(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Hugo, Victor (1802-1885)

[Bibliographie]

Odes et poésies diverses (1822).  Bug-Jargal (1826).  Odes et Ballades (1826).  Cromwell, préface et drame (1827).  Les Orientales (1829).  Le Dernier Jour d’un condamné (1829).  Hernani (1830).  Marion de Lorme (1831).  Notre-Dame de Paris (1831).  Les Feuilles d’automne (1882).  Le Roi s’amuse (1832).  Lucrèce Borgia (1830).  Marie Tudor (1833).  Étude sur Mirabeau (1834).  Claude Gueux (1834).  Les Chants du crépuscule (1835).  Angelo (1835).  Les Voir intérieures (1837).  Ruy Blas (1838).  Les Rayons et les Ombres (1840).  Le Rhin (1842).  Les Burgraves (1843).  Napoléon le Petit (1852).  Les Châtiments (1852).  Les Contemplations (1856).  La Légende des siècles, 1re série (1859).  Les Misérables (1862).  Littérature et philosophie mêlées (1864).  William Shakespeare (1864).  Les Chansons des rues et des bois (1865).  Les Travailleurs de la mer (1866).  L’Homme qui rit (1869).  Non ! pamphlet (1870).  Actes et paroles (1872).  L’Année terrible (1872).  Quatrevingt-treize (1873).  La Légende des siècles, 2e série (1877).  L’Art d’être grand-père (1877).  Histoire d’un crime (1877).  Discours pour Voltaire (1878).  Le Pape (1878).  La Pitié suprême (1879).  L’Âne (1880).  Religion et Religions (1880).  Les Quatre Vents de l’Esprit (1882).  Torquemada (1882).  La Légende des siècles, 3e série (1883).  L’Archipel de la Manche (1883).  Le Théâtre en liberté (1884).  La Fin de Satan (1886).  Théâtre en liberté : Prologue ; La Grand’mère ; L’Épée ; Mangeront-ils ; Sur la lisière d’un bois ; Les Gueux ; Être aimé ; La Forêt mouillée (1886).  Choses vues, 1re série (1887).  Toute la lyre (1888).  Amy Robsart ; Les Jumeaux (1889).  En Voyage ; Alpes et Pyrénées (1890).  Dieu (1891).  Toute la lyre, 2e série (1893).  Correspondance, tome Ier, de 1815 à 1835 (1896).  Les Années funestes, 1852 à 1870 (1898).  Choses vues, 2e série (1899).  Le Post-Scriptum de ma vie (1901).

OPINIONS.

Chateaubriand

J’ai retrouvé, Monsieur, dans votre Ode sur Quiberon le talent que j’ai remarqué dans les autres pour la poésie lyrique ; elle est de plus extrêmement touchante, et elle m’a fait pleurer.

[Lettre (Berlin, le 20 mars ).]

Alexandre Soumet

On est saisi d’une émotion qui va jusqu’aux larmes, lorsqu’on vient à se souvenir que de pareils vers sont l’ouvrage d’un jeune homme de 22 ans. Ah ! que M. Victor Hugo ne désespère pas ainsi de lui-même, de son siècle et du pouvoir de la poésie. Qu’il rouvre les voiles du temple, et que, soutenue du redoutable esprit qui l’anime, sa muse combatte longtemps encore les penchants égoïstes et les révoltes intérieures de l’homme demeuré seul avec ses passions !

[Article sur les Nouvelles Odes, dans La Muse française ().]

Alexandre Soumet

Je lis et je relis sans cesse votre Cromwell, cher et illustre Victor Hugo, tant il me paraît rempli de beautés les plus neuves et les plus hardies ! Quoique, dans votre préface, vous nous traitiez impitoyablement de mousses et de lierres rampants, je n’en rendrai pas moins justice à votre aimable talent, et je parlerai de votre œuvre michelangesque comme je parlais autrefois de vos Odes.

[Lettre ().]

Jay

Le drame de Cromwell n’a excité en moi d’autre sentiment que celui de la commisération pour un jeune homme avec d’heureuses dispositions, d’un caractère très estimable, et qui, dans quelques productions lyriques, a montré un vrai talent.

[1827.]

L. Baour-Lormian

Mais Boileau ne fit plus que par sa renommée !
Dans la tombe, avec lui, la Satire enfermée
Avec impunité les Hugo font des vers
[.]

Pierre Leroux (?)

La comparaison symbolique n’avait jamais été répandue dans des vers français avec beaucoup d’audace avant M. Hugo. C’est par là que le style de M. Hugo differe essentiellement de celui de M. de Lamartine. Je ne sais si je m’abuse, mais il me semble que cette force de représenter tout en emblèmes, exagérée jusqu’au point de ne pouvoir souffrir l’abstraction, est le trait caractéristique de la poésie de M. Hugo. Il lui doit ses plus grandes beautés et ses défauts les plus saillants. C’est par là qu’il s’élève quelquefois à des effets jusqu’à présent inconnus ; et c’est là aussi ce qui le fait tomber dans ce qu’on prendrait pour de misérables jeux de mots. On pourrait définir une partie de sa manière : la profusion du symbole. Avec cette tournure de génie, il devait être entraîné, même à son insu, vers l’étude du style oriental. Le sujet et jusqu’au titre de son dernier recueil sont un indice de son talent.

Brifaut, Chéron, Laya et Sauvo

Quelque étendue que j’ai donnée à cette analyse (d’Hernani), elle ne peut donner qu’une idée imparfaite de la bizarrerie de cette conception et des vices de son exécution. Elle m’a semblé un tissu d’extravagances, auxquelles l’auteur s’efforce vainement de donner un caractère d’élévation, et qui ne sont que triviales et souvent grossières. Cette pièce abonde en inconvenances de toute nature. Le roi s’exprime souvent comme un bandit. Le bandit traite le roi comme un brigand. La fille d’un grand d’Espagne n’est qu’une dévergondée, sans dignité ni pudeur, etc. Toutefois, malgré tant de vices capitaux, je suis d’avis que non seulement il n’y a aucun inconvénient à autoriser la représentation de cette pièce, mais qu’il est d’une sage politique de n’en pas retrancher un seul mot. Il est bon que le public voie jusqu’à quel point d’égarement peut aller l’esprit humain affranchi de toute règle et de toute bienséance.

Armand Carrel

Vienne le poète, dit M. Hugo ; vienne l’homme qui inscrira son nom sur la colonne de la Révolution après ceux de Mirabeau et de Napoléon ! Les amis de M. Victor Hugo assurent que le poète est venu, que ce troisième astre de gloire et de liberté a lui sur la patrie. N’ont-ils pas tressé les couronnes ? N’ont-ils pas cherché partout, dans les loges, dans les couloirs, dans les escaliers, ce glorieux rénovateur, qu’ils voulaient emporter sur leurs épaules, et qui s’enfuyait pour ne pas être étouffé dans son triomphe ! M. Hugo ne s’en souvient plus. Il rend grâce à cette jeunesse puissante qui a porté aide et faveur à l’ouvrage d’un jeune homme sincère et indépendant comme elle. Mais il a l’air de croire qu’elle s’est méprise dans son enthousiasme et que le véritable régénérateur de l’art n’est pas venu. Ainsi ce n’est pas lui encore qui peut accomplir cette révolution tant promise ; ce n’est pas non plus l’élégant traducteur d’Othello , ni le désolé Joseph Delorme, ni l’admirable M. Musset, qui voit la lune au bout d’un clocher comme un point sur un i ; ce ne sera pas non plus l’infortuné Dovalle qui vient de mourir tout exprès pour tromper les grandes espérances qu’on fondait sur lui ; un poète s’élèvera, plus étonnant que tout cela : M. Hugo ne dit pas quand

Ce que nous avons dit à l’occasion d’Hernani s’appliquera à beaucoup de productions du même genre, et nous n’aurons plus à revenir sur la question principale : la liberté dans l’art réclamée au même titre que la liberté dans la société. Tout le mal est dans cette confusion, et M. Hugo est la preuve de toutes les extravagances auxquelles un homme capable de faire de belles choses peut être entraîné par elle.

[National (24 mars ).]

Adolphe Granier de Cassagnac

Nous avons lu des articles où l’on reproche à M. Victor Hugo d’aller chercher son histoire dans des livres inconnus, au lieu de la prendre dans les ouvragestout le monde puise. En vérité, un reproche semblable est si insensé, qu’il nous en coûte d’y répondre. Cependant les critiques devraient considérer que, puisque eux-mêmes ils n’ont pas trouvé dans les histoires générales les détails de la vie des familles du moyen âge, c’est qu’il faut sans doute les aller chercher ailleurs. Les livres où ces détails se trouvent peuvent bien être inconnus d’eux, mais il ne suit pas de là qu’ils le soient de tout le monde En engageant le Théâtre-Français à jouer toutes les œuvres des maîtres et toutes les pièces notables, depuis Rotrou, comme étude de l’art et de la langue française et comme introduction à la littérature dramatique d’aujourd’hui, nous avons rapporté le drame moderne à M. Victor Hugo parce qu’il en est non pas le seul, mais le principal soutien. Ce n’est pas nous qui voudrions ôter ni à M. Dumas, ni à M. de Vigny la part de gloire qui leur revient ; mais M. de Vigny n’ayant fait que deux pièces, et M. Dumas s’étant donné des collaborateurs dans la plupart des siennes, à part même toute préférence littéraire et toute question d’école, M. Victor Hugo se trouve être celui des trois qui a le plus longuement et le plus sérieusement travaillé. Le drame actuel repose donc sur lui plus que sur tout autre. Nous n’avons pas voulu celer d’ailleurs que toutes nos sympathies sont pour M. Hugo, nos sympathies pour ses ouvrages, notre amitié pour sa personne. Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de haïr quelqu’un pour lui rendre justice. Les amis de M. Victor Hugo, car la critique s’en préoccupe fort, ne sont pas gens pour cacher leurs affections ou leurs idées, parce qu’elles sont sincères, pures et réfléchies. Il y a d’ailleurs assez de périls littéraires à cette amitié pour qu’elle soit de bon goût et assez d’injure pour qu’elle soit sacrée.

[Le Journal des débats ().]

Armand Carrel

Sur Hernani : Peut-on dire que ce soit là l’honneur castillan ? Nous mettrions volontiers M. Hugo au défi de publier l’anecdote dont il s’est inspiré ; et, si jamais il y a eu, en Espagne ou ailleurs, un sentiment général, une frénésie d’honneur qui puisse autoriser le cinquième acte d’Hernani, nous dirons que c’est une belle chose que cette catastrophe. En attendant, il nous sera permis de trouver que M. Hugo n’a peint que des insensés, et, malheureusement pour lui, des insensés conséquents avec eux-mêmes d’un bout de la pièce à l’autre. On ne peut attaquer par trop d’endroits à la fois une production pareille, quand on voit par la préface des Consolations (de Sainte-Beuve) la déplorable émulation qu’elle peut inspirer à un esprit délicat et naturellement juste.

[National (29 mars ).]

H. de Balzac

Vous qui, par le privilège des Raphaël et des Pitt, étiez déjà grand poète à l’âge où les hommes sont encore si petits, vous avez, comme Chateaubriand, comme tous les vrais talents, lutté contre les envieux embusqués derrière les colonnes, ou tapis dans les souterrains du journal. Aussi désirai-je que votre nom glorieux aide à la victoire de cette œuvre que je vous dédie, et qui, selon certaines personnes, serait un acte de courage autant qu’une histoire pleine de vérité. Les journalistes n’eussent-ils donc pas appartenu, comme les marquis, les financiers, les médecins et les procureurs, à Molière et à son Théâtre ? Pourquoi donc la Comédie humaine, qui castigat ridendo mores , excepterait-elle une puissance, quand la Presse parisienne n’en excepte aucune ?

Je suis heureux, Monsieur, de pouvoir me dire aussi votre sincère admirateur et ami.

[Dédicace des Deux Poètes.]

Gustave Planche

Le Roi s’amuse : Depuis dix ans, M. Hugo n’a pas innové moins hardiment dans la langue que dans les idées et les systèmes littéraires. Il a imprimé aux rimes une richesse oubliée depuis Ronsard, aux rythmes et aux césures des habitudes perdues depuis Régnier et Molière et retrouvées studieusement par André Chénier. Au mouvement, au mécanisme intérieur de la phraséologie française, il a rendu ces périodes amples et flottantes que le xviiie  siècle dédaignait, qui avaient été s’effaçant de plus en plus sous les petits mots, les petites railleries des salons de Mme Geoffrin. L’éclat pittoresque des images, l’heureuse alliance et l’habile entrelacement des sentiments familiers et des plus sublimes visions, que de merveilles n’a-t-il pas faites ! Nul homme parmi nous n’a été plus constant et plus progressif. La voie qu’il avait ouverte, il l’a suivie courageusement sous le feu croisé des moqueries et du dédain. D’année en année, il révélait une nouvelle face de son talent et en même temps un certain ordre d’idées. Chacun de ses ouvrages signale un perfectionnement très sensible dans l’instrument littéraire ; mais tous, pourtant, sont empreints d’un commun caractère : ils procèdent plutôt de la pensée solitaire et recueillie, écoutant au-dedans d’elle-même les voies confuses de la rêverie et de l’imagination, que d’un besoin logique de systématiser sous la forme épique et dramatique les développements d’une passion observée dans la vie ou d’une anecdote compliquée d’incidents variés. Dans le roman, dans le drame, comme dans l’ode, il est toujours le même. Il lui faut des contrastes heurtés qui fournissent au développement stratégique de ses rimes, de ses similitudes, de ses images, de ses symboles, de magnifiques occasions, de périlleux triomphes. Pour le maniement de la langue, M. Hugo n’a pas de rival ; il fait de notre idiome ce qu’il veut. Il le forge et le rend solide, âpre et rude comme le fer ; il le trempe comme l’acier, le fond comme le bronze, le cisèle comme l’argent ou le marbre. Les lames de Tolède, les médailles florentines ne sont pas plus acérées ou plus délicates que les strophes qu’il lui plaît d’ouvrer.

[Revue des deux mondes ().]

Sainte-Beuve

Les Chants du crépuscule non seulement soutiennent à l’examen le renom lyrique de M. Hugo, mais doivent même l’accroître en quelque partie. Mainte pièce du recueil décèle chez lui des sources de tendresse élégiaque plus abondantes et plus vives qu’il n’en avait découvert jusqu’ici, quoique, même en cela, le grave et le sombre dominent. On suit, avec un intérêt respectueux, sinon affectueux, ce front sévère, opiniâtre, assiégé de doutes, d’ambitions, de pensées nocturnes qui le battent de leurs ailes. On contemple « cet homme au flanc blessé », saignant, mais debout dans son armure, et toujours puissant dans sa marche et dans sa parole. On le voit, rôdeur à l’œil dévorant, au sourcil visionnaire, comme Wordsworth a dit de Dante, tour à tour le long des grèves de l’Océan, dans les nefs désertes des églises au tomber du jour, ou gravissant les degrés des lugubres beffrois.

Jules Janin

Le quatrième acte de Ruy Blas est rempli de personnages hideux, de scènes bouffonnes, de barbarismes créés à plaisir.

[Les Débats ().]

Gustave Planche

M. Hugo touche à une heure décisive ; il a maintenant trente-six ans, et voici que l’autorité de son nom s’affaiblit de plus en plus Lors même que l’auteur des Orientales s’enfermerait obstinément dans le système littéraire qu’il a fondé, et soutiendrait que la terre finit à l’horizon de son regard, son passage dans la littérature contemporaine mériterait cependant d’être signalé, sinon comme une ère de fécondité, du moins comme une crise salutaire L’auteur, malgré sa jeunesse, appartient dès à présent à l’histoire littéraire. En poursuivant la voie où il est entré, il y a vingt ans, il n’arrivera jamais à surpasser les œuvres qu’il nous a données.

Théophile Gautier

Si l’on disait à de certaines gens que le poète qui ressemble le plus à Virgile c’est Victor Hugo dans les Feuilles d’automne, on passerait pour un fou ou pour un enragé. Rien n’est plus vrai pourtant. Tous les génies sont frères et forment, à travers les espaces et les siècles, une famille rayonnante et sacrée.

[La Presse ().]

Théophile Gautier

Sur les Burgraves : Il y a chez M. Victor Hugo une qualité, la plus grande, la plus rare de toutes dans les arts : la force !… Il a cette violence et cette âpreté de style qui caractérisent Michel-Ange. Son génie est un génie mâle,  car le génie a un sexe : Raphaël est un génie féminin, ainsi que Racine ; Corneille est un génie mâle.  Nul ne se rapproche davantage de la grandeur sauvage d’Eschyle. Job a des tirades qui ne seraient pas déplacées dans le Prométhée enchainé. L’imprécation de Guanhumara, quand elle prend la nature à témoin de son serment de vengeance, est un des plus beaux morceaux de notre littérature : c’est l’ampleur de la poésie à toute volée de la tragédie antique, bien différente de la tragédie classique Soutenir ainsi ce ton d’apogée, ce bel élan lyrique pendant trois grands actes, M. Hugo seul pouvait le faire aujourd’hui.

[La Presse ().]

Charles Magnin

Croyez-vous que quand le vieil Eschyle clouait le Titan, martyr de la civilisation hellénique, sur la cime de je ne sais quel Caucase baigné par l’Océan, la Grèce, assise dans le théâtre de Bacchus, fit à l’auteur des objections géographiques ou se prit à le chicaner sur les invraisemblances de sa fable ? La beauté idéale de la conception et la perfection des vers absolvaient le poète ; et, certes, la grandeur du tableau qui termine le premier acte des Burgraves aurait fait battre des mains à tout le peuple d’Athènes.

Cette œuvre, grande par la pensée, sévère par l’exécution, attachante mais trop compliquée par la fable, nous paraît ce que M. Hugo a tenté jusqu’ici sur la scène de plus grave et de plus élevé.

[Revue des deux mondes ().]

Auguste Vacquerie

Lorsque Marion rencontre Didier et qu’elle court après lui, c’est un amant et non un mari qu’elle demande. Mais Didier ne la connaît pas. En lui voyant le visage d’un ange, il s’imagine qu’elle en a l’âme aussi :

Veille, sans tache encore, un ange de lumière ;
Un être chaste et doux, à qui sur les chemins,
Les passants à genoux devraient tendre les mains

Marion ne comprend pas très bien ce langage, différent de celui qu’elle a entendu jusqu’à ce jour. Elle cherche ce que veut dire cette « théologie » et trouve Didier principalement singulier ; mais cette singularité même l’attire. Quand elle comprend, un immense bouleversement se fait en elle. À la lueur de la révélation qui éclate dans les paroles de Didier, elle voit la vraie figure de son passé et en a honte. Elle se repent ; elle veut remonter. En se comparant à une passion semblable, elle se sent à la fois rapetissée et grandie. Quoi ! l’amour peut être une religion et elle peut être aimée ! Il lui vient l’ambition d’être comme Didier la voit.  Chose profonde : le croyant fait le Dieu ! La transformation commence. L’idée que Didier se fait de Marion devient Marion même. La vision se substitue par degrés à la réalité. Adam tire encore une fois Ève de son flanc.

[L’Événement ().]

Gustave Planche

Victor Hugo dont le nom avait si rapidement grandi sous la Restauration, mais dont les Orientales avaient montré l’alliance malheureuse d’une habileté consommée et d’une pensée presque insaisissable, tant elle tenait peu de place dans les vers du poète, a répondu victorieusement à ce reproche, hélas ! trop mérité, par les Feuilles d’automne. De tous les recueils lyriques de Victor Hugo, les Feuilles d’automne sont probablement le seul qui restera, car c’est le seul où se révèlent des pensées sérieuses.

Edmond Duranty

Hugo, un comédien de poésie, un esprit masqué où rien n’est sincère, pas même la vanité !… ôtez à Hugo trente gros adjectifs, et toute sa poésie s’effondre comme un plafond auquel on enlève ses étais Les femmes, il ne les aime pas ; les enfants, il ne les comprend pas ; la nature il ne la sent pas Il dit d’une femme : « Elle me regarda de ce regard suprême qui reste à la beauté quand nous en triomphons ». N’est-ce pas là du Delille ? En politique, on croirait entendre M. Cabet ou un article du Siècle Il m’est assez indifférent que Hugo fasse bien les vers ; au jour de l’an, quand j’étais enfant, je m’inquiétais beaucoup des bonbons, peu du sac.

[Le Réalisme ().]

Edmond Texier

Jamais livre n’avait excité tant de curiosité ni de sympathie. Le jour de la mise en vente, les magasins de librairie étaient littéralement assiégés, et il n’a pas fallu plus de vingt-quatre heures pour que la première édition fût épuisée. À l’heure qu’il est, Les Contemplations sont dans toutes les mains ; on dirait que le lecteur, dégoûté des rapsodies qui ont vu végéter ces dernières années si stériles, ait voulu se retremper dans ce grand fleuve qui prend sa source aux derniers jours de la Restauration et qui n’a cessé de rouler, à travers tous les événements heureux ou malheureux, glorieux ou funestes, ses flots de belles pensées et de beaux vers.

[Le Siècle (27 avril ).]

Théophile Gautier

Pour cette génération, Hernani a été ce que fut Le Cid pour les contemporains de Corneille. Tout ce qui était jeune, vaillant, amoureux, poétique, en reçut le souflle. Ces belles exagérations héroïques et castillanes, cette superbe emphase espagnole, ce langage si fier et si hautain dans sa familiarité, ces images d’une étrangeté éblouissante, nous jetaient comme en extase et nous enivraient de leur poésie capiteuse. Le charme dure encore pour ceux qui furent alors captivés. Certes, l’auteur d’Hernani a fait des pièces aussi belles, plus complexes et plus dramatiques que celle-là peut-être ; mais nulle n’exerça sur nous une pareille fascination. Il s’opérait un mouvement pareil à celui de la Renaissance. Une sève de vie nouvelle coulait impétueusement. Tout germait, tout bourgeonnait, tout éclatait à la fois. Des parfums vertigineux se dégageaient des fleurs, l’air grisait, on était fou de lyrisme et d’art. Il semblait qu’on vint de retrouver le grand secret perdu ; et cela était vrai, on avait retrouvé la poésie.

Jules Janin

À M. Victor Hugo revient l’honneur d’avoir écrit le plus rare et le plus touchant de tous les drames de ce siècle, Marion de Lorme.

Désiré Nisard

L’histoire des ouvrages de M. Victor Hugo est l’histoire de livres éphémères, greffés sur des lieux communs du jour ou imités d’ouvrages analogues, où le mérite de l’invention n’appartient pas à M. Victor Hugo. Je n’en sache pas un dont la pensée lui soit propre ; je n’en sache pas un où il ait crié le premier, du haut du mât de misaine : Italie ! Italie ! Il a quelquefois exploité les découvertes d’autrui ; mais il n’a jamais rien découvert Les meilleures pages de prose de Notre-Dame de Paris ne sont pas meilleures que la préface de Cromwell ; les Feuilles d’automne n’ont rien ajouté à la gloire des Orientales ; les Chants du crépuscule sont indignes des Feuilles d’automne ; toujours la dernière chose faite est la pire. On dirait que M. Victor Hugo a été condamné à n’être en effet qu’un enfant de génie, comme l’appelait M. de Chateaubriand. Les œuvres de l’homme font honte aux œuvres de l’enfant.

Charles Baudelaire

Quand on se figure ce qu’était la poésie française avant que Victor Hugo apparut, et quel rajeunissement elle a subi depuis qu’il est venu ; quand on s’imagine ce peu qu’elle eût été s’il n’était pas venu, combien de sentiments mystérieux et profonds, qui ont été exprimés, seraient restés muets ; combien d’intelligences il a accouchées, combien d’hommes qui ont rayonné par lui seraient restés obscurs, il est impossible de ne pas le considérer comme un de ces esprits rares et providentiels qui opèrent, dans l’ordre littéraire, le salut de tous, comme d’autres dans l’ordre politique. Le mouvement créé par Victor Hugo se continue encore sous nos yeux. Qu’il ait été puissamment secondé, personne ne le nie ; mais si, aujourd’hui, des hommes mûrs, des jeunes gens, des femmes du monde ont le sentiment de la belle poésie, de la poésie profondément rythmée et vivement colorée, si le goût public s’est haussé vers des jouissances qu’il avait oubliées, c’est à Victor Hugo qu’on le doit.

George Sand

William Shakespeare : Il a écrit ce livre pour dire que la poésie est aussi nécessaire à l’homme que le pain.

[Cité dans le Livre d’Or de Victor Hugo.]

Francisque Sarcey

J’ai toujours professé pour les drames de Victor Hugo une sympathie médiocre

[Le Temps ().]

Louis Étienne

Les Chansons des rues et des bois, la dernière cargaison poétique envoyée de Guernesey, ont été accueillies par une bourrasque, et pourtant plusieurs pièces originales ou ingénieuses et nombre détachées méritaient une plus heureuse traversée. Tout a été gâté par un fâcheux caprice qui déjà s’annonçait dans les recueils précédents, le mélange du grotesque et du lyrique. Les grands poètes sont de grands seigneurs ; libres de déroger quelquefois, ils peuvent passer de Pindare à Rabelais, mais non dans la même chanson. L’enthousiasme et la gaudriole ne doivent pas, à notre avis, s’asseoir à la même table ; la voix entrecoupée par les hoquets met les chastes muses en fuite. Qui doute que M. Victor Hugo, s’il eût été parmi nous, n’eût pas risqué cette fantaisie ?

[Revue des deux mondes ().]

George Sand

Quand on pense à ce que vous aviez fait déjà en 1833 ! Vous aviez renouvelé l’ode ; vous aviez, dans la préface de Cromwell, donné le mot d’ordre à la révolution dramatique ; vous aviez, le premier, révélé l’Orient dans les Orientales, le moyen âge dans Notre-Dame de Paris. Et depuis, que d’œuvres et que de chefs-d’œuvre ! que d’idées remuées ! que de formes inventées ! que de tentations, d’audaces et de découvertes ! Et vous ne vous reposez pas !… Et on me dit que, dans le même moment où j’achève cette lettre, vous allumez votre lampe et vous vous remettez tranquille à votre œuvre commencée.

Clément Caraguel

Victor Hugo est entré à cette heure dans la glorieuse galerie des ancêtres littéraires, et ses drames prennent place l’un après l’autre parmi les chefs-d’œuvre classiques qui seront l’éternel honneur du genre humain. Après Hernani, voici Ruy Blas qui se classe dans le grand répertoire.

[Journal des débats (avril ).]

Émile Zola

Victor Hugo, l’homme du siècle ! Victor Hugo, le penseur, le philosophe, le savant du siècle ! et cela au moment où il vient de publier l’Âne, cet incroyable galimatias, qui est comme une gageure tenue contre notre génie français ! Mais, en vérité, aux plus mauvaises époques de notre littérature, dans les quintessences de l’hôtel de Rambouillet, dans les périphrases de l’école didactique, jamais, jamais, entendez-vous ! on n’a accouché d’une œuvre plus baroque ni plus inutile.

Ernest Renan

Onorate l’altissimo poeta.

Marcelin Berthelot

Ἔν τὸ πᾶν

Un et tout ; c’est le symbole de la science sacrée des anciens, et c’est aussi l’expression du génie de Victor Hugo.

Alphonse Daudet

Je me rappelle mon enfance. Que de fois, la nuit, couché avec mon frère, la bougie enveloppée d’un cornet en gros papier, de peur que la lumière ne nous trahit, j’ai veillé jusqu’au blanc de l’aube pour lire Victor Hugo. « Dormirez-vous à la fin ! nous criait papa Daudet, de la chambre voisine. On se taisait, le livre sous les draps ; et quand, effrayés encore, nous reprenions la page interrompue, c’était divin ce mystère et ce tremblement.

P. Puvis de Chavannes

Qui de nous, au souvenir lointain de quelque génie, n’a envié le sort de ceux qui l’avaient vu, approché, entendu ? À plus forte raison, pour les races futures en sera-t-il ainsi de notre génération qui vénère Hugo dans le splendide épanouissement d’une gloire impérissable.

Leconte de Lisle

Toi dont le nom sacré fait resplendir la cime,
De ce siècle géant que ta force a dompté,
Dans ta vieillesse auguste et dans ta majesté !

Pasteur

L’Enfant Sublime, comme l’a nommé Chateaubriand, a mérité d’être appelé le Sublime Vieillard.

Devant cette glorieuse longévité, la France donne un beau spectacle. Son acclamation est un cri de patriotisme.

Théodore Aubanel

Amelié de Prouvenço, o dous amelié blanc !
La floureson de nèu que Febrié vous douno !
Lis niau li pu bèn, li raioun li mai pur

Carol (Sa Majesté Charles Ier, roi de Roumanie)

Opes regum corda subditorum.

Vin-sa Doy

Musset, tu n’auras plus à formuler ce vœu :
« Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ?…

Émile Deschanel

Magnitudo cum mansuetudine.

Joséphin Soulary

Vienne le jour néfaste, trompant notre appel
        Et l’espoir des aubes prochaines,
        Qui brise tout, même les chênes ;

Nous sacrerons le sol où tu seras frappé,
        Et l’on te verra, mort splendide,
Toi, si grand aujourd’hui par l’espace occupé,
        Bien plus grand par ta place vide !

Wilkie Collins

I offer the tribute of my respect the great writer, whose works are worthy of his country, whose life is worthy of his works.

Théodore de Banville

Ô Père des odes sans nombre.
Comme une forêt pleine d’ombre ;
Et dans ta pensive prunelle,
Qui vit les deuils et les désastres,

Jules Simon

D’autres remercieront Victor Hugo de ses œuvres. Je le remercie de l’admiration unanime qu’elles inspirent. Tous les partis et tous les peuples applaudissent ensemble à sa gloire. De tous les spectacles que ce siècle nous a donnés, il n’y en a pas de plus consolant et de plus rassurant que celui-là.

Alexandre Dumas fils

Mon cher Maître, je ne sais pas comme vont s’y prendre tous ceux qui vous fêteront le 26 février pour vous dire en termes variés ce que tout le monde pense. Moi, je laisse de côté les mots et j’en reviens tout bonnement à ce que j’ai fait, il y a un demi-siècle, quand mon père m’a mené chez vous pour la première fois : je vous embrasse bien respectueusement et bien tendrement aussi.

Émile Zola

Je salue en Victor Hugo le poète victorieux des anciens combats. L’honorer aujourd’hui d’un culte, c’est protester contre ceux qui l’ont hué autrefois ; c’est croire à la force éternelle et triomphante du génie.

Frédéric Mistral

              A toun lindau plantan lou mai.

Julia A. Daudet

Tout ce que l’enfance a de larmes dans la clarté de ses yeux, de sourires dans la pureté de sa bouche entrouverte, Victor Hugo l’a exprimé, et dans une langue faite pour ce sujet exceptionnel, où son vaste élan se resserre, se maintient, arrive à la précaution d’une étreinte de grand-père, au respect attendri de je ne sais quel saint gigantesque soulevant l’enfant dans ses bras pour lui faire passer un ruisseau.

Franz Liszt

À Victor Hugo, le sublime poète de Ce qu’on entend sur la montagne , Mazeppa, le Crucifix, profonde et perpétuelle admiration.

Henri Meilhac

À Victor Hugo.

L’an 84 de son premier siècle d’immortalité.

Jean Richepin

Toi qui sors en régnant de l’arène insultante
Où nous autres, tes fils, entrons en combattant,
Donne-nous, pour braver le sort qui nous attend,
De tes mainsfleurit la palme qui nous tente !

Victor Schoelcher

Victor Hugo est un des plus grands génies qui, en éclairant le monde, ont honoré l’humanité. Il est le poète des hommes, des femmes, des enfants, des vaillants, des bons, des proscrits, des déshérités et de tous ceux qui aiment.

Emilio Castelar

Los nombres literarios que mas evocan la idea y et recuerdo de lo sublime asi en mi pensamiento como en mi memoria son Isaias, Esquilo, Dante, Shakespeare, Calderon y Victor Hugo.

Juliette Adam

Maître, vous avez la taille de ceux dont les vieux Grecs faisaient des dieux.

Votre amie, dont l’admiration s’accroît avec vos années.

Léon Cladel

Si quelques lettrés parricides abhorrent ou feignent d’abhorrer Hugo, pour eux ainsi que pour tous ceux qui lui gardent une affection quasi filiale, il n’en est pas moins le grand papa !

Victor Balaguer, de la Academia Española

Maestro de maestros y ensalzado en todas las lingnas del universo mundo ; Victor Hugo es mas que un hombre y mas que un genio ; es toduvia mas que una idea : es todo un siglo.

Philippe Burty

Je ne fais pas un choix dans votre œuvre, cher Maître.

Si j’ai plus souvent relu les Contemplations, c’est que, pendant les heures longues d’une veillée de mars au chevet d’une enfant adorée, les fenêtres ouvrant sur une nuit étoilée, j’ai reçu des Contemplations le soulagement à la plus déchirante parmi les douleurs humaines.

Charles Garnier

Il faut parler des forts quand on s’adresse aux Maîtres ;
Il faut parler des preux quand on s’adresse au Roi ;
Il faut parler du ciel quand on s’adresse aux prêtres ;
Il faut parler des Dieux quand on s’adresse à toi !

François Coppée

Maître, nous t’apportons notre prose ou nos vers.

Auguste Vacquerie

Victor comme Virgile et Hugo comme Homère.

Sully Prudhomme

Corneille t’envierait, car, vieux, il a pu croire
Qu’il voyait son laurier, de son vivant, périr ;
Toi, sans rival, bravant l’oubli, même illusoire,
Tu te sens immortel et vois ta jeune gloire
Accompagner tes jours et, chaque an, refleurir !

Carmen Sylva

Ce ne sont que les sommets altiers, couverts de neige, qui jettent des flammes au soleil couchant.

Ernest Reyer

Victor Hugo m’écrivit de Jersey une lettre de quatre pages sur papier pelure d’oignon pour m’autoriser à mettre en musique sa Vieille Chanson du jeune temps.

Je ne sais trop ce qu’est devenue la musique de la chanson. Mais j’ai gardé la lettre.

Henri Rochefort

Victor Hugo est en train de devenir plagiaire. Ainsi il a écrit cet hémistiche :

Ce siècle avait deux ans

Eh bien ! il va être obligé de l’écrire une seconde fois.

Francisque Sarcey

Le chemin est long de Boileau à Victor Hugo ; j’ai mis pour ma part vingt-cinq ans à le faire ; ce sont vingt-cinq ans bien employés.

Paul Bert

Part égale, ô penseurs, ici-bas vous est faite :
« Comment ? » dit le savant. « Pourquoi ? » dit le poète.

Émile Augier

Le xixe  siècle s’appellera-t-il le siècle de Napoléon ou le siècle d’Hugo ? Les paris sont ouverts.

René de Saint-Marceaux

Au maître sculpteur de la pensée, un ouvrier du marbre.

Georges Ohnet

Ni prose ni vers pour célébrer le Maître. Sur une page blanche, son nom : « Victor Hugo ». Cela dit tout

E. Caro

L’hommage le plus digne d’un grand poète n’est-ce pas l’obole offerte aux pauvres en son nom ?

Édouard Lockroy

Victor Hugo est peut-être le plus admirable et le plus glorieux des poètes ; mais c’est assurément un décorateur et un ébéniste méconnu. Un de ses plus beaux ouvrages est Hauteville-House.

Ambroise Thomas

Je suis heureux de pouvoir offrir à notre cher Grand Poète l’hommage de ma vieille et profonde admiration.

Jules Méline

Au plus grand peintre de la nature, l’Agriculture reconnaissante.

Anatole France

Heureux qui, comme Adam entre les quatre fleuves,
Sut nommer par leur nom les choses qu’il sut voir !…

Catulle Mendès

Auguste et doux, serein comme un dieu sans athée,
Droit comme les Césars d’un vieil armorial,
Il tient ce siècle, ainsi qu’en sa main d’or gantée

Léon Dierx

Après Homère, après le Dante, après Shakespeare,
Sur le trône sacré, par-dessus tous les rois,
Oh ! reste ! règne encore, en France, d’où tu vois
L’humanité te faire un immortel empire !
Et qu’un siècle nouveau, béni par toi, soupire
Dans le vieux monde enfin apaisé sous ta voix !

Armand Silvestre

Hugo, gloire du nom dont un siècle est rempli,
Couchant dont la splendeur fait pâlir nos aurores !

Ange Laisant

La gloire de Victor Hugo rayonnera sur le xixe  siècle et contribuera pour une forte part à la solution des grands problèmes devant lesquels le xixe  siècle est resté impuissant.

Laurent Tailhade

Victor Hugo, c’est la source intarissable et bienfaisante qui arrose et fertilise le vaste champ de l’esprit humain.

Charles Gounod

Pour dire tout ce qu’il aura été, point ne sera besoin d’un maximum de six lignes : il suffira de le nommer.

Aurélien Scholl

Victor Hugo ? le vent, la mer, la foudre.

Edmond Gondinet

Il est allé si haut dans son vol surhumain, qu’il semble que nos admirations et nos enthousiasmes ne peuvent plus l’atteindre.

Armand Fallières

«  Il faut que la France entière présente un vaste ensemble, ou, pour mieux dire, un vaste réseau d’ateliers intellectuels, gymnases, lycées, collèges, chaires, bibliothèques, échauffant partout les vocations, éveillant partout les aptitudes »

Tel est le programme que traçait Victor Hugo à la tribune de l’Assemblée législative (1850). Ce sera l’honneur de la République de l’avoir rempli.

Paul Meurice

De l’œuvre qu’il conçoit à l’œuvre qu’il construit,
L’oranger fait pousser à la fois sur sa tige
La fleur, le bouton et le fruit.

Henri de Bornier

Quand Shakespeare s’éteint, Victor Hugo s’allume.

Charles Laurent

Je n’ai jamais entendu le moineau chanter les louanges du rossignol. Sans cela, je vous enverrais en deux trilles l’éloge de Victor Hugo.

Pierre Véron

Quatre-vingt-trois !… Fin chiffre, imposant de noblesse.
Mais dans Victor Hugo doit-on compter les ans,
Puisque sa gloire et lui sont vieux d’une vieillesse
        Que rajeunit chaque printemps ?

Ernest Legouvé

Le Moïse sauvé des eaux marque l’avènement de l’enfance dans la poésie lyrique. Avec lui entrent dans l’ode, dans l’élégie, tous ces Éliacins dont Victor Hugo est le Joad, car il les couronne.

Georges Lafenestre

Sur les fermes sommets des grandes Pyrénées,
Plus l’amas est profond des glaces enchaînées,
Plus pur est le regard qui fixe le soleil ;
Ainsi d’un feu plus clair tu rayonnes, ô Gloire,
Sur le front du génie, au plus haut de l’histoire,
Quand la neige des ans y dort son blanc sommeil !

Edmond Picard

La vie humaine entière se reflète en voire œuvre. Pour toute joie, toute douleur, tout sacrifice, tout événement, elle a un chant qui exalte, console, explique ou fortifie. À l’homme moderne, incroyant et morose, elle est ce qu’est au mahométan le Coran, ou chrétien la Bible.

Henri de La Pommeraye

Victor Hugo a fait la plus admirable des Poétiques en écrivant le livre intitulé : William Shakespeare, dont la pensée féconde se résume en ces deux formules : l’Art pour le Progrès, le Beau utile.

Je salue en Victor Hugo le Maître généreux et sublime qui a proclamé « le devoir de la pensée humaine envers l’homme ».

Louis Ulbach

L’anniversaire de Victor Hugo, en remuant les cœurs, les unit. Combien d’ennemis qui se rapprochent pour fêter d’un même élan le grand génie fraternel qui les domine ?

Arsène Houssaye

Homère, Eschyle, Dante, Shakespeare, Molière, Hugo, ainsi soit-il !

Jules Claretie

Ils sont aimés des dieux ceux qui, glorieux dès leur jeunesse et naissant avec leur siècle, incarnent en eux tous ses rayonnements et tous ses deuils, chantent ses grandeurs, célèbrent ses victoires, pansent ses blessures, le consolent de ses défaites, le relèvent et le vengent, et, vieillissant avec lui, se reposent au couchant de leur vie, dans leur immortalité. Mais quoi ! un seul homme aura eu cette destinée triomphante : c’est Victor Hugo, l’enfant sublime dans le sublime vieillard, Hugo, le grand Français  non, le grand humain !

Adolphe Thalasso

Hugo n’appartient pas à la France seulement ; comme Shakespeare et Molière, il appartient, par son génie, au monde entier.

William Michael Rossetti

Soul of the loct and Kers of all the world.

Eugène Manuel

L’apaisement filial t’a repris sans partage :
En toi tout s’est calmé chaque jour davantage ;
On dirait que la loi du monde te révèle
Toujours plus de douceur, toujours plus de bonté !

Judith Gautier

Maître bien-aimé, permettez-moi de vous offrir comme bouquet de fête ces cinq vers qui sont de vous et dont, paraît-il, je suis seule à me souvenir. Je les tiens de mon père. Vous les avez, disait-il, écrits avec un diamant, sur la vitre d’une auberge peu hospitalière :

Gargotier, chez qui l’on fricasse
On peut te dire en vérité :

Charles de Moüy

Du pays d’Eschyle et de Phidias, le Ministre de France en Grèce transmet à Victor Hugo le salut fraternel des poètes et des sculpteurs divins de l’Acropole.

Henry Maret

Ceux-là seuls qui peuvent choisir entre le lever du soleil derrière les montagnes de la Suisse ou son coucher étincelant dans les flots de l’Océan pourront aussi se prononcer entre les premiers vers de celui que Chateaubriand appela l’Enfant sublime et le poète de la Légende ou de Torquemada. Pour moi, je suis de ceux qui admirent simplement toute la marche du soleil et toutes les évolutions du génie.

José-Maria de Heredia

Tola Dorian

Jusqu’aux lacs bleus de Damanhour
Au sombre fleuve de l’Amour,
De toi seul veut se faire esclave
Cette âme en révolte la Slave !

Henry Houssaye

χορὸς τῶν ποιητῶν ἦλθεν εἰς τὴν γέννησιν σου. Ὁ Ὅμηρος σὲ ὀνομασεν ὑιόν. Ὁ Ἄισχυλος καὶ Πίνδαρος εἶπον : Ἁδελφέ μου.

Eugène Guillaume

Au Génie, qui, comme un témoin éternel et comme un prophète, a évoqué la nature et les temps, exprimé les aspirations infinies de l’humanité et, souverain maître de l’idée et de la forme, identifié avec la poésie la représentation intellectuelle de tous les arts.

Nazare-Aga

Voici ce que dit le poète Hafez pour vanter la beauté de la bien-aimée : « La beauté de la bien-aimée se passe de notre admiration imparfaite. Un beau visage n’a pas besoin du fard ou des grains de beauté ».

Je répète le même vers pour dire que nos louanges sont imparfaites quand il s’agit de rendre hommage au génie du grand poète de notre siècle, l’illustre Victor Hugo.

Auguste Barbier

Que reste-t-il de lui ? Une Babel immense peuplée de créatures monstrueuses ou étranges et sans vitalité réelle.

Paul de Saint-Victor

La Légende des siècles domine toute l’œuvre de Victor Hugo. Elle est le Beffroi de cette Cité mouvante et multiple, de toute forme et de tout âge, pleine de contrastes : où la Mosquée des Orientales s’arrondit, au milieu des flèches lyriques des Feuilles d’automne et des Voix intérieures, des Rayons et des Ombres, et des Contemplations ; où le Paris des Misérables s’agite autour de la cathédrale de Notre-Dame de Paris, où le drame est représenté par tout un groupe tragique d’édifices, qui relient Aranjuez à la Tour de Londres, le Burg germanique au Louvre, la Renaissance italienne à la Décadence espagnole ; où le prétoire des Châtiments donne sur les camps et sur les tranchées de l’Année terrible, cette cité fantastique que la mer baigne, que les astres sans cesse interrogés illuminent, que les champs et les forêts envahissent ; où la nature, enfin, projette ses splendeurs et ses ténèbres, ses floraisons et ses éruptions, sur les luttes et les douleurs de l’humanité.

Œuvre démesurée, peuplée de types innombrables, et qui n’est pourtant qu’en partie visible ; œuvre sans égale, qu’accroîtront presque de moitié les livres déjà terminés, en sortant de l’ombre, et que des plans tracés, et dont l’achèvement est promis à cette vieillesse invincible, prolongeront en tout sens. Nous ne l’entrevoyons encore aujourd’hui cette œuvre-là qu’à travers la poussière des combats qu’elle a soulevés. Que sera-ce, quand l’avenir l’aura pacifiée, lorsque le recul des années l’aura fixée dans l’harmonie et dans la lumière ! Ce qu’on peut dire dès à présent, avec assurance, c’est que tous les temps nous envieront l’avènement et le règne, la présence et l’influence vivante d’un tel poète, et que tout un côté de notre siècle portera son nom.

Ernest Renan

M. Victor Hugo fut un très grand homme ; ce fut surtout un homme extraordinaire, vraiment unique. Il semble qu’il fut créé par un décret supérieur et nominatif de l’Éternel. Toutes les catégories de l’histoire littéraire sont en lui déjouées

M. Victor Hugo fut le plus illustre parmi ceux qui entreprirent de ramener aux plus hautes aspirations cette culture intellectuelle déprimée. Un souffle vraiment poétique le remplit ; chez lui, tout est germe et sève de vie. Une singulière découverte coïncide avec celle de l’esprit nouveau, c’est que la langue française, qui semblait ne plus sembler bonne qu’à rimer des petits vers spirituels ou aimables, se trouva tout à coup vibrante, sonore, pleine d’éclat. Le poète qui vient d’ouvrir à l’imagination et au sentiment des voies nouvelles, révèle à la poésie française son harmonie. Ce qui n’était qu’une cloche de plomb devient entre ses mains un timbre d’acier.

La bataille fut gagnée. Qui voudrait aujourd’hui demander compte au général des manœuvres qu’il employa, des sacrifices qui furent les conditions du succès ? Le général est obligé d’être égoïste. L’armée, c’est lui ; et la personnalité, condamnable chez le reste des hommes, lui est imposée. M. Hugo était devenu un symbole, un principe, une affirmation, l’affirmation de l’idéalisme et de l’art libre. Il se devait à sa propre religion ; il était comme un dieu qui serait en même temps son prêtre à lui-même.

Sa haute et forte nature se prêtait à un tel rôle, qui eût été insupportable pour tout autre. C’était le moins libre des hommes, et cela ne lui pesait pas. Un grand instinct se faisait jour en lui. Il était comme un ressort du monde spirituel. Il n’avait pas le temps d’avoir du goût, et cela, d’ailleurs, lui eût peu servi. Sa politique devait être celle qui allait le mieux à sa bataille. Elle était, en réalité, subordonnée à ses grandes stratégies littéraires, et parfois elle dut en souffrir, comme toute chose de premier ordre qu’on réduit à l’état de chose secondaire et qu’on sacrifie à un but préféré.

À mesure qu’il avançait dans la vie, le grand idéalisme qui l’avait toujours rempli s’élargissait, s’épurait. Il était de plus en plus pris de pitié pour les milliers d’êtres que la nature immole à ce qu’elle fait de grand. Éternel honneur de notre race ! Partis des deux pôles opposés, M. Hugo et Voltaire se rencontrent dans l’amour de la justice et de l’humanité.

Que se passera-t-il en 1985, quand le centenaire de Victor Hugo sera célébré à son tour ? Devant les obscurités d’un avenir qui nous apparaît fermé de toutes parts, qui oserait le dire ? Une seule chose est bien probable. Ce qui est resté de Voltaire restera de M. Hugo. Voltaire, au nom d’un admirable bon sens, proclame que l’on blasphème Dieu quand on croit servir sa cause en prêchant la haine. M. Hugo, au nom d’un instinct grandiose, proclame un père des êtres, en qui tous les êtres sont frères

Anonyme

Victor Hugo est mort à une heure trente-cinq minutes.
Il fut le plus grand poète de notre siècle.
Il était fou depuis plus de trente ans.
Que sa folie lui serve d’excuse devant Dieu.
Plaignons ceux qui vont lui décerner l’apothéose et prions pour lui.
[Le journal La Croix ().]

Paul de Saint-Victor

Marion de Lorme : C’est le premier en date des drames du poète, et c’en est aussi le plus jeune. S’il n’a pas la fermeté magistrale, la certitude d’exécution souveraine, qui marquèrent bientôt toutes ses œuvres, il a le charme de la jeunesse, son enthousiasme ardent et tendre, une candeur grave, une foi profonde, la fleur du génie. On y sent la verdeur du printemps sacré, qui régnait alors. Un souffle lyrique y circule, les larmes y coulent comme la source vive.

Henri de Bornier

Victor Hugo a écrit cette phrase dont on pourrait faire l’épigraphe de son théâtre : « Dieu frappe l’homme y l’homme jette un cri : ce cri, c’est le drame. »

Oui, c’est le drame, le drame de Victor Hugo surtout. Dans aucun temps, dans aucun pays, aucun poète n’a écouté de plus près, n’a reproduit avec plus de force ce cri de la douleur humaine. Chacune de ces œuvres tragiques semble porter le nom d’un champ de bataille : Hernani a l’aspect d’un combat étincelant sous le soleil de l’Espagne, dans quelque sierra désolée ; Ruy Blas ressemble au choc de deux escadrons farouches plus avides de donner la mort que de trouver la victoire ; les Burgraves ont la grandeur douloureuse et titanique des trilogies d’Eschyle.

Henry Houssaye

Immense a été et est encore son action sur les lettres françaises. Tous ceux qui tiennent une plume aujourd’hui, les prosateurs comme les poètes, les journalistes comme les auteurs dramatiques, procèdent plus ou moins de lui. Ils se servent d’épithètes et d’images, ils ont des alliances de termes et des surprises de rimes, des tours de phrases et des formes de pensée qui sont des réminiscences inconscientes de Victor Hugo. Le style moderne est marqué à son empreinte. Son œuvre écrite dépasse, par le nombre des volumes, celle même de Voltaire et égale, par la puissance et l’éclat, celle des plus grands poètes.

[.]

Leconte de Lisle

Quelles que soient les causes, les raisons, les influences qui ont modifié sa pensée ; bien qu’il se soit mêlé ardemment aux luttes politiques et aux revendications , Victor Hugo est, avant tout, et surtout, un grand et sublime poète, c’est-à-dire un irréprochable artiste, car les deux termes sont nécessairement identiques. Il a su transmuter la substance de tout en substance poétique, ce qui est la condition expresse et première de l’art, l’unique moyen d’échapper au didactisme rimé, cette négation absolue de toute poésie ; il a forgé, soixante années durant, des vers d’or sur une enclume d’airain ; sa vie entière a été un chant multiple et sonore où toutes les passions, toutes les tendresses, toutes les sensations, toutes les colères généreuses qui ont agité, ému, traversé l’âme humaine dans le cours de ce siècle, ont trouvé une expression souveraine. Il est de la race, désormais éteinte sans doute, des génies universels, de ceux qui n’ont point de mesure, parce qu’ils voient tout plus grand que nature ; de ceux qui, se dégageant de haute lutte et par bonds des entraves communes, embrassent de jour en jour une plus large sphère par le débordement de leurs qualités natives et de leurs défauts non moins extraordinaires ; de ceux qui cessent parfois d’être aisément compréhensibles, parce que l’envolée de leur imagination les emporte jusqu’à l’inconnaissable, et qu’ils sont possédés par elle plus qu’ils ne la possèdent et ne la dirigent ; parce que leur âme contient une part de toutes les âmes ; parce que les choses, enfin, n’existent et ne valent que par le cerveau qui les conçoit et par les yeux qui les contemplent.

Jules Lemaître

L’âme de Hugo, et c’est tant pis pour moi, est trop étrangère à la mienne.

[Début de l’article sur Victor Hugo, dans les Contemporains (1886-).]

Gustave Flaubert

C’est maintenant une opinion généralement reçue dans la critique moderne que cette antithèse du corps et de l’âme qu’expose si savamment dans toutes ses œuvres le grand auteur de Notre-Dame . On a bien attaqué cet homme parce qu’il est grand et qu’il a fait des envieux. On fut étonné d’abord et l’on rougit ensuite de trouver devant soi un génie de la taille de ceux qu’on admire depuis des siècles ; car l’orgueil humain n’aime pas à respecter les lauriers verts encore. Victor Hugo n’est-il pas aussi grand homme que Racine, Calderon, Lope de Vega et tant d’autres admirés depuis longtemps ?

Ferdinand Brunetière

C’est toute une langue nouvelle que Victor Hugo a ainsi façonnée pour l’usage des versificateurs, et cette langue a eu la fortune la plus extraordinaire. Un critique exercé pourrait presque à coup sûr, en présence d’un poème, déterminer s’il date d’avant ou d’après l’auteur des Orientales . Cette fortune s’explique par le fait que la révolution prosodique accomplie ainsi a coïncidé avec la plus grande révolution psychologique de notre âge.

Désiré Nisard

Quand on parle de l’état des lettres dans la France contemporaine, on ne peut guère ne pas nommer M. Victor Hugo. Le nom intervint, en effet, dans les quelques paroles qui s’échangeaient entre mon auguste interlocuteur (Napoléon III) et moi : « Comprenez-vous, me dit l’Empereur, d’un air à la fois grave et légèrement railleur, qu’un homme de ce mérite fasse des vers comme ceux-ci :

                                                   J’en suis émerveillé
Comme l’eau qu’il secoue aveugle un chien mouillé » ?

Éphraïm Mikhaël

LA CÈNE.

Or maintenant, au fond du Palais ineffable,
Qui pour tapis a les espaces constellés,

Avant qu’ils n’aillent par le Portique superbe
De l’Avenir se disperser dans l’univers,
Le Maître a convie pour la cène du Verbe
Ceux qui doivent porter aux nations les vers.

Trône à leur table ; et, pour leur soif et pour leur faim,
Sous l’espèce du pain symbolique et du vin :

« Prenez, dit-il, ô mes amis et mes apôtres,
Le pain qui rend fécond et le vin qui rend frère ;
Pour que le Verbe issu de mon âme aille aux vôtres,
Prenez, mes fils, ceci c’est mon sang et ma chair ! »

Stéphane Mallarmé

Hugo, dans sa tâche mystérieuse, rabattit toute la prose, philosophie, éloquence, histoire, au vers ; et comme il était le vers personnellement, il confisqua, chez qui pense, discourt ou narre, presque le droit à s’énoncer. Monument en ce désert, avec le silence loin ; dans une crypte, la divinité ainsi d’une majestueuse idée inconsciente, à savoir, que la forme appelée vers est simplement elle-même la littérature.

[Vers et proses, florilège ().]

Émile Faguet

Il y a des gens, comme Sully Prudhomme, qui ont une âme en pétale de sensitive, qui se replie sur elle-même dès qu’on la touche. Il y en a, comme Coppée, qui ont une âme cii ailes de moineau ; qui va, légère, amusée, gouailleuse, tendre et gaie à la fois, se poser sur tous les arbres des squares et guetter les humbles joies et les humbles drames pour en faire une chanson. Victor Hugo avait une âme en tôle. L’incident, l’anecdote, l’événement tapaient dessus, et c’était une musique grave et douce ou un retentissement de tonnerre. Il avait un gong dans le cerveau.

[Revue bleue (17 juin ).]

Émile Zola

Vous me demandez une page sur Victor Hugo. Une page, grand Dieu ! mais c’est un volume qu’il faudrait écrire ! Que voulez-vous que je dise en une page sur le plus Grand de nos poètes lyriques ?

Et puis, après les batailles d’autrefois, je n’ai qu’à m’incliner.

Ces jours-ci, Catulle Mendès, qui est un grand honnête homme littéraire, en me donnant une belle et bonne poignée de main publique, a signé définitivement la paix.

Il a raison, il faut admirer et aimer, toute la force est là.

Malgré la légende, j’ai beaucoup aimé et beaucoup admiré Victor Hugo, et voici ce que j’écrivais il y a longtemps :

« Quelle brusque et prodigieuse fanfare dans la langue que ces vers de Victor Hugo ! Us ont éclaté comme un chant de clairon, au milieu des mélopées sourdes et balbutiantes de la vieille école classique. C’était un souffle nouveau, une bouffée de grand air, un resplendissement de soleil. Pour mon compte, je ne puis les entendre sans que toute ma jeunesse me passe sur la face, ainsi qu’une caresse.

« Je les ai sus par cœur, je les ai jetés jadis aux échos des coins de Provence où j’ai grandi. Ils ont sonné pour moi, comme pour bien d’autres, le siècle de la liberté dans lequel nous entrons »

Voilà la page que vous demandez, mon cher confrère, et je regrette simplement qu’elle ne soit pas plus complète et plus éloquente.

[La Chronique de Paris (juillet ).]

André Fontainas

Analyser ce tome dernier de Toute la lyre, qui en oserait tenter l’aventure ? La poésie de Victor Hugo est parce qu’elle est, voilà tout ; tout y est réinventé et créé à nouveau ; le sens du mystère et le sens du lyrisme par elles ont été restitués à la poésie française ; c’est d’elle que nous tirons notre existence, tous ; elle est l’air que chacun de nous respire : nous ne le saurions décomposer et vivre.

L’atmosphère hugolienne s’est accrue une fois encore à jamais, et notre enthousiasme, duquel ne saurait se définir la qualité. Simplement, c’est ici le lieu de saluer de nouveau l’universel Poète, le Maître et le Père.

Anonyme

Pendant la période romantique, ils (les juges littéraires) se bornaient à grossir la gloire unique de Victor Hugo. Quand les ouvrages mis en honneur s’intitulaient : Les Burgraves, l’Homme qui rit ou la Légende des siècles, c’était au mieux ; mais cela devenait néfaste quand, par la force d’habitude, on exaltait le feuilleton des Misérables ou les tartines politiques des Châtiments. Cependant on laissait dans l’ombre de subtils écrivains, comme Gérard de Nerval et Pétrus Borel. Or, l’Aurélia est infiniment plus littéraire que Notre-Dame de Paris, et Madame Putiphar contient d’admirables essais d’ironisme, qu’il importe de savoir plutôt que les grands drames hugoliens.

Émile Verhaeren

Beau chevalier cuirassé de grands vers,
Serrés autour du cœur comme une armure.
Dont l’acier clair et les éclairs

Doux chevalier pour les très doux enfants
Dont vous baisiez les têtes
De cette bouche au loin tonnante aux ouragans
Et aux tempêtes ;

Dont les feux immobiles
Brûlaient dans la parole et dans les yeux

Pour définir te Dieu futur ;

De par ton œuvre ouverte ainsi qu’une arche
Tu fus le rêve autour d’un monde en marche
[La Plume ().]

Henri de Régnier

La grève grise, les durs rocs et les oiseaux
Accueillent ton grand flot, le brisent, et des ailes

Sa voix seule répond à l’écho que tu hèles,
Ô mer, tes algues sont des bronzes en lambeaux.

Les sirènes, jadis, aux soirs de l’île heureuse,
Ont charmé le passant ailleurs, mais l’Exilé
La Muse véhémente avec l’âme en sa chair
Du vent mystérieux et de toute la Mer.
[La Plume ().]

Paul Adam

Victor Hugo, ce fut surtout le vulgarisateur d’un certain élan d’idées en honneur dans les milieux où il vivait Il y eut dans son entourage des hommes comme Gérard de Nerval qui l’emportèrent sur lui en originalité et en intelligence Notre-Dame de Paris, les Châtiments et tout le théâtre de Victor Hugo sont dignes de la portière.

[La Plume ().]

Ferdinand Brunetière

Dans la traduction comme dans l’analyse des sentiments un peu particuliers, délicats et subtils, il échouera presque toujours, faute précisément de délicatesse et de subtilité. Ses madrigaux, par exemple, auront communément quelque chose de gauche, de lourd, de pédantesque, de choquant quelquefois. Ses plaisanteries auront je ne sais quoi de pesant et de puéril ensemble, d’asséné plutôt que de lancé, de barbare, d’énorme, de mérovingien, si je puis ainsi dire ;  et c’est ainsi qu’on devait rire à la cour du roi Chilpéric.

[L’Évolution de la poésie lyrique en France au xixe  siècle, 2 vol. ().]

Leconte de Lisle

Dors, Maître, dans la paix de ta gloire ! Repose.
Cerveau prodigieux, d’où, pendant soixante ans,
Va ! La mort vénérable est ton apothéose ;
Pour planer à jamais dans la vie infinie,
Il brise comme un Dieu les tombeaux clos et sourds,
Il emplit l’avenir des Voix de ton génie,
Rouler de siècle en siècle en grandissant toujours !

Pierre Quillard

Les Années funestes. Ab Jove principium ! Chaque fois qu’une œuvre nouvelle de Victor Hugo est divulguée, elle justifie l’admiration presque aveugle que lui ont vouée les poètes et donne raison à leur ferveur envers lui. L’heure était particulièrement propice pour publier ces poèmes contemporains des Châtiments. Jamais en notre langue, même chez d’Aubigné, l’invective ne se haussa à un tel ton lyrique ; l’injure brutale, le calembour grandiose, les coups de canne et les coups de bottes, les acrobaties formidables et sinistres, virtuosité de la haine frappant l’ennemi avec ses armes discourtoises, seraient simples jeux de pamphlétaire ; mais, ici, les Euménides mêmes hurlent dans les strophes et, selon son vœu, le poète n’est plus

                qu’un aspect irrité,
Une apparition d’ombre et de vérité !

Georges Rodenbach

La Fin de Satan est le sommet, le point culminant, de cette admirable œuvre posthume qui va se continuer encore, chaine de montagnes infinissable sur l’horizon du siècle

[L’Élite ().]

Saint-Georges de Bouhélier

Hugo a été un poète immense. Il n’est pas excessif de dire que s’il n’a pas tout fait, il a tout entrevu. Chacun de nous descend de lui par quelque point. Est-ce qu’il n’a pas chanté Pan ? C’était un de ces hommes énormes qui s’augmentent sans cesse de tout. Le théâtre, le roman, la poésie, l’histoire, il n’est pas un genre qu’il n’ait abordé ; il les a tous traités d’une façon supérieure Dans l’ode, dans la méditation, dans l’épopée héroïque, Hugo a montré une force sans égale. Il avait quelque chose de primitif. Il ne souffrait aucune espèce d’intermédiaire entre l’univers et lui.

[Le Figaro (novembre ).]

Paul Adam

Mon opinion n’a point varié, je l’avais seulement dite en une forme un peu rude. Je persiste à croire que les poèmes de Mallarmé et de Verlaine l’emportent de beaucoup en élévation de pensée et en force d’évocation sur la somme des productions hugoliennes.

[Le Figaro ().]

Léon Deschamps

Victor Hugo, lorsqu’il entreprend la critique des autres, ne consent à parler que des hommes de génie, ses égaux. Aussi son unique procédé de critique, c’est l’extase. Le champ de ses admirations est très vaste. Voici la liste de ses auteurs favoris : Dante, Homère, Shakespeare, Eschyle, Isaïe, Tacite, dont il aime l’« obscurité sacrée », Molière, Pindare, Aristophane, Plaute, Corneille, Rabelais, La Fontaine, Salomon, Beaumarchais

[Le Temps ().]