu’on veut connoître. Par rapport aux
François, on trouve à se satisfaire dans le Dictionnaire
historique des mœurs, usages & coutumes des françois, contenant
aussi les établissemens, fondations, époques, anecdotes, progrès
dans les sciences, dans les arts, & les faits les plus
remarquables & intéressans arrivés depuis l’origine de la
Monarchie jusqu’à nos jours, à Paris, chez Vincent, rue St.
Severin, 1767. en 3. vol. in-8°. Cet ouvrage, où l’on
a mis à contribution l’Histoire de France de l’Abbé Velli, les mœurs des François de le Gendre,
la description de Paris de Piganiol de la Force, & beaucoup d’autres livres de ce genre, ne peut
manquer d’être curieux ; & s’il n’instruit pas solidement ceux qui
veulent recourir aux sources, il amuse agréablement ceux qui ne
cherchent que le plaisir dans la lecture.
Ce n’est point pour les lecteurs de ce dernier genre que nous citerons la
Bibliothèque historique de la France, contenant le
catalogue des ouvrages tant
imprimés que
manuscrits, qui traitent de l’histoire de ce Royaume, ou qui y ont
rapport, avec des notes critiques & historiques, par feu Jacques
le Long, Prêtre de l’Oratoire, Bibliothécaire de la Maison de
Paris : nouvelle édition revue, corrigée, & considérablement
augmentée, par M. Fevret de Fontetto, Conseiller
au Parlement de Dijon, en 4. vol. in-fol. qui
s’impriment actuellement. La premiere édition de ce savant ouvrage parut
en 1719. en un seul vol. in-fol. ; & tout exact
qu’il parut alors, il y avoit bien des fautes à corriger. Une
nomenclature aussi nécessaire pour toutes les parties de notre histoire,
ne devoit pas rester imparfaite. Le P. le Long qui
tous les jours trouvoit quelque chose à y ajouter, avoit laissé, après
sa mort, un exemplaire de cet ouvrage chargé de notes, de corrections
& d’additions écrites de sa main. C’étoit indiquer clairement la
nouvelle édition qu’on donne actuellement. Aussi Mr. de Fontette a-t’il pris pour base de son travail cet exemplaire
posthume qu’il a heureusement recouvré ; les augmentations qu’il y a
faites excédent deux ou trois fois le fond sur lequel
il a travaillé. L’ouvrage du Pere le Long contient environ dix-huit mille articles, & dans la
nouvelle édition on en trouvera plus de trente mille ajoutés aux
anciens.
DEpuis que l’Espagne est pour ainsi dire Françoise
par le testament de Charles II. en faveur des
Bourbons, il n’est pas permis d’ignorer l’histoire de ce pays. Je vous
conseille de commencer cette lecture par l’Histoire des
révolutions d’Espagne, depuis la destruction de l’Empire des Goths
jusqu’à l’entiere & parfaite réunion des Royaumes de Castille
& d’Arragon en une seule Monarchie, par le P. d’Orléans, Rouillé & Brumoi, in-12, en cinq vol.
1737. Ce livre vous donnera du goût pour l’histoire de cette Monarchie.
Les faits principaux y sont ramassés avec beaucoup de goût &
d’exactitude, présentés avec dextérité & racontés avec chaleur.
Vous pourrez ensuite entreprendre les grandes histoires. Je vous citerai
d’abord celle de Mariana. Nous en avons une traduction françoise par le Pere
Charenton, Jésuite, imprimée à Paris en 1725. en
6. volumes in-4°. sous ce titre : Histoire générale d’Espagne, du P. Mariana, Jésuite, traduite en
françois, augmentée des sommaires du même auteur, & des fastes
jusqu’à nos jours, avec des notes historiques, géographiques &
critiques, des médailles & des cartes géographiques.
“Cette histoire, dit M. l’Abbé de la Porte,
est remarquable par la sagesse qui la caractérise ; cet écrivain dit
tout ce qu’il faut dire, & il ne dit que cela.* Il ne se livre pas trop aux beaux endroits, & ne
néglige jamais ceux qui ne le sont point. Les inégalités qui
défigurent souvent les plus petits ouvrages, ne se trouvent point
dans une si longue histoire. Tout y est assorti ; la grandeur du
dessein, la noblesse du style, la majesté des réfléxions. Mariana est moins superstitieux qu’on ne le devoit
attendre du siécle où il vivoit, & du pays où il
écrivoit.”
Il y a pourtant plusieurs critiques qui lui
préférent l’histoire de Ferreras traduite en françois
par d’Hermilly en dix vol. in-4°.
Ferreras est inférieur à Mariana
pour la noblesse du style ; mais il paroît qu’il a fait des recherches
plus profondes, & qu’en général il est beaucoup plus exact. Vous
choisirez l’un ou l’autre, ou pour mieux dire, vous les lirez tous les
deux en les comparant. Voulez-vous ensuite vous rappeller les principaux
faits ? lisez l’Abrégé chronologique de l’histoire
d’Espagne, depuis sa fondation jusqu’au présent regne, par Mr.
Desormeaux, in-12. cinq vol. 1759. On ne trouve
dans ce livre ni la sécheresse ordinaire des abrégés, ni les détails
ennuyeux des grandes histoires. Les événemens y sont liés les uns aux
autres & toujours accompagnés de leurs principales circonstances ;
toujours dénués de ce qui leur est étranger. La narration est douce,
aisée, sans être néanmoins ni molle, ni languissante. Elle n’est pas
trop chargée de réfléxions ; & les portraits placés à propos lui
servent d’ornement sans en interrompre le fil.
M. Macquer a donné depuis un
autre Abrégé chronologique en deux vol. in-8°. écrit avec plus de simplicité, & plus utile pour
ceux qui veulent se satisfaire tout d’un coup. M. le Président Henault a eu part à ce dernier abrégé, & c’est,
aux yeux de plusieurs lecteurs, un préjugé très-favorable.
Si vous êtes curieux de lire quelques histoires particulieres, vous avez
la Vie du Cardinal Ximenès, par Fléchier, in-4°. Il est vrai que c’est plûtôt un panégyrique
qu’une histoire ; il ne montre son héros que par les beaux côtés, il
l’excuse en tout & il en fait presque un saint. L’Abbé Marsollier publia, en même tems que lui, une vie de Ximenès moins élégante, & d’un style moins pur
& moins harmonieux, mais bien plus exacte & plus impartiale.
Celle-ci est en 2. vol. in-12.
L’histoire de Philippe II. Roi d’Espagne, a été traitée
par plusieurs historiens. Celle de Leti est curieuse,
mais vous savez qu’on ne peut pas toujours compter sur sa véracité,
& qu’il accable son lecteur de réfléxions maussades & de
digressions insipides.
On unit ordinairement l’histoire de Portugal à celle d’Espagne. Nous
avons une histoire générale de ce Royaume par
M. de la Clede, in-12. huit vol. 1735. Quoique les
portraits de cet historien soient sans couleurs, & que son style
n’ait pas une élégance marquée, son pinceau a le mérite de la vérité.
Les faits y sont rapportés avec beaucoup de fidélité &
d’exactitude.
Vous trouverez des traits plus animés dans l’histoire des Révolutions de Portugal, par M. l’Abbé de Vertot, in-12. Ce morceau, plusieurs fois réimprimé, est assez
superficiel ; l’éloquence de l’historien en fait tout le mérite. Il y a
plus de recherches dans l’histoire du détrônement
d’Alphonse VI. Roi de Portugal, traduit de l’anglois, deux vol.
in-12. 1742. Histoire curieuse, mais séchement
& prolixement écrite.
LEs Pays-bas & la Hollande, théatre d’une guerre
sanglante à la fin du XVIme. siécle, essuyerent beaucoup de révolutions.
Les combats de la liberté contre le despotisme de Philippe II. & les suites de ces combats ont été décrits
par plusieurs historiens, parmi lesquels il faut distinguer Grotius, Strada & Bentivoglio.
Le premier est digne d’être comparé à Tacite. Cette
petite obscurité dont il s’est couvert, dit M. Lenglet, le rend énergique & concis. Il a parfaitement bien
développé toutes les intrigues, tous les ressorts & tous les motifs
de la guerre. Jamais homme, dit un bel esprit, ne pratiqua moins la
politique, & cependant jamais homme n’en écrivit mieux. Ses annales
de Rebus Belgicis vont jusqu’en 1609.
Si Strada a de grandes beautés, il a aussi de grands
défauts. Ses réfléxions politiques lui ont fait donner le nom de Tacite de la Flandre, & ses ennuyeuses leçons de
morale, l’ont
fait nommer par d’autres le Sénéque moderne. Il n’est jamais permis à un historien
de prendre un ton dogmatique, & il doit être extrêmement retenu dans
les réfléxions ; celles de Strada ont du brillant ;
mais tout l’éclat par lequel il prétend éblouir ses lecteurs n’empêche
pas les gens sensés de trouver que cet écrivain manque de jugement.
Quoiqu’il eût promis une rélation fidéle de la guerre de Flandres, il se
contente de coudre ensemble les éloges de quelques particuliers, &
renvoie son principal sujet à la fin de l’ouvrage. Il n’est pas même
exempt de partialité, & il met tout en œuvre pour élever jusques aux
nues son héros Alexandre Farnese. Strada n’a point de
style qui lui soit propre ; c’est un composé de plusieurs styles, fruit
de ses grandes lectures. Ce défaut est celui de presque tous les
latinistes modernes. Ajoutez à cela que quand il se mêle de parler de
guerres, il ne fait que begayer, & c’est ce qui a fait dire à Bentivoglio que l’histoire de ce Jésuite étoit plus à
l’usage du Collège qu’à celui de la Cour. Elle va jusqu’en 1590.
Le savant Cardinal que nous
venons de nommer a
traité le même sujet ; mais il a trop pensé à plaire, & il a
rabaissé la majesté de l’histoire par une pureté de style trop
étudiée.
Il ne suffit pas de lire ces écrits sur les révolutions des
Provinces-Unies, il faut consulter les grandes histoires. Le Clerc donna trois volumes in-sol.
sous le titre d’Histoire des Provinces-Unies des
Pays-bas. C’est un ouvrage d’un grand travail & d’une
lecture immense ; mais on sçait que l’auteur travailloit à la hâte &
qu’on ne peut pas louer beaucoup l’élégance & la politesse de son
style. On trouve les mêmes défauts dans les Annales des
Provinces-Unies depuis la paix de Munster, par Basnage.
Ce que nous avons de plus raisonnable & de mieux écrit en ce genre
est l’histoire générale des Provinces-Unies, par M. M.
du Jardin & Sellius, 1755. &
années suivantes 5. vol. in-4°. ; mais cet ouvrage
n’est pas encore achevé, & l’on en désire la continuation.
LEs tableaux qu’offre cette histoire sont uniques.
Ailleurs les Princes, les Grands occupent le théatre entier ; ici les
hommes, les citoyens jouent un rôle qui intéresse davantage l’humanité.
Plusieurs historiens ont tracé les scènes aussi variées que piquantes
que fournit l’histoire d’Angleterre. Rapin de Thoyras
est le premier qui ait traité ce sujet en notre langue d’une maniere
distinguée. Son ouvrage est en seize vol. in-4°. &
il y en a un bon abrégé en dix vol. in-12. Historien
judicieux, exact, méthodique, Rapin a épuisé son
sujet ; il en a développé les moindres parties ; mais en
s’appesantissant peut-être trop sur ces mêmes détails, dont l’esprit est
bientôt surchargé aux dépens de ce qu’il faudroit graver dans la
mémoire. Un reproche plus essentiel qu’il mérite, c’est de se montrer
prévenu contre sa patrie, que les rigueurs de Louis XIV. avoient exposée à la haine des Protestans, & de
favoriser le parti des
Puritains, de ces
dangereux Enthousiastes, dont le systême de religion n’est propre qu’à
rendre les hommes farouches, & le systême d’indépendance qu’à faire
des factieux & des rébelles.
Deux plumes angloises ont récemment traité le même sujet, avec la
supériorité de connoissances qu’ont en général les naturels d’un pays
sur les étrangers, dans l’histoire nationale. Leurs ouvrages ne se
ressemblent que par le titre. M. Smolett expose
séchement les faits, en conte les circonstances d’une maniere uniforme,
donne très-peu à penser, ne remue ni l’imagination ni le cœur, & par
un style lourd & foible, fatigue le lecteur en l’instruisant. M. Targe
a qui a traduit son ouvrage en françois, y a
ajouté une suite jusqu’à nos jours. M. Hume réunit la
précision & la clarté, la profondeur & l’élégance ; il peint
d’après nature sans que l’art se découvre dans ses tableaux. Mais il
faut le lire en anglois, car son style paroît dur & un peu pesant
dans les
traductions françoises que nous en
avons. Jamais auteur ne s’est plus élevé au-dessus des préjugés des
sectes & des préventions des partis qui divisent le Royaume.
Toujours impartial, il semble être l’organe des jugemens de la
postérité. Son histoire forme 18. vol. in-12.
Les Révolutions d’Angleterre du P. d’Orléans ne sauroient entrer en comparaison avec l’histoire de
Rapin, ni avec celle de M. Hume.
C’est un livre moins solide que brillant, moins instructif qu’agréable,
où l’on ne trouve que des idées imparfaites du gouvernement, de la
législation & des mœurs. Ce qui concerne les Stuarts est écrit avec une partialité trop évidente. Le
Jésuite françois régle la plûpart de ses jugemens tantôt sur les
intérêts de la Cour Romaine, tantôt sur les principes de la Monarchie
françoise. L’auteur avoit été prédicateur avant que d’être historien,
& l’on s’en apperçoit assez en le lisant.
Il regne plus d’exactitude & d’impartialité dans les Elémens de l’histoire d’Angleterre, depuis son origine sous les
Romains jusqu’au regne de George II. par M. l’Abbé Millot,
Professeur royal
d’histoire en
l’Université de Parme, en trois vol. in-12.
1769. C’est cet écrivain élégant qui nous a fourni les jugemens que nous
avons portés sur les auteurs qui ont traité l’histoire des Anglois. Il a
profité de leurs beautés & a évité leurs défauts. Résolu de tenir un
juste milieu entre l’extrême concision qui laisse toujours quelques
nuages, & la prolixité qui énerve tout en voulant tout éclaircir, il
a rempli son but. Son style n’est ni trop, ni trop peu orné.
C’est contre l’écueil des ornemens superflus qu’auroit dû se
précautionner l’auteur de l’histoire du Parlement
d’Angleterre, homme de beaucoup d’esprit, plein de feu &
d’imagination, M. l’Abbé Rainal ; mais il a cherché
plûtôt à éblouir les esprits qu’à les instruire, & on a trouvé dans
son livre plus d’antithèses que de faits.
Avant ces historiens l’Angleterre & l’Ecosse en avoient eu qui
méritent d’être distingués.
L’Histoire d’Ecosse par Buchanam, a
de la réputation, & elle en mérite, La latinité de cet ouvrage est
digne du siécle d’Auguste, mais la vérité y manque
souvent. Un air de raillerie,
& beaucoup
de partialité s’y font sentir aux lecteurs les moins pénétrans. Cet
historien, trop servile imitateur des anciens, leur a dérobé leurs
meilleures réfléxions, & leurs plus beaux tours. Plusieurs critiques
ont observé qu’il avoit peu d’élévation dans les sentimens, & qu’on
dévinoit en lisant son histoire qu’il manquoit de mœurs.
Milors Clarendon a fait l’histoire des
guerres civiles d’Angleterre ausquelles il a eu tant de part.
Cet ouvrage est écrit avec beaucoup de force & de dignité. Les
portraits de tout ce que cette région a produit de caractères
singuliers, de grands hommes ou d’esprits factieux, y sont tracés de
main de maître. L’écrivain a eu l’avantage de vivre avec tous les gens
dont il parle, & il avoit trop de pénétration, pour ne les pas bien
connoître. De tous les historiens anglois, Clarendon
& Hume sont les moins partiaux.
Le Chancelier Bacon donna l’histoire de
Henri VII. en latin. Elle passa pour un chef-d’œuvre ; mais on ne lui donne pas ce titre aujourd’hui.
Comment se peut-il faire, dit M. de V. que quelques
personnes osent
comparer un si petit ouvrage
avec l’histoire de notre illustre de Thou ? En parlant
de ce fameux imposteur Perkin, fils d’un Juif
converti, qui prit si hardiment le nom de Richard IV.,
Roi d’Angleterre, & qui encouragé par la Duchesse de Bourgogne,
disputa la Couronne à Henri VII. Voici comme le
Chancelier Bacon s’exprime : “Environ ce tems
le Roi Henri fut obsédé d’esprits malins par la
magie de la Duchesse de Bourgogne, qui évoqua des enfers l’ombre
d’Edouard IV. pour venir tourmenter le Roi Henri. Quand la Duchesse de Bourgogne eut instruit
Perkin, elle commença à délibérer par quelle
région du ciel elle feroit paroître cette comète, & elle résolut
qu’elle éclateroit d’abord sur l’horizon de l’Irlande.”
Il
me semble que notre sage de Thou ne donne guéres dans
ce phœbus, qu’on prenoit autrefois pour du sublime, mais qu’à présent on
nomme avec raison galimatias.
L’Abbé Marsollier, qui a traité le même sujet que Bacon, a écrit avec plus de simplicité. Son histoire d’Henri VII. Roi d’Angleterre réimprimée en
1727. en deux volumes in-12., est
le meilleur ouvrage de cet auteur.
Vous lirez encore avec plaisir l’histoire de Marie
Stuard, par M. M. Fieron & l’Abbé de Marsy 1742. trois volumes in-12.
Ouvrage écrit d’un style pur & coulant & avec assez
d’impartialité.
Leti qui nous a donné la Vie d’Olivier
Cromvvel en deux vol. in-12. & celle
d’Elizabeth aussi en deux vol. n’écrivoit pas avec
cette élégance ; mais l’on trouve chez lui des faits curieux qui amusent
les lecteurs oisifs, lesquels se soucient peu de l’exacte vérité. Les
couleurs romanesques que Leti a employées quelquefois
se font encore plus sentir dans l’histoire de Guillaume le
conquérant, Duc de Normandie & Roi d’Angleterre, en deux
vol. in-12. par l’Abbé Prevot, &
dans celle de Marguerite d’Anjou, par le même auteur.
Cette simplicité noble qui est le véritable ornement de l’histoire,
n’est point le caractère de ces deux ouvrages.
CE qu’on appelle l’Empire est depuis Charlemagne le
plus grand théatre de l’Europe. C’est en Allemagne que s’est formée
cette religion qui a ôté tant d’Etats à l’Eglise Romaine. Ce même pays
est devenu le rempart de la Chrétienté contre les Ottomans. Il est donc
intéressant d’en connoître l’histoire, & il faut commencer cette
étude par la lecture du Tableau de l’Empire Germanique,
dans lequel on traite du gouvernement de l’Allemagne, des Electeurs,
des Princes de l’Empire, & de l’élection de l’Empereur,
in-12. 1741.
Vous vous procurerez ensuite l’histoire générale de
l’Allemagne, par le P. Barre, Chanoine régulier de
Ste. Genevieve, & Chancelier de l’Universite de Paris, onze
vol. in-4°. “Il falloit (dit Clément dans ses nouvelles littéraires) avoir une tête de
fer & un cul de plomb pour soutenir le travail immense qu’a dû
coûter un
si vaste projet. Combien
croyez-vous seulement, Monsieur, qu’il ait fallu rechercher, lire,
dévorer & comparer de dissertations, mémoires, compilations
& autres piéces poudreuses de ce genre ? près de deux mille.
Mais nous avions besoin d’une pareille entreprise, nous n’avions
point de bonne histoire d’Allemagne ; vous sçavez combien la moins
mauvaise, celle de Heiss est imparfaite :
n’êtes-vous pas trop heureux qu’il se trouve un homme au monde qui
donne sa vie à la retraite, à la lecture, &c. pour avoir
l’honneur de vous conduire dans les détours de ce curieux
labyrinthe, où vous ne seriez jamais entré sans lui, ou dont vous ne
vous seriez jamais tiré.
Cette histoire, qui est en même tems ecclésiastique, civile &
militaire, finit par celle de l’Empereur Charles VI. & commence au septiéme siécle de la
fondation de Rome. Ce que j’en ai lu par-ci par-là, me donne l’idée
d’un homme plus sçavant que judicieux, d’un écrivain médiocre &
d’un foible peintre.”
Ce qui manque au Pere Barre, vous
le trouverez quelquefois dans les Annales de l’Empire, par M. de V. en 2. vol.
in-12. “Il est important, dit cet auteur,
pour toutes les nations de l’Europe de s’instruire des révolutions
de l’Empire. Les Histoires de France, d’Angleterre, d’Espagne, de
Pologne, se renferment dans leurs bornes. L’Empire est un théatre
plus vaste. Ses prééminences, ses droits sur Rome & sur
l’Italie, tant de Rois, tant de Souverains qu’il a créés, tant de
dignités qu’il a conférées dans d’autres Etats, ses assemblées
presque continuelles de tant de Princes, tout cela forme une scène
auguste, même dans les siécles les moins policés. Mais le détail en
est immense ;”
& c’est dans cette immensité que l’auteur
s’est perdu. Son ouvrage est très-fautif, & quoiqu’on réimprime tout
ce qui sort de la plume de M. de V., on n’a point fait
cet honneur à ses Annales.
Mais on l’a fait à l’Abrégé chronologique de l’histoire
& du droit public de l’Allemagne, par M. Pfeffel, 1754. in-8°. ; 1759. in-4°. ; 1767. deux vol. in-8°. Il n’est
personne qui ne sente la supériorité de cet ouvrage sur le
précédent. Faits militaires, traités politiques, loix
civiles, réglemens ecclésiastiques ; édits, déclarations, ordonnances,
rien n’est oublié de tout ce qui peut rappeller des époques dans tous
les genres, les vraies sources, les divers fondemens du droit public.
L’auteur ayant été employé dans les affaires les plus importantes, est
un homme consommé dans la connoissance de la matiere qu’il a traitée ;
il a l’esprit plein de son objet, & M. de V. génie
universel, partage le sien entre trop de genres.
L’Empereur étant aujourd’hui Roi de Hongrie, vous ne devez pas négliger
la connoissance de ce pays. Vous la puiserez dans l’histoire des révolutions de Hongrie, où l’on donne une idée juste
de son légitime gouvernement, in-12. six vol. 1739. Cet ouvrage
n’est pas supérieurement écrit ; mais il y a de la clarté, &
l’auteur vous instruit suffisamment de tous les points importans de son
histoire. Ses réfléxions sont judicieuses, mais communes, & ses
héros y sont peints foiblement.
Si vous voulez ensuite parcourir quelque morceau particulier, vous avez
la Vie de Charles-Quint traduite
de l’Italien de Grégoire Leti, in-12., quatre vol. 1726.
Les Mémoires de Montecuculi, généralissime des troupes de
l’Empereur, divisés en trois livres, 1°. de l’art
militaire, 2°. de la guerre contre les Turcs,
3°. rélation de la campagne de 1664. in-12. 1740.
L’histoire du Prince Eugene de Savoye, généralissime de
l’Empereur, in-12. cinq vol. avec les plans des batailles. Tous
ces ouvrages ne sont pas grand chose à l’exception des Mémoires de Montecuculi, mais on y trouve des détails curieux
qu’on est bien-aise de sçavoir, parce qu’ils roulent sur des hommes qui
ont joué un grand rôle.
L’Italie, le berceau des Arts par rapport à nous, a
été pendant quelques siécles dans la plus profonde barbarie. Le tems de
ténébres où elle a été plongée, ne laisse pas de fournir des événemens
intéressans qui ont eu leurs historiens. Vous pourrez prendre
une idée de l’histoire de ce tems-là dans
l’Abrégé chronologique de l’histoire générale d’Italie,
depuis la chute de l’Empire Romain en Occident, c’est-à-dire, depuis
l’an 476. de l’Ere chrétienne, jusqu’au traité d’Aix-la-Chapelle en
1748. par M. de St. Marc de l’Académie de la
Rochelle, en cinq vol. in-8°.
Aucune partie de l’histoire, dit M. de Querlon, n’est
plus ignorée parmi nous que celle que M. de St. Marc a
traitée. Le titre d’abrégé chronologique, le plan général de l’ouvrage
& sa distribution par colonnes sont empruntés sans doute du livre de
M. le Président Henault sur lequel on a modélé tant
d’autres abrégés d’histoires. Mais l’auteur traitant un sujet neuf,
embrasse un champ bien plus vaste, & donne plus de liaison aux
matieres, plus de développemens & plus de détails. Son dessein étant
de faire entrer dans son histoire d’Italie celle de 1242. ans, ce fonds,
déjà si considérable, semble s’accroître encore à mesure que l’on
avance, à cause d’une multitude d’Etats qui depuis la chûte de l’Empire
Romain s’élévent & tombent successivement dans cette
partie de l’Europe. Aussi l’auteur n’a eu le tems de
parcourir avant sa mort qu’environ la moitié de la carriere dans
laquelle il étoit entré, & l’on est fâché qu’un si bon ouvrage
exécuté par un écrivain si laborieux, n’ait pas été fini par
lui-même.
Les sources où M. de St. Marc a principalement puisé,
sont l’histoire du Royaume d’Italie, par Sigonius, & les Annales d’Italie par Muratori : compilation immense où brillent également
le savoir & la critique. Il auroit eu pour les tems postérieurs des
historiens contemporains qu’il est bon de vous faire connoître.
Paul Jove, Evêque de Nocera & Conseiller de Cosme,
Duc de Florence, donna au public l’histoire de son tems, dans laquelle
il a fait entrer pour beaucoup celle d’Italie. Cette histoire seroit
plus utile si son auteur étoit moins passionné. La variété &
l’abondance des matieres y jettent un grand agrément. La scène est
tour-à-tour en Europe, en Asie, en Afrique. Les principaux événemens de
cinquante années décrits avec beaucoup d’ordre & de clarté, &
réunis par une liaison naturelle, forment un corps
d’histoire qui seroit fort agréable si la fidélité de
l’historien égaloit la beauté de son génie. La haine ou la flatterie
conduisent sa plume ; il fait paroître trop d’attachement pour sa nation
& pour la maison de Médicis ; pensionnaire de Charles-Quint, il ne parle de ce Prince qu’avec la
plus basse adulation. Ce lâche écrivain ne faisoit pas difficulté
d’avouer qu’il avoit une plume d’or & une de fer, pour traiter les
Princes selon les faveurs qu’il en recevoit. Paul
Jove, dit Bodin, n’a pas voulu dire la vérité
lorsqu’il a pu, quand il raconte ce qui s’est passé en Italie ; & il
n’a pu la dire lorsqu’il la voulu, quand il écrit les affaires
étrangeres. Cet historien mercénaire mourut à Florence en 1552., dans la
69me. année de son âge.
L’Aretin peut être mis à côté de Paul
Jove par la vénalité de sa plume. Tous les Princes de l’Europe,
selon l’Abbé Lenglet, “lui donnoient des
pensions, non pas pour faire leur éloge, mais pour ne point parler
d’eux : tant on étoit persuadé que ses satyres n’épargnoient que
ceux qui lui étoient inconnus. L’Aretin lui-même a
soin de nous dire que
quand il donne des
louanges il étoit bien payé pour le faire, & qu’il falloit pour
l’obliger à parler que la récompense fut grande, puisqu’on lui en
donnoit déjà beaucoup pour garder le silence.”
Guichardin, a écrit les guerres d’Italie d’un style
fort élevé, fort pur & fort naturel. C’est dommage qu’il soit si
passionné contre la France. Cette histoire a été traduite en françois en
4. vol. in-4°. 1738.
M. Denina, Professeur à Turin, publie actuellement dans
cette ville l’Histoire des Révolutions d’Italie, &
on la traduit en françois à mesure que les volumes paroissent. Cet
ouvrage est écrit avec cet art qui prouve un homme d’esprit, & qui
intéresse tous les lecteurs.
Venons aux différens Etats qui divisent l’Italie & commençons par
Venise. Pierre Bembe donna l’histoire de cette
République en douze livres. Il y marque plus d’amour pour sa patrie que
pour la vérité. Il se forma pour le style sur Ciceron.
Il ne pouvoit se proposer un meilleur modèle ; mais une imitation trop
servile retrécit l’esprit & rend moins attentif au choix
des faits historiques qu’à la maniere de les
raconter.
L’Histoire du gouvernement de Venise, par M. Amelot de la Houssaye, in-12. trois vol. 1740., est
écrite avec plus d’énergie & de liberté, mais sans élégance &
presque sans exactitude.
On ne lit plus cet ouvrage depuis qu’on a l’histoire de la République de Venise, depuis sa fondation jusqu’à présent, par
M. l’Abbé Laugier, en 12. vol. in-12. Les faits y sont bien circonstanciés & bien liés
ensemble, & il y regne beaucoup de feu & d’esprit. Mais ses
expressions ne sont pas toujours justes & propres. Ce défaut est
pourtant rare chez lui, & en général son ouvrage est bien fait &
intéressant.
Nous n’avons rien en notre langue sur la République de Gènes qui mérite
cet éloge. Ce qu’on a publié en 1748. sous le titre d’Histoire des révolutions de Gènes, en trois volumes in-12., n’est qu’une compilation de vieilles gazettes,
où je n’ai rien trouvé qui m’intéressât un peu que le récit si souvent
répété, du bombardement, des événemens qui l’occasionnerent, & des
négociations qui le suivirent.
Florence a eu pour historien le
fameux Machiavel ; on lui reproche d’aimer trop à faire des
réfléxions politiques. “Ces réfléxions, dit le Pere Rapin, sont d’ailleurs trop fines & trop étudiées ;
elles ont plus d’éclat que de solidité ; elles approchent moins du
raisonnement d’un sage politique, que du style d’un
déclamateur.”
Il est vrai que ce défaut est en quelque sorte
couvert par l’exactitude, vertu qui caractérise Machiavel dans son histoire, & qu’il n’a pas dans ses
autres ouvrages où son esprit l’emporte sur le jugement.
Le Royaume de Naples & de Sicile a produit des événemens si variés
& si singuliers, que quelques-uns de nos historiens françois
auroient bien dû nous en donner une histoire générale. C’est ce qu’ont
exécuté en partie M. de Burigni dans son Histoire générale de Sicile 1745. deux vol. in-4°. ouvrage soigné & exact ; & M. d’Egli dans son Histoire des Deux-Siciles, de la
maison de France, en quatre vol. in-12. 1741.
Cet ouvrage manquoit à notre littérature. On y voit trois maisons
d’Anjou, dont l’une posséde le Royaume de Naples, l’autre a eu des
droits sur le Trône, & la troisiéme y
est
assise aujourd’hui. Ce ne sont pas seulement ici des vies particuliéres
de ces Princes, mais une histoire suivie du Royaume de Naples, qui
renferme ce qu’il y a de plus important depuis la fondation de cette
Monarchie jusqu’à présent. Le grand nombre de citations qu’on lit aux
marges, est un témoignage du travail de l’auteur, & de son attention
à compiler soigneusement les faits. Il développe, autant qu’il est
possible, les causes des révolutions. Les Princes, les Ministres &
les Généraux qui entrent sur la scène, sont représentés avec des
couleurs simples & naturelles ; l’auteur ne peint pas d’imagination.
On ne lui reprochera point non plus une partialité nationale ; on
pourroit même le prendre pour un historien étranger qui n’épargne pas
les peuples voisins. Son style pourroit être, quelquefois, plus pur
& plus élégant.
On n’a pas ce souhait à faire pour l’Histoire de Naples
par Gianone, écrite avec autant de pureté que de
liberté. Elle est divisée en 40. livres, & imprimée à Naples en 4.
volumes in-4°. 1723. On l’a traduite en françois dans
le même nombre de volumes, &
elle a eu
beaucoup de succès.
Il resteroit à parler de l’histoire des Papes, mais cette partie entrant
dans l’Histoire Ecclésiastique, j’en ferai mention ailleurs.
LA constitution de la République Helvétique est si
singuliere, qu’il est étonnant que nous n’ayons rien de parfait dans
notre langue en ce genre. L’Histoire militaire des Suisses
au service de France, par M. de Zurlauben
1751. huit vol. in-12., ne comprend pas, à beaucoup
près, toute l’histoire helvétique. L’ouvrage est plein de faits
habilement discutés, de piéces importantes & de recherches
curieuses. Mais le style n’ayant pas ces graces qui plaisent à
l’imagination, cet ouvrage a été plus acheté que lu.
L’Histoire de Genève, par M. Spon,
augmentée des notes & autres piéces servant de preuves, in-4°. deux vol. 1730., fait assez bien connoître les
révolutions de cette République ; mais
ce
livre est plûtôt la production d’un savant que d’un historien qui sçait
écrire.
Je ne vous indiquerai aucun livre sur la Savoye & le Piémont. Je n’en
connois qu’un supportable ; c’est la Méthode facile pour
apprendre l’histoire de Savoye, avec une description historique de
cet Etat, in-12. 1697. Cet ouvrage est assez superficiel ; mais
tel qu’il est il peut vous servir.
VOus verrez ce que je comprends sous ce titre en vous
donnant celui de l’Abrégé chronologique de l’histoire du
Nord ou des Etats de Dannemarck, de Russie, de Suede, de Pologne, de
Prusse, de Courlande, &c. ; avec des remarques particuliéres sur
le génie, les mœurs, les usages de ces nations, sur la nature &
les productions de leurs climats, ensemble un précis historique
concernant la Laponie, les Tartares, les Cosaques, les Ordres
militaires des Chevaliers Theutoniques & Livoniens ; la notice
des sçavans &
illustres, des
Métropolitains & des Patriarches de Russie, des Archevêchés
& Duchés de Pologne, des Princes contemporains, &c.
&c. par M. Lacombe Avocat, deux vol. in-8°. 1762.
L’Abrégé de l’histoire de France du Président Henault, a donné l’idée de cet Abrégé chronologique
& de plusieurs autres. L’avantage qu’ont ces fortes d’ouvrages, dit
M. Lacombe, est de concentrer les faits, avec leurs
circonstances ; de donner à la narration la rapidité, la précision
nécessaires ; de n’admettre que l’essentiel, en bannissant ce qui est
superflu ; en un mot d’offrir un tableau continuel où l’œil &
l’esprit embrassent facilement l’objet principal & tous les objets
accessoires. Ces abrégés sont cependant susceptibles de la plus grande
érudition. C’est ce qu’a prouvé Mr. Lacombe dans cet
ouvrage, où il a fallu rapprocher laborieusement toutes les branches ;
ce qui suppose bien des recherches. Aussi l’auteur ne craint-il pas
d’avancer que son histoire du Nord est plus étendue, plus complette, que
toutes, celles qui ont été écrites, & que c’est la seule qui offre
l’ensemble de cette partie de l’Europe.
Quant
à l’intérêt de l’ouvrage, il résulte & des circonstances actuelles,
& de la multiplicité, de l’importance, de la singularité même, &
de la variété des événemens. Cette histoire est divisée en quatre
parties, en sorte qu’on peut lire de suite ce qui concerne une même
nation. L’histoire de Dannemarck & celle de Russie, remplissent le
premier vol. ; le second tome est composé de l’histoire de Suede &
de celle de Pologne. Ces histoires particuliéres partagent presque
également les deux gros vol. qu’elles forment. Au commencement de
chacune, les objets relatifs à cette branche sont présentés dans des
colonnes, qui forment autant de tableaux séparés. Cet abrégé est
agréable par l’art de l’écrivain à répandre quelques fleurs sans
affectation, par son talent à esquisser légérement les traits qui
caractérisent les principaux personnages, par son exactitude à saisir
tout ce qui peut faire connoître le génie, les mœurs & les usages
des peuples, ainsi que les productions & les singularités des divers
climats.
Le Dannemarck a deux histoires particuliéres ; la premiere composée
par M. des Roches de
Parthenay 1733. six vol. in-12. La seconde
par Mr. Mallet dans un pareil nombre de volumes &
postérieure à la précédente. Celle-ci est la plus estimée. L’auteur
remonte aux siécles les plus réculés, & répand le jour sur les tems
les plus obscurs. Ses recherches sont approfondies & son érudition
agréablement menagée.
Les derniers volumes de l’Histoire moderne, ouvrage que
je ferai connoître ailleurs, retracent les traits principaux de
l’histoire de Russie. Nous avons sur les derniers tems de ce vaste
empire l’histoire du Czar Pierre I. par M. de V. On s’est plaint que l’auteur avoit employé dans cet
ouvrage les principaux faits de son histoire de Charles XII. On l’accuse d’avoir altéré un peu la vérité par
amour pour l’antithèse & le merveilleux. On lui reproche que la
plûpart de ses anecdotes renferment tout ce qui devoit être banni de ses
ouvrages, suivant le systême qu’il s’étoit sagement proposé. On trouve
très-souvent de petits détails domestiques, qui amusent
seulement la curiosité, & des foiblesses qui ne plaisent qu’à la
malignité. Il a
oublié d’écarter le frivole, de réduire l’exageré, & de
combattre la satyre, comme il avoit promis. Son introduction a
paru fort séche, la division par chapitre a déplu, & quelques
plaisans ont appellé le Czar Pierre, le Roi chapitré. Mais les agrémens que l’imagination de l’auteur
répand sur tout ce qu’il traite ont affoibli la plûpart de ses critiques
dans l’esprit du plus grand nombre de lecteurs.
Le même M. Lacombe, dont nous avons cité l’abrégé
chronologique, avoit donné quelques mois avant M. de V. une Histoire de l’Empire de Russie bien
écrite & exacte, mais qui parut dans de malheureuses circonstances.
La gloire de M. de V. éclipse tout ce qui est autour
de lui.
Nous n’avons d’excellent sur l’histoire de la Suede que ce que cet auteur
nous a donné sur l’histoire de Charles XII. C’est son
chef-d’œuvre dans le genre historique. Cette production est lue &
goûtée de tout le monde, dit l’Abbé des Fontaines,
soit pour les faits qu’elle contient, soit pour la maniere agréable dont
ils sont racontés. On a reproché à Quinte-Curce
d’avoir donné un air de roman à son histoire
d’Alexandre, d’avoir fait plusieurs fautes
contre la vérité historique, & contre la géographie. Charles XII. a fait des choses si singulieres, & a
parcouru tant de vastes pays, qu’il ne feroit pas surprenant que la même
accusation se renouvellât contre l’historien de ce héros.
L’histoire du Monarque Suedois a été traitée depuis M. de V. par Norborg, confesseur de ce Monarque
qui a fait deux gros volumes in-4°. maussadement
écrits. C’est un ouvrage mal digéré dans lequel on trouve trop de petits
faits étrangers à son sujet, & où les grands événemens deviennent
petits, tant ils sont mal rapportés. C’est un tissu de rescrits, de
déclarations & d’autres piéces, qui se font d’ordinaire au nom des
Rois, quand ils sont en guerre. Elles ne servent jamais à faire
connoître le fond des événemens ; elles sont inutiles aux militaires
& aux politiques, & sont ennuyeuses pour le lecteur. Un écrivain
peut seulement, dit M. de V. les consulter quelquefois
dans le besoin pour en tirer quelque lumiere, ainsi qu’un architecte
emploie des décombres dans un édifice.
Norberg, dit l’écrivain
cité, n’avoit ni lumieres, ni esprit, ni connoissance des affaires du
monde, & c’est peut-être ce qui détermina Charles XII. à le choisir pour son confesseur. Je ne sçais,
ajoute-t’il, s’il a fait de ce Prince un bon chrétien, mais assurément
il n’en a pas fait un héros, & Charles XII. seroit
ignoré, s’il n’étoit connu que par Norberg.
Charles XII. est le héros de la Suede, mais Christine en est l’héroïne. Nous avons sur cette
Princesse quatre énormes volumes in-4°. dont un savant
Allemand a surchargé la littérature. Si l’auteur de cet ouvrage a eu
pour but de faire connoître cette Princesse, dit M. d’Alembert, je doute qu’il y soit parvenu. Je connois plusieurs
savans, assez aguerris aux lectures rebutantes, qui n’ont pu soutenir
celle de son ouvrage, ni dévorer paisiblement ce fatras d’érudition
& de citations où l’histoire de Christine se
trouve absorbée. C’est un portrait assez mal dessiné, déchiré par
lambeaux & dispersé sous un monceau de décombres.
L’auteur de cette critique a bien voulu faire un de la production
ennuyeuse qu’il censure. Cet fait
partie de ses Mêlanges de littérature, d’histoire & de
philosophie. Ce n’est pas une histoire de Christine, mais c’est un recueil d’anecdotes piquantes &
de réfléxions philosophiques sur les principaux traits de sa vie.
M. d’Alembert traite cette Princesse avec beaucoup de
sévérité. Mr. Lacombe en parle d’une maniere plus
favorable dans son histoire de Christine, Reine de
Suede, 1762. in-12. Cet ouvrage offre un
récit suivi & détaillé ; il est bien fait & la diction est
soignée, exacte, soutenue.
Passons à la Pologne, ce théatre de tant de discorde, cette République si
singuliérement constituée. Il parut en 1734. en cinq volumes in-12. une Histoire des Rois de Pologne
& des révolutions arrivées dans ce Royaume depuis le
commencement de la Monarchie jusqu’à présent. C’étoit ce que
nous avions de mieux, avant que M. le Chevalier de Solignac eût donné son histoire générale de Pologne, en cinq
vol. in-12. 1750. Il est dommage que cet ouvrage qui
joint au mérite du style & des réfléxions, celui de
l’exactitude & du choix des faits, ne soit pas
achevé. Il faut espérer que l’auteur ne frustera pas le public de la
suite d’une histoire qu’il attend avec tant d’impatience.
L’histoire du Brandebourg & de la Prusse n’avoit été traitée par
aucun auteur qui pût se faire lire. Fréderic,
aujourd’hui regnant, l’Achille & l’Homére de ses Etats, l’a traitée dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de la maison de Brandebourg,
dont le style est également noble, simple & précis. Ce morceau est
si bien écrit, que plusieurs personnes l’ont attribué à M. de V. Cet auteur s’en est défendu. “Je suis obligé
de dire à la face de l’Europe, dit-il quelque part, sans crainte
d’être démenti par personne, que ce Monarque seul a été l’historien
de ses Etats. L’honneur qu’on veut me faire d’avoir part à son
ouvrage, ne m’est point dû ; je n’ai servi qu’à lui applanir les
difficultés de notre langue, dans un tems où je la parlois mieux
qu’aujourd’hui, parce que les instructions des Académiciens mes
confreres, étoient plus fraîches dans ma mémoire ; je n’ai été que
son grammairien.”
On
sent en
effet en lisant l’ouvrage du Roi de Prusse qu’il est écrit de génie,
& qu’il n’appartient qu’à lui.
On comprend aussi les Tartares au nombre des peuples du Nord. Vous
trouverez des détails sur ces peuples dans l’histoire
générale des Huns, des Turcs, des Mogols, par M. de Guignes, 1756. six vol. in-4°. Ce
livre, digne d’orner tous les cabinets des savans, est le fruit d’une
érudition étendue, d’une lecture immense & d’une critique
éclairée.
CEtte partie de l’Histoire est ignorée de la plûpart
des lecteurs ; elle est pourtant bien plus importante que l’histoire
ancienne. Car il est plus intéressant de connoître ceux qui vivent de
notre tems, que ceux qui ont vêcu deux mille ans avant nous. C’est pour
remédier à notre ignorance à cet égard, que l’Abbé de Marsi entreprit une histoire moderne des Chinois,
des Japonois, des Indiens, des
Persans,
des Turcs, des Russiens, &c. L’auteur de cet ouvrage a
suivi la méthode observée par M. Rollin dans les
premieres parties de son histoire ancienne. Vous savez qu’en parlant des
Egyptiens & des Babyloniens, il se borne au choix d’un petit nombre
d’événemens mémorables. Les détails purement historiques l’arrêtent
peu ; des objets plus intéressans attirent son attention. Rassembler
sous un seul point de vue & comme dans un même tableau ce que
l’origine, les accroissemens, les prospérités & les disgraces d’un
peuple offrent de plus curieux ; développer le systême de sa politique
& de sa religion ; donner une idée de sa puissance & de son
industrie ; ajouter à ces différentes notions le portrait de ses mœurs,
la description de ses usages, le détail de ses occupations, &
l’histoire de sa vie privée, voilà, d’après M. Rollin,
ce qu’a heureusement exécuté l’auteur de l’histoire
moderne. Il est malheureux que la mort l’ait prévenu, avant que
de finir son ouvrage. M. Richer le continue avec
succès.
L’histoire moderne rassemblant trop d’objets, ne sauroit tenir lieu des
histoires particuliéres. Nous avons
plusieurs ouvrages sur la Chine, & il faut commencer par celui du
Pere du Halde, intitulé : Description
historique, géographique & physique de l’Empire de la Chine
& de la Tartarie chinoise, en quatre vol. in-fol. 1735. Quoique ce Jésuite ne fut point sorti de Paris,
sa description n’en est pas moins exacte & la meilleure qui ait été
faite dans aucune langue du vaste Empire de la Chine. L’auteur s’étoit
appliqué pendant 24. ans à coufronter toutes les différentes rélations
de ce vaste Empire. Il s’étoit fait un principe de ne rien écrire, qui
ne fut expressément confirmé par le témoignage de plusieurs personnes
éclairées, dont les unes étoient de retour en Europe & les autres
étoient à la Chine. Il consulta non seulement des voyageurs & des
négocians, mais des missionnaires d’un esprit solide, qui ayant passé la
plus grande partie de leur vie, soit dans la capitale, soit dans les
différentes provinces de cet Empire, étoient en état de donner des
instructions sures. Son style simple & uni, est digne de la majesté
de l’histoire.
Quoique le livre du Pere Halde contienne un grand nombre de détails curieux &
intéressans, on peut dire néanmoins que sur plusieurs points, la
curiosité n’est pas pleinement satisfaite. Ainsi vous pourrez vous
procurer quelques livres particuliers tels que l’histoire de la Conquête de la Chine, par les Tartares Manchoux, à laquelle
on a joint un accord chronologique des annales chinoises avec les
époques de l’histoire ancienne & de l’histoire sacrée jusqu’à
J.C., par M. Vojeu de Brunem, in-12. deux
vol. 1754.
L’histoire du Japon a été aussi bien traitée que celle de la Chine ; mais
vous devez vous borner à l’histoire générale du Japon,
contenant les mœurs, caractères & coutumes de ses habitans, leur
gouvernement, leur commerce & les révolutions arrivées dans
l’Empire & dans la religion, avec l’examen des auteurs qui ont
écrit sur le même sujet, par le Pere Charlevoix, in-12. six vol. Cet ouvrage est estimé. Le
principal but de l’auteur est la religion, qu’il traite avec beaucoup de
sagacité & d’exactitude. Il n’a pas manqué d’y insérer tout ce qu’il
y a de vrai & d’intéressant dans l’histoire du Japon,
par Kœmpfer. Ainsi on y trouve tout
ce qui peut satisfaire également une curiosité religieuse &
profane.
Il faut avouer pourtant que l’ouvrage de ce dernier est cité plus souvent
que celui de Charlevoix. Il a été traduit en françois
en 1729. en deux vol. in-fol. avec quantité de
figures. Kœmpfer, dit l’auteur du Nouveau
Dictionnaire historique, voit en savant ; il écrit de même. Il
est un peu sec & quelquefois minutieux ; mais il est si estimable à
tant d’autres égards ; il entre dans des détails si curieux ; il les
rend avec tant d’exactitude & de vérité, qu’il mérite bien qu’on lui
pardonne quelque chose.
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