CXXIIIe entretien.
Fior d’Aliza
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Après ces grandes fièvres de l’âme qui l’exaltent jusqu’au ciel et qui
la précipitent tour à tour jusque
dans l’abattement du désespoir, on
reste quelque temps dans une sorte d’immobilité insensible, comme un homme tombé d’un
haut lieu à terre, qui ne sent plus battre ses tempes, et qui ne donne plus aucun
signe de vie.
Telle était ma situation morale après tant de vicissitudes de cœur, et après la
perte, par la mort ou autrement, de tant de personnes adorées. On éprouve alors comme
une convalescence de l’âme, qui n’est ni le trouble de l’adolescence, ni la paix de
l’âge mur, ni la pleine santé, ni la maladie ; état mixte, et, pour ainsi dire, neutre
et passif, pendant lequel les blessures de l’âme se cicatrisent pour nous laisser
vivre de nouveau, malgré tout le sang que nous avons perdu. Cet état, sans ivresse,
n’est cependant pas sans douceur ; c’est le recueillement du soir dans le demi-jour
d’une triste enceinte ; c’est la mélancolie qui n’espère plus, mais qui n’aura plus à
désespérer ; c’est ce qu’on appelle la résignation précoce, où les pensées religieuses
surgissent en nous après les tempêtes, comme ces rayons calmants de l’astre nocturne
qui se glissent entre deux nuages sur les dernières ondulations de l’Océan qui se
tait.
Les démarches obligeantes de madame la marquise de Saint-Aulaire et de
madame la duchesse de Broglie, mes deux principales protectrices auprès du ministre
des affaires étrangères, qui était alors M. Pasquier, de centenaire mémoire, venaient
d’emporter ma nomination au poste de troisième secrétaire de l’ambassade de Naples ;
je m’occupais de mon prochain départ, et pendant ces jours d’adieux à mes amitiés déjà
nombreuses à Paris, M. Gosselin, libraire et imprimeur déjà célèbre, se pressait
d’imprimer et de donner au public mes premiers essais de poésie, intitulés : Méditations poétiques et religieuses.
C’était un mince petit volume d’une magnifique impression, édité à cinq ou six cents
exemplaires, et qui paraissait plus fait pour être offert par un auteur timide à un
petit nombre d’amis d’élite et de femmes de goût, qu’à être lancé à grand nombre dans
le rapide courant de la publicité anonyme ; je n’avais pas même permis à M. de Genoude
et au duc de Rohan, mes amis, qui s’en occupaient
à mon défaut, d’y
mettre mon nom. « Si cela réussit, leur disais-je, on saura bien le découvrir, et si
cela échoue, l’insaisissable anonyme ne donnera qu’une ombre sans corps à saisir à la
critique. »
Le volume ne fut mis en vente que la veille de mon départ de Paris. La seule nouvelle
que j’eus de mon sort, dans la matinée de mon départ, fut un mot de M. Gosselin
m’annonçant que le public d’élite se portait en foule à sa librairie pour retenir les
exemplaires, et un billet de l’oracle, le prince de Talleyrand, à son amie, la sœur du
fameux prince Poniatowski, billet qu’elle m’envoyait à huit heures du matin, et dans
lequel le grand diplomate lui disait qu’il avait passé la nuit à me lire, et que l’âme
avait enfin son poète. Je n’aspirais pas au génie, l’âme me suffisait ; tous mes
pauvres vers n’étaient que des soupirs.
Je partis sur ce bon augure et je m’arrêtai seulement quelques jours,
dans ma famille, à Mâcon, où m’attendait un nouveau bonheur, préparé et négocié par ma
mère en mon absence.
J’avais eu l’occasion, l’année précédente, de rencontrer à Chambéry une jeune
personne anglaise, d’un extérieur gracieux, d’une imagination poétique, d’une
naissance distinguée, alliée aux plus illustres familles de son pays. Son père,
colonel d’un des régiments de milice levés par M. Pitt pendant les anxiétés
patriotiques du camp de Boulogne, était mort récemment ; sa mère, qui n’avait d’autre
enfant que cette fille, lui avait donné une instruction grave et des talents de
peinture et de musique qui dépassaient la portée de l’amateur. Sa fortune lui
permettait de compléter, par des voyages sur le continent et par la pratique des
langues étrangères, cette éducation soignée d’une fille unique. Elle l’avait liée, dès
sa plus tendre enfance, en Angleterre, avec une famille émigrée de Savoie, celle du
marquis de La Pierre, gentilhomme
de haute distinction, retiré à Londres
depuis l’expulsion du roi de Sardaigne.
Le marquis de La Pierre était mort en exil ; il avait laissé en mourant une nombreuse
et belle famille, composée de : la marquise de La Pierre, sa veuve, et de quatre
filles d’une beauté remarquable et d’un caractère accompli ; l’une a épousé le marquis
de Grimaldi, aide de camp du roi Charles-Albert ; trois autres vivent à Turin dans la
pratique de toutes les vertus pieuses. Après le renversement de 1815, le marquis de La
Pierre fit des démarches auprès du roi de Sardaigne afin d’obtenir des indemnités pour
ses biens confisqués pendant la Révolution. Les négociations ne furent terminées
qu’après sa mort, mais en 1819 sa veuve revint à Chambéry avec sa belle famille,
chercher quelques débris de son antique opulence. Mademoiselle B…, que je devais
épouser, presque inséparable de ses amies, profita de cette circonstance pour venir,
avec sa mère, rejoindre la marquise de La Pierre et visiter le continent. Elle se fixa
avec sa mère, à Chambéry, dans la maison de ses amies, comme une cinquième fille de
cette charmante famille.
Cette famille, respectée et recherchée de tous les étrangers de la ville
et de la campagne, devint le centre d’une société de tout âge, composée de ce qu’il y
avait de plus respectable, de plus brillant et de plus aimable dans le pays. C’est
ainsi que j’avais connu celle qui devait être ma femme. Mademoiselle B… aimait
passionnément la poésie, et mes vers encore inédits, mais récités dans la maison de la
marquise de La Pierre par des amis de mon âge, l’avaient prévenue en ma faveur avant
même de me connaître de vue : j’avais été accueilli avec cet enthousiasme que le
mystère et le demi-jour ajoutent au talent.
Libres l’un et l’autre, rien ne nous empêchait de songer à nous unir, si nos deux
familles consentaient à notre union. La religion différente était le seul obstacle aux
yeux de ma famille, d’une orthodoxie sévère, et aussi aux yeux de la mère de
mademoiselle B… Quant à elle, cette diversité du culte natal n’était pas un
empêchement ; car, élevée dans l’intimité journalière de quatre personnes
zélées catholiques, elle n’avait pas tardé à subir elle-même l’influence secrète du
catholicisme du coin du feu, et elle était résolue à adopter la religion de ses amies
aussitôt qu’elle pourrait le faire sans affliger sa mère. Les personnes pieuses du
pays, confidentes de son penchant pour moi, faisaient des vœux charitables pour que
l’amour achevât la conversion de l’esprit. Je me rappelle même, non sans sourire, une
circonstance étrange, qui montre à quel point le zèle religieux exalte le prosélytisme
du cœur.
La marquise de La Pierre, son amie, et ses filles étaient venues s’établir pour
quelques semaines aux bains d’Aix, en Savoie. J’y étais moi-même et je logeais dans
une maison peu éloignée de celle que ces dames habitaient. J’y venais, presque tous
les jours, passer la soirée comme en famille. L’hôte de la marquise était un excellent
et pieux vieillard, nommé M. Perret, qui, pour accroître son modique revenu et pour
gagner, l’été, le pain de l’hiver, louait, pendant la belle saison, quelques chambres
garnies et tenait à bon marché une pension gouvernée par ses deux
sœurs. Ce vieillard simple et respectable, dont la vie ascétique avait écrit la
macération sur sa pâle figure, passait sa vie en solitude et en prières dans une
chambre haute de sa maison. Il y vivait entièrement étranger aux tracas d’une maison
publique, comme un ermite dans sa cellule, au milieu du bruit qui ne l’atteint pas.
C’était un véritable saint qui, par modestie, s’était refusé la prêtrise, et qui
passait sa vie recueillie entre la contemplation et l’étude des merveilles de Dieu
dans sa création. Le saint était botaniste. On le voyait tous les matins, après avoir
entendu la messe, gravir seul, sans chapeau, des portefeuilles sous le bras, des
filets à prendre des insectes à la main, les pentes escarpées des ruelles d’Aix, qui
mènent aux plus hauts plateaux des montagnes, tout en murmurant à demi-voix les
versets de son bréviaire.
Le soir, il en redescendait plus ou moins chargé de plantes ou de pauvres papillons
épinglés, dont il grossissait sa collection. La seule distraction qu’il se permit
après souper, le chapelet et la prière du soir, était un air de flûte, joué au bord de
sa fenêtre donnant sur les prés de Tresserves. Il avait conservé
ce goût
de musique et cet instrument du temps de sa jeunesse où il avait été fifre dans un
régiment du roi de Sardaigne.
Il avait beaucoup d’amitié pour moi, parce que j’aimais à aller, à mes heures
perdues, visiter son herbier et entendre les explications scientifiques et
providentielles sur la vertu des plantes et sur les mœurs des insectes, toutes
attestant, suivant lui, la grandeur et les desseins de la Providence.
Les chuchotements de la maison lui avaient fait connaître la secrète intelligence qui
existait entre la jeune Anglaise et moi, les obstacles que sa mère mettait par
religion à ce penchant de sa fille, et les difficultés qu’elle apportait à nos
entretiens. Il croyait de son devoir de les favoriser de toute sa complicité, pensant
ainsi contribuer au salut d’une âme qui serait perdue, si le mariage ne la sauvait
pas. Il me proposa d’être ma sentinelle dans la maison de ses sœurs, et de m’avertir,
en jouant de la flûte, chaque fois que la mère vigilante sortirait sans sa fille pour
la promenade. Ma fenêtre, dans une chambre de faubourg hors de la ville, était assez
rapprochée pour que les sons aigus de l’instrument fussent saisissables à mon oreille
et pour que je fisse cadrer mes visites avec l’absence de
celle qui fut,
plus tard, ma belle-mère. C’est ainsi que le saint homme servait en conscience un
amour naissant, en croyant servir le ciel ; c’est la première fois sans doute que la
piété la plus sincère sonnait à des profanes l’heure des rencontres.
Je revins à Paris après la saison des bains ; il était convenu que nous profiterions,
l’un et l’autre, de toutes les circonstances favorables pour amener, elle sa mère et
moi ma famille, à consentir à un mariage que nous désirions tous les deux très
vivement. Ma mère, comme à l’ordinaire, était ma complice.
Ma nomination à Naples, les espérances que cette carrière ouverte donnait à mon père,
mon séjour de quelques semaines à Mâcon, mes instances auprès de mes oncles et de mes
tantes amenèrent à bien les négociations ; je partis avec l’autorisation de tout le
monde et avec des assurances d’héritages, après la mort de grands parents, qui
rendaient ma fortune au moins égale à celle de ma
femme. Ses démarches
auprès de sa mère, et l’influence de ses amies, mesdemoiselles de La Pierre, avaient
triomphé de son côté de tous les obstacles. J’en étais informé par sa correspondance,
et, en arrivant à Chambéry, je n’eus qu’à recueillir le fruit d’un an de patience et à
emmener avec moi la femme accomplie que l’attachement le plus fidèle et le plus dévoué
me destinait pour compagne de mes jours bons et mauvais. Nous fûmes mariés dans la
chapelle du château royal de Chambéry, chez le marquis d’Andezène, qui gouvernait
alors la Savoie. L’illustre comte de Maistre, mon allié par le
mariage de la plus charmante de mes sœurs, madame Césarine, comtesse de Vignet, avec
un neveu du comte de Maistre, me servit de parrain, chargé des pouvoirs de mon
père.
Nous partîmes pour Turin, où je m’arrêtai quelques jours pour y voir le premier
secrétaire d’ambassade, le comte de Virieu, mon ami le plus intime et presque un
frère. Le duc d’Alberg, ami du
prince de Talleyrand, y était alors
ambassadeur. Il nous accueillit à Rivsalta, belle maison de
plaisance qu’il habitait pendant l’été.
Rien ne semblait annoncer, à Turin, la fermentation sourde d’une révolution prochaine
qui couvait sous les sociétés secrètes et dans les conjurations ambitieuses des amis
du prince de Carignan, depuis le roi Charles-Albert.
Indépendamment du comte de Virieu, du marquis de Barral, du marquis Alfieri et de son
fils, avec lequel j’avais été élevé, je connaissais d’enfance presque toutes les
illustres familles du Piémont : les Sambuy, les Ghilini, les Costa, pour avoir reçu
avec eux une éducation commune chez les jésuites de Belley, dans ce collège soutenu
par eux. Je quittai Turin comblé de leur accueil et je m’arrêtai peu à Florence.
En arrivant à Rome, où je comptais m’arrêter moins de temps encore, j’appris la
révolution qui venait d’éclater inopinément à Naples, et qui me
força de
suspendre mon voyage ; la route de Rome à Naples était interceptée, on ne passait
plus. J’attendis qu’elle fût matériellement rouverte, et, ne voulant pas exposer ma
femme et ma belle-mère aux dangers inconnus d’une route couverte de soldats débandés
et d’une capitale en révolution qu’on nous dépeignait comme sanglante ; d’un autre
côté, désirant me trouver à mon poste dans une circonstance éminemment intéressante
pour la France et pour la maison de Bourbon, je partis seul pour Naples, au risque de
ne pas arriver.
J’eus, en effet, beaucoup de peine à franchir la frontière du royaume. Après
Terracine, le chemin était couvert de postes de soldats volontaires qui ne recevaient
d’ordre que de leur caprice, et qui, voyant en moi un agent diplomatique français, se
figuraient que j’apportais à la révolution l’appui de la France contre la
Sainte-Alliance, et m’accueillaient de leurs acclamations. Grâce à cette erreur
populaire, j’arrivai à Naples sans obstacle, la nuit du jour où les Calabrais, l’armée
insurrectionnelle et le général Pepe, qui avait pris le rôle de Lafayette napolitain
dans le pays et dans l’armée, entraient dans cette capitale. Je fus témoin, le soir,
de cette entrée séditieuse et triomphale de
la révolution dans Naples.
C’était beau, enivrant et menaçant comme une révolution à sa première heure.
Le vieux roi Ferdinand, pilote expérimenté et railleur, avait pris le parti
d’abdiquer et de remettre le gouvernement à son fils, le prince héréditaire, plus
propre que lui à se compromettre, soit avec les révolutionnaires, soit contre les
puissances étrangères. Ce prince, encore jeune, mais habile et déjà expérimenté des
révolutions, passait pour constitutionnel et pouvait, grâce à cette opinion, peut-être
fausse, exercer un certain ascendant sur l’armée insurgée au nom d’une constitution,
et sur le peuple encore royaliste. Il passa en revue l’armée et la bande des carbonari
calabrais, que le général Pepe lui présentait sous les armes, soit comme soutiens du
trône transformé, soit comme expression de sa cour.
Le moment était délicat et décisif pour la diplomatie de la France. La question
allait se poser entre
le système constitutionnel et le régime absolu dans
les États d’Italie dépendant de l’influence de la maison de Bourbon. Au premier
regard, il paraissait évident que l’intérêt de la France serait de se poser en
médiatrice entre les rois et les peuples, et d’empêcher les puissances étrangères
d’intervenir, comme une haute police armée, à Naples, et bientôt à Turin, pour faire
reculer le régime des institutions libres. La France elle-même ayant adopté le régime
constitutionnel, il était peu logique à elle de combattre chez les autres ce qu’elle
protégeait chez elle-même. Nous devions donc incliner modérément à la cause
constitutionnelle à Naples, surtout si cette cause, sincèrement acceptée par le roi et
patronnée par l’armée, se préservait des anarchies, des violences, où même des excès
qui déshonorent les révolutions au commencement.
D’un autre côté, cette révolution, ou plutôt cette explosion inattendue de l’armée,
travaillée par la société secrète des carbonari, était un fait d’indiscipline
militaire bien plutôt que d’opinion nationale. Calquée sur l’insurrection armée de
Cadix et de Riego, en Espagne, elle était un encouragement à toutes les turbulences
des ambitieux
de régiment ; enfin, si la Sainte-Alliance, cette mutualité
des rois, prenait dans un congrès fait et cause pour le roi de Naples, il était bien
embarrassant à nous, gouvernement restauré par la vertu et dans l’intérêt de cette
ligue de monarchies, de nous déclarer contre elle les soutiens d’une insurrection de
troupes et de conspirateurs qui couvaient peut-être jusque sous notre propre trône, à
Paris. Le bon sens d’un côté, la reconnaissance de l’autre, nous commandaient une
extrême circonspection dans ces circonstances.
L’ambassade française à Naples était alors dirigée par le duc de Narbonne, émigré
rentré d’Angleterre avec le roi Louis XVIII, mais émigré formé à Londres aux usages du
régime constitutionnel, complètement rallié à la Charte française, cette transaction
habile et loyale entre 89 et 1815, qui affermissait les rois et qui coïntéressait les
peuples libres à la monarchie populaire. C’était un homme modeste, timide, ayant peur
du son de sa
propre voix, mais plein de bon sens et d’aperçus justes, un
des hommes qui n’aiment pas à paraître en scène, mais qui ont, comme spectateurs, le
sens le plus parfait des situations. Il joignait à ces dons renfermés de son âme une
bonté exquise qui le faisait adorer de ses subordonnés. Il m’accueillit dans son
ambassade comme dans une famille ; il eut pour ma femme et pour moi, pendant les
quelques mois de notre séjour, des égards et des bontés qui nous rendront son souvenir
éternellement respectable et cher.
Particulièrement attaché au roi Louis XVIII et tenant de lui sa place beaucoup plus
que du ministère, il dépendait moins de M. Pasquier que de M. de Blacas. M. de Blacas,
favori du roi, déplacé en 1815 et relégué à Rome où il représentait la France comme
ambassadeur, avait sur les légations de France en Italie une direction presque
absolue, avouée par le roi et complètement opposée à celle du ministère. Il était
l’oracle secret de la monarchie absolue, oracle que nous avions l’ordre d’interroger
dans tous les cas soudains et difficiles. Cet oracle contre-révolutionnaire, en
passant par l’âme absolue de M. de Blacas, ne pouvait pas être favorable au
tempérament que la politique exigeait de
nous. Le duc de Narbonne était
forcé de le consulter, mais il n’approuvait pas ses réponses. Il remit les affaires à
M. de Fontenay, premier secrétaire d’ambassade, comme cela se fait ordinairement dans
les circonstances équivoques, afin de pouvoir désavouer des hommes secondaires, et il
resta de sa personne à Naples encore quelque temps, pour recevoir des instructions de
Paris.
M. de Fontenay était de mon pays, gentilhomme des environs d’Autun, ami de mes amis,
beaucoup plus âgé et plus mûr que moi ; il était entré dans la carrière diplomatique
par l’influence de M. Courtais de Pressigny, envoyé de France à Rome, immédiatement
après la Restauration. C’était un des hommes les plus solides, les plus aimables et
les plus capables sous l’apparence de l’ancienne légèreté française. Mais sa légèreté
n’était qu’une qualité et nullement un défaut de son esprit. Son sourire bienveillant
donnait de la grâce au sérieux de ses pensées, et ses mots fins
et à deux
sens portaient d’eux-mêmes et touchaient avec justesse à leur double but, comme deux
traits partis à la fois d’un même arc : l’un pour faire sourire, l’autre pour faire
penser. Il avait par-dessus tout un cœur d’or, pur, solide et franc comme le caractère
de la Bourgogne, un peu railleur, mais jamais mordant. La jalousie n’avait jamais
approché de ce cœur. Il jouissait du bonheur de faire valoir ses inférieurs et ses
égaux. Tel était l’homme avec lequel j’avais à faire mon noviciat diplomatique dans
une circonstance où l’on apprenait beaucoup en peu de temps. Les révolutions suppléent
au temps en concentrant beaucoup d’événements dans quelques mois. Les campagnes
comptent double quand on se bat, elles comptent triple quand on négocie ; il faut
manœuvrer aussi vite que les passions d’un peuple en ébullition.
Nous n’eûmes pas deux pensées, M. de Fontenay et moi ; il m’associa à tout, nous
agîmes en commun sous l’inspiration de son grand sens et de son expérience. La
situation complexe de la cour de Naples, les conseils secrets où nous fûmes appelés et
les négociations confidentielles avec les chefs de partis et avec les membres les plus
influents du
parlement, rendaient notre action très intéressante,
quelquefois périlleuse et dramatique. J’en ai rendu compte dans la partie politique de
mes œuvres complètes intitulée : Mémoires politiques. Je ne traite
dans ces confidences que de cette partie intime qui touche seulement au cœur et qui
n’intéresse que la famille et les amis. Glissons donc.
Pour soustraire ma femme et sa mère aux convulsions de la capitale en révolution,
j’avais loué, dans l’île d’Ischia, à quelques lieues en mer, une charmante habitation,
appelée la Sentinella, que l’on voit encore pyramider au sommet d’un cap avancé de
l’île, quand on débouche du golfe de Gaëte dans le golfe de Naples, non loin de la
côte des champs Phlégréens et du promontoire merveilleusement désert de Misène. Cette
maison, entourée de treilles, est dominée par l’Epoméo, montagne couverte de bois de
lauriers et de jeunes châtaigniers, qui divise l’île en deux zones. Elle domine
elle-même la mer, qu’on voit luire à ses
pieds, à travers la claire-voie
de pampres. À cette hauteur, les voiles qui glissent sur cette surface d’un bleu vif,
comme un second ciel, ressemblent à des ailes de colombes blanches qui volent en
silence, d’arbre en arbre, parmi les oliviers.
Je m’embarquais à Pouzzoles une ou deux fois par semaine, dans une de ces petites
barques à un ou deux rameurs, que j’avais si bien appris à manier moi-même dans ma
première jeunesse. (Voyez Graziella, Œuvres complètes.) Nous
déployions la voile quand le vent était favorable, et nous faisions cette traversée en
deux ou trois heures de navigation. Je trouvais ma femme au bord de la mer et nous
remontions par les vignes à la Sentinella, en causant des événements de Naples pendant
la semaine. Le contraste du calme resplendissant de cette solitude, cernée par les
flots de la mer, avec le bruit menaçant et tumultueux d’une grande ville en
révolution, augmentait la sensation de bonheur, de calme et de sécurité qu’inspirait
cette résidence enchantée entre le ciel et l’eau. Nous en jouissions jusqu’à
l’ivresse. Toutefois cette ivresse avait, pour moi seulement, quelque arrière-goût de
mélancolie, en songeant à Graziella, cette fleur précoce que j’avais cueillie
dans la même île, et en revoyant de loin sur Procida les ruines de la
cabane de son père, abandonnée aux ronces depuis la mort de la jeune fille, et
marquant l’horizon d’une borne funèbre dans le passé, comme il devait l’être si
souvent dans mon avenir. Mais la jeunesse a des végétations qui recouvrent tout, même
les tombes.
Nous passions la matinée sous les longues et hautes treilles chargées de raisins
mûrs, comme d’autant de lustres d’ambre qui laissaient les rayons de l’aurore
transluire, à travers leurs grains jaunis, sur nos têtes. Nous y portions des livres
italiens de la grande époque lyrique ou épique, tels que Dante, Pétrarque, Tasse, ces
hommes qui ont doté l’Italie de chefs-d’œuvre. Quelquefois, j’y portais mon album et
des crayons ; moi-même, Pétrarque inférieur pour une autre terre et un autre temps,
j’écrivais quelque harmonie ou quelque méditation.
À midi, nous rentrions pour déjeuner à l’ombre
plus fraîche des
terrasses de la Sentinella, puis la sieste napolitaine, la musique, la peinture,
abrégeaient les heures du milieu du jour ; quand le soleil baissait et que les grandes
ombres dentelées de l’Epoméo se déroulaient sur les flancs de la montagne, nous
parcourions, tantôt à pied, tantôt sur des mules aux pieds agiles, les sentiers
escarpés de l’île, en contemplant les feux souterrains du Vésuve briller à l’horizon
comme un phare tournant, tantôt visible, tantôt flamboyant sur les bords des mers aux
yeux des matelots.
Ainsi se passa l’été. Je ne retrouvais la politique que les jours de la semaine où
mes fonctions me ramenaient à l’ambassade. Je prenais une part très vive et très
confidentielle aux différentes phases et aux différents orages que cette révolution
suscitait dans le peuple, dans le parlement et dans le palais. Ce fut là que j’eus
l’occasion de voir et d’admirer, suspendue aux bras de sa mère, cette ravissante
princesse Christine, dans toute la fleur
de beauté et d’intelligence, que
son sort destinait pour épouse au roi d’Espagne, Ferdinand VII, et qui a su, au milieu
des tempêtes, plaire, gouverner, transmettre un trône à sa fille, régner, tomber, ou
plutôt se retirer du trône, plus heureuse et plus habile que Christine de Suède, dans
le demi-jour d’une existence à l’abri des coups de vent. On distinguait déjà dans sa
gracieuse et spirituelle physionomie les signes d’une femme courageuse qui saurait
faire de la jeunesse, de la beauté et de l’attrait trois pouvoirs politiques aussi
irrésistibles que la nature. Elle flottait sur les ondulations des plus graves et des
plus tragiques événements comme une rose de Pæstum arrachée de sa tige sur les flots
bouillants du golfe. Nous en étions tous respectueusement enivrés.
L’automne venu, le vieux roi partit avec le consentement de son peuple, difficilement
arraché, pour aller, disait-il, plaider lui-même la cause de
la
révolution auprès des souverains réunis au congrès de Troppau. On sait ce qui en
arriva. L’armée napolitaine, commandée, à Entrodocco, par un général mandataire des
carbonari, se dispersa au premier coup de canon, hors de portée, d’un faible corps
autrichien, dans les vignes. Il n’y avait rien à en conclure contre la bravoure
individuelle de ce peuple souvent héroïque quand une généreuse passion l’anime ; mais
les carbonari ne lui présentaient pour rois que des tribuns militaires, et pour
causes, que des théories qu’il ne pouvait ni comprendre, ni aimer. Les sociétés
secrètes, excellentes pour soulever, sont incapables de combattre. La fumée du coup de
canon d’Entrodocco fit rentrer les carbonari dans l’ombre. Le général Foy, qui venait
de prophétiser à la tribune de Paris que l’armée de la Sainte-Alliance ne sortirait
pas des défilés d’Entrodocco, retira sa prophétie. Le brave et téméraire général Pepe
n’osa pas reparaître à Naples ; il se réfugia en Angleterre, puis en France. Il y
réfléchit sur le danger d’être le général d’une société secrète. C’était un bon soldat
et un honnête homme, incapable d’un crime, mais très capable de rêver un rôle héroïque
à la tête de bataillons qu’il trouvait
évanouis en se retournant. Je lui
restai toujours attaché de cœur jusqu’à sa mort.
L’état de ma femme, avancée dans sa première grossesse, et la convenance de la
soustraire, au moment de ses couches, au tumulte d’une ville en révolution, me firent
partir pour Rome. J’y arrivai au moment où un détachement de l’armée autrichienne
campait de l’autre côté du Tibre, prêt à entrer dans la ville, si une révolution
analogue à la révolution d’Espagne, de Naples et de Turin, venait à éclater, comme on
l’annonçait à toute heure. L’ombre de ce détachement suffit pour arrêter les
révolutionnaires carbonari de Rome et des États du Pape. Tout resta dans le calme
habituel de cette capitale de la religion, de la science et des arts. La société était
nombreuse, cosmopolite, brillante. Le gouvernement du doux et pieux Pie VII, souvent
persécuté, jamais persécuteur, y était insensible et aimé. L’ami de ce Pape, le
cardinal Consalvi, y régnait par la séduction bienveillante
de son
caractère. Rome, sous son gouvernement, ressemblait à une république où chacun pense
et dit ce qu’il veut, sans que personne inquiète ou tyrannise personne. C’était la
ville hanséatique des consciences et des opinions. Aucun gouvernement ne pouvait
offrir une liberté aussi complète, malgré les vices inhérents à cette nature de
gouvernement, composé d’une monarchie sans hérédité, d’une démocratie sans
représentation, d’une aristocratie étrangère sans patriotisme, et d’un sacerdoce sans
responsabilité. Mais tous ces vices théoriques disparaissaient dans la pratique par le
caractère que Pie VII et Consalvi imprimaient à son régime. J’étais particulièrement
recommandé au cardinal-ministre que je voyais presque tous les jours chez la célèbre
duchesse de Devonshire, patronne de tous les hommes de lettres et de tous les artistes
romains. Veuve d’un des plus opulents seigneurs des trois royaumes, elle employait son
immense fortune à faire fleurir l’Italie d’une seconde Renaissance. Le cardinal
Consalvi la visitait deux fois par jour, une fois dans la matinée pour les intérêts
politiques de son gouvernement avec l’Angleterre, dont elle passait pour l’ambassadeur
anonyme ; une fois dans la
soirée, pour s’y délasser dans un petit cercle
d’hommes d’esprit des soucis du ministère.
Le chevalier de Médici, premier ministre du roi de Naples avant l’explosion des
carbonari, réfugié momentanément à Rome par crainte de l’assassinat dont il avait été
menacé, nous y charmait, tous les soirs, par l’agrément de sa conversation
napolitaine, la plus spirituelle et la plus voltairienne des conversations. L’abbé
Galiani, le plus sensé et le plus amusant des économistes, ne causait pas avec plus
d’originalité, contre l’honnête et pesant Turgot dans ses entretiens sur la liberté du
commerce des blés. Il donnait le ton à l’auteur de Candide. J’ai
toujours soupçonné Voltaire d’avoir dans les veines du sang napolitain, et, en
remontant un peu loin, j’ai reconnu que je n’avais pas tout à fait tort. Il y a des
verves de race qu’on n’invente pas ; Médici était de la famille.
Le vieux roi de Naples Ferdinand, quoiqu’il passât pour un lazzarone sur le trône
parmi les libéraux de Paris, avait lui-même autant de cet
esprit
napolitain, fin et railleur, que tout son royaume. Il revenait en ce moment du congrès
de Troppau avec la jolie duchesse de Floridia, sa favorite, dont il avait fait sa
femme, comme Louis XIV de madame de Maintenon. Mais c’était une Maintenon sicilienne,
avec le pédantisme de moins, la jeunesse et la beauté de plus. Il écrivait à son fils,
le régent de Naples, pour être communiquées au parlement, des dépêches pleines de
l’éloge des chiens de chasse qu’il ramenait pour chasser le sanglier en Calabre.
Il s’arrêta quelques mois à Rome avant de rentrer dans son royaume, pour laisser aux
Autrichiens et à son fils, son lieutenant général, l’odieux et les embarras de sa
restauration. Elle ne fut, du reste, que plaisante et non sanglante. Tout fut liquidé
et soldé par quelques exils promptement révoqués. Il y avait eu peu d’excès, il n’y
eut pas de longue vengeance. Le pape, selon l’usage, lui donna à dîner en grande
cérémonie au Vatican le jeudi saint. Par une faveur tout inusitée, le cardinal
Consalvi m’invita à cette table de pape, de rois et d’ambassadeurs. C’était contre
l’étiquette, mais les rois passent par-dessus et les poètes par-dessous.
Peu de jours après, j’eus un fils qui fut baptisé à Saint-Pierre de
Rome, et tenu sur les fonts du baptême par une belle Vénitienne, devenue une grande
dame polonaise, la comtesse Oginska. Cet enfant, né sous les plus heureux auspices,
échappa comme ma fille, en mourant jeune, à sa triste destinée. L’un ne vit que mon
aurore, et l’autre que mes jours de fêtes. Je les pleurai sincèrement tous les deux,
mais quand je me regarde maintenant, je suis tenté de ne pas les plaindre. Les
malheurs d’un père obligé à travailler jusqu’à satiété pour vivre et pour faire vivre
ceux qui se sont compromis pour lui et pour leur patrie, sont un triste héritage à
recueillir. Mieux vaut la paix du ciel, où nous nous retrouverons tous, consolés, les
uns d’être morts, les autres d’avoir vécu !
Les nouvelles circonstances politiques où se trouvait le royaume de
Naples après le retour du roi ne permettant guère au ministère français d’y employer
avec convenance les mêmes agents qui avaient eu à traiter avec la révolution, je reçus
un congé indéfini pour rentrer en France. J’en profitai au printemps, et je revins
lentement à petites journées par cette belle route de Terni et de Narni, tout
ondoyante de forêts et toute ruisselante de cascatelles, qui conduit en Étrurie comme
dans un jardin du monde planté, taillé et arrosé pour le peuple-roi.
Nous nous arrêtâmes quelques jours à Florence. Le prince de Carignan, devenu depuis
le roi Charles-Albert, repentant de son apparente complicité dans la révolution
militaire de Turin, était venu y cacher sa faute chez son beau-frère, le grand-duc de
Toscane, dans une retraite du palais Pitti ; son écuyer, Sylvain de Costa, un de mes
amis les plus intimes et les plus loyaux, me découvrit dans mon
hôtel ;
il annonça à son prince mon arrivée, et revint de sa part me demander une entrevue
secrète chez moi.
Je ne le permis pas par respect pour ce jeune proscrit d’un trône, et j’allai au
palais Pitti lui présenter mes hommages et des espérances de réconciliation avec la
cause des rois, qu’il ne tarda pas à aller servir en Espagne. Se doutait-il alors
qu’il régnerait vingt ans en Piémont sous la tutelle de l’Autriche et sous l’influence
absolue des jésuites, et qu’il reprendrait, vingt ans après, les ordres des carbonari,
les armes contre l’Autriche, les conspirations contre le pape, le patronage de la
France révolutionnaire, et qu’il laisserait l’Italie conquise et tous les princes, ses
collègues et ses parents, chassés par son fils de ces mêmes palais où lui-même avait
reçu l’hospitalité de famille ?
Ce que l’esprit n’ose prévoir, les événements et les caractères l’amènent.
L’inattendu est le nom des choses humaines. Nos neveux en verront bien d’autres avant
que l’Italie en revienne à la seule unité honnête et forte qui lui convienne et qui
convienne à la France : la confédération-république d’États.
Je passai l’été dans une belle vallée des Alpes, auprès de ma sœur, non
loin de Chambéry. Ma femme, fière de son bel enfant, et trop frêle pour pouvoir le
nourrir longtemps, fut remplacée par une paysanne de la Maurienne, au teint de rose,
aux dents d’ivoire ; mais, hélas ! l’enfant dépérissait sur ce sein de neige : on
n’achète pas la vie, Dieu la donne ou la refuse.
Je résolus de profiter de ce loisir diplomatique, en attendant une nouvelle
destination, pour visiter l’Angleterre et pour faire connaissance avec la famille de
ma femme. Ma belle-mère possédait, dans un des plus riches quartiers de Londres, une
maison élégante et magnifiquement meublée, dans le
voisinage de
Hyde-Park. Nous nous y établîmes pour quelques mois. Je trouvai dans la famille de ma
femme un accueil plein de noblesse et de grâce, qui n’a pas cessé jusqu’à ce jour de
me faire deux patries et deux centres d’affection. L’Angleterre, pays de la famille
par excellence, est aussi le pays de l’adoption. Le cœur reconnaissant s’y partage
entre les sentiments innés et les sentiments acquis.
Après avoir joui quelque temps de l’intimité de cette aimable partie de ma nouvelle
famille, nous louâmes, au bord de la Tamise, à Richmond, une villa recueillie et
solitaire, entre le parc et le fleuve, pour y passer l’été. Ces jours de Richmond,
entre l’étude, les livres, le cheval, les promenades et quelques excursions dans les
forêts et dans les châteaux royaux de l’Angleterre, furent des plus heureux de notre
existence. Un de mes plus intimes amis, le baron de Vignet, neveu des deux comtes de
Maistre, venait d’être nommé secrétaire de l’ambassade de Sardaigne à Londres. Il
venait souvent à Richmond passer avec moi des jours mélancoliques comme son caractère,
à l’ombre de ces arbres séculaires d’Angleterre, où nous nous entretenions de
politique et de poésie, ses deux passions, comme elles étaient déjà les miennes. Il
voyait tout en sombre et rappelait plus les Nuits
d’Young que la sérénité calme de sa patrie. Un autre ami très lettré aussi,
M. de Marcellus, était en même temps que nous à Londres, premier secrétaire de
l’ambassade française, sous l’ambassadeur, notre plus grand poète,
M. de Chateaubriand. Je n’avais pas connu à Paris cet homme illustre autrement que par
mon admiration à distance. Je lui fis ma visite de devoir en arrivant à Londres ; il
oublia de me la rendre ; je n’insistai pas : ce ne fut qu’après mon séjour à Richmond
que, sur l’observation de M. de Marcellus, M. de Chateaubriand me fit une visite et
m’envoya une invitation à un de ses dîners diplomatiques. Je m’y rendis par devoir
plus que par empressement. Il fut froid et un peu guindé avec un jeune homme qui ne
demandait qu’à l’adorer comme un être plus qu’humain. Je sortis contristé de sa table,
et je ne cherchai plus à le voir. Il me parut un homme qui posait pour le grand homme
incompris, qu’il ne fallait voir que de loin, en perspective. Le charme manquait à sa
grandeur ; le charme de la petitesse ou de la grandeur, c’est le naturel.
L’affectation gâte même le génie. Je l’ai toujours admiré, surtout comme puissance
politique ; mais il m’éloigna toujours
de lui, même quand il fut mon
ministre et qu’un mot de lui pouvait me placer sans faveur à un poste plus élevé dans
ma carrière. N’aime pas qui veut ; il ne m’a rendu bien plus que justice qu’après sa
mort, dans ses Mémoires posthumes, où il me plaça comme poète au rang de Virgile et de
Racine, et comme homme politique plus haut que mon siècle ne m’a placé. J’ai souvent
réfléchi par quelle bizarrerie inexplicable ce grand juge m’avait témoigné tant de
défaveur pendant qu’il vivait, en me réservant tant de partialité après sa mort. Je
crois l’avoir deviné, mais je n’oserais jamais le dire.
Un autre homme d’élite, que son indulgence tendre pour moi me permettait d’appeler
mon ami, le duc Mathieu de Montmorency, devint ministre des affaires étrangères dans
les péripéties publiques qui précédèrent le congrès de Vérone. Il n’attendit pas ma
demande pour me nommer à Florence auprès du marquis de La Maisonfort, et
destiné à le remplacer en chef aussitôt que les convenances permettraient de
rappeler ce ministre.
Je revins à Paris avant de me rendre en Toscane. Le marquis de La Maisonfort avait le
genre d’esprit de Rivarol ; c’était un émigré comme Rivarol : il avait autant
d’esprit, et du meilleur, qu’il soit possible d’en concentrer dans une tête humaine,
même au pays de Voltaire et du chevalier de Grammont. Il avait tiré un parti très
habile du malheur de la monarchie et de la fréquentation des princes pendant leur
exil. Les disgrâces même, du sort sont gracieuses aux hommes de cette nature, ils ne
prennent rien trop au sérieux dans la vie. Il y a toujours de la ressource dans
l’esprit souple et flexible d’un courtisan de rois tombés. Il s’était voué de bonne
heure à ce rôle de l’espérance et de l’activité dans les causes en apparence perdues ;
il avait conspiré avec les flatteurs de la haute émigration en Suisse, en Russie, en
Angleterre ; il s’était lié avec M. de Blacas, homme plus sérieux, mais moins aimable
que lui ; Louis XVIII l’aimait pour sa légèreté, il tenait tête à ce monarque en
matière classique et épigrammatique ; il avait écrit en 1814 des brochures royalistes
qui
lui avaient fait un nom d’homme d’État de demi-jour, à l’époque où
une brochure paraissait un événement ; il n’était point ennemi des transactions avec
la révolution pacifiée ; il savait se proportionner aux choses et aux hommes ; il
n’avait aucun préjugé, grande avance pour faire sa place et sa fortune ; mais il la
mangeait à mesure qu’il la faisait. Le roi avait fini par le nommer ministre en
Toscane. Il n’y jouissait pas d’une considération très sérieuse, mais d’une réputation
d’esprit très méritée. Les émigrés, ses contemporains, très légers au commencement,
étaient devenus moroses et pédantesques en vieillissant ; ils reprochaient à M. de La
Maisonfort d’être resté jeune malgré ses années. On le desservait à Paris ; il voulait
y rentrer malgré eux pour se défendre et pour obtenir du roi un poste plus lucratif.
En attendant, il n’avait plus qu’à peu près un an à passer dans l’Italie centrale pour
me laisser, à titre de chargé d’affaires de France, ses trois légations, Florence,
Parme, Modène et Lucques, à diriger.
Incapable de basse jalousie et très capable d’amitié pour un jeune homme
dont la renommée naissante le flattait sous le rapport littéraire, poète lui-même, et
poète très agréable (la touchante et naïve romance gauloise de Griselidis est de lui), il m’accueillit moins en subordonné qu’en ami plus
jeune et en élève tout à la fois politique et poétique ; il me présenta comme son
second et comme son successeur aux principales cours auprès desquelles il était
accrédité.
Celle de Florence, qui était notre principale résidence, se composait d’abord du
grand-duc de Toscane, jeune encore d’années, mais d’une maturité précoce et studieuse
qui annonçait un digne héritier du trône et du libéralisme philosophique de
Léopold.
Léopold, quoique frère de l’empereur d’Autriche, et empereur ensuite lui-même, avait
inoculé le goût et l’habitude des gouvernements libres à l’Italie ; il y avait été le
précurseur de la révolution
et de la tolérance administrative et
religieuse descendues du trône sur les sujets. Le jeune souverain actuel continuait
son oncle. Ses deux ministres, le vieux Fossombroni et le prince Corsini, avaient
conservé les traditions de mansuétude, d’économie et de gouvernement par le peuple
lui-même, de leur maître Léopold. La peine de mort, supprimée par ce prince, n’avait
été rétablie que pour la forme par l’administration française sous Napoléon ;
l’échafaud ne s’était jamais relevé sous le régime grand-ducal ; la Toscane était
l’oasis de l’Europe.
Comment une dynastie qui n’était qu’une première famille libre dans un pays libre,
dont le gouvernement servait de modèle et d’émulation au monde, comment une dynastie
plus que constitutionnelle, qui était à elle seule la constitution et la nationalité
dans la terre des Léopold et des Médicis, a-t-elle été perfidement envahie et
honteusement chassée de cette oasis, créée par elle, et chassée par les Piémontais du
palais Pitti, où le roi Charles-Albert, ce roi d’ambition à tout prix, avait cherché
et trouvé un asile chez ceux-là mêmes qu’il persécutait en reconnaissance de leurs
bienfaits ? On parle de l’ingratitude des peuples, mais de celle des rois, qu’en
dites-vous ?
Deux princesses charmantes, sœurs l’une de l’autre et presque du même
âge, embellissaient cette cour et donnaient de la grâce à ses vertus.
L’une était la jeune veuve du précédent grand-duc, mort récemment ; l’autre était la
grande-duchesse régnante, qui partageait avec sa sœur les honneurs de ce trône à deux.
Princesses de Saxe, elles avaient apporté de ce pays lettré, dans cette terre des
beaux-arts, l’instruction et le goût de tout ce qui est l’idéal des grands esprits et
des cœurs enthousiastes. Elles me reçurent comme Éléonore d’Este et même comme cette
Lucrezia Borgia, tant et si odieusement calomniée, recevaient jadis l’Arioste et le
Tasse dans ces cours de Ferrare et de Mantoue, qui n’étaient que des académies de tous
les grands artistes de l’esprit.
Le grand-duc me témoigna une considération précoce et imméritée, qui ne tarda pas à
se changer, sous les rapports politiques, en véritable
amitié. La crainte
de contrister le marquis de La Maisonfort, qui ne jouissait pas auprès de lui de la
même prédilection, lui fit voiler discrètement, à lui, ses bontés pour moi, et moi, ma
respectueuse affection pour lui. J’en jouissais à la dérobée, le matin, dans sa
bibliothèque du palais Pitti, où je me rendais mystérieusement, et où il venait me
joindre aussitôt qu’il était averti de ma présence, par son bibliothécaire, pour
m’emmener dans son appartement. Là, j’avais l’honneur d’avoir avec le prince des
entretiens confidentiels sur la politique, qui m’ont laissé, pour ses principes et
pour ses vertus, une éternelle admiration. Heureux les peuples qui ont leur sort dans
des mains si pures et si douces ! Malheur aux peuples qui ne savent pas les apprécier
et qui préfèrent s’asservir à des rois chevelus de caserne, au lieu de chérir des
princes philosophes qui ne leur demandent que d’être heureux !
La grande-duchesse, sa femme, sortait quelquefois de son appartement contigu, un de
ses enfants dans les bras, pour venir, comme une simple mère de famille, s’asseoir
gracieusement à ces entretiens. J’en sortais pénétré d’une véritable estime pour le
prince, d’une vénération enthousiaste pour
la princesse. Le bruit de
cette faveur secrète du grand-duc, dont j’étais honoré, ne tarda pas à se répandre
malgré nos précautions. On crut que j’aspirais à changer de patrie et à devenir
ministre favori du grand-duc, au lieu de simple chargé d’affaires de France dans une
cour d’Italie. Le parti autrichien affecta de s’en alarmer ; il n’en était rien, je
n’avais, à cette époque, ni mérité, ni subi les rigueurs de ma patrie, et je n’aurais
eu aucune excuse de chercher à changer de foyer et de devoir.
Mon penchant pour la Toscane et pour les jeunes souverains était entièrement
désintéressé. Je n’aimais rien d’eux qu’eux-mêmes. Si ce prince, maintenant méconnu et
exilé, lit par hasard ces lignes, il y retrouvera, après tant d’années et de
vicissitudes, les mêmes sentiments de respect et d’estime. J’ai été assez heureux et
assez prudent, en 1848, pour lui en donner des preuves muettes, en résistant aux
instances de Charles-Albert et en opposant à ses empiétements contre les princes, ses
anciens hôtes, ses parents et ses alliés, l’inflexible refus de la loyauté de la
République française. Notre devoir, selon moi, n’était pas de fomenter en Italie
l’agrandissement,
diminutif pour la France, de la maison de Savoie, mais
de favoriser une confédération italienne qui constituât la péninsule en États
solidaires contre l’Autriche et reliés à la France par l’éternel intérêt d’une
indépendance commune.
J’attendais mon ami, le comte Aymons de Virieu, qui, déjà souffrant, venait avec sa
famille chercher un climat plus salutaire en Toscane. Je m’étais logé moi-même, et je
lui avais proposé un appartement dans une maison isolée et poétique, à l’extrémité de
la rue di Borgo ogni Santi, entourée, au premier étage, d’un jardin
en terrasse planté de magnifiques caroubiers, et dominant un parc immense, qu’on
appelait la villa Torregiani.
Cette villa n’avait pour tout édifice qu’une tour monumentale élevée à une hauteur
pyramidale au-dessus des sapins les plus sylvestres et les plus sombres. La
destination romanesque et pieuse de
ce monument et
mystérieux ajoutait à cette vue un intérêt qui sacrait pour ainsi dire le bois et la
pierre. On disait que le marquis Torregiani, très bel homme, au visage toscan voilé
par une empreinte de tristesse, y venait tous les jours.
Je le voyais souvent entrer seul dans son jardin, fermé aux curieux ; j’étais à
portée de contempler ce pèlerinage d’amour et de douleur dont on chuchotait tout bas
le motif. L’amour en Italie, comme on peut le voir par la Béatrice
de Dante et par la Laure de Pétrarque, est le plus avoué et en même
temps le plus sérieux des sentiments de l’homme. La femme elle-même, souvent si légère
ailleurs, y est dépourvue de toute coquetterie, ce vain masque d’amour, et de toute
inconstance, cette satiété du cœur qui se lasse avant la mort des attachements conçus
avec réflexion. Les liaisons sont des serments tacites que la morale peut
désapprouver, mais que l’usage excuse et que la fidélité justifie. Le marquis
Torregiani avait conçu et cultivé dès sa jeunesse une passion de cette nature petrarquesse pour une jeune et ravissante femme de race hébraïque,
mariée à un banquier florentin. Cette passion était réciproque et ne portait
aucun ombrage au mari. Le cavalier servant et l’époux, selon l’usage aussi
du pays, s’entendaient pour adorer, l’un d’un culte conjugal, l’autre d’un culte de
pure assiduité, l’idole commune d’attachements différents, mais aussi ardents l’un que
l’autre. Le jeune et charmant objet de ce double culte fut enlevé dans sa première
fleur à son époux et à son adorateur. Mais la mort même ne put séparer les pensées. La
différence du culte interdit au marquis de Torregiani d’élever, à celle qui avait
disparu de ses yeux, un monument dans le cimetière juif où il pût aller pleurer sur sa
cendre. Il s’imagina, dans sa douleur, et inspiré d’étranges imaginations, de se
rapprocher au moins par le regard de la place où elle s’était évanouie de la terre. Il
bâtit cette tour assise par assise, et l’éleva jusqu’à une telle hauteur, qu’elle
dominait tous les palais et tous les clochers de la ville qui pouvaient s’interposer à
la vue entre le cimetière juif et la villa Torregiani ; en sorte qu’en montant au
sommet de sa tour, il pût, à chaque retour du jour, contempler la place de ce campo santo juif, où son idole avait dépouillé sa forme terrestre pour
habiter l’éternelle et pure demeure dans son souvenir et dans le ciel !
Il y passait chaque jour des heures de recueillement et de larmes, dont
cette plate-forme funèbre avait seule le secret. Un sonnet de Pétrarque contenait-il
plus de larmes que ce marbre colossal élevé dans les cieux pour entrevoir un
souvenir ?
Je ne tardai pas à porter mes respects à une majesté découronnée que j’avais visitée
à mon premier voyage. Le souvenir de son second époux, le poète Alfieri, l’illustrait davantage encore que le premier, à mes yeux. C’était la
comtesse d’Albany, reine légataire de l’Angleterre par son mariage avec le dernier des
Stuarts. La comtesse d’Albany, belle autrefois, et toujours aimable, était une fille
de la grande maison flamande des Stolberg, sœur de ces frères Stolberg, célèbres dans
la philosophie et dans la littérature allemande du dernier siècle. Le cardinal d’York,
frère du Prétendant, autrefois héroïque, Charles-Édouard, et réfugié à
Rome, avait fait venir la jeune comtesse en Italie pour lui faire épouser son frère
déjà âgé et déchu de son caractère par un vice excusable dans un héros découragé :
l’ivresse, mère de l’oubli. Le prince avait été séduit par la jeunesse, la beauté et
les grâces intellectuelles de sa compagne ; il l’avait aimée, mais il n’avait pu
conserver son estime, encore moins son amour. Le poète aristocrate piémontais Alfieri,
présenté à Florence à la cour du prince, n’avait pas tardé à plaindre la jeune victime
d’un époux suranné, et à ambitionner le rôle de favori et de consolateur d’une reine.
Il était parvenu sans peine à tourner, en faveur de la comtesse d’Albany, la faveur
passionnée de l’opinion de la société en Toscane. La religion elle-même avait servi de
manteau à l’amour.
Un soir que les deux époux devaient aller ensemble au théâtre, le prince était parti
le premier et se croyait suivi dans une seconde voiture par sa femme, retardée sous un
spécieux prétexte ; mais il l’attendit en vain dans sa loge ; il l’avait vue pour la
dernière fois : un couvent inviolable avait reçu la comtesse et l’avait soustraite aux
droits et aux recherches de son royal époux.
Peu de temps après, Alfieri, voyageant seul
suivi de ses quatorze
chevaux anglais, sur la route de Sienne, s’acheminait mélancoliquement vers Rome, où
la comtesse d’Albany se rendait de son côté par une autre route, allant chercher dans
un couvent la protection de son beau-frère, le cardinal d’York.
Le cardinal se déclara le protecteur de sa belle-sœur auprès du pape. Après quelques
mois de séquestration dans le monastère de Rome, la séparation civile et religieuse
fut prononcée, et la comtesse, libre de ses engagements, se rendit à Paris et dans
d’autres capitales, où elle fut suivie par son poète. Après la mort de son mari-roi,
qui ne tarda pas à succomber à ses excès et à son triste isolement, un mariage secret,
dont on n’a eu néanmoins aucune preuve légale (parce que cette preuve aurait privé la
royale comtesse de la pension que lui faisait l’Angleterre), unit les deux amants.
Ils vécurent quelques années à Paris, au commencement de la Révolution
française, jusqu’aux approches de 1793, dans une retraite qui ne put les dérober à la
persécution commençante. Comment la Révolution, qui décapitait une reine, fille
d’empereur, à côté de son double trône, avait-elle respecté une reine découronnée et
fugitive ? Le poète tragique piémontais, qui avait été jusque-là le plus ardent et le
plus inflexible des démocrates, à condition que la démocratie ne touchât ni aux
privilèges de la noblesse piémontaise, ni aux prétentions littéraires de son pâle
génie, s’indigne contre la double profanation des républicains français. Toute sa
colère d’imagination contre la tyrannie des rois de Turin se changea en rage contre
l’audace des peuples démocratisés par la France ; il assouvit sa haine à huis clos,
par le Miso Gallo, recueil d’invectives mal rimées et d’épigrammes
sans dard, contre le pays, les hommes, les principes qu’il avait exaltés jusque-là. Il
fit imprimer en même temps, chez Didot, les quatorze tragédies
mort-nées qu’il s’était imposé la tâche d’écrire comme des exercices d’écolier
classique, plus que comme des effusions de sa nature, et il alla se confiner, avec sa
gloire inédite en poche, dans sa retraite de Florence.
Les Italiens, qui ne possédaient aucun poète dramatique, prétendirent en avoir trouvé
un dans Alfieri, comme lui-même prétendit leur en donner un sans originalité et sans
verve. On le prit au mot de ses prétentions, non seulement en Italie, mais en France,
où on le jugea sur parole. Il passa grand homme avant quarante ans, et s’ensevelit
dans une gloire morose, au fond d’une élégante maison, sur le quai de l’Arno,
qu’habitait avec lui la comtesse d’Albany.
Moi aussi je fus, pendant mes premières années poétiques, infatué sur parole du
mérite de ce grand homme d’intention. J’achetai ses œuvres en douze volumes, et je
voyageai par tous pays muni de ce viatique ; je fus longtemps avant de découvrir que
le vide était plus sonore que le plein, et que la froide déclamation n’était pas de la
poésie, encore moins du drame. Possédé alors, comme tous les jeunes gens, et sentant,
comme les jeunes Italiens
avec lesquels j’avais été élevé, la forte haine
de la tyrannie, j’adorais ce parodiste de Sénèque le tragique, et je me croyais
d’autant plus initié à la vertu civique que j’avais plus d’enthousiasme pour lui. Ce
ne fut que plus tard que je me rendis compte de cette fausse grandeur guindée sur des
échasses, et de cette fausse poésie qui déclame et qui ne sent rien. Cette tragédie de
parade ressemble à Shakspeare comme l’éloquence de club à l’éloquence de Cicéron ou de
Mirabeau.
La véritable maladie dont Alfieri mourut à quarante ans était l’ennui qu’il éprouvait
lui-même de ses propres œuvres ; aussi se réfugiait-il dans l’étude du grec et dans
des poésies systématiques, épigrammatiques, civiques, démocratiques, aristocratiques,
qui fatiguaient l’esprit sans nourrir le cœur. Ses Mémoires seuls,
cet étrange et amoureux monument de son amour pour la comtesse d’Albany, méritent
d’être recueillis et de survivre.
Il y a dans ces Mémoires autant
d’originalité que de grandeur et de passion ; là, son caractère savait véritablement
participer de la majesté de sa royale idole.
Il mourut chez la comtesse d’Albany, qui fit élever par Canova, dans l’église de
Santa Croce, un magnifique monument avec la statue colossale de l’Italie pleurant son
poète. Ce monument est comme l’homme, plus déclamatoire qu’éloquent ; c’est le
mausolée académique d’une poésie de convention. Le grand peintre français Fabre, de
Montpellier, ami de la comtesse d’Albany, fut son consolateur, et, l’on croit, son
troisième mari. C’était un Poussin moderne tout à fait italianisé par son talent et
par son culte pour Raphaël, dont il recherchait les moindres vestiges, et dont il
légua, à sa mort, les reliques retrouvées au musée de sa ville natale,
Montpellier.
Les lettres de la comtesse de Virieu, veuve du membre de l’Assemblée nationale,
intimement liée
avec la comtesse d’Albany, m’avaient accrédité chez elle.
Sa maison, modeste, élégante, lettrée, était le sanctuaire quotidien des personnages
les plus distingués de Florence, Athènes alors de l’Italie. Le comte Gino Capponi,
héritier du grand nom et de la grande influence de ses ancêtres, avec qui j’étais lié
d’ancienne date à Paris, y venait tous les jours. C’était et c’est encore le génie de
la Toscane historique ressuscité ; il désirait la liberté et l’indépendance de sa
patrie, restaurée sous ses souverains libéralisés, mais nullement la destruction du
nom de la Toscane et l’usurpation de la maison de Savoie sous les Piémontais,
considérés alors comme de bons soldats des frontières, et nullement comme des maîtres
dignes de l’Italie régénérée. Le comte Gino Capponi, porté au ministère par les
premiers flots de la révolution italienne, y agit dans ce sens patriotique et
émancipateur de l’étranger, jusqu’au moment où la fausse idée d’une unité absorbante
détruisit, sous le carbonarisme des radicaux, les vraies nationalités historiques dont
l’Italie se compose, pour saper l’histoire sous la chimère et pour agir par la
violence, à contresens de la nature, en détournant les peuples et les princes d’une
puissante et naturelle confédération italienne.
Le comte Capponi rentra alors dans la retraite en faisant des vœux pour
l’Italie sous toutes ses formes. Une cécité précoce condamna à l’inaction ce grand et
généreux citoyen, que l’estime et la reconnaissance de sa patrie accompagnent jusque
dans ses invalides du patriotisme. Puissent ces lignes lui apprendre
que l’amitié survit au-delà du bonheur et de la popularité pour les hommes dignes
d’être aimés à tous les âges !
La comtesse d’Albany m’accueillit avec une gracieuse bonté dans ce cercle étroit des
nationaux et des étrangers qui venaient honorer, dans sa personne, moins la reine d’un
empire évanoui que la souveraine légitime de la grâce et de l’esprit dans la
conversation. On ne pouvait s’empêcher de chercher encore sur sa figure douce, fine,
intelligente et passionnée, les traces de la beauté qui l’avait fait adorer dans un
autre âge. On ne les y retrouvait que dans la physionomie, cette immobilité
du visage. La nature flamande de sa carnation rappelait les portraits de
Rubens plus que ceux des belles Italiennes du moyen âge ; son corps s’était alourdi
par la chair ; ses joues, encore fraîches, donnaient trop de largeur à sa figure ;
mais l’éclat tempéré de ses beaux yeux bleus et le sourire très affectueux de ses
lèvres faisaient souvenir de l’attrait qu’ils devaient avoir à quinze ans. On ne
s’étonnait pas qu’elle eût été aimée pour ses charmes avant de l’être pour ses
aventures et pour ses infortunes ; c’était de la poésie encore, mais de la poésie
survivant aux années, qui la surchargeaient de leur embonpoint sans l’effacer, parce
qu’elle est de l’âme et non de la chair. Le feu doux de la passion mal éteinte
illumine encore les traits où elle a resplendi. Le reflet de l’amour est
l’illumination du visage jusque dans l’ombre des années.
Ma renommée de poète à peine éclos, ma qualité de diplomate français,
l’accueil dont j’étais l’objet à la cour du souverain, mon bonheur intérieur, la
présence de mes meilleurs amis, le loisir réservé à la poésie de ma vie comme à celle
de mes pensées, ma reconnaissance pour tous ces dons de la Providence et mon penchant
à la contemplation pieuse qui s’est toujours accru en moi dans les moments heureux de
mon existence, comme les parfums de la terre qui s’élèvent mieux sous les rayons du
soleil que sous les frimas des mauvais climats, semblaient me promettre une félicité
calme dont je remerciais ma destinée ; lorsqu’un événement étrange et inattendu vint
changer du jour au lendemain cet agréable état de mon âme en une sorte de proscription
sociale qui se déclara soudainement contre moi, et qui me fit craindre un moment de
voir ma carrière diplomatique coupée et abrégée au moins en Italie, ce
pays du monde dont j’aimais le plus à me faire une patrie d’adoption.
Voici cette bizarre et malheureuse péripétie de mon bonheur.
Peu de temps avant mon départ de France pour mon poste à Florence, le plus grand,
selon moi, de tous les poètes modernes, était mort en Grèce, tout jeune encore et dans
le seul acte généreux, désintéressé, héroïque, qu’il eût tenté jusque-là pour racheter
par la vertu les excentricités et les juvénilités peu sensées et peu louables de sa
vie. Je veux parler de lord Byron, ce proscrit volontaire de sa famille et de sa
patrie, qui avait eu le courage, comme le Renaud du Tasse, de quitter mieux qu’Armide,
pour voler au secours d’une ombre de peuple par amour pour l’humanité et pour ce que
nous appelions alors la gloire.
À son arrivée à Missolonghi avec de l’or et des armes, le ciel lui avait refusé
l’occasion d’illustrer
deux fois son nom de poète en y ajoutant le nom de
héros, d’homme d’État et de libérateur de la Grèce. S’il vivait aujourd’hui, la Grèce,
selon toute probabilité, ne chercherait pas d’autre roi.
Lord Byron avait commencé sa réputation immortelle par la publication d’un poème en
quatre chants, ou plutôt d’une grande excentricité poétique, aussi originale et aussi
vagabonde que son imagination, intitulée le Pèlerinage de Childe
Harold. C’était comme un lai des sirventes, comme une légende
du moyen âge, dont les seuls événements étaient ses impressions et ses amours, ses
songes dans les différentes terres et dans les différentes mers qu’il avait
parcourues.
Ce poème avait allumé l’imagination de son temps à proportion du plus ou moins
d’élément combustible que ces imaginations portaient en elles-mêmes. La mienne en
avait été incendiée, et c’est une de ces impressions que l’âge, les revers, les
vicissitudes prosaïques de l’existence n’ont pas affaiblies en moi. Les morsures du
charbon sacré ne se cicatrisent pas dans le cœur des poètes.
La mort de lord Byron fut un deuil profond pour moi-même. Je me souviens
encore de la matinée, à Mâcon, où ma mère, qui connaissait ma passion pour ce Tasse et
pour ce Pétrarque des Anglais dans un seul homme, craignant l’effet soudain et
inattendu que ferait sur moi cette mort d’un inconnu, entrouvrit mes rideaux d’une
main prévoyante et m’annonça avec précaution la catastrophe du poète, comme elle
m’aurait annoncé une perte de famille. Elle portait sur sa physionomie l’empreinte de
la douleur qu’elle pressentait dans mon cœur. Mon deuil en effet, à moi, fut immense
et ne se consola jamais de cette étoile éteinte dans le ciel de la
poésie de notre siècle. Il avait beau avoir écrit cette parodie de l’amour intitulée
Don Juan. C’était une débauche de colère et de cynisme contre
lui-même, un reniement de saint Pierre que le Dieu déplore et pardonne. Sa poésie est
éternelle, parce qu’elle
pleure mieux qu’elle ne fait semblant de rire.
Sa note sensible s’empare de l’âme comme une harmonica céleste. Les
nerfs en souffrent, mais le cœur en saigne, et les gouttes de sang qui en découlent
sont les délices des cœurs sensibles.
Vivement frappé de cette perte, l’idée me vint, idée en général malheureuse, de payer
un tribut de deuil et de gloire à ce roi des poètes contemporains, en continuant ce
poème sous le titre de Cinquième chant de Childe Harold. Je
l’écrivis tout d’une haleine, trop vite, comme tout ce que j’ai écrit ou fait dans
cette improvisation perpétuelle qu’on appelle ma vie, excepté quand l’événement qui
presse ne laisse pas le temps de délibérer, et où le meilleur conseil, c’est
l’inspiration.
Je supposai que lord Byron vivait encore et que le génie, qui lui avait inspiré les
quatre premiers chants de son poème, inspirait encore à son génie le récit de sa
propre mort. Mécontent de la somnolence
de l’Italie, le poète, en la
quittant, lui adressait des adieux pleins d’amers reproches. Mais, dans mon plan, ces
adieux n’étaient pas dans ma bouche, ils étaient dans la sienne, et parfaitement
conformes aux sentiments exagérés qu’il avait maintes fois exprimés lui-même en vers
et en prose, sentiments des radicaux ou des carbonari étrangers, avec lesquels il
était en relation pendant qu’il habitait Venise, les bords du Pô ou les rives de
l’Arno.
Voici ces vers :
Quelque chose de plus
, mais quoi donc
? il
ignore.
Voici comment je rends compte dans mes de cet
événement.
J’étais secrétaire d’ambassade à Naples. Je quittais Naples et Rome en 1822. Je vins
passer un long congé à Paris. J’y fis paraître la Mort de Socrate,
les Secondes Méditations. J’y composai, après la mort de lord Byron,
le cinquième chant du poème de Childe Harold.
Dans ce dernier poème, je supposais que le poète anglais, en partant pour aller
combattre et mourir en Grèce, adressait une invective terrible à l’Italie pour lui
reprocher sa mollesse, son sommeil, sa voluptueuse servitude. Cette apostrophe
finissait par ces deux vers :
Les poètes italiens eux-mêmes, Dante, Alfieri, avaient dit des
choses aussi dures à leur patrie.
Ces reproches, d’ailleurs, n’étaient pas dans ma bouche, mais dans la
bouche de lord Byron : ils n’égalaient pas l’âpreté de ses interpellations à l’Italie.
Ce poème fit grand bruit : ce bruit alla jusqu’à Florence. J’y arrivai deux mois après
en qualité de premier secrétaire de légation.
À peine y fus-je arrivé qu’une vive émotion patriotique s’éleva contre moi. On
traduisit mes vers séparés du cadre, on les fit répandre à profusion dans les salons,
au théâtre, dans le peuple ; on s’indigna dans des articles de journaux et dans des
brochures, de l’insolence du gouvernement français, qui envoyait, pour représenter la
France dans le centre de l’Italie littéraire et libérale, un homme dont les vers
étaient un outrage à l’Italie. La rumeur fut grande, et je fus quelque temps proscrit
par toutes les opinions. Il y avait alors à Florence des exilés de Rome, de Turin, de
Naples, réfugiés sur le sol toscan, à la suite des trois révolutions qui venaient de
s’allumer et de s’éteindre dans leur patrie. Au nombre de ces proscrits se trouvait le
colonel Pepe. Le colonel Pepe était un des officiers les plus distingués de l’armée ;
il avait suivi Napoléon en Russie ; il était, de plus, écrivain de talent. Il prit en
main la cause de sa
patrie ; il fit imprimer contre moi une brochure dont
l’honneur de mon pays et l’honneur de mon poste ne me permettaient pas d’accepter les
termes. J’en demandai satisfaction. Nous nous battîmes dans une prairie au bord de
l’Arno, à une demi-lieue de Florence. Nous étions tous les deux de première force en
escrime. Le colonel avait plus de fougue, moi plus de sang-froid. Le combat dura dix
minutes. J’eus cinq ou six fois la poitrine découverte du colonel sous la pointe de
mon épée : j’évitai de l’atteindre. J’étais résolu de me laisser tuer, plutôt que
d’ôter la vie à un brave soldat criblé de blessures, pour une cause qui n’était point
personnelle, et qui, au fond, honorait son patriotisme. Je sentais aussi que si
j’avais le malheur de le tuer, je serais forcé de quitter l’Italie à jamais. Après
deux reprises, le colonel me perça le bras droit d’un coup d’épée. On me rapporta à
Florence. Ma blessure fut guérie en un mois.
Les duels sont punis de mort en Toscane. Le nôtre avait eu trop d’éclat
pour que le gouvernement pût feindre de l’ignorer. Ma qualité de représentant d’une
puissance étrangère me couvrait ; la qualité de réfugié politique aggravait celle du
colonel Pepe. On le recherchait. J’écrivis au grand-duc, prince d’une âme grande et
noble, qui m’honorait de son amitié, pour obtenir de lui que le colonel Pepe ne fût ni
proscrit de ses États, ni inquiété pour un fait dont j’avais été deux fois le
provocateur. Le grand-duc ferma les yeux. Le public, touché de mon procédé et attendri
par ma blessure, m’applaudit la première fois que je reparus au théâtre. Tout fut
effacé par un peu de sang entre l’Italie et moi. Je restai l’ami de mon adversaire,
qui rentra plus tard dans sa patrie et devint général.
Un de mes amis avait relevé ma cause dès la première émotion de cette querelle, et il
avait écrit, en quelques pages de sang-froid et d’analyse,
une défense
presque judiciaire de mes vers calomniés. Mais je ne voulus plaider de la plume
qu’après le jugement de l’épée, et je ne consentis à publier cette défense que lorsque
je pus la signer de la goutte de sang de ce duel d’honneur non personnel, mais
national.
J’en donne ici quelques , comme pièces justificatives de cet étrange procès
littéraire.
On a donné, dans quelques écrits récemment publiés en Italie, de fausses
interprétations d’un passage du cinquième chant du poème de Childe
Harold, interprétations dont l’auteur a été profondément affligé, et
auxquelles on croit convenable de répondre. Les esprits impartiaux apprécieront sans
doute les motifs du silence que M. de Lamartine a gardé jusqu’ici, et la justesse de
ces observations.
Un auteur ne doit jamais défendre ses propres ouvrages, mais un homme qui se
respecte doit venger ses sentiments méconnus. Fidèle à ce principe,
M. de Lamartine n’a jamais répondu aux critiques littéraires que par le silence ;
mais il repousse avec raison des opinions et des sentiments que l’erreur seule peut
lui imputer.
Le passage inculpé est une imprécation poétique contre l’Italie en général ;
imprécation que prononce Childe Harold au moment où, quittant pour jamais les
contrées de l’Europe, contre lesquelles sa misanthropie s’exhalait souvent avec
toutes les expressions de la haine, il s’élançait vers un pays où son imagination
désenchantée lui promettait des émotions nouvelles. Cette imprécation renferme ce
que renferme toute imprécation, c’est-à-dire tout ce que l’imagination d’un poète,
quand il rencontre un pareil sujet, peut lui fournir de plus fort, de plus général,
de plus exagéré, de plus vague, contre la chose ou le pays sur lesquels s’exerce la
fureur poétique de son héros. Si l’on veut une idée juste d’une pareille figure,
qu’on lise les diatribes d’Alfieri contre la France, son langage, ses mœurs, ses
habitants ; les imprécations de Corneille contre Rome, celle de Dante, de Pétrarque,
et de presque tous les poètes italiens contre leur propre patrie, celles même de
lord Byron contre quelques-uns de ses compatriotes ;
qu’on lise enfin
tous les satiriques de tous les siècles, depuis Juvénal jusqu’à Gilbert. De pareils
morceaux n’ont jamais rien prouvé, que le plus ou moins de talent de leurs auteurs à
se pénétrer des couleurs de leur sujet, ou à exercer leur verve satirique sur des
nations ou des époques, c’est-à-dire sur des abstractions inoffensives.
Voilà cependant de quel fondement des critiques italiens et quelques personnes mal
informées ont voulu conclure les opinions et les sentiments de M. de Lamartine sur
l’Italie. Hâtons-nous d’ajouter cependant que la plupart des personnes qui sont
tombées dans cette erreur ne connaissaient de l’ouvrage que ce seul passage, et que,
le lisant séparé de l’ensemble qui l’explique, et le croyant placé dans la bouche du
poète lui-même, l’accusation pouvait leur paraître plus plausible.
Rétablissons les faits : l’imprécation du cinquième chant de Childe
Harold n’a jamais été l’expression
des sentiments de
M. de Lamartine sur l’Italie. Ces vers ne sont nullement dans sa bouche, ils sont
dans la bouche de son héros ; et si jamais il a été possible de confondre le héros
et l’auteur, et de rendre l’un solitaire des opinions de l’autre, à coup sûr ce
n’était pas ici le cas. Childe Harold, ou lord Byron, que ce nom désigne toujours,
est non seulement un personnage très distinct de M. de Lamartine, il en est encore
en toute chose l’opposé le plus absolu. Irréligieux jusqu’au scepticisme, fanatique
de révolutions, misanthrope jusqu’au mépris le moins déguisé pour l’espèce humaine,
paradoxal jusqu’à l’absurde, Childe Harold est partout et toujours, dans ce
cinquième chant, le contraste le plus prononcé avec les idées, les opinions, les
affections, les sentiments de l’auteur français ; et peut être M. de Lamartine
pourrait-il affirmer avec vérité qu’il n’y a pas dans tout ce poème quatre vers qui
soient pour lui l’expression d’un sentiment personnel. Le genre même de l’ouvrage
peut rendre raison d’une pareille dissemblance : ce cinquième chant est, en effet,
une continuation de l’œuvre d’un autre poète, œuvre où cet autre poète célébrait son
propre caractère et ses impressions les plus intimes ; sorte
de
composition où l’auteur doit, plus que tout autre, se dépouiller de lui-même et se
perdre dans sa fiction. Ajoutons que ce cinquième chant était même destiné à
paraître sous le nom de lord Byron, et comme la traduction d’un fragment posthume de
cet illustre écrivain.
Mais depuis quand un auteur serait-il solidaire des paroles de son héros ? Quand
lord Byron faisait parler Manfred, le Corsaire ou Lara ; quand il mettait dans leur
bouche les imprécations les plus affreuses contre l’homme, contre les institutions
sociales, contre la Divinité ; quand ils riaient de la vertu et divinisaient le
crime, a-t-on jamais confondu la pensée du poète et celle du brigand ? et un
tribunal anglais s’est-il avisé de venir demander compte à l’illustre barde des
opinions du corsaire ou des sentiments de Lara ? Milton, le Dante, le Tasse, sont
dans le même cas : toute fiction a été de tout temps permise aux poètes, et aucun
siècle, aucune nation ne leur a imputé à crime un langage conforme à leur
fiction.
Mais si l’usage de tous les temps et le bon sens de tous les peuples
ne suffisaient pas pour établir ici cette distinction entre le poète et le héros,
M. de Lamartine avait pris soin de l’établir d’avance dans la préface même de son
ouvrage. « Il est inutile, dit-il, de faire remarquer que la plupart des morceaux de
ce dernier chant de Childe Harold se trouvent uniquement dans la
bouche du héros que, d’après ces opinions connues, l’auteur français ne pouvait
faire parler contre la vraisemblance de son caractère. Satan, dans Milton, ne parle
point comme les anges. L’auteur et le héros ont deux langages très opposés, etc. »
(Préface de la première édition d’Harold.)
Lamartine.
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