2012
À André Breton et Paul Éluard
Diderot arrive presque aux vues du matérialisme contemporain, d’après lesquelles, les syllogismes ne suffisent pas à réfuter l’idéalisme, car, il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’arguments théoriquesa. Lénine, qui ne craint pas d’apporter ses preuves, met à ample contribution L’Entretien avec d’Alembert. A notre tour de citer parmi ce qui a été cité :
Supposez au clavecin de la sensibilité et de la mémoire, et, dites-moi s’il ne répétera pas, de lui-même, les airs que vous aurez exécutés sur ses touches ? Nos sens sont autant de touches qui sont pincées par la nature qui les environne et se pincent souvent elles-mêmesb. Et d’abord, il importe de noter que si un terme de comparaison, celui-là et pas un autre, s’est imposé au maître des encyclopédistes, pour une fois, le symbole n’a pas perdu son homme. Mais, au contraire, l’homme a réhabilité son symbole. Je veux dire qu’un instrument dont le rôle habituel était de nous la faire au petit évocateur, enfin, nous apparaît décapé de tout pittoresque d’époque. Tarabiscotage, vernis martin écaillé, musique aux bougies, clairs de lune aristocratiques, Trianon et ses trois marches de marbre rose, fichus et bergerie Marie-Antoinette, et ron et ron petit patapon et s’ils n’ont pas de pain qu’ils mangent de la brioche plaisir de vivre et bagatelles, de Louis XV cette pourriture satinée, au comte d’Artois ce dadais, de la Pompadour pédante, phtisique et corsetée à la du Barry née Bécu, du moindre nobliau cul-terreux au prince de Ligne, ce premier des grands Européens, les êtres, les choses qui ont prêté à tant d’évocations abominablement exquises, marquises, abbés de cour, soubrettes, chevaliers, Camargos et tutti quanti, ces bibeloteries, fadaises, fêtes galantes ou non, toute cette pacotille, tous ces accessoires de cotillon, pas un pouce de la belle surface lisse du clavecin de Diderot ne s’en est trouvé sali. Au contraire, tel que nous le recevons des mains de Lénine, il abolit, de sa masse exacte, propre, ces répugnants petits menuets de souvenirs verlainiens. Sa lumière a eu raison des maquillages symbolards, de leur opacité. L’écrivain fait sa métaphore, mais sa métaphore dévoile, ici éclaire, son écrivain. On respire, après tant de nuages de poudre aux yeux et de poudre de perlimpinpin. Non qu’il s’agisse d’ailleurs de se féliciter, à la manière des critiques en mal de conclusion : On cherche un écrivain et on trouve un homme. Cette formule, nous la laissons à tous les mijoteurs, cuiseurs, distributeurs, amateurs du Gâteau Littéraire dont elle est le four banal.
Homo sum, disait Térence, et nil humani a me alienum puto
c.
En récompense de cette déclaration, l’Église a béatifié le faiseur de calembredaines. Il est devenu le saint Térence du calendrier catholique : Homo sum… Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger.
Que cette déclaration ait valu renom de pionnier à son auteur, qu’elle en ait fait un évangéliste avant la lettre, voilà qui prouve assez la volonté confusionnelle des Églises et de l’intelligentsia bourgeoise, qui, en fait de psychologie, ne veulent d’autres découvertes que celles des plus communs lieux communs.
Il importe donc de ne pas se laisser encercler dans une lapalissade, rendez-vous de chasse de toutes les mauvaises fois du monde, carrefour équivoque où il n’est pas un maître chanteur qui ne soit venu s’essayer à faire son petit rossignol.
L’humain : pour emporter le morceau, n’importe quel opportuniste, à bout d’arguments, n’a qu’à s’en prévaloir. On connaît l’antienne : Tâchez donc d’être un peu plus humain. Sous les râteliers des MM. Prud’hommed, elle vous a un de ces petits airs paternes, elle devient la prière mielleuse dont tous les rentiers espèrent qu’elle empêchera leurs rentes de descendre.
Or, parce que, si tout semble perdu, ces Messieurs feront du bon garçonnisme leur dernière cartouche, voici que, déjà, ils donnent à ce conseil un ton vaudevillesque, celui-là même qui valut à la célèbre phrase : « Mais n’te promène donc pas toute nue
e » de faire, à la fois le titre et le succès d’une pièce où s’incarnait, on ne peut mieux, l’esprit français, aux beaux jours du théâtre du Palais-Royal, avant la guerre.
L’humain, de son angle culturel, l’humanisme, de son angle christiano-philanthropique, l’humanité
1 synonyme sécularisé de la dernière des trois vertus théologales, la charité (laquelle, d’ailleurs, mériterait bien de passer avant la foi et l’espérance, eu égard au nombre de services qu’elle n’a cessé de rendre au capitalisme catholique, apostolique et romain), voilà tout ce qu’on nous offre, bien que nul n’ignore quels intérêts s’abritent à l’ombre de ces frondaisons-prétextes.
Et déjà, à cause de tous ces mots, qui sont à la fois des programmes électoraux, des étalons de valeurs morales, des monnaies d’échange, il nous faut noter que, dans l’histoire de l’homme, de l’humain, dirons-nous (assez beaux joueurs pour accorder cette ultime concession, la dernière cigarette à ces Messieurs de la démagogie en soutane ou complet-veston parlementaire) l’histoire du langage fait figure non d’un chapitre à d’autres tangent mais d’une glose ramifiée, entremêlée au texte.
des milliers sont écrasés, bouillis, mis en fermentation et finalement consommés. Mais si un tel grain d’orge rencontre les conditions qui lui sont normales, s’il tombe sur un terrain favorable, il subit sous l’action de la chaleur et de l’humidité une métamorphose spécifique : il germe, le grain disparaît comme tel, il est nié ; il est remplacé par la plante née de lui, qui est la négation du grain. Or quel est le cours normal de la vie de cette plante ? Elle grandit, fleurit, est fécondée et produit à la fin, de nouveau, des grains d’orge ; et, dès que ceux-ci ont mûri, la tige meurt ; elle aussi, de son côté est niée. Et, comme résultat de cette négation de la négation, nous avons, de nouveau, le grain d’orge initial, mais multiplié, dix, vingt ou trente foisf. Or, l’examen au microscope analytique des vieilles formes culturelles, à quoi s’obstinent ceux qui prétendent consacrer leur vie à l’étude de l’humain, quel élément de vie décèlera-t-il dans les trente fois centenaires épis de Cérès, ou, même dans les très proches fleurs séchées du Romantisme ? Sous prétexte d’étudier les grains d’orge, on les frustre de la chaleur, de l’humidité indispensables à leur métamorphose spécifique. Deux négations égalent une affirmation : sans doute les grammaires doivent-elles en convenir, mais que cette loi ne se contente pas de régner sur le monde des formes écrites ou parlées, voilà qui décide les spécialistes ès humanités à mettre en conserve ce dont, justement, la faculté de se décomposer sous-entend les germinations futures. Ou encore, et, ici, l’exception confirme la règle, cette faculté de se décomposer, les professeurs dans leurs jours lyriques, en font la vertu intrinsèque d’un temps, d’un lieu, de certains êtres. Ainsi évoquent-ils Néron, l’incendie de Rome, Pétrone qui, et que sais-je encore ? D’ailleurs, ceux qui se penchent sur les squelettes du langage, pour la plupart pauvres impuissants qui vont chercher dans leurs paléontologies l’oubli de leurs manques, en face du présent et de ses créatures, deviennent amoureux de leurs grimoires, tels, de leurs momies, les archéologues. Et ces scatophages de l’antiquité, non point rats, mais vampires de bibliothèque, se décernent à eux-mêmes des brevets de bons vieux savants inoffensifs. A la Sorbonne, ce musée Dupuytreng de toutes les sénilités, j’en ai connu entre 1918 et 1922, une bonne demi-douzaine taillée et s’enorgueillissant d’être taillés sur le modèle d’Anatole France. Au nom de l’humanisme, de quelle gaieté de cœur ils sacrifiaient, à leurs Thaïsh poussiéreuses, l’actuel, le vivant. C’eût été risible, si, de ces marionnettes, les programmes officiels n’avaient entendu (et n’entendent encore) faire les mentors d’une jeunesse, la jeunesse, qui, elle, de toute sa bonne foi cherche l’humain. Sans doute, à ce piège, ne se laissent définitivement prendre que les niais parmi les niais. Aux autres, il faut, en tout cas, un sacré bon grand coup de colère, pour se venger du temps perdu et faire aussi et surtout que nul, dorénavant, n’ait à le perdre.
que, deux heures durant, un vieux fou se contenta de répéter avec, pour tout commentaire, de multiples aboiements qui reprenaient les mots, un à un, et nous servaient, à propos de la moindre voyelle, tout un jeu de rauques vocalises. Après ce beau début, je m’abstins plusieurs mois d’aller puiser aux sources du vieux français. Mais, un jour, égaré dans les couloirs, j’entendis de tels glapissements, que je poussai la porte qui se trouvait, comme par hasard, être celle de la salle où mon bon maître (ainsi doit-on dire, n’est-ce pas, quand on évoque les belles années de jeunesse et les leçons qui valurent à ces années d’être belles) se livrait à d’infinies variations sur l’a de Montmartre. Alors, peu expert ès bals musettes, le spectacle de ce podagrek qui jouait de l’accordéon avec une voyelle me retint. Il allait du circonflexe à l’aigu, parvenait aux confins de l’e, se baissait pour en ramasser un qu’il servait grave, presque gras, mais, bien vite, asséchait. Pendant qu’il y était, sûr qu’il aurait pu faire passer la colline des Martyrs du passif à l’actif, tirer un peu sur l’e, le détendre et nous servir un Montmeurtre qui eût, à la fois, témoigné du juste retour des choses et aussi du sens prophétique de ceux qui, en faisant de ce mamelon le Mons Martyrum, lui avaient préparé une évolution phonétique parallèle à son évolution sociale. Le vieux palotin se contentait, il est vrai, de jongler avec des Montmertre, à tel point inoffensifs que, mis à bout par ce défaut d’imagination, et, en même temps, tout pénétré de Jarry dont on venait de rééditer Ubu roi, je murmurai, malgré moi, Montmerdre. Or, à peine avais-je interrompu la série des mertre, mertre, mertre, mertre, dont la quasi-uniformité (j’ose même dire l’uniformité pour une oreille de non-initié) semblait, de leurs répétitions, avoir saoulé celui dont la bouche les proférait, que je craignis un malheur. Rendu par ma faute à un monde qui n’était plus celui des incantations philologiques, n’allait-il pas se casser le cou, tel le somnambule, dont, se trouve ramené à la conscience le sommeil errant au-dessus des toits ? Mais lui, au contraire, avec élasticité rebondit, répondit en contestant le d de merdre, car, affirmait-il, une métamorphose de voyelle ne pouvait décider aussi aisément d’une métamorphose de consonne, surtout si, entre la voyelle et la consonne en question, une autre consonne mettait sa barrière.
Si Dieu a fait l’homme à son image, l’homme le lui a bien rendum » ces professionnels de l’ironie s’autoriseront de la vieille boutade2 pour continuer à tolérer, c’est-à-dire encourager, de toute leur fielleuse bonasserie, les idées, les idées chrétiennes que le monde se fit au soir angoissé de l’empire romain.
L’Église, refuge des cœurs qu’on a sortis de leurs poitrines originelles, des cœurs dont on ne sait que faire, des cœurs perdus, cette idée, bien emberlificotée de mots et motifs à soutaches et soubretaches, on sait qu’elle a servi d’axe à l’une des phrases les plus ronflantes de Barbey d’Aurevilly. Mais, cher Barbey (au fait, ne dit-on pas crotté comme un barbet), mais, cher Crotté d’Aurevilly, faut-il que la soûlerie à l’eau bénite ait obscurci votre intelligence si souvent fulgurante des êtres et des idées n’est-ce pas historien des Diaboliques et de La Vieille Maîtresse, — pour que vous n’ayez pas même soupçonné que l’Église, afin de ne point demeurer vide, s’était justement donné à tâche de faire en sorte qu’il y eût beaucoup de cœurs perdus, de cœurs, d’âmes sans corps, en réponse à la vieille image des corps sans âme. Les solitaires les plus brillants, ceux qui se sont arrangé une petite coquille dont la nacre accroche, retient, renvoie les rayons du soleil, ceux dont la gourmandise s’est trouvé une petite cachemite aussi bien dorée que croûte de pâté, ceux qui ont connu la gloire, puis feint de très exaltants mépris, ne savons-nous pas que leurs réduits, leurs tours d’ivoire, finissent toujours par sentir la croupissure d’eau bénite, le pipi de chaisière, les aisselles de sacristain et le nombril de chanoine.Les radicaux
L’aile de l’imbécillitén dont Baudelaire s’est senti effleuré, mais elle se confondait avec la membrane des chauves-souris, le velours empoisonné des religions qui flattent, caressent, enveloppent celui que la société a désossé, démusclé, décartilaginé. Homme poreux à la détresse, l’Église, autour du cerveau, glisse, d’abord, son impondérable encens, puis c’est la gélatine des oraisons, et, en compresse de sirop d’opale, la lumière des vitraux. Alors, se mettent à sonner les cloches, les cloches, comme, lorsque parvenu au point culminant de l’anesthésie, on sait qu’on va retomber de l’autre côté. Du côté de la mort. Cette fois, l’opération consiste à empiler l’un sur l’autre, en paquets, tous ces feutres de sournoiseries, dont la pression, digne collaboratrice des scléroses organiques, ne fera point quartier aux méninges. L’Église, tous les chemins lui sont bons, et elle s’en vante : Tous les chemins mènent à Rome. Ainsi, alors que, dans le privé, un ratichon qualifiait de sacrements du diable les drogues et l’inversion, les ambassadeurs de l’Église, ses représentants officiels et semi-officiels cherchaient des recrues, des alliés parmi ceux-là mêmes qui n’avaient jamais eu d’autres soucis que de communier à ces tables.
Ainsi, jusque dans les blasphèmes, vit-on l’expression de la foi. L’iconoclaste fut baptisé mystique à l’état sauvage, et, à travers cette épithète, passèrent, comme lettres à la poste, contresens et fraudes majeures, à quoi avaient, au reste, déjà prouvé qu’ils savent exceller les messieurs bien-pensants de l’art et de la littérature qui feignent de s’intéresser à des œuvres subversives, rien que pour les vider de leur moelle, leur flanquer un tuteur, justement de bois mystique, donc complaisant aux volubilis du conformisme gloseur. C’est la grande tradition claudelienne, dont le mâchouillis diplomatico-bondieusard, depuis tant d’années, s’efforce de convertir (on fait bien voter les morts) Rimbaud, en boule de gomme très catholiqueo. Quand on lui demanda son avis sur le surréalisme, le poète ambassadeur (parce qu’il avait affaire à des vivants qu’il ne pouvait embigoter malgré eux) répondit par une grossièreté. Au reste, le surréalisme, appel d’air, était bien fait pour, dès sa première phase, effrayer les grenouilles de bénitier, vous savez ces jolies petites bêtes sans cœur, sans rate, sans gésier, sans poumon et qui respirent avec la peau, celle du cul de préférence, car, alors, elles se respirent elles-mêmes dans ce qu’elles ont de plus caractéristique. Ces petites chéries n’échappèrent point à la contagion du modernisme et inventèrent la poésie pure, laquelle finissait, pour les rajeunir, en prière, c’est-à-dire en queue de têtard. Le qualificatif, d’allure à la fois évangélique et chimique, signifiait qu’on avait entendu miser sur plusieurs tableaux. Depuis longtemps, la Religion se plaisait à croire qu’elle avait, dans la personne de Pasteur, annexé la science. En fait de poète, elle avait bien Verlaine. Tout de même, le pauvre Lélianp était par trop arsouille. Alors, l’abbé Bremondq croupier de la grande roulette bondieusarde, prétendit mettre dans son jeu, dans sa poche, la poésie tout entière. Cette tricherie lui valut renom de finesse et de modernisme, partant une gloire, qui, dans cent ans donnera fière idée de l’époque à qui feuillettera les collections de nos journaux et revues littéraires. Sans doute les opinions des laïcs officiels et semi-officiels ne valaient-elles pas mieux que les balivernes du mêle-tout enjuponné. Pour Paul Soudayr, par exemple, la chose écrite, prose ou vers, devait, avant tout, avoir pour but le divertissement de l’honnête homme. Ainsi, continuait-on à ne voir dans la poésie qu’une mine à sujets de pendules. D’un article que M. Thibaudet, dans la N.R.F. du 1er janvier 1932 (les belles étrennes !) a, sous le titre : Un idéaliste de province, consacré à Victor Bérard, j’extrais ces lignes :
Lamartine a introduit en France une politique des poètes et une poésie de la politique. Et le sel de la politique ou son âme, ce sont ses poètes. Barrès et Maurras sont les poètes de la politique de droite. Et la gauche ? Elle en a, elle en cherche et elle n’en chercherait pas, si elle n’en avait trouvé. Un jour que, dans une réception officielle, Mme de Noailles passait au bras de M. Herriot, M. Painlevé qui est mathématicien mais fin, les désigna à ses voisins avec ces mots : Deux poètes. Ce sera d’ailleurs une des gloires de Mme de Noailles que d’avoir exprimé au XXe siècle, entre Jaurès et Barrès, quelque chose de ce principe généreux de la poésie, de cette présence du courant lamartinien dans la vie politique française.Parce qu’elle éclaire cette demi-page, il faut citer cette phrase, à la fin de l’article de M. Thibaudet :
Au Sénat, Bérard incarnait avec flamme, originalité et invention le meilleur de la République, un mouvement, une liaison, un dialogue entre trois visages de la République, que j’appellerai République des procureurs, République des professeurs, République des idées.
avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix) à Lamartine (la phrase sur le drapeau tricolore qui a fait le tour du monde et le drapeau rouge qui n’a fait que le tour du Champ-de-Marst), les leçons que reçoivent, de leurs grands ou petits maîtres, à propos de textes rimés, lycéens et étudiants, ne sont que leçons de ruses oratoires. Quant à la connaissance intime et générale de l’homme, certains ne font profession de lui vouer leurs travaux, leurs existences qu’à seule fin de lui dénier, de l’intérieur, toute chance de progrès. En vérité, depuis des siècles, on se contente de répéter les mêmes expériences et considérations sur certains réflexes à fleur de peau, avec une volonté d’agnosticisme ou, au moins, le désir de conclure qu’il n’y a rien de changé sous le soleil. Et que se produise, quelque part, ce changement dont ne veulent pas les classes favorisées, elles crieront à la monstruosité. De toute source, et, si le geyser ne veut se laisser mettre en bouteille, qu’on l’écrase des plus lourdes pierres. Ainsi, un égocentrisme à courtes vues décide les individus à l’individualisme, les nations au nationalisme. Que les éléments se mettent à bouillir sous les carapaces dont ils les ont revêtus et ces messieurs de la surface s’étonneront (cf. Paul Valéry — Lettres sur la crise de l’esprit) de ne pas peser plus lourd qu’un grain de sable, à cette colère exaspérée par leur obstination compresseuse… Politique des poètes, poètes de la politique ne visent qu’à endormir l’humanité au rythme de quelques phrases pas trop mal venues. D’Orphée, les intellectuels, en mal de carrière parlementaire, ne considèrent que la réussite électorale. Oui, les pierres, les lions, les roseaux votaient pour l’amant d’Eurydice. Il s’agit donc de trouver une formule capable d’entraîner la majorité, de l’entraîner au fil du courant lamartinien. Alors, au moins on ne risquera plus d’aller trop vite, de se casser le nez, puisqu’on sera au beau milieu d’un lac — Le Lac — informe, immobile, verbeux. Dans la boue de ses rives, on a planté une pépinière de mots historiques, un potager de métaphores décisives. Quartier réservé aux procureurs d’idées. Les hommes ne tolèrent pas que les femmes s’y promènent. Mme de Noailles a dû affirmer, en plusieurs volumes, son amour des larges pensées et des haricots verts pour avoir le droit d’y voleter, sautiller. Maintenant, elle y est, elle y reste. Herriot lui a offert son bras, Painlevé approuve, Thibaudet se réjouit. De quoi nous plaindrions-nous ? Elle est le rossignol, l’oiseau, de ces Messieurs, le zoziau à ses pépères. Mais on n’assiste pas impunément à sa propre apothéose, fût-elle arrangée par le plus finaud des n.r.fiens. La poétesse, aussi politico-littérairement allégorique et glorieuse qu’ait pu la vouloir M. Thibaudet, à faire la navette du plus pesant utopiste à la plus réactionnaire des rossinantes, attelés de front au char de la République des professeurs, évoque forcément une autre chose ailée, la mouche du coche, mouche du coche d’eau, dirons-nous, puisqu’il s’agit du courant lamartinien. D’ailleurs, ne va-t-on pas, comme de bijou S.D.N. D’une pierre, deux coups : les bords du Léman sont également chers à Mme de Noailles qui écrivit, à Amphion, ses premiers vers et à M. Thibaudet qui enseigne dans la ville de Calvin. Or, s’il a suffi du passage de Rabindranath Tagore pour que le téléphone de notre poétesse devînt un fleuve d’amour, il y a tout à parier, qu’elle ne songe qu’à jouer la fée des eaux romantiques. Elle rêve de voir englouti le peu de solide qui nous reste. Alors, elle se rappellerait la colombe du déluge. Elle agrémenterait sa Légion d’honneur d’un rameau d’olivier. Herriot, Painlevé, Thibaudet battraient des mains, et au rythme de leurs applaudissements la République des professeurs n’aurait plus qu’à chanter le refrain de la célèbre chanson :
Mais le courant lamartinien, de ses ondes aristocratiques et bourgeoises, ne saurait noyer le remous issu des profondeurs, les colères sismiques, l’émoi des lames de fond par-dessus quoi, il passait sans sourciller. S’il est parlé de poésie, une phrase est à citer, celle de Lautréamont qui avait bien quelque titre à s’exprimer sur la matière :Nous pourrons la la la recommencer.
la poésie doit être faite par tous, non par unu. Commentant cette proposition, Paul Éluard d’écrire :
La poésie purifiera les hommes, tous les hommes, toutes les tours d’ivoire seront démolies, toutes les paroles seront sacrées, et, ayant enfin bouleversé la réalité, l’homme n’aura plus qu’à fermer les yeux pour que s’ouvrent les portes du merveilleuxv. Les tours d’ivoire, mais celles qui restent c’est du toc à renverser d’une chiquenaude, des tours façon ivoire, du carton-pâte en vérité, des cercueils pour squelettes de moustiques, des boîtes où ranger tout ce que le courant lamartinien nous a valu de lyres et de lyristes, lyromanes mysticards, officiels, démagogues, avec leurs très comiques auréoles de pâmoisons, paradis, catholiques, artificiels et libéraux, attitudes, prétentions à l’incompris, à la fatalité photogénique et archi-individualiste. Cravates de commandeur, robes universitaires, uniformes académiques, tous ces oripeaux dont la troisième République n’a même pas le mérite de les avoir inventés, bien que, depuis belle lurette, les mites s’y soient mises, au conformisme de la majorité des intellectuels, ils n’ont cessé de signifier un ordre, dont, ces messieurs sont les serveurs. Une atmosphère de concours agricole, de distribution des prix, de réception sous la coupole, de funérailles nationales, voilà tout ce qui fait frémir les narines poétiques officielles de la République des professeurs.
et Jean-Jacques Rousseau déjà,
à chaque masturbation,
les belles dont il était la coqueluche
est digne de M. l’Intellectuel
ne peuvent que se rencontrer
et M. l ‘Intellectuel.
quand sont offertes
toutes les porcelaines des raffinements
et souviens-toi que si M. l’Intellectuel
et le Monsieur de la psychologie
avec ses tire-chaussettes
leurs compères
Messieurs les militaires
avec quoi pensent-ils donc
Le Français né malin, constate un de nos plus célèbres on-dit, inventa le vaudeville.Le même Français se plaît à répéter urbi et orbi que
la parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée.C’est que ce petit né malin, derrière un cynisme de façade, cache, comme un jour me le fit remarquer Gertrude Stein, son horreur de l’intimité3. Les bouts-rimés, les farces, autant de masques. Il est d’usage de s’attendrir à la pensée des larmes qui se cachent derrière le rire. Pour nous, qui ne voulons nous laisser prendre à ces pièges primaires de la sensiblerie, contentons-nous de noter que tel ou tel, jouent-ils les familiers, la condescendance aristocratique de l’un, la bonhomie vulgaire de l’autre ne sont que les deux aspects d’un même esprit de méfiance et de défense. Classe, classeurs, classements, classifications, tout, dans ce temps et dans ce lieu, révèle, au sens le plus photographique du mot, cette mentalité bourgeoise qui veut que soient habillés de boiseries néo-Louis XVI, les coffres-forts. La main de fer dans le gant de velours : sous de pimpantes (?) vêtures, de l’acier, du blindage, des cloisons étanches. Concepts et idées reflètent, dans l’homme, le monde extérieur et son hypocrisie, elle-même, aussi bien ordonnée que la charité dont l’Église et sa fille aînée, jamais ne se lassent de répéter que, pour qu’elle soit vraiment bien ordonnée, elle doit commencer par soi-même. Soi-même. Nous y sommes revenus ou plutôt, nous n’avons pas cessé d’y être, nous y restons, chacun reste sur son quant-à-soi. La notion de personne, de par son caractère sacré, se trouve opposée à toute recherche qui lui serait dangereuse. Sont invoqués, à tour de rôle, le sens commun, la religion. Les opportunistes, de Vautel à Massisw, jamais, ne se sont trouvés à court. La liberté, la volonté, du moins telles que professeurs et curés les conçoivent, en enseignent la pratique à leurs élèves, à leurs ouailles, ne sont que moyens d’autocratisme. Au sortir de sa classe de philosophie, le premier freluquet venu opposera, continuera d’opposer, toute sa vie, le subjectif et l’objectif, ce qui lui permet de se reconnaître tabernacle de quelques principes éternels. Les autres, il les assimile aux choses, à ces choses qu’il a jugées a priori une fois pour toutes, d’essence inférieure et juste bonnes à être possédées. De cela encore, nous avons la preuve dans une de ces métaphores, qui, fussent-elles du plus strict XVIIe, n’en trahissent pas moins leurs auteurs, et, avec ces auteurs, qui les admire. Ainsi la France de Guizot (l’homme du poétique conseil : enrichissez-vous), celle du Poincaré dont la barbiche tabou d’une petite érection impérative sut mettre fin à la dégringolade du franc, la France de ceux-là et des autres, alors même que son légendaire bas de laine, peu à peu, se métamorphose en bas de soie artificielle, demeure assez économe de mots, images, sentiments et idées, pour continuer à ne vouloir reconnaître son poète (?) classique de l’amour en nul autre que Racine. En effet, une nation dont la morale n’a cessé d’obéir au grand principe : un sou est un sou, comment n’aimerait-elle point à se rappeler qu’en un temps reconnu pour celui où s’exprima le mieux son génie, le peintre officiel des passions, admis à la cour du Grand Roi, dans la théorie des princesses, les unes, larmoyantes, les autres vindicatives, mais toutes uniformément chargées de falbalas, jamais ne reconnut par la bouche de leurs majestueux amants, que des objets de désir.
Malgré le ton haute époque, cet alexandrin pyrogène n’en sent pas moins le cochon grillé. La communion que les êtres, entre eux, se défendent, apparaît, à la lumière de leur désespoir délirant, une interdiction que seule, peut lever, et pour des fins surnaturelles, la vertu d’un sacrement. Règne des Maintenon, et encore, ces rusées commères ne peuvent-elles, malgré leurs conformismes social et religieux, viser qu’à des mariages morganatiques. La veuve Scarron, objet à dignifier Louis XIV, comme Louis XIV était objet à dignifier Dieu, à travers ce couple, nous suivons la chaîne des asservissements. L’idéalisme caméléonesque, sous ses diverses incarnations, décidait toujours chacun à se penser, à se conduire comme s’il était noumène parmi les phénomènes. Qui s’estime bloc imperméable, souverain, ne s’en désagrège pas moins, parmi le clapotis de reflets. Impressionnisme aristocratique, sans rien de vivant, sous la peinturlure. Règne des petits-maîtres. Maîtres de quoi, au fait ? Maîtres de soi qu’ils disent, maîtres de soi, comme de l’univers, se plairont-ils à déclarer en langage cornélien, maîtres à peine, en vérité, d’un de ces détails, dont Engels constatait que,
pour les connaître, nous sommes obligés de les détacher de leur enchaînement naturel ou historique, de les analyser individuellement, les uns après les autres, dans leurs qualités, dans leurs causes et effets particuliersy. Or, cette obligation de détacher, l’opportuno-individualisme a eu tôt fait de la diviniser. Qui, de l’ensemble originel, détache, pour l’étude, un élément, ne tardera point à juger cet élément (et comme de l’ensemble, l’homme commence par s’extraire lui-même on voit à qui va sa première adoration) doué de vie en soi, et ainsi, lui accordera la priorité, sans doute même, pouvoir absolu sur l’ensemble dont il est extrait. Ce qu’on offre, en fait d’idées générales, n’est donc le plus souvent que la dictature d’un détail, au gré de tel bon vouloir, à tel moment donné. Il n’y a pas de technicien qui n’ait vu dans la pointe de son minuscule savoir, le cap, dans sa personne, le phare de l’Humanité. Chacun fera son humeur juge en dernière instance. Selon l’état du foie, ce sera donc le je-m’en-foutisme épanoui ou le fanatisme qui offre, d’ailleurs, l’alternance de ses contraires, à tous les Clovis que le premier évêque venu sait persuader de brûler ce qu’ils ont adoré, d’adorer ce qu’ils ont brûlé. Mais personne, jamais, ne manquera d’avoir bonne opinion de soi. Le plus banal considérera comme caractéristique sa banalité même. Nul ne risquera de se dire ce que Feuerbach constatait, de toute évidence :
Je suis un objet psychologique pour moi-même, mais un objet physiologique pour autrui. Engels a écrit :
La décomposition de la nature en ses parties intégrantes, la séparation des différents phénomènes et objets naturels en des catégories distinctes, l’étude intime des corps organiques dans la variété de leurs formes anatomiques, telles étaient les conditions essentielles des progrès gigantesques qui, dans les quatre derniers siècles, nous ont portés si avant dans la connaissance de la nature. Mais cette méthode nous a légué l’habitude d’étudier les objets et les phénomènes naturels dans leur isolement, en dehors des relations réciproques qui les relient en un grand tout, d’envisager les objets, non dans leur mouvement, mais dans leur repos, non comme essentiellement variables, mais comme essentiellement constants, non dans leur vie, mais dans leur mort. Et quand il arriva que, grâce à Bacon et à Locke, cette habitude de travail passa des sciences naturelles dans la philosophie, elle produisit l’étroitesse spécifique des siècles derniers, la méthode métaphysiquez. Etroitesse spécifique aussi de ce siècle, méthode métaphysique encore souveraine de par le monde capitaliste, où les puissants savent qu’il faut diviser pour régner. N’est-ce point d’ailleurs afin de se posséder que l’homme se divise en corps et esprit4, puis, divise son esprit en des catégories dont chacune, à tour de rôle, prend, contre les autres, un pouvoir dictatorial, alors qu’elles ne peuvent effectivement, rien l’une sans l’autre. La raison a trahi l’esprit, et, l’a trahi jusqu’au jour où l’esprit, pour ne point sacrifier son tout à une de ses parties, se déclara, lui-même, contre la raison. Dans le premier manifeste du surréalisme Breton, dès 1924, avait constaté :
Le rationalisme absolu qui reste de mode ne permet de considérer que les faits relevant étroitement de notre expérience. Les fins logiques, par contre, nous échappent. Inutile d’ajouter que l’expérience même s’est vu assigner des limites. Sous prétexte de progrès, on est parvenu à bannir de l’esprit tout ce qui peut se taxer, à tort ou à raison, de chimère. C’est par le plus grand des hasards, en apparence, qu’a été récemment rendue une partie du monde intellectuel et de beaucoup la plus importante, dont on affectait de ne plus se soucier. Il faut rendre grâce aux découvertes de Freud. Sur la foi de ces découvertes, un courant d’opinion se dessine, à la faveur duquel l’explorateur humain pourra pousser ses investigations. Ici, Breton se rencontre avec Hegel, pour qui
ce n’est pas la faute de l’intellect si on ne va pas plus loin. C’est une subjective impuissance de la raison qui laisse cette détermination en cet état.Subjective impuissance dont le subjectivisme, à forme classique ou romantique, trouve encore moyen de se réjouir. L’être s’identifie à la pensée et dans sa pensée voit, avant tout, sa raison d’être. Le
je pense donc je suisfut la clé de voûte de toutes les architectures dans le vide. La République, selon M. Thibaudet a trois visages. De même, réalisme, individualisme, idéalisme étaient les trois têtes de l’auto-amour, de l’amour-propre, qu’ils disent, comme si l’autre, le vrai, l’unique, était sale.
Corset mystère, ô mes belles maîtressesaa) j’avais une mère qui n’en portait point. Bien que, dans sa manière d’être et de faire, tout me parût aller à l’encontre du juste, je me sentais solidaire de sa tournure et de ses actes. En cela, d’ailleurs rien de quoi surprendre, puisque chacun sait que le fil au nombril le plus ténu résiste mieux que le fil à la patte, le plus solide. Donc, tandis que le néo-Louis XV sévissait, de toute sa folie, dans la chaussure, ma mère portait des souliers plats. Par l’excès de leur honnêteté, ses bas imposaient le désir de leurs consolants contraires, les dentelles d’abord noires et collantes, puis blanches et mousseuses, dont les gommeuses s’embellissaient de l’orteil à la cuisse. Sa lingerie, à peine festonnée, injuriait les froufrous, mais les autres femmes se vengeaient à coups de robes aussi doucement collantes que peau d’anguilles. Ô dame de chez Maxim’s arrosée de patchouli, empanachée, les nichons horizontaux, pourquoi étais-je le petit d’une femme dont les guimpes, les manches ne faisaient jamais grâce à la nuque, la gorge, les coudes, les poignets. A des platées de lentilles, de haricots, de pois cassés je comparais les étoffes anglaises dont elle me grattait les mollets. Et d’ailleurs, comment aurais-je pu être tenté de m’asseoir sur les genoux d’une femme qui, elle-même, n’avait recours aux chaises que pour donner un double spécimen de l’angle droit. Aussi, lui préférais-je, parce que mieux complaisant à mes nostalgies pré-natales, un fauteuil de velours rouge. Sans nul vivant giron rococo, soutaché, satiné où me nicher, je n’osais, tout de même, point, parmi les passantes, chercher une, la créature à honorer d’un culte total. Ma chair eût voulu rendre hommage à la chair dont elle était issue. Mais rien à faire. Donc, pour ne point trahir pleinement celle à qui eût dû aller toute mon adoration, dans chacune des femmes, je ne cherchais pas plus d’un prétexte, d’une occasion à s’émouvoir. Ainsi, devenais-je un petit analytique aussi malheureux, aussi grognon que les analytiques adultes. La joie entière de m’écraser le nez contre un corsage mystérieux, de caresser un velours, longtemps, je continuai à ne vouloir m’en saouler qu’à l’ombre de celle qui, justement, ne pouvait me l’offrir, puisque ces corsages n’étaient de mystère, ni de velours, ses jupes. Ce dilemme avait déjà exaspéré mes six ans, quand on décida de me donner une maîtresse de piano. Le mot maîtresse me plongeait dans le ravissement, depuis certaine phrase de mon père où il m’était apparu lourd de bonheurs sous-entendus. Le piano jouait un rôle restrictif qui ne me plaisait guère, et d’autant moins que notre piano était un piano crapaud, un piano eunuque, un piano sans queue, dont ma mère qui passait de longues heures en sa compagnie, n’avait certes pas à craindre qu’il la violât. Ma maîtresse de piano avait un chapeau à plumes on ne peut plus amazone, et, l’enlevait-elle, c’était pour révéler une architecture de boucles oxygénées dont elle couronnait son visage très maquillé. Elle regardait l’heure à un bracelet-montre extensible (objet alors fort rare), et, très volontiers pour ma grande joie (à nous le symbolisme sexuel) sa main allait et venait à travers ce cercle complaisant. Comme je me plaisais à imaginer la peau que les autres se plaisaient à cacher, mon adoration ne connut plus de bornes, le jour qu’elle vint, pour la leçon, vêtue d’une robe dont la transparence révélait un fourreau de couleur chair. Du coup, je décidai qu’elle se promenait nue sous des voiles et résolus de devenir un grand musicien en son honneur, en l’honneur d’elle qui était la musique elle-même c’est-à-dire un mélange de pleureuses, bijoux, inquiétants, accords, arpèges, triolets, pédales appuyées, toutes choses qui me vengeaient de leurs contraires, en ma mère incarnés. Je m’appliquai, fis de gigantesques progrès, et peut-être, serais-je devenu une sorte de Paderewskyab, si l’imprudente n’avait répondu à ma famille qui la félicitait : mais ce petit est une oreille… Une oreille ; était-ce donc de ma seule oreille que je l’adorais, moi qui rêvais d’un monde baigné dans la lumière de son satin chair. Une oreille, parce que je ne voulais pas être une simple oreille, je renonçai à mon oreille. J’oubliai, d’un coup, les notes, le doigté, le morceau que je savais par cœur. Après six ans, j’en sus moins qu’au bout de trois semaines. Ainsi, la spécialisation ampute et ampute de cela même, au nom, au profit de quoi elle prétend amputer.
suave mari magnoac
de Lucrèce qui, du rivage, aime à contempler les naufrages en plein océan.
Rocher païen ou Eglise catholique, les lieux d’asile et de salut, vus de la mer ou de la rue, défient ceux que la mauvaise fortune, le désir d’aller plus loin, condamnèrent à chercher gouttes et brindilles de soi-même, écumes et bribes de sensations, vapeur et paillettes d’idées. Le petit nombre exploiteur ne comprend pas que la fatigue, la misère, le désespoir du plus grand nombre exploité sont autant de termites dans leurs privilèges. C’est à croire que tous ces détails amoncelés doivent, seulement, servir à masquer, de leur ombre, la loi d’universelle réciprocité. Les intellectuels, pour ne point effrayer la société capitaliste, n’ont qu’à faire semblant de se perdre dans le labyrinthe des ergoteries causales. A ceux qui les auront suivis, et, soudain, peut-être, s’inquiéteraient de tous ces détours, ils auront toujours la ressource d’offrir, comme mot de passe, l’humanisme. Pour signifier leur neutralité bienveillante (bienveillante à qui, au fait ?), ils ont revêtu des manteaux couleur de murailles et se confondent ainsi avec tous ces pignons restrictifs, autour de quoi, ils rôdent.
On ne saurait les comparer qu’aux seuls insectes dont la prudence mimétique leur vaut de s’identifier au milieu.
Ne point tenter d’agir sur le monde extérieur, l’accepter tel qu’il est, soi-même, accepter de devenir tel qu’il est, par hypocrisie, opportunisme, lâcheté, se camoufler aux couleurs de l’ambiance, ça c’est du Réalisme.
Aussi, parallèlement à la béatification dont elle a récompensé Térence, l’Église d’un petit réaliste a-t-elle fait un grand saint. Je parle de Thomas d’Aquin.
Le Réalisme asservi à l’apparence momentanée, voilà le revers de la médaille, le prix dont se paie l’idéalisme.
Par la réalité dont leur réalisme rageur veut imposer la notion, le culte, les pères et les fils de l’Église ne contredisent-ils point leurs autres affirmations, quant au spirituel, dont ils n’ont de cesse qu’ils n’en aient affirmé la primauté.
Primauté du spirituel, écrit Jacques Maritain. Les privilégiés du monde capitaliste, consciemment ou non mais qu’importe, ici, le degré de leur clairvoyance, de leur sincérité cherchent des arguments, des prétextes pour ne point renoncer aux avantages d’une idolâtrie, dont ils estiment qu’elle prouve en même temps que leur foi, leur bonne foi, et, de ce fait, doit leur permettre de frustrer la masse de son devenir. Pratiquement, ils exigent de toute vie qu’elle se laisse étioler là, en un point fixe du temps, de ce temps que les dernières royautés parlementaires et républiques conservatrices rêvent d’arrêter, à leur profit, comme un soleil de la bible.
Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface et de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter d’abord, pour les soumettre ensuite au contrôle de la raison.Cette volonté de ne point se laisser perdre les forces, n’était-ce point elle qui faisait écrire à Marx, dans sa Deuxième thèse sur Feuerbach
La question de savoir si la pensée humaine est objectivement vraie est une question pratique et non théorique. C’est dans la pratique que l’homme doit démontrer la véracité c’est-à-dire la réalité, la puissance, l’en-deçà de sa pensée. Toute discussion sur la réalité ou l’irréalité de la pensée est purement scolastique.
programme du grossier et sinistre empire romain au temps de sa décadence. Des croûtons et Dieu(cf. le reportage de S. Georges dans L’Humanité, Déc. 1931) voilà ce que de nos jours une dérisoire charité d’inspiration religieuse, offre aux chômeurs. Chaque miette se paie d’un cantique, et cela, au nom de Dieu,
ce complexe d’idées nées de l’assujettissement de l’homme à la nature affermissant cette oppression, assoupissant la lutte de classes(Lénine). Et ici, sans nous perdre dans des subtilités, constatons que le monde n’est devenu une telle cochonnerie que parce qu’il a été si bien, si totalement, empli de Dieu. Mais laissons la parole à André Breton :
Parler de Dieu, penser à Dieu, c’est à tous égards, donner sa mesure. Et quand je dis cela, il est bien certain que cette idée, je ne la fais pas mienne, même pour la combattre. J’ai toujours parié contre Dieuae et le peu que j’ai gagné au monde n’est, pour moi, que le résultat de ce pari, si dérisoire qu’en ait été l’enjeu (ma vie). J’ai conscience d’avoir pleinement gagné. Tout ce qu’il y a de chancelant, de louche, d’infâme, de souillant, de grotesque passe, pour moi, dans ce seul mot de Dieu. Dieu, chacun a vu un papillon, une grappe de raisin, une de ces écailles de fer-blanc, en forme de rectangle curviligne, comme les chaos des rues mal pavées en font tomber, le soir, de certains camions et qui ressemblent à des hosties retournées, retournées contre elles-mêmes. Il a vu aussi des ovales de Braque et des pages comme celles que j’écris et qui ne sont damnantes, ni pour lui, ni pour moi on peut en être sûr. Quelqu’un se proposait dernièrement de décrire Dieu comme un arbre, et moi, une fois de plus, je voyais la chenille, je ne voyais pas l’arbre. Je passais, sans rien apercevoir, entre les racines de l’arbre comme sur une route des environs de Ceylan. Du reste on ne décrit pas l’informe, on décrit un porc et c’est tout. Dieu qu’on ne décrit pas est un porc.Or ce porc, on l’a, il ne se pouvait mieux, logé. Aujourd’hui, ceux qui ne veulent plus de la bête demandent pitié pour l’étable, pour les trésors dont on l’a meublée. Mais, conserver les témoins d’une servitude, c’est encore se complaire au souvenir de cette servitude, donc, fatalement y retomber. Les appels du libéralisme au sentiment du pittoresque, les pétitions en faveur des monuments historiques, les lois pour la conservation desdits monuments — pour la conservation tout court, sans plus, faudrait-il dire — on sait ce qui se cache sous ces précautions oratoires, et, comment, dans la tanière préservée, reviendront rôder
ces êtres en dehors du temps et de l’espace créés par les clergés et nourris par l’imagination des foules ignorantes et opprimées, dont, Engels déclare qu’ils ne sont que
les produits d’une fantaisie maladive, les subterfuges de l’idéalisme philosophique, les mauvais produits d’un mauvais régime socialaf. Ce sont d’ailleurs les privilégiés, les maîtres du mauvais régime social qui sollicitent, invoquent le goût de l’antiquaille. Ces messieurs veulent que soit considéré de sang-froid ce qu’un sang, tant soit peu chaud ne saurait se rappeler sans flamber. Au reste, le désir de l’homme de replonger dans son passé, dans du passé indéfini, ne peut naître que de cette obsession de la mort à quoi ont su le contraindre les Églises, et surtout la catholique, en lui escamotant son devenir (le sien propre et celui de son espèce) pour le sempiternel rappel de son périr. Homme pitoyable, homme entre les murs, toi dont l’enfance, par peur de la nuit, de l’inconnu, se cachait sous les draps, il y a de tels fouillis, entassements, juxtapositions autour de toi, que tu cognes, t’endoloris dans les mesquines venelles laissées à tes désirs. Mais, parce que, depuis Pascal, les petits analytiques, dans leurs tortures, toujours invoquent l’esprit de finesse, tu te réjouis des impasses, au fond desquelles, les intelligences courbées en deux, en quatre, en douze, en mille (mais à quoi bon des chiffres, leurs contorsions sont infinies) se crachotent morceau par morceau. L’asthme de Proust quel symbole !
Charme inattendu d’un bijou rose et noirag.Baudelaire aime la chair foncée, aux touchants replis de Jeanne Duval. Que l’autre, la cérébrale, Mme Sabatier, se contente d’un amour éthéré et pense qu’elle a la meilleure part. Ce petit jeu n’est pas le qui perd gagne, mais le qui gagne, perd. Baudelaire de l’éprouver le premier, qui, tout mépris pour celle avec qui il n’est pas impuissant, toute impuissance pour celle avec qui il n’est pas mépris, fige en moitiés ennemies, destructrices l’une de l’autre, son amour. La plus belle rencontre ne saurait être qu’une défense faite marbre :
La matière muette et éternelle (éternelle, ici, voulant dire immuable). Rien que du minéral sans souffle de vie contre quoi, se cogner la tête. Une source pétrifiante offerte au désespoir humain. D’un monde où l’idéalisme a chassé tout principe vivant, la créature n’a guère à se réjouir. N’a-t-on point voulu, par ailleurs, lui persuader qu’il n’y a de vertu que dans le négatif (renoncement — résignation — chasteté — pardon des offenses…). Cette paralysie générale, voilà bien ce que Breton entend ne plus tolérer, quand il écrit, à la fin concluante de Nadja :
La beauté sera convulsive ou ne sera pas. Beauté convulsive que le surréalisme a cherché dans les zones jusqu’à lui interdites et, auxquelles, certes, il n’aurait pu atteindre, s’il n’était parti du postulat : Le salut n’est nulle part, ce qui ne signifiait pas que la damnation fût partout. Bien au contraire, ni salut, ni damnation (au sens individualiste, religieux de ces mots, s’entend), ne sont nulle part. Ainsi, le surréalisme, dès sa naissance, par cette dialectique négative (comme il ne pouvait en être autrement à la suite de Dada) s’opposait au romantisme si bêtement unilatéral dans son exploitation du genre maudit, de l’antithèse par bravade, antithèse sans queue ni tête, puisque sans thèse, donc sans le moindre espoir de synthèse. Il avait fallu la mauvaise foi et l’ignorance des critiques pour vouloir freiner, par un passé grinçant de littérature, ce mouvement, dont, le seul précurseur à lui reconnaître fut Dada, quand, au lendemain de la guerre, Tristan Tzara, auteur de M. Aa l’antiphilosophe ai, fût venu de Zurich à Paris. C’est alors que la revue Littérature, ainsi nommée par antiphrase entreprit l’enquête : Pourquoi écrivez-vous ? De négative, la dialectique devient positive, objective. Le surréalisme élabore la synthèse du conscient et de l’inconscient, dont, la culture bourgeoise, à travers ses alternatives classique et romantique, s’était uniformément plu à marquer, exagérer les antagonistes. Du point de vue religieux, ce conflit trouvait sa traduction dans le divorce de la chair et de l’esprit, thème à variations pathétiques, utilisé encore par les romanciers à succès. L’âme et la peau : d’une part l’Église où l’on prie, le salon où l’on cause, et d’autre part, le bordel où l’on baise, bordel à domicile pour Baudelaire, avec sa négresse, cette négresse elle-même, croix du poète, croix d’ébène, croix à porter6 de même que, pour les Croisés, les dames turques furent le bordel sur le tombeau du Christ, ce qui valait bien le poilu inconnu sous l’arc de triomphe. Or, voici que, malgré les bobards dostoïevskiens sur la résurrection des filles perdues, déjà, la condescendance, la politesse fabriquée et même un goût un peu particulier pour les putains, nous semblent autant d’hypocrisies qui sanctionnent l’ordre établi, car il ne s’agit ni de pitié, ni de l’hommage qui pourrait bien représenter, à l’égard d’une créature socialement déchue, un bel envoi de sperme, mais de la très élémentaire justice — ici simple oubli des injustices codifiées — qui devrait permettre de ne point prendre en considération, cette déchéance sociale. Une telle attitude serait, paraît-il, pratiquement impossible, dans les Etats capitalistes où tout est affaire de classe (les femmes, selon Engels, Les Origines de la famille, les peuples colonisés, donc l’humanité colorée, selon Lénine, étant assimilés au prolétariat). Nouvelle raison de réduire à néant l’idéologie imbécile qui cause et sanctionne ladite déchéance sociale. Et si, en attendant, est désirée, baisée, voire épousée quelque négresse de bordel, que ni honte, ni vanité ne soient tirées d’un commerce qui n’a besoin de visa, non plus que d’excuse, puisque s’en trouve au moins donné un plaisir épithélial à ne point dédaigner. N. B. Ne pas confondre la libération des conflits sociaux avec la béatitude grossière que le ciel bleu, le soleil valent aux natifs des horizons spleenétiques, quand le soleil se met à les chatouiller là où je pense.
La maquerelle, très Européenne et fière de l’être, tape dans ses mains : Sarah, Sarah, allons vite au salon. Une Africaine, belle d’indolence, dans sa collection quel joyau ! et comme ça vous relève l’avachissement décoloré des autres chairs. Et quel objet de désirs. L’objet de désirs, nous y voici revenus, et plutôt deux fois qu’une, puisque la créature, par définition des objets de désirs, grâce à la mise en scène de l’amour vénal et organisé, a trouvé place dans le cadre des désirs. La négresse, dans les bordels métropolitains où la confine la toute-puissance du blanc, est à sa place, comme sa sœur de bronze, porteuse d’électricité, à l’orée des escaliers à tapis rouge et tringles d’or, expression si parfaite du contentement de soi que ne cessèrent d’éprouver le XlXe et le XXe naissant. Et qu’elle n’ait pas le mal du pays ! Là-bas, dans le continent originel, avec ses négrillons frères, des administrateurs, des généraux, et qui sait ? peut-être même ce maréchal qui a si bien mérité sa gloire romaine, ont joué, jouent ou joueront à Je t’encule et tu me suces. Pourquoi la colère secouerait-elle une famille qui a si bien réussi ? Que les touristes continuent donc à se réjouir de leur tourisme. Dès la douane, et à plus forte raison, hors de leur continent, de leur continence, ils sentent tomber l’uniforme des contraintes. Le Français, il est vrai, si telle ou telle raison l’empêche de quitter son pays, a pris assez de goût à l’exotisme pour que les barnums de ses désirs lui servent quelques-unes de ces curiosités d’importation lointaine, qui le dépaysent et lui donnent ainsi à penser qu’il se renouvelle. D’où, succès des bals martiniquais, des airs cubains, des orchestres de Harlem et de tous les tam-tams de l’Exposition coloniale. Les noirs sont aux blancs des moyens, des occasions de se divertir, comme leurs esclaves, aux riches Romains du bas empire. Plus même besoin d’aller en Afrique. La prostitution, à quoi le capitalisme livide contraint les noirs des deux sexes, aux abords des places Pigalle de toutes les grandes villes, offre ce que les oasis, en levant les interdictions des hontes européennes, vers 1900, révélaient à l’Immoraliste, d’André Gide. Or, une fois, en tête à tête avec la négresse de bordel, si le petit bourgeois, au lieu d’emplir d’un morceau de sa nauséabonde personne, ce sexe, exquis négatif de celui trop fécond de Mme son épouse, se contentait d’y accoler l’oreille, comme il est coutume de procéder avec les coquillages qui portent, en eux, le bruit de la mer, peut-être, malgré son tympan revêche, entendrait-il une rumeur, confuse encore, mais inexorable et annonciatrice, déjà, de l’effondrement de ses forteresses, de la cathédrale au bordel. Et pourtant, les idées reçues toutes faites préservent de voir et d’entendre ceux-là mêmes qui font profession de passer aux rayons X, les créatures. Ainsi, dans un des récents numéros de la Revue française de psychanalyse, le bibliographe écrivait-il d’une analyse qu’elle
tend (sic) à prouver que les conflits sont les mêmes dans la race blanche et la race noire. Le cas n’est d’ailleurs pas probant (se hâtait-il d’ajouter) car il est à peine question de conflits inconscients.L’auteur de ce petit résumé, ni chair ni poisson, vise, sans nul doute, à l’objectivité scientifique. Il signale un travail de collègues et, parce qu’il demeure dans le vague, l’atténué, il croit avoir donné des preuves suffisantes d’impartialité. Il tomberait de haut, ce très subtil, à s’entendre dire, que son imprécision n’est qu’un bigoudi, ajouté à tous les bigoudis de faux-semblants, une hypocrisie pour empapilloter le classique dégueulis, quant à l’inégalité des races. Voilà comment la psychanalyse tenue, bon nombre d’années, en suspicion par le corps médical français, dès que les soigneurs de l’âme ne peuvent plus l’ignorer, au lieu de les contraindre à réviser l’idée qu’ils se font de leurs individus, de l’état et du rôle plus ou moins officiel qu’ils entendent y jouer, devient, au contraire, un prétexte nouveau, dans l’ensemble sophistiqué, dont ils s’autorisent, pour se dorloter, eux et leurs préjugés avantageux. Par ce phénomène de détournement, une découverte récente, en l’occurrence celle de Freud, vient au secours de tout ce dont il eût été naturel de penser qu’elle allait le réduire en poudre. Au contact de certains doigts, les rares occasions de bonds révolutionnaires tournent donc en eau de boudin. A cette sauce, politiciens et intellectuels assaisonnent les extravagances qu’ils ont mission de faire gober à ceux qu’ils administrent ou instruisent. On connaît cette cuisine de petits et grands mensonges bien mijotés. Que les experts plus ou moins assermentés s’y entendent, et ils auront l’oreille des juridictions (affaire Almazian) qu’ils s’y refusent, au contraire (affaire Bougrat) et les tribunaux passeront outre. Un faux témoignage de plus ou de moins, qu’importe. Tout s’arrangera, finira par des chansons, tant que la bonne vieille gauloiserie tiendra la queue de la poêle. Et elle connaît l’art d’accommoder les restes. Est-il question d’instinct sexuel ? vite elle fait l’entendue, la grosse maligne, la femme au courant, et, d’un sourire salace, épice les déchets, carcasses, abattis sucés et resucés de la vieille bique réactionnaire. Elle sait suivre son temps, aussi, le plat du jour, sera-t-il, d’ici peu, le patriotisme de l’inconscient. Elle en vendra très cher la recette aux hostelleries régionalistes, aux wagons-restaurants Pullman, où tant de niaiseries dromomanes s’entassent. On pensera au brouet des spartiates, à un brouet relevé de sel attique, vrai régal pour nos jeunesses, quand elles sortiront des écoles, facultés, lycées où les maîtres du libéralisme cauteleux et satisfait, leur auront ouvert l’appétit par un de ces petits coups de culture générale, qui, en une seule gorgée, savent condenser l’art des ruses oratoires. Mais que le monsieur bien élevé du XXe, digne héritier de l’honnête homme du XVIIe, se lèche, pourlèche les babines, il n’en garde pas moins sa mesure, même aux instants de délectation suprême, car il y a l’harmonie française et sa sœur siamoise, l’éloquence française, et leur cousin, l’humour anglais et encore le charme slave, leur ancien béguin et le mensonge allemand, leur ennemi héréditaire. Or, que la géographie des qualités bonnes ou mauvaises, présente, dans l’espace, somme toute réduit, d’un petit continent, nombre de différences et contradictions, toutes les haines qui résultent de ce morcellement, dès qu’elles se reconnaissent un intérêt commun, se coalisent, sous prétexte de civilisation à sauver. Ainsi, le patriotisme de l’inconscient serait-il un patriotisme large, mettons européen, pour plaire à la S.D.N. avec alliance américaine, mais d’Américains à visages pâles, et non de couleur, puisque si certaine analyse
tend à montrer que les conflits sont les mêmes dans la race blanche et la race noire, le cas n’est d’ailleurs pas probant, car il est à peine question de conflits inconscients.
complexe d’idées né de l’assujettissement de l’homme à la nature, Dieu ruche à complexes, ses alvéoles ont beau être enduits de promesses mielleuses, qui s’y laisse prendre, se cogne, se déchire à autant de parois que la Nature, sa nature lui en oppose. Tous les mâles de cette ruche, sans doute, ne songent point à devenir époux de la reine, mais, depuis la plus haute antiquité, jusqu’à cette très chrétienne année 1932, les idolâtres de Vénus ou de la Vierge Marie, s’ils ne se livrent à propos de pomme ou d’Immaculée Conception à quelque petite guerre7 entendent, au moins, trouver en eux des champs de bataille moraux. Celui qui n’a point assez de violence pour l’exercer à ses dépens, priera quelque principe céleste et vengeur, de lui accorder la grâce d’une petite torture. Des dynasties mythologiques à la sainte famille, parricide, yeux crevés, trahisons, péchés, remords, châtiments et martyre des victimes expiatoires, toute cette marmelade glaireuse et sanglante s’est prêtée à mille variations. Le thème central, unique n’a jamais cessé d’être meurtres et mutilations. Tandis qu’Œdipe, dans le sang de son père, trouve la pourpre de son temps royal, et, dans les bras de sa mère, s’initie à la volupté, Jésus, lui, au contraire, de sa chasteté, de ses supplices, glorifie son père8. Or, en vérité, ce dont il meurt, c’est d’amour pour son père. Lui, petit lambeau de sentimentalités diaphanes, il s’estime assez peu pour accepter de souffrir, en l’honneur du mâle, son principe congestionné d’omnipotence. Manière de voir qui, du reste, coïncidant avec celle du jus Romanum, donc, devait singulièrement aider au triomphe du christianisme, dans une cité, où les pères avaient droit de vie et de mort sur leurs fils. Épris de ce que le père incarne de brutal, le fils fait tout son possible, pour en arriver, par les méandres évangéliques, à subir les brutalités des exécuteurs de la volonté impériale, cette volonté impériale ayant été, au préalable, reconnue pour la traduction terrestre de la volonté divine. Avant l’apothéose masochiste, il y a eu, certes, quelques divertissements, ce que les Français nomment bagatelles de la porte : flirt baptismal avec saint Jean-Baptiste, petite toilette intime et parfumée des mains des Saintes femmes, et surtout, la Cène avec le pain (et le pain long, on sait ce qu’il peut représenter et on sait aussi que, jamais, les peintres qui firent de ce repas, tant de tableaux célèbres, n’ont posé, sur la table, des petits pains fendus, symboliques, eux, du sexe féminin). La psychanalyse ne perd point son temps à lire, étudier le menu divin. Jésus-Christ, avec sa Pâque et ses apôtres, me rappelle un vieux couple de pédérastes qui se léchaient, pourléchaient les babines, à la pensée de manger des croque-monsieur, et, dans un genre hétérosexuel, ce curieux plat intitulé caprice de Madame à l’indienne, composé de rognons de lapins (on n’échappera point à certaine association) posés sur un plat de riz, le riz fournissant lui-même l’image d’un tapis de dents. Qui ne se laisse prendre à la glu des mythes et symboles ? Pour moi, la nuit qui suivit le dîner où m’avaient été servis les caprices de Madame à l’indienne, je luttai, afin d’éviter les pièges d’un complexe de castration, dont, mon sommeil, soudain, s’était rappelé, que, jadis, un psychanalyste m’avait dit que j’étais sinon affecté, du moins menacé. Ainsi, en arrivai-je à vouloir me venger sainement de ces couilles, mes couilles couchées sur un lit d’incisives et de canines : une femme échevelée courait de par les rues, à la main, un objet qui était à la fois un sexe d’homme en état d’érection et un revolver. Cette femme, la dame des caprices à l’indienne, relevait ses jupes, introduisait l’arme dans la forêt pubique, l’y enfonçait, appuyait sur la gâchette. Un coup sourd et secret. Elle tombait morte, et moi qui n’allais pouvoir jamais me consoler de ce qu’un objet à faire la vie, en elle, eût fait la mort, et quoique rien ne pût racheter l’abominable méprise, je voulais quand même, victime des préjugés familiaux, qu’elle eût au moins un très bel enterrement. Mais un enterrement pas trop triste. Aussi, fut-ce une grande joie que de voir venir à ma rencontre, une chanteuse qui, spécialisée dans le Satie, allait savoir animer de sa verve la musique funèbre. Alors, pour me prouver qu’elle était bien du temps des valses et des Rose-Croix, de relever ses jupes et me montrer des poils taillés en moustaches et barbiche, à la mode des ténors de la fin du XlXe. De ses doigts potelés, elle épila ce bouc jusqu’à ce qu’il n’en restât plus qu’une impériale. Par cette taille de style Napoléon III, elle entendait me signifier que Gounod allait redevenir de mode. Et de fait, elle se mit à chanter, à tue-con, un Ave Maria, qui me valut de revivre certain matin de mon enfance, dans une chapelle, où, pour en revenir à Jésus, se trouvait un chemin de croix, au sujet duquel, il est grand temps, aujourd’hui, de m’expliquer. Des centurions très beaux gosses, les mollets serrés dans des guêtres d’or, en paraissaient d’autant plus et mieux nus, à l’instant que le genou saillait. Sous la peau brune, dès la rotule, montaient des muscles de fantassins, ombragés, juste, au sommet des cuisses, par des petits jupons de couleurs tendres, eux-mêmes, échappés de cuirasses dont le métal moulait pectoraux torses et hanches, mais s’échancrait, avec on ne peut plus de complaisance, pour dégager les épaules, le cou. Vêtu d’une très élégante robe blanche, courbé sous la croix, au départ, Jésus offrait l’échine. De la minute où Ponce Pilate s’en était lavé les mains, le symbolisme sexuel avait été précisant. Jésus tombait, se relevait, c’est-à-dire avait joui, se retrouvait prêt à jouir, avait rejoui sous le fouet des athlètes aux costumes suggestifs. Or, de même que la jeune épouse crie « maman » dans son effroi de la volupté, lui ne cessait d’appeler son père. Au jardin des Oliviers, sa solitude en rut avait eu soif de boire le calice jusqu’à la lie, entendez, sucer jusqu’à l’ultime goutte de leur sperme, tous ces membres virils que, dans la claire lumière de son dernier dimanche, il avait imaginés tendres rameaux, mais que l’orage du Golgotha devait métamorphoser en rugueuses, inexorables verges. Pour le fils de Marie, de cette pauvre fille qui s’était crue vierge, toujours vierge, enceinte du Saint-Esprit parce que son imbécile de mari n’avait su la faire jouir, pour celui dont la vie prénatale, elle-même, s’était trouvée castrée, quelle revanche, lorsque le sexe de l’homme, de son semblable, de son père, d’instrument de fustigation, devint instrument de supplice plus précis, devint la croix, cette croix dont l’érection, au sommet d’une colline, déjà, faisait prévoir la nostalgie phallique, qui, de ses clochers, allait durant des millénaires, encombrer ce monde, qu’un abominable malentendu avait osé prétendre désexuer. La croix-squelette de pénis-vampire. Et ces clous qui pénètrent pieds et mains. Et ces épines dont les pointes ont déjà traversé le crâne, hymen osseux qui ne peut, ne veut plus défendre le cerveau dont la molle masse, d’ailleurs, entend être possédée. Mais alors, il y eut l’éponge de vinaigre, c’est-à-dire le mépris du plus beau des soudards, pour cette guenille qui voulait être sa guenille. Ce légionnaire qui, parmi les putains entassées au pied de la croix, ne pouvait manquer de reconnaître la croupe experte de Marie-Magdeleine, ainsi ne fera point à Jésus, l’hommage de la moindre petite sécrétion prostatique. Il se contente de lui pisser dans la bouche. Alors, s’achève la triouse. Entre les deux larrons, les deux marrons9, le Christ n’est plus que l’ombre d’un misérable bigoudi. Marie et ses compagnons, de soigner, dorloter, la pauvre chose. A feindre cette tendresse posthume, la femme se venge de ce par quoi, l’homme en vie, en vit, l’asservit, prétendit l’asservir, au moins la cloua sur sa paillasse. Ce bâton de maréchal, dont la grande Catherine disait que chacun de ses soldats le portait dans sa braguette, les créatures frigides ou peureuses attendent qu’il ne soit plus qu’une petite loque morte, pour lui accorder une pitié chrétienne, qui, à la fois, se targuera de son renoncement et de sa fidélité. A ces pouilleuses, nous opposerons Ophélie qui, avant d’aller se noyer, choisit pour s’en couronner, ces longues fleurs pourpres que, selon Shakespeare,
les jeunes filles réservées appellent doigts d’homme mort, tandis que les bergers licencieux leur donnent un autre nom.
la culture de l’esprit s’identifiera à la culture du désiraj.Avant qu’il en soit ainsi, sans doute, faudra-t-il, du sceptique léger au religieux obtus, imposer silence à tous ces agnosticismes, qui, d’une souriante soumission au fait ou d’un rauque impitoyable renoncement, espèrent payer, fléchir les puissances, dont, ils se croient menacés. Ils veulent charmer ce à quoi ils n’ont pas le courage de s’attaquer. Du fruit défendu (la pomme), au fruit béni (le fruit des entrailles de Marie), il n’y a que le sacrifice, dont le christianisme a entendu faire sa plus haute idée. Or, on ne sacrifie pas dans le vide. S’il y a sacrifice, toujours c’est d’une chose à une autre, d’une moins bonne à une meilleure, d’un monde temporel à un monde éternel.
Les païens, écrit Feuerbach, offraient à leurs dieux des sacrifices humains, sanglants. Mais combien de sacrifices humains, la foi catholique, la foi protestante n’ont-elles pas offerts au Dieu des chrétiens ?Et ici, Feuerbach devançant Freud, ajoute :
Mais quel sacrifice est plus grand pour l’homme naturel que le sacrifice du penchant du sexe? Le sacrifice le plus grand témoigne de la volonté d’atteindre, coûte que coûte, au plus grand bonheur, à la plus grande paix. Tous ne vont certes pas jusqu’à cet extrémisme émasculateur, où en arrivent, de gaieté de cœur, certaines sectes fanatiques. L’homme réfléchit, calcule, transige, décide de couper la poire en deux, de garder, pour soi, la plus belle moitié. Donc, au lieu d’abandonner le tout sexuel, il en prélèvera une dîme prépuciale. D’où la circoncision, à propos de quoi, le Dr Allendyak me signalait le danger, pour qui l’avait subie, de se trouver, par la suite, en proie au complexe de castration. Il serait légitime, au nom de la loi d’universelle réciprocité, de retourner cette explication causale. Il se pourrait que la circoncision ne fût qu’un effet du complexe de castration et, peut-être même, à son endroit, une thérapeutique10. L’individu a offert à la divinité un petit morceau, pour pouvoir, impunément, disposer de l’ensemble. Il a triché sur le poids, essayé de rouler Dieu. C’est, d’ailleurs, le propre de l’homme religieux que de vouloir rouler l’omnipotent dont l’omnipotence, à ses dépens s’exerce. Piètre revanche des bigots, lorsqu’ils ont dû finir par constater, comme ce héros d’André Gide, (le père Lapérouse dans Les Faux Monnayeurs) :
Dieu m’a roulé.Il est, d’autre part, on ne peut plus clair, que le diable symbolise l’érection, l’érection, le diable. Pour n’en point douter, il me suffit de me rappeler ce diable-qui-sort-d’une-boîte, jouet à la mode au temps de mon enfance. Un personnage velu, cylindrique et à ressorts, d’une poussée, soulevait son couvercle. L’andrinopleal dont il était vêtu, quand, d’un soubresaut, il l’avait tendue, lui valait de ressembler à un membre de cheval hors de sa gaine. L’expression répugnante du visage, et, çà et là, des poils poisseux de sécotine faisaient de sa personne un objet de dégoût, réplique, avant la lettre, mais dans le genre abominable, à ces objets de désir qu’on devait, plus tard, servir vidés de toute moelle humaine à ma fringale lycéenne.
pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?) si la mode du temps n’avait permis à son pas de coïncider avec l’empreinte de celui de sa sœur, il eût fini dans la chapelle de mon enfance, prosterné devant cette vierge qui, de tout son orgueil impénétré, impénétrable, pesait sur un diable à forme de serpent. Du pied d’Electre voluptueux, consolant, au pied écraseur de Marie, il y a le chemin qui, parti de ce que les superstitions mythologiques avaient laissé de lumière et de vie au monde, aboutit à ce cul-de-sac dont on ne sait qu’il est cul-de-sac qu’après avoir brisé son crâne, aplati ses organes érectiles, éclaboussé d’une marmelade muqueuse ces pierres inexorables que cèlent les ténèbres de l’obscurantisme chrétien. L’abbé Oreste. Il eût été de ceux dont la chair malheureuse, à travers les déclamations apocalyptiques, ne sait que répéter, enseigner une obsession qui se croit damnante.
D’une feuille (feuille de vigne) on fait l’habit de ce petit homme. Le chat le prend pour une souris. Ici, le symbolisme animalier, à quoi il est toujours fait appel pour la description des organes sexuels, ne saurait être plus clair. La maritorne narguait un petit garçon. Sa chanson narguait tous les hommes. Pris entre deux feux, pas moyen d’en sortir. Les lourdes femmes à fonction charnelle décrétaient organe de l’insuffisance ce que le reste de l’univers jugeait organe de l’abomination. Personne, en tout cas, ne s’était simplement contenté de le qualifier d’organe de la jouissance. Ou plutôt, l’eût-on qualifié ainsi, ce n’eût été que pour signifier le rapport de synonyme, imposé par le décalogue, entre le délire extasié de papilles et la notion de faute. A ce sujet, il importe de citer Feuerbach.
« Lorsque la jouissance en général est un péché, l’homme est si anti-naturel, si mesquin, si esclave, si craintif, si mauvais pour lui-même, qu’il ne se permet aucune joie, aucun bon morceau, comme Pascal qui, selon sa sœur, se donnait toutes les peines du monde pour trouver insipides les mets fins et délicats qu’on lui donnait pendant sa maladie. »Elle était pascalienne en diable, cette bourgeoisie dont j’étais issu, et qui, d’hypocrisie en hypocrisie, avait fini par se prendre au jeu de son masochisme sordide. Au contraire de Lorenzaccio qui avait simulé la débauche, jusqu’à n’être plus que débauche, elle avait grimacé le renoncement par calcul, mais calcul et grimaces avaient eu raison d’elle. Les privilégiés avaient crié misère pour que la colère du plus grand nombre spolié à leur profit ne s’attaquât point à leurs fiefs. Et voilà que, soudain, ils déploraient, avaient raison de déplorer le vide qui était en eux. Il avait été catastrophique le piston de leurs pompes aspirantes et foulantes. Aspirations et refoulements. Les romanciers dévoués à la cause des riches n’avaient cessé d’invoquer, en excuse au luxe insolent de certaines demeures, les conflits pathétiques dont elles étaient les théâtres. Ils expliquaient comment d’imbéciles questions de préséance, des problèmes sans queue ni tête vous mangent, justement, et la queue et la tête. Les bobards religieux ne trouvaient-ils plus une oreille qui voulût encore les tolérer, le plus grand nombre, du lecteur de roman sophistiqué au lecteur du journal démagogique, se refusait-il aux affirmations insinuées ou hurlées des mystiques ploutocrates, niait-il que le diable fût vivant là où le clergé a, si longtemps, prétendu qu’il s’incarne, alors, on se contentait de ravaler — et avec quel luxe de sournoiseries — au rang animal ce qui, pour être commun à toutes les espèces vivantes, n’en demeure pas moins propre à l’homme et le propre de l’homme. Ils vivent comme des bêtes. Une vraie bête en rut, on connaît ces comparaisons. À noter que le substantif bête se trouve avoir dépéri, jusqu’à n’être plus qu’un pitoyable adjectif synonyme d’idiot. Mais, comme, en fait de bon morceau, nul n’ignore où se trouve le meilleur, tous ceux qui ont voulu copier le monsieur des Pensées, ont sali la sensualité de sous-entendus crapuleux. N’est correct, chic, distingué que ce qui a été, au préalable désexué. D’où le costume masculin, tout en cylindres cachottiers. Ma famille avait toujours peur de rater le train. Aussi, dès mes cinq ans, pour la promenade dominicale au Bois de Boulogne me trouvai-je affublé d’un chapeau melon, d’un col dur, d’une cravate régate, d’un complet-veston de coupe anglaise et d’une canne en bois d’amourette. Mais si la prétention balançait le grotesque dans cet accoutrement des jours fériés, le plus abominable défi à ce qui peut subsister d’innocemment animal et digne de jouissance, chez un petit de bourgeois, me fut porté, certain mardi-gras par ma mère, lorsqu’elle osa, au nom du réalisme, me déguiser en cocher de fiacre : sous un chapeau de cuir bouilli, c’était une trogne, son œuvre dont (et voilà bien le plus affreux de l’histoire) elle avait été chercher les violets, les lie-de-vin, dans une boîte d’aquarelle qu’elle-même m’avait donnée puis confisquée. Or, rien ne m’avait, ne m’a jamais semblé aussi admirable que ce clavier de petits cubes, tous de couleurs différentes, mais d’une égale beauté dans leur diversité, puisque le marron s’appelait terre de Sienne brûlée. Sur le métal noir et blanc, la gamme des tons était celle de toutes les possibilités. Première possibilité : se venger des acacias. Je barbouillai un palmier rose vif. Ainsi, croyais-je, de par la grâce d’un arbre chimérique, renier un monde juste bon à être renié. A quoi, il fut objecté que les arbres étaient verts. Donc le mien c’était du gâchis, et rien de plus. D’ailleurs j’étais trop petit pour peindre et on m’ôta pinceaux, gobelets, palette. Coup d’essai, coup de maître. La famille, d’ailleurs, n’allait point se démentir par la suite, et tout ce qu’elle me contraignit à respirer de sournoiseries pas même puantes, de sales petites intentions m’apparut de plus en plus, de mieux en mieux comparable, au moins quant à ses effets, à ce haschisch, dont, un professeur, complaisant au jeu des étymologies, aimait à nous rappeler, comment le Vieux de la montagne n’avait qu’à le faire fumer à ses disciples pour les métamorphoser en assassins.
On ne peut se figurer abstraitement une maison, la Maison qui ne soit pas une de celles que nous pouvons voir.De même Lénine énonçait :
que l’on commence par une proposition des plus simples : les feuilles de cet arbre sont vertes, Jean est un homme, Médor est un chien, il y a déjà en cela comme le remarquait génialement Hegel, de la dialectique. Ce qui est particulier est général.Et c’est pourquoi, pas plus pour un particulier que pour un général, il ne saurait être question de se prétendre au-dessus de la mêlée. La pensée, mais où irait-elle se promener, si elle sortait de cette mêlée qu’elle a justement pour mission de démêler. Mais voilà, les codes, ces chers petits hypocrites, déclarent qu’on ne saurait être à la fois juge et partie. Et puis, il y a aussi les sages dont la sagesse inventa ce dilemme : Il faut savoir de tout prendre son parti, et cependant n’être, en rien, de parti pris. On ne pouvait attendre mieux de l’extravagance analytique, de sa catalyse sournoise. Le juge, le général d’une part, le particulier, la partie, d’autre part, se regardent en chiens de faïence. Ils sont deux entités inconciliables, deux raisons ennemies, dont la plus dure, cette grande pétrifiée de Raison d’Etat aura le dernier mot. Ainsi, dans un Etat bourgeois, ira de soi-même à la justice, aux besognes judiciaires, ce qu’il y a de plus crétinement, abusivement bourgeois, réactionnaire, borné, obtus, sans cœur, jeunesse patriote, camelot du roi. Automatiquement, la classe privilégiée délègue, son droit, le droit de punir à qui saura le mieux défendre ses prérogatives. En guise de consolation, il n’y a plus qu’à se dire que ne serait pas moins écœurant ce sinistre dilettantisme de qui, instruisant un procès, demeurerait froid de ce froid à quoi prétendent les magistratures assise et debout, comme si la glace était plus vraie que la chaleur. Thémisao voit-elle sa balance pencher du côté qu’elle ne veut pas, dans l’autre plateau, elle jettera un sabre, un crucifix ou quelqu’un de ces ustensiles toujours si utiles, quand il s’agit pour la droite de l’emporter à tout prix. Il serait puéril de s’étonner de ces fraudes traditionnelles, qui sont la tradition elle-même, alors que nous avons vu comment, d’une science dont ils se crurent d’abord menacés, les messieurs de l’hygiène mentale ont fait une mine où puiser en faveur des impérialismes, idéaux putrides, obscurantisme, religions et leurs séquelles.
On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve.Mais il ne saurait être question de bains pour ces amateurs de mauvaises odeurs, d’odeurs personnelles. Puisque l’eau coule, ils nieront l’eau. Puisque l’eau en coulant, a raviné la terre, ils nieront la terre. De négations en négations, vont ainsi les idéalistes,
ces philosophes qui, selon Diderot, n’ayant conscience que de leur existence et des sensations qui se succèdent en eux n’admettent pas autre chose. Système extravagant qui ne pouvait, ce me semble, dévoiler sa naissance qu’à des aveugles, système qui, à la honte de l’esprit humain et de la philosophie, est le plus difficile à combattre, quoique le plus absurde de tousap. Or, ces êtres qui ont tiré sur leurs sens les rideaux du renoncement, qui ont fermé les fenêtres par où le monde extérieur venait jusqu’à eux, ils ont beau se réjouir de penser que pas un écho, pas un reflet ne viendra troubler l’obscur silence de leur orgueil, chaque pore de leur peau ne s’en ouvre pas moins à la rencontre dont ils ne veulent pas. Se fussent-ils couverts du plus imperméable enduit, que la mémoire, encore, ressusciterait l’univers qu’ils refusent. Mais regardez-les plutôt jouer les orchidées du désespoir. Antenne par antenne ils se sont déchiquetés. Et maintenant, leur suffisance se met à déifier, sous le nom de vie intérieure, une cénesthésieaq qui crie famine. Ils prennent pour l’annonce d’une naissance le dernier râle de tout ce qu’ils ont, en eux, condamné à mourir d’inanition. Une malade, couchée depuis des années, parce que tout était blanc autour d’elle, l’hiver, les draps, les murs, son linge, ses mains, ses nuits, n’affirmait-elle pas qu’elle commençait à sentir son âme ? Ainsi, des êtres spoliés, par leur faute ou non, de ce qui leur eût été naturel, sont en quête de surnaturel et ne craignent pas d’expliquer, de très consolante et compensatoire manière, cette répercussion intime des infinitésimaux dont le monde extérieur ne cesse d’émouvoir leur engourdissement. Souvent, ne sursautons-nous point, avant d’avoir pris conscience du bruit qui a décidé de ce sursaut. Les idéalistes enchantés de leurs propres sursauts, ou n’accordent nul intérêt au bruit, ou ne lui en accordent qu’en fonction de ce sursaut. Chacun d’eux cherche des preuves de soi dans tout ce qui a filtré au travers des muqueuses, papilles, rétines, tympans assez exténués ou experts en hypocrisie pour oser prétendre ne s’être point aperçu de ce qu’ils ont perçu. Un certain somnambulisme, pour surprenantes qu’aient pu sembler à son propre réveil, ou à la contemplation d’autrui, ses promenades au sommet des toits, n’en a pas moins, de sa marche, foulé la matière. Bien mieux ! que l’aube, au moment de son retour à la conscience, ait mis un reflet gorge-de-pigeon sur cette ardoise où tout à l’heure, sans savoir, il batifolait, il ne lui en faudra point davantage pour prétendre que sa route a suivi quelque impondérable arc-en-ciel. Que rien de lumineux ne le sollicite, et l’homme divinisera la nuit, sacrera ectoplasme ce brouillard à claquer des dents, qui abolit toute chance d’y voir clair. C’est du reste parce que sa terreur atavique confond avec une menace la chance d’y voir clair que l’idéaliste refuse d’être le clavecin qui se laisse pincer. Il ne s’intéresse qu’à ses sensations, mais comme pour des raisons métaphysiques il leur refuse les nourritures légitimes, il se fait une vie, des idées impossibles. Les contraires, de leur rencontre, de leur choc, ne risquent certes guère de produire cette flamme, légitime, brûlante et précaire, identité de l’homme.
L’objet et la sensation ne sont qu’une seule chose (are the same thing) et ne peuvent être abstraits l’un de l’autre.Cette certitude qui fut si longtemps à l’homme (à l’homme privilégié, s’entend) plus douce, que le mol oreiller du doute de Montaigne, parce qu’elle contredisait la mouvante vérité de l’évolution universelle, on sait à quels heurts catastrophiques elle a condamné ceux qui s’y obstinaient. L’humano-idéaliste, s’il est de bonne, très bonne, la meilleure volonté, n’a rien d’autre à nous offrir que le spectacle de sa décrépitude. Il se dit, il est peut-être l’homme sincère. Alors, l’homme sincère n’est qu’un mannequin dont le carton-pâte lui vaut, grâce à de répugnantes peinturlures, de ressembler à l’écorché des cours de sciences naturelles élémentaires. Ça se démonte. Ça ne remue pas. L’homme sincère est une entité aussi peu vivante que son prédécesseur l’homme normal. Silhouette sans épaisseur sur un ciel vide, toutes ses contorsions, le premier souffle vivant les éparpille aux quatre coins de l’horizon. Des scrupules sophistiqués, des démangeaisons confessionnelles, rien ne reste. Desséchées les pleurnicheries de l’inquiétude cette mare, la conscience ne saura plus où aller pêcher la grenouille. Donc, elle n’agitera plus ses petits chiffons et son mâle, le conscient ne piétinera plus d’angoisse pour émouvoir ou divertir les promeneurs. Le veau d’or sur ses vieux jours était devenu père d’une vache de fer-blanc qui s’appelait Réalité. En guise de mâchoire, elle avait toute une série de petits sécateurs dogmatiques, lesquels entendaient bien ne faire grâce à nulle jeune, frêle, attendrissante fleur de rêve ou pousse d’hypothèse. Cette imposteuse disait que le monde était son monde, le monde de la Réalité. Or voici qu’on ose parler
d’une volonté violemment paranoïaque de systématiser la confusion et de contribuer au discrédit total du monde de la Réalité.Dali, de qui émane cette proposition, constate :
Tous les médecins sont d’accord pour reconnaître la vitesse de l’inconcevable subtilité fréquente chez le paranoïaque, lequel se prévalant de motifs et de faits d’une finesse telle qu’ils échappent aux gens normaux, atteint à des conclusions souvent impossibles à contredire et qui, en tout cas, défient presque toujours l’analyse.Parallèlement, dans L’Immaculée Conception, en introduction à des essais de simulation de débilité mentale, manie aiguë, paralysie générale, délire d’interprétation, démence précoce, Breton et Éluard constataient qu’
à cet exercice de simulation, ils avaient pris conscience en eux de ressources jusqu’alors insoupçonnables.Et ils concluaient :
Sans préjudice des conquêtes qu’il présage sous le rapport de la liberté, nous le tenons, au point de vue de la poétique moderne, pour un remarquable critérium. C’est assez dire que nous en proposerions fort bien la généralisation et qu’à nos yeux, l’essai de simulation des maladies qu’on enferme remplacerait avantageusement la ballade, le sonnet, l’épopée, le poème sans queue ni tête et autres genres caducs. Hegel ne semblait-il point prévoir ces merveilleux moyens d’investigations et leur résultat qui est le merveilleux lui-même, quand il énonçait :
Le vrai est le délire bachique, dans lequel il n’y a aucun des composants qui ne soit ivre et puisque chacun de ces composants, en se mettant à l’écart des autres, se dissout immédiatement — ce délire est également simple et transparent.Transparent, de cette transparence absolue dont parle René Char dans Artine, transparence qui protège le jeu des idées, quand, enfin, le verbe jouer n’est plus un doublet parent pauvre du verbe jouir. Rendus au mouvement les objets, à la dialectique des idées, dès lors, la propriété, l’individualisme (deux masques pour la boule d’escalier qui sert de visage au dieu terme obscurantisme) ne sauraient plus les condamner à se tenir cois. Et quels dessins animés dans les vallées cervicales, à même la terre labourée, à l’ombre des oiseaux sous les pieds des chevaux.
Les mots, les mots enfin font l’amour, s’écria Breton, au temps des sommeils.
ce moment de délire, où selon Diderot, le clavecin sensible a pensé qu’il était le seul clavecin qu’il y eût au monde et que toute l’harmonie12 de l’univers se passait en lui. Afin de ne rien perdre de cette harmonie il a rabattu son couvercle. Il devient une boîte hermétiquement close dont les cordes, faute d’être pincées, ne vont cesser d’aller se désaccordant. Clavecin fou de soi, assez fou pour prendre orgueil d’un vernis qui s’écaille, et de tout ce qui eût dû vibrer, mais se laisse décomposer en silence. Qu’il consente un jour à s’ouvrir, montrer où il en est, ce sera pour l’unique et très satisfaite exhibition de pourriture dont il est l’écrin.
il devint Marius, puis Bébé volant. J’ai toujours interprété mes excellents rapports avec Marius-Bébé volant, comme une revanche de l’animal, c’est-à-dire de tout ce dont ma jeunesse, à tort ou à raison, s’estimait avoir été frustrée. De maître à chien, les choses ne vont jamais sans quelque érotisme. Lui, bien entendu, aimait à se frotter contre ma jambe, ne demandait qu’à me prouver la virtuosité de sa longue langue rose. Pour moi, lorsque je l’avais, de l’anglais, fait passer au marseillais, je n’ignorais pas comment pouvait s’interpréter la chanson de la fusée volante. Quant au sobriquet de Bébé volant, n’évoque-t-il point le phallus napolitain, ailé, tel un chapeau de Mercure. Or, quelques jours après avoir pris connaissance de mon horoscope, qui, justement, me déclarait peu favorables les animaux domestiques, Marius-Bébé volant se perdit et demeura introuvable. Les amis qui me l’avaient donné, m’envoyèrent, alors une chienne caniche. La laine qui flottait autour de son corps, de ses pattes, métamorphosait, par contraste, son museau en bec de cigogne et ses pieds en incroyables petites mules Louis XV. Son regard ne se limitait point, comme celui de Marius, à un éclat de pierre précieuse. Il était de phosphore liquide, double lac d’or en fusion, double puits de lave et de danger, à l’ombre d’une toison si légère que le moindre souffle se frayait route au travers de sa forêt pour révéler, à même la peau de vierge qui lui servait de sol, des broussailles de blondeur que la lumière du jour, faisait trop vite tourner au marron et celle du crépuscule au violet. En tout et pour tout, elle était le contraire de Marius, méprisait les solides pièces de bœuf et les courses folles, mais il y avait, en compensation, un sacré mystère dans son allure de provinciale corsetée et vitrioleuse, abreuvée d’eau de mélisse et de cauchemar, nourrie de migraines et de croquignoles et surtout de la lecture spontanée, sans snobisme de Fantômas. Elle était du temps des parapluies aiguilles et des bottines à boutons, mais aussi de celui des alchimistes. Elle eût pu servir de confidente à Thérèse Humbertas et à Catherine de Médicis, leur donner des idées pour rien, pour le plaisir, par haine des pataudes et peureuses honnêtetés, que ses attaches ridiculement délicates, aussi bien à la cour des Valois que sous le septennat de Loubet, lui eussent certes, valu le droit de mépriser. Elle n’avait pas besoin de sommeil. Si la nuit l’abolissait, formes et couleurs, toutes les forces de l’obscurité ne pouvaient rien contre ses yeux qui brillaient, non en veilleuses, mais en menaceuses. Cette présence de sorcière m’empêchait de dormir. Coïncidence, elle s’appelait Marianne. En souvenir de Marius-Bébé volant, je lui en voulais, comme d’une imposture, de ce nom qu’elle ne s’était pourtant point donné à elle-même. À cause de tout ce qui m’inquiétait sous cette apparence de chienne, et, parce qu’elle n’était pas sans rapport avec le héros de Chirico, elle devint Mme Hebdomerosat. Or, Mme Hebdomeros, est-ce le surnom qui le voulut, ne dura qu’une semaine. Elle courut après une auto (durant le passage de laquelle, je l’avais tenue au collier) la rejoignit, alla donner contre un pneu, de la pointe de son fragile bec de cigogne, et, pas même blessée, tomba. Une lourde pelote de laine qui perd sa chaleur, sur une route, au soir tombant, jamais je ne pourrai plus, sous un autre aspect, me figurer la mort. Dans mes rêves, le regard de Mme Hebdomeros se ralluma, ne se ralluma que pour s’éteindre. A la minute où elle se laissait aller de toute sa masse, une autre masse faisait une chute simultanée. C’était mon sexe qui se détachait à l’instant que Mme Hebdomeros n’avait plus le courage, la vie de se laisser tenir sur ses quatre pieds de midinette. Elle avait, au préalable, lu et jugé mes plus intimes pensées. Elle avait conclu, décidé en anglais que j’étais trop selfish pour cohabiter, coexister avec un animal, avec l’animal. De ce rêve, fallait-il conclure, selon le psychanalyste, que la peur puérile des chiens exprimait déjà le complexe de castration ? ou au contraire, la complaisance systématique à ressusciter de vieilles hantises avait-elle redonné pieds et pattes à une obsession, pour la relancer à mes trousses ? Ainsi, aurais-je, non point voulu ma revanche, mais accepté, souhaité, fait en sorte de perdre d’abord Marius, puis précipité dans le sillage des autos meurtrières Mme Hebdomeros. La retenir par le collier n’eût donc été qu’une manière à la fois de jouer le bon maître et d’exaspérer, dans une si calme personne, l’envie de courir, de courir jusqu’à la mort. Un problème posé d’après les règles et formules de la psychologie traditionnelle, des questions réduites à elles-mêmes, au gré de la méthode analytique, ne peuvent recevoir de juste solution, ni même de réponse approximative. Il ne saurait plus, d’ailleurs, en aucun cas, s’agir d’anecdotes personnelles, ou, plutôt, il n’est d’anecdote personnelle qui ne doive entraîner au-delà, hors d’elle-même la créature à propos, autour de qui, en qui ont eu lieu les faits matériels ou moraux, occasions de ladite anecdote. Sans doute, certaines interrogations même engluées d’égoïsme, signifient-elles qu’un travail de déblaiement est déjà commencé. Mais que doit espérer de son labeur celui qui creuse, sans auparavant s’être mis en garde contre ses propres éboulis de prétextes et d’hypocrisies. Que soit, grâce aux efforts et recherches d’un petit nombre, levé ce que Breton appelait
le terrible interditau, de quoi cela servira-t-il, si, à nouveau, les anciennes zones interdites se trouvent morcelées en jardins d’agrément ou de désagréments individuels, si, par veulerie panthéiste, elles se laissent tourner en terrain vague, ou si, tout au long des avenues qui se prétendront modernes, poussent des gratte-ciel scolastiques. Les partisans et défenseurs de la tradition à tout prix, escrocs ou jobards, sont toujours prêts à crier au miracle, au cristal, dès que les poussières de mica, par leurs soins amoncelées, interceptent notre, votre, leur peu de lumière pour nous, vous, se la renvoyer en plein visage, par faisceaux aigrelets et aveuglants. Au reste, le petit sadisme des observateurs, l’orgueil masochiste des observés se réjouissent de toutes les conjonctivites, comme si, au degré de leur violence, pouvait se mesurer sinon l’illumination, du moins la clairvoyance. Le christianisme n’a jamais perdu le goût médiéval des écrouelles. Les paradoxes évangéliques sur le bonheur des affamés et des pauvres d’esprit servent encore de titres, d’épigraphes, de thèmes aux livres de nos littérateurs. Un monde ne convient-il pas de son imbécillité et de sa platitude, à l’instant qu’il accepte d’expliquer par quelque pénurie hypertrophie ou morbidesse qui fait en sorte de n’être ni plat, ni imbécile. La culture bourgeoise commence toujours par se rire des recherches qui visent plus loin que l’habituel. Les audacieux, on les qualifie de têtes brûlées, comme si le bûcher, que l’Inquisition destinait aux hérétiques, attendait encore ceux que n’ont point retenus les barrières orthodoxes. Nos officiels, en fait soumis à l’Immobile, malgré leur profession de laïcité, ne proposent qu’une connaissance passive de l’humain. Les sciences sociale et morale se contentent de démonter théoriquement un monde, sans même songer à un nouvel et meilleur assemblage des pièces détachées. Aux soigneurs et philanthropes, amateurs et professionnels des Etats capitalistes, je demande : Pourquoi accorder et raccorder ce clavecin sensible, comment s’étonner qu’il ne réponde pas juste, s’il continue d’être touché, pincé injustement.
Vous ne cherchez qu’à compliquer les rapports si simples de l’homme et de la femme, nous dit une buse(cf. André Breton, Misère de la Poésie). Étrange matérialisme que celui de cette buse pourtant matérialiste de profession ! Quoi de plus spécifiquement idéaliste, en effet, que la croyance en la possibilité pour tel ou tel de compliquer des rapports simples ? Cet apriorisme témoigne en outre d’un esprit assez peu révolutionnaire pour donner à redouter la naissance d’un nouveau puritanisme, en réplique, d’ici un siècle ou deux, aux prohibitions et hypocrisies de l’Amérique sèche. Les vrais matérialistes, et aussi bien Diderot, quand il explique par la pauvreté ou la peur de la vérole certaines anomalies qu’Engels quand il étudie les origines de la famille, ont constaté l’universelle réciprocité, de loi, dans le domaine sexuel, comme ailleurs. Et cependant la superstition d’une responsabilité individuelle intrinsèque semble prévaloir, et, avec elle, la notion de faute, de péché. Ainsi parce que les cervelles sont mal décapées du christianisme et de ses croûtes, à la fin de ce premier tiers du XXe siècle, l’Encyclopédie apparaît vraiment à refaire. D’autre part, quoi qu’en ose prétendre, tel soi-disant psychanalyste, la réaction coléreuse de qui se soumet à son examen n’est pas simple réflexe d’un refoulé qui défend son refoulement. Le psychanalysé libre de psychanalyser son psychanalyseur, a, dès la première question, constaté que la psychiatrie donnée pour médecine de l’âme est en train de tourner à la médecine de l’amour. Que se poursuive ainsi la suite des escroqueries idéalistes, les découvertes de Freud n’en demeurent certes pas moins admirables. Mais, sous les précautions oratoires de ses suiveurs, on retrouve la grossièreté bien réaliste du carabin classique dont la turlupinade, avec l’âge, ne manque jamais de tourner à l’esprit fort. Après des citations de Marx et d’Engels, amplement compensées, du reste, par celles de Mmes Jeanne Galzy, Maryse Choisyaw, Gina Lombrosoax et la princesse Nouchafferine, le Dr Allendy qui, dans son dernier livre Capitalisme et sexualité, ose faire comme s’il combattait les préjugés, ne s’en hâte et réjouit pas moins d’affirmer, avec une suffisance de joli barbu, que
les femmes se sont adaptées à un rôle de parasitisme économique et sont liées au capital. La femme, conclut-il, n’est pas seulement, comme dans le symbolisme poétique, la coupe qui reçoit la semence et la conserve. Elle est aussi la tirelire qui retient les sousay.En réponse à tant de galanterie, il faut bien demander à ce médecin si sa médecine ne s’est pas, elle aussi, liée au capital. Alors, j’y vais de ma petite question : comment le Dr Allendy conçoit-il l’exercice de sa psychanalyse, après l’édification du socialisme ? Selon lui, si j’ai bonne mémoire, la cure, pour porter ses fruits, doit imposer au patient, entre autres sacrifices, un sacrifice d’argent. On voit d’ici le soigneur qui, par probité scientifique, dit au soigné : « Vous avez deux mille francs par mois. Si vous voulez que je vous guérisse donnez-m’en mille. » L’humour reprend ses droits qu’il n’avait, d’ailleurs, jamais perdus. Ubu fait monter la psychanalyse dans le voiturin à phynances. Les palotins de tout poil se mettent ainsi à nous la faire et refaire à l’oseille. Quand Berlaz écrit :
il y a un genre littéraire qui, de toute évidence est malade : la poésie, nous voyons passer le bout de l’oreille, oreille d’âne bien entendu, et d’un âne qui a contre qui se frotter puisque asinus asinum fricatba. Or, cet âne, tous les ânes en fin de compte, ne demandent qu’à braire un petit retour à l’humanisme, au culte des apparences, au réalisme. Ils veulent ce que leurs pareils ont toujours voulu : que le clavecin n’ait rien à se rappeler, qu’il s’assourdisse, petit à petit, jusqu’à n’être plus qu’un de ces claviers muets, dont se servent, pour leurs gammes, les virtuoses en voyage. Alors, les doigts ont beau s’exercer, nulle oreille ne peut, de ces exercices, être nourrie. Et ceux qui veulent entendre ? Et entendre dès maintenant, dès ce monde. Au lycée, leur eût-on épargné les farces menaçantes du catéchisme, à propos de n’importe quoi, fût-ce le début des Métamorphoses d’Ovide (Os homini sublime dedit bb) on avait tout mis en œuvre pour les persuader de regarder au-dessus d’eux, mépriser ce qui se passe à leurs pieds, s’oublier et oublier leur monde dans la contemplation du firmament. Aujourd’hui, ne prennent plus ces attrape-nigauds que l’on croyait des attrape-poètes. Ainsi, Pierre Unikbc, dans le Théâtre des nuits blanches, constate :
Le ciel n’était que le miroir de l’obscurcissementbd.Il ajoute d’ailleurs :
Le battement d’ailes de l’amour à son apogée laissait une trace d’air libre sur les ténèbres du miroir.
Visage, visage perceur de muraillesbe, s’était déjà écrié Paul Éluard. Or, l’amour, s’il est cette voie lactée, cette fenêtre ouverte, on sait, de quelle suie, de quelle pluie de vitriol l’accable la Réalité du monde capitalo-religieux, où, tout demeure, on ne peut plus tristement actuel, des monstruosités dénoncées par Engels dans Les Origines de la famille. L’idéalisme bourgeois s’y connaît assez en chantage, pour fausser les rapports de clavecin sensible à clavecin sensible. Esprit, âme, fidélité, à qui s’autorise de ces grands mots et de tant d’autres, pour codifier les anciennes défenses et en édicter de nouvelles, Diderot a donné, sous forme interrogative, la meilleure réponse qui se puisse :
Et d’où savez-vous que la sensibilité est essentiellement incompatible avec la matière, vous qui ne connaissez l’essence de quoi que ce soit, ni de la matière, ni de la sensibilité ? Entendez-vous mieux la nature du mouvement, son existence dans un corps, sa communication d’un corps à l’autrebf ?Mais justement, ils n’entendent rien, ne veulent rien entendre et c’est pourquoi une telle banqueroute (la crise, la Crise majuscule, générale de par les Royautés parlementaires et Républiques conservatrices) étouffe
le commerce des hommes, dans lequel, constatait Diderot, il n’y a que des bruits et des actionsbg. Du bruit, des actions… Paresse, lâcheté, opportunisme ont voulu croire, ont fait en sorte qu’on crût le contraire. On a donné comme le fin du fin, la fin des fins, la vie intérieure, on a conseillé au vivant le silence, l’immobilité. On a prétendu ceux de la pensée, les attributs mêmes de la mort. Ce n’est point simple hasard, ce n’est point rencontre fortuite au jardin des symboles, si, dans le premier film de Bunuel et Dali et sur plusieurs toiles de Dali, ressuscite le clavecin de Diderot, sous forme d’un piano qui a toutes ses dents et tous ses nerfs et offre son clavier au délire de Guillaume Tell et de ses compagnons, sa caisse à l’éclosion d’incroyables fontaines, et surtout, son dos à l’étalage des ânes pourris et ses chevilles impitoyables aux cordes étrangleuses de frères ignorantins. De toute sa force, de la seule force de ses sentiments et de ses muscles, le héros du Chien andalou traîne ce fardeau pathétique et vengeur, à travers un appartement, on ne peut plus quotidien. Clavecin sensible : Les encyclopédistes dans leur immense entreprise, au cours d’un siècle de bouts-rimés, n’ont cessé de témoigner du véritable esprit poétique, d’un esprit qui voulait faire quelque chose, fit quelque chose, puisqu’il prépara la chose à faire la Révolution, et ainsi, fut digne de l’étymologie de son admirable qualificatif poétique du grec poiein, faire. La poésie faut-il encore répéter qu’elle n’a rien à voir avec ces chants plus ou moins heureusement rimés ou rythmés qui flattent les choses et les êtres bien en place et les laissent à leurs places ? La menace que ne cesse d’être une poésie digne de ce nom, Platon ne fut-il pas le premier à la reconnaître, qui chassait les poètes de sa République bavarde et opportuniste, la première république des professeurs. Le poète, il est le plus sensible des clavecins sensibles, donc, de ce fait, le moins facile d’entre eux. Ses recherches, son alchimie, si verbale puisse-t-elle paraître, ne font point de lui un de ces spécialistes que la société volontiers protège, sachant que toute spécialité à soi-même confinée, ne risque guère de lui être danger. Un contemporain de Diderotbh imagine un clavecin de couleurs, Rimbaud, dans le sonnet des voyelles, nous révèle le prisme des sons, les objets surréalistes de Breton, Dali, Gala Éluard, Valentine Hugo, sont des objets à penser amoureusement : la poésie, ainsi, lance des ponts d’un sens à l’autre, de l’objet à l’image, de l’image à l’idée, de l’idée au fait précis. Elle est la route entre les éléments d’un monde que des nécessités temporelles d’étude avaient isolés, la route qui mène à ces bouleversantes rencontres dont témoignent les tableaux et collages de Dali, Ernst, Tanguy. Elle est la route de la liberté, une route qui ne veut pas se laisser perdre parmi les terrains vagues.
Nécessités de la vie et conséquences des rêvesbi, écrivait, voilà plus de dix ans, Paul Éluard en titre à un recueil de poèmes. Or,
la nécessité n’est aveugle que tant qu’elle n’est pas connue. Engels qui cite cette phrase de Hegel la commente en ces termes :
La liberté n’est pas dans une indépendance illusoire par rapport aux lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité, fondée sur cette connaissance, de les faire agir, afin d’atteindre des fins déterminées. Cela se rapporte aussi bien aux lois qui régissent la nature extérieure qu’à celles qui régissent l’être matériel et moral de l’homme même, c’est-à-dire à deux catégories de lois qu’il est, tout au plus, permis de séparer dans nos idées, non dans la réalité. La liberté de vouloir n’est donc, par conséquent, que la faculté de prendre des décisions en connaissance de cause.Connaissance de cause, connaissance, conséquences des rêves. Quelques syllabes sur la couverture d’un livre pré-surréaliste avaient donc, déjà, situé les recherches qui, pour le plus grand dommage des profiteurs de la très française idolâtrie analytique, devaient aller à ces découvertes que les connétables des lettres, poètes gentilshommes (à nous les particules de l’ère romantique !) poètes-politiciens chers à M. Thibaudet n’avaient, jamais, certes, eu la tentation de donner pour buts à leurs promenades dans ces domaines dont ils avaient fait leurs chasses gardées. Ils étaient en quête de rossignol. Mais, comme s’est plu à le rappeler Lénine, en tête d’une de ses études,
le rossignol ne se laisse pas nourrir de fables.Or, il y a belle lurette qu’il se mourait de faim l’oiseau-symbole. Qui aurait, en effet, pu venir lui porter à manger, puisque les très démagogiques clés des songes, dont s’encombrent les boîtes à bouquins, les boîtes à rouilleries, sur les quais, n’ouvraient nulle porte. Une des nécessités de la vie et de l’esprit, de la vie de l’esprit, la nécessité poétique ne semble la plus aveugle que parce qu’elle est la plus difficile à connaître. Le surréalisme qui entend dissiper les obscurités tabou, ainsi, travaille à élaborer la notion d’une liberté, enfin, à ne plus confondre avec les caprices d’esthète, la fantaisie et autres crépinettes de l’individualisme. Et cependant, voici que, déjà, retombent dans les traquenards dénoncés par les dialecticiens marxistes ceux qui, faute de les avoir compris, faute d’avoir trouvé dans leurs ouvrages des textes d’application immédiate, au lieu de travailler à la synthèse, victimes de la vieille manie analytique, opposent entre elles les nécessités donnent à choisir entre les unes et les autres et les libertés qui correspondent aux unes et aux autres. Les quelques hommes qui demeurent groupés autour d’André Breton ont à charge et à cœur de poursuivre le mouvement dont le Manifeste du surréalisme a marqué la naissance, et le Second Manifeste un point de son évolution qui, à l’image de toute évolution, est
concevable comme unité des contraires dédoublement de ce qui est un en principes qui s’excluent et rapports entre ces principes opposés(Lénine). Les rapports entre ces principes opposés, voilà ce que nient les intellectuels de toute leur rage métaphysicarde. L’ignorance systématique des problèmes culturels n’est pas mieux tolérable chez qui prétend travailler de toute sa violence à la résolution du conflit social, que le mépris du conflit social de la part de qui déclare s’intéresser, de près ou de loin, à l’examen des questions culturelles. Et pourtant ce mépris, cette ignorance osent encore se manifester avec une telle impudence que Breton dut écrire Misère de la poésie, en réponse à toutes les niaiseries et saletés qui avaient trouvé une occasion inespérée de donner libre cours à leurs flots, lors de l’affaire Aragon (publication du poème Front rouge dans la revue Littérature de la Révolution mondiale. Inculpation d’Aragon. Protestation et appel en sa faveur des surréalistes). On sait qu’Aragon lui-même, en vint à dénoncer comme contre-révolutionnaire le contenu de la brochure, avec laquelle, il avait commencé par se déclarer objectivement d’accord, si tactiquement contre. La plus calomnieuse, mais, sans doute, la plus tactique des injures, la désassimilation soudaine de ce qui avait pu sembler, sinon le plus haut souci, du moins la spécialité, quinze années durant, d’un être, à ne les considérer, que du point de vue de la dialectique, dont, justement, elles se réclament au premier chef, révèlent l’étroitesse spécifique dénoncée par Engels, l’étroitesse d’un de ces petits crânes analytiques, où il n’y aura jamais place pour l’ample travail de la synthèse. N’est-ce point, d’ailleurs, la même maladie de l’intelligence, le même dualisme non surmonté13 qui, au plus beau de sa période littéraire inspirait à Aragon l’inoubliable « Moscou la gâteuse ». Aux observations que se voient, de toute part, opposer les recherches surréalistes, à la négation des problèmes culturels qu’on ne veut pas laisser résoudre, pas même poser, il n’est de meilleure réponse que cette constatation d’Engels dans l’Anti-Dühring : «
Les principes ne sont pas le point de départ de la recherche mais le résultat final, ne sont pas appliqués à la nature et à l’histoire de l’humanité, mais en dérivent. Ce n’est pas l’humanité et la nature qui se modèlent sur ces principes, mais les principes ne sont vrais que dans la mesure où ils concordent avec la nature et l’histoire.» Désespérer, de façon catégorique ou passive, de cette concordance, c’est, à la vérité, faire preuve d’agnosticisme, c’est, pratiquement, condamner à la tour d’ivoire le poète. Mais voici que justement, de ses propres mains, il déchire le brouillard dont on voulait noyer son monde, pour qu’il crût que sa plate-forme était la seule île solide. Il ne veut plus de cet isolement. Ce refus lui est dicté par une nécessité, désormais à ne plus contrarier : la nécessité poétique dont la méconnaissance, l’ignorance fut un des attributs négatifs mais indéniables de la culture bourgeoise. La bourgeoisie ne voulait, en effet, que des chants en son honneur, des gammes, arpèges, triolets où elle pût reconnaître l’écho de ses bruits intimes (depuis la plus grasse de ses satisfactions bémoles, jusqu’à la plus aiguë de ses inquiétudes dièses). De position idéologique, la bourgeoisie ne sut jamais prendre, ni chercher d’autre que celle commandée par le plus grossier, le plus immédiat des besoins. Aussi, Rodin a-t-il eu raison d’asseoir, en fait de penseur, devant le Panthéon des gloires nationales, un homme de bronze dont l’effort nous donne à penser que ça lui tombera des boyaux, plutôt que ça ne lui jaillira de la cervelle. Une tel spectacle, d’ailleurs, nous évitera d’oublier que le Panthéon devait être une église, et, en tout cas, n’a pas été, comme il eût fallu, désaffecté, désinfecté, a conservé sa forme de croix. Cette brute d’airain, sous son apparence de nudiste obtus, avec son anatomie d’adjudant, il est le digne successeur de Dieu, de l’Immobile, pour qui, étant donné ses attributs, la création n’est concevable que sous forme de divertissement fécal. Quant à la bourgeoisie qui s’est donné pour mâle ce penseur à son image, elle prétend fruit de ses entrailles, de ses seules entrailles tout ce qui est esprit. Elle veut faire croire que, forcément, de ses jupes, doivent sortir, aux plis de son cotillon, s’accrocher les intellectuels. Que l’un, parmi eux, ne soit, se réjouisse de n’être, d’elle, issu, que tel autre d’elle s’éloigne, elle commencera par faire des petits signes d’amitié, des mamours. Elle ouvre son giron, elle ne demande qu’à être la maman Kangourou de tous les enfants prodigues. Et si l’on ne veut pas habiter la poche où elle entasse tous ceux qui, par peur des intempéries, acceptent la tiédeur nauséabonde qu’elle leur a offerte ? Alors, elle imite la plus rageuse des femelles, la Vierge Marie, alors, elle se métamorphose en Notre-Dame du coup de pied dans le bas-ventre. Il ne faut pas qu’on lui résiste. Elle entend, à la fois, pondre tout et tous et ne rien laisser de ce qu’elle a pondu. Elle s’adore au point de gober, comme si c’était des œufs du jour, ses moindres, ses plus vieilles crottes de bique. Elle ne se nourrit que de ses déjections, même et surtout quand elle fait la petite idéaliste. Sacre-t-elle basses certaines parties de son individu c’est afin de s’en mieux délecter. Soumis à son exemple, chacun de ses fils se condamne au plus grossier matiérisme. Ainsi le veut la tradition de l’Église de toutes les Églises, pour qui l’esprit devient matière, le Verbe se fait chair. L’homme religieux (ou, ce qui revient au même, celui dont le libéralisme zigzagant n’échappe point au croc-en-jambe des idolâtries ancestrales) ce délicat tombé de la plus nébuleuse des nébuleuses, dans un tonneau de vidange, cet idéaliste, il n’en fait pas moins profession de mépriser le matérialiste, pour qui, l’être conditionnant le penser, il y a passage de la matière à l’esprit, donc, selon le jugement qualitatif de l’idéaliste lui-même, progrès, au lieu de cette chute orthodoxe et désespérante de l’esprit en pleine matière. La bourgeoisie ne pouvait vouloir d’autre psychologie que celle qui, de la pensée, considère le seul arrêt. Elle ne voulait point que conscience fût prise d’une course, signal donné d’une marche qui eussent pu mener ailleurs. Elle parlait de précision, d’instruments, d’expérience, mais au lieu de montre, elle offrait un cadran, avec deux aiguilles peintes à même le carton. Elle croyait ainsi que l’heure ne changerait pas, donc que ne passerait pas la sienne, que ne viendrait pas celle des autres.
Et, dès maintenant, parce que, toujours et encore, la dent des vieux préjugés veut mordre dans l’œuvre révolutionnaire, parce que, jamais, ne se dissipe la menace des obscurantismes, parce que n’est point assez clairement dénoncée la méthode dont le défaut interdit d’aller de la nuit au jour par une aube illuminée de rêves, parce que les spécialistes ne cessent de nous la nasiller à la réalité, parce que le conventionnel esthétique, l’apriorisme moral renaissent de leurs cendres, il importe de rappeler, non en guise de conclusion, mais comme signal de départ la définition donnée par Breton, dans son premier Manifeste du surréalisme. Surréalisme. n. m. automatisme pur, par lequel on se propose d’exprimer soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre façon, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.